Douche Froide #1 [Fanzine]
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Transcript of Douche Froide #1 [Fanzine]
FESTIVAL ARTOOZ(Gira, P.Orridge, Coil…)
LES S
NOUVELLES LECTURESCOSMOPOLITES
ETANT DONNÉS
NO SÉ
KITSHETTE
DEFICIT DES ANNEESANTERIEURES
POISSON SEC
SAM
1KA-THAR-SIX
FLORIAN LE MOINE
PIERRE BASTIEN
#1parution aléatoire-automne 2002-7e-CD inclus
ROIDEDOUCHEXPRESSION GRAPHIQUE ONORE
Nouvelles lectures cosmopolitesMacrocoma
GVKLe syndicat électronique
1-ka-thar-six
VoxLe singe blancNature morte
Déficit des années antérieuresTITRESRARESOUINÉDITS
Na-Da : “Dur d'oreille” (2002)
Cela faisait longtemps que nous
l’attendions… Nous pestions en
silence de voir le fanzinat dans sa
lente agonie se borner à n’être que
musique, que graphisme, que
sectarisme. C’est ainsi qu’il y a
maintenant plus d’un an a germé
l’idée de " douche froide ", l’idée
d’un " fanzine non limitatif " (nous
utilisons le terme " fanzine " faute
de trouver mieux) qui ferait se
rencontrer musique, écriture,
photographie, dessin, et toutes les
formes d’expressions artistiques.
Mais " douche froide " représente
aussi une dimension concrète des
applications de Phosphen, toute
nouvelle association qui a pour but
de créer un lien entre graphistes,
musiciens et bidouilleurs en tout
genre. Phosphen, c’est aussi un
label qui a sorti une compilation,
" Tribalités Urbaines ", le 4 mai
dernier, et qui organise des
soirées-événements.
Le lieu dans lequel Phosphen a
vu le jour, Mix’Art, est lui aussi
Directeur de la publication : Piff Linger
Rédacteur en chef : Max Lachaud
Rédacteur : Marjory Salles
Direction artistique : Hervé Duhem [email protected]
Ouverts à toute collaboration, n'hésitez pas à nous contacter :" Douche Froide " 33, rue de Metz - Ancienne Préfecture31000 Toulouse (France)[email protected]
" Douche Froide " est édité par l’association Phosphen
Merci à tous les artistes qui nous ont fait confiance pour cette aventure !
un lieu de rencontre artistique
pluridisciplinaire, occupé illégalement
et légitimement, offrant une culture
accessible à tous afin de fournir
des possibilités à des artistes en
situation de précarité.
Centralisé sur Toulouse, un des buts
premiers de Mix’Art est de créer des
connections. Ce premier numéro de
" douche froide ", graphiquement
parlant, propose des travaux (trop
peu hélas) de quelques uns des
artistes de ce lieu. Le but étant, à
l’avenir, de s’élargir sur d’autres
endroits, d’autres villes.
" Douche froide " cherche à
développer dans chaque numéro
un fil conducteur au graphisme.
Chaque artiste illustre ici
ses propres angoisses. Corps
grotesques, phobies abjectes,
formes inquiétantes, chacun y va de
sa propre vision et de sa propre
subjectivité.
Musicalement, nous avons aussi
cherché à mettre au sommaire des
artistes dont nous apprécions la
démarche et qui se situent tout à
fait dans l’optique de " douche
froide " : les plasticiens sonores de
Déficit des Années Antérieures, le
mécanoïde mélancolieux de Pierre
Bastien, le théâtre de la cruauté
d’Etant Donnés ou les bidouillages
mystiques des Nouvelles Lectures
Cosmopolites.
Il ne s’agissait pas non plus de
s’arrêter là. Ainsi est venue l’envie
d’un accompagnement sonore au
fanzine qui se proposerait de
faire, encore une fois, se rencontrer
de nombreux artistes, certains
plus connus que d’autres, sur un
même support, et de donner ainsi
une dimension supplémentaire à
" douche froide ".
Le résultat est là, entre vos mains et
vos oreilles. Nous espérons que
vous apprécierez et y trouverez
votre propre chemin.
Max et Piff
Illustration couverture : Kitshette : “Amiel” (2002) - [email protected]
Dans le cadre des soirées thématiques musique et cinéma organisées par Scratch Projection
(organisation diffusant des films expérimentaux), Pierre Bastien accompagné par le cinéaste
Karel Doing, nous a régalé, ce mardi 28 mai, d’une performance intitulée " Four Eyes ".
Mais comment rendre compte de l’univers de Pierre Bastien sur ce papier sans perdre l’émotion
et la magie de l’instant ? Chose ardue, voire impossible... Racontons tout de même ce que nous,
spectateurs transcendés, avons vu et écouté ce fameux soir.
Ambiance feutrée, un éclat de lumière : la machinerie colorée de mécano s’ébranle et crée le
rythme. Les images de Karel Doing défilent, en noir et blanc, répondant à cette cadence
entrecoupée. Sons répétitifs et incantatoires , rituel sonore et visuel, ces alchimistes nous font
entrer sans plus de façon dans une dimension fascinante...
Sortis de cette transe, détaillons maintenant cette rencontre du lendemain, où Pierre Bastien a
accepté avec pudeur de mettre en mots ses passions instrumentales et machinales.
pie
rr bastie
interview
Nous avons assisté hier soir à une
prestation avec Karel Doing… cinéaste avec
lequel vous travaillez depuis déjà longtemps.
Comment vous répartissez-vous les tâches :
Karel aux images, Pierre aux sons ?
P.B. En fait, Karel réalise une partie des
images : il projette ses films réalisés en super
8 sur de petits écrans installés sur sa table,
eux même filmés par des caméras de
surveillance qui retransmettent l’image sur
grand écran. J’utilise le même système où ces
mêmes caméras filment mes machines en gros
plans, donc je diffuse aussi des images... Dans
mes concerts solo, il y a uniquement des
images filmées en direct.
Toute image de passants, de voitures,
d’immeubles... tout ce qui est imaginé et qui
sort de la salle de concert, tout cela est la
partie de Karel. Moi je suis responsable des
images qui sont là, en train d’être travaillées
sur scène.
Comment conciliez-vous vos deux univers ?
Karel introduit des images extérieures…
quel est votre point de départ ? Les images ?
La musique ?
Pour un concert seul, j’ai trois projections :
le tourne-disque, le petit clavier sur lequel
tourne le cylindre au milieu et sur le coté
une machine rectangulaire en mécano qui fait
des rythmiques.
Karel est venu voir un concert et a beaucoup
aimé. A voir ces images, sans travelling, sans
aucun effet de cinéma, uniquement des plans
fixes, donc cela bouge mais à l’intérieur d’un
plan fixe (et c’est un plan fixe d’une heure),
il a eu envie de donner le mouvement de
travelling, du cinéma… Il est venu ici même,
pour filmer des vues de Paris car je lui parle
souvent de Paris parce que je suis, comme
tous les exilés, nostalgique de ma ville natale
(Pierre Bastien vit à Rotterdam)... alors il est
venu filmer Paris avec l’œil d’un étranger…
mais cela ne se voit pas forcément…
Si, on reconnaît bien l’architecture, les
stations de métro…
Oui, mais c’est tout de même une vue un peu
abstraite... J’aime travailler avec lui parce qu’il
crée d’une façon rythmique : il utilise des
projecteurs super 8 qui peuvent aller jusqu’à
3 images par seconde. Il intervient sur la
vitesse, normalement le cinéma fonctionne
avec 18 ou 24 images par seconde, alors avec
3 images, cela crée un battement… et c’est
très beau, cela ressemble beaucoup à ma
technique musicale.
En fait, je joue exactement de la même
manière, j’ai des petits moteurs qui travaillent
en bas voltage et avec des boutons, je peux
alimenter en 3 volts, en 6 volts… je change de
vitesse de cette manière là.pie
rr
n
w
je suis,
comme tous les exilés,
nostalgique de ma ville natale
Donc tous deux vous fragmentez le réel et
vous composez une cadence. Cela fonctionne
automatiquement ?
Je l’espère !
La présence d’êtres humains dans les films
m’ont intriguée : …Nous voyons les machines,
nous " voyons " donc les figures de la
répétition, et dans cette ambiance mécanique
et implacablement cadencée, des passants,
des marcheurs… un gros plan de jeune
femme…
Ah, cela relève de la partie de Karel, c’est à lui
qu’il faut poser la question… Pour ma part,
je ne suis pas très sensible à tout ça, je préfère
l’univers géométrique.
J’ai l’envie et la tentation lorsque j’entre
en scène de me présenter un peu comme
Charlie Chaplin dans " les temps modernes ",
dans une machine, dans une mécanique qui le
broie et qui le dépasse. C’est un petit peu
cette image là qui me rentre en mémoire
lorsque je présente une grande image de
machinerie avec moi, petit, là dessus,
assommé par cette machine…
Donc quand Karel superpose les images
iconographiques et les machines, cela me
rappelle un peu tout ça. De moi même, j’irai
plus vers des choses abstraites.
Effectivement, cela correspond à votre
présentation, vous êtes tous deux habillés
en noir, vous disparaissez presque dans la
pénombre et les images en noir et blanc. Un
seul jet de lumière sur la machine de mécano,
seule touche de couleur vive d’ailleurs !
Pour la couleur je ne suis pas responsable,
c’est la couleur du mécano ! Le premier
mécano, qui date de 1910, était noir et blanc.
J’en ai collectionné des kilos et c’est rare à
trouver… J’en ai vu une seule fois… j’ai fait une
machine que j’ai donné à un collectionneur…
Vous jouez avec ces machines que vous avez
vous même programmées. Il y a-t-il de la
place pour l’improvisation, pour une liberté
de notes ? Ou vous soumettez-vous au régime
qu’elles vous imposent ?
Oui, je me soumet à leur rythme mais en
même temps, j’ai beaucoup de liberté car je
n’en utilise pas qu’une à la fois. Parfois, je me
laisse emporter par le visuel, l’image du
tourne disque me plaît. Logiquement, il y a
trois sources sonores qui jouent à une
certaine vitesse donc sur des plans différents
avec leur propre tempo.
Je ne me sens pas enfermé dans un carcan, j’ai
mes boutons à porté de mains : si je me sens
en prison, je m’en libérerai très facilement. Au
contraire, je vois cela comme un tremplin pour
ma mélodie. Souvent la mélodie est aussi un
prétexte pour laisser travailler les machines
longtemps.
“Mécanoïd” 2001
tout ce que je fabrique c’est une blague avec
la musique, avec les sons… je peux faire des
rythmiques que les autres font à grand renfort
de batterie et d’appareils électroniques
sophistiqués. Moi je fais ça avec des mécanos,
des petits moteurs de radio cassettes,
des élastiques. Cela a ce côté dérisoire mais
je parviens presque au même résultat, enfin,
un résultat voisin…
Le fait d’utiliser des objets du quotidien
apporte une touche de fantaisie : les gens
ne réalisent pas toujours que leurs appareils
électroménagers peuvent faire un joli son !
Je suis un musicien pratiquement
autodidacte… je ne suis pas un spécialiste de
la musique. Quand je dois parler à un public,
je ne me sens pas enfermé
dans un carcan, j’ai mes
boutons à porté de mains
Alors tout est manigancé au départ, pas de
place à l’aléatoire ?
Exactement. Quand j’enregistre une première
prise avec une nouvelle orchestration,
j’improvise. Puis je reprends cette
improvisation. Quand j’ai trouvé la bonne,
je la rejoue sur scène. Ce n’est pas improvisé
sur scène, elle date déjà de 6 mois !
Le fait de répéter cette impro lui donne plus
de caractère, plus de force. Souvent je
réenregistre un morceau 6 mois plus tard car
il est plus intensif, la première fois on n’est
pas tout à fait conscient de tout ce qu’on
pourrait y mettre. Quand je joue quelque
chose de triste, en le réecoutant plus tard,
je m’aperçois que c’est plus poignant.
Il demeure chez vous un côté
mélancolique, mais aussi ludique…
Raymond Quéneau disait
" mélancolieux " …
J’aime le triste plutôt dramatique et
j’aime m’amuser dans la vie, donc
je lui parle avec ce qu’il connaît, sur un même
plan. Je ne cherche pas des techniques ou des
technologies compliquées dans la musique.
Est-ce une façon de désacraliser la musique
et ses virtuoses ?
Non, j’ignore ces choses là, je n’aime pas la
musique quand elle est jouée de cette façon
là. J’aime la musique quand elle est jouée
simplement avec des choses simples.
Je ne veux pas de mystère, on voit mes trucs
qui tournent avec mes caméras… on comprend
mieux ce qui se passe. Tout est fait avec du
carton, de l’alu, des punaises… pas de choses
rares et compliquées.
Il y a tout de même un instrument :
la trompette.
Oui, c’est la chose la plus froide.
Je me souviens, il y a toujours eu une
trompette chez moi… quand j’étais enfant,
je voyais cette petite usine et cela me faisait
un petit peu peur.
Vous détournez les objets en tant que
musicien et vous avez réussi à trouver un
poète qui a détourné le langage en la
personne de Luis d’Antin Van Rooten…
Celui-ci a écrit des poèmes en français qui,
lut à haute voix correspondent à de l’anglais.
Oui, comment le savez-vous ?...
Cela fait l’objet de mon dernier Cd " Mots
d’Heures : Gousses, Rames " que j’ai
composé avec Lukas Simonis, guitariste.
Il a été édité chez In-Poly-Sons, label
spécialisé dans les musiques réalisées sur
une thématique.
Luis d’Antin Van Rooten a écrit ça pour
s’amuser, dans un français très bizarre avec
des notes très farfelues en anglais. On a
invité des amis de diverses nationalités et on
leur a fait lire ce livre et c’est plus ou moins
bien selon l’accent, parfois on arrive à de
l’anglais, parfois pas du tout ! Le résultat
a toute fois été très musical et très comique.
Votre musique est très visuelle, par le fait de
toute sa machinerie, lorsque vous produisez
un Cd, vous prenez en compte cette nouvelle
dimension ?
Quand je suis sur scène, je ne peux utiliser
tous les instruments que j’ai à la maison, donc
je m’amuse autant d’un coté que de l’autre !
(Pierre Bastien collectionne les instruments ethniques)
J’ai mon propre studio chez moi et cela me
permet de travailler sans avoir à construire
réellement une machine, je la recrée
manuellement par différents procédés et
je fais en sorte que cela joue comme une
machine… des sons humains qui sonnent
comme une machine.
Quand vous jouez d’un instrument, est-ce que
vous considérez que vous apportez une part
d’humanité à votre symphonie machinale ?
A force de jouer avec ces machines, elles
s’humanisent… j’ai construit la première en 1977.
Ce sont mes enfants ! Il faut s’en occuper,
les remettre en état…
J’ai une relation amicale avec ces robots et
à certains moments j’ai l’impression d’être
devenu un robot, je peux jouer très
mécaniquement…
Je ne suis pas aussi fort que certains à ce jeu
là. Il y a en a de très bon, je pense notamment
au batteur de Can qui, une fois, en studio,
jouait aussi carré que la programmation de la
boite à rythme.
Mes machines ne sont pas aussi implacables !
Comme elles sont fabriquées avec des
élastiques, il y a toujours des petits
flottements, qui sont d’ailleurs très agréables
et presque humains ! Elles m’ont donné un
style très particulier…
je ne veux pas de mystère,
on voit mes trucs qui
tournent avec mes caméras
Pierre Bastien sera en concert au Printemps de
Septembre à Toulouse, les 27 et 28 Septembre
avec Pierrick Sorin et à Albi en février avec Jean
François Laporte (dates à préciser).
A ne rater sous aucun prétexte ! ! !
DISCOGRAPHIE SÉLECTIVE■ Mécanium (ADN) LP 1988■ Musiques Machinales (In Poly Sons) CD 1993■ Mécanisme de l'Arcane 17 (G3G) single 1994■ Eggs Air Sister Steel (In Poly Sons) CD 1995■ Boîte n°3 (Ed. Cactus) mini CD 1996■ Musiques Paralloïdres (Lowlands) CD 1998■ Mécanoïd (Rephlex) CD 2001
Propos recueillis par Marjory
les S
festival artooz chronique
michael gira
concert au charme fusionnel et incantatoire.
Effeminé, perruqué, maquillé, cuir et T-shirt,
d'une voix vibrante, Genesis nous livre ses
textes. Ironie, sourire métallique et vibrations
industrielles, nous reconnaissons là sans
aucun doute l'héritage de Throbbing Gristle,
dans une transe transie, un bonheur
magnifié...
Puis, les frères Hurtado entrent en scène
pour une performance concise et puissante.
Un quart d'heure équivoque et cohérent où
Etant Donnés exprime une vision de l'homme
et ses rapports au monde, entre lumières
aveuglantes, cris, psalmodies, combats,
baisers. Un spectacle corporel où la mise en
abîme par le biais de la lumière correspond à
la philosophie du groupe : unité du corps et
de l'esprit avec l'amour comme seule source
vitale, dans un rapport à l'art sacré et son
caractère divin.
Nous ressortons de cette première soirée
dans un état second, dans une sorte d'ivresse
euphorique pour aborder le programme du
Tout a commencé le jeudi 28 mars, dans les
caves de la galerie d'art Res Rei en centre ville.
En guise d'ouverture, installation et
performance électromagnétique de Kelektrik
Expérimental… dans un dédale de couloirs,
la perception de l'espace se structurait selon
les larsens et la luminosité des néons en
résultant. Une mise en scène qui annonçait
les réjouissances à venir !
Après cet accueil sombre et bruiteux, nous
partons pour la salle C.C.S.M. John Lennon, où
nous attendaient Michael Gira et sa guitare
sèche. Malgré quelques trouble-fêtes postés
au bar, cet ex-membre du mythique groupe
Swans instaura une ambiance intimiste et
introvertie avec une énergie maîtrisée,
laissant entrevoir une forte personnalité.
Une voix grave et virile, une guitare maltraitée
pour une bonne cause, nous ne pouvons que
tomber sous le charme.
Fait son entrée Genesis P. Orridge,
accompagné de deux acolytes, sous le nom de
formation Thee Majesty, nous gratifiant d'un
ah cama-sotz
Pour tout amoureux de
musique électronique
industrielle, ce week-
end de Pâques devait
forcément se dérouler
à Limoges, siège du
festival annuel Artooz.
artooz
genesis p.orridge
xabec
vendredi, tout aussi riche en palpitations
passionnelles.
C'est à Wild Shores de poser les premiers
sons, avec un spectacle multimédia intitulé
"ZOOM X". Sur trois écrans défilent des
images humaines, au rythme d'une musique
électronique hypnotique. Une très bonne
programmation pour notre plus grande
appréciation.
Suivent la compagnie Swan Ei, jfx et
le caca sectaire pour leur prestation
"Icônes". Projection de mots, de corps en
croix, superposés à l'architecture d'église
catholique, sur une musique ambiante
bruitiste. Une chorégraphie pour deux
danseuses, une blanche aux gestes coulés,
un noire aux élans saccadés, inspirée du
Buto japonais. Toutefois, malgré un visuel
agréable, les liens entre les images, le
discours et les mouvements ne sont pas
pertinents...
La compagnie Le Chiendent, accompagnée
par Phil Von, présentent un spectacle pour
trois corps suspendus nommé "Le Trou".
Une chorégraphie enlevée sur une musique
électronique enivrante. Pour avoir déjà
assistée à une présentation en un autre
lieu, je relève que, bien évidemment, la
programmation musicale et les étapes ont été
coil
Enfin, Coil introduit une atmosphère
solennelle et intimiste, mélodique et belle,
accompagnée par l'odeur de la somptueuse
myrrhe. John Balance recueilli et concentré,
ritualise un concert enjôleur et froid. Nous
sommes en transe muette et extatique,
profondément sous le charme. Enfin pas tous,
car cette sublime prestation n'a pas été
comprise par quelques uns, ne comprenant
pas ce parti pris, d'une douceur apparente.
Pour finir, DJ Octor aux commandes des
platines nous offrit un live ludique dans la
mouvance années 80 très apprécié par les
derniers rescapés de ce festival.
Après toutes ces émotions nous attendons
donc avec impatience l'édition 2003 du
festival Artooz où les groupes Laibach et
Einstürzende Neubauten pourraient bien être
de la partie !
adaptées au lieu, au détriment d'une montée
en puissance plus radicale. Et de quel trou
s'agissait-il ? Nous avons vainement cherché.
"Bleu" et "Royaume" sont les deux films
d'Etant Donnés dont les images superposées,
superbement orchestrées sur des murmures,
instaurent une ambiance de calme et de
volupté. Malheureusement, la longueur de ces
projections a raison de la patience du public
qui en cette heure avancée est plus que
sensible à la fatigue et aux rêves.
Samedi, dernière soirée dont le public a
considérablement grossi. L'ambiance change
et la programmation contribue à donner un
autre climat à ce festival. Xabec amorce la
première partie de soirée. Le son se veut plus
synthétique que ce que nous avons écouté ces
deux derniers jours.
Ah Cama-Sotz produit des sons plus
puissants et plus agressifs, dans une tonalité
techno-industrielle, mais nous nous lassons
vite devant les projections stéréotypées et
faciles d'extraits de films expressionistes,
de chats et autres imageries morbides.
Pan Sonic instaure une ambiance personnelle
plus dépouillée, dont le visuel se limite à un
aplat de lumière mettant en scène une sorte
d'électrocardiogramme du son, qui plus
est, totalement analogique. Efficacité de la
programmation dans la vaine électronica-
bruitiste, nous entrons avec délectation dans
ce monde attirant, un bijou du genre.
Ammo amorce un show breakbeat techno.
Malgré un succès dansant, nous nous
interrogeons sur la pertinence de cette
programmation à ce festival, pas du tout
dans l'esprit de ces deux premiers jours !
La transition avec Coil promet d'être dure...
caca sectaire
ammo
compagnie le chiendent
Chroniqué par Marjory
Crédits photo :
• Liliane meynard
• N. Pingnelain www.obskure.com
• Christel Arnoult www.kyronn.free.fr
• Mimetichttp://membres.lycos.fr/mimetic
• Maité Hemptinne
• Max Lachaud
judi KLau
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“Créature”
macro
com
a
laetitia
vin ent chab
aud
florian le moine
NLC
A la base de la formation étaient Julien
Ash et Augustère. En 1991 ce dernier, n’ayant
ni le temps ni l’énergie nécessaire pour
continuer, quitte la formation. Julien Ash sort
alors un album solo, " Incandescent " aux
ambiances sombres, mélancoliques et
intimistes. Il retrouve ensuite son comparse,
sortent une cassette sous le nom de
Maelstrom, puis un autre enregistrement
crédité Triste Nuit Pour, pour reprendre en fin
de compte le nom de Nouvelles Lectures
Cosmopolites. Mais Augustère ne deviendra
plus que participant. NLC devient le projet
d’un seul homme : Julien Ash.
C’est surtout à ce moment-là que NLC
s’éloigne d’un heritage industriel, certes de
qualité, pour explorer des contrées plus
vastes.
NLC est un des rares " groupes " qui, depuis sa formation en
1989, a su nous surprendre à chaque nouveau disque. Intrépides,
touche-à-tout, les explorations sonores de NLC vont du dark
ambient à du néo-classique, en passant par le minimalisme,
la new age, le trip hop, l’électro, le noise industriel, le médiéval,
l’ethnique, la pop et toutes sortes de collages où toutes formes
d’atmosphères s’heurtent et s’entrecroisent.
interview J.Ash Mon père était professeur de piano,
ainsi que mon grand-père. J'ai commencé à
composer vers 8 ans, certains morceaux de
NLC reprennent des thèmes de cette époque.
J'étais, avant NLC, fasciné par la culture
fantastique, gothique, horrifique, et la
marginalité. Mes goûts musicaux s'étendaient
de Schubert, Bach, Pachelbel à Nurse With
Wound, Thomas Köner, Current 93, Coil, en
passant par Thiéfaine, Pink Floyd, la musique
traditionelle russe, andalouse et tibétaine…
Sur le plan purement littéraire, je vouais une
grande admiration à Kafka, Desproges et Dac.
J'adorais également Dali, Magritte, l'école
d'Ingres, le baroque et l'art nouveau. Mes
goûts n'ont jamais changé, je n'ai jamais renié
ce que j'ai admiré. Je suis quelqu'un de très
constant…
Au-delà de la dimension purement musicale
s’ajoute une dimension esthétique : des
objets en édition très limitée, comme le " Lost
Sand Divinities " accompagné de cartes
postales sublimes édité à 98 exemplaires
ou le coffret " Le Lieu Noir ", cinq disques
numérotés jusqu’à 200 dont le dernier sur
vinyle blanc, la cassette " Dieu est gros "
dans un boîtier en bois, etc. Dans certains des
premiers enregistrements, on trouve même
des peintures réalisées par Ash lui-même.
Je faisais de la peinture, je fais encore pas mal
de photo, mais d'autres sont plus doués que
moi pour cela, je n'utilise donc ce que je fais
que lorsque cela en vaut la peine, et surtout
lorsque je ne peux pas le faire faire par
“Allegro vivace” 1993
quelqu'un de plus doué… Heureusement, cela
se produit de plus enplus rarement. Ceci dit,
j'aime bien tout surveiller du début à la fin…
Je suis néanmoins passionné par tout ce qui
est arts plastiques.
Les œuvres de NLC sont donc toutes des
objets et des pièces rares dépassant
rarement les 500 ou 1000 exemplaires,
malgré une réputation planétaire les
rangeant aux côtés de Coil ou Legendary Pink
Dots. La plupart de ces productions sont
sorties sur leur propre label EDT, ancienne
Encyclopédie des Ténèbres (1990-96)
devenue Empreinte du Tyranosaure
(1996-2002), aujourd’hui Essence de
Térébenthine. Le design des pochettes, quant
à lui, peut surprendre par ses décalages entre
contenu et contenant, entre pochette et titre.
Je ne suis pas contre le décalage, bien au
contraire, mais l'important à une certaine
époque était le coté "exclusif" de la
pochette : il fallait un visuel inédit, quelque
chose de fort, pas forcément toujours en
rapport avec la musique. Depuis que l'Agent
MS réalise les pochettes de NLC, je pense qu'il
y une adéquation bien plus grande entre
le contenant et le contenu…
Au fur et à mesure des années, la musique est
devenue plus acoustique, intégrant des
violons, guitares, instruments à vent dans
un univers auparavant dominé par les
machines. Ash n’en délaisse pas pour autant
l’électronique.
mes goûts n'ont jamais changé,
je n'ai jamais renié
ce que j'ai admiré
Je pense que NLC peut encore faire beaucoup
de choses nouvelles avec des machines.
L'ouverture vers les sonorités acoustiques
s'est faite grâce aux possibilités des
ordinateurs, et la démocratisation des
techniques d'enregistrement, qui a permis de
faire des prises de son correctes chez soi.
Je suis un artisan, un amateur, et revendique
ce statut, je n'ai donc fait plus d'acoustique
que quand cela a été possible simplement,
spontanément. La variété de mon univers
vient de la variété des collaborateurs de NLC,
et de la variété de mes goûts musicaux.
En fait, je touche à tout parce que je ne suis
qu'un amateur, donc pas capable d'être assez
bon dans un domaine bien précis.
Dès le milieu des années 90, Ash commence
à s’intéresser au monde de l’enfance,
au spectre de Peau d’Ane (" Clean "),
aux ambiances oniriques, à Lewis Carroll
(" Allegro Vivace ") et intègre dans sa
musique des sons plus minimalistes
rappelant des percussions enfantines
(" Le Sanctuaire d’Is ", " Le Sang de La
licorne "). Les derniers enregistrements
amorcent une dimension plus adoucie et
sereine avec des sonorités trip hop, pop,
voire même rock (la guitare blues sur
" Les Grands Saules ").
Je suis tout à fait conscient de ces
changements, mais je ne maîtrise pas tout à
fait… Simplement, je travaille sur des choses
qui me font plaisir, sans me soucier du regard
des autres. J'essaie toutefois de respecter
mes auditeurs, mais je garde toute liberté…
Les invités, quant à eux, se font de plus en
plus nombreux. On compte, entre autres,
Christoph Heemann (HNAS), Frédéric Bailly
(KOD), Olga Zimovets (diva russe), Un Amour
de Gibax, Philippe Joncquel, etc. La liste est
longue mais on peut noter la collaboration
depuis dix ans maintenant avec Frédéric
Truong de Leitmotiv.
Je suis très proche de Leitmotiv (aucun
rapport avec le groupe cold des années 80)
puisque je participe régulièrement à ses
enregistrements, et vice-versa, depuis 10 ans.
Un collaborative Cd est d'ailleurs prévu pour
2003 pour fêter cet anniversaire. EDT a
également signé ZAMA l'an dernier, un groupe
ethno-expérimental très créatif. Il pourrait
y avoir d'autres signatures prochainement…
Le dernier CD de NLC " Les Grands Saules "
est, quant à lui, un véritable film sonore avec
ses personnages, son scénario, ses lieux, etc.
Mais ce goût pour les progressions narratives
n’était-il pas déjà perceptible dans
" Le Domaine " ou d’autres disques
conceptuels ? D’ailleurs il y a souvent une
idée de suite dans les titres des morceaux
(partie 1, 2, 3, …)
Effectivement, il y a un concept global, et
souvent des concept-albums, mais tout
cela est plus instinctif que prémédité…
Par exemple, un album part souvent de
quelques sons, et le concept grandit en
même temps que l'album. Et il est finalisé
tout à la fin, comme les titres des morceaux,
qui sont d'abord provisoires, puis modelés
et changés selon l'avancée des travaux.
Tous les éléments qui composent un album
sont assemblés par mes soins, selon leurs
possibilités de cohabitation, et le résultat
global dicte le concept, en accord avec
les matières premières. C'est proche de
l'impressionnisme, du patchwork.
L’atmosphère de " Les Grands Saules "
rappelle fortement Le Grand Meaulnes
d’Alain-Fournier… Aurait-il été influencé ?
je garde
toute liberté
“Incandescent” 1991
“Lost sand divinities” 1990
“Le domaine” 1997
Oui, mais cela fait plus de 25 ans que
je l'ai lu, alors je m'en souviens à peine… Je
me souviens, à la même époque, avoir été très
impressionné par " la tuile à loups " de
quelqu'un qui devait si ma mémoire est
bonne, s'appeler Jean-Marc Soyez.
Si la musique de NLC est avant tout
instrumentale, la voix devient un élément de
plus en plus présent.
C'est une volonté, je trouve que la
voix apporte souvent quelque chose
à la musique, mais je m'en méfie aussi
beaucoup, et je ne peux malheureusement
pas souvent travailler avec des personnes qui
ont des voix intéressantes, j'utilise donc ces
voix dès que je le peux. Je compose tant de
musique que les accompagnements vocaux
ne suivent pas !
A savoir que le futur CD de NLC " The Book of
Laments ", qui sortira en 2003, comprendra
la voix troublante de la néerlandaise
Liesbeth Houdijk du groupe Hide and Seek.
Un disque tendre et mélancolique, d’une
densité émotionnelle qui en fera pâlir plus
d’un. Parmi la trentaine de disques sortis par
NLC, il est évident que le choix ne sera pas
facile pour ceux qui ne connaissent pas
encore. Les amateurs d’ambiances lugubres,
torturées et industrielles préfèreront
" Vestiges " ou " Fragments taôistes ", les
amateurs de néo-classique auront un faible
pour " Angels of Oikema " ou " Allegro
Vivace ". J’ai donc demandé à Julien Ash
quels étaient ses albums préférés :
The Book of Laments, Moon, Le Domaine,
ASD 002 et The Link Cutters. Je ne renie rien
pour autant, mais il y a beaucoup de choses
que je referais autrement s'il fallait les refaire.
Mais mes oeuvres sont plus à considérer
comme des témoignages d'expériences,
des récits d'ambiances, que comme des
objets définitifs, figés et voulus comme tels.
Une étrangeté demeure. C’est le langage
de NLC, son vocabulaire, des termes
étranges comme " Oïkema, " Korihor ",
" Gynogéodésie ", " Deuteronome ", etc.
Ces mots signifient généralement quelque
chose, mais j'aime énormément jouer avec les
mots. Korihor est l'antéchrist du livre de
Mormon, Oïkema est une maison de plaisir
imaginée par l'architecte francais Claude
Nicolas Ledoux, précurseur de l'architecture
fonctionelle, le deutéronome est un manuscrit
ancien, et la gynogéodésie est un barbarisme
sculptural que ne renierait pas Dali. Mais
contrairement aux surréalistes et à leurs
cadavres exquis, les barbarismes que
j'emploie sont éthymologiquement parlants
et réfléchis.
Il est sûrement inutile à présent de dire que
NLC, c’est un univers fascinant. Triste certes,
mais beau. Définitivement beau.
“Seabirds” 2002
“The link cutters” 2001
“Spiritus rex” 1994
DISCOGRAPHIE SÉLECTIVE ■ Lost sand divinities (ETCD01) CDsingle1990 ■ Incandescent (J. Ash) (ETCD05) CD 1991 ■ Vestiges (ETCD09) CD1992 ■ Allegro vivace (PER030) CD 1993 ■ Angel of oïkema (ETCD11)split CD 1993 ■ Spiritus rex (ETCD12) CD 1994 ■ Secret of oïkema(FF003) split CD 1994 ■ Clean (ETCD13) CD 1995 ■ Unclean (ETCD14) CD1995 ■ Unis (KAR07) CD 1996 ■ Le sang de la licorne (ETCD20) CD 1997■ Le sanctuaire d’ïs (ETCD21) CD 1997 ■ Le domaine (ETCD22) CD 1998■ Le langage des autres (BR012) CD 1998 ■ ASD 002 - The cereal killer(ETCD23) CD 1999 ■ Unis (+3 bonus tracks) (ETCD24) CD 1999 ■ Oïkema (ETCD25) CD 2000 ■ Hiding in time (ETCD28) CD-R 2000 ■ Moon (ETCD29) CD 2000 ■ La carpe miroir (ETCD30/32) 3 CD-R 1994■ Revocation 1989-2001 / A world of illusions 2 CD 2001 ■ The linkcutter CD 2001 ■ Les grands saules CD 2002PRÉVISIONS ■ Seabirds CDsingle 2002 ■ L'armée de marbre CD2002-2003 (La carpe miroir part 4) ■ The book of beliefs CD 2003 COLLABORATION 2003 : ASH/TRUONG (leitmotiv) pour fêter dix ansd'amitié et de collaboration musicale et NLC/Lecanora pour un superbeCD de musique rituelle et méditative.
Propos recueillis par Max
pit
samlaurence mas
DDAA fait partie de ces groupes majeurs,
incontournables, qui ont réussi à se créer un propre
univers sonore et esthétique et qui s’y sont tenus
depuis leurs débuts à la fin des années 70.
Composée de chaos et d’expérimentations en tout
genre, leur musique demeure toujours aussi
fascinante, même si aujourd’hui ils se font très
discrets et ne sont connus que par quelques vieux
amateurs de musique industrielle. La sortie de
leur dernier double CD " 20 ans de vieille musique
nouvelle " est l’occasion de remettre les pendules
à l’heure et de faire le point sur ces peintres du son.
79C’est dès 1979 que JLA, JPF et SMH, tous trois
plasticiens issus de l’Ecole des Beaux-Arts de
Caen, commencent à peindre la musique du
Déficit des Années Antérieures. Auparavant,
JLA avait fait partie de groupes obscurs dont
un certain Arcane, mais le nom de D.D.A.A
lui trottait dans la tête depuis 1975.
Le premier concert du groupe a lieu à
Mixage international (Caen). Deux autres
performances ont lieu la même année à
Cherbourg et le premier volet d’" action et
démonstration japonaise " au Théâtre
d’Ostrelande (Hérouville). Cette année voit
aussi la création d’Illusion Production, leur
label. La cassette " Déficit des Années
Antérieures " l’inaugure, un enregistrement
de qualité moyenne au contenu sombrement
inspiré. Les morceaux sont répétitifs, d’une
agressivité punk et industrielle. Les guitares
sont fiévreuses, le chant saccadé et le
caractère lugubre de l’ensemble est peut-être
dû au fait que les instruments sont tous peints
en noir. Ce premier opus sort à 50 exemplaires
et sera suivi du premier 45 tours " miss
vandann ", peint selon la méthode du
" dripping " qu’utilisait le peintre américain
Jackson Pollock. En cette première année,
rétrospective
23 ANS DE DEFICIT D
80
82l’entreprise de déterioration dans le champ
de la création sonore menée par D.D.A.A.
est créée.
Illusion Production imprime vite son style :
des objets luxueux, tirés à très peu
d’exemplaires, ce qui fait d’eux de véritables
œuvres d’art. En 1980 sort le double 45 tours
culte " front de l’est " présenté sous quatre
pochettes différentes. Cette même année,
D.D.A.A. participe au 45 tours " épidémia " du
peintre-performer Joël Hubaut et c’est avec ce
même artiste qu’ils participent à la XIe
Biennale à Paris et à Nice. Dans la lignée,
le groupe enregistre le 45 tours " aventures
en Afrique " ainsi que trois titres initialement
prévus pour une compilation de Bain Total,
label de Die Form, mais qui sortiront en
fait sur la compilation allemande " Masse
Mensch " deux ans plus tard. L’année
suivante, le Déficit continue à faire des
apparitions scéniques au compte-goutte,
essentiellement dans la région de Caen,
et enregistre une double cassette dans leur
studio Le Souterrain Scientifique au nom
étrange de " Live in Acapulco ".
Le principal événement de l’année 1982,
mise à part la reprise du " boule (viens ici !) "
de Ptôse (repris aussi quelques années plus
tard par Renaldo and the Loaf ) pour une
compilation cassette, est la sortie tant
attendue du premier album, " action et
démonstration japonaise ". Avec sa pochette
peinte à la main, le vinyle s’ouvre comme un
livre et constitue le troisième volet d’une
action commencée en 1979 avec le concert
au Théâtre d’Ostrelande et la performance
sonore au cours de la soirée de la XIe Biennale
de Paris. Définitivement conceptuel, ce
triptyque se lance dans l’exploration du
champ historique fictionnel de la nébuleuse
japonaise par projections et déviations.
C’est ce que le groupe appelle
l’" anfractuositisme ". Le principe de
détérioration en marche de la reconstitution
sonore s’applique ici à la traduction d’un objet
historique identifiable : la musique des films
japonais. Le disque se fait description sonore
de la réalité japonaise occidentale. La
musique y est somnambulique, léthargique,
méditative, tellurique et les membres de
D.D.A.A. s’imposent en artisans du son.
Collages de bruits, mouvements lugubres,
voix douloureuses en contorsion perpétuelle,
ambiances tribales, basses hypnotiques,
ES ANNEES ANTERIEURES
8384
le style est bel et bien affirmé et le Déficit fait
de l’improvisation un dénuement sonore
d’une rare inventivité. Cet album, avec le
suivant " Les Ambulants " (1984), font de
D.D.A.A. une des formations majeures de la
scène cold-indus française de ces années-là,
aux côtés d’artistes comme Clair Obscur,
Ptôse, Complot Bronswick, Karl Biscuit,
Norma Loy ou Die Form. A signaler que des
noms prestigieux comme Bernard C. et Phil
Gaz/Marcel Kanche d’Un Département
apportent leur soutien au Déficit à cette
époque-là.
Le groupe continue sa recherche
anthropologique avec la cassette " Prehistoric
Reject " (1983), le vinyle " Les Ambulants "
(nom qu’on donnait à des peintres russes à la
fin du XIXe siècle qui présentaient leurs toiles
de village en village) et la cassette " Famille
86
de Saltimbanques " sortie sur le label
italien ADN, qui constituent un ensemble
submusical cohérent de traitement de la
Paléo-information.
En 1984 sort également le 45 tours
" 5e anniversaire ", sur lequel on trouve les
classiques " 25 pièces sont vides " et
" Geisha Girl ", courtes œuvres lancinantes
à souhait et d’une froideur angoissante.
Parallèlement à cela, le label Illusion
Production se propose de faire découvrir
d’autres talents, et dans les années 1982-84,
sort des enregistrements de Legendary Pink
Dots, Bene Gesserit, Un Département, Kevin
Harrison et Steven Parker entre autres.
En 1983, la revue " Sensationnel " est
inaugurée et les participations de D.D.A.A.
à des compilations sont innombrables.
On les trouve sur des compilations
anglaises, françaises, allemandes, italiennes,
belges, suisses, américaines, japonaises,
hollandaises, etc. Pascal Comelade fait même
appel au groupe pour le titre " Pluie
Japonaise " sur son album " Détail
Monochrome " (1984).
En 1986, Phoque Editions sort la cassette
" Mutants du Kwantung " sur laquelle la
musique et les bruits de la région
préhistorique du bas Pâ-tat sont reconstitués,
le label Cause and Effect publie la cassette "
noise building nation/noise for the building
nation/building for the noise nation/nation
for the building noise " et le groupe
réenregistre des versions très minimalistes
de titres anciens dont le " Baltique " qui
figurait sur " Les Ambulants " pour la cassette
" Lernen 5 ". Cette même année, le Déficit fait
une série de concerts à Rennes, Bordeaux,
Caen, Nantes, Amsterdam entre autres pour
présenter notamment deux nouveaux
morceaux inspirés par les poèmes de
maxi qui contient là aussi des adaptations de
poèmes de Ronsard. Ces œuvres réunies
constitueront le premier CD du groupe.
Parallèlement, le Déficit continue ses
bouinages. Bouiner est un terme inventé par
le groupe qui signifie bricoler sans intention
de parvenir à un résultat. En ce sens, la
cassette " Nouvelles Constructions Sonores
sur Fondations Visuelles " réalisée pour une
installation vidéo en est un parfait exemple.
A la même époque, JPF commence à composer
tout seul et, aidé par SMH, ils enregistrent une
première cassette sur Illusion sous le nom de
Deux Pingouins : des sortes de pop songs
aseptisées et complètement déjantées.
88
87Ronsard : " Ronsard did celebrate me " et
" The Plant of Helen ". Ceux-ci figurent sur la
cassette " D.D.A.A. en concert " qui regroupe
des morceaux enregistrés à Rennes en 1983
et d’autres à Amsterdam en 1986.
L’année 1987 est placée sous le signe de la
rétrospective. En effet, Illusion publie
" Objet ", un LP édité à 250 exemplaires
présenté dans un sac poubelle, accompagné
d’un poster, d’un livre et de la première
cassette du groupe. Sur le disque figurent
divers titres enregistrés pour des
compilations. Le label anglais Dead Man’s
Curve, quant à lui, édite un autre 33 tours au
format 25 cm sur lequel on peut trouver divers
titres de la période 82-86 dont deux morceaux
d’ " action et démonstration japonaise " ainsi
que le sublime " exploration " aux accents
très Virgin Prunes ou le percussif " Kembou ".
Après de nombreux efforts et une longue
attente, l’album " Ronsard " sort enfin en 1988
sur le label belge KK Records, et avec lui un
90
91
93
96
2000. . .
Les Deux Pingouins sortiront aussi deux CD
en 1993 : " Karisma Ha ", des compositions
acoustiques dans la lignée de la première
cassette mais en moins réussies, et " Le Bruit
du Fond ", musique aux ambiances glacées
où des violons grinçants rencontrent des
chants de baleine, des craquements, des
nappes synthétiques et des sonorités
sourdes et aquatiques.
A la fin des années 80, la réputation de
D.D.A.A. n’est plus à faire et ils en viennent
à être considéré comme un des plus
grands groupes de musique nouvelle /
expérimentale / bizarre. Leur activité avec
Illusion Production et leur talent de
découvreurs (la STPO, Un Département,…)
sont également remarquables. En 1990,
le groupe sort un split single avec Hirsch 2
toujours sur Electrip, sous-label de KK
Records. Le titre " Le Corbusier’s Buildings "
est assez surprenant car on y trouve quelque
chose qui ressemble à une mélodie.
Le morceau sonne même assez médiéval.
L’année suivante, " Bruit Son Petit Son ",
limité à 560 exemplaires, inaugure le label
Kill your Idol. Le CD est présenté entre deux
plaques de bois que l’on peut relier par
un écrou et un boulon, " écrou et boulon "
constituant en fait un des quatre titres. On
peut découvrir sur ce disque une très bonne
reprise du " It’s a rainy day " du groupe
allemand Faust. A signaler que le Déficit a fait
très peu de reprises : on peut cependant noter
le " King Harris " de John Cale repris
majestueusement à la voix sur la compilation
cassette " sensationnel n°5 ". Musicalement,
D.D.A.A. reste toujours fidèle à lui-même.
Les guitares sont toujours aussi triturées
et le Déficit s’affirme encore une fois comme
le seul groupe ethnique des civilisations
industrielles. Dans la même lignée, le CD
" Nouveaux Bouinages Sonores " (1993),
édité à un peu plus de 600 exemplaires,
constitue un premier pas idéal si on veut
pénétrer dans cet univers sonore.
Après ce disque, un tournant s’opère.
Le groupe se sent une nouvelle mission de
déterritorialisation de l’activité musicale.
Cette mission se nomme " Maracayace ".
Cela sera à la base de plusieurs concerts
et de divers enregistrements. En 1996,
" Baggersee " est le premier disque produit
par l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg,
résultat d’un workshop animé en avril-mai
1995 par D.D.A.A. avec des étudiants. Il s’agît
à la fois d’un mini CD comprenant la musique
de D.D.A.A. et d’objets créés par les étudiants
qui intègrent chacun un mini CD édité. On
retrouve sur l’enregistrement un alternance de
passages mélancoliques et minimalistes sur
fond de piano accompagnés par des chants
ruraux de vaches et chèvres et des rengaines
absurdes telles " chanter sous la douche avec
des cailloux dans la bouche ", la caillasse
étant un élément récurrent chez D.D.A.A .
Vient ensuite " La conférence Maracayace ",
sortie en 2000, qui dans son packaging
rappelle beaucoup l’" action et démonstration
japonaise ". En effet, la pochette du CD
s’ouvre comme un livre dans lequel est intégré
un livret, et tout au long de l’enregistrement
on entend le vinyle qui craque. Ce CD se
développe comme la cassette " Lernen 5 ",
publiée quinze ans plus tôt, avec son
alternance de texte et de compostions
originales. Publiée en collaboration avec les
élégantes éditions cactus, " la conférence
Maracayace " constitue à la fois un bien bel
objet et un bien bel enregistrement.
Le nouveau CD du groupe, " 20 ans de vieille
musique nouvelle ", est, quant à lui, un simple
double ! Le premier CD propose des
compositions originales, fascinantes et
hypnotiques, et à ce disque est joint un bon de
commande pour le second qui est en fait un
concert intitulé " De Gaulle à Bayeux : un
opéra maracayace ", enregistré en 1994
à l’Université de Caen avec en prime les
improvisations à la guitare et au chant de
Jean-françois Pauvros (Catalogue). Un délice
qui prouve que D.D.A.A. demeure encore
après plus de vingt ans un groupe aux mille
ressources. Leurs disques méritent de figurer
dans toutes discographies aux côtés de ceux
de groupes tels les Residents, Tuxedomoon,
Nurse With Wound ou Legendary Pink Dots,
dans le sens où ils ont créé un univers sonore
absolument insolite et unique. Même si de
nombreux groupes tels Palo Alto ou le Tiger
Comics Group avouent avoir beaucoup écouté
leur musique, personne n’oserait les imiter.
Le Déficit s’est bel et bien transformé en
monument.
Contact D.D.A.A.:
Illusion Production
62, rue Morel de Than
14 780 Lion sur Mer
Rétrospecté par Max
1 K A - T H A R - S I XEXPERIMENTATION SONOREplaque méta l d i f fé rents a rchers z inc ac ie rinox micros-capteurs machines eclectroniques
L E S H A U T S P A R L E U R Snappes de basses dérangées par des machines industriellesdécentrement de l’espace temps vers un espace mental
C H A O T I Q U E
I N T E R I E U Rp r o - g é n é r a t i o nD I S C O U R SM I T R A I L L EL I T H I U ME X T E R I E U R
DAS KRIEGL E S N E W SE X P H O T OC O N V E N T I O N E L
C E R V E A U Xmaintenant abstrait ouvert comme un ordinateur ordonné
E L E C T R I Q U E A N T I D O T E
C’est en revenant aux bases de la musique
électronique que LSE a su en cinq années
devenir une figure incontournable de
l’esthétique et de la scène électro actuelle.
Sombre et minimal, son univers sonore
possède le glacial de la cold wave et la
capacité dance floor de la New Beat,
d’où l’invention du terme " Body Wave ".
Après avoir réalisé de nombreux disques
sur son label Invasion Planète dont les
désormais classiques " Defending Man ",
" Super Science ", " The Men who killed the
Beat " et " Dissidence ", après avoir tourné
aux Etats-Unis, en Allemagne, en Autriche,
en Belgique, en Espagne ou en Finlande,
et après avoir participé à plusieurs
compilations internationales et figuré sur
plusieurs labels étrangers (Kobayashi,
Mass Transit), LSE nous fait l’honneur
d’offrir à " Douche Froide " un morceau inédit.
Robotique et aseptisé à l’extrême.
Site : http://www.invasionplanete.com
© & p INVASION PLANETE 2002
" Nous fabriquons le son "
#1automne 2002c & P les auteurs
DOUCHE FROIDENOUVELLES LECTURESCOSMOPOLITES 1
Punishment forinfundibulum initiation
DEFICIT DES ANNEES ANTERIEURES 2
Un air moderne quifait mal (live mai 2002)
VOX 3No words
LE SINGE BLANC 4Broïd
GVK 6
LE SYNDICAT ELECTRONIQUE 7Nous fabriquons le son
NATURE MORTE 8Toussaint
NOUVELLES LECTURESCOSMOPOLITES 9
The skin of night
MACROCOMA 10OvermindVOX 11
Magnet
1-KA-THAR-SIX 5Electrique antidote
Etant Donnés a été un des premiers
groupes en France à faire de la musique
dite " industrielle " au début des années 80.
Les premiers disques sont particulièrement
bruitistes. Quels rapports entretenez-vous
avec cette scène ?
D’abord, le terme " industriel " est un terme
générique qui veut tout dire et qui veut
rien dire. " Industriel ", ça veut dire quoi ?
Le groupe qui a inventé ce concept c’est
Throbbing Gristle. Ils se servaient de
Depuis le début des années 80, les frères Hurtado d'Etant Donnés livrent des spectacles
mêlant théâtre, cinéma, poésie et expérimentations sonores. Parmi leurs albums les plus
connus, on peut citer "Le sens positif", "L'autre Rive", "Bleu", "Re-Up" avec la
collaboration de Lydia Lunch, Alan Vega et Genesis P. Orridge, et "Offenbarung und
Untergang", dans lequel participent Michael Gira, Saba Komossa et Mark Cunningham. Le
dernier festival Artooz de Limoges a été l'occasion de les rencontrer durant la projection
des films "Bleu" et "Royaume", voyages au sein de la nature et du mysticisme. La veille,
Etant Donnés nous avait livré une performance d'une rare violence : Des projecteurs
dirigés vers le public envoient par saccades des lumières aveuglantes et ardentes. La
musique est, elle aussi, très agressive. Des mots du langage courant sont hurlés, répétés,
psalmodiés. Un des deux frères se sent possédé et plonge dans la foule
pour la presser et la serrer. Il se jette à la pêche aux âmes. Les frères
se déshabillent, luttent, s'embrassent, combattent, s'étreignent.
Au-delà des contradictions de l'existence, un espace d'interprétation
se crée. Ce quart d'heure fascinant en a irrité plus d'un mais personne
n'est resté indifférent à ce spectacle corporel et magique.
interview
synthétiseurs, de machines, et il y avait un
rapport à la société de consommation, ce qui
fait que le terme " industriel " se justifie.
Depuis le départ, le travail d’Étant Donnés
est basé sur une relation avec la nature, une
intimité, une relation d’extase en fait,
c’est-à-dire de dilution de l’ego pour
entretenir un rapport êtrique, de l’être avec la
nature, qui se confondrait dans un unique.
De dire que ce qu’on fait, c’est de la musique
industrielle, je pense pas. Il est évident que le
public d’une certaine époque qui aimait les
musiques industrielles et les nouveaux sons
qui circulaient dans cette mouvance était plus
à même d’apprécier ce qu’on faisait, parce
qu’ils avaient une oreille qui était plus neuve.
J’aurais été tenté de parler personnellement
d’" avant-garde rurale ", par rapport à la
façon insolite dont vous utilisez les sons de la
nature. Quel est d’ailleurs votre rapport à la
nature ?
Nous essayons de travailler sur des éléments
qui seraient un peu plus éternels que fugitifs.
Je pense que les créations humaines, surtout
celles de la société industrielle et de
consommation, sont des produits fugitifs pour
permettre le commerce, donc faire du profit.
Le fait est que, justement, la ruralité dont tu
parles s’est transformée en agriculture.
L’agriculture, c’est l’exploitation. On dit un
" exploitant agricole ". Donc, de filmer un
champ actuellement c’est aussi faire un
constat. C’est plus un chou tous les vingt
mètres, c’est un chou tous les quatre
centimètres, alignés, pour permettre aux
machines de les récolter, pour nourrir des
hordes de travailleurs et pour renouveler leur
énergie. Nous, quand on filme un chou, c’est
l’être du chou qui nous intéresse, c’est-à-dire
sa forme, et en montrant sa forme, on essaie
de montrer notre âme. St Thomas d’Aquin
disait : " L’âme est la forme du corps ". Pour
nous, le plus important, c’est montrer l’unique
et indiquer le lieu de l’unique, aller au-delà de
cette dualité corps/esprit, basée sur une
dichotomie qui va bien au-delà de la dualité
cartésienne. Son origine remonte au
manichéisme, et avant le manichéisme, on
trouve déjà ses prémices chez Platon. Un
philosophe moderne comme Heidegger
pensait que la seule manière de dépasser ce
véritable effondrement de la pensée que l’on
vit actuellement, c’était de faire un grand bon
en avant. Mais quand tu veux sauter un
ruisseau, il faut que tu fasses quelques pas en
arrière. Et ces quelques pas en arrière vont te
mener jusqu’aux présocratiques, Héraclite ou
Parménide, qui étaient dans une optique
où la philosophie était une pensée unie à la
poésie, la poésie était pensée. Il y avait cette
unicité profonde entre l’esprit et la matière, et
le mouvement était de suivre la contradiction.
Il n’y avait rien de fixé. C’était une découverte
de l’être permanente, et nous nous inscrivons
dans cette lignée, en tenant compte des
éléments qui nous entourent, des éléments de
la nature car nous y trouvons une force.
Un élément comme le soleil par exemple…
Voilà. C’est un lieu d’ouverture. Si tu veux
percevoir quelque chose, il faut toujours faire
un demi-tour, pour voir l’inverse de cette
chose. C’est la contradiction entre cette chose
on essaie
de montrer
notre âme
et son inverse qui donnera un troisième terme,
comme un jeu de poupées russes éternel, de
contradictoire qui se résout par une forme
englobant la contradiction, ce qui fait qu’il y a
toujours quelque chose au-dessus qui va
au-delà de la contradiction. C’est le pur
mouvement dialectique. Je pense que le seul
mouvement artistique contemporain qui a pris
en compte ça, c’est le surréalisme tel que
Breton en a étiqueté les fondements.
Pourquoi le choix de textes de Georg Trakl
pour le dernier CD avec Michael Gira ?
C’est simplement un poète qui nous touchait
énormément. Les films que tu as vus ce soir
ont été faits bien avant la découverte de Trakl,
et en fait, le monde de Trakl tu le retrouves
dans ces films. C’est une pérennité. Trakl était
classé souvent comme expressionniste mais
en fait il ne l’était pas du tout. On retrouve
certaines images de mort qui font qu’on le
classe parmi les expressionnistes mais ça n’a
rien à voir avec ce qui se faisait dans
l’expressionnisme à l’époque. C’est un poète
bien plus fort et bien plus éternel, qui est
de la taille de Rimbaud je pense. Rimbaud
lui-même, c’est quelqu’un qu’on classe
comme symboliste. En fait, c’est une
sublimation du symbolique comme Trakl est
une sublimation de l’expressionnisme.
Comment se sont faites les rencontres pour
les derniers albums avec notamment Lydia
Lunch, Alan Vega, Genesis P. Orridge ou
Michael Gira ? Est-ce que ce sont des choix
personnels ?
C’est toujours à la fois des rencontres et des
choix personnels, des choix personnels bien
déterminés car ce sont les artistes qui nous
attiraient le plus. C’était pas forcément dans la
forme de leur musique qu’il y avait une
ressemblance mais c’est dans le
soubassement de cette forme, dans le lieu
d’énergie qu’un dialogue pouvait s’établir.
Avec Alan Vega, nous nous sommes retrouvés
à faire des festivals avec lui à l’étranger, donc
nous nous sommes connus comme ça.
A New York, on a aussi rencontré Martin Rev.
P. Orridge pareil. Lydia Lunch également.
Mark Cunningham, trompettiste, fondateur du
groupe Mars, à l’origine de toute la No Wave
new-yorkaise, qui figure dans le fameux
disque enregistré par Eno, " No New York ".
Et Saba Komossa, le chef des maîtres
musiciens de Jajoka, le groupe qui a tellement
influencé Gysin, qui a compté beaucoup pour
Bowles à l’époque, énormément compté pour
Burroughs. Leur premier disque avait été
enregistré par Brian Jones. Ils ont fait
plusieurs collaborations après, notamment
avec les Rolling Stones et d’autres musiciens
imminents comme Hornet Coleman.
Il y a vraiment quelque chose qui se passe
dans vos spectacles et dans vos films au
niveau de l’interaction des sons et des corps.
On est toujours tenté par ce troisième niveau
de perceptions, le dévoilement intérieur,
l’image intérieure. Ce que tu vas voir va agir
comme une clé au niveau des sensations, de
la perception visuelle et auditive, qui va faire
qu’à un certain moment, il va y avoir ce
dévoilement intérieur, cette troisième image
qui va surgir et qui nous intéresse dans Étant
Donnés. Par exemple, l’abus de lumières
contre le public provoque un aveuglement,
créer
une distance
avec le public
c’est fait non pas pour repousser les gens,
je ne pense pas que ça passe comme un
éclairage agressif. C’est un éclairage violent
qui fait que le public est rendu aveugle par
moments mais ce qui m’intéresse, c’est le
moment où la lumière baisse et la vision
revient. Ce jeu avec la lumière permet de créer
une distance avec le public, une sorte
d’élévation, de flottement, d’irréalité. Montrer
en fait une apparence de quelque chose, pour
illustrer la parabole de St Jean de la Croix qui
dit que si Dieu n’est pas perceptible dans la
réalité courante, il n’est pas " comme serait
une étoile dans la nuit de la raison, de l’esprit
et de la foi ", il est plutôt trop lumineux par sa
présence, et ce trop de lumière nous rendrait
aveugle à sa propre présence, puisque nous
on serait dans la position du hibou qui est
rendu aveugle en plein jour. C’est pour ça que
cette lumière vient de derrière nous. C’est
comme une lumière divine qui est derrière
nous, qui est en fait une silhouette, et c’est un
peu ça qu’on vit. Notre présence au monde
n’est que l’" ombrabation " (comme disaient
les anciens) divine sur une essence et cette
essence se révélerait forme humaine. On n’est
que l’ombre de la lumière divine. La puissance
de la musique qui va avec est là pour créer
un espace vide qui est le contraire de la
communication parce qu’on ne peut
communiquer que sur un langage commun et
on ne peut communiquer que son ego. Alors
que nous, ce qu’on veut à travers Étant
Donnés, c’est l’inverse. On veut non pas
exprimer mais imprimer. Créer un lieu
d’ouverture qui permet à certaines forces de
venir. D’établir cet espace, cette distance avec
le public, c’est pour créer un lieu vide, pour
laisser la place à un certain esprit qui pourrait
venir s’installer là. Et s’il y en a un qui reste sur
scène et un autre qui va à la pêche, il va en fait
à la pêche aux âmes. On signifie dans
l’horizontalité, par rapport à celui qui reste sur
scène et celui qui va dans le public, une
verticalité qui est le mouvement mystique par
excellence, c’est-à-dire la percée vers le bas et
la montée vers le haut. La conjugaison de ces
deux mouvements forme une croix qui se
développerait dans l’espace.
C’est vrai que ces lumières sont comme du feu
que l’on nous envoie sur le visage.
Il faut apprendre à savoir détourner le regard.
Ce qui donne la vie sur terre c’est le soleil, et
on sait très bien qu’on ne peut pas regarder le
soleil en face, ça nous aveugle. Pourtant on vit
avec tous les jours et on connaît son
il faut apprendre
à savoir détourner
le regard
importance. Là, c’est pareil. C’est pas parce
que c’est un spectacle qu’on doit donner une
facilité d’appréhension. Le travail se fait
beaucoup plus en rapport avec l’alchimie liée
à la recréation sur terre de l’œuvre divine.
On recréerait une situation de génération
d’énergie solaire, et le rapport à la scène pour
le public doit être le même que celui d’un
homme face au soleil. La lumière est prise en
compte par le détournement et non par la
captation de cette lumière. Ce qui me gêne
dans l’art, c’est cet étalage de l’ego, ça me
dégoûte profondément. Je pense que, dans
l’art sacré, l’artiste savait s’effacer devant des
forces qui le dépassaient, et toutes les
grandes œuvres ont été faites comme ça, des
icônes jusqu’à Rimbaud, jusqu’à la poésie des
troubadours. Une sorte d’effacement de la
personnalité au service d’une noble cause.
Seulement, on vit dans un monde qui a perdu
tout critère de vérité, parce que la vérité était
liée à une perception du sacré. Du moment
que cette perception du sacré s’est effondrée,
son référent est en fait au-delà, tout peut se
justifier et rien ne se justifie. On tombe
dans la vacuité, l’effondrement et la
liquéfaction de la pensée.
Votre utilisation du regard du spectateur et de
l’artiste me fait forcément penser à l’œuvre de
Duchamp dont vous avez emprunté le nom.
C’est prendre à l’envers la manière dont
Duchamp a été perçu et expliqué. Duchamp
est réduit à une espèce d’artiste dadaïste et
néo-dadaïste, surtout en ready made,
l’utilisation d’objets industriels. C’est le
regardeur, le regard de l’artiste qui fait
l’œuvre, ce qui était la source de tout l’art
contemporain. Les gens se sont arrêtés à ça.
Duchamp s’est servi de ça à une époque de sa
vie et de son œuvre pour montrer ce fait,
que c’est le regardeur qui fait l’œuvre.
" Étant Donnés ", c’est une œuvre qui est
imminemment d’essence alchimique, qui est
le pendant de la " Joconde " de Léonard de
Vinci ou d’autres de la grande tradition. Une
continuité d’essence ésotérique qui n’a pas
pu être prise en compte car beaucoup trop
révolutionnaire pour notre société. Ce qui fait
que Duchamp a été réduit au ready made,
comme Dali a été réduit à être un clown alors
que c’est un énorme penseur, un très grand
écrivain et un très grand peintre, qui a
justement lui-même fait un dépassement de la
peinture à l’exemple de Duchamp, mais non
pas en arrêtant la peinture comme l’a pu faire
Duchamp, mais en la dépassant par la non
esthétique, c’est-à-dire en rejoignant la
peinture classique, en s’inscrivant au-delà de
l’évolution de l’art moderne, et ne plus placer
l’intérêt de sa peinture que dans le sens, dans
le concept pur, ce qu’a fait Duchamp. Le
troisième grand artiste qui a bataillé comme
ça pour en arriver au concept pur, c’est
Picasso, qui a utilisé la peinture dans son
évolution depuis Vélasquez en passant par
toutes les étapes, l’impressionnisme, etc.,
pour en arriver à ses œuvres qui sont
un dépassement de la peinture par son
auto-reniement, mais toujours en gardant la
matière picturale et cette lutte avec la matière.
Dali s’est attelé à la même chose mais en
travaillant cette peinture comme un magicien,
en s’en servant comme un support non pas
insignifiant mais a-signifiant.
Est-ce que vous composez votre musique
comme un peintre peut faire un tableau ?
Nous ne nous sommes jamais sentis
musiciens. Personnellement, je suis un grand
amateur de Debussy. Nous nous sentons,
au sein d’Étant Donnés, beaucoup plus proche
de Debussy par sa démarche créative et
perceptive que de la musique contemporaine
que je trouve infiniment plus rationnelle.
Ce qui compte c’est la magie, la poésie, c’est
quelque chose qui s’inscrit dans une certaine
éternité, parce que justement l’homme est un
être mortel et la seule manière de persister,
mais pas de persister comme une pierre
tombale ou une gravure rupestre, c’est de
persister en tant que vibrations magiques,
c’est ce dépassement dans la sphère de l’art
et de la poésie. C’est pour ça que quand tu
ouvres un livre de Rimbaud, tu revis l’instant
que lui-même a vécu. Ce sont quatre mots
mais ça va bien au-delà de quatre mots. C’est
pas lui qui écrit ces quatre mots, c’est quelque
chose d’autre. C’est lui qui est engrainé avec
d’autres forces.
Est-ce qu’on peut parler de théâtre ?
Pour nous, c’est du théâtre, même si les gens
du théâtre ne nous reconnaissent pas du tout
comme ça. Je pense que c’est eux qui sont
dans une erreur totale. Ils en sont encore à du
théâtre narratif. Il est évident qu’Artaud aurait
vu ça, ç’aurait été un peu ce qu’il aurait
ressenti.
Une sorte de théâtre de la cruauté…
Quand on dit " cruauté ", c’est pas la cruauté
sadique, c’est voir les choses d’une manière
cruelle, cru, c’est-à-dire une ouverture.
ce qui
compte
c’est la
magie,
la poésie
Propos recueillis par Max
kitshette
Poisson Sec