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2 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

SOMMAIRE

Contact Écoles / Inscriptions aux représentations publiques :

Joëlle Fretz I Ecoles, Tournées, Ateliers Rue Rodo 3 I 1211 Genève 4+41 (0)22 807 31 06 I [email protected]

Contact Informations complémentaires / Dossiers pédagogiques :

Irène Kaiser I Communication et RPRue Rodo 3 I 1211 Genève 4T: +41 (0)22 807 31 04 I E-mail: [email protected]

Distribution et représentations scolaires 3

Le spectacle 4

Résumé du livre 5

Entretien avec Isabelle Matter, metteure en scène 6

Être ou ne pas être (de son temps): telle est la question 8 Enfants du monde d’hier et d’aujourd’hui 8 Le contexte historique de l’oeuvre 8 Un monde qui change 9 L’avènement d’un nouveau monde 10 Portrait d’un fils de cette époque 11 Ödön von Horváth, une fils de monde d’hier 13 Les temps qui courent... 14 L’époque, une construction ? 14 Être de son temps, une illusion ? 15

Être ou ne pas être...avec les autres 17 L’État, la patrie...de l’espoir à la désillusion 18 Définitions et conceptions 18 La patrie dans Un fils de notre temps 19 Société, communauté, « système » et lien social 20 Tönnies, Durkheim, Weber 20 Quelle place pour l’individu ? 23 L’individu livré à une société impitoyable 23 L’individu livré à lui-même: le retour à la bestialité ? 24 Les paradoxes actuels 24

Être...maître de son destin 25 Le combat de la pensée: les forces intérieures en jeu 25 Qu’est-ce que le destin ? 27

Le Théâtre des Marionnettes de Genève 28

Bibliographie et filmographie 29

Ma. 20.02 20h00Me. 21.02 19h00Je. 22.02 19h00Ve. 23.02 19h00

Sa. 24.02 19h00Di. 25.02 17h00

Ma. 27.02 14h00 20h00

Me. 28.02 10h00 19h00

Je. 01.03 14h00 19h00

Ve. 02.03 14h00 19h00

Sa. 03.03 19h00

Di. 04.03 17h00

UN FILS DE NOTRE TEMPSDu 20 février au 4 mars 2018

Représentations publiques et scolaires

Adultes, ados, dès 12 ans85 minutes

Marionnettes de table, marionnettes portées et mannequins

Une création du Théâtre des Marionnettes de Genève

D’après le roman Un fils de notre temps d’Ödön von Horváth, traduit de l’allemand par Rémy Lambrechts

Adaptation et mise en scène : Isabelle MatterAppui dramaturgique : Domenico Carli

Assistante à la mise en scène : Aude BourrierInterprétation : Delphine Barut, David Marchetto,

Olivier Périat et Diego TodeschiniScénographie : Fredy Porras

Marionnettes : Yangalie KohlbrennerSon et musique : Andrès Garcìa

Lumières : Mathias RocheVidéo : Brian Tornay

Costumes : Léa BettenfeldRégie lumière et vidéo : David da Cruz

Régie son : Emmanuel Guillod

Autour du spectacle: Répétitions ouvertesjeudi 8 février 2018, de 14h à 15h30

mardi 13 février 2018, de 14h à 15h30

3Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

LE SPECTACLE

Photo de répétition, Janvier 2018 © Carole Parodi

Un jeune chômeur désespéré s’engage dans l’armée. Dans les rangs bien alignés de son bataillon, il parvient à ravaler son sentiment d’humiliation et goûte au bonheur de l’appar-tenance et de la reconnaissance. Enthousiaste et sans pitié, il part en guerre. Ce n’est que lorsque son capitaine meurt que le monde du jeune fantassin commence à chavirer. Ren-voyé de l’armée suite à une blessure, il se raccroche au souvenir d’une femme entr’aperçue au guichet d’un château hanté à la fête foraine, un jour de permission. Elle devient sa ligne de mire dans ce monde où l’humanisme semble en ruines. En quête de cet amour chimé-rique, il prendra peu à peu conscience de l’iniquité du régime auquel il s’est livré corps et âme…

Écrit en 1937, à une époque marquée par les replis nationalistes et les discours belliqueux, Un fils de notre temps d’Ödön von Horváth dépeint la fragilité de l’individu face à une so-ciété désenchantée, au bord du gouffre. La vie intérieure du jeune homme est au centre de cette adaptation. Dans un palais des glaces labyrinthique, symbole de son monde intérieur, ses espoirs, ses fantasmes et ses souvenirs s’allument telles des fenêtres éclairées dans la nuit. Un choeur de quatre acteurs-marionnettistes reconstitue la conscience de ce fils de plus en plus en décalage avec son temps pour poser la question : l’humanité n’est-elle pas toujours au bord de l’abîme ? Ce fils n’est-il pas un fils de tous les temps ?

4 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Ce fils pourrait être celui de nombreuses époques. Né à la fin de la première guerre mondiale, élevé sans es-poir d’avenir dans un pays rongé par la misère sociale, épuisé et dégoûté de la soupe populaire, ce « chien de chômeur » s’engage dans l’armée. Il y trouve une appartenance et une dignité, celle de l’uniforme, une cause, la défense de sa patrie, un père dans la figure de son capitaine, ainsi que la sécurité matérielle et so-ciale de la caserne.

Dimanche, jour de quartier libre, les soldats se diver-tissent à la fête foraine. À l’entrée du château hanté, le jeune homme est happé par une vision fugace : celle de la caissière, qu’il ne peut s’empêcher de regarder et qui le trouble au point de lui acheter un ticket pour l’attraction. Quand il ressort, la jeune femme a disparu, mais reste le souvenir de cette figure, qu’il se promettra de retrouver.

Le lendemain pourtant, les soldats doivent quitter la caserne pour partir au combat et envahir un petit pays voisin. Ils s’en emparent rapidement, convaincus de la supériorité de leur nation, et commencent un « nettoyage ». Après quelques semaines de combats, le capitaine est devenu un autre homme et semble complètement déboussolé. Lors d’un échange de tirs, il avance à découvert vers l’ennemi ; le narrateur s’élance pour le sauver, en vain, et la rafale de mitraillette atteint le jeune soldat au bras.

Hospitalisé, privé du cadre rassurant de l’armée, il voit son avenir s’obscurcir et son bras qui ne guérit pas le replonge dans l’angoisse du chômage et de la misère. Après une longue période de convalescence, il porte à la veuve de son capitaine la lettre trouvée sur lui au moment de sa mort. Premier vacillement dans les convictions du narrateur : le capitaine y raconte que, dégoûté des crimes de guerre de ses soldats et du naufrage de sa patrie, il a décidé de se suicider. « Je ne suis plus de ce temps », écrit-il.

Le jeune homme, définitivement inapte au combat, est ébranlé et se trouve à nouveau sans lutte ni raison d’être ; il se décide à retrouver la jeune femme du château hanté, remplacé par un autodrome, mais dont il obtient l’adresse par le comptable de la fête foraine. Là, une vieille voisine lui apprend qu’Anna a été licenciée en raison de sa grossesse, puis emprisonnée pour s’être faite avorter.

Bouillant intérieurement de rage face à cette injustice, il croise par hasard le comptable auquel il de-mande des explications. « La lutte commerciale est aussi une guerre » lui répond-il, et dans la guerre l’individu ne compte pas. Exaspéré d’y reconnaître ses propres mots et d’en concevoir la brutalité et l’absurdité, le narrateur assomme le comptable et le jette dans le canal.

Nouveau vacillement : il comprend qu’un système où l’individu ne compte pas broie des vies, que la bêti-se humaine touche les dirigeants tout comme ce peuple si ardemment défendu, et qu’il est terriblement « facile de couvrir ses méfaits du drapeau de la patrie, comme si c’était un blanc manteau d’innocence ». Hagard, perdu, terriblement seul, il erre dans la ville enneigée, et s’abandonne sur un banc au froid et à la nuit. (Source: Théâtre Gérard Philipe)

RÉSUMÉ DU LIVRE

Photo de répétition, Janvier 2018 © Carole Parodi

5Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

« Un voyage au plus profond de la nature humaine »Entretien avec Isabelle Matter, metteure en scène d’Un fils de notre temps

Qu’est-ce qui vous a donné envie de porter Un fils de notre temps à la scène ? Lorsque j’ai relu Un fils de notre temps, j’ai été sidérée par l’ac-tualité et l’universalité du texte d’Horváth: écrit à la première personne et au temps présent, sans mention du pays ni de la période historique à laquelle l’action se déroule, ce parcours de conscience d’un jeune soldat aux prises avec la société de son temps résonne particulièrement avec cette jeunesse dé-boussolée, en quête d’idéaux, qui aujourd’hui succombe à un radicalisme violent. Horváth réussit à nous emmener au plus profond de la nature humaine, sans prétendre livrer une analyse psychologique. Il ne porte d’ailleurs jamais de jugement. Il ne dénonce pas, il constate, et ce avec énormément de finesse. Pour cela, il utilise un langage très simple et dépouillé de toutes fioritures, mais capable de créer des images d’une force bouleversante. Ce sont ces trois éléments qui m’ont déterminée à me plonger dans Un fils : l’universalité de l’œuvre, la nuance de son propos et la beauté de la langue.

Un fils de notre temps sera présenté sous forme chorale. Quelles sont les voix que l’on entendra?

Le personnage principal, ce fils de notre temps, est ma-térialisé par une marionnette style bunraku (manipulée à plusieurs), tel un jouet pas tout à fait fini. Les quatre co-médiens, quant à eux, représentent ses voix, les forces qui l’animent et le font avancer. Par moments, les quatre voix sont concordantes et parlent à l’unisson, notam-ment pour les parties où le discours est un discours idéo-logique de certitude. Mais de plus en plus, le fils est en proie à des doutes, des questionnements, des réflexions contradictoires…alors les voix se répartissent les frag-

ments de sa pensée. Et puis, il y a la voix unique, la voix du moi profond, qui exprime sa vraie nature. Or, nous ne nous limiterons pas uniquement au dialogue intérieur. C’est la voix d’un mannequin plus grand, plus posé. Pour les parties plus interactives du roman, les quatre comédiens incarneront tout simple-ment les personnages extérieurs avec lesquels le fils interagit.

Ces personnages, qui sont-ils ?

Les personnages secondaires sont nombreux. Je fais le pari de les raconter à travers une partie d’eux-mêmes et des accessoires et attributs caractéristiques : le capitaine, par exemple, sera repré-senté par une tête et des épaulettes, sa veuve par un buste et deux superbes jambes qui invitent au fantasme. Ce mélange entre élé-ments humains et éléments marionnettiques, cette façon très sub-jective et métonymique d’aborder les personnages, servira à créer le trouble.

6 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

L’idée du trouble est également très présente dans la scénographie…

Plus encore que dans mes autres spectacles, je souhaite ici travailler sur l’idée du trouble entre réalité et illusion en amplifiant les images données par Horváth et en exploitant leur potentiel inquiétant et oniri-que. En l’occurrence, la scénographie s’articule autour du château hanté, d’un palais des glaces labyrin-thique, un lieu par définition déconcertant. Ce lieu concret joue un rôle primordial dans le roman, mais il est également un symbole de la vie intérieure du protagoniste. J’aimerais que le spectateur puisse entrer dans l’univers du spectacle comme dans une foire. Les effets scéniques, soutenus par l’utilisation de la vidéo, serviront à le dérouter : on jouera avec les apparitions et les disparitions, ainsi qu’avec les super-positions du réel et du virtuel, du vivant et de l’inerte, de la marionnette et de son manipulateur,…

Comment traduisez-vous la violence et la cruauté de la société qui traverse tout le roman ?

Je souhaite montrer cette violence à travers le contraste entre la vie réelle du fils et sa vie rêvée : la vie facile, le bien-être matériel, l’amour lui sont inaccessibles. Le spectacle explore comment sa frustration, son sentiment d’humiliation, va tourner en haine…d’abord contre des ennemis extérieurs, puis contre le système. Il va se faire lui-même justicier, puis se résigner avant de se laisser endormir dans le froid du temps. L’histoire est certes glaçante, mais la marionnette permet d’apporter un côté ludique et d’ex-ploiter la tendresse et l’humour d’Horváth. Même si la fin n’est pas heureuse, même si le fils ne pourra rien changer à cette époque froide dans laquelle il a eu le malheur de naître, il aura trouvé la paix. Il n’y a pas que du dépit, il y a aussi de l’apaisement.

Propos recueillis par Irène Kaiser / Photos des répétitions, Août 2017 © Carole Parodi

Photos des marionnettes en construction, Décembre 2017 © Isabelle Matter

7Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

ÊTRE OU NE PAS ÊTRE (DE SON TEMPS): TELLE EST LA QUESTION« Dans un cerveau aussi jeune, tout est confus, inexpliqué. Aujourd’hui, circulent des mil-lions d’individus comme ce [jeune]. Tous éprouvent une haine commune, et c’est bon, car cette haine s’adresse à l’état des choses actuel. Mais si un type comme celui-là a la mal-chance de tomber entre les mains des suborneurs, ils gâchent sa bonne haine, ils lui racon-tent que les Juifs sont coupables de tous les maux et du traité de Versailles, et il croit ces sornettes, il oublie qui sont les vrais coupables ici et partout. C’est la fameuse manoeuvre de détournement, et auprès de toutes ces jeunes têtes brûlées, ignorantes de tout et inca-pables de réfléchir juste, elle réussit.» (Klaus Mann, Mephisto, p. 54)

Enfants du monde d’hier et d’aujourd’hui

Le contexte historique de l’œuvre

1914-1918La Première Guerre Mondiale éclate l’ancien ordre du monde: les empires allemands, habsbourgeois et ottomans vaincus sont démantelés.

1919Le traité de Versailles impose aux vaincus, et notamment à l’Alle-magne, des conditions symboliquement humiliantes (occupation du territoire, réduction à minima de l’armée, confiscation de la flotte de guerre, etc.) et économiquement intenables (récupé-ration des régions riches en minerai, réparations colossales à payer).

1918/19 - 1933La république de Weimar, première démocratie parlementaire d’Allemagne, et dont les institutions sont dominées par le so-ciaux-démocartes élus au suffrage universel, doit faire face à l’opposition des communistes, des nationalistes et des milieux financiers et se heurte à de nombreuses difficultés économiques (dont l’effondrement du mark suite à la crise de 1923).

1929 - 1932L’économie allemande, affaiblie par le « diktat » de Versailles, est frappée de plein fouet par le krach boursier de Wall Street en octobre 1929. Suite à la crise, 33% de la population est au chômage (6 millions d’allemands), beaucoup de personnes se retrouvent sans revenu et sans logement, de nombreuses petites et moyennes entreprises font faillite. La crise perdure en Allema-gne et atteint son paroxysme en 1932.

Image 1: Signature du traité de Versailles le 28 juin 1919.

Image 2: Une femme brû-le des billets de banque suite à l’effondrement du mark en 1923.

Image 3: File de chô-meurs suite à la crise de 1929. Sur le mur en arrière plan les mots «Votez Hitler».

Image 4: L’incendie du Reichstag le 28 février 1933 «par les commu-nistes» est exploité par les nazis.

8 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Un monde qui change

« Oui oui, messieurs les éternels dépassés, les arriérés à l’insipide murmure pacifiste, vous ne nous échapperez pas ! » (Un fils de notre temps, p. 21 -22)

« La jeunesse possède, comme certains animaux, un remarquable instinct qui l’avertit des changements météorologiques et notre génération pressentait, avant que nos professeurs et les universités le soupçonnent, qu’avec le siècle finissait aussi quelque chose dans les conceptions artistiques, qu’une révolution commençait ou tout au moins un renversement de valeurs. » (Stefan Zweig, Le monde d’hier, p. 63)

« (…) il reste toujours des gens qui s’obstinent à ne pas voir cette évidence, ils ne veulent même pas la voir, car ils sont empêtrés dans des idéologies grossières qui datent du siècle dernier. Mon père aussi fait partie de cette vieille garde. C’est une triste troupe. » (Un fils de notre temps, p. 22-23)

« Quand j’essaie de trouver pour l’époque qui a précédé la première guerre mondiale (…) une formule qui la résume, je me flatte de l’avoir le plus heureusement rencontrée quand je dis: c’était l’âge d’or de la sécurité. Tout, dans notre monarchie autrichienne vieille de près d’un millénaire, semblait fondé sur la durée, et l’Etat lui-même paraissait le suprême garant de cette perennité. » (Stefan Zweig, Le monde d’hier)

« La génération de nos pères s’est bercée d’idéaux imbéciles de droit des peuples et de paix éter-nelle, sans comprendre que même les animaux se mangent les uns les autres. Il n’y a pas de droit sans force. IL nE faUT réfLéchIr, maIs agIr ! La gUErrE EsT La soUrcE dE ToUTEs chosEs. » (Un fils de notre temps, p. 25)

« c’était une époque pourrie. Je la hais. chacun pouvait travailler, gagner sa vie, personne n’avait faim, nul n’avait de souci. Une époque répugnante. JE haIs La vIE facILE. »(Un fils de notre temps, p. 25)

1933Adolf Hitler, le leader, du parti travailliste national-socialiste (NSDAP) accède au pouvoir et devient chancelier, sans pour autant avoir eu la majorité au Reichstag. Il instaure un système totalitaire de terreur (proféré notamment par les milices de la SA), tout en redressant économiquement le pays, notamment grâce à l’industrie d’armement. Le besoin d’étendre son marché d’expor-tation (limité par l’autarcie imposée au pays) et une idéologie ba-sée sur la supériorité de la « race allemande » mèneront le pays à préparer bientôt une nouvelle guerre de conquête.

Affiche de propagande nazie: « Nous bâtissons un nouveau monde, l’ancien est tombé en ruines!»

Hitler acclamé par les foules

9Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

L’avènement d’un nouveau monde

«Travail, liberté, pain ! Votez pour les National-Socialistes! Liste 8 «

« Un Peuple Un Empire Un Guide «

« À bas les trublions! L’Unité de la jeunesse dans les Jeunesses hitlériennes!»

« Secours populaire de l’hiver. Un peuple s’aide lui-même.»

« Vive l’Allemagne !.» « Service de travail de l’Empire. Nous armons le corps et l’esprit.»

10 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Portrait d’un fils de cette époque

Une enfance marquée par le froid et l’absence de la mère

« J’ai l’impression d’avoir déjà entendu cette voix, ailleurs, autrefois - il y a une demi-éternité. Et je réalise soudain que je ne sais même pas quelle voix avait ma mère. de toute façon, je ne me rappelle rien de ma mère. Elle est morte juste après la guerre, la grippe, quand j’étais encore petit… Souvent, quand je monte seul la garde, seul, cela traverse mon esprit com-me un vieux nuage, la nuit surtout. Le passé m’étreint. Alors, je me vois entre la table et le lit. J’ai trois ans, pas plus… La fenêtre est trop haute, je ne peux regarder dehors que si quelqu’un me soulève. Et quand je regarde dehors, je ne vois toujours rien. Ou l’ai-je oublié depuis ? Aujourd’hui, je sais seulement qu’il y avait un courant d’air sous la fenêtre… ‘Il fait froid ‘. c’est mon premier souvenir. La première sensation qui me soit restée. C’est drôle, je ne me suis jamais dit que je ne savais pas quelle voix avait ma mère. » (Un fils de notre temps, p. 41)

Le rejet du père

« Mon père est un hypocrite. (…) Mon père est serveur de son métier – un larbin du pourboire. Il prétend que la guerre mondiale lui a fait perdre son standing, parce que avant 1914 il ne travaillait que dans les établissements huppés, alors que maintenant il croupit dans un petit café des faubourgs. (…) mais sa tragédie personnelle ne l’autorise pas pour autant à déblatérer contre la guerre, car la guerre est une loi de la nature. (…) Il déblatère tout le temps contre les gens qui ont de l’argent, alors qu’ils lui manquent – comme il aimerait leur faire de nouveau des courbettes ! Car, en vérité, il ne pense qu’à son pourboire ! oui, c’est un hypocrite et je ne l’aime pas. » (Un fils de notre temps, p. 23)

L’absence de vie amoureuse

« Les femmes sont un mal nécessaire, c’est connu. On en a besoin pour assurer la constitution d’un aussi grand nombre que possible de familles riches en enfants héréditairement saines, racialement essentiel-les à la patrie. Mais, à part ça, elles ne font que des embrouilles. » (Un fils de notre temps, p. 30)

[Les femmes] « Tu n’y trouves ni loyauté ni conviction, c’est toujours en retard, un sac à mensonges et ainsi de suite. Et par-dessus le marché, tu dois encore t’intéresser à leur vie intérieure… Car c’est ça qu’elles exigent. Mais ça n’est pas une occupation pour un homme. » (...) « Elles te donnent la vie et elles te la bouffent. » (Un fils de notre temps, p. 31-32)

La haine (de soi)

« Puis vient une deuxième pensée, que je connais déjà. (…) ‘En fin de compte, dit-elle, tu n’aimes per-sonne…’ Oui, c’est vrai. JE nE sUpporTE pErsonnE… mêmE pas moI-mêmE. En fin de compte, je hais tout le monde. Sauf notre capitaine. » (Un fils de notre temps, p. 35)

Photo de répétition, Janvier 2018 © Carole Parodi

11Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

« C’est bien toujours la même foutaise ces histoires d’amour céleste ou terrestre et il n’y a rien à faire : je ne supporte personne. Même pas moi. Je déteste vraiment tout le monde. Même le capitaine est fini pour moi – depuis sa lettre. » (Un fils de notre temps, p. 78)

Un avenir professionnel incertain

« Quand j’ai quitté l’école, j’ai été au chômage. Je voulais devenir typographe, parque que j’aimais les grosses machines qui impriment les journaux, la presse du matin, de midi et du soir. mais il n’y a rien à faire. rien de rien ! Je n’ai même pas réussi à rentrer comme apprenti dans une imprimerie des faubourgs. Pas la peine de parler de celles du centre! Les grosses machines disaient :’Nous avons déjà plus d’hom-mes qu’il ne nous faut. Nigaud, ôte-toi ça de la tête.’ Et je les chassai de ma tête, et de mon cœur aussi, car tout homme a sa fierté. même un pauvre chien de chômeur. » (Un fils de notre temps, p. 16)

« Il est vrai que tu n’as rien appris, aucun métier civil, c’est bien embê-tant, car tu es maintenant trop vieux pour être apprenti et, avec ton bras abîmé, tu ne trouveras pas non plus d’embauche comme manœuvre – mais il y en a cent mille autres qui sont exactement dans la même situation, dis-toi bien cela ! c’est que tu es malheureusement un enfant de la guerre : vous autres n’avez jamais rien appris de sérieux, vous avez tout loupé, il était toujours trop tôt ou trop tard. » (Un fils de notre temps, p. 98)

L’expérience humiliante de la misère

« Je fus renvoyé à la charité, publique d’abord, privée ensuite. J’attendais donc au milieu d’une longue file qu’on me donne un bol de soupe. À la porte d’un couvent. Six statues de pierre se dressaient sur le toit de l’église. Six saints. Cinq hommes et une femme. J’avalais ma soupe. La neige tombait et les saints avaient des grands chapeaux blancs. Moi, je n’avais pas de chapeau et j’attendais le dégel. Les jours rallongeaient et les bourrasques se réchauffaient… J’avalais ma soupe. Hier j’ai vu la première trace de vert. Les arbres fleurissent et les femmes deviennent transparentes. moi aussi, je suis transparent. Car ma veste est foutue et mon pantalon en prend le chemin… on commence déjà à m’éviter. (…) Il me faut une nouvelle veste, un pantalon entier – une autre soupe ! dU changEmEnT, mEssIEUrs-damEs ! dU changEmEnT ! pLUTôT voLEr qUE mEndIEr ! » (Un fils de notre temps, p. 16 – 17)

«Cherche travail de tout genre»Un chômeur allemand suite à la crise de 1929

Soupe populaire en allemande dans l’entre-deux-guerres

12 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Erich Drechsler, Mendiant aveugle, 1923

Ödön von Horváth, un fils du monde d’hier

Né en 1901 dans une famille de diplomate, Ödön von Horváth suit les différentes affectations de son père dans le contexte de cette vieille Europe. Il développe une grande méfiance pour le sentiment d’appartenance nationale, dans un contexte où la question prend de plus en plus d’importance. « Je n’ai pas de pays natal et bien entendu je n’en souffre aucunement. Je me réjouis au contraire de ce manque d’enracinement, car il me libère d’un sentiment inutile… », dira-t-il. « Je suis né à fiume, j’ai grandi à Belgrade, à Budapest, à presbourg, à vienne et à munich, j’ai un passeport hongrois mais « mon pays » ? Je n’ai pas de pays à moi. Je suis un mélange typique de la vieille autriche-hongrie : magyar, croate allemand et tchèque ».

Après des études de littérature à Munich, c’est la langue alle-mande qui sera son mode d’expression. Dès 1927, il publie à Berlin ses premières nouvelles et pièces qui s’alarment déjà du danger fasciste devant la montée du national-socialisme. Dans

une Europe et un monde bouleversés par la 1ère Guerre, puis par la crise de 1929, Horváth développe un théâtre populaire et critique, dénonçant la violence des systèmes, la misère, les déterminismes, la bêtise, les incohérences de la conscience: « dans toutes mes pièces, je n’ai rien embelli, rien enlaidi. J’ai tenté d’affronter sans égards la bêtise et le mensonge ; cette brutalité représente peut-être l’aspect le plus noble de la tâche d’un homme de lettres qui se plaît à croire parfois qu’il écrit pour que les gens se reconnaissent eux-mêmes. »

Ses pièces Nuit Italienne et Légendes de la forêt viennoise sont jouées connaissent un grand succès à Berlin en 1931. Il reçoit même le prestigieux prix Kleist. Il écrit encore Foi, amour et espérance, puis Ca-simir et Caroline qui lui assurent un succès dans toute l’Europe.

Dès l’avènement d’Hitler au pouvoir en 1933 ses pièces font partie des premiers autodafés nazis. Horváth quitte l’Allemagne pour Vienne. Assistant à la montée toujours plus virulente de l’idéologie nazie et de ses ravages dans la jeunesse, Horváth écrit en 1937 Jeunesse sans Dieu, son deuxième roman, une des-cription clairvoyante « de l’homme dans l’Etat fasciste ». Cette œuvre remporte un succès international. En 1938, il publie le non moins lucide Un fils de notre temps. Dès l’Anschluss et la répression nationale-socialiste de 1938, il s’exile dans différentes partie de l’Europe (Budapest, Prague, Zürich…).

Le 1er juin 1938, de passage à Paris pour discuter de l’adaptation de Jeunesse sans Dieu pour le cinéma, Ödön von Horváth sort d’une projection de Blanche Neige et les sept Nains de Walt Disney au théâtre Ma-rigny sur les Champs-Elysées et est tué sur le coup par la branche d’un arbre arrachée par une tempête. Il ne connaîtra pas l’ampleur de celle qui secouera l’humanité dans les années qui suivront, mais, il en aura été l’un des plus fins et perspicaces observa-teurs dès ses premiers symptômes.

13Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Les temps qui courent...

L’époque, une construction ?

« Le culte de l’époque. L’époque que nous vivons, il est vrai, est une réalité. Elle est aussi, et surtout, un mythe commode, une divinité quotidienne qu’on in-voque pour soumettre l’individu aux impératifs de la « modernité ». Les chantres du conformisme récitent la même litanie : il faut « s’adapter à l’évolution », « suivre son temps », « être de son époque ».

mais qui décide de ce qu’ est l’époque ? Le mot n’a de sens que global : toutes les réalités existantes, toutes les productions de tous les humains, tous les modes de vie qui cohabitent sur la planète, toutes les opinions ou les philosophies qui sont émises ou pensées aujourd’hui, appartiennent à l’époque.

nous n’avons pas à « être de notre époque » ou « de notre temps » : nous en sommes, que nous le voulions ou non. Qu’un homme politique en accuse un autre de ne pas « suivre son temps » ou de « se tromper de siècle » n’a objectivement aucun sens… sauf à exhiber des modes d’existence, des formes de culture, des certitudes politiques, des personnalités « marquantes » ou même des « faits » jugés majeurs comme étant d’époque, par opposition à tous les autres que l’on discrimine et que l’on réduit au silence, comme n’ayant pas droit de cité dans notre histoire présente.

La question est alors : qui – au service de quels intérêts – définit et constitue ce tableau sélectif et partial du monde actuel ? Les analystes politiques ? Les sociologues patentés ? « nos » élites ? La vox populi ? Les médias « objectifs » ? ou encore leur ensemble hétéroclite, dans un enchevêtre-ment hasardeux de causes et d’effets, au petit bonheur de l’actualité et des évolutions « naturelles » d’un ordre mondial qui s’accélère ? »

(François Brune, De l’idéologie aujourd’hui, France, Éditions de Beaugies, pp. 13-14)

« Les pensées de la classe dominante sont aussi les pensées dominantes de chaque épo-que, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. La classe qui dispose des moyens de la production maté-rielle dispose du même coup des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l’un dans l’autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumi-ses du même coup à cette classe dominante. Les pensées dominantes ne sont autre chose que l’expression idéale des rapports matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominants saisis sous forme d’idées, donc l’expression des rapports-qui font d’une classe la classe dominante; autrement dit ce sont les idées de sa domination. »

(Karl Marx et Friedrich Engels, Idéologie allemande)

E. N. Sapiro: Marx et Engels à Neue Rheinische Zeitung

14 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Être de son temps, une illusion ? L’individu face à la perte de repères et de valeurs...

La chute du capitaine

[La lettre d’adieu du capitaine] « Nous ne sommes plus des soldats, mais de misérables voleurs, de lâches assassins. Nous ne nous battons pas loyalement contre un ennemi, mais vicieusement et basse-ment contre des femmes, des enfants et des éclopés… »« pardonne-moi, mais je ne suis plus de ce temps… »« C’est une infamie (…) et ce qui m’est le plus insupportable, c’est le naufrage de ma patrie. car à présent ma patrie a perdu son honneur et, en vérité, à tout jamais. Que Dieu me donne la force d’en terminer, car je ne veux pas continuer de vivre en criminel, ma patrie me dégoûte… » (Un fils de notre temps, p. 72)

[La réaction du fils au suicide du capitaine] « Ce chevalier vieux jeu avec ses idées toquées… Qui avait la fibre si tendre que ça lui tournait le chœur de voir des enfants morts… c’est vrai qu’il n’était pas de son temps ! si seulement j’avais su ça plus tôt, alors j’aurais toujours mon bras ! Car celui qui n’est pas de son temps, on ne doit pas lui couper la corde. Qu’il pende haut et court à la potence qu’il s’est choisie, jusqu’à ce que les corbeaux l’emportent ! Tu m’entends, capitaine ? Tu m’entends, là en bas ? (…) Car tu es un faible, qui n’était même pas capable de faire à sa patrie le sacrifice d’abattre pour elle quelques femmes ennemies… oui c’est ça, un faible ! Un type que son peuple dégoûte ! qui se soucie de moi maintenant ? Je t’ai donné mon avenir, mais tu me laisses tomber et dans ton cercueil tu te contre-fiches que je mange à ma faim ou non. Au moins, apparais-moi en esprit et indique-moi ce que je dois faire à présent ! » (Un fils de notre temps, p. 90)

La disparition du château hanté

« Je regarde l’autodrome où les gens tournent en rond dans des petites autos, toujours en rond, toujours tout seuls, et me demande au marchand de glaces : ‘Il y avait bien un château hanté ici autrefois, n’est-ce pas ? – Oui, dit-il. Autrefois. – Et pourquoi n’est-il plus là ? – ça ne marchait plus. Ah bon !... c’était trop vieux jeu, entends-je dire le marchand de glaces, ça n’était plus de notre temps.’ (...) ou bien : est-ce que moi aussi je ne serais plus de ce temps ? absurde ! J’y suis et je ne peux pas être ailleurs, je ne me laisserai pas embrouiller ! Bien sûr que je suis de mon temps, ce n’est que dans ces autos affligeantes que je ne serais pas à ma place ! Je ne pourrais jamais tourner en rond comme ça, je ne suis pas complètement idiot ! Assez ruminé – fini ! » (Un fils de notre temps, p. 112-113)

La fin

« Regarde donc, regarde ! Un bonhomme de neige est assis sur le banc, c’est un soldat. Et toi, tu vas grandir et tu n’oublieras pas le soldat. Ou bien ? Ne l’oublie pas, ne l’oublie pas !Car il a donné son bras pour rien.Et quand tu seras tout à fait grand, ce sera peut-être une autre époque, et tes enfants te diront : ce soldat n’était qu’un vulgaire assassin – alors, ne m’insulte pas aussi. comprends donc : il ne savait pas quoi faire d’autre, il était bien un fils de son temps. » (Un fils de notre temps, p. 155)

15Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Photo de répétition, Janvier 2018 © Carole Parodi

Propositions de questions à étudier

AVANT LE SPECTACLE

Être de son temps Que veut dire « être de son temps » ? Qui décide ce qui est « de notre temps » ?Pour quelles raisons peut-on être en décalage avec « son temps » ? En quoi Ödön von Horváth était-il en décalage avec son temps ? Pourquoi cela peut-il être douloureux de « ne pas être de son temps » ? Est-on nécessaire-ment malheureux ? « Faut-il » faire partie de « son temps »? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi? A-t-on le choix?Comment « les temps » changent-ils ?

La notion d’idéologieQu’est-ce qu’une idéologie ? D’où vient l’idéologie ? Est-ce l’idéologie qui façonne son époque ou est-elle uniquement le reflet de son temps ? À quoi sert l’idéologie ? À qui sert l’idéologie ? Comment une idéologie est-elle diffusée ?Que fait l’attrait d’une idéologie ?Quelles sont les idéologies que vous connaissez ?Adhérer à une idéologie, est-ce vivre avec son temps ? En étudiant l’histoire entre 1919 et 1933 et en regardant les affiches de propagande du parti national-socialiste, comment décrivez-vous « l’esprit du temps » en Allemagne pendant cette période ? Quel est le sentiment que vous inspire cette époque ?Quels sont les grands axes de l’idéologie national-socialiste ?Quelles sont les circonstances qui ont facilité la naissance de cette idéologie ?Qu’est-ce qui explique qu’une nation tout entière ait pu succomber à cette idéologie ?

APRES LE SPECTACLE

En quoi le fils représentait-il une « proie facile pour une telle idéologie ? Suivez le cheminement de conscience du fils: d’abord convaincu qu’il est « de son temps», il va commencer à en douter ? Pourquoi considère-t-il à la fin qu’il est bel et bien un « fils de son temps » ? Que pensez-vous de l’affirmation « à chaque époque son idéologie » ? Quelle pourrai(en)t-être le(s) idéologie(s) de notre époque ?À qui le narrateur pourrait-il ressembler aujourd’hui ?

Ödön von Horváth écrit à la première personne du singulier sans mention d’époque, de lieu, de noms… Le texte d’Horváth est-il intemporel ? Argumentez.

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16 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

ÊTRE OU NE PAS ÊTRE...AVEC LES AUTRES« allons, mon enfant, réponds donc ! qu’est-ce que cela veut dire ‘la communauté’ ? » (Un fils de notre temps, p. 98)

Dans ses oeuvres, Ödön von Horváth s’intéresse particulièrement aux interac-tions entre deux aspects de l’être social: les luttes des individus au sein de ces systèmes, et comment ils peinent à les influencer. Dans Un fils de notre temps, le narrateur se heurte surtout aux autres...à l’individu, mais aussi la société et à l’État. L’occasion d’étudier ce qui fait le lien entre les individus au sein d’une société et d’un Etat...

Propositions de questions à étudier

Le groupe Pourquoi l’être humain s’organise-t-il en groupes, communautés, sociétés, états ?Qu’est-ce que le sentiment d’appartenance ? Qu’est-ce que l’identité ? Comment les deux notions sont-elles liées ? Pourquoi l’être humain a-t-il besoin de se sentir appartenant à un groupe ?Quel est le « prix » à payer pour faire partie d’un groupe ? Explorez dans ce contexte les no-tions de liberté et d’individualisme…Quel rôle jouent les « autres » pour l’identification de l’individu et l’identification du groupe? Quel rôle joue une éventuelle idéologie ? Quel rôle joue un éventuel « ennemi extérieur » pour la cohérence du groupe?Comment le fait qu’un groupe se sente «supérieur» à un autre, modifie le comportement de ses membres ? Qui structure le groupe ? Est-ce que tout le monde est égal ? Y a-t-il des dominants et des dominés ? Si oui, pourquoi ?Qui est « responsable » pour les actions du groupe ? Est-ce que faire partie d’un groupe déresponsabilise l’individu?Est-ce qu’on s’identifie forcément à tout le monde au sein du groupe ? Est-ce qu’on est for-cément toujours d’accord avec le groupe ?Qui protège l’individu au sein du groupe ?Quelles sont les contraintes du groupe ? Selon vous, qu’est-ce qui est pire ? « Subir » le groupe ou être exclu du « groupe » ? Débat-tez.

« À présent, il y a toujours quelqu’un à tes côtés. À droite, à gauche, jour et nuit. ‘Rassemblement !’ sonne le commandement. Nous nous rassemblons, en rangs. » (Un fils de notre temps, p. 19)

Regardez l’image ci-contre…quels sont les sentiments qu’elle vous évoque ?

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17Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

L’État, la patrie...de l’espoir à la désillusion

Définitions et conceptions

La Patrie se définit comme la « terre des pères » et l’héritage laissé par les aïeux. Elle est avant tout un sol, un territoire, fa-çonné par des générations successives, et où l’on parle une langue, où peuvent régner des mœurs, un esprit, une âme, un culte.

« Le concept de patrie, falsifié par le nationalisme, m’est étranger. Ma patrie, c’est le peuple. » (Ödön von Horvath)

« Le patriotisme, c’est l’amour des siens. Le nationalis-me, c’est la haine des autres. » (Romain Gary)

« La terre est ma patrie, le genre humain ma nation. » (Tevfik Fikret)

La Nation, quant à elle, est l’ensemble des héritiers, ceux qui ont un lieu com-mun par la « naissance » (natus). C’est la communauté vivante des héritiers passés, présents et à venir. La nation im-plique une dimension de solidarité dans le temps et dans l’espace, la notion de communauté de destin. Si la Patrie dési-gne surtout l’héritage, la Nation désigne la communauté vivante des héritiers qui se transmettent et gèrent cet héritage, qu’est la Patrie.

« Malheur à la nation qui ne se souvient plus de l’histoire de ses pères ! Son histoire à elle touche à sa fin. »(Félix Bogaerts)

« Une nation forte, comme une personne forte, peut se permettre d’être douce, ferme, réfléchie et retenue. Elle peut se permettre d’aider les autres. C’est une nation faible, comme une personne faible, qui doit se com-porter avec fanfaronnade et vantardise et témérité et d’autres signes d’insécurité.» (Jimmy Carter)

« Pour moi, l’idée de nation se dissout dans l’idée d’hu-manité. » (Victor Hugo)

L’Etat, puissance publique ou encore puissance gouvernementale, est la so-ciété organisée politiquement. C’est une société organique, hiérarchisée, proté-gée par un pouvoir. Il s’agit d’une entité politique et juridique durable, constituée par une collectivité formant sur un terri-toire un groupe indépendant et soumis à une autorité supérieure.

Source: Jean-Marie Lagarde, Patrie, Nation, Etat, dans Civitas (No. 4), mars 2002

« L’État s’établit davantage tous les jours, à côté, autour, au-dessus de chaque individu pour l’assister, le conseiller et le contraindre.» (Alexis de Tocqueville)

« Si l’État est fort, il nous écrase. S’il est faible, nous périssons.» (Paul Valéry)

« Il faut changer de maximes d’État tous les vingt ans, parce que le monde change.» (Montesquieu)

« La valeur d’un État, à la longue, c’est la valeur des individus qui le composent ; [...] un État qui rapetisse les hommes pour en faire des instruments dociles entre ses mains, même en vue de bienfaits, un tel État s’apercevra qu’avec de petits hommes; rien de grand ne saurait s’ac-complir, et que la perfection de la machine à laquelle il a tout sacrifié n’aboutit finalement à rien, faute de cette puissance vitale qu’il lui a plu de proscrire pour faciliter le jeu de la machine.» (John Stuart Mill)

Photo de répétition, Janvier 2018 © Carole Parodi

18 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

La patrie dans Un fils de notre temps: de l’idéalisation...

« (…) nous avons compris que ce qu’il y a de plus important dans la vie d’un homme, c’est la patrie. Il n’y a rien au-dessus. Tout le reste est absurde. Ou au mieux sans importance. quand la patrie va bien, ses enfants vont bien. quand elle va mal, il est vrai que ça ne va pas mal pour tous les enfants, mais ces quelques excep-tions ne comptent pas face au corps vivant de la nation. » (Un fils de notre temps, p. 22)

« pour nous, il n’y a qu’une éternité : la vie de notre peuple. Et un devoir céleste : mourir pour la vie de notre peuple. Tout le reste est dépassé. » (Un fils de notre temps, p. 28)

« Il fut un temps où je n’aimais pas ma patrie. Elle était gouvernée par des apatrides et dominée par d’obscures puissances supranationales. Ce n’est pas grâce à eux que je suis toujours en vie. Ce n’est pas grâce à eux que je peux défiler aujourd’hui. Dans les rangs. Ce n’est pas grâce à eux que j’ai main-tenant retrouvé une patrie. Un empire fort et puissant, un exemple éclatant pour le monde entier ! Et qui dominera le monde à son tour, le monde entier ! J’aImE ma paTrIE dEpUIs qU’ELLE a rETroUvé son honnEUr! car à présEnT, moI aUssI JE L’aI rETroUvé, mon honnEUr ! » (Un fils de notre temps, p. 20 – 21)

...à la haine

« L’industrie d’armement est nationalisée, dit mon père. Donc, c’est l’Etat qui gagne. Et l’Etat c’est le peuple. alors pourquoi est-ce que moi, je ne gagne rien ? Est-ce que je ne ferais pas partie de mon peuple? Je n’ai fait qu’y perdre… » (Un fils de notre temps, p. 104)

« Un ange se dresse dans la nuit et il tient mon bras à la main, mon pauvre bras que j’ai donné à cette patrie qui a perdu son honneur, et, en vérité, à tout jamais… oui, le capitaine avait rai-son ! à présent, moi aussi ma patrie me dégoûte.—» (Un fils de notre temps, p. 120)

« Dites donc, là au-dessous, messieurs les chefs, qui touche les bénéfices de ces pays conquis ? Qui touche le minerai, la viande, le pain ? Qui ?! Je ne vois qu’une prison. Vous parlez toujours de mission historique. Vous n’avez pas à avoir de mission historique! ne nous bourrez pas le crâne quand vous voulez vous remplir les poches ! » (Un fils de notre temps, p. 138)

Propositions de questions à étudier

AVANT LE SPECTACLE

Qu’est-ce que l’État? Quel est le rôle de l’État ? Explorez les notions d’Etat nation et d’Etat totalitaire…Quel est le statut de l’individu dans l’Etat nation et dans l’Etat totalitaire ?

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Photo de répétition, Janvier 2018 © Carole Parodi

Photo de répétition, Janvier 2018 © Carole Parodi

19Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Qu’est-ce que l’Etat providence ? Quand est-ce que cette notion a fait son apparition ? Est-ce un hasard?Dans notre monde mondialisé quel rôle joue encore l’Etat ? Et la nation ? Comment peut-on expliquer le repli nationaliste et l’émergence de débats sur « l’identité nationale » ?

APRÈS LE SPECTACLE

Quelle est la différence entre la patrie et l’Etat ? En quoi le narrateur confond-t-il ces deux notions ?Comment expliquez-vous le développement du narrateur : de l’amour à la haine de sa pa-trie? Pourquoi la notion de patrie est-elle souvent utilisée par les idéologies ?Approche critique : Quel peut être « l’honneur » d’une patrie ? En quoi l’honneur de la patrie augmente la valeur de l’individu faisant partie de cette patrie ? Qu’est-ce que cela lui ap-porte concrètement ? En quoi l’honneur de la patrie peut-il « redonner de l’honneur » à un individu ?

Société, communauté, «système» et lien social

« La psychologie des groupes nous apprend que tous les groupes, quels qu’ils soient, sont constitués non seulement de la somme des membres du groupe mais aussi d’une dynamique collective. Cette dernière est le reflet des positionnements subjectifs les plus fréquents dans le groupe. Si les membres du groupe sont majoritairement positionnés en rivalité les uns avec les autres, on retrouve cette rivalité au niveau de la dynamique collective. (…) Cette dynamique collective est donc le reflet des position-nements subjectifs les plus répandus, tout en dépassant les individus pris isolément. Cette dyna-mique produit un « système » qui se développe pour lui-même à l’intérieur du groupe. Ce système est déconnecté des hommes et de l’objectif commun qui les a réunis pour constituer le groupe, sa seule logique est une logique d’expansion de lui même. »

Source: http://www.quellesociete.fr

Ferdinand Tönnies (1855 - 1936):

« J’oppose deux types de société, deux types de rapports sociaux que je désigne respectivement comme communauté (Gemeinschaft) et société (Gesellschaft). Alors que la com-munauté est caractérisée par la proximité affective et spatiale des individus et se définit donc comme une « communauté de sang, de lieu et d’esprit » où le tout prime sur l’individu, la société en revanche est le théâtre de l’individualisme forcené, de la concurrence généralisée entre les individus désormais séparés, le règne de l’intérêt personnel qui se trouve être dorénavant au fondement de tous les rapports sociaux, lesquels tendent à se réduire à des échanges contractualisés. »

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20 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Emile Durkheim, sociologue français (1858 – 1917):

« J’estime que le lien social se fonde sur des règles « morales » qui découlent de « l’ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d’une même société », ce qu’on peut appeler aussi la conscience collective. « C’est l’action de la société qui a suscité en nous ces sentiments de sympathie et de solidarité qui nous inclinent vers autrui ; c’est elle qui, nous façonnant à son image, nous a pénétrés de ces croyances religieuses, politiques, morales qui gouvernent notre conduite ». La conscience collective exerce son emprise sur les individus de façon plus ou moins forte. Lorsque cette emprise est forte, elle pousse les hommes les uns vers les autres et fortifie le lien social; lorsqu’elle est faible alors le lien social se défait. »

Résumé: « La société conditionne les individus »

« La solidarité découle de la force de la conscience collective » « La division du travail et la complémentarité des individus qui en découle, renforce le lien social »

Max Weber, sociologue allemand (1864-1920):

« Dans les sociétés modernes, les actions des individus ne sont plus conduites sous l’impulsion des traditions, des pas-

sions et des croyances, mais sous celle de la rationalité. On appartient à une société au sens économique du terme, c’est à dire que des relations contractuelles se mettent en place entre

les individus. Ceux-si se rassemblent de leur propre gré et parce qu’ils estiment de manière rationnelle qu’il s’agit du meilleur

moyen de parvenir à leur fin. Les rapports sociaux dominants relèvent donc de l’entente par engagement mutuel et volon-taire. La régulation sociale s’opère grâce aux intérêts spéci-fiques des individus. L’ordre est garanti par les conventions, le droit. C’est une rationalité légale puisqu’elle découle de la loi.»

Résumé: « Les individus (et leurs intérêts) forgent la société »

« Le lien social découle moins d’une solidarité (affective) que d’un engagement mutuel et contrac-tuel dans le but d’atteindre un intérêt (commun ou pas) »

En reliant ces conceptes de société aux notions de patrie et d’état, cela pourrait aboutir au schéma suivant:

PATRIE (concept imaginaire, subjectif) ÉTAT (concept juridique, objectif)Communauté Société

«société traditionnelle» «société moderne»Solidarité mécanique (=lien affectif) Solidarité organique (= lien rationel)

Conscience collective forte (individualisme peu développé)

Conscience collective forte (individualisme fort / complémenarité des individus)

21Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Propositions de questions à étudier

AVANT LE SPECTACLE

Décrivez en vos propres termes la différence entre « société » et « communauté »...Quelles sont les « communautés » dont vous faites partie ?Qu’est-ce qui vous semble plus important ? La société ? Ou la communauté ? Selon vous, est-ce la société qui forge l’individu ou l’individu qui forge la société ?Comment la société sert-elle l’individu et comment l’individu sert-il la société ?Comment un individu peut-il influer sur la société ?Quelle est selon vous une société « juste »? Par quels moyens la société peut-elle assurer la solidarité entre les individus ?Selon vous, sur quoi est basé le lien social dans notre société ? Quel est le « système » qui régit notre société actuelle ?

APRÈS LE SPECTACLE

Comment jugez la société décrite dans Un fils de notre temps ?Regardez la peinture ci-dessus... Quelle image de société en découle ?Qui dans Un fils de notre temps sont les représentants de la société ? Y a-t-il des parallèles avec notre société actuelle ?En vous appuyant sur la théorie d’Emile Durckheim, quel rôle jour le travail pour la société / pour l’individu ? Tirez un parallèle avec les expériences de chômage vécues par le narra-teur et Anna dans Un fils de notre temps...Quel lien voyez vous entre « trouver sa place dans la société » et « être de son temps »?

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George Grocz: Les piliers de la socété, 1926 Photo de répétition, Janvier 2018 © Carole Parodi

22 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Approfondissement: la famille

« L’individualisme est un sentiment réfléchi qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables de telle sorte que, après s’être créé une petite société à son usage, il abandonne volon-tiers la grande société à elle-même.» (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique)

« Et je me sens soudain tout bizarre, car j’ai l’impression que moi aussi je pourrais oublier ma patrie à cause d’une femme – comme si l’on ne voulait plus bouffer de la patrie quand il y a une femme qui vous fait la cuisine. Oui, l’amour passe par l’estomac. » (Un fils de notre temps, p. 76-77)

Mettez en perspective les citations ci-dessus ? Qu’en pen-sez-vous ?Comparez la description que le narrateur fait du père et du capitaine... Comment l’armée a-t-elle pu être un substitut de famille pour le narrateur ? Pensez-vous que le narrateur aurait eu le même chemine-ment si ça situation familiale avait été différente ? Interrogez-vous sur sa quête d’idéaux, d’abord en la personne du capi-taine (=le père idéal), puis en la personne d’Anna (=la femme pure, au prénom biblique)...

Quelle place pour l’individu ?

« Chez Horváth, il n’y a pas que la société qui est mauvaise; chez ce contemporain et lec-teur de Freud, quelque chose en l’homme en fait aussi le bourreau de l’homme. » (Jacques Lassalle, Le monde comme un mauvais rêve, Les nouveaux Cahiers de la Comédie Française)

L’individu livré à une société impitoyable : insignifiant et remplaçable

« Par l’amour, on monte au ciel, par la haine, nous irons plus loin… - car nous n’avons plus besoin d’éternité céleste depuis que nous savons que L’IndIvIdU nE compTE pas – IL dEvIEnT qUELqUE chosE qUE dans LEs rangs. » (Un fils de notre temps, p. 28)

[La trapéziste en parlant d’Anna] « Dans cette situation intéressante, la nature l’aurait empêchée d’être toujours ponctuellement disponible pour ton service, il lui aurait peut-être fallu se reposer une demi-journée de temps à autre, et la firme l’a licenciée à cause de cela. Pourtant la firme s’en serait à peine aperçue s’il lui avait fallu dépenser à l’occasion quelques sous de plus pour payer une remplaçante, vous savez que c’est une très grosse entreprise, ces gens-là possèdent presque la moitié du boulevard, toutes les plus grosses attractions, ils ont profité de la crise pour tout racheter – mais ils sont comme ça les gens, maintenant, ils ne tiennent aucun compte de l’individu, ils licencient, ils licencient, et si quelqu’un y laisse sa peau, qu’est-ce qu’ils en ont à fiche ? Il en restera toujours assez, à leur avis, assez qui se laisseront faire… » (Un fils de notre temps, p. 134-135)

23Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

« - Je vous en prie, je vous en prie ! Puisque mademoiselle Anna n’était plus en mesure d’effectuer cor-rectement son service, nous devions naturellement lui donner congé. n’oubliez pas que nous sommes une très grosse société et que nous avons de ce fait de lourdes responsabilités…- Envers qui ?- Nous devons nous occuper d’environ 240 personnes, employés, artistes, et cetera – dans ces condi-tions, personne ne peut exiger de nous que nous nous souciions de chaque individu en particu-lier…- Pourquoi pas ? - parce que l’individu ne joue plus aucun rôle. (...) Nous devons être rentables, poursuit-il, la lutte com-merciale est aussi une guerre, mon cher monsieur, et il est bien connu que l’on ne fait pas la guerre en gants blancs, vous devriez pourtant le savoir… » (Un fils de notre temps, p. 143-144)

L’individu livré à lui-même : le retour à la bestialité ?

[La trapéziste] « Ainsi, vous êtes le frère, reprend-elle enfin, et vous ne vous êtes pas soucié de votre sœur…- Je n’avais pas le temps.- Prétexte ! Mauvais prétexte ! On doit toujours avoir le temps pour un être humain –l’être humain vient en premier, et toute le reste passe après !- Possible…- Certain ! Où irions-nous sinon ?Oui, où ? » (Un fils de notre temps, p. 132)

«...La gUErrE EsT UnE LoI dE La naTUrE. » (Un fils de notre temps, p. 23)

« L’homme est un loup pour l’homme.» (Locke)

Les paradoxes actuels

« L’individu désire avant tout se singulariser et jouir de ses droits et privilèges, mais livré à lui-même, il n’est que solitude, fragilité et impuissance. C’est pour cette raison que la société moderne est frappée d’un paradoxe: d’une part, l’individu est célébré dans toute son idiosyncrasie différenciante et son autonomie agissante, et, de l’autre, l’individualisme est perçu comme un vice, gros d’égoïsme, de repli sur soi et d’atomisation du lien social. » (Jérémy Cano, L’Etat face à l’individualisme, 18.12.2013)

« comment expliquer que dans ce monde globalisé, aux frontières perméables, où la circulation des personnes et des informations n’a jamais été plus facile, se dessinent les replis identitaires les plus massifs et les plus archaïques : communautarisme, intégrisme, fanatisme, terrorisme... ? comment expliquer, dans un monde où la société s’organise uniquement comme pourvoyeur de la satisfaction immédiate des besoins et où l’égalité est érigée en idéal politique, la multiplication des souffrances narcissiques et des phénomènes d’exclusion, de dépendance et la généralisa-tion de la violence comme mode de relation à l’autre ? comment expliquer qu’à côté de l’éloge de la diversité, on voit poindre un statut de la différence de plus en plus marqué par l’insupportable, l’impensable ?» (Richard Cluse, Individu contemporain et lien social, 2008)

Photo de répétition, Janvier 2018 © Carole Parodi

Photo de répétition, Janvier 2018 © Carole Parodi

24 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Propositions de questions à étudier

Dans Un fils de notre temps, le narrateur passe d’une conviction à son contraire: de « l’individu ne compte pas » à « il n’y a que l’individu qui compte » - qu’en pensez-vous ?Au final, pour qui le narrateur se bat-il ? Pour sa patrie ? Pour Anna ? Ou pour lui-même?Selon vous, est-on mieux servi par la société ou par soi-même? Qu’est-ce que le « cha-cun pour soi »? Quels peuvent en être les dangers ?Qu’en est-il dans notre monde d’aujourd’hui ? Est-ce que l’individu compte ?

ÊTRE...MAÎTRE DE SON DESTIN

« Il est moins grave de perdre que de se perdre. » (Romain Gary)

Le combat de la pensée: les forces intérieures en jeu

Au fil du temps, le narrateur parvient peu à peu à s’affranchir de la pensée unique, à «se retrouver» et à recouvrir son libre-arbitre. Un cheminement conscient et inconscient, houleux et douloureux...

« (…) je me revois, debout dans la cour de la caserne, jurer d’être prêt à tout moment à mourir pour la patrie, pour notre peuple. Donc aussi pour ce rat chétif ? Non, arrête ! suffit de ne pas penser ! c’est en pensant qu’on tombe sur des idées malsaines. nos chEfs saUronT y voIr cLaIr ! » (Un fils de notre temps, p. 35)

« Je le regarde d’un air idiot, car soudain je ne peux m’em-pêcher de penser : ah bon ? en quoi tu en profites ? et moi ? J’y ai pourtant perdu mon bras, et toi, tu as une chambre plus petite… non, je ne veux pas penser à tout cela ! pen-ser fait mal… » (Un fils de notre temps, p. 98)

« c’est que je n’ai plus peur de penser depuis qu’il ne me reste plus rien d’autre. Et je suis content de mes pensées, même lorsqu’elles me révèlent des déserts. car, grâcE à La pEnséE, JE nE sUIs pLUs sEUL : JE mE rETroUvE moI-mêmE. pourtant, ce que je rencontre n’est pas ragoûtant. » (Un fils de notre temps, p. 102)

« Tout cela fait partie de ton peuple. Regarde-là bien, ta patrie – c’est tout pour toi. Ça doit être tout pour toi. Tu l’as protégée – à présent, tu es un estropié. Je m’arrête court. « Protégée » ? Mais qui donc la me-naçait, au fait ? Ce petit pays ? absurde ! » (Un fils de notre temps, p. 103)

« commE La LUmIèrE dEvIEnT froIdE qUand on pEnsE… » (Un fils de notre temps, p. 104)

Photo de répétition, Janvier 2018 © Carole Parodi

25Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

« (…) j’ai en moi une colère terrible, une haine furieuse… C’est maintenant que je voudrais nettoyer ! Nettoyer à fond ! Maintenant, je voudrais être un aviateur, un pilote de bombardier, et tourner au-des-sus de nos chefs… » (Un fils de notre temps, p. 137-138)

« Toutes ces formules et ces phrases creuses, outrecuidantes et éhontées, éculées, ressassées… Je suis écœuré de moi-même. L’ombre de mon passé me dégoûte. Oui, le capitaine avait raison ! Je haïs-sais la vie facile et m’exaltais pour la difficulté… quel menteur j’étais ! Parfaitement, un lâche menteur – car que c’est facile de couvrir ses méfaits du drapeau de la patrie, comme si c’était un blanc man-teau d’innocence ! Comme si un méfait n’était pas un crime, qu’il ait été commis au service de la pa-trie ou d’une quelconque autre société… Un crImE EsT Un crImE, ET dEvanT Un JUgE éqUITaBLE aUcUnE socIéTé nE rEprésEnTE rIEn. dU BIEn ET dU maL, IL n’y a qUE L’IndIvIdU qUI pUIssE En répondrE, ET nULLE sorTE dE paTrIE d’EnTrE cIEL ET EnfEr. » (Un fils de notre temps, p. 144)

Propositions de questions à étudier:

AVANT LE SPECTACLE

Que veut dire « pensée unique » ? Etablissez le lien entre « pensée unique » et « idéologie » ?En quoi la « pensée unique » peut-elle être « confortable » pour l’individu ? Et en quoi « dangereuse »? Pourquoi « penser par soi-même » peut être difficile voir douloureux ? Explorez la notion de «remise en cause»... En quoi la « remise en cause » peut nous faire évoluer ? Etudiez le lien entre « penser par soi-même » et « être responsable de ses actes » ? Etudiez le lien entre « être responsable de ses actes » et « prendre son destin en main » ?

APRÈS LE SPECTACLE

Durant le spectacle, le récit est pris en charge par un choeur de quatre acteurs... Quand parlent-ils à l’unisson ? Et quand n’entend-on qu’une voix ? Que pensez-vous de ce pro-cédé scénique pour donner vie à la vie intérieure du narrateur ?

Quels sont les événements qui poussent le narrateur à « penser par lui-même »?

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Approfondissement: le château hanté

« Je continue jusqu’au bout de la rangée de baraques et j’arrive au château hanté, avec ses pignons, ses tours et ses bastions. Les fenêtres sont munies de barreaux, et les dragons et démons regardent dehors. » (Un fils de notre temps, p. 35)

En quoi le château hanté peut-il être vu comme un sym-bole de la vie intérieure du narrateur ? Que symbolise l’autodrome ? Et la fête foraine ?

Le château hanté du Prater à Vienne

Un autodrome

26 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Qu’est-ce que le destin ?

« Il n’y a pas de justice, à présent j’ai compris. Nos chefs eux-mêmes ne pourraient rien y changer, même si dans le domaine de la politique extérieure ils agissent de façon aussi géniale. L’homme n’est qu’une bête, et les chefs aussi ne sont que des bêtes, même si ce sont des bêtes aux dons particuliers. poUrqUoI n’aI-JE pas cEs dons ? poUrqUoI nE sUIs-JE pas chEf ? qUI décIdE dE noTrE sorT ? qUI dIT à L’Un : TU sEras Un chEf. à L’aUTrE : TU sEras Un soUs-hommE. À la troisième : Tu seras une maigre vendeuse sans place. Au quatrième : Tu seras un garçon de café. À la cinquième : Tu seras une tête de cochon. À la sixième : Tu seras la veuve d’un capitaine. Au septième : Donne-moi ton bras… Qui est-il, celui qui ordonne tout cela ? ça ne peut pas être un bon Dieu, la distribution est trop mesquine. » (Un fils de notre temps, p. 101)

« Si j’étais le bon Dieu, je ferais tous les hommes égaux. L’un pareil à l’autre – mêmes droits, mêmes devoirs ! Mais voilà que le monde est une porcherie. Ma grosse infirmière de l’hôpital répétait bien sans arrêt : Dieu a un dessein pour chacun d’entre nous… à cette heure, ça me fait mal de ne lui avoir jamais répliqué : Et pour moi ? qUEL dEssEIn a-T-IL poUr moI, Ton Bon dIEU? quel crime ai-je donc commis pour qu’il me dépouille perpétuellement de mon avenir ? qu’est-ce qu’il veut de moi ? Mais qu’est-ce que je lui ai donc fait ? Rien, rien du tout ! » (Un fils de notre temps, p. 102)

« ce n’est pas la conscience [de l’individu] qui détermine la vie ; mais la vie qui détermine la conscience. Les circonstances font tout autant les hommes que les hommes font les circonstances. (…) Dans l’activité révolutionnaire, l’homme se change lui-même en changeant les circonstances. »(Gilbert Badia, Les Editions sociales, 1968)

«Le destin n’existe pas, il n’y a que des choix. certains choix sont faciles à faire, d’autres pas. cer-tains sont de la plus haute importance, car ils nous définissent en tant qu’individu.» (Anonyme)

Propositions de questions à étudier:

AVANT LE SPECTACLE

Débattez: Qu’est-ce que le destin ? Et qu’est-ce qui détermine notre destin ? Nos prédis-positions ? Dieu ? La chance ? Le hasard ? Les rencontres ? Une autre personne ? Notre état d’esprit ? Les circonstances extérieures ? ...

APRÈS LE SPECTACLE

Quel était le destin du narrateur d’Un fils de notre temps ? Comment son destin aurait-il pu être différent ? Qu’aurait-il pu changer ? Que veut-il dire à la fin par « Comprends-donc: il ne savait pas quoi faire d’autre... » ? Comment avez-vous trouvé la fin ? Comment jugez-vous le narrateur ? Est-il une victime ?En quoi ce « fils » pourrait-il être un « fils de tous les temps »?

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27Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

LE THÉâTRE DES MARIONNETTES DE GENÈVE

Le Théâtre des Marionnettes de Genève est l’un des rares théâtres européens exclusivement dédié à la marionnette. Lieu foisonnant de création et de transmission, sa mission est de promouvoir et soutenir le développement des arts de la marionnette dans toute leur diversité. Proposant des spectacles au public dès 2 ans et jusqu’à l’âge adulte, il peut se targuer d’être l’un des théâtres les plus intergéné-rationnels de la ville.

Le Théâtre des Marionnettes de Genève puise ses origines dans la compagnie Les Petits Tréteaux, fondée en 1929 par Marcelle Moynier, personnalité créative et passionnée de la vie genevoise. En 1939, la troupe – remarquée pour son exigence artistique - s’installe de manière permanente dans le salon d’un hôtel particulier, rue Constantin à Genève, aménagé pour accueillir jusqu’à 80 personnes. Elle est dès lors nommée « Les Marionnettes de Genève » et devient théâtre lorsqu’elle investit en 1984 la salle de spectacle actuelle, expressément construite pour elle, rue Rodo. Sous l’impulsion de ses directeurs successifs – Marcelle Moynier, Nicole Chevallier, John Lewan-dowski, Guy Jutard et Isabelle Matter – le Théâtre des Marionnettes élargit l’accueil de troupes étrangè-res et diversifie les techniques de manipulation. Dans les années ’70, la marionnette à fils, exclusivement pratiquée jusqu’alors, est rejointe par la marionnette à tige, puis par la marionnette de table. Guy Jutard, puis Isabelle Matter, l’actuelle directrice, ouvrent le théâtre à toutes les formes des arts de la marionnette et à des textes actuels et percutants, faisant du TMG une institution vivante et engagée, où se côtoient créativité et réflexion, humour et émerveillement.

Isabelle Matter

Après des études en sociologie, Isabelle Matter s’est en-gagée sur la voie du théâtre et de la marionnette. Directri-ce du Théâtre des Marionnettes de Genève (TMG) depuis la saison 15-16, Isabelle Matter a dirigé les projets de la Compagnie des Hélices de 2000 à 2014. Elle y a réalisé de nombreux spectacles avec de la marionnette, dans des espaces publics, dans des salles de théâtres et dans le cadre d’échanges interculturels, dont est issu par exem-ple une double mise en scène de Rhinocéros de Ionesco entre La casa del Teatro Nacional de Bogota et Saint-Ger-vais Genève le Théâtre en 2011.

Elle a écrit plusieurs spectacles destinés au jeune public, dont trois adaptations de textes classiques co-écrites avec Domenico Carli, qu’elle a mises en scène. L’une, d’après Antigone de Sophocle, Un Os à la Noce, a été créée au TMG en 2008 ; Donne-moi sept jours, au Théâtre des Marionnettes de Lausanne en 2013, est inspiré de différents récits de la cosmogonie antique, d’Hérodote à Platon en passant par des éléments de la Genèse, et Si je rêve, une libre adaptation de La vie est un songe de Calderon de la Barca a été créée au TMG en avril 2015 pour comédiens et marionnette à fils. Elle met en scène en décembre 2015 au TMG une adaptation des Habits Neufs de l’Empereur pour jeune public dès 4 ans, Le Roi tout nu, et en décembre 2016, le parcours initiatique d’un oisillon dans Tombé du Nid.

Téléfilm, Un fils de notre temps, 2003

28 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

BIBLIOGRAPHIE ET FILMOGRAPHIE

Romans d’Ödön von HorváthÖdön von Horváth, Un fils de notre temps, Gallimard, 1988Ödön von Horváth, Jeunesse sans Dieu, Bourgois, 2006 Ödön von Horváth, L’éternel petit-bourgeois, Bourgois, 2002

IdéologiesRaymond Boudon, L’idéologie et L’origine des idées reçues, Seuil, 2011Georges Bataille, La structure psychologique du fascisme, Lignes, 2009Etienne Balibar, Race, nation, classe, Découverte, 2007Martine Gozlan, Pour comprendre l’intégrisme islamique, Albin Michel, 2002

Nazisme et totalitarismesBernard Bruneteau, Les totalitarismes, Armand Colin, 2014Yves Durand, Les causes de la deuxième guerre mondiale, Armand Colin, 1992Norbert Frei, L’état hitlérien et la société allemande, Seuil, 1994Christine Hatt, La deuxième guerre mondiale, Gamma, 2003Ernst Nolte, Les fondements historiques du national-socialisme, Rocher, 2002

Lien social Marc Auge, La communauté illusoire, Rivages, 2010Christian Baudelot, Comment vivre ensemble quand on n’est pas pareil ?, Montreuil, 2016Lucy Baugnet, L’identité sociale, Dunod, 1998Michel Crozier, L’acteur et le système, Seuil, 1992Pierre-Yves Cusset, Le lien social, Armand Colin, 2007François de Singly, Les uns avec les autres, Armand Colin, 2004Emile Durkheim, De la division du travail social, PUF 1998Alain Laurent, L’autre individualisme, Belles lettres, 2016Serge Paugam, Le lien social, Que sais-je ?, PUF, 2008

Films Un fils de notre temps (Téléfilm, 2003) de Fabrice CazeneuveL’Expérience (2001) de Olivier Hirschbiegel

Téléfilm, Un fils de notre temps, 2003

L’Expérience, 2001 (dès 16 ans)

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30 Dossier pédagogique: Un fils de notre temps

Contact Écoles / Inscriptions aux représentations publiques :

Joëlle Fretz I Ecoles, Tournées, Ateliers Rue Rodo 3 I 1211 Genève 4+41 (0)22 807 31 06 I [email protected]

Contact Informations complémentaires / Dossiers pédagogiques :

Irène Kaiser I Communication et RPRue Rodo 3 I 1211 Genève 4T: +41 (0)22 807 31 04 I E-mail: [email protected]

UN FILS DE NOTRE TEMPS

Dossier pédagogique du Théâtre des Marionnettes

de Genève

Février 2018