Douglas Harding - Renaître à l'Évidence

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    Harding

    aîtredence

    / fffff. iu//

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    Douglas Harding

    Renaître à Tévidence

    Désormais l’éveil est accessibleLa nouvelle version de “Vivre sans tête”

    Première partie traduite de ranglais par Jean van Harck

    Seconde partie inédite traduite par Paul Vervisch

    Le Courrier du Livre21, rue de Seine75006 PARIS

    DouglasHarding

    Renaîtreà TévidenceDésormais l’éveil est accessibleLa nouvelleversionde “Vivre sans tête”

    Premièrepartietraduitede l'anglaispar Jean vanHarck

    Secondepartieinéditetraduitepar PaulVervisch

    Le Courrierdu Livre21, rue de Seine75006 PARIS

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    © Le C ou r ri e r d u L i v r e

    I S B N : 2 - 7 0 2 9 0 -3 1 1 - 8

    © Le Courrierdu LivreISBN: 2-70290-311-8

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    N O T E S U R L ’ A U T E U R

    Douglas Edison Harding est né en 1909 à Lowestoft,

    petite ville de la côte est de l'Angleterre.E sp rit ouvert, il enseigne les Religions com parées

    à Tuniversité de Cam bridge tou t en étant un des associés d 5un bureau d 'arc h ite c te pros pè re. Pendan t laguerre - il est m ajor - il m et au point un moyen ex cep

    tionnel de compréhension spirituelle. Lui-même définit son dom aine com me le point de rencontre de la psy-chologie, la physique, la philosophie et la religion.

    Ses oeuvres publiées com prennent : un ro m an-po licier, tra ité ph ilosophique q u 'il m it huit ans à écrire, deslivres sur la religion et Part de vivre et de mourir et denombreux articles dont certains ont paru en françaisdans 3e Millénaire, Terre du ciel, et Etre. L'ouvrage deGilles Farcet L'Homme se Lève à r uest » inclut Hardingen tant qu^» un des nouveaux sages de l'Occident », et

    Anne Bancroft, dans son livre «20th Century Mystics an d Sage « consacre un chapitre à Harding, « Thom mesans-tête •* - une réputa tion que le « Douglas H arding Song » composé par le groupe am éricain «The IncredibleString Band» contribua à faire croître.

    Bien que largem ent octogéna ire, Harding continueses tournées de séminaires autour du monde. Son public- et ses «décapitations*» - sont passés d'un e poignée àdes dizaines de milliers.

    NOTE SUR L’AUTEUR

    Douglas Edison Harding est né en 1909 à Lowestoft,

    petite ville de la côte est de l’Angleterre.Esprit ouvert, il enseigne les Religions comparées

    à l’université de Cambridge tout en étant un des asso¬ciés d’un bureau d’architecte prospère. Pendant laguerre - il est major - il met au point un moyen excep¬tionnel de compréhension spirituelle. Lui-même défi¬nit son domaine comme le point de rencontre de la psy¬chologie, la physique, la philosophie et la religion.

    Ses oeuvres publiées comprennent : un roman-poli¬cier, traité philosophique qu’il mit huit ans à écrire, des[ivres sur la religion et l’art de vivre et de mourir et denombreux articles dont certains ont paru en françaisdans 3e Millénaire, Terredu ciel, et Etre. L’ouvrage deGillesFarcet•L’Homme se Lève à l’Ouest inclut Hardingen tant qu’«un des nouveaux sages de l'Occident », et

    Anne Bancroft, dans son livre « 20th Century Mysticsand Sage » consacre un chapitre à Harding, « l’hommesans-tête » une réputation que le « Douglas HardingSong» composé par le groupe américain -The IncredibleString Band»contribua à faire croitre.

    Bien que largement octogénaire, Harding continueses tournéesde séminairesautour du monde. Sonpublic- et ses «décapitations» - sont passés d’une poignée àdes dizaines de milliers.

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    A v a n t - P r o p o s

    La m eilleure façon de présenter au lecteur Téditionrévisée de ce livre est de lui raconter com m ent la v e rsion p rim itive m 'es t tom bée entre les mains.

    C5était en 1961. Rentrant d'une tou rnée de conférences dans les universités d 'Australie j*avais prévu dem 'arrêter à Bangkok pour pa rler avec John B lofeld desa traduction des Enseignements Zen de H ua ng Po etEnseignem ents Zen de H u i Haï. Nous avions à peineentamé notre conversation que Blofeld, en référence à

    un point quelconque que je soulevais, s’empara d’unmince volume posé près de lui sur une table en rotinqui, me dit-il, lui était parvenu il ne savait comment.Il s’agissait du livre que vous avez entre les mains. Jene me souviens pas du passage quMI ten a it à c o mmenter, m ais je me remém ore avec la plus grande précision son enthousiasme pour ce livre. «Je n*ai pas lamoindre idée de qui peut-être ce Harding, ajouta-t-il,

    je ne sais rien de lui et il peut être aussi bien un chauffeur de taxi londonien, mais ce que je peux affirmer,c’est qu’il a tout compris !»

    Le lendemain, quand je pris congé de Blofeld, ils'empara à nouveau du livre, insistant pour que je re mporte et le lise pendant mon vol de retour. Ma curiosité

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    AVANT-PROPOS

    La meilleure façon de présenter au lecteur l’éditionrévisée de ce livre est de lui raconter comment la ver¬sion primitive m’est tombée entre les mains.

    C’était en 1961. Rentrant d’une tournée de confé¬rences dans les universités d'Australie j’avais prévu dem’arrêter à Bangkok pour parler avec John Blofeld desa traduction des Enseignements Zen de Huang Po etEnseignements Zen de Hui Haï. Nous avions à peineentamé notre conversation que Blofeld, en référence à

    un point quelconque que je soulevais, s’empara d’unmince volume posé près de lui sur une table en rotinqui, me dit-il, lui était parvenu il ne savait comment.Il s’agissait du livre que vous avez entre les mains. Jene me souviens pas du passage qu’il tenait à com¬menter, mais je me remémore avec la plus grande pré¬cision son enthousiasme pour ce livre. «Je n’ai pas lamoindre idée de qui peut-être ce Harding, ajouta-t-il,je ne sais rien de lui et il peut être aussi bien un chauf¬feur de taxi londonien, mais ce que je peux affirmer,c’est qu’il a tout compris »

    Le lendemain, quand je pris congé de Blofeld, ils’empara à nouveau du livre, insistant pour que je l’em¬porte et le lise pendant mon vol de retour. Ma curiosité

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    é ta it te lle que je n *ai m êm e p a s e say é de pro tes te r f a ce

    à t a n t d e g én é ros ité. C 'e s t d o nc en v o la n t a u d ess u s

    d u P aci f iqu e qu e j 'a i eu l'o c ca s io n de v é ri f ier s on a ff ir

    m a ti o n . Il n e s ' é ta i t pa s tr o m p é . S an s T o m b r e d 'u n

    do u te , H a r din g a v ait to u t co m pr is .

    C e q u i ne ve u t p as d ire qu e la rév é la t ion s e p ro

    du ira p ou r tou t le m o n de - o n ne pe u t ja m a is ê tre s ûr

    q u e l e s m ots p r o du is en t l'e f fe t sou hai té - m a is je ne

    co n na is a u cun au tre te xte au s si c on c is q ue le p r em ie r

    c ha p itre de ce livre , au tant sus cep tible d 'é lev e r la sen s ibilité d u le c teu r à u n d iffé r en t niv e au de p er c ep tion.

    La r a iso n e n e s t s i m ple . La c o m p r éh e ns io n s ’ap pui e d 'ava n ta g e s ur l e s i m ag e s q ue sur les rais o nn e m e nts

    e t Tim ag e br a nd ie p a r H a rdin g e s t p a rtic u liè r em e nt p uis

    s a nte :« J e n*a i pa s d e têt e ... ! » S i rév o lta n t q u 'il para is se au pre m ie r ab ord , Ta u te u r m a in tien t so n po stu lat, e n

    fa it le tou r, y re vie nt j u sq u 'a u m o m e n t où (co m m e p o ur

    les koa ns q ui s em ble n t é g ale m e n t a b sur d es ) un e b a r

    r ière se bris e e t no u s v oyo n s, non pa s qu elq u e c h os e

    de d iffé r en t, m a is d ’un e fa ç on nou vel le .

    Q ua n d m eu rt la lo g iq u e ,

    La lum ière pén ètre de s ré g ion s s e crè tes. La vér ité j a illit à t r ave rs Toei l.

    C 'es t peu t-êt r e p a rce qu e j 'a i lu initia lem ent ce livre e n a v ion qu e m a pe n sé e se rep o rte à u n a u tre inc id en t

    de vol. J 'é t a is a ssi s à c ôté d 'u n e v ieille da m e aux ch e

    veux bla ncs qu i, bi e n q u ê ta n t ce r tain e m e n t o c t o g é

    na ire, e ffe c tua it so n p r em ie r v o l. E lle n 'éta it p a s b a var d e,

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    était telle que je n’ai même pas esayé de protester faceà tant de générosité. C’est donc en volant au dessusdu Pacifique que j’ai eu l’occasion de vérifier son affir¬mation. Il ne s’était pas trompé. Sans l’ombre d’undoute, Harding avait tout compris.

    Ce qui ne veut pas dire que la révélation se pro¬duira pour tout le monde - on ne peut jamais être sûrque les mots produisent l’effet souhaité - mais je neconnais aucun autre texte aussi concis que le premierchapitre de ce livre, autant susceptible d’élever la sen¬sibilité du lecteur à un différent niveau de perception.La raison en est simple. La compréhension s'appuied avantage sur les images que sur les raisonnementset l’image brandie par Harding est particulièrement puis¬

    sante : « Je n’ai pas de tête... » Si révoltant qu’il paraisseau premier abord, l’auteur maintient son postulat, enfait le tour, y revient jusqu’au moment où (comme pourles koans qui semblent également absurdes) une bar¬rière se brise et nous voyons, non pas quelque chosede différent, mais d’une façon nouvelle.

    Quand meurt la logique,La lumière pénètre des régions secrètes.La vérité jaillit à travers l’oeil.

    C’est peut-être parce que j’ai lu initialement ce livreen avion que ma pensée se reporte à un autre incidentde vol. J’étais assis à côté d’une vieille dame aux che¬veux blancs qui, bien qu’étant certainement octogé¬naire, effectuaitson premier vol. Elle n’était pas bavarde,

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    m a is so u da in - n o u s v e nio ns d ' a tte in d re 12 00 0 m . e tsu rvo lion s les M o nt a g n es R o ch eu s es - e lle se to u rn ave rs m o i et m e d e m a nd a in n o ce m m e n t e t a vec le plu sgr a nd ca lm e : « P o ur q uo i n o u s so m m e s -n o us a r r ê t é s ?»

    J ’e us un su r sa u t m a is p res qu e a u ss itô t, s ou r ian t d e s a na ïve té , je r e t r o u v a i m o n ca lm e . M ai s je n 'é ta it p lu s d a ns l ’é ta t pr os a ïq u e d ’a va n t s a r em ar q ue . S ’é la nc er d an s l 'e sp ac e s a ns le m o ind r e s on ou m o uv e m e n t n ' é ta itp lu s u n e b a n al ité . Le m o nd e é ta i t à n ou ve a u sou rc e d e m e rve ille , il é t a it s em é d e s u r pris es .

    S i, co m m e r e n se ig n e D on Ju an , le s o rc ie r Ya q ui m aî tre d e C a s ta n ed a, no u s d ev on s « a rr ê te r le m o nd e •*d a ns s a to u r b illo n n a n te r ou tin e , s 'il no u s fau t v é ri tab lem en t v o ir , la qu e st ion dé rou ta n te de m a v o is ine et la dé cla ra tion d é ro u ta n te de H a rd ing m ’on t p e rm is de le ré a lise r.

    C e tte no u ve lle é d itio n c o m p o r te plu sie urs a m é lior a tio n s . La p o rt é e de l'o u v r a g e s e t r o u ve é l a rg ie p ar Tajo u t, e n p ar a llè le, de tra d itio ns au tre s q u e b ou d dh ist e s.

    (J n c h a p itr e d e c on clu s io n s su r la « Voie s a ns tê te » a ég a le m e n t é té a jo u té po ur r e l ie r la d éc o uv e r te c en tral e de ce livr e à n o tr e v ie q uo tid ien n e . C e tte in tu i tio n es te n e ff e t f o nd am en ta l e e t d o it le d e m e ur e r. A n a t ta , n on - s oi (lis ez : so i in d iv id u el n on -p e rm an e n t), n *es t p a s s eu le m e nt la c le f d u bo u dd his m e , p lein em en t co m p ris e e llee st la c le f de la vie . M aî tre E c k h a rt a é c rit : « Mo ins il y a de so i, p lus il y a d e S o i ».

    N o us vo yo n s to u t ce ci in t u itiv e m e n t e t n o us av on s p u co n s t a te r q ue To n v o it m ie u x q ua n d on ce s se d e

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    mais soudain - nous venions d’atteindre 12 000 m . etsurvolions les Montagnes Rocheuses - elle se tournaversmoi et me demanda innocemment et avec le plusgrand calme : « Pourquoi nous sommes-nous arrêtés ?»

    J’eus un sursaut mais presque aussitôt, souriant de sanaïveté, je retrouvai mon calme. Mais je n’était plusdans l’état prosaïque d’avant sa remarque. S’élancerdans l’espace sans le moindre son ou mouvement n’étaitplus une banalité. Le monde était à nouveau source demerveille, il était semé de surprises.

    Si, comme l’enseigne Don Juan, le sorcier Yaquimaître de Castaneda, nous devons « arrêter le monde »dans sa tourbillonnante routine, s'il nous faut vérita¬blement voir, la question déroutante de ma voisine etla déclaration déroutante de Harding m’ont permis dele réaliser.

    Cette nouvelle édition comporte plusieurs amélio¬rations. La portée de l’ouvrage se trouve élargie parl'ajout, en parallèle, de traditions autres que bouddhistes.

    (Jn chapitre de conclusions sur la « Voie sans tête « aégalement été ajouté pour relier la découverte centralede ce livre à notre vie quotidienne. Cette intuition esten effet fondamentale et doit le demeurer. AnaUa, non-soi (lisez : soi individuel non-permanent), n’est pas seu¬lement la clef du bouddhisme, pleinement comprise elleest la clef de la vie. Maître Eckhart a écrit : « Moins il ya de soi, plus il y a de Soi ».

    Nous voyons tout ceci intuitivement et nous avonspu constater que l'on voit mieux quand on cesse de

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    fa ire obs tac le à sa pr o pr e lu m iè re . C ’est un e d e s c ho s es q ue no us sa von s m ais n ' a rr ivo n s p as à m e ttre en p ra

    tiq u e , il fa u t d on c n ou s l e r a p p e le r s an s c e ss e. O u

    m ie u x , il fa u t n ou s le p r é s e n t e r c o n tin u e lle m e n t d e

    f aço n n ou ve lle, ce qu i es t le pr o po s d e ce l ivre .

    O n po u rra it c on s id é re r H a rd ing s’a dre ss a nt à n ous

    c o m m e un ros hid ég u isé , u n m aî tre , re vêt u , s i To n p eu t

    dir e , d ’un e j a qu e tt e d e l ivre . S i n o us vo ulo ns êtr e d e s

    é tud ian ts d ign e d e c e n om , il no u s f aut do nc êtr e p r êts

    à r e ce vo ir r e ns e ig n e m e n t d e qu e lq u e d ire c t io n q u 'il

    p r ov ien n e.

    H us ton S m ith

    H an n a P ro fes s eu r d e P hilo so p hie

    U n ive r s it é d e H am lin e S ain t P aul - C ISA

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    faire obstacle à sa propre lumière. C'estune des chosesque nous savons mais n’arrivons pas à mettre en pra¬tique, il faut donc nous le rappeler sans cesse. Oumieux, il faut nous le présenter continuellement de

    façon nouvelle,ce

    qui est le propos de ce livre.On pourrait considérer Harding s’adressant à nous

    comme un roshi déguisé, un maître, revêtu, si l’on peutdire, d’une jaquette de livre. Si nous voulons être desétudiants digne de ce nom, il nous faut donc être prêtsà recevoir l’enseignement de quelque direction qu’ilprovienne.

    Huston SmithHanna Professeurde Philosophie

    Université de HamlineSaint Paul USA

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    P R E F A C E

    ien ava nt q ue le m y thiqu e •• Guid e du rou tard pour la G alax ie » devi enne cé lèbre dan s no tre hém isph ère, cet o uvra ge - ide ntiqu em e nt p etit, bon marc hé e t qu asi-un iver sel - pas sant de m ain s en m a ins, c ircu lait à tra ve rs le mon de. Il a é té vu non seu le m ent d ans les s alle s

    d 'atte n te , m a is a ussi dan s les ref uges de m on tagn e ,les ca f és d e p r ov in ce , les plag es e t les éco les. Ces e xem plair es av aien t ten dan ce à être usés , fla ppis , éc o rnés , m a is in trin s è q u e m ent intac ts, com m e ceux qui c ontin ue n t à s e viv ifier à sa lect ure. Car le m essa ge d ec e li v r e s ’en fonc e en p ro fo n d e u r ju s q u ’ a u c o e u r etsem ble e nco urag er s es le cteu rs à rec onna ître et p a rtag e r leu r int uitio n la plus intim e .

    Dep uis sa p ublic atio n in itiale en 1961 , ce livre es t dev enu une sort e de clas siqu e m o der ne d e la vie s piri

    tuel le. E n pl us d e l'é ditio n an glais e e t am érica ine unesé lecti on e n a p aru dans Ta ntho logie Le Je d e rE s p r i t: F ant aisie s et Réfl e xion s s u r l'A m e et le S oi » ( 19 81 ) deH o fstad ter e t De nne tt, m ais ces e xtra its te nde nt à ob s c urcir le s ens réel du m ess age de H ardin g et ren d ce tte

    n ouve lle é ditio n d ' auta n t p lus p récie use .

    Pa rmi les a utre s ré alisa tion s de M. H ard ing c iton ssa carr ière d’ar chite c te , un gran d no m b r e d ’ écrit s su rle mêm e th ème que ce lu i-ci, cert ains d'en tre e ux e ncor e

    13

    PREFACE

    Bien avant que le mythique « Guide du routard pourla Galaxie » devienne célèbre dans notre hémisphère,cet ouvrage identiquement petit, bon marché et quasi-universel - passant de mains en mains, circulait à tra¬vers le monde. Il a été vu non seulement dans les salles

    d’attente, mais aussi dans les refuges de montagne,les cafés de province, les plages et les écoles. Cesexemplaires avaient tendance à être usés, flappis, écor¬nés, mais intrinsèquement intacts, comme ceux quicontinuent à se vivifier à sa lecture. Car le message dece livre s’enfonce en profondeur jusqu’au coeur etsemble encourager ses lecteurs à reconnaître et par¬tager leur intuition la plus intime.

    Depuis sa publication initiale en 1961, ce livre estdevenu une sorte de classique moderne de la vie spiri¬

    tuelle. En plus de l’édition anglaise et américaine unesélection en a paru dans l’anthologie • Le Je de l'Esprit:Fantaisies et Réflexionssur l’Ame et te Soi • ( 198 1) deHofstadter et Dennett, mais ces extraits tendent à obs¬curcir le sens réel du message de Harding et rend cette

    nouvelle édition d’autant plus précieuse.

    Parmi les autres réalisations de M. Harding citonssa carrière d’architecte, un grand nombre d'écrits surle même thème que celui-ci, certains d’entre eux encore

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    in é dits - le p lus am b itie u x e t d iffic ile à c e jo u r é tan t «

    La H ié r a rc h ie du C ie l et de la Ter r e : Un N o uve au

    D iag r am m e d e l 'H o m m e da ns iU n iv e r s » a cc o m p ag n é

    d' u ne p ré f ace en thou sia s te d u c é lè b re h um an is te c h r é

    tie n C . S . Le wis - u n m od è le b rev eté , en tro is d im e ns io n s , n o m m é « ü n iu e r s Vou s ! • G u id e p o u r

    Co sm o na u tes », e t u n e s é rie de sé m in a ire s in te rn atio

    nau x, to u jo urs po urs u ivis à c e j o u r , lu i pe r m e tta n t de

    pa rta g er a ve c to u s le m e ss a ge ce n tra l de ce livre .

    Ma is c e li v re n ’es t pa s s u r D oug las Ha rd in g . Il n’e s ts u r r ie n d 'étr o ite m e n t in telle ctu el, d 'o r g an isé o u d e re li

    g ieu x . Le s u je t de c e livre es t su r , et po u r, c elu i qu i lit

    ces lig n es , en cet ins tan t.

    G en e R . Th urs b yPro f es s eu r a d jo in t de Re ligio n

    U nivers ité d e F lor id e

    G a in es v ille - O SA

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    inédits - le plus ambitieux et difficile à ce jour étant «La Hiérarchie du Ciel et de la Terre Un NouveauDiagramme de l'Homme dans l’Univers » accompagnéd’une préface enthousiaste du célèbre humaniste chré¬

    tien C. S. Lewis - un modèle breveté, en trois dimen¬sions, nommé « Univers Vous Guide pourCosmonautes», et une série de séminaires internatio¬naux, toujours poursuivis à ce jour, lui permettant departager avec tous le message central de ce livre.

    Mais ce livre n’est pas sur Douglas Harding. Il n’estsur rien d’étroitement intellectuel, d’organisé ou de reli¬gieux. Le sujet de ce livre est sur, et pour, celui qui litces lignes, en cet instant.

    Gene R. ThursbyProfesseur adjoint de ReligionUniversité de Floride

    Gainesville - (JSA

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    S O M M A I R E

    A v a nt -p ro p o s .. ... .... ... .... ... .... ... ... .... ... .... ... .... ... .... ... .... ... 9

    P r é fa c e .......................................................................... 13

    P r e m iè r e P a r t ie

    C h a p itre 1. - V is io n ......... ........................................... 19C h a p itr e 2 . - D é v e lo p p e m e n t ....... .............. ............. 2 5C h a p itr e 3 . - Z e n ................. .......... .... .......... .............. . 4 7

    D e u x i è m e P a r t i e

    C h ap itr e 4 . - M is e a u p o in t : Le s h u it é ta p e sd e la « Vo ie s an s tê te » ....... .......... .... .............. .......... . 7 3P o s tf a c e ..................................................................... 1 3 5B ib lio g r a p h ie .... .... ... .... ... .... ... .... ... .... ... .... ... .... ... .... ... ..1 4 0

    15

    SOM MAIRE

    9vant-propos

    13réface

    PREMIèREPARTIE

    19hapitre 1. - VisionChapitre 2. - DéveloppementChapitre 3. - Zen

    2547

    DEUXIèMEPARTIE

    Chapitre 4. - Mise au point : Les huit étapesde la « Voie sans tête »PostfaceBibliographie

    73135140

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    C h a p i t r e I

    Vision

    Le plus beau jour de ma vie — ma nouvelle naissance en quelque sorte fut le jou r où je découvrisque je n ’avais pas de tête. Ceci n’est pas un jeu de mots,

    une boutade pour susciter Tintérêt coûte que coûte. Jel'en tend s tou t à fait sérieusem ent : j e n 'a i pas de tête.

    Je fis cette découverte il y a dix-huit ans, lorsque j'e n avais trente-tro is . Tombée soudainem ent du ciel,elle répondait néanmoins à une recherche obstinée ;pendant plusieurs mois, j^ v a is été absorbé par la question : qu 'es t-ce que je suis ? Que cette découverte sesoit produite lors d’une promenade dans les Himalayasimporte peu ; c'est pourtant, dit-on, un lieu propice àdes états d’es prit supérieurs. Q uoi q u ’il en soit, ce jou r

    très clair, très calme, et cette vue du haut de la crêteoù je m e trouva is, par-delà les brum es bleues des va llées, vers la plus haute chaîne de montagnes du monde,avec parmi ses cimes enneigées le Kangchenjunga etTEverest, voilà sans doute ce qui rendit cette scène

    digne de la vision la plus haute.

    11 m ’arriva une chose incroya blem en t simple, passpec tacu laire le moins du monde : je m 'arrêtai de penser. ün état étrange, à la fois alerte et engourdi, m'en

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    CHAPITRE I

    Vision

    Le plus beau jour de ma vie —ma nouvelle nais¬sance en quelque sorte — fut le jour où je découvrisque je n'avais pas de tête. Ceci n’est pas un jeu de mots,

    une boutade pour susciter l’intérêt coûte que coûte. Jel'entends tout à fait sérieusement : je n’ai pas de tête.

    Je fis cette découverte il y a dix-huit ans, lorsquej’en avais trente-trois. Tombéesoudainement du ciel,elle répondait néanmoins à une recherche obstinée ;pendant plusieurs mois, j’avais été absorbé par la ques¬tion : qu'est-ce que je suis ? Que cette découverte sesoit produite lors d’une promenade dans les Himalayasimporte peu ; c’est pourtant, dit-on, un lieu propice àdes états d’esprit supérieurs. Quoi qu’il en soit, ce jour

    très clair, très calme, et cette vue du haut de la crêteoù je me trouvais, par-delà les brumes bleues des val¬lées, vers la plus haute chaîne de montagnes du monde,avec parmi ses cimes enneigées le Kangchenjunga etl'Everest, voilà sans doute ce qui rendit cette scène

    digne de la vision la plus haute.

    Il m’arriva une chose incroyablement simple, passpectaculaire le moins du monde : je m'arrêtai de pen¬ser. Un état étrange, à la fois alerte et engourdi, m'en-

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    vahit. La raison, Timagination et tout bavardage mental prirent fin. Pour la première fois les mots me firentréellement défaut. Le passé et Tavenir s'évanouirent.J ’oubliais qui j ’étais ce que j ’étais , mon nom, ma

    nature hum aine, animale, tou t ce que je pouvais appeler mien. C it a it com m e si à cet instant je venais denaître, flambant neuf, sans pensée, pur de tous souvenirs. Seul ex istait le M aintenant, ce m om ent présentet ce qu'il me révélait en toute clarté. Voir, cela suffisait. Et voir quoi ? Deux jambes de pantalon couleurkaki aboutissant à une paire de bottines brunes, desmanches kaki amenant de part et d’autre a une pairede mains roses, et un plastron kaki débouchant enhaut sur... absolument rien ! Certainement pas unetête.

    Je découvris instantanément que ce rien, ce trouoù aurait dû se trouve r une tête, n ’était pas une vacuitéordinaire, un simple néant. Au contraire, ce vide étaittrès habité. Crétait un vide énorme, rempli à profusion, un vide qui faisait place à tout — au gazon, auxarbres, aux lointaines collines ombragées et, bien au-delà d'elles, aux cimes enneigées semblables à une rangée de nuages anguleux parcourant le bleu du ciel. J^va isperdu une tête et gagné un monde.

    Tout cela me coupait littéralement le souffle. Il mesemblait d’ailleurs que j ’avais cessé de respirer, absorbépar Ce-qui-m^était-donné : ce paysage superbe, intensément rayonnant dans la clarté de Pair, solitaire et sanssoutien, mystérieusement suspendu dans le vide, et (en

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    vahit. La raison, l’imagination et tout bavardage men¬tal prirent fin. Pour la première fois les mots me firentréellement défaut. Le passé et l’avenir s’évanouirent.J'oubliais qui j’étais, ce que j’étais, mon nom, ma

    naturehumaine,

    animale, tout ce que je pouvais appe¬ler mien. C’était comme si à cet instant je venais denaître, flambant neuf, sans pensée, pur de tous sou¬venirs. Seul existait le Maintenant, ce moment présentet ce qu’il me révélait en toute clarté. Voir, cela suffi¬sait. Et voir quoi ? Deux jambes de pantalon couleurkaki aboutissant à une paire de bottines brunes, desmanches kaki amenant de part et d’autre à une pairede mains roses, et un plastron kaki débouchant enhaut sur... absolument rien Certainement pas unetête.

    Je découvris instantanément que ce rien, ce trouoù aurait dû se trouver une tête, n’était pas une vacuitéordinaire, un simple néant. Au contraire, ce vide étaittrès habité. C'était un vide énorme, rempli à profu¬sion, un vide qui faisait place à tout —au gazon, auxarbres, aux lointaines collines ombragées et, bien au-delà d’elles, aux cimes enneigéessemblablesà une ran¬gée de nuages anguleuxparcourant le bleudu ciel.J’avaisperdu une tête et gagné un monde.

    Toutcela me coupait littéralement le souffle. Il mesemblait d'ailleurs que j’avais cessé de respirer, absorbépar Ce-qui-m’était-donné : ce paysage superbe, inten¬sément rayonnant dans la clarté de l'air, solitaire et sanssoutien, mystérieusement suspendu dans le vide, et (en

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    Il

    D É V E L O P P E M E N T

    L'idée que l 'homme possède un corps dis t inct de son âm e d o it être rejetée ; c 'est ce qu e je ferai en fa isant se dissoudre les surfaces apparentes, et en montrant V in fini q u i s 'y t rou va it caché.

    B l a k e .

    « Je crois bien qu e je vais a lle r a u -de va n t d 'e lle >*, d it A lice . .. « Vous n'avez pas la p o ss ibilité de faire cela, clil la Rose ; moi, j e d o u s cons ei llerais p lutô t d ’a l le r dan s l 'a u tre sens. » Ce propos pa ru t absurde à Al ice ; elle ne répondit r ien mais se dirigea immédiatement vers la Reine Rouge. A sa grande surprise, elle la perd it de vue en un instan t.. .

    Lewis C a b r o l l .

    De Vautre coté du miroir( 1 ).

    En fa it de beauté, je ne suis pas une étoile ;U y en a d 'au tres p lus p laisan ts, et de beaucoup.Q ua nt à mon visage — i l ne me dérange pasCar je me tiens de rrière ;Le choc est p o u r ceux q u i sont devant.

    Attribué à Wo o dr o w W il s o n

    ( ! ) Lewis CARROLL, De Tâutre côté du miroir. Traduction Henri Parisot, Paris, collection bilingue Aubicr-Flammarion, 197], pp. 77-79.

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    Il

    DÉVELOPPEMENT

    L'idée que l’homme possède un corps dislinct deson âme doit être rejetée ; c'est ce que je feraien fai¬sant se dissoudre les surfacesapparentes, et en mon¬trant l’infiniqui s'y trouvait caché.

    BLAKE

    « Je crois bien que je vais aller au-devant d’elle »,dit Alice... « Vousn 'avez pas la possibilité de fairecela,dit la Rose ; moi, je vous conseillerais plutôt d'allerdans l’autre sens. » Cepropos parut absurde à Alice ;elle ne répondit rien mais se dirigea immédiatementvers la Reine Rouge. A sa grande surprise, elle la per¬dit de vue en un instant...

    LEWISCABROLLDe l'autre coté du miroir( 1 )

    En faitde beauté, je ne suis pas une étoile ;Il y en a d'autres plus plaisants, et de beaucoup.Quant à mon visage —il ne me dérange pasCar je me tiens derrière ;Le choc est pour ceux qui sont devant.

    Attribué à WOODROWWILSOM

    (I) LewisCARROLL.De l'autrecôté du miroir. TraductionHenri Parisot. Paris,col¬lection bilingueAubier-Flammarion.1971, pp. 77-79.

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    C h a p i t r e I I

    Développement

    Dès que le premier émerveillement de ma découverte himalayienne commença à s 'estomper, je mesuis mis à me l'expliquer en termes suivants.

    Drune manière ou d^ne autre, je m'étais confusément représenté à moi-même comme Thabitant decette maison qu'est mon corps, et voyant le monde àtravers ses deux fenêtres rondes. Je me rends com ptequ’il n’en est pas ainsi du tout. Lorsque je regarde auloin, quel indice me dira maintenant combien d’yeux

    j ’ai ic i — deux, ou trois , ou cent, ou aucun ? Vraim ent,il n Jy a qu 'un e fenêtre du côté où je suis, et elle estgrande ouverte, sans chassis, sans personne pourregarder au travers. C’est toujours l’autre qui a des

    yeux, et un visage pour les encadrer ; jam ais cet étréci.

    Il existe, donc, deux sortes d 'être hum ains deuxespèces fort différenciées. La première, dont je découvre

    des spéc im ens innom brables, po rte de toute évidenceune tête sur les épaules (et par «tête» je veux dire uneboule chevelue de ving t centimètres, pourvue de toutessortes de trous), tandis que la seconde, dont je nerelève qu'un seul spécimen, ne porte manifestement

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    CHAPITRE II

    Développement

    Dès que le premier émerveillement de ma décou¬verte himalayienne commença à s’estomper, je mesuis mis à me l'expliquer en termes suivants.

    D’une manière ou d’une autre, je m'étais confu¬sément représenté à moi-même comme l’habitant decette maison qu'est mon corps, et voyant le monde àtravers ses deux fenêtres rondes. Je me rends comptequ’il n’en est pas ainsi du tout. Lorsque je regarde auloin, quel indice me dira maintenant combien d’yeuxj'ai ici —deux, ou trois, ou cent, ou aucun ? Vraiment,il n’y a qu’une fenêtre du côté où je suis, et elle estgrande ouverte, sans chassis, sans personne pourregarder au travers. C'est toujours l’autre qui a desyeux, et un visage pour les encadrer ; jamais cet être-ci.

    Il existe, donc, deux sortes d'être humains —deuxespèces fort différenciées. La première, dont je découvre

    des spécimens innombrables, porte de toute évidenceune tête sur les épaules (et par -tête» je veux dire uneboule chevelue de vingt centimètres, pourvue de toutessortes de trous), tandis que la seconde, dont je nerelève qu’un seul spécimen, ne porte manifestement

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    pas un tel objet sur les épaules. Et jusqu'à présent jen'avais pas remarqué cette différence considérable !Victim e d'un accès de folie prolongé , d'une con tinue llehallucination (et par «hallucination»* j'entends ce queme dit mon dictionnaire : apparente perception d 'un objet qui n^st pas réel lement présent) , je me voyaisinvariablement plus ou moins semblable aux autrespersonnes. Jamais de la vie comme un bipède décapité, mais toujours vivant. J'avais été aveugle à cetteréalité unique et toujours présente — — et sans laquelleil est vrai que je suis aveugle — , à ce qui remplace siavantageusement ma tête, cette clarté illimitée, cevide lumineux d'une pureté absolue. Et ce vide esttoutes choses plus qu’il ne les contien t. Car j ai beauobserver avec un m axim um d ’at ten tion je n’arrive

    même pas à trouver ici le moindre écran sur lequel seprojetteraient ces montagnes, et ce soleil, et ce ciel,pas même un miroir parfait les reflétant, ni une lentille transparen te, ni un orifice au travers duque l je lesverrais — — encore m oins une âme ou un esprit à quielles seraient présentées, ou un observateur (fusse uneombre) qui puisse se distinguer de la chose observée.Absolum ent rien ne vient s’interposer pas mêm e cetobstacle déconcertan t et trom peur appelé «distance» :le ciel immense et bleu, les neiges et leur blancheurourlée de rose, le vert intense de Therbe — comment

    les pe rcevrais-je avec une impression de distance ? Enl’absence d’observateur, il n y a rien ni personne quipuisse les reléguer à distance. Ici, ce vide-sans-têteéchappe à toute définition et à toute localisation : iln'est pas rond, ni étriqué, ni vaste, ni même ici, un ici

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    pas un tel objet sur les épaules. Et jusqu’à présent jen’avais pas remarqué cette différence considérable Victime d'un accès de folie prolongé, d’une continuellehallucination (et par «hallucination» j’entends ce queme dit mon dictionnaire :

    apparente perception d’unobjet qui n’est pas réellement présent), je me voyaisinvariablement plus ou moins semblable aux autrespersonnes. Jamais de la vie comme un bipède déca¬pité, mais toujours vivant. J’avais été aveugle à cetteréalité unique et toujours présente —et sans laquelleil est vrai que je suis aveugle —, à ce qui remplace siavantageusement ma tête, cette clarté illimitée, cevide lumineux d’une pureté absolue. Et ce vide esttoutes choses plus qu’il ne les contient. Car j’ai beauobserver avec un maximum d’attention, je n’arrive

    même pas à trouver ici le moindre écran sur lequel seprojetteraient ces montagnes, et ce soleil, et ce ciel,pas même un miroir parfait les reflétant, ni une len¬tille transparente, ni un orifice au travers duquel je lesverrais —encore moins une âme ou un esprit à quielles seraient présentées, ou un observateur(fusse uneombre) qui puisse se distinguer de la chose observée.Absolument rien ne vient s'interposer, pas même cetobstacle déconcertant et trompeur appelé «distance»:le ciel immense et bleu, les neiges et leur blancheurourlée de rose, le vert intense de l’herbe —commentles percevrais-je avec une impression de distance ? Enl’absence d’observateur, il n’y a rien ni personne quipuisse les reléguer à distance. Ici, ce vide-sans-têteéchappe à toute définition et à toute localisation : iln’est pas rond, ni étriqué, ni vaste, ni même ici, un ici

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    De toute façon, il existe plusieurs objections desens com m un que nous ne pouvons ignorer plus lon gtemps, questions qui appellent des réponses bien raisonnées, au risque de n'ê tre pas tout à fait concluantes.

    II est tem ps de justifie r notre vision, ne fusse qu*à nous-même, et aussi de donner à nos amis le supplémentd'assurance don t ils p ourraient avo ir besoin. D 'un ce rtain point de vue, cette tentative de do m es tica tion estabsurde, parce qu’aucun argument ne pourra ajouterou enlever quoi que ce soit à une expérience ; celle-ci est aussi naturelle, aussi incontestable que d'entendre du Beethoven ou de goûter de la confiture defraise. D’un autre point de vue, il est indispensable dese livre r à cette tentative, si nous ne voulons pas créerentre le vécu et la réflexion une distance insurm ontable,

    et désintégrer notre vie.

    * *

    Ma première objection fut : si la tête fait défaut, entous cas le nez y est. Il est là, me précédant visiblem ent partou t où je vais. Et ma réponse fut : si ce nuageeffilé, rosâtre, et néanmoins tout à fait transparent,qui est suspendu à ma droite, et Fautre tout pareil quiest suspendu à ma gauche sont des nez, alors j ’encompte deux, et pas un ; et dans ce cas Tunique pro

    tubérance , parfaitem en t opaque, que j*observe si ne ttement au m ilieu de votre visage n'es t pas un nez : seulun témoin étourdi ou d'une malhonnêteté désespérante p ou rrait u tilise r le mêm e m ot pour désigner deuxchoses à tel po int différentes. Je préfère m 'en remettre

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    De toute façon, il existe plusieurs objections desens commun que nous ne pouvons ignorer plus long¬temps, questions qui appellent des réponses bien rai¬sonnées, au risque de n’être pas tout à fait concluantes.(I est

    temps de justifier notre vision, ne fusse qu’à nous-même, et aussi de donner à nos amis le supplémentd’assurance dont ils pourraient avoir besoin. D’un cer¬tain point de vue, cette tentative de domestication estabsurde, parce qu’aucun argument ne pourra ajouterou enlever quoi que ce soit à une expérience ; celle-ci est aussi naturelle, aussi incontestable que d’en¬tendre du Beethoven ou de goûter de la confiture defraise. D’un autre point de vue, il est indispensable dese livrer à cette tentative, si nous ne voulons pas créerentre le vécu et la réflexion une distance insurmontable,et désintégrer notre vie.

    * *Ma première objection fut : si la tête fait défaut, en

    tous cas le nez y est. Il est là, me précédant visible¬ment partout où je vais. Et ma réponse fut : si ce nuageeffilé, rosâtre, et néanmoins tout à fait transparent,qui est suspendu à ma droite, et l’autre tout pareil quiest suspendu à ma gauche sont des nez, alors j’encompte deux, et pas un ; et dans ce cas l’unique pro¬

    tubérance, parfaitement opaque, que j’observe si net¬tement au milieu de votre visage n’est pas un nez : seulun témoin étourdi ou d’une malhonnêteté désespé¬rante pourrait utiliser le même mot pour désigner deuxchoses à tel point différentes. Je préfère m'en remettre

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    à mon dictionnaire et au bon usage qui m'obligent àdire ceci : si la plupart des hommes ont un nez d’uneseule pièce, moi pas.

    De même, s'il prenait Tenvie à quelque sceptiquem alavisé — trop anxieux po ur s’obse rver lui-m êm e ets’en remettre au fait — d'allonger un coup de poingdans cette d irection -ci, sMI visa it entre ces deux nuagesroses le résultat serait certainement aussi déplaisantque si je possédais le plus compact et le plus vulnérable des nez. Et encore, que penser de cet ensemblede tensions subtiles, de sensations, d'oppressions, dedémangeaisons, de chatoui l lements , de douleurs ,d’échauffem ents, et d’élancements qui ne fon t jam aisdéfaut dans cette région centrale ? Par-dessus tout, qu'en

    est-il des sensations du toucher qui surgissent lo rs q u ic i j ’explore à l ’aide de ma m ain ? Ces argum ents necontribuent-ils pas à confirmer massivement l 'existence de ma tête ici et maintenant ?

    Pas le moins du m onde. Bien sûr, il y a une grandevariété de sensa tions qui se m an ifes tent ici et qui nepeuvent être ignorées, m ais elles ne se ratachen t pasàune tête ni à rien de semblable. La seule façon de lestransfo rm er en tête serait d 'in trod uire ici toutes sortesd'ing rédients q ui y fon t entièrem ent défaut — — en p a r

    tic u lie r certaines form es colorées en trois dimensions.Malgré les sensations innombrables que j*y perçois, quellesorte de tête aurais-je donc ici, alors que je découvreq u e lle manque d ^ e u x , d 'oreilles, de bouche, de cheveux et, en fait, de tou t i'équipem ent corporel dont les

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    à mon dictionnaire et au bon usage qui m’obligent àdire ceci : si la plupart des hommes ont un nez d’uneseule pièce, moi pas.

    De même, s’il prenait l’envie à quelque sceptiquemalavisé — trop anxieux pour s’observer lui-même ets’en remettre au fait — d'allonger un coup de poingdans cette direction-ci, s’il visait entre ces deux nuagesroses le résultat serait certainement aussi déplaisantque si je possédais le plus compact et le plus vulné¬rable des nez. Et encore, que penser de cet ensemblede tensions subtiles, de sensations, d'oppressions, dedémangeaisons, de chatouillements, de douleurs,d’échauffements, et d’élancements qui ne font jamaisdéfautdanscette région centrale ? Par-dessustout, qu’en

    est-il des sensations du toucher qui surgissent lorsqu’icij’explore à l'aide de ma main ? Ces arguments necontribuent-ils pas à confirmer massivement l’exis¬tence de ma tête ici et maintenant ?

    Pas le moins du monde. Bien sûr, il y a une grandevariété de sensations qui se manifestent ici et qui nepeuvent être ignorées, mais elles ne se ratachent pasàune tête ni à rien de semblable. La seule façon de lestransformer en tête serait d’introduire ici toutes sortesd’ingrédients qui y font entièrement défaut — en par¬ticulier certaines formes colorées en trois dimensions.Malgré les sensations innombrablesque j’yperçois, quellesorte de tête aurais-je donc ici, alors que je découvrequ’elle manque d’yeux, d’oreilles, de bouche, de che¬veux et, en fait, de tout l’équipement corporel dont les

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    autres têtes sont pourvues ? Non, c Jest un fait éviden t,cet espace est appelé à rester clair, et il doit être débarrassé d'obstacles de ce genre, du plus léger brouillardcom m e de la plus faible colora tion qui pourraien t ob scurcir mon univers.

    Lorsqu'en tâtonnant je me m ets à che rcher la têteque j'ai perdue, non seulement je ne la trouve pas ici,mais en plus je perds la m ain qui ex p lora it ; elle aussiest absorbée par ce gouffre au centre de mon être.Apparemment, cette caverne béante, ce vide qui estla source de toutes mes actions, ce lieu magique où

    je croyais avoir une tête, ressemble surtout à un feu,si violen t q u 'il consum e instantaném ent et co m plètement toute chose qui s*en approche, pour qu*à aucun

    m om ent ne soient obscurcis Téclat et la c larté do nt ilillumine le monde. Quant à ces douleurs, ces picotements et, ainsi de suite, ils n'arrivent pas plus à éteindreou à voiler ce centre éc latant que ne le peuvent les m ontagnes, les nuages et le ciel. Bien au contraire : ilsexistent tous dans sa lum ière et, au travers d ’eux, ellese voit. Je peux avoir recours à n’importe quel sens,il n*y a d'expérience présente que dans une tête absenteet vide. C’est que, ici et maintenant, mon univers etma tête restent incompatibles: ils ne veulent pas seconfondre. Sur ces épaules, il n’y a pas de place pour

    les deux et, Dieu merci, c’est ma tête avec toute sonanatomie qui doit céder la place. Il ne s’agit pas d’unsujet à controverse, ni d*une subtilité philosophique,ni d’une auto-hypnose, mais de la vue pure et simpled’un v o i s -q œ -e s t - ici au lieu d’un pemse -qcj e s t - ic i . Si

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    autres têtes sont pourvues ? Mon, c’est un fait évident,cet espace est appelé à rester clair, et il doit être débar¬rassé d’obstacles de ce genre, du plus léger brouillardcomme de la plus faible coloration qui pourraient obs¬curcir mon univers.

    Lorsqu’en tâtonnant je me mets à chercher la têteque j’ai perdue, non seulement je ne la trouve pas ici,mais en plus je perds la main qui explorait ; elle aussiest absorbée par ce gouffre au centre de mon être.Apparemment, cette caverne béante, ce vide qui estla source de toutes mes actions, ce lieu magique oùje croyais avoir une tête, ressemble surtout à un feu,si violent qu’il consume instantanément et complète¬ment toute chose qui s’en approche, pour qu’à aucun

    moment ne soient obscurcis l’éclat et la clarté dont ilillumine le monde. Quant à ces douleurs, ces picote¬ments et, ainsi de suite, ils n'arrivent pas plus à éteindreou à voiler ce centre éclatant que ne le peuvent les mon¬tagnes, les nuages et le ciel. Bien au contraire : ilsexistent tous dans sa lumière et, au travers d’eux, ellese voit. Je peux avoir recours à n’importe quel sens,il n’y a d’expérienceprésente que dans une tête absenteet vide.C’estque, ic i et maintenant, mon univers etma tête restent incompatibles: ils ne veulent pas seconfondre. Sur ces épaules, il n’y a pas de place pour

    les deux et, Dieu merci, c’est ma tête avec toute sonanatomie qui doit céder la place. Il ne s’agit pas d’unsujet à controverse, ni d’une subtilité philosophique,ni d’une auto-hypnose, mais de la vue pure et simpled’un vois -ûüi- EST- ICI au lieu d’un PEMSE-QUI-EST-ICI. Si

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    je ne parviens pas à voir ce que je suis (e t en p a rticulie r ce que je ne suis pas), c 'es t parce que j*ai Tima-gination trop agitée, que je suis trop «subtil», trop adulteet trop informé pour accepter la situation exactement

    telle que je la découvre en ce mom ent. Une sorte dMdio-tie v igilan te, voilà ce dont j'a i besoin. Seul un œil inn ocent et une tête vide peuvent vo ir leur parfaite vacuité.

    *★ *

    Il n 'y a probablem ent qu 'un seul moyen de co nve rtir le sceptique qui prétendrait avec persistance que

    j*ai une tête : Tinviter à venir ic i et à je te r lui-m êm e uncoup d ^ i l . Il lui suffit d'être un tém oin honnête, décrivant ce qufil observe et rien d'autre.

    Partant de Tautre extrémité de la pièce, il me voitdes pieds à la tête. Mais dès qu’il s’approche, il découvreun demi-homme, puis une tête, puis une tâche enforme de joue, d'œil ou de nez, ensuite une simpletache, et fina lem en t (au po int de co n tac t) plus rien dutout. De même, s'il se trouve être équipé de tous lesinstruments scientifiques nécessaires, il pourra con stater que la tâche se résoud en tissus, puis en groupesde cellules, puis en une seule cellule, un noyau cellulaire, des molécules géantes... et ainsi de suite, jus

    qu'au moment où il arrive à un endroit où il n'y a plusrien à voir, un espace vide de tout objet solide ou m atériel. Dans chaque cas, Tobservateur qui vient voir icià quoi je ressemble, y découvre ce que je découvrem oi-m êm e — — du vide. Et si, après avoir découvert et

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    je ne parviens pas à voir ce que je suis (et en parti¬culier ce que je ne suis pas), c'est parce que j’ai l’ima¬gination trop agitée, que je suis trop «subtil», trop adulteet trop informé pour accepter la situation exactement

    telle que je la découvre en ce moment. (Jne sorte d’idio¬tie vigilante, voilà ce dont j’ai besoin. Seul un œil inno¬cent et une tête vide peuvent voir leur parfaite vacuité.

    * *

    Il n’y a probablement qu’un seulmoyen de conver¬tir le sceptique qui prétendrait avec persistance quej’ai une tête : l'inviter à venir ici et à jeter lui-même uncoup d’œil. Il lui suffit d’être un témoin honnête, décri¬vant ce qu’il observe et rien d’autre.

    Partant de l’autre extrémité de la pièce, il me voitdes pieds à la tête. Maisdès qu’il s’approche, il découvreun demi-homme, puis une tête, puis une tâche enforme de joue, d’œil ou de nez, ensuite une simpletache, et finalement (au point de contact) plus rien dutout. De même, s’il se trouve être équipé de tous lesinstruments scientifiques nécessaires, il pourra consta¬ter que la tâche se résoud en tissus, puis en groupesde cellules, puis en une seule cellule, un noyau cellu¬laire, des molécules géantes... et ainsi de suite, jus¬qu'au moment où il arrive à un endroit où il n’y a plusrien à voir, un espace vide de tout objet solide ou maté¬riel. Dans chaque cas, l’observateur qui vient voir icià quoi je ressemble, y découvre ce que je découvremoi-même —du vide. Et si, après avoir découvert et

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    p artag é m a no n-en tité, il se re tou rna i t (au lieu de m ereg a rde r ), di r igea nt co m m e m o i son reg ard v ers l ’extérie ur il déco uvrir ait u n e fo is de plus ce qu e je d éco uvrem o i-m ê m e : ce vi de, r e m p li en t ièrem ent de to u t ce qui

    est poss ible et im agin able . Lu i aus si dé cou vrira it ceP oint cent ral é clata nt en un V olum e In f ini, c e Ri e n da nsle T out, cet Ici P artou t.

    E t s i m o n ob serv ateu r sce ptiqu e do ute enco re de se s sen s, qu ^il s 'en r em e tte à son appa reil p h o t ogra phiq ue — un disp os i t if privé d u do n de m é m oire etd ’a ntici patio n qu i enr e gist r e fid èlem ent c e qu i se p asse ,là où c ela s e pa s se. Il fou rnira de m oi la m ê m e i m age .Là il ca pte u n ho m me ; à m i-che m in un h o mm e en pièce set m or ceau x ; ic i, rie n e t pers onne — o u al o rs b raqu é

    da ns l a dire ctio n op p osé e, il saisi t Tun ivers .

    ** *

    Cett e têt e n'e n est pas u ne, mais un c once pt en têté.

    Si i ci j'e n tro u ve t oujo u rs u ne, a lors je div ague et f e rais m ie ux d e co urir c hez le m édec in. P eu im p o r te qu e ce s oit u ne tê te h um a ine, u ne t ête d ^âne , un œ uf dur ouun e ger be d e fleu rs : v oir s ur me s ép aules un o bjet que l con q ue, c ^ s t s o u ffrir d 'hal lucin at ion s .

    P end ant m es i n terv alles de l ucidi té en tou s cas , jem e tro uve ici lu m in e use m en t dép ourv u de tête . Pa rcont r e, là -bas , je n e su is m a nife stem ent p as l ibéré dem a tête : en effe t, j ’a i des têtes à ne sav oir q u’en faire .

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    partagé ma non-entité, il se retournait (au lieu de meregarder), dirigeant comme moi son regard vers l’ex¬térieur il découvrirait une fois de plus ce que je découvremoi-même : ce vide, rempli entièrement de tout ce qui

    est possible et imaginable. Lui aussi découvrirait cePoint central éclatant en un Volume Infini, ce Rien dansle Tout, cet Ici Partout.

    Et si mon observateur sceptique doute encore deses sens, qu’il s’en remette à son appareil photogra¬phique — un dispositif privé du don de mémoire etd’anticipation qui enregistre fidèlement ce qui se passe,là où cela se passe. Il fournira de moi la même image.Là il capte un homme ; à mi-chemin un homme en pièceset morceaux ; ici, rien et personne —ou alors braquédans la direction opposée, il saisit l’univers.

    * *Cettetête n’en est pas une, mais un concept entêté.

    Si ici j'en trouve toujours une, alors je divague et feraismieux de courir chez le médecin. Peu importe que cesoit une tête humaine, une tête d’âne, un œuf dur ouune gerbe de fleurs : voir sur mes épaules un objet quel¬conque, c’est souffrir d’hallucinations.

    Pendant mes intervalles de lucidité en tous cas, jeme trouve ici lumineusement dépourvu de tête. Parcontre, là-bas, je ne suis manifestement pas libéré dema tête : en effet, j’ai des têtes à ne savoir qu’en faire.

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    Absorbées dans le regard de mes observateurs et lesob jectifs des appareils photographiques, reflétées dansles cadres et les vitrines, jouant derrière les miroirs àfaire des grimaces d’homme qui se rase, se montrantà la dérobée sur les boutons de porte, les cu illères, lescafetières et sur tout ce qui brille, mes têtes surgissent sans arrêt — plus ou m oins rapetissées et dé formées, sens devant derrière , souvent présentées à Ten-vers et m ultipliées à l’infini.

    Mais il y a un seul endroit où aucune de mes têtesn’apparaîtra jamais c ’est ici « sur mes épaules » oùelle viendra it m asquer ce Vide C entral qui est ma vraiesource de vie. Heureusement, cela est impossible. Enfait, ces têtes errantes ne seront jamais que les acci

    dents passagers et courants de ce monde «extérieur»et phénoménal qui, bien que un avec Tessence centrale, ne peut l'affecter en rien. Ma tête vue dans le m iroirest tellement décevante en effet, que je ne me rendspas forcément compte quelle est à moi : tout petitenfant, je ne me reconna issa is pas dans un m iroir, pasplus que je ne le fais m aintena nt, lorsque po ur un instant je retrouve mon innocence perdue. A mes momentsd'éve il, je vois cet hom m e là-bas, ce copain trop fam ilier, qui v it dans ce tte cham bre voisine de Tautre côtédu m iroir et qui apparem m ent passe tou t son tem ps à

    regarder cette chambre-ci, — ce pauvre spectateurterne, lim ité, p articularisé , vieillissa nt et oh -tellem en t-vulnérable — , je le vois à tous égards com me le contrairedu Soi véritable qui est présent ic i. Je n ’ai jam ais rienété que ce Vide sans âge, sans mesure, sans opacité,

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    Absorbées dans le regard de mes observateurs et lesobjectifs des appareils photographiques, reflétéesdansles cadres et les vitrines, jouant derrière les miroirs àfaire des grimaces d’homme qui se rase, se montrantà la dérobée sur les boutons de porte, les cuillères, lescafetières et sur tout ce qui brille, mes têtes surgis¬sent sans arrêt — plus ou moins rapetissées et défor¬mées, sens devant derrière, souvent présentées à l’en¬vers, et multipliées à l’infini.

    Mais il y a un seul endroit où aucune de mes têtesn’apparaîtra jamais, c’est ici « sur mes épaules », oùelle viendrait masquer ce VideCentral qui est ma vraiesource de vie. Heureusement, cela est impossible. Enfait, ces têtes errantes ne seront jamais que les acci¬

    dents passagers et courants de ce monde «extérieur»et phénoménal qui, bien que un avec l'essence cen¬trale, ne peut l’affecter en rien. Ma tête vue dans le miroirest tellement décevante en effet, que je ne me rendspas forcément compte qu’elle est à moi : tout petitenfant, je ne me reconnaissais pas dans un miroir, pasplus que je ne le fais maintenant, lorsque pour un ins¬tant je retrouve mon innocence perdue.A mes momentsd’éveil, je vois cet homme là-bas, ce copain trop fami¬lier, qui vit dans cette chambre voisine de l’autre côtédu miroir et qui apparemment passe tout son temps à

    regarder cette chambre-ci, —ce pauvre spectateurterne, limité, particularisé, vieillissant et oh-tellement-vulnérable je le vois à tous égardscomme le contrairedu Soi véritable qui est présent ici. Je n'ai jamais rienété que ce Vide sans âge, sans mesure, sans opacité,

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    lucide et im m acu lé : il est im pensab le que j ’aie jam aispu confondre cette apparition qui me fixe là-bas avecce que pleinement je me perçois être ici, maintenant,toujours !

    ie* *

    Tout ceci a beau m'être donné dans une expérience de première m ain, cela n 'en constitue pas moinsun paradoxe brutal, un affront au sens commun. Est-

    ce aussi un affront à la science, dans laquelle on nevo it géné ralem ent que du sens com m un arrangé avecun peu plus de cohérence ? De toutes façons, Thommede science a sa version sur la manière dont je voiscertaines choses (ainsi, votre tête, par exem ple), et pasd ^u tre s (ainsi la m ienne) ; et m anifestem ent ses théories se tiennent. La question se pose : peut-il replacerma tête « sur mes épaules », là où le sens commun affirmequ’elle se trouve ?

    La façon dont il explique com m ent je vous vois serésume à peu près ainsi. La lumière part du soleil et,hu it minutes plus tard, atteint votre corps qui en absorbeune pa rtie. Les rayons s ’ép arpnien t dans toutes esdirections, et certains atteignent mon œil, traversentla lentille, forment une image inversée de vous surl’écran situé à l’arrière de mon globe oculaire. Cette

    image suscite des modifications chimiques dans unesubstance sensible à la lumière et ces modificationsaffectent les cellules (de toutes petites créaturesvivan tes) qui con stituent Técran. Elles com m un iqu en tleur agitation à d’autres, des cellules fortement allon-

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    lucide et immaculé : il est impensable que j’aie jamaispu confondre cette apparition qui me fixe là-bas avecce que pleinement je me perçois être ici, maintenant,toujours

    Tout ceci a beau m'être donné dans une expé¬rience de première main, cela n’en constitue pas moinsun paradoxe brutal, un affront au sens commun. Est-

    ce aussi un affront à la science, dans laquelle on nevoit généralement que du sens commun arrangé avecun peu plus de cohérence ? De toutes façons, l’hommede science a sa version sur la manière dont je voiscertaines choses (ainsi, votre tête, par exemple), et pasd’autres (ainsi la mienne) ; et manifestement ses théo¬ries se tiennent. La question se pose : peut-il replacerma tête « sur mes épaules», là où le sens commun affirmequ’elle se trouve ?

    La façon dont il explique comment je vous vois serésume à peu près ainsi. La lumière part du soleil et,huit minutes plus tard, atteint votre corps qui en absorbeune partie. Les rayons s’éparpillent dans toutes lesdirections, et certains atteignent mon œil, traversentla lentille, forment une image inversée de vous surl’écran situé à l’arrière de mon globe oculaire. Cette

    image suscite des modifications chimiques dans unesubstance sensible à la lumière et ces modificationsaffectent les cellules (de toutes petites créaturesvivantes) qui constituent l’écran. Elles communiquentleur agitation à d’autres, des cellules fortement allon-

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    gées ; celles-ci à leur tour la transmettent à d’autrescellules dans une certaine région de mon cerveau.C'est seulement lorsque ce point terminal est atteint,et que les particu les de ces cellules ce rvica les ont ététouchées, que je peux vous voir, vous et n'importequoi d'autre. Ce processus se vérifie avec nos autressens; je ne puis ni voir, ni entendre, ni sentir, ni goûter, ni percevoir, ni toucher, tant que les s tim uli convergeants n'arrivent à ce centre, après les modificationset les conversions es plus profondes. Ce n’est q u ’ence point terminal, en ce lieu et au moment précis detoutes les arrivées à la Grande Gare Centrale de Tlciet Maintenant, que le trafic organisé de mon universprend la form e explosive de l’existence. Pour m oi, voicile lieu et Tinstant de toute création.

    11y a dans ce banal récit sc ien tifique beaucoup dechoses étranges, infinimen t éloignées du sens com mun.Mais le plus surprenant, c'est que la conclusion durécit efface tout le reste. Elle affirme en effet que jene puis rien connaître, sauf ce qui se passe ici et m a intenant, au centre terminal de mon cerveau, où j 'assiste à la création miraculeuse de mon monde.Impossible de découvrir ce qui se passe ailleurs —dans les autres régions de ma tête, dans mes yeux, dansle monde extérieur. Mais y a-t-il seulement un ailleurs,

    un monde extérieur ? La vérité simple est que mon corps,et le vôtre, et toute chose sur Terre, et TCJnivers lui-m êm e — au sens où ils pourraient exister par eux-mêmes et dans leur espace propre, indépendammentde m oi — — relèvent de la pure fic tion , une fic tion qui ne

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    gées ; celles-ci à leur tour la transmettent à d’autrescellules dans une certaine région de mon cerveau.C'est seulement lorsque ce point terminal est atteint,et que les particules de ces cellules cervicales ont été

    touchées, que je peuxvous voir, vous et n’importe

    quoi d’autre. Ce processus se vérifie avec nos autressens; je ne puis ni voir, ni entendre, ni sentir, ni goû¬ter, ni percevoir, ni toucher, tant que les stimuli conver¬geants n’arrivent à ce centre, après les modificationset les conversions les plus profondes. Ce n’est qu’ence point terminal, en ce lieu et au moment précis detoutes les arrivées à la Grande Gare Centrale de l’Iciet Maintenant, que le trafic organisé de mon universprend la forme explosive de l’existence. Pour moi, voicile lieu et l’instant de toute création.

    Il y a dans ce banal récit scientifique beaucoup dechoses étranges, infiniment éloignées du sens commun.Mais le plus surprenant, c’est que la conclusion durécit efface tout le reste. Elle affirme en effet que jene puis rien connaître, saufce qui se passe ici et main¬tenant, au centre terminal de mon cerveau, où j’as¬siste à la création miraculeuse de mon monde.Impossible de découvrir ce qui se passe ailleurs —dans les autres régions de ma tête, dans mes yeux, dansle monde extérieur. Mais y a-t-il seulement un ailleurs,

    un mondeextérieur? La vérité simple est que mon corps,et le vôtre, et toute chose sur Terre, et I CInivers lui-même — au sens où ils pourraient exister par eux-mêmes et dans leur espace propre, indépendammentde moi —relèvent de la pure fiction, une fiction qui ne

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    m érit e pa s d e s e con de a na lyse . Il n ’y a e t ne pe u t y

    a vo i r au c un e p r euv e d e l'e xis te nc e d e d e ux m o n de s

    p ar a llèle s ( là u n m o nd e in c onn u e x té r ieu r et p hys iqu e ,

    e t en plu s un mo n de c on n u, in té rieur ou m en tal q ui m ys

    té r ieus em e n t re p r o d u ira it le p re m ie r), m a is u n iqu e

    m e nt e n f a ve u r d e ce m o n de -ci, q ui e st t o u jo urs dev ant

    m oi, e t à l’ inté ri e u r d uq u el je n ’a rriv e à tro u ve r au c une

    d iv is ion en tre e spr it e t m a tièr e , in té r ie u r e t e xté r ieu r ,

    âm e e t co r ps. Le m on de e st tel q ue T ob ser vati o n m e

    le fa it c o nn a ître , ni plu s ni m o in s ; il e s t l ’e xp lo sio n d e

    c e ce ntr e — un e e x p lo s ion as s ez pu is sa n te pou r le fa ir e é c la t e r a u x d im e nsi o ns illimité e s d e la scè ne q ui

    e st m a in te n an t de v an t m o i, q u i e s t m oi.

    Br e f, c e q ue T ho m m e d e s c ien c e d it d e l a p e r

    ce ptio n , lo in d' in firm e r m a f abl e na ïve , ne fa i t qu e la co n firm er. A t itre p rov iso ir e e t co m m e un e c o nc e ssi o n

    f aite au se n s c om m u n , il a p lac é u n e t ê te sur me s

    épa ule s , m a is l'uni vers Ta r ap id em ent évi n cée . Le po in t

    de vue du sen s c o m m un , no n p a rad oxa l, q u i m e p r é

    se nte com m e un « h o m m e o rd in a ir e a vec u ne têt e »•,

    ne tien t pa s le m o in s d u m on d e ; dès que je l’ex a m in e

    a ve c un pe u d ' a tte n tio n il se r am è ne à u n e a bsu rdit é p u re e t s im p le .

    *ic ★

    E t p o urta n t (m e d is -je) , vo ilà u ne ab s urd ité q ui

    sem ble p lu tôt u tile et e ffica ce sur le p lan d e m es o c c u

    pa tion s q u otid ien n es et p rat ique s. J e n e ce s se de m e

    co m p o r te r c om m e si e ffec tive m e n t il y a v ait s us p end u

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    mérite pas de seconde analyse. Il n’y a et ne peut yavoir aucune preuve de l'existence de deux mondesparallèles (là un monde inconnu extérieur et physique,et en plus un monde connu, intérieur ou mental qui mys¬térieusement reproduirait le premier), mais unique¬ment en faveur de ce monde-ci, qui est toujours devantmoi, et à l’intérieur duquel je n’arrive à trouver aucunedivision entre esprit et matière, intérieur et extérieur,âme et corps, Le monde est tel que l’observation mele fait connaître, ni plus ni moins ; il est l’explosion dece centre —une explosion assez puissante pour lefaire éclater aux dimensions illimitées de la scène quiest maintenant devant moi, qui est moi.

    Bref, ce que l’homme de science dit de la per¬

    ception, loin d’infirmer ma fable naïve, ne fait que laconfirmer. A titre provisoire et comme une concessionfaite au sens commun, il a placé une tête sur mesépaules, mais l’univers l’a rapidement évincée. Lepointde vue du sens commun, non paradoxal, qui me pré¬sente comme un « homme ordinaire avec une tète »,ne tient pas le moins du monde ; dès que je l'examineavec un peu d’attention il se ramène à une absurditépure et simple.

    * *Et pourtant (me dis-je), voilà une absurdité qui

    semble plutôt utile et efficace sur le plan de mes occu¬pations quotidiennes et pratiques. Je ne cesse de mecomporter comme si effectivement il y avait suspendu

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    ici, d'aplomb au milieu de mon univers, une solideboule de ving t cen tim ètres env iron. Et je suis enclin àajouter qu’il est impossible d’éviter cette absurditémanifeste dans le monde que nous habitons , ce mondesans curios ité et qui a résolum ent la tête dure : il s'ag ità coup sûr d'une fiction tellement commode qu'elle pourrait bien être la vérité pure et simple.

    En fait, il s^git toujours d'un mensonge, et souvent d'un mensonge gênant : il peut même faire perdre

    à quelqu'un de Targent. Pensez, par exemple, à undess inateur pu blicitaire un hom m e que personne nesuspecterait d'une dévotion fanatique à la vérité. Lebut de son travail est de me conv aincre et, pour y pa rvenir, Tun des moyens les plus efficaces est de m 'in

    troduire dans son dessin très exactement tel que jesuis. Il ne faut donc pas qu'il y fasse entrer ma tête.Au lieu de m on trer l’autre espèce d ’hom m e — celle quia une tête — en train de porter à la bouche un verreou une ciga rette, ce sont des gens de mon espèce q u ’ilprésente dans cette attitude ; il mon tre cette m ain droite(grandeur nature, saisie sous Tangle exact, placéedans le coin inférieur dro it de l'affiche, et plus ou moinsdépourvue de bras) portant un verre ou une cigarettevers — ce vide béant, vers nulle part. Vraiment, cet hommen'est pas un étranger, mais moi-même tel que je suis

    pour moi-même. Presque inévitablement je me sensconcerné. Rien d é ton n a n t à ce que ces m em bres pe rdus venant de nulle part aux deux coins de l'affiche,avec rien au centre qui puisse les animer et les relierentre eux rien d ’étormant à ce qu ’ils me paraissent

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    ici, d'aplomb au milieu de mon univers, une solideboule de vingt centimètres environ. Et je suis enclin àajouter qu’il est impossible d’éviter cette absurditémanifeste dans le monde que nous habitons, ce mondesans curiosité et qui a résolument la tête dure : il s'agità coup sûr d’une fiction tellement commode qu’elle pour¬rait bien être la vérité pure et simple.

    En fait, il s’agit toujours d'un mensonge, et sou¬vent d’un mensonge gênant : il peut même faire perdre

    à quelqu’un de l’argent. Pensez, par exemple, à undessinateur publicitaire —un homme que personne nesuspecterait d'une dévotion fanatique à la vérité. Lebut de son travail est de me convaincre et, pour y par¬venir, l’un des moyens les plus efficaces est de m’in¬

    troduire dans son dessin très exactement tel que jesuis, il ne faut donc pas qu’il y fasse entrer ma tête.Au lieu de montrer l’autre espèce d'homme —celle quia une tête — en train de porter à la bouche un verreou une cigarette, ce sont des gens de mon espèce qu’ilprésente dans cette attitude ; ilmontre cette main droite{grandeur nature, saisie sous l’angle exact, placéedans le coin inférieur droit de l’affiche, et plus ou moinsdépourvue de bras) portant un verre ou une cigarettevers —ce vide béant, vers nulle part. Vraiment, cet hommen’est pas un étranger, mais moi-même tel que je suis

    pour moi-même. Presque inévitablement je me sensconcerné. Rien d’étonnant à ce que ces membres per¬dus venant de nulle part aux deux coins de l’affiche,avec rien au centre qui puisse les animer et les relierentre eux —rien d’étonnant à ce qu’ils me paraissent

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    tou t à fait naturels : je n'en ai jam ais eu d'au tres ! Servipar son réalism e et par son esprit d'ob se rva tion dyn amique et jud icieux, Tagent de publicité v o it de quoi j'airéellem ent l’air il l’u tilise et son trava il est payant : ilme fait perdre la tête, et j ’achète son produ it. (Pourtant,il y a des lim ites : il est peu vraisemblable, par exemple,qu'il dessine un nuage rose juste au-dessus du verreou de la cigarette, parce que de toutes façons j'apporteraimoi-même cet élément de réalisme. Il serait superflude me prêter Tombre transparente d*un nez supplé

    mentaire.)

    Les directeurs de films sont également des genspratiques, beaucoup plus soucieux de réussir un effetsur le public en lui faisant vivre telle ou telle expérience,

    que de disce rner la na ture réelle de l'exp érim enta teur;mais en fait une chose implique Tautre. Assurément,ces personnes expertes voient très clairement, parexem ple, à quel point ma réaction serait faible en présence d*un film présentant un véh icule m anifes tem en tconduit par quelqu'un d,autre, comparée à ma réaction devant un film où apparem m ent je conduirais moi-même le véhicule. Dans le prem ier cas, je suis un spec-tateur sur la route, observant deux vo itures semblablesse rapprocher rapidement, entrer en collision, tuer lesconducteurs et s'em braser — et je me sens faiblement

    intéressé. Dans le second cas, je suis le conducteur — —sans tête évidemment, comme tous les conducteurs àla prem ière personne, et par rap po rt à moi ma voiture(ou ce que j^ n vois : volant, pare-brise, etc.) est im m obile. Voici mes genoux qui s'ag iten t, mon pied enfoncé

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    tout à fait naturels : je n’en ai jamais eu d’autres Servipar son réalisme et par son esprit d’observation dyna¬mique et judicieux, l’agent de publicité voit de quoi j’airéellement l’air, il l’utilise et son travail est payant : ilme fait perdre la tête, et j’achète son produit. (Pourtant,il y a des limites : il est peu vraisemblable, par exemple,qu’il dessine un nuage rose juste au-dessus du verreou de la cigarette, parce que de toutes façons j’apporteraimoi-même cet élément de réalisme. Il serait superflude me prêter l’ombre transparente d’un nez supplé¬mentaire.)

    Les directeurs de films sont également des genspratiques, beaucoup plus soucieux de réussir un effetsur le public en lui faisantvivre telle ou telle expérience,

    que de discerner la nature réelle de l'expérimentateur;mais en fait une chose implique l’autre. Assurément,ces personnes expertes voient très clairement, parexemple, à quel point ma réaction serait faible en pré¬sence d’un film présentant un véhicule manifestementconduit par quelqu’un d’autre, comparée à ma réac¬tion devant un film où apparemment je conduirais moi-même le véhicule. Dans le premier cas, je suis un spec¬tateur sur la route, observant deux voitures semblablesse rapprocher rapidement, entrer en collision, tuer lesconducteurs et s’embraser —et je me sens faiblement

    intéressé. Dans le second cas, je suis le conducteur —sans tête évidemment, comme tous les conducteurs àla première personne, et par rapport à moi ma voiture(ou ce que j’en vois : volant, pare-brise, etc.) est immo¬bile. Voici mes genoux qui s’agitent, mon pied enfoncé

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    sur l’accélérateur, mes mains qui s’acharnent sur le volant le long capot fonçant de Tavant, les poteaux télégraphiques qui défilent en sifflant, la route serpentant àdroite et à gauche, et voilà l ’autre vo itu re toute pe tite

    d'abord mais prenant du volume à vue d'œil, se dirigeant droit sur moi, puis le crash, une grande gerbede flammes, et le vide du silence... Je retombe dansmon fau teu il et je reprend s m on so uffle. O n m ’aemmené dans la course.

    Comment sont-elles filmées, ces séquences à lapremière personne ? Il y a deux possibilités : ou bienon photographie un mannequin sans tête, la camérase trouvant à la place de la tête ; ou alors on film e v ra im ent un hom m e, la tête fortem ent tenue en arrière ou

    de côté pour laisser le champ libre à la caméra. End'autres mots, pour que je puisse mMdentifier sûrement à lecteur, il faut que sa tête disparaisse : ce doitêtre un hom m e de mon espèce. Car un po rtrait de m oi-même avec-une-tête n'est pas ressemblant du tout :c*est le portrait d'un parfait étranger, un cas d'identité usurpée.

    Curieux tout de mêm e que les gens doivent s’adresser à l’agent de publicité pour recevoir une faiblelumière sur la plus profonde et la plus simple — vérité

    les conce rna nt ; il est s ingulier aussi qu 5une inven tionmoderne aussi élaborée que le cinéma puisse aiderchacun à se débarrasser d’une illusion dont les très jeunesenfants et les animaux ne sont pas victim es . Mais dansd'autres temps, il y eut des indices différents et éga

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    sur l’accélérateur, mes mains qui s'acharnentsur le volant,le long capot fonçant de l’avant, les poteaux télégra¬phiques qui défilent en sifflant, la route serpentant àdroite et à gauche, et voilà l'autre voiture, toute petite

    d’abord mais prenant du volume à vue d’œil, se diri¬geant droit sur moi, puis le crash, une grande gerbede flammes, et le vide du silence... Je retombe dansmon fauteuil et je reprends mon souffle. On m'aemmené dans la course.

    Comment sont-elles filmées, ces séquences à lapremière personne ? Il y a deux possibilités : ou bienon photographie un mannequin sans tête, la camérase trouvant à la place de la tête ; ou alors on filme vrai¬ment un homme, la tête fortement tenue en arrière ou

    de côté pour laisser le champ libre à la caméra. End’autres mots, pour que je puisse m’identifier sûre¬ment à l’acteur, il faut que sa tête disparaisse : ce doitêtre un homme de mon espèce. Car un portrait de moi-même avec-une-tête n’est pas ressemblant du tout :c’est le portrait d’un parfait étranger, un cas d’iden¬tité usurpée.

    Curieux tout de même que les gens doivent s’adres¬ser à l’agent de publicité pour recevoir une faiblelumière sur la plus profonde —et la plus simple —véritéles concernant ; il est singulier aussi qu’une inventionmoderne aussi élaborée que le cinéma puisse aiderchacun à se débarrasserd’une illusion dont les très jeunesenfants et les animaux ne sont pas victimes. Mais dansd’autres temps, il y eut des indices différents et éga-

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    lem ent cur ie ux , et n o tre hum ain e ca p aci té à n ous leu r

    r e r n e f u t c e r ta in e m e n t ja m a is c o m p lè te . (Jne

    co n sci e nce pro fon d e, q uoi q ue f aib le , d e la co n d itio n

    h u m a in e p o u rr a it b ien e x p liq u e r la p o p u la rité de

    lége n de s et de cu ltes n om b reu x et a nc ie ns o ù il e st q ues

    tio n d e t ê tes per d ues et q u i v o le n t, d e m on s tres et

    d 'a p p arit io n s ave c un se u l œ il ou san s tê te , d e co r ps

    h um a in s ave c de s tê te s n o n h u m a ines , de m a r tyrs qui

    se p ro m en aie n t et pa r la ien t ap r ès a vo ir été déc apit é s

    — im a ges fan tast iq ue s , s a ns d ou te , m ais se ra pp r o

    ch a nt p lus q ue le s e ns com m u n ne le fa it ja m a is d u p o rtr a it v é rita b le d e T h om m e q ue uoi c i.

    ie

    * ★

    Dès lo rs, m on exp é rie n ce h im a layi e nne n o ta it p lus

    un e fan tais ie de poè te, n i Te n vo l aér ie n d *un m ys tique .

    So u s t o us le s a s pe c ts, e lle s e ra m en a it à un s ob re ré a

    lis m e . Et g ra d u e l le m e nt, a u c our s de s m o is e t d e s

    a n née s qu i on t su iv i, m on e xp é rien c e m 'a p p a r u t av e c

    to u te réte nd u e de ses im p lica tio n s et a p p lica t io ns , et

    de son po u v o ir de tr a n s form er la vie .

    N ota m m e nt, il m ’app a ra is sa it qu e ce tte n ouv e lle faç o n d e vo ir d e vai t tra n sfo rm e r m o n a t titud e en ver s

    le s au tres ho m m e s , e t à la v é rité en vers tou tes le s

    cré a tur e s, p a rce q u ’e lle m e d onn ait u ne c onn a is s a nc e pa r fait e de leur vra ie na ture — de c e s ê tr es tels q u ’ ils

    so n t p o ur e u x-m êm e s. C ar je su is b ie n o b ligé de c ro i re

    q ue ce q u i e st v r a i p ou r m o i es t vra i po u r to us, que

    tou s on t la m êm e co n d it io n — ré d uits à d e s v id es s ans

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    lement curieux, et notre humaine capacité à nous leur¬rer ne fut certainement jamais complète. (Jneconscience profonde, quoique faible, de la conditionhumaine pourrait bien expliquer la popularité delégendeset de cultes nombreux et anciens où il est ques¬tion de têtes perdues et qui volent, de monstres etd’apparitions avec un seul œil ou sans tête, de corpshumains avec des têtes non humaines, de martyrs quise promenaient et parlaient après avoir été décapités—images fantastiques, sans doute, mais se rappro¬chant plus que le sens commun ne le fait jamais duportrait véritable de l’homme que uoici.

    * 4

    Dès lors, mon expérience himalayienne n’était plusune fantaisie de poète, ni l’envol aérien d'un mystique.Sous tous les aspects, elle se ramenait à un sobre réa¬lisme. Et graduellement, au cours des mois et desannées qui ont suivi, mon expérience m'apparut avectoute l’étendue de ses implications et applications, et

    de son pouvoir de transformer la vie.

    [Notamment, il m’apparaissait que cette nouvellefaçon de voir devait transformer mon attitude enversles autres hommes, et à la vérité envers toutes lescréatures,

    parce qu’elle me donnaitune

    connaissanceparfaite de leur vraie nature —de ces êtres tels qu’ilssont pour eux-mêmes. Car je suis bien obligé de croireque ce qui est vrai pour moi est vrai pour tous, quetous ont la même condition —réduits à des vides sans

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  • 8/16/2019 Douglas Harding - Renaître à l'Évidence

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    tê te s , à rie n , de s o rte q u 'i ls p eu ve n t c o n te n ir et de ve n ir t o u t e c ho s e . C e t h o m m e q ue je c r o is e d an s la r u e , m in u s c u le , p o rta n t tê te , av ec s o n a p p a r en ce m a t é rie lle e t c o m pa c te — il es t l c j i le p ro d u it d e la f a n ta isi e , e fa n tô m e a ilé , le p e r

    s o n n a g e g ro s s i è re m e n t d é g u isé , l ’op p o sé e t l ’a m b u la n te c o n tra d ic tio n de Th o m m e r é el , d o n t la c a p a ci té e t T ét e n d ue s o n t in f in ie s : et le re s pe ct qu e j 'a i po ur lu i, p ou r t o u t c e q u iv it, d o it ê tr e in fin i é ga lem e n t. M a in ten an t q u e je sa ise x a c tem e n t q u i il e st , je sa is c o m m e n t m e c o m p o r te r av e c lu i.

    E n f a i t, il es t m o i. Au ss i lo n g tem ps qu e n ou s a vio ns ch a c u n u n e tê te , m a n ifes te m e n t n ou s é tio ns de u x. Ma is m a in te n a n t q ue n o us s o m m e s de s v id e s sa n s tê te ,

    q u 'e s t-c e q u i va no us sé pa re r ? J 'a i b ea u m 'y a p p liq ue r a ve c f o rc e , je n 'a rriv e pa s à tr o u v e r d e c o q u ille q u i re n fe rm e r a it ce v id e q u e je su is, ni la m o in d r e fo rm e , fro n tiè re o u lim ite ; en d*a u tre s te rm es : c e v ide e st ré e lle m e n t v id e , e t p a r c on sé qu e n t il ne p e u t qu ef u si o n n e r a vec d ’au tre s v ide s.

    De ce tte fu s io n je s uis le p a rf a it sp é c im e n. Je ne m e ts p as en d o ut e T ho m m e de sc ien c e qu i a s su re q u e ,vu d e s o n p o in t d 'o b se rv a tio n là - b a s , je p os sè d e un e tê te c la ire m e n t dé finie , co n s is ta n t e n un e h ié r a rc h ie d e

    c o rp s c la i r e m e n t d é f in is , t e ls de s o r ga ne s, d e s c e llu le s et de s m o lé c u le s — u n m o nd e d 'o b je ts e t de p r o ce ss us ph ys iqu e s d 'u ne iné pu isa b le co mp le xité . Mais il m ^ s ta rr ivé de co nn a ît r e (ou p lu t ô t, d e v iv re ) l'h is to ir e in t é r ieu r e de c e m on de , e t e lle c o n tre d it co m p lè te m e n t

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    têtes, à rien, de sorte qu’ils peuvent contenir et deve¬nir toute chose. Cet homme que je croise dans la rue,minuscule, portant tête, avec son apparence maté¬rielle et compacte —il est LUIle produit de la fantai¬

    sie, le fantôme ailé, le personnage grossièrementdéguisé, l’opposé et l'ambulante contradiction del’homme réel, dont la capacité et l’étendue sont infi¬nies : et le respect que j'ai pour lui, pour tout ce quivit, doit être infini également. Maintenant que je saisexactement qui il est, je sais comment me comporteravec lui.

    En fait, il est moi. Aussi longtemps que nous avionschacun une tête, manifestement nous étions deux. Maismaintenant que nous sommes des vides sans tête,

    qu’est-ce qui va nous séparer ? J’ai beau m'y appli¬quer avec force, je n'arrive pas à trouver de coquillequi renfermerait ce vide que je suis, ni la moindreforme, frontière ou limite ; en d’autres termes : ce videest réellement vide, et par conséquent il ne peut quefusionner avec d'autres vides.

    De cette fusion je suis le parfait spécimen. Je nemets pas en doute l’homme de science qui assure que,vu de son point d’observation là-bas, je possède unetête clairement définie, consistant en une hiérarchie de

    corps clairement définis, tels des organes, des celluleset des molécules —un monde d’objets et de proces¬sus physiquesd'une inépuisable complexité. Mais ilm’estarrivé de connaître (ou plutôt, de vivre) l’histoire inté¬rieure de ce monde, et elle contredit complètement

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    l’his to i re vue de l ’e xté rie u r. A l ’en dro it p ré c is o ù je m e

    tr o uv e, je d éc o uv re q ue ch aq u e m e m b re d e c et te v ast e

    co m m un au té , de la p lu s p e tite p a rticu l e à ma tê te e lle -

    m ê m e , s ^ s t év a no ui c om m e l e s t énè br e s s e d iss ipe nt

    a u s ole il. A ucu n t é m o in ex té r ieu r n 'e s t q u a l ifié po ur

    pr end re la p ar ole à l e u r p la ce : p ar m a po sitio n , je sui s

    s eu l à p o u v o ir le f air e , e t je ju re qu e t o us so nt lu m i

    ne ux , s im p les , v ide s e t un , s an s tr a ce de d ivis ion .

    C e q u i e st vra i de m a t ê te , T e st ég a le m e n t d e t ou t

    c e q ue je co n si d èr e c o m m e ét a nt «m oi- mê me » e t «ici»,

    — b re f, d e c e t en s em ble c o rp s-e sp r it. E tr e i c i ( je m e

    p o se la qu es tion ), c o m m en t es t-c e e n r éa lité ? S uis -

    je e nf e rm é d an s c e q ue M arc -A u rè le a p p e la it c e s ac

    de san g e t d e c o r r u p tio n ? A - t-o n r efe rm é s u r m o i la

    po r te d e c e z oo en m a rc h e, de ce t en tre pô t de ce llules, de ce tte us ine ch im iq ue , o u b ie n m ’a -t-o n lais s é sur

    le s eu il, à l'e x té r ieu r ? Su is- je c oin cé po u r la v ie e ntiè re

    da ns un blo c s olid e, à f o rm e h um ai n e (au x d im e ns io n s

    a pp ro x im ati v es de 1 ,80 m sur 60 cm s ur 3 0) , o u b ien

    s u is - je à T ex téri e ur de ce b l o c, ou pe u t -ê tr e s im ulta né m e n t a Tin té r ieu r e t à Te xté r ieu r ? En fai t, le s c ho s es

    ne se pa s se n t p as ai n si.

    Il n*y a ic i a ucu n e nc om br e m e nt , p a s d e pla ce ni

    d e m an qu e d e p la c e, pa s d 'in t é rieu r ni d 'e xté rie u r, ni

    ca che tte ni ab ri : je n 'a rrive p as à tro u ve r ic i d e m a i

    s on do nt je n e p ou rra is s or tir, ou da ns laq ue lle je ne

    po u rr a is en trer , p a s l ’om br e d ’un p o uc e d e t e rr a in où

    je p uis se la bâ tir. Ce tte exi s te n ce m e c o n v ie n t p a r fai

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    l’histoire vue de l’extérieur. A l’endroit précis où je metrouve, je découvre que chaque membre de cette vastecommunauté, de la plus petite particule à ma tête elle-même, s’est évanoui comme les ténèbres se dissipentau soleil. Aucun témoin extérieur n’est

    qualifié pourprendre la parole à leur place : par ma position, je suisseul à pouvoir le faire, et je jure que tous sont lumi¬neux, simples, vides et un, sans trace de division.

    Ce qui est vrai de ma tète, l’est également de toutce que je considère comme étant «moi-même» et «ici»,—bref, de cet en