Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par...

60
Dossier : Sûreté et compétitivité

Transcript of Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par...

Page 1: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

Page 2: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Sûreté et compétitivitéSommaire Page

➤ Avant-propos : par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection – DGSNR 54

➤ Maîtriser l’impact sur la sûreté nucléaire de l’ouverture des marchéspar André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection etThomas Maurin, sous-directeur chargé des réacteurs de puissance – DGSNR 55

➤ L’harmonisation des mesures de sûreté nucléairepar Michel Asty, sous-directeur pour les relations internationales – DGSNR 60

➤ Deux enjeux fondamentaux et complémentairespar Dominique Maillard, directeur général de l’énergie et des matières premières 63

➤ Données économiques concernant EDF et les marchés de l’électricité 70

➤ Sûreté nucléaire et compétitivitépar Bernard Roche, délégué aux affaires nucléaires – EDF Branche énergies 72

➤ Améliorer les performances de Sizewell Bpar Hubert Bourel de La Roncière – Framatome ANP 80

➤ La régulation de la sûreté nucléaire dans un marché électrique compétitifpar Laurence Williams, inspecteur en chef de Sa Majesté pour les installations nucléaires (Royaume-Uni) 81

➤ Quelques réflexions sur sûreté et compétitivitépar Christer Viktorsson, directeur général adjoint de l’Autorité de sûreté suédoise (SKI) 86

➤ Changements de personnel et d’organisation à la centrale de Phillipsburg (Allemagne)par Dr. Walter Glöckle, responsable pour les questions fondamentales de la sûreté nucléaire, Ministère de l’environnement et des transports (UVM) du Land de Baden-Württemberg et Dr. Dietmar Keil, chef de la division « sûreté des réacteurs, radioactivité dans l’environnement », Ministère de l’environnement et des transports (UVM) du Land de Baden-Württemberg 90

➤ Les effets de la consolidation de l’industrie sur la surveillance par la NRCpar Herbert N. Berkow – Autorité de sûreté nucléaire américaine (NRC) 94

➤ L’impact de la déréglementation sur la sûreté (résumé de l’étude NUREG CR 6735 sur ce thème) 100

➤ Sûreté nucléaire – Evolutions structurelles et disponibilitépar Jean-Luc Silvain et Jean Barra – Confédération générale du travail 103

➤ L’aberration économique du nucléaire pris dans la tourmente d’une libération du marché de l’électricitépar André Crouzet et Marc Saint Aroman – Réseau – « Sortir du nucléaire » 107

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

Page 3: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

54

Avant-propos

La sûreté est-elle menacée par larecherche de compétitivité ? Alors quedans le monde certains opérateursnucléaires se transforment en multinatio-nales de l’énergie, alors que la productiond’électricité est de plus en plus soumise àla loi d’un marché déréglementé, alorsque des évolutions sont annoncées sur lestatut de l’électricien national, j’ai souhai-té faire le point dans Contrôle sur les défiset les risques de cette évolution.

Sur le sujet des relations entre sûreté etcompétitivité, l’Autorité de sûreténucléaire entend avoir une attitude res-ponsable : il ne s’agit pas de nier la légiti-mité et même la nécessité de la recherchepar les opérateurs de bonnes perfor-mances économiques, mais nous devons

veiller, à la fois au plan national et au planinternational, à ce que ces performanceséconomiques ne s’obtiennent pas audétriment de la sûreté et de la poursuitede son amélioration.

André-Claude LACOSTEDirecteur général de la sûreté nucléaire

et de la radioprotection

Page 4: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

La loi du 10 février 2000 relative à la moder-nisation et au développement du servicepublic, de l'électricité modifie en profondeurle marché de l’électricité en France ; tout enprécisant les missions de service public, la loi,qui transpose une directive européenne surle marché intérieur de l'électricité, met EDFen situation de concurrence pour la produc-tion d'électricité et sa fourniture aux plusgros clients.

Dans le même temps, les opérateurs dunucléaire français se transforment engroupes internationaux : la fusion deFramatome et des activités nucléaires deSiemens, la création du groupe AREVA et laprise de participation d'EDF dans EnBW quiexploite des centrales nucléaires enAllemagne sont des évolutions tout à faitemblématiques de ce changement.

Cette double évolution vers une pressionconcurrentielle accrue sur les opérateurs etvers une internationalisation des marchés etdes acteurs crée de nouvelles questions enmatière de sûreté. Le débat est parfois mar-qué par des discours très tranchés à la gloiredes effets positifs du marché ou manifestantde fortes craintes pour l’avenir ; ce nouveaucontexte doit également modifier l'action del'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Nucléaire et concurrence : la fin d’une spécificité française?

Avant de tenter d'identifier les impactspotentiels de cette évolution sur la sûreté, ilest important de prendre conscience de laspécificité du contexte nucléaire français.L'essentiel du secteur nucléaire se résume àcinq opérateurs, tous détenus exclusivementou majoritairement par l’Etat : EDF pour laproduction d'électricité, Framatome pour laconstruction des réacteurs et le combustible,COGEMA pour l'enrichissement et le retraite-

ment, l’ANDRA pour les déchets, et leCommissariat à l'énergie atomique (CEA)pour les réacteurs de recherche et les labora-toires. Chacun de ces opérateurs était, jus-qu’à l’année 2000, en situation de quasi-monopole de droit ou de fait sur le marchéfrançais. Même si le secteur nucléaire faitdans la plupart des pays l’objet d’une atten-tion forte des pouvoirs publics, ce paysaged'exploitants uniques et publics reste (endehors des pays sortant d'une économie detype soviétique) une singularité. Il faut doncmesurer, notamment dans les débats à venird’une part ce qui relève de l’évolution desindustriels français vers une situation moinsexceptionnelle, d’autre part ce qui relève dela transition, commune au plan internatio-nal, vers des opérateurs plus internationauxet présents sur des marchés où la concurren-ce est plus vive.

Il serait certainement excessif de prétendrequ'EDF était à l'abri de toute préoccupationéconomique avant les évolutions du marchéde l'électricité. Cependant, dans la situationde concurrence accrue créée par la loi, c'est lamaîtrise des coûts qui permet d'obtenir aujour le jour des débouchés à la productionnucléaire. Les questions touchant directe-ment à la performance économique, commela disponibilité des réacteurs ou les coûts dela maintenance ou des modifications des ins-tallations, sont donc devenues un souci pre-mier de l'exploitant.

Ces évolutions ont entraîné le début d’unemutation, certainement appelée à être pro-fonde et durable, des stratégies et des pra-tiques industrielles. L'ASN a eu l'occasiond'en constater les prémices depuis l'année2001, principalement chez EDF.

L’exploitant a d’abord cherché à améliorer laréactivité de son outil de production : desréacteurs peuvent se trouver pour plusieursjours en arrêt de production, dans l'attente

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

55

Maîtriser l’impact sur la sûreté nucléaire de l’ouverture des marchés

par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection et Thomas Maurin, sous-directeur chargé des réacteurs de puissance – DGSNR

Page 5: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

d'une demande du marché ; des évolutionsdes spécifications d'exploitation ont permis àEDF d'assouplir certaines contraintes de pilo-tage des réacteurs.

En matière de gestion de la maintenance,EDF expérimente de nouveaux modes de tra-vail : contractualisation de prestations dites« intégrées» consistant à confier un chantiercomplexe de manière globale à un interve-nant extérieur, mise en place d'arrêts allégésdits « à simple rechargement » en concen-trant la maintenance sur les autres arrêts desréacteurs, optimisation de la maintenance decertains systèmes par des approches de fiabi-lité prenant en compte les études probabi-listes de sûreté. Ces démarches interagissentavec des préoccupations de sûreté et deradioprotection et sont donc suivies de prèspar l'ASN.

Avant même les échanges largement média-tisés de l'été 2002 sur la dégradation descomptes d'EDF, une politique d'économies aété engagée fin 2001 par la Division de laproduction nucléaire. L’ASN a, dans un cour-rier du 24 janvier 2002 publié sur son siteInternet, demandé une présentation plusdétaillée de l'impact de ces économies sur lesmoyens humains et matériels relatifs à lasûreté nucléaire. La réponse d'EDF montreque les préoccupations de sûreté ont effecti-vement été prises en compte dans laréflexion budgétaire, même si certaines opé-rations de maintenance exceptionnellevoient leur réalisation décalée dans le temps.

Plus généralement, la préoccupation de lamaîtrise des coûts est aujourd'hui plus affir-mée par l'exploitant dans son dialogue avecl'Autorité de sûreté. Le dialogue techniqueavec EDF s'est aujourd'hui clairement durcisur ces aspects de faisabilité économique, surla justification de certaines demandes ou decertains échéanciers, et sur le traitement desdossiers de très court terme lors des arrêts detranche.

L'internationalisation des opérateurs s'estmanifestée chez EDF par des changementsorganisationnels importants. Une réorgani-sation de la Division de la production nucléai-re a été engagée en janvier 2002, et a amenél’ASN à questionner EDF sur la façon dont lesdifférentes missions des services centraux res-teraient assurées. En effet, dans la situationde mutualisation des moyens qui est celled’EDF, et face aux enjeux spécifiques d’un

parc standardisé, les fonctions, primordialespour la sûreté, de gestion du retour d’expé-rience, d’ingénierie et d’expertise en matièrede sûreté et de pilotage général de la sûreténucléaire sont tenues par les services cen-traux. EDF a ensuite créé la Branche énergiesà l'été 2002, rassemblant l’outil de produc-tion et ses appuis en France (notamment lesDivisions de la production nucléaire, du com-bustible nucléaire et de l’ingénierie nucléai-re). La mise en place de cette branche a étél'occasion, à la demande de l’ASN, d'uneredéfinition des responsabilités d'exploitantnucléaire entre la présidence d'EDF, la direc-tion de la Branche énergies, les directions desDivisions de l’ingénierie nucléaire et de laproduction nucléaire et les directions descentrales nucléaires.

Quels effets possibles d’une ouvertureaccrue du secteur nucléaire sur la sûreté?

Il n'y a pas de raison de principe pour quesûreté et mise en concurrence soient contra-dictoires. Le secteur nucléaire est déjà un sec-teur concurrentiel dans certains pays, avec demultiples opérateurs, par exemple aux Etats-Unis. Des secteurs importants connaissent despréoccupations de sûreté ou de sécurité dansun cadre depuis longtemps concurrentiel : lesecteur agroalimentaire, l'industrie pharma-ceutique, le transport aérien, l'industrie chi-mique pour ne citer que quelques exemples.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

56

Page 6: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Certains estiment même que l’ouverture à laconcurrence peut être une source de progrès,en incitant à la recherche d’efficacité, et fontobserver qu’une entité trop protégée de sonenvironnement s’exposerait à des risques dedérive y compris en matière de sûreté.

Pour autant, il faut identifier quels sont lesrisques de cette évolution dans le cas du sec-teur nucléaire français, auxquels il convien-dra de porter attention. Un regard hors denos frontières permet d'éclairer cetteréflexion.

Le premier risque est celui d'une réductiondes dépenses d’exploitation liées à la sûretéfinissant à terme par nuire à celle-ci. De nom-breux accidents majeurs, dont celui deBhopal, trouvent leur racine dans des écono-mies ayant fini par mettre en cause la sécuri-té des installations. Dans la mesure où lesmarges de sûreté et les lignes de défensepeuvent cacher longtemps des dégradationslatentes, il convient d'être très vigilant, parexemple sur les contrôles et la maintenancepréventive des installations.

Au-delà de ce risque de dégradation de l'étatdes installations, la recherche de performan-ce peut conduire à réduire des marges desûreté des installations. Il est essentiel que larecherche de performance ait donc aussipour objectif des progrès en matière de sûre-té ; c'est une question tout particulièrementposée pour l'augmentation des perfor-mances des combustibles dans les réacteurs,même si les gestions du combustible prati-quées en France, au moins pour le palier 900MW, restent à l'heure actuelle plutôt enretrait par rapport à certaines gestions de ducombustible déployées à l'étranger.

La recherche d'économies peut égalementavoir un impact sur les effectifs des opéra-teurs. Cela s'est déjà produit chez certains denos voisins, notamment en Allemagne ; bienqu'aucune évolution analogue n'ait étéconstatée en France, où la réduction dutemps de travail a plutôt eu l'effet inverse, ily a lieu de maintenir une vigilance certaine.La structure de la pyramide des âges du per-sonnel du parc nucléaire va en effet amenerau départ d’une proportion importante deseffectifs dans les années à venir.

Les dépenses de recherche et développe-ment et les investissements de modificationspeuvent également être une cible de réduc-

tion des dépenses en matière de sûreté ou deréorientation vers la recherche de perfor-mance. Il est difficile de mesurer les consé-quences de telles décisions, qui peuvent serévéler considérables à long terme.

L'un des enjeux les plus délicats est celui de laculture de sûreté : alors que l'ouverture aumarché nécessite des changements culturelsimportants dans une organisation commeEDF, quel impact cela aura-t-il sur la prioritéaffirmée à la sûreté, et sur l'attention quechacun y porte ? Il est indispensable que l'ex-ploitant définisse et fasse connaître une poli-tique de sûreté maintenant la priorité à lasûreté dans ses activités.

En matière de tension entre sûreté et com-pétitivité, il convient de signaler le cas toutparticulier où un exploitant nucléaire se ver-rait en situation économique difficile. Dansune situation de concurrence, toute entrepri-se est en effet « mortelle » ; c'est une situa-tion possible dans le secteur nucléaire,comme nous le rappelle le cas de BritishEnergy en Grande-Bretagne, actuellementen cessation de paiement. Un tel cas montreque, si sûreté et compétitivité peuvent êtreen tension sur le court terme, un exploitantconnaissant des difficultés économiquesrécurrentes suscite des questions plus déli-cates encore sur sa capacité à exploiter entoute sûreté.

L'internationalisation pourrait aussi poserdes questions de transfert de responsabilitédans le cas où un exploitant nucléaire enFrance serait filiale d'un groupe basé àl'étranger. On peut noter la situation actuel-le de CIS Bio international, dont la majorité

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

57

Page 7: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

du capital a été cédée au début de l’année2000 par le CEA au groupe allemandSchering, mais dont la responsabilité juri-dique d'exploitant nucléaire reste aujour-d'hui supportée par le CEA. L’expérience enla matière reste limitée en France.

Enfin, l'internationalisation des opérateurspourrait engendrer une mise en concurrenceà la baisse des normes de sûreté entre diffé-rents pays, avec une pression sur les autoritésnationales dans une logique de moins-disanten matière de sûreté, notamment pour lesexploitants nucléaires d’Europe de l’Ouestconfrontés à des règles nationales diffé-rentes sur un même marché d’extensioncontinentale.

Quel rôle pour l'ASN ?

Face à ces différents enjeux, l’ASN a identifiéles principaux axes de travail qui devraientfaire l’objet d’un investissement dans lesannées à venir.

Le premier axe de travail est celui des outilsde contrôle et de suivi pour repérer demanière précoce d’éventuelles dérives: l’exa-men de la situation économique, de l’évolu-tion des dépenses, de la gestion des effectifset des changements d'organisation de l'ex-ploitant devront faire l’objet d’une attentionaccrue. Les informations sur les évolutions encours à l'étranger et les difficultés rencon-trées dans ce domaine seront également àexploiter. L'action de contrôle de l'ASN devracertainement être adaptée à la profondeuret au rythme des changements.

Le deuxième axe de travail est celui de lamise en place d'un dialogue plus franc et res-ponsable avec l'exploitant sur ses enjeux éco-nomiques. Des contraintes qui n'ont pas defondement réglementaire ou technique nide plus-value en matière de sûreté doiventpouvoir être levées ; inversement, un argu-ment de coût n'est pas une justification suffi-sante pour retarder une remise en conformi-té ou pour refuser une améliorationimportante pour la sûreté. L'ASN est ainsiprête à examiner une argumentation coûts-bénéfice, dans laquelle l’exploitant démon-trerait que certaines améliorations deman-dées par l’ASN ne représentent pas uneallocation optimale du budget disponible, etproposerait donc de consacrer ses moyensaux actions ayant l’impact le plus bénéfique

pour la sûreté. En tout état de cause, lesréexamens périodiques de sûreté, l'exigenced'une démonstration rigoureuse de la sûretédes modifications et l'exploitation du retourd'expérience et des meilleures pratiquesinternationales sont une façon de garantirque l'exploitant maintient le cap d’une amé-lioration permanente de la sûreté.

Le troisième axe de travail est celui de la miseen place d'un cadre juridique clarifié et ren-forcé. Dans un contexte où les industrielspourraient se montrer plus exigeants sur lesfondements juridiques de l’action de l’ASNou moins ouverts sur l'accès à leurs docu-ments, un meilleur encadrement réglemen-taire est de nature à donner à tous les acteursune meilleure perception des pouvoirs del'ASN… et de leurs limites. Le projet de loi surla transparence et la sécurité en matièrenucléaire se propose d’apporter des amélio-rations sur ces aspects. En ce qui concerne lesrègles techniques, beaucoup de démarcheset de méthodes aujourd'hui bien acceptéespar les industriels sont imparfaitementassises en termes réglementaires. La régle-mentation technique générale mérite doncégalement un travail, qui a été entamé, avecla mise en place des décisions et des mises endemeure de l’ASN, et les projets de régle-mentation sur le combustible nucléaire et surles règles générales d'exploitation des réac-teurs de puissance. Par ailleurs, pour garantirque les exploitants assurent leurs responsabi-lités à long terme, certains outils manquentaujourd'hui à l'arsenal légal du contrôle de lasûreté nucléaire, comme l'exigence de garan-ties financières pour mener à bien le déman-tèlement des installations ou le traitementdes déchets.

Le quatrième axe de travail consiste à déve-lopper les échanges entre les Autorité desûreté pour aller vers une harmonisation desexigences, face à l'internationalisation desopérateurs et à l’avènement d’un marché del'électricité interconnecté. Il s’agit à la foisd’une revendication naturelle des exploitantsmis en concurrence et d’une attente légitimede populations soumises à des risques iden-tiques et susceptibles de connaître desimpacts au-delà des frontières nationales.L’ASN participe en particulier aux travauxd'harmonisation en cours au sein de WENRA,association des Autorités de sûreté del’Europe de Ouest, qui visent à progresser

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

58

Page 8: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

vers un niveau commun et élevé de sûreténucléaire et à la rédaction des normes inter-nationales de l’AIEA.

Conclusion

Le mouvement récent d’ouverture des mar-chés et d’internationalisation marque ledébut d’une évolution profonde du secteurnucléaire français, dont certains redoutentles conséquences en matière de sûreté.L’Autorité de sûreté nucléaire a entrepris de

s’adapter en faisant évoluer son champ et sespratiques de contrôle et en s’attachant à cla-rifier s’assise juridique de son action.L’Autorité de sûreté nucléaire aborde cetteévolution de façon responsable, avec lavolonté ferme d’exercer une vigilance parti-culière afin d’éviter toute dérive préjudi-ciable pour la sûreté. En tout état de cause,cette évolution se déroulera d’autant mieuxque les exploitants resteront ambitieux enmatière de sûreté et que les Autorités desûreté travailleront à des exigences harmoni-sées à un niveau élevé.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

59

Page 9: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Les actions destinées à promouvoir l’harmo-nisation des normes ou des approches ensûreté nucléaire ont débuté il y a de nom-breuses années. Dès la création de l’Agenceinternationale pour l’énergie atomique(AIEA) en 1957, son statut incluait le déve-loppement de «normes de sécurité destinéesà protéger la santé et à réduire au minimumles dangers auxquels sont exposés les per-sonnes et les biens». On peut noter que déjàen 1957 on était face à l’ambiguïté entre« sécurité » et « sûreté », ces deux termesétant habituellement traduits en anglais par« safety ». Il existe donc depuis longtempsdes normes de sûreté internationalementreconnues, mais plusieurs développementssont intervenus depuis ces temps reculés et ilest intéressant de les mettre en perspective.

Les « normes de sûreté» de l’AIEA

La première norme de l’AIEA remonte à 1961et concernait le transport des matières radio-actives. Puis, avec le programme NUSS, l’AIEAa commencé en 1974 à développer desnormes de sûreté nucléaire et ce programmea abouti à la rédaction d’environ 60 normes(codes et guides associés) traitant des princi-paux aspects de la sûreté nucléaire, depuis lechoix d’un site jusqu’à l’exploitation des ins-tallations. Vers la fin des années 1970, laquestion des déchets radioactifs et de leurgestion devenait de plus en plus importanteet est apparue comme un sujet techniquenon résolu. En réponse, l’AIEA a développéun ensemble de normes sur ce sujet.

A la fin de 1995, il y avait plus de 100 normesde sûreté couvrant les quatre domaines de lasûreté nucléaire, de la radioprotection, de lasûreté des déchets et des transports.

Au début de 1996, l’AIEA a entrepris unevaste refonte de son organisation, avec enparticulier la création d’un département spé-cifiquement en charge de la sûreté nucléaire

et responsable d’organiser la préparation etl’examen des normes de sûreté. En parallèle,l’AIEA a mis en place une commission, la CSS(Commission on Safety Standards), et quatrecomités (NUSSC, Nuclear Safety StandardsCommittee ; RASSC, Radiation SafetyStandards Committee ; WASSC, Waste SafetyStandards Committee ; TRANSSC, TransportsSafety Standards Committee) chargés, cha-cun dans son domaine, d’examiner les projetsde normes, de les approuver et de les propo-ser à l’approbation du directeur général del’AIEA. La CSS et ses comités ont entamé unvaste programme de révision des normesexistantes: à la fin 2002, 44 nouvelles normesont été approuvées, 40 sont en préparation.

Il est clair que cette nouvelle organisation,par une plus grande rigueur et une plusétroite implication des Etats membres del’AIEA, a largement contribué à améliorer laqualité des documents produits. Il faut rap-peler que les normes de l’AIEA n’ont pas devaleur contraignante, chaque Etat membreétant libre de choisir de les appliquer. Enrevanche, l’AIEA souhaite les appliquer pourses propres actions et considère qu’elles ontune valeur contraignante pour les Etats quisollicitent des actions de la part de l’AIEA.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

60

L’harmonisation des mesuresde sûreté nucléaire

par Michel Asty,sous-directeur pour les relations internationales – DGSNR

Siège de l’AIEA – Vienne – Autriche

Page 10: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Les activités de l’AEN

L’Agence pour l’énergie nucléaire de l’OCDEn’a jamais cherché à développer des normesde sûreté. En revanche, elle a établi desgroupes techniques qui sont devenus de véri-tables creusets d’échanges techniques entreses membres, préparant en cela les positionsqu’ils peuvent être amenés à prendre àl’AIEA lors des discussions sur de futuresnormes de sûreté.

On peut citer le Comité sur les affairesnucléaires réglementaires (CANR) au seinduquel les représentants des Autorités desûreté, dont la DGSNR, échangent librementleur expérience sur tous les sujets de leurcompétence ; le Comité sur la sûreté des ins-tallations nucléaires (CSIN) dans lequel laFrance est représentée par l’IRSN ; le Comitépour la gestion des déchets radioactifs ausein duquel travaillent les exploitants d’ins-tallations de déchets ainsi que les Autoritésréglementaires ; enfin, le Comité de radio-protection et de santé publique auquel l’ASNparticipe depuis l’élargissement de ses res-ponsabilités à la radioprotection.

Les actions initiées par la Commissioneuropéenne

Deux résolutions du Conseil datant de 1975et de 1992 ont demandé à la Commission defavoriser l’harmonisation des pratiques desûreté entre les Etats membres. LaCommission a mis en place deux groupesinformels, l’un entre représentants desAutorités de sûreté et l’autre avec égalementdes représentants des exploitants de réac-teurs nucléaires. Tant dans l’un que l’autregroupe, des études ont été réalisées pouranalyser les pratiques en vigueur dans les

Etats membres, contribuant ainsi à leur har-monisation grâce à une meilleure compré-hension mutuelle et au fait que certains Etatsmembres peuvent s’inspirer des pratiquesd’autres pays pour faire évoluer les leurs.

Très récemment, la Commission a annoncéson intention de proposer des textes régle-mentaires pour la sûreté nucléaire. Cestextes, désignés sous le vocable de « paquetnucléaire », qui viennent d’être renduspublics, doivent encore être discutés dans lesinstances appropriées du Conseil avantd’éventuellement entrer en vigueur.

L’harmonisation des approches de sûreté par WENRA

Dans ses statuts, WENRA, l’associationregroupant les chefs des Autorités de sûreténucléaire d’Allemagne, Belgique, Espagne,Finlande, France, Italie, Pays-Bas, Suède,Suisse et Royaume-Uni, a inscrit deux objec-tifs :

1) fournir aux institutions européennes unecapacité indépendante à évaluer les pro-blèmes de sûreté dans les pays candidats àl’Union européenne ;

2) développer une approche commune de lasûreté nucléaire et de sa réglementation, enparticulier au sein de l’Union européenne.

Le premier objectif a été atteint par deuxrapports qui ont été transmis aux institutionseuropéennes en mars 1999 et octobre 2000.Ces rapports, et en particulier le deuxième,ont été largement utilisés par le Conseil del’Union pour établir, au nom cette fois-ci des15 Etats membres, la position de l’Union surla sûreté nucléaire dans le contexte de sonélargissement aux pays d’Europe centrale etorientale. Avec ces rapports, WENRA estime

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

61

CSSCommission sur les normes de

sûreté

NUSSCComité pour lesnormes de sûreté

nucléaire

RASSC WASSCComité pour lesnormes de sûreté

Comité pour lesnormes de sûreté

des déchets

TRANSSACComité pour les

normes de sûreté du

CSSCommission sur les normes

de sûreté

NUSSCComité pour lesnormes de sûreté

nucléaire

RASSC WASSCComité pour lesnormes de sûretéradioprotection

Comité pour lesnormes de sûreté

des déchets

TRANSSACComité pour les

normes de sûreté dutransport

Page 11: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

avoir rempli son mandat et, à moins de rece-voir une demande explicite de la part des ins-titutions européennes, n’a pas l’intention detravailler à nouveau sur ce sujet.

Sur le deuxième de ses objectifs, WENRA ainitié les actions d’harmonisation desapproches de sûreté au travers de deuxgroupes de travail, l’un créé dès 1999 sur lesréacteurs électronucléaires existants, l’autrede création plus récente sur la gestion desdéchets radioactifs.

Le groupe de travail sur les réacteurs électro-nucléaires a proposé à WENRA de travaillerpar étapes successives, d’abord en dévelop-pant une méthodologie puis en l’appliquantà six problèmes spécifiques de sûreté, repré-sentatifs des difficultés à résoudre pour par-venir à une réelle harmonisation. La métho-dologie proposée par le groupe etapprouvée par les membres de WENRAconsiste pour chacun des problèmes à réali-ser les actions suivantes:

1) identification et description des exigencesnationales ;

2) comparaison avec les normes de sûreté del’AIEA ;

3) établissement d’exigences communes deréférence ;

4) définition d’un jugement collectif sur lesécarts entre les exigences communes de réfé-rence d’une part, et les situations nationalesdu point de vue de la réglementation et despratiques effectivement mises en œuvred’autre part.

Il est utile d’insister sur deux points particu-liers. Le premier est que le jugement émis surla situation dans chaque pays a été établi defaçon collective : il ne s’est pas agi de secontenter de l’opinion qu’un pays peut avoirde lui-même. Le deuxième est l’utilisation desnormes de sûreté de l’AIEA, et tout particu-lièrement des plus récentes d’entre elles : cetravail a montré toute leur pertinence, leurstermes généraux étant bien adaptés pourlaisser à chaque système réglementaire lapossibilité de se développer selon son contex-te national.

Le travail du groupe vient d’atteindre uneétape importante avec la rédaction d’un rap-port que les membres de WENRA ontapprouvé à leur réunion de novembre 2002.Une version publique est en cours de prépa-ration et sera prochainement mise sur les

sites Internet de ses membres. Elle sera éga-lement largement diffusée au sein des insti-tutions européennes.

Par ailleurs, les membres de WENRA ontapprouvé les propositions du groupe pourson futur travail. Il va s’agir de réaliser lemême type d’études sur une quinzained’autres problèmes de sûreté, destinés à cou-vrir la totalité du champ nécessaire : l’objec-tif de WENRA est d’avoir terminé cette étudevers 2005.

Conclusion

Alors que les conditions du marché de l’éner-gie, comme d’autres secteurs industriels,connaissent de profonds bouleversementsavec la déréglementation et la mondialisa-tion des activités, il était impossible que lesAutorités de sûreté nucléaire restent sur leursapproches nationales : comment expliquerau public qu’une installation nucléaire estautorisée à fonctionner dans un pays, en par-ticulier au sein de l’Union européenne, maisqu’elle risquerait de ne pas être jugée suffi-samment sûre pour être autorisée dans unautre pays?

C’est en particulier pour répondre à cetteinterrogation que l’Association WENRA adécidé de travailler à harmoniser lesapproches de sûreté de ses membres et vientde confirmer sa détermination à mener cetravail à bien, tout en étant consciente qu’ils’agit d’un travail de grande envergure et delongue haleine.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

62

Page 12: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

63

Apparue dès le début des années 90 dans lespays anglo-saxons, l’ouverture des marchésénergétiques s’est progressivement imposéeen Europe et a conduit, au cours de ces der-nières années, à une nécessaire redéfinitiondes politiques énergétiques nationales ausein du vieux continent. Dans le cadre de cedossier consacré aux problématiques de lasûreté nucléaire et de la compétitivité, il meparaît utile, dans un premier temps, de reve-nir sur les origines de ce phénomène de libé-ralisation et de rappeler les importants chan-gements qu’il a entraînés, que ce soit sur lesplans juridique, économique ou organisa-tionnel. Sur la base de ces éléments fonda-mentaux pourra être menée, dans un secondtemps, une analyse de la situation de l’éner-gie nucléaire dans ce nouveau contexte, deses perspectives envisageables ainsi que desconditions devant être réunies pour concilierde façon harmonieuse les problématiques decompétitivité et de sûreté.

Le phénomène d’ouverture des marchés

Quelques rappels

Le processus de libéralisation a véritablementété initié en Europe par la directive du 19décembre 1996 sur le marché intérieur del’électricité. Ce texte a non seulement impo-sé une dimension européenne aux politiquesénergétiques jusqu’alors essentiellementnationales mais a également jeté les basesd’une ouverture progressive des marchés del’électricité. L’adoption de la loi du 10 février2000 sur la modernisation du service publicde l’électricité ainsi que ses principauxdécrets d’application, intervenus dès la fin del’année 2000, ont permis de transposer cettedirective en droit français.

Perçue historiquement comme hostile à cephénomène de libéralisation, la France a sou-vent été accusée par ses différents parte-naires européens de ne pas avoir réellement

ouvert son marché. Il convient sur ce point derappeler quelques vérités trop souvent igno-rées. Juridiquement, les choix retenus pour latransposition de la directive font du marchéfrançais l’un des plus réellement ouverts à laconcurrence au sein de l’espace européen. Enparticulier, a été mis en place un systèmeréglementé d’accès aux réseaux de transportet de distribution d’électricité reposant surdes règles transparentes et non discrimina-toires et garantissant une égalité d’accès auxréseaux à tous les opérateurs. Par ailleurs, unrégulateur indépendant et spécialisé a étécréé au travers de la Commission de régula-tion de l’électricité (CRE), choix qui n’a pasété fait dans tous les pays européens, en par-ticulier en Allemagne. Ainsi, même si sur leplan quantitatif les seuils d’éligibilité choisispar la France correspondent au minimumfixé par la directive communautaire, la miseen œuvre de la libéralisation sur le plan qua-litatif est tout à fait significative en compa-raison de ce que l’on peut observer dans despays comparables.

C’est en particulier la conclusion d’une mis-sion menée conjointement par le Conseilgénéral des mines et l’Inspection généraledes finances fin 1999, mais aussi plus récem-ment la conclusion de la Commission derégulation de l’électricité, qui affirme, dansson rapport annuel rendu public en juilletdernier, que le marché français est bienactuellement « l’un des plus ouverts à laconcurrence européenne ». La Commissionde régulation rappelle également quelqueschiffres fondamentaux : le marché des éli-gibles1 en France atteint 112 TWh, ce qui enfait le quatrième européen ; les éligiblesreprésentent plus de 30 % du marché fran-çais de l’électricité et, à ce jour, le pourcenta-

Deux enjeux fondamentaux et complémentaires

par Dominique Maillard, directeur général de l’énergie et des matières premières

1. Eligibles: consommateurs d’électricité ayant la facultéde choisir librement leur fournisseur. Les « éligibles »sont définis par chaque pays, dans le respect de règlesfixées au plan européen.

Page 13: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

ge d’éligibles ayant changé de fournisseursest de 15 %2 ; une croissance significative dumarché de gros est constatée et une boursede l’électricité a été créée.

Les perspectives

Ce phénomène de libéralisation est parailleurs amené à s’accentuer au cours desprochaines années. En effet, la Commissioneuropéenne a présenté le 13 mars 2001 uneproposition de directive modifiant le texte de1996 et prévoyant une accélération du ryth-me d’ouverture du marché électrique. LesEtats membres se sont donné comme objec-tif commun, au récent sommet de Barcelone,de mettre en œuvre une ouverture à laconcurrence pour tous les « consommateursnon domestiques » à l’horizon 2004. Sur cesujet, la France, tout en exprimant son accordpour continuer à avancer vers une plus gran-de ouverture à la concurrence, a réaffirméson attachement au caractère progressif etmaîtrisé de ce processus d’ouverture, defaçon à maintenir un service public garantis-sant à tous les consommateurs un droit d’ac-cès à l’électricité. La France a également réaf-firmé son attachement à la possibilité demise en œuvre d’instruments de politiqueénergétique, tels que les appels d’offres,pour des motifs de sécurité des approvision-nements.

Les conséquences sur l’organisation dumarché européen et sur les opérateurs:vers une internationalisation accrue

Dans le cadre d’une rencontre parlementaireorganisée en 2001, le président d’EDF,François Roussely, avait choisi d’introduireson intervention par la constatation suivan-te : « Le principal bouleversement, en matiè-re d’énergie, est sans doute moins la diversi-fication à venir que l’internationalisation.Lorsqu’on a été pendant 50 ans une entre-prise monopolistique, assurant la fournitured’une seule énergie dans un seul pays, il n’estpas banal de procéder à une internationali-sation ou à une diversification des services».

Ce phénomène d’internationalisation semanifeste sous de multiples aspects. Ilconcerne en premier lieu les grands opéra-teurs énergétiques européens qui, à l’instard’EDF, tentent de suivre leurs clients à l’étran-ger ou souhaitent compenser les reculsconstatés sur leur marché domestique. Ainsi,le marché français a lui-même connu uneinternationalisation progressive de ses inter-venants, phénomène peu connu : ENDESApossède désormais 30 % du capital de laSNET, la CNR a créé conjointement avecElectrabel une filiale de commercialisation desa production d’électricité, et enfin EDF aengagé en septembre 2001 la mise auxenchères de 6000 MW de capacités de pro-duction.

Par ailleurs, face aux exigences accrues enmatière de compétitivité, certains acteurs sesont lancés dans des opérations de croissan-ce, de façon à acquérir une taille critique. Cephénomène a touché non seulement les opé-rateurs électriques (en particulier enAllemagne, avec l’émergence de groupescomme RWE ou EON) mais aussi leurs four-nisseurs, notamment dans le secteur de l’in-dustrie nucléaire. En particulier, né le 3 sep-tembre 2001 du rapprochement des troisopérateurs français du secteur (CEA-Industrie, COGEMA et Framatome-ANP), legroupe AREVA est devenu le leader mondialdu domaine, devant le britannique BNFL (quide son côté a absorbé durant la même pério-de les activités nucléaires de Westinghouse etdu groupe ABB-CE) et devant l’américainGeneral Electric (qui s’est rapproché commer-cialement des groupes japonais Toshiba etHitachi).

Un certain nombre d’événements internatio-naux tendent toutefois à nuancer l’approchelibérale mise en avant au début des années1990 et conduisent à introduire des « garde-fous » pour contrôler le phénomène d’ou-verture des marchés.

Si les pays anglo-saxons ont été jusqu’àrécemment les ardents défenseurs d’unelibéralisation totale (dans le but essentield’obtenir une forte réduction des prix), cer-tains événements intervenus au cours desdeux dernières années tendent à nuancercette perception. Le désastre californien, lesdifficultés énergétiques rencontrées par despays comme la Suède, le Brésil ou l’Australie,la chute d’ENRON ou la quasi-faillite de

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

64

2. Selon la Commission européenne, un tel chiffre seraitcomparable au taux d’ouverture constaté en Espagne etlégèrement inférieur à celui constaté en Allemagne(environ 20 %).

Page 14: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

British Energy, ont plongé la communautéinternationale dans l’incrédulité, montrantpour la première fois les dangers et les consé-quences d’une libéralisation sans limite etsans cadre, privilégiant l’optique de rentabi-lité dans un schéma de court terme. Ces dif-férents événements ont conduit l’ensemblede la communauté internationale à introdui-re des règles dans l’application de la libérali-sation ; en particulier, la notion de sécuritéd’approvisionnement, chère à la France maisun instant considérée comme d’arrière-gardepar de nombreux pays, est revenue au goûtdu jour.

Ainsi, le 17 mai 2001, les Etats-Unis annon-çaient, par l’intermédiaire du plan Bush, unestratégie de long terme d’offre énergétiquepour répondre aux besoins. Par ailleurs, dansle cadre du Livre Vert, la Communauté euro-péenne prenait conscience de l’accroisse-ment de sa dépendance énergétique, mon-trant en particulier que, si rien n’étaitentrepris, 70 % de ses besoins énergétiquesseraient importés dans trente ans contre50% actuellement. Enfin, le Japon lui-mêmea élaboré un plan national énergétique pourassurer la sécurité de ses approvisionnementsà moyen et long terme.

Dans ce nouveau contexte énergétique, lesecteur nucléaire doit relever un certainnombre de défis

Quelle compétitivité pour les centrales exis-tantes ?

La compétitivité des centrales existantes(donc en cours d’amortissement ou d’ores etdéjà amorties) semble être une donnéereconnue par tous. Tout en prenant en comp-te la mise en œuvre d’une politique de sûre-té rigoureuse ainsi que des opérations dejouvence, le coût d’exploitation d’un parcnucléaire installé, amorti et rationalisé estplus faible que celui pouvant être obtenu àpartir des autres sources d’énergie.Différentes études ont mis en évidence cerésultat. Aux Etats-Unis, le coût du kWhnucléaire est depuis 1998 inférieur à celui tirédu charbon ou du gaz (1,76 cUSD/kWhcontre 1,79 cUSD/kWh pour le charbon et5,69 cUSD/kWh pour le gaz en 20003, cetteannée particulière ayant été marquée parune hausse importante des prix du gaz natu-rel). En France, cette compétitivité est régu-

lièrement vérifiée par le ministère chargé del’industrie à travers les études «coûts de réfé-rence de la production électrique » ainsi quepar des observateurs « non gouvernemen-taux »4.

Dans ce cadre, la mise en œuvre d’une poli-tique de sûreté rigoureuse ne doit pas êtreconsidérée comme un frein à la compétitivi-té du nucléaire, et ce pour plusieurs raisons :(i) dans cette phase d’exploitation, les avan-tages économiques du nucléaire sont suffi-samment importants pour conférer une cer-taine marge de manœuvre à l’opérateur etne pas le placer dans une situation derecherche permanente et forcée de gains deproductivité et de réduction des coûts ; (ii)par ailleurs, le maintien d’un haut niveau desûreté peut engendrer un extraordinaireeffet de levier : une maintenance préventivepermettra d’éviter des problèmes importantset de préparer, dans les meilleures conditionspossibles, l’allongement éventuel de la duréede vie des centrales. Or la prolongation de ladurée de vie présente un intérêt économiqueévident, comme le montre un récent rapportde la Direction de la prévision comparant lecoût du kWh nucléaire des centrales dont ladurée serait prolongée (soit 1,2 c€/kWh, jou-vence comprise) au coût du kWh des cen-trales neuves (environ 3 c€/kWh).

Concernant le renouvellement du parc et laconstruction de centrales neuves, les sourcesd’incertitude relatives à la compétitivité dunucléaire sont plus nombreuses.

Il faut en effet 5 à 7 ans pour construire unréacteur nucléaire contre 2 à 3 pour une cen-trale fonctionnant au gaz naturel. De plus,les coûts d’investissement au kWe installésont beaucoup plus importants (environ 1650à 1700 €/kWe pour un réacteur nucléaire5

contre 500 à 550 €/kWe pour un cycle com-biné au gaz naturel ou 1200 à 1400 €/kWepour une centrale à lit fluidisé circulant aucharbon). Ainsi, les coûts d’investissementdes centrales nucléaires représentent 60 %des coûts de production actualisés quand ilsatteignent 20% pour les centrales au gaz6 et

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

65

3. Source : revue de la World Nuclear Association (juillet2002).

4. Qu’il s’agisse des rapports de l’Office parlementaired’évaluation des choix scientifiques et technologiquesou encore des commandes spécifiques comme l’étudesur les coûts de la filière nucléaire effectuée en 2000 parMM. Charpin, Dessus et Pellat.5. Dans le cas d’une série de dix tranches.6. Source DIDEME 2002.

Page 15: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

66

40 % pour les centrales fonctionnant aucharbon (voir illustration n°1). L’engagementnécessaire est donc de long terme, moinsrésistant de ce fait à toute remise en cause dela demande comme de la réglementation.

Par ailleurs, se pose également la questiondes charges de long terme liés à l’énergienucléaire, c’est-à-dire des coûts liés aux opé-rations de démantèlement et de gestion desdéchets radioactifs produits par l’exploita-tion des centrales ou les phases de décons-truction. Si ceux-ci sont intégrés dans les esti-mations de coût de production, l’attented’une solution techniquement et politique-ment validée d’élimination à long terme desdéchets laisse planer une incertitude sur lecoût global du kWh nucléaire.

Il semble possible d’apporter des réponses àces différentes sources d’incertitude defaçon à concilier harmonieusement libérali-sation, compétitivité, sûreté et sécurité desapprovisionnements.

La récente décision finlandaise montre qu’ilest possible en Europe de faire le choix dunucléaire et qu’une centrale neuve peut êtreconsidérée comme une bonne affaire dansune économie libéralisée.

Par ailleurs, la faible dépendance du kWhd’origine nucléaire par rapport au coût de lamatière première apporte un élément de sta-bilité appréciable pour un investisseur. Eneffet, le combustible nucléaire ne représenteque 20% des coûts (contre 60 à 75% pour le

gaz) et, dans le cas de la France, seuls 5 %dépendent de l’étranger (minerai d’uranium,situé du reste dans des pays diversifiés etmajoritairement stables).

Ces éléments donnent à penser que la déci-sion finlandaise ne doit pas être considéréecomme un événement isolé sans lendemain.Toutefois, de façon qu’elle puisse se repro-duire dans d’autres pays, notamment enFrance (dans le cadre du renouvellement duparc existant), certaines actions préalablesapparaissent nécessaires tant du côté despouvoirs publics que des industriels du sec-teur nucléaire.

L’action des pouvoirs publics doit conduire àinstaurer des règles dans le secteur libéralisé.

Face à l’augmentation prévisible de notretaux de dépendance énergétique, face auxproblématiques croissantes liées aux émis-sions de gaz à effet de serre, le Livre Vert dela Commission européenne prône le déve-loppement d’un mix énergétique équilibréoù le nucléaire et les énergies renouvelablesauraient toute leur place. Toutefois, de façonà mettre en œuvre une telle politique éner-gétique, il importe de contrecarrer les ten-dances naturelles « court-termistes » d’uneéconomie de marché et d’instaurer un cer-tain nombre de règles.

Dans ce contexte, la France a souhaité pré-server les moyens d’intervenir, si nécessaire,sur les capacités d’investissement de longterme ainsi que sur la sécurité des approvi-

0

5

10

15

20

25

30

35

40C

oûts

en

€/M

Wh

Charbon pulvérisé Cycle combiné Nucléaire

Comparaison des coûts de production

Combustible

Coûts proportionnels d’exploitation

Coûts fixes d’exploitation

Investissement

Page 16: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

67

sionnements. Ainsi, la loi du 10 février 2000prévoit qu’une programmation pluriannuel-le des investissements constituera la traduc-tion de la politique énergétique dans ledomaine de l’électricité. Les objectifs de cetteprogrammation sont de nature à garantir unéquilibre durable entre l’offre et la demandemais aussi à assurer une diversification suffi-sante des modes de production et le respectdes objectifs environnementaux.

De telles règles peuvent être également éta-blies à l’échelle européenne pour supprimerles effets anticoncurrentiels liés à des obliga-tions n’existant que dans un seul Etatmembre. En particulier, dans le domainenucléaire, les initiatives annoncées par Mme.de Palacio pourraient constituer un instru-ment utile. En effet, une réflexion commu-nautaire sur la sûreté devrait pouvoir condui-re à une certaine uniformisation du contexteréglementaire dans les différents pays, ce quine peut être qu’avantageux dans un contex-te libéralisé et dans un marché énergétiquede dimension désormais européenne. Parailleurs, la prise en compte au niveau euro-péen de la question du financement dudémantèlement des installations nucléaires,ainsi que de la mise en place d’une nécessai-re politique en matière de gestion desdéchets radioactifs, est nécessaire dans uncontexte libéralisé où le financement decharges futures et la recherche de long termepourraient être considérés comme secon-daires par les opérateurs.

Enfin, de façon plus générale, les modalitésconcrètes de régulation offrent une grandelatitude aux pouvoirs publics pour aménageret structurer l’espace libéralisé. Que cette

régulation soit technique ou économique,elle doit permettre de trouver un juste équi-libre entre les différents intérêts en cause. Acet égard, l’édiction de normes en matière desûreté et de radioprotection est un exempleparticulièrement illustratif. On comprend eneffet aisément que des normes excessive-ment contraignantes, dont le degré d’exi-gence pourrait être disproportionné par rap-port aux risques réellement pressentis,peuvent constituer, dans un contexte libérali-sé, un frein au développement d’une indus-trie comme le nucléaire. Arriver à conciliercompétitivité et sûreté repose donc avanttout sur la recherche d’un équilibre subtilentre la recherche d’une sûreté en voie deprogression permanente et la préservationd’un certain réalisme économique, où lesacteurs industriels ne sont pas étranglés parun surenchérissement de normes excessivesau regard des enjeux réels. Il s’agit donc depréserver un dialogue nourri entre les autori-tés régulatrices et les industriels exploitants,de façon que les évolutions normatrices puis-sent donner lieu à des analyses comparant lesavantages obtenus et les coûts engendrés. Ils’agit in fine simplement de donner une tra-duction concrète aux termes employés dansl’article introductif du code de l’environne-ment (L.110-1), dans lequel est défini le prin-cipe de précaution : « Le principe de précau-tion selon lequel l’absence de certitudes,compte tenu des connaissances scientifiqueset techniques du moment, ne doit pas retar-der l’adoption de mesures effectives et pro-portionnées visant à prévenir un risque dedommages graves et irréversibles à l’environ-nement à un coût économiquement accep-table. »

Page 17: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Parallèlement, le secteur nucléaire doit êtrecapable de répondre aux défis qui lui sontposés.

Dans un contexte marqué aujourd’hui parl’absence d’engagement de constructionsnouvelles, il convient en premier lieu desavoir conserver les acquis existants. Le main-tien des compétences n’est pas un objectiffacile à atteindre et nécessite la mise en placede véritables stratégies, non seulement vis-à-vis des entreprises concernées mais aussi vis-à-vis de leurs sous-traitants. Le maintien descompétences est nécessaire dans la phaseactuelle de maintenance et d’optimisationdes installations existantes, mais aussi dans laperspective de la construction de nouvellesunités. Cet objectif a notamment été retenudans le cadre des initiatives annoncées parMme de Palacio, où il est en particulier pro-posé que les Etats membres prennent lesmesures appropriées pour assurer le main-tien des compétences humaines dans les sec-teurs de la recherche et de l’expertise enmatière de sûreté nucléaire.

Au-delà de ce travail de « conservation », laprogression technologique doit être égale-ment activement recherchée. La mise enœuvre d’une politique de recherche et déve-loppement adaptée et ciblée, mettant enpremière ligne les préoccupations en matièrede sûreté, devrait en effet permettre d’ap-porter un certain nombre de réponses auxsources d’incertitude décrites plus haut.

En premier lieu, il s’agit de comprendre etd’anticiper les phénomènes liés au vieillisse-ment des installations, de façon à préparer,dans les meilleures conditions possibles, lesinstructions réglementaires qui conduiront àun allongement éventuel de la durée de viedes centrales. De tels programmes sontnotamment au cœur des activités de la mis-sion nucléaire du Commissariat à l’énergieatomique et ont été précisés dans le cadre ducontrat d’objectifs conclu entre ce dernier etl’Etat pour la période 2001-2004.

Au-delà de la gestion de la phase actuelled’exploitation, il convient de préparer lefutur en s’interrogeant sur la nature et letype des réacteurs qui pourront remplacerceux de la génération actuelle et s’imposercomme des investissements rentables dansun contexte libéralisé. En particulier, uneconception prenant en compte des critèrescomme la compétitivité et la sûreté doit per-

mettre d’aboutir à une installation robustepour laquelle les opérations de maintenanceet de jouvence seront optimisées et neconstitueront pas un obstacle à la rentabilitééconomique.

La recherche d’une telle optimisation anotamment été menée dans le cadre des tra-vaux de conception du réacteur EPR(European Pressurized water Reactor) pourlequel une sûreté accrue a été recherchée7,tout en obtenant un coût d’exploitation pré-visionnel inférieur aux réacteurs de la géné-ration actuelle. Ainsi, malgré un surcoût deconstruction prenant en compte les amélio-rations de conception, l’investissement estrentable grâce à des études poussées d’opti-misation des masses du génie civil et de la dis-position des systèmes. Les calculs écono-miques prévoient un coût de productionactualisé de l’ordre de 2,74c€/kWh, inférieurde 0,30 centime d’euro à ce qu’il serait dansune version améliorée du palier N4.

Par ailleurs, si le projet EPR a été mené dansle cadre d’une coopération franco-alleman-de, les concepts de sûreté sélectionnés n’ontpas résulté d’un simple empilement des exi-gences retenues dans les deux pays, mais ontété au contraire définis à l’issue d’une com-paraison systématique des méthodologiesappliquées par les deux partenaires, de façonà ne retenir que le meilleur concept et à nepas créer de redondances inutiles.

Dans une logique de plus long terme, des ini-tiatives internationales se sont récemmentdéveloppées (comme Generation IV sousl’égide des Etats-Unis ou INPRO sous l’égidede l’OCDE) pour contribuer à la conceptionet au développement des réacteurs du futurdont l’émergence pourrait se situer entre2030 et 20408. La motivation pour ces étudesest multiple et pourrait justifier un prix au

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

68

7. Le projet EPR prévoit en particulier (i) un quadruple-ment des circuits (contre un doublement dans les réac-teurs actuels), ce qui rend en outre possible une mainte-nance en cours d’exploitation et donc contribue àaugmenter la disponibilité ; (ii) une meilleure séparationphysique des bâtiments permettant d’isoler les diffé-rents trains des systèmes de sécurité ; (iii) des dispositionspermettant de réduire les risques liés à la fusion ducœur.

8. Les technologies envisagées sont multiples : réacteursà neutrons rapides, à haute température, avec gestionintégrée du cycle du combustible, usage de combustiblesréfractaires ou de cycles fondés sur des matièresnucléaires comme le thorium …

Page 18: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

69

kWh plus élevé. En particulier, peuvent êtrecités des objectifs comme la modularité (lesréacteurs de plus petites tailles pouvant jouerun rôle certain dans un marché libéralisé), lacompétitivité, la sûreté et la recherche d’uneutilisation rationnelle de l’énergie (enconsommant de manière plus efficace lamatière première). En particulier, par l’inter-médiaire de dispositifs reposant sur la notionde sûreté passive9, cette nouvelle générationde réacteurs devrait être plus robuste et doncpermettre l’optimisation de certains coûts deconception.

Enfin, les programmes de recherche doiventpermettre de résoudre les incertitudesactuelles liées à la gestion de l’aval du cycle.Il est évident que l’image d’une industrienucléaire responsable, fortement engagéedans les recherches concernant l’aval ducycle, sera propice à l’émergence d’une déci-sion consensuelle quant au renouveau duparc actuel. A cet égard, nous avons tous entête l’approche de l’examen parlementairede 2006 fixé par la loi et la nécessité, pour lesdifférents acteurs du secteur, de se préparer

pour être en mesure de présenter auParlement des solutions de gestion déci-dables.

Dans le cadre de cet article, j’ai essayé dedémontrer qu’énergie nucléaire et marchélibéralisé ne sont pas incompatibles et qu’op-poser sûreté et compétitivité conduit en faità un faux débat. Une politique rigoureuse etsoutenue en matière de sûreté nucléairepeut en effet constituer un important effetde levier au sens économique et conduire àdes gains importants dans le cadre de l’allon-gement de la durée de vie d’une installation.Par ailleurs, une conception optimisée per-met d’obtenir des réacteurs à la fois robusteset économiquement rentables.

J’ai toute confiance dans le fait que le secteurnucléaire français sera capable de relever lesnouveaux défis auxquels il est confronté etde trouver sa place dans un secteur écono-mique plus exigeant et plus sûr. Pour ce faire,il devra être accompagné dans ses efforts parune action importante des pouvoirs publicsvisant à introduire certaines règles dans lemarché libéralisé, à préserver la possibilitéd’investir dans le long terme et à définir desmodalités de régulation technique et écono-mique claires, si possible harmonisées àl’échelle européenne et justement propor-tionnées.

9. Les dispositifs dits de sûreté passive reposent sur desphénomènes naturels (comme la gravité, les mouve-ments de retour à l’équilibre …) et ne sont donc pas tri-butaires d’éventuels appareillages électriques ou élec-troniques susceptibles de subir une défaillance.

Page 19: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

70

Données économiques concernant EDFet les marchés de l’électricité

Objectif du contrat 2000 2001

Retour sur capital employé 10 % en 2003 7 % 5,7 %

Retour sur capitaux propres > 8 % en moyenne 8,4 % 6,2 %

Dette nette/capitaux propres < 1,25 en 2003 1,23 1,46

Excédent brut exploitation/charges financières >7.25 7,53 5,33

Ratios de rentabilité d’EDF : objectifs et réalisations

Sociétés Valeur nette comptable

Filiales (plus de 50 % du capital détenu)

Bert (Hongrie) 204

Demasz (Hongrie) 128

Easa (Argentine) 508

EDF UK (Grande-Bretagne) 2126

EDF Obstalkreis (Autriche) 281

ESTAG (Autriche) 326

Lidil (Brésil) 361

Skandenkraft (Suède) 159

Participations (10 à 50 % du capital détenu)

Edenor (Argentine) 326

EnBW (Allemagne) 3041

Graninge (Suède) 210

Light (Brésil) 440

Motor Columbus (Suisse) 156

Rybnik (Pologne) 128

Autres filiales et participations 967

Valeur des filiales et participations internationales d’EDF (en millions d’euros)

Production 25,4

Valeur ajoutée 17,4

Excédent brut d’exploitation 7,6

Résultat brut 1

Versement à l’Etat 0,4

Excédent affectable aux réserves 0,6

Compte de résultat prévisionnel d’EDF pour 2002 (extraits – en milliards d’euros)

(Source : projet de loi de finances pour 2003 – MINEFI)

Page 20: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

71

Données économiques concernant EDFet les marchés de l’électricité (suite)

Pays Part des grands clients Part des autres Degré d’ouvertureindustriels ayant changé clients ayant changé légal

de fournisseur de fournisseur

Suède 100 % 10-20 % 100 %

Royaume-Uni 80 % >30 % 100 %

Irlande 30 % / 30 %

Finlande 30 % 10-20 % 100 %

Allemagne 10-20 % < 5 % 100 %

Italie 10-20 % / 35 %

Pays-Bas 10-20 % / 33 %

France 5-10 % / 30 %

Belgique 5-10 % / 35 %

Espagne < 5 % / 54 %

Portugal < 5 % / 30 %

Luxembourg 0 % / 40 %

Grèce 0 % 34 %

Danemark / / 90 %

Taux d’ouverture des marchés en Europe

Page 21: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Le mouvement mondial d’ouverture à laconcurrence des marchés de l’électricité s’esttraduit au sein de la Communauté euro-péenne par une première directive imposantl’ouverture d’au moins 30 % des marchés –les plus gros consommateurs en fait. A termerelativement rapproché, cette ouverture à laconcurrence devrait être totale.

Une telle évolution n’est pas sans consé-quences : elle entraîne une compétitionaccrue entre électriciens, qui sont conduits àmieux coller aux désirs de la clientèle et àêtre de plus en plus compétitifs. Cela étant, ilconvient de rappeler que, lorsque EDF étaiten situation de monopole sur le marché fran-çais, elle était déjà soumise à la concurrencedu gaz et du fuel pour les usages thermiquesde l’électricité : elle a donc un certain vécu enla matière. La perte du monopole en Franceoblige l’électricien national, sous peine devoir s’effriter son chiffre d’affaires, à interna-tionaliser et élargir son activité et, partant, àouvrir son capital. L’entreprise se trouve doncsoumise à la double nécessité de séduire sesclients et les apporteurs de capitaux. Ainsi, lesmarchés vont apporter une mesure objectivede l’efficacité de l’entreprise.

Le défi pour EDF, dotée d’un parc électronu-cléaire qui assure près de 80 % de sa produc-tion, consiste à concilier l’impératif d’unesûreté nucléaire irréprochable et des effortsde compétitivité incontournables. Commenous allons le voir, un tel challenge est réali-sable mais il exige des efforts d’imaginationqui concernent l’organisation, lagestion/optimisation du parc de production,l’exploitation des tranches au quotidien etdans la durée, le management du combus-tible et la R&D.

Une nouvelle organisation du groupeEDF adaptée à l’ouverture des marchés

La nouvelle organisation du groupe EDF,mise en place début 2002, répond à deux

impératifs : intégrer la dimension internatio-nale du groupe et mettre en œuvre la dyna-mique des métiers du groupe au rythme del’ouverture du marché.

Cette organisation est basée sur le regroupe-ment en branches autour de synergies decompétences (Branches énergies, commerceet distribution pour les activités en France)ou de zone géographique (quatre Branchesgéographiques à l’international : Europe cen-trale, Europe de l’Ouest, Amériques, Asie-Pacifique). Les branches sont constituées dedivisions où sont regroupées les compé-tences ; elles ont accès au marchés ainsiqu’aux actifs nécessaires pour prendre posi-tion sur ce marché.

Plus particulièrement, la Branche énergies,qui est un producteur en concurrence sur lemarché de gros de l’électricité, a pour mis-sions:

– d’exploiter et valoriser le premier parc deproduction électrique européen (qui compte58 réacteurs nucléaires, 17 centrales ther-miques à flamme, 240 barrages et 13 fermeséoliennes), en recherchant en permanencel’excellence en matière de sûreté, de sécuritéet d’environnement, en cohérence avec lesobjectifs de performance du groupe EDF ;

– de développer et gérer le portefeuille d’ac-tifs d’approvisionnement énergétique ;

– de renforcer les compétences industriellesau service du développement du groupe EDF.

La Branche énergies gère, à différenteséchelles de temps, les risques associés à sadouble activité :

– celle d’exploitant, responsable des ques-tions de sûreté et d’environnement affé-rentes à l’exploitation quotidienne des sitesde production, ainsi que de la performanceéconomique à court terme de ses actifsindustriels dans un environnement concur-rentiel. Cette fonction est assurée, pour lescentrales nucléaires, par la Division de la pro-duction nucléaire, l’approvisionnement en

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

72

Sûreté nucléaire et compétitivité

par Bernard Roche, délégué aux affaires nucléaires – EDF Branche énergies

Page 22: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

combustible nucléaire et l’aval du cycle étantde la responsabilité de la Division des com-bustibles nucléaires ;

– celle de propriétaire-investisseur, respon-sable du développement et de la valorisationdurable de son patrimoine, en préservant lepotentiel des centrales existantes et en gar-dant ouvertes toutes les options énergé-tiques. Notons que c’est le marché qui fixeradans les faits la valeur patrimoniale de l’en-treprise : cela permet d’objectiver les déci-sions et de mesurer leurs conséquences.Cette mission relevant de la tête de brancheest, dans le cas du parc nucléaire, largementdéléguée à la Division de l’ingénierie nucléai-re.

La valorisation de ses actifs sur le marché degros européen de l’électricité passe par l’in-tégration des fonctions de trading et d’opti-misation, ainsi que par la mise en œuvre d’ac-tions visant à développer la fluidité de cemarché qui est encore loin d’être parfaite.C’est la responsabilité de la Division stratégie,valorisation, optimisation.

Un producteur de l’électricité exposéaux marchés: un risque ou une chance?

Le développement spectaculaire des marchésde gros en Europe a profondément boule-versé l’environnement d’EDF. La gestion glo-bale du parc de production nucléaire et clas-sique doit s’adapter et anticiper toutes cesévolutions. L’enjeu pour le parc électronu-cléaire est de réussir à conjuguer descontraintes techniques complexes, des exi-gences de sûreté impératives, avec desbesoins accrus de souplesse et de réactivité :car les aléas de températures et d’hydraulici-té que subit traditionnellement EDF sontdésormais doublés d’incertitudes fortes liéesà l’ouverture des marchés de gros. Les prix etles volumes accessibles, à l’achat comme à lavente, se caractérisent par une grande volati-lité qui accentue les risques de prendre demauvaises décisions, d’autant que les délaisde mise en œuvre des décisions dans la ges-tion nucléaire sont souvent de plusieurs mois,voire plusieurs années.

Comment, dans ce contexte complexe etplein d’incertitudes, continuer à optimiser lesressources de production ? Pour le respon-sable de l’optimisation du parc, la probabili-té de prendre la meilleure décision augmen-

te avec la qualité de l’information qu’ilreçoit : chaque contrainte, chaque exigenceréglementaire, devra être définie avec la plusgrande précision possible et il n’est pas decontrainte plus pénalisante qu’une contrain-te mal exprimée et mal anticipée. Ainsi,toute action inappropriée ou imprévue durégulateur entraînera pour l’électricien unesanction de la part du marché. L’exploitantnucléaire devra identifier toute la marge demanœuvre disponible : date butée exacte,conditions éventuelles de dérogation, sur-coûts éventuels… Mais, au final, c’est tou-jours l’exploitant du site qui valide les choixproposés par l’optimiseur et qui met enœuvre le programme.

L’information est source de valeur : celui quidétient l’information la plus riche et la plusfiable part avec un avantage considérable surses concurrents. Ainsi, le marché permet derévéler la valeur de l’information et de mesu-rer le coût de l’incertitude.

Le caractère crucial de la qualité de l’infor-mation est illustré à travers les différentesétapes de l’optimisation de l’exploitation duparc nucléaire. Celle-ci commence par desdécisions à longue échéance : c’est l’activitéde planification des arrêts pour recharge-ment et maintenance. L’étude technico-éco-nomique repose sur une estimation desconsommations d’électricité et prend déjà encompte les conditions prévisionnelles desmarchés de gros : prix et volumes. Le place-ment des arrêts s’organise donc complète-ment dans le cadre d’un marché ouvert surlequel EDF peut valoriser sa production excé-dentaire par des ventes, ou compléter ses res-sources de production par des achats. Toutau long du processus de décision, les sitesconservent leur prérogative de valider leschoix proposés.

Face à tous les risques d’évolution des condi-tions de marché (à quel prix s’échangeral’électricité sur les marchés de gros ? Quelsvolumes réussira-t-on à vendre ou à ache-ter ?), accrus par des volatilités très fortes,l’enjeu est d’apporter une réponse robuste àla plupart des aléas, c’est-à-dire satisfaisantedans la majorité des cas possibles. Pour aug-menter les combinaisons possibles du plan-ning général des arrêts de tranche des REP, etdonc augmenter les chances d’atteindre laréponse la mieux adaptée, il est essentiel dedisposer de la plus grande souplesse des cen-

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

73

Page 23: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

trales, et d’être capable de connaître trèsprécisément la nature des contraintes tech-niques pour mieux les prendre en compte.L’anticipation est le maître-mot : quelle quesoit la contrainte, l’important est de laconnaître longtemps à l’avance, et de ne passe tromper sur l’impact de cette contraintesur le fonctionnement de la tranche. La maî-trise de la durée des arrêts constitue aussi unatout tout aussi déterminant.

Au fur et à mesure que l’échéance de l’arrêtapproche, la connaissance des paramètresexternes s’affine (marchés, consommation,température, hydraulicité), mais dans lemême temps les principaux leviers d’actionsur les tranches nucléaires se figent : il esttrop tard pour changer les dates d’arrêt pro-grammées. L’optimisation se reporte alors surles conditions d’exploitation des tranches enmarche et, là encore, toutes les souplessessont créatrices de valeur : car elles permet-tent de construire des programmes de pro-duction les mieux adaptés aux situations ren-contrées. Programmation des essais,placement de la modulation pour économiede combustible en cours de campagne, ges-tion des limitations de puissance, toutes cesactivités de court terme sont elles aussi orga-nisées en adéquation avec les possibilitésoffertes par les marchés. Et, comme toujours,la fiabilité des informations (date exacte de

recouplage d’une tranche indisponible,risque de panne) augmente l’efficacité desdécisions et garantit la création de valeur.Jusqu’en infra-journalier des positions sontprises sur les marchés de gros et sont autantde sources importantes de gains, mais leserreurs d’appréciation peuvent se payer trèscher.

Face à cette nouvelle donne, marquée parune incertitude et une volatilité croissantedes paramètres, toute mesure génératrice deflexibilité mérite d’être explorée : la souples-se à long terme des gestions du combustiblepour moduler la longueur des campagnes, lapossibilité de concentrer les arrêts de trancheà certaines périodes, d’en modifier la dateavec des préavis courts, constituent quelquesexemples. A l’inverse, les rigidités prennentune plus grande importance : par exemple,les contraintes de combustible qui rendentnon manœuvrantes les tranches deCattenom pèsent lourd lorsqu’il s’agit de trai-ter les congestions du réseau internationald’interconnexion avec l’Allemagne ou laBelgique, et entraînent des surcoûts élevés.

L’ouverture des marchés oblige à recherchertoutes les ressources possibles sur le parc élec-tronucléaire, à interroger chaque contraintepour vérifier si elle ne peut pas s’accommo-der de souplesse, à vérifier si toutes les flexi-bilités sont exploitées, notamment dans lafaçon de mettre en œuvre le respect des exi-gences de sûreté.

A nouveau contexte, nouvelle incitationà l’excellence en matière de sûreté

Pour assurer un fonctionnement durable desinstallations, il faut à la fois faire preuve d’ex-cellence en matière de sûreté et être compé-titif sur le marché. Si ces deux exigences nesont pas remplies, la production d’électriciténucléaire sera rejetée à la fois par l’opinionpublique et les décideurs mais, surtout, parles clients.

L’expérience française, aussi bien que le« benchmarking » international, montre queles tranches les plus performantes au planéconomique le sont généralement au plande la sûreté. Aussi EDF continuera-t-elle detravailler sur les deux axes sûreté et compéti-tivité.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

74

Page 24: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Dans le cadre d’une production en situationde monopole, le prix de vente de l’électricitéest fixé par la puissance publique ; il en résul-te une annualisation budgétaire qui peut serévéler extrêmement contraignante auniveau des dépenses, sans possibilité demanœuvre. En marché dérégulé, ce quicompte essentiellement, c’est la marge déga-gée par le producteur et la création devaleur. Comme le marché permet une mesu-re objective de l’efficacité économique, sur lecourt et le moyen terme, on peut ainsi défi-nir de véritables priorités et donc progresser.Il en est ainsi de la priorisation des dépensesliées à la sûreté, pour autant qu’elles nesoient pas imprévisibles ou entachées d’in-certitude (ce que les marchés sanctionnentnégativement).

L’efficacité économique d’un producteur semesure autant à sa capacité d’avoir des cen-trales disponibles sur le réseau, notammentlorsque les prix sont élevés, qu’à sa capacitéde comprimer les coûts et d’améliorer la pro-ductivité.

Les gains de productivité passent bien sûr parla maîtrise des dépenses, et l’on peut obtenirrapidement des gains en réduisant de façondrastique les coûts dans des domainesn’ayant pas d’impact sur la sûreté : ainsi, lalogistique, les achats, le tertiaire administra-tif sont des domaines à explorer ; à titred’exemple, la logistique représente 7 % duprix de revient du kWh, alors que le combus-tible en représente 30 %.

Par ailleurs, un examen de la pertinence desopérations de maintenance préventive systé-matique vis-à-vis de la sûreté, de la disponi-bilité et des coûts s’appuyant sur le retourd’expérience de plus de 1000 années réac-teurs, de même que l’analyse fonctionnelledes systèmes, des causes et conséquences dedéfaillance, permet de mieux optimiser lamaintenance vis-à-vis de la sûreté, d’en adap-ter les modalités et les volumes et donc decontribuer à baisser les coûts. Cettedémarche dite « Optimisation de la mainte-nance par la fiabilité » peut être complétéepar la mise en œuvre d’une maintenancepréventive conditionnelle, démarche exi-geante qui nécessite la maîtrise de la sur-veillance, du contrôle, des mécanismes dedégradation et de leurs évolutions. Cesméthodologies avancées sont issues d’actionsde R&D.

Enfin, la programmation à bon escient de lamaintenance exceptionnelle qui consiste,dans le respect des exigences de sûreté, enune programmation économiquement etfinancièrement pertinente contribue égale-ment à la compétitivité du kWh nucléaire .

Au-delà de ces efforts nécessaires de produc-tivité, réalisés en toute transparence non seu-lement vis-à-vis de l’Autorité de sûreté maisaussi des partenaires sociaux, EDF s’inscritdans une logique d’amélioration de la dispo-nibilité des tranches et du placement desarrêts pour maintenance avec une optiquede meilleure valorisation du parc de produc-tion . Il s’agit ici de conjuguer à la fois la per-formance de disponibilité du parc de produc-tion et l’amélioration du coefficientd’utilisation de ce potentiel.

C’est ainsi que des efforts sont déployés pourl’organisation et le management des arrêts,l’anticipation et le traitement réactif desaléas et des risques d’avarie. Les actions debenchmarking montrent que les durées denos arrêts s’écartent progressivement desdurées cibles et des standards internatio-naux. Une analyse conjointe des contraintesréglementaires et des programmes de tra-vaux devrait conduire à proposer prochaine-ment à l’Autorité de sûreté des dispositionsargumentées permettant d’optimiser les pro-grammes de contrôles et travaux réalisésdurant les arrêts de tranche.

Enfin, le fonctionnement durable des instal-lations dépend du maintien dans la duréed’un très bon niveau de sûreté ; cet objectifrepose d’une part sur la recherche perma-nente de réelles améliorations de la sûreté,et d’autre part sur la réalisation de modifica-tions qui non seulement répondent à desévolutions des exigences de sûreté maisconstituent aussi un investissement pourl’avenir avec un bon rapport coût/efficacité.A long terme, la prolongation de la durée devie des centrales dont la possibilité est trèsliée à leur niveau de sûreté est tout naturel-lement un moyen efficace d’améliorer la per-formance du parc de production : une fois lesinvestissements amortis, le producteur voitaugmenter sa marge et peut faire bénéficierses clients d’un kWh au coût réduit.

Le mode commun de toutes les considéra-tions précédentes est une préoccupation derecherche constante de progrès et de quali-té ; ainsi, l’exploitant nucléaire responsable

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

75

Page 25: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

ne se satisfait jamais de ses résultats enmatière de sûreté, même si ceux-ci sont déjàbons. L’expérience internationale a montréqu’une approche se fondant sur la qualité estle moteur de bons résultats d’ensemble ensûreté, radioprotection, environnement, dis-ponibilité et coûts de production.

Dans un tel contexte, outre l’implication desacteurs, associée à un système de contrôleefficace et à la présence du management surle terrain, l’obtention de la performancepasse également par l’établissement d’undialogue constructif entre tous les protago-nistes conscients du fait qu’un parc de pro-duction nucléaire compétitif et rentable a debien meilleures chances de disposer des res-sources nécessaires pour améliorer en per-manence son niveau de sûreté.

Un premier exemple d’accroissement simultané de la sûreté et de la compétitivité : l’augmentation des performances du combustible

L’arrivée à maturité industrielle d’assem-blages combustibles à performances accruesouvre de nouvelles perspectives en matièrede compétitivité pour la décennie à venir. Enparticulier, l’augmentation des taux de com-bustion permet d’envisager des évolutionsde la gestion du combustible des différentspaliers, de façon à obtenir simultanémentune réduction des dépenses d’exploitationdu parc de production, un allongement de ladurée des campagnes, une meilleure réactivi-té du parc nucléaire aux demandes du mar-ché et aux aléas, ainsi qu’une diminution sen-sible du volume global de combustibles usésà gérer sur l’aval du cycle. De même, la stra-tégie de diversification des fournitures decombustible nucléaire mise en œuvre parEDF s’inscrit dans une recherche de compéti-tivité accrue de la production nucléaire.

Ces évolutions progressives ne peuvent seconcevoir que dans le respect des exigencesde sûreté, qui portent à la fois sur le compor-tement des assemblages, sur leur tenue dansle temps vis-à-vis des sollicitations en service,et sur les critères mécaniques et thermohy-drauliques en situations normales, inciden-telles et accidentelles.

Les évolutions en matière de combustiblesdepuis 10 ans ont permis d’augmenter lestaux d’irradiation moyens de 33 GWj/t à 45

GWj/t. Les combustibles UO2 utilisés aujour-d’hui sont autorisés jusqu’à 52 GWj/t (moyen-ne assemblage), avec un taux d’irradiationmoyen de 45 à 48 GWj/t pour les gestionsactuelles : Garance sur le CPY (3,7 % parquart), Cyclades sur le CP0 (4,2% par tiers decœur, 18 mois), Gemmes sur le 1300MW (4%par tiers de cœur, 18 mois).

Les progrès des connaissances apportés par leretour d’expérience national et internatio-nal, les résultats des actions de R&D et lesprogrammes expérimentaux engagés depuisplusieurs années, permettent d’envisager desperformances améliorées vis-à-vis des critèresde sûreté et de fonctionnement en réacteur.Les progrès sur les produits combustibles pro-posés par les fournisseurs portent sur la pas-tille, le gainage (moindre corrosion), la tenuede la structure et les performances thermo-hydrauliques. A titre d’exemple, le retourd’expérience sur le palier 1300 MW conduit àune évolution significative de la conceptionpour remédier au phénomène d’usure parfrottement constaté en partie basse desassemblages.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

76

Assemblage de combustible

Page 26: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

De même, la prise en compte de nouvellesméthodologies de calcul (3D, couplage ther-mohydraulique et neutronique…) permetaussi de mieux évaluer les phénomènes, lesincertitudes et les marges mécaniques etthermohydrauliques. Ces évolutions sontporteuses de marges supplémentaires vis-à-vis des critères de sûreté et permettent d’en-gager une démarche d’ensemble sur les ges-tions à mettre en oeuvre avec desenrichissements et des taux d’irradiationaccrus, afin de renforcer la compétitivité dela production nucléaire. Leur mise en œuvrepasse bien entendu par des dossiers de quali-fication et de démonstration de sûreté et, àce titre, l’exigence de sûreté constitue unmoteur de progrès et d’innovation.

L’importance des enjeux économiques asso-ciés, dans le contexte d’ouverture du marchéde l’électricité, conduit donc à faire évoluerles gestions de combustible lorsque les pro-grès le permettent et de manière ordonnée,de façon à maîtriser l’ensemble des enjeux,et en particulier la sûreté, avec pour princi-paux objectifs :

– l’amélioration de la compétitivité desmoyens de production : économie en com-bustible nucléaire, en particulier au traversdu choix du fractionnement des recharges, etoptimisation du système de production etdes longueurs de campagne des paliers 900et 1300 MW, prenant en compte la saisonna-lité de la demande d’électricité ;

– l’allongement de la durée des campagnes :la réduction de la fréquence des arrêts per-met une réduction des coûts et une meilleu-re disponibilité et peut avoir une incidencefavorable sur la sûreté et la radioprotection ;

– la flexibilité des durées de campagne duparc nucléaire associée à la flexibilité dunombre d’assemblages neufs par recharge àgestion donnée, pour augmenter la réactivi-té du parc nucléaire vis-à-vis du marché del’électricité et améliorer le placement desarrêts de tranche ;

– l’aval du cycle du combustible et la mise enœuvre d’une politique d’équilibre des flux : àproduction donnée, l’augmentation du tauxd’irradiation moyen entraîne une réductionde la quantité de matière combustible néces-saire et du nombre d’assemblages usés àgérer sur l’aval. Ainsi, dans le cadre de la poli-tique de retraitement avec mono-recyclage

du plutonium menée par EDF, il est possiblede stabiliser globalement les quantités d’as-semblages usés entreposés dans les piscinesde refroidissement, moyennant des adapta-tions éventuelles si besoin (étude des possibi-lités de rerackage).

En parallèle, la mise en oeuvre de la paritéMOX, avec une teneur en plutonium accrueet un rendement énergétique amélioré, s’ins-crit dans le cadre de la stratégie d’adéqua-tion des flux.

Par ailleurs, l’accroissement des perfor-mances des combustibles doit s’accompagnerd’un examen de l’impact sur le cycle afin devérifier que leur mise en œuvre reste cohé-rente avec les possibilités des installations(enrichissement, fabrication, transportsamont et aval, entreposages, retraitabili-té…), en particulier sous les aspects sûreté,radioprotection et rejets, en tenant comptedes perspectives ouvertes par les industrielsdu cycle, et que les autorisations administra-tives permettront le moment venu leur miseen oeuvre. Cet examen a été engagé par EDFavec les industriels du cycle, dans le cadred’une demande de l’Autorité de sûreté.

La démarche engagée devrait ainsi conduireà une pénétration industrielle progressive decombustibles avancés, en cohérence avec lesévolutions mises en oeuvre au plan interna-tional.

Dans un premier temps, trois projets d’évolu-tion ont été définis :

– le projet Parité MOX, qui vise à accroître letaux de combustion du combustible MOX (48GWj/t en moyenne pour 38 aujourd’hui)pour assurer l’équivalence énergétique avecle combustible UO2 sur le palier CPY et, grâceà l’augmentation de la teneur en plutoniumtotal (de 7% aujourd’hui à 8,6%), permettrel’équilibre des flux de plutonium séparé. Lamise en œuvre en est prévue pour les années2005/2006 ;

– le projet Galice sur le palier 1300 MW à par-tir de 2006, qui prévoit un accroissement del’enrichissement de 4 % à 4,5 % et permetune gestion optimisée en termes de lon-gueur de cycle et d’économie de matièrecombustible, avec un taux de combustionmoyen d’environ 53 GWj/t et maximal de 60à 62 GWj/t ;

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

77

Page 27: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

– le projet Alcade sur le palier N4 à partir de2007, qui prévoit un accroissement de l’enri-chissement de 3,4 % à 4,2 %, avec une lon-gueur de cycle passant de 11 mois à 18 mois.

Dans un deuxième temps, d’autres dévelop-pements sont prévus à partir de 2008/2010sur le 900 MW (enrichissement 4,5 %) et surle 1300 MW (enrichissement 4,95 % et tauxde combustion maximal 65 à 70 GWj/t).

L’introduction de ces gestions plus perfor-mantes s’inscrit de manière ordonnée dans laprogrammation des études liées aux réexa-mens de sûreté des paliers, pour intégrer lesprogrès techniques dans les études de sûretéet préparer les dossiers de demande d’auto-risation transmis à l’Autorité de sûreténucléaire.

Ces évolutions sous-entendent que les pro-grès techniques associés à l’augmentationdes performances apportent aussi un renfor-cement de la fiabilité des combustibles grâceà l’accroissement des connaissances qu’ap-porte le retour d’expérience de leur compor-tement en réacteur, en France et à l’interna-tional.

En conclusion, l’ensemble de cette démarcheambitieuse vise ainsi à permettre une évolu-tion ordonnée porteuse de progrès en matiè-re de compétitivité et de bonne gestion del’aval du cycle du combustible et des déchets,tout en garantissant le respect des marges desûreté. Pour concilier ces deux objectifs, cesévolutions s’appuient sur le retour d’expé-rience, le progrès des connaissances, desméthodes de calcul et des produits indus-triels, tout en nourrissant le développementdes innovations nécessaires.

Un deuxième exemple de progrès: les besoins et défis en R&D nucléaire liésà l’ouverture des marchés.

Compte tenu des évolutions récentes sur lesmarchés de l’électricité, on pourrait penserqu’EDF vient juste de lancer un programmede R&D visant à accroître la compétitivité. Enfait, la R&D nucléaire d’EDF se caractérisedepuis longtemps par une double motiva-tion : améliorer à la fois sûreté et compétiti-vité ou plutôt sûreté et technologie (au senslarge), cette dernière étant porteuse d’évolu-tion favorable à terme en termes de coûts.

La R&D liée au combustible nucléaire, qui faitappel à des moyens lourds tels que les réac-teurs de recherche, illustre bien cet aspect : larecherche de nouveaux matériaux ou denouvelles compositions des pastilles de com-bustible, associée à la caractérisation de leursperformances et de leurs limites, nourritensuite les deux objectifs précités.

Autre exemple , la R&D en matière de radio-protection et d’environnement qui se déve-loppe selon deux axes : réduire les nuisancesà leur origine (termes sources, diminutiondes rejets…) mais aussi évaluer leur véritableimpact sanitaire pour ne pas s’enfermer dansla facilité d’exigences inutilement contrai-gnantes. Le premier axe est dans la continui-té ; en revanche le second pourrait ou devraitse renforcer avec l’objectif de compétitivitémais aussi pour être à armes égales avecd’autres producteurs ou d’autres énergies.

De ce point de vue, il apparaît donc que l’onse situe dans une continuité de préoccupa-tion qui ne conduit pas à réorienter de façonmajeure l’essentiel de la R&D.

La pression concurrentielle accrue pousse àréduire les dépenses de recherche et à définirde nouveaux axes de travail.

Une décroissance certaine des dépenses derecherche a été amorcée, mais une approcheinnovante combinant à la fois partenariatsfrançais et internationaux et la généralisa-tion du management par projets ont permisd’accompagner cette baisse de financementpar une meilleure efficacité.

Comme on l’a vu précédemment, l’ouverturedes marchés conduit à des différences d’atti-tude ou de comportement quant à l’utilisa-tion des moyens de production : ainsi lebesoin de flexibilité accrue est incontour-nable. La R&D relative au combustible et àl’utilisation du combustible dans la chaudièredevra intégrer cette préoccupation : flexibili-té des longueurs des campagnes, flexibilitédu nombre d’assemblages rechargés, flexibi-lité sur les durées d’arrêts. Dans ce domaine,on sollicite donc la R&D pour développer denouveaux outils de calcul, de nouvellesméthodologies et méthodes, et l’on assiste àun effort important pour découvrir de nou-velles marges. Afin de concilier flexibilité etsûreté, des outils d’analyse de risque « enligne » susceptibles de se substituer à unensemble de règles ou de spécifications pré-

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

78

Page 28: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

déterminées et donc trop souvent très (trop)rigides devraient pouvoir répondre à cettepréoccupation. C’est un beau challenge pourla R&D.

Autre défi, dans un autre ordre d’idées,auquel sera confrontée la R&D en général : lefinancement et/ou le donneur d’ordre decette R&D. Autant, pour une part de celleévoquée ci-dessus, le ou l’un des donneursd’ordre peut légitimement rester EDF,autant, pour la part de la R&D la plus prochede la technologie, les règles de concurrenced’une part, et une répartition efficace desrôles des différents acteurs industriels d’autrepart, conduisent à ce que le financement soitmoins porté par les producteurs d’électricitéet plus par les vendeurs de matériel et/oul’Etat.

Conclusion générale : sûreté et compétitivité, un même combat

L’ouverture à la concurrence des marchés del’électricité et la compétition entre électri-ciens qui en résulte nécessitent un réexamen

en profondeur des méthodes de travail, desattitudes, etc., et en ce sens elles sont por-teuses de progrès. Le producteur voit sonefficacité économique et industrielle mesu-rée et objectivée par le marché, ce qui per-met des choix pertinents.

Il est tout à fait possible de concilier perfor-mance économique et niveau élevé de sûre-té nucléaire pour autant que les contraintesréglementaires puissent être anticipées,soient prédictibles et imprégnées de l’ap-proche coût/bénéfice. Les progrès technolo-giques et les efforts d’innovation jouent unrôle moteur pour concilier de façon perma-nente les objectifs de sûreté et la performan-ce économique : ils permettent d’inventer denouvelles souplesses et flexibilités de traite-ment des aléas qui sont la vraie façon de pré-server et d’augmenter les marges de sûreté.C’est le cas par exemple des nouveaux com-bustibles. On peut alors avoir une sûreté quise nourrit de ressources dégagées par unecompétitivité accrue et qui seule assurera enretour le maintien de l’option nucléaireouverte.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

79

Page 29: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

80

Améliorer les performances de Sizewell Bpar Hubert Bourel de La Roncière – Framatome ANP

La dérégulation du marché de l’énergie en Grande-Bretagne contraint British Energy (BE) àréduire les coûts de Sizewell B tout en augmentant sa productivité et sa fiabilité. La sûreté estla priorité n°1 de BE.

Cet objectif ambitieux suppose des changements importants, notamment dans le choix de sesprestataires de maintenance. De sept, BE est passé à deux prestataires (FMA Services etAlstom pour les turbines), réduisant ainsi le nombre d’interfaces et établissant de véritablesrelations de partenariat.

En octobre 2001, BE et FMA Services, un consortium conduit par Framatome ANP avec Alstecet Mitsui Babcock, signent une charte de partenariat à long terme comprenant toutes les opé-rations liées au rechargement et à la maintenance ainsi que la surveillance de la radioprotec-tion pour 5 à 9 cycles d’exploitation de Sizewell B.

Ce nouveau type d’alliance est un accord «gagnant-gagnant » transparent sur les coûts, équi-table sur le partage des risques et des bénéfices, et doté d’incitations pour atteindre les objec-tifs de la centrale et améliorer ses performances.

Les objectifs retenus pour le premier arrêt réalisé en mai 2002 ont été dépassés dans le domai-ne de la sûreté, de la sécurité et de la durée d’arrêt de tranche :

– 30 jours d’arrêt contre les 35 prévus, soit un gain de 16 jours par rapport aux meilleures per-formances de la centrale ;

– une dose collective reçue de 250 mSv contre un objectif total de 400 mSv pour l’ensemblede l’arrêt.

Page 30: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Introduction

Au Royaume-Uni, l’électricité des centralesnucléaires a été fournie au réseau nationalpour la première fois en 1956. En 1960, leGouvernement a établi l’Inspection des ins-tallations nucléaires (NII) en tant qu’Autoritéde sûreté nationale. Depuis cette époque,des changements significatifs sont intervenusdans l’industrie nucléaire du Royaume-Uni etle rythme des changements ne montre aucunsigne de décélération. Le style de régulationde NII a dû s’adapter au fil des ans pour assu-rer que la sûreté était maintenue et en tantque de besoin améliorée dans un monde enévolution. L’approche de NII a été d’êtreproactive dans ses relations avec leGouvernement et les régulateurs du marché,de développer de nouvelles compétencespour s’équiper pour les défis réglementairesrésultant des évolutions, de s’efforcer d’amé-liorer son efficience et son efficacité pourréduire le fardeau réglementaire pesant surles opérateurs et de développer de nouvellesapproches pour le contrôle des changementsdans les organisations et modes de travaildes opérateurs. Il est important de noter quenous avons découvert qu’il était essentield’anticiper les changements plutôt que deréagir après coup.

D’un service public à une entreprisecompétitive

Le programme nucléaire britannique a com-mencé avec les premiers réacteurs électronu-cléaires du monde, à Calder Hall etChapelcross. Les huit réacteurs nucléaires deCalder Hall et Chapelcross étaient des réac-teurs militaires et leur production électriqueétait d’importance secondaire. Cependant, leGouvernement a fondé la conception duprogramme de réacteurs « Magnox» de pre-mière génération sur ces réacteurs refroidisau gaz parce que le Royaume-Uni n’avait pas

accès à assez d’uranium enrichi pour envisa-ger des réacteurs à eau. Au début, il y a euplusieurs entreprises de conception et deconstruction nucléaire, qui étaient desconsortiums de grandes compagnies d’ingé-nierie britanniques. Les centrales étaient pos-sédées et exploitées par deux grands servicespublics de l’électricité intégrés et possédéspar l’Etat, disposant de vastes ressourcesscientifiques et d’ingénierie pour en supervi-ser la conception la construction et l’exploi-tation, et étaient soutenues par l’Autorité del’énergie atomique du Royaume-Uni(UKAEA), une agence gouvernementalepour la recherche et le soutien à l’industrienucléaire.

Centrale de Hunterson qui se compose de deux unités Magnox etdeux unités AGR – Royaume-Uni

La privatisation des services publics de l’élec-tricité et la création de compagnies de pro-duction d’électricité nucléaire séparées, bienque toujours possédées par l’Etat, ont eu lieuen 1989. Les centrales nucléaires les plusmodernes, les réacteurs avancés refroidis augaz (AGR) et le réacteur à eau sous pression

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

81

La régulation de la sûreté nucléairedans un marché électrique compétitif

par Laurence Williams, inspecteur en chef de Sa Majesté pour les installations nucléaires (Royaume-Uni)

Page 31: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

de Sizewell B, ont été privatisées en 19961.Les réacteurs Magnox, plus anciens, sont res-tés dans le secteur public et ont été par lasuite intégrés à British Nuclear Fuels (BNFL).D’autres portions de l’industrie ont aussi vudes changements, qui ont eu naturellementdes implications pour le contrôle de la sûreténucléaire. L’UKAEA a été divisée, et le noyaude son expertise scientifique a été vendu àdes entreprises privées ; sa mission est main-tenant de déconstruire ses sites et de lesmettre en sécurité pour les générationsfutures. Les chantiers navals royaux deRosyth et Devonport, qui ont été soumis àautorisation depuis 1987 en tant qu’atelierspossédés par l’Etat mais exploités commer-cialement de rechargement de combustiblesde sous-marins, ont maintenant été autorisésen tant que compagnies privées qui possè-dent les sites. La gestion des installations de fabrication d’armes atomiques àAldermaston et Burghfield a été de mêmecontractualisée et placée sous le régime d’au-torisation de NII.

En cette période de changement sans précé-dent, nous avons vu la fragmentation d’uneindustrie nucléaire centralisée et la créationd’opérateurs avec peu de synergies commer-ciales ou autres en commun. L’expansion puisle déclin de la recherche en sûreté nucléaireont laissé la Grande-Bretagne avec un certainnombre de sites de recherche nucléairevieillissants. Une grande variété d’installa-tions de recherche, incluant des réacteurs àneutrons rapides, des usines du cycle du com-bustible et certains des réacteurs Magnox depremière génération, sont en cours dedémantèlement. Les déchets radioactifs, quise sont accumulés pendant de nombreusesannées, doivent maintenant être traités etentreposés dans un état de sûreté passive enattendant la révision par le Gouvernementde la gestion des déchets radioactifs.

Certains diraient que l’industrie de la pro-duction d’électricité nucléaire est mainte-nant une industrie de production ayantatteint sa maturité plutôt qu’à la recherched’avancées et de développement technolo-gique. Mais aucune nouvelle centrale n’a été commandée depuis 15 ans, l’expertisedécroît, et la vaste base technologique qui

étayait le programme nucléaire a été signifi-cativement réduite. L’impact de l’introduc-tion d’un marché électrique compétitif a étéimportant. Les pressions commerciales ontpoussé tous les producteurs d’électricité, ycompris les producteurs nucléaires, à recher-cher la réduction des coûts et la rationalisa-tion. Les restructurations, les fusions, les divi-sions, la réduction des compétences et laréduction du personnel font toutes partie dumonde commercial et les producteursnucléaires et leurs fournisseurs ont eu à s’yadapter.

Il y a douze ans, les producteurs d’électriciténucléaire pouvaient être vus comme desorganisations monolithiques de servicepublic dotées de ressources importantes quiavaient le luxe de pouvoir adopter une visionessentiellement de long terme. Aujourd’hui,ce sont des compagnies commerciales amai-gries en concurrence sur un marché où lavision à court terme domine.

L’impact du changement

Le défi pour l’industrie nucléaire a été dedémontrer qu’un bon management amélio-re les performances à la fois commerciales etde sûreté. A HSE2 nous pensons qu’unebonne sûreté est une bonne affaire et que lasûreté et la performance commerciale sontdes objectifs complémentaires et non séparésou opposés. L’industrie changeant, nousavons dû nous adapter. Nous ne pouvionscontinuer à être une organisation stable etconservatrice, nous avons dû devenir plusproactifs et prédictifs, essayant de com-prendre et d’anticiper les développements.De plus, nous avons eu à développer noscompétences pour influencer les facteurs quise situent derrière les changements. La pres-sion d’un marché compétitif a amené nosopérateurs à s’intéresser de plus près et defaçon plus interrogative à nos actions régle-mentaires. Ils se sont concentrés sur ce qu’ilsperçoivent comme des fardeaux réglemen-taires « inutiles » et ont demandé des pro-cessus réglementaires plus efficaces et effi-cients.

L’impact des douze dernières années à NII aété considérable. En tant que régulateur

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

82

1. NDT : Pour former British Energy (10 AGR et le réac-teur de Sizewell B) et Scottish Nuclear (4 AGR), par lasuite intégré à British Energy.

2. NDT : Autorité de contrôle pour la santé et la sécuri-té, dont NII fait partie.

Page 32: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

pour la sûreté nucléaire, j’ai réalisé que nousdevions continuer à faire respecter la loi et àfournir l’assurance que la sûreté nucléaireétait maintenue. Cependant, nous avons dûle faire sans mettre des embûches inutiles surla route de pratiques d’entreprise légitimes.Nous avons donc dû nous assurer que nosactions réglementaires étaient proportion-nées aux demandes d’un monde en muta-tion. Nous avons dû reconnaître que nosexploitants développent de nouvelles façonsde faire et les y autoriser, sous réserve qu’ilsmontrent que les nouveaux procédés amélio-raient ou au moins ne dégradaient pas lasûreté. On pourrait arguer que cela n’a riende nouveau et que les régulateurs ont tou-jours eu à changer et à se développer.Cependant, le problème aujourd’hui est celuid’une pression accrue, d’une vitesse de chan-gement plus élevée et d’un flux important dechangements simultanés. L’exigence decontrôler des entreprises commerciales pri-vées a amené à des demandes plus fortesd’ouverture et de transparence dans lesprises de décision réglementaires. Nous yavons répondu en publiant plus d’informa-tion sur nos prises de décision et en expli-quant les décisions importantes dans desdocuments publics.

Le défi pour la sûreté

Sur le marché concurrentiel, l’objectif estd’obtenir une production fiable maximaledes centrales électriques. Nos exploitants ontregardé de près aussi bien la fiabilité des cen-trales que les marges d’exploitation (quiincluent les marges de sûreté) pour recher-cher la production maximale. Ils ont aussiconsidéré des changements de maintenanceou d’ingénierie. Bien que des changementspuissent amener des améliorations, ils peu-vent avoir l’effet inverse d’une fiabilité etd’une disponibilité dégradées si ces initiativessont mal traitées. C’est pourquoi nous avonsdû être actifs vis-à-vis de ces changements et,bien que depuis de nombreuses années NIIdisposât de conditions d’autorisation lui don-nant un contrôle réglementaire entre autressur l’exploitation, la maintenance, les modifi-cations et les réexamens périodiques (duvieillissement des installations), nous avonsdû nous assurer que nos méthodologies decontrôle et nos critères pour garantir la sûre-

té étaient toujours appropriés et capables desatisfaire à ces nouvelles demandes.

Comme je l’ai mentionné, l’industrie nucléai-re du Royaume-Uni a subi un changementorganisationnel considérable qui a déclenchéla nécessité de revoir les autorisations dessites et des entreprises. Le nombre d’autori-sations traitées par NII ces dernières années aconsidérablement augmenté. En plus desrenouvellements d’autorisation, des change-ments moins substantiels de la gestion et del’organisation se sont produits avec une fré-quence accrue. Ces changements ont résultépar exemple de réductions de personnel, del’utilisation de prestataires, de l’introductiond’une polyvalence métiers, et du souhait d’al-ler vers des quarts moins nombreux et pluslongs. Tous ces changements peuvent, s’ilssont mal gérés, avoir un impact négatif sur lasûreté et nous avons donc dû développer denouveaux processus réglementaires. Cetteexigence de contrôler des sujets « mous »signifiait que nous devions recruter de nou-veaux types d’inspecteurs.

Nous avons conclu que la concentration desexploitants sur des sujets comme la perfor-mance économique, la réduction de person-nel et l’utilisation de sous-traitants pouvaitentre autres amener à la saturation, à l’incer-titude, à des communications dégradées et àdes responsabilités floues. Nous avons égale-ment conclu que, dans les premières annéessuivant les grands changements de l’industrieélectrique, il y avait une tendance à perdre lepersonnel âgé lors des réductions de person-nel par anticipation des départs à la retraite.La conséquence en a été une perte dispro-portionnée d’expertise et de compétences.

L’impact du marché concurrentiel s’est aussifait sentir dans la recherche nucléaire. Lesexploitants remettent en question le besoinde financer une recherche nucléaire qui n’estpas perçue comme directement liée à l’activi-té principale. Cela a fait l’effet d’un coup à lacommunauté scientifique et contribue audéclin global de l’expertise nucléaire. A NII,nous reconnaissons le besoin de l’exploitantde pouvoir traiter de manière adéquate lesproblèmes de sûreté, et nous avons cherchéet obtenu des pouvoirs pour forcer les exploi-tants à financer et mener la recherche néces-saire en sûreté nucléaire.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

83

Page 33: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Action de contrôle

La restructuration de l’industrie nucléaireaprès le démantèlement de l’établissementcentral de production d’électricité a causéune réduction considérable des capacitéstechniques internes. Cela a mené à une utili-sation accrue de prestataires pour réaliserdes tâches précédemment dévolues auxexploitants. Nous nous sommes inquiétés dela dépendance croissante envers les sous-trai-tants et de l’impact que cela avait sur la capa-cité des exploitants à comprendre les impli-cations pour la sûreté nucléaire de ce quefaisaient les prestataires. Nous n’avions pasd’objection à l’emploi de prestataires maisnous avons exigé que l’exploitant gère sesprestataires, de manière appropriée. Cettepréoccupation a mené NII à développer leconcept du « client intelligent ». Nous avonsexigé, comme base pour détenir l’autorisa-tion d’un site nucléaire, que l’exploitantconserve une expertise technique suffisantenon seulement pour spécifier ce qui estrequis du prestataire, mais aussi pour com-prendre sa réponse.

La stratégie de NII pour traiter le change-ment a été de s’assurer que les changementsétaient examinés suffisamment du point devue de leur impact sur la sûreté avant que leschangements ne soient réalisés, et que seulsles changements qui améliorent ou main-tiennent la sûreté étaient mis en œuvre.Après la création d’un marché électriqueconcurrentiel, NII n’a pas porté beaucoupd’attention aux réductions de personnel etaux restructurations de l’industrie, si ce n’estpour s’assurer que les exploitants restaientcapables de respecter leurs autorisations desites nucléaires. Cependant, les réductions depersonnel du début des années 1990 ontamené NII à s’inquiéter et à exiger des exploi-tants l’introduction de dispositions pour exa-miner l’impact sur la sûreté de tous les chan-gements. Ces dispositions étaient à l’originevolontaires, sans intervention de NII.Cependant, à fin 1998, il devenait de plus enplus clair que les dispositions volontaires degestion du changement des exploitants nefonctionnaient pas.

Il devenait clair que la gestion effective duchangement dans l’industrie nucléaire étaitessentielle pour assurer la sûreté. C’est pour-quoi, en juin 1999, nous avons décidé d’in-troduire une nouvelle condition d’autorisa-

tion (LC 36) pour demander aux exploitantsde définir et de mettre en œuvre des disposi-tions de gestion du changement dans leurstructure organisationnelle et leurs res-sources susceptibles d’affecter la sûreté. La LC36 donne aussi à NII la faculté d’intervenirpour garantir que des changements impor-tants nécessitent notre accord avant d’êtremis en œuvre et pour, si nécessaire dans l’in-térêt de la sûreté, interrompre des change-ments. Cette nouvelle condition d’autorisa-tion est la première à être ajoutée depuisque l’autorisation type a été introduite en1990, et cela reflète l’importance attachée àcette lacune dans nos pouvoirs de contrôle.Nous attendons des exploitants qu’ils noussoumettent leurs dispositions pour les chan-gements d’organisation et de ressources, ycompris les niveaux d’effectifs et l’utilisationdu personnel (par exemple à travers les chan-gements des quarts). Ces dispositions cou-vrent les changements mis en œuvre nonseulement sur les centrales mais aussi ausiège social.

L’introduction de ces nouveaux pouvoirspour combler la lacune relevée dans lecontrôle de l’industrie nucléaire dans un mar-ché électrique concurrentiel a demandé à NIId’acquérir de nouvelles connaissances. Nousavons conclu que nous avions besoin de com-pétences pour nous permettre de com-prendre les organisations, la finance, le droitcommercial et les questions plus « molles »du management de la sûreté, de la culturede sûreté, etc. NII a aussi dû devenir plus effi-cace et efficiente, et nous recherchons une

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

84

Page 34: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

amélioration permanente par l’utilisation dumodèle d’excellence d’entreprise de laFondation européenne de la qualité. Nousavons aussi reconnu le besoin d’être plusflexibles dans l’utilisation de nos ressourcesplutôt que d’avoir une structure organisa-tionnelle rigide.

Conclusions

L’introduction du marché électrique concur-rentiel au Royaume-Uni a eu un effet signifi-catif à la fois sur l’industrie nucléaire et surNII. Nous avons dû développer différentsoutils réglementaires pour nous permettrede contrôler la sûreté nucléaire, avoir uneapproche plus flexible de notre structureorganisationnelle, développer des processus

réglementaires plus efficaces et efficients etêtre plus ouverts et transparents dans nosactions. Les changements que nous avonseffectués sur les douze dernières années enréponse aux défis du marché concurrentielde l’électricité ont augmenté notre efficacitéréglementaire. Si je devais mettre en reliefcertains changements particuliers, j’enretiendrais deux : sans le moindre doute jedirais que l’exigence que l’exploitant soit unclient intelligent est vitale, et que le contrô-leur a un besoin essentiel du pouvoir decontrôler les changements organisationnels.Je crois qu’il ne devrait pas y avoir conflitentre l’effort de satisfaire à des objectifs d’ef-ficacité commerciale et le désir d’améliorer lasûreté. Une bonne sûreté est une bonneaffaire.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

85

Page 35: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Introduction

En Suède, le marché de l’électricité a étéouvert à la concurrence en 1996. De manièreanalogue, les autres pays scandinaves ontégalement ouvert leur marché à la concur-rence. L’électricité est donc maintenant com-mercialisée, par dessus les frontières natio-nales, depuis une place commune, le «NordicPool ». Au début, les prix pratiqués par lesproducteurs ont considérablement chuté etmaintenant ils fluctuent au gré de la situa-tion sur le marché. Les producteurs d’électri-cité ont donc dû faire face à tous ces chan-gements. La situation a créé une grandeincertitude dans le secteur de l’énergie. Desquestions ont apparues telles que : qu’est-cequi est autorisé dans la nouvelle situation dumarché ? ou : que va-t-il se passer dans lefutur ? Mais cette situation a aussi créé uneincertitude sur le montant des investisse-ments qu’il serait possible de consentir, euégard à la nouvelle situation économique.Aujourd’hui, la situation est plus stable et lesforces agissant sur le marché sont mieuxconnues. Les investissements pour la sûretésont là, mais la compétition pour l’utilisationdes moyens financiers est âpre. Les investis-seurs veulent que les sociétés productricesd’électricité dégagent des profits et la sûretépeut être vue comme un simple coût et noncomme un outil pour soutenir la compétitionà long terme. Dans cet article, je vais tenterd’illustrer quelques-uns des effets que nousavons rencontrés à SKI et indiquer nosréponses pour faire face à ce défi.

Le marché

En termes généraux, je décrirais ainsi la nou-velle situation. Partant de biens qui étaientpropriété nationale et étaient réglementéspar l’Etat pour la production et la distribu-tion de l’électricité aux consommateurs, lesnouveaux « acteurs » peuvent maintenant

entrer librement sur le marché. Alors que lesprix de l’électricité étaient très stables, ilsfluctuent aujourd’hui puisqu’ils sont déter-minés par le marché. L’électricité est com-mercialisée comme une marchandise, avecun marché spot et un marché prévisionnel.Les consommateurs, y compris les ménages,peuvent choisir leur fournisseur. Comme leprix de l’électricité est maintenant fixé par lemarché, les bénéfices des producteurs sont leprix du marché diminué de leurs coûts deproduction, alors que, du temps du marchéréglementé, le prix de l’électricité était égalau coût de production augmenté d’un cer-tain bénéfice déterminé par la société.L’attention portée aux coûts est donc aujour-d’hui plus prononcée.

Sûreté et compétitivité

En Suède, SKI ressent que les producteursd’électricité ont clairement adopté une ges-tion pilotée par le marché. Ils semblent gérerles coûts au travers de restructurations, de

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

86

Quelques réflexions sur sûreté et compétitivité

par Christer Viktorsson, directeur général adjoint de l’Autoritéde sûreté suédoise (SKI)

Page 36: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

réorganisations, d’une optimisation du fonc-tionnement et de la maintenance, ainsi qued’autres moyens pour rester compétitifs. Ilsétendent également leurs activités dans denouveaux marchés à l’étranger et des com-pagnies étrangères investissent en Suède. Leschangements de propriété et les projets derestructuration envisagés, souvent très com-plexes pour ce qui est des responsabilités,sont notifiés à SKI. Dans ce contexte, lesinterlocuteurs principaux de SKI demeurentles exploitants, c’est-à-dire les titulaires desautorisations délivrées par SKI, et non pas lesélectriciens propriétaires des installations. Lesexploitants poursuivent leurs investissementspour la sûreté mais, de l’expérience de SKI, ilsont aujourd’hui plus de difficulté à les faireaccepter par les électriciens. De plus, ilsemble que les exploitants consacrent desefforts importants à optimiser le fonctionne-ment et la maintenance, et SKI constate leursefforts pour modifier les plans de mainte-nance, de contrôle et d’inspection dans unobjectif de meilleure efficacité et de réduc-tion des coûts. Moins de moyens semblentégalement être consacrés à étudier les sujetsde sûreté n’ayant pas une importance immé-diate. Les méthodes « risk-informed » (c’est-à-dire des méthodes s’appuyant sur des éva-luations probabilistes des risques) gagnentdes partisans et les marges de sûreté sont deplus en plus remises en cause.

Néanmoins, SKI constate également que lesélectriciens entreprennent de grands travauxde remplacement et de modifications visantà protéger l’outil de production, prévenantainsi les problèmes futurs et réduisant lescoûts de maintenance et d’inspection. La réti-cence des électriciens à coopérer entre eux,qui a immédiatement suivi la déréglementa-tion, s’est transformée en une « renaissance»de la coopération sur les sujets intéressant lasûreté.

En parallèle de la déréglementation, deschangements sont aussi intervenus en Suèdechez les fournisseurs de matériel, ce qui aconduit à une diminution des capacités ensûreté nucléaire. Un moindre soutien de lapart des fournisseurs force les exploitants àprendre des initiatives et, entre autres, àredéfinir leur stratégie de maintien des com-pétences dans le domaine nucléaire.

SKI consacre une attention soutenue et desmoyens à suivre, contrôler et comprendre les

conséquences en termes de sûreté du « nou-vel environnement », pour lui-même et pourl’industrie électronucléaire. Des contactsétroits sont maintenus avec les groupes degestion et les départements de sûreté desexploitants. Quelques projets de rechercheont été conduits pour mieux comprendre lesforces agissant sur le nouveau marché et sagestion.

Le dialogue entre les exploitants et l’Autoritéde sûreté revêt une importance particulièredans cette situation en évolution. Les exploi-tants semblent souhaiter plus de discussionsavec l’Autorité de sûreté sur la stratégieréglementaire, les problèmes fondamentauxde sûreté et le contenu de leurs responsabili-tés vis-à-vis de la sûreté. Les sujets à l’ordredu jour sont le contenu et le champ des rap-ports de sûreté, l’utilisation des méthodes« risk-informed », les problèmes d’organisa-tion, les revues internes de sûreté, les futursinvestissements pour la sûreté et les besoinsconcernant le personnel et ses compétences.

SKI a engagé des moyens significatifs pourétablir des exigences et des guides régle-mentaires afin de clarifier ce que l’Autoritéde sûreté attend des exploitants. La régle-mentation contient des exigences sur lesaspects généraux de management et d’orga-nisation. De plus, l’Autorité de sûreté doitêtre prête à développer une position régle-mentaire sur tout nouveau problème surgis-sant. Un exemple est le concept d’approche« risk-informed » pour traiter les différentsaspects intéressant la sûreté. Cette approchefait très rapidement son chemin. Des pro-grammes prospectifs recherche et de déve-loppement prospectif et bien ciblés sontdonc nécessaires pour aider l’Autorité desûreté à prendre des décisions en connais-sance de cause et être à l’avant des dévelop-pements.

SKI a établi un système par lequel les exploi-tants doivent l’informer quand ils envisagentdes changements techniques ou organisa-tionnels et constate un accroissement detelles demandes. L’année dernière, presquetous les exploitants ont informé SKI de leurintention de se réorganiser, dans plusieurscas en sous-traitant certaines parties de leursactivités. Quelques exploitants ont égale-ment notifié leur nouvelle situation de pro-priété.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

87

Page 37: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

En même temps qu’il notifie ces change-ments, l’exploitant doit joindre sa propreanalyse de leur effet en termes de sûreté. Ildoit clairement établir les raisons qui sous-tendent ce choix et les conséquences atten-dues pour la sûreté. Il doit également en éva-luer les conséquences en termes demanagement et de mise en œuvre. Aprèsquelques problèmes initiaux, SKI a observéune amélioration de la capacité des exploi-tants à satisfaire aux exigences réglemen-taires. SKI a dû consacrer des moyenshumains et financiers à contrôler ces nou-veaux développements et a également iden-tifié de nouveaux besoins en recherche etdéveloppement.

En ce qui concerne les changements tech-niques, SKI constate que des réacteurs sué-dois font l’objet de projets de modernisationde grande envergure, mais que les autresprojets présentés quelques années aupara-vant subissent des retards. Néanmoins, laconclusion de SKI est que les exploitantsaccordent à la sûreté l’importance qu’elledoit avoir, mais que son propre rôle pour pro-mouvoir une amélioration continue de lasûreté est aujourd’hui encore plus important.SKI prépare actuellement de nouveauxguides réglementaires pour renforcer encorela défense en profondeur des réacteursnucléaires. Ceci est particulièrement perti-nent pour les plus anciens réacteurs. Lesexploitants ont accepté de participer aux dis-cussions de ces nouveaux guides, mais SKI adû présenter des justifications techniquessolides pour les convaincre.

Le problème du maintien de compétencessuffisantes revêt une importance accrue. SKIexige que les exploitants démontrent queleurs moyens humains sont suffisants et pré-sentent les qualifications nécessaires pourmaintenir et développer la sûreté, des sous-effectifs pouvant conduire à un manage-ment réactif et à courte vue. D’une manièregénérale, les exploitants attachent mainte-nant l’importance qui convient à ce sujet, eten particulier au maintien et au développe-ment d’équipes d’importance stratégique.L’équilibre entre la compétence du personneldirectement employé par l’exploitant et lerecours à des consultants est aussi un sujetque SKI a soulevé. De plus, le départ à laretraite de personnel représentant le cœurdes compétences et le déclassement à venirde certains réacteurs ont mis un accent parti-culier sur ce sujet. L’apparition de nouvellestechnologies est également un thèmeauquel SKI porte une attention particulière.A tous ces sujets, SKI consacre des moyenssignificatifs.

L’intégration européenne, l’élargissement etle besoin éventuel de normes européennesou internationales de sûreté sont autant dethèmes d’actualité auxquels l’Autorité doitconsacrer des moyens et sur lesquels elle sedoit d’être active. L’échange d’expérience, lesintercomparaisons et le travail en vue d’ob-jectifs communs de sûreté, en particulierentre Autorités européennes de sûreté, sontdes sujets très importants.

Il est utile de mentionner que le Gouverne-ment a compris que les développements ci-dessus doivent être considérés à l’aune de lasociété. Un groupe d’experts a été mis enplace en Suède pour analyser l’influence defacteurs externes tels que la déréglementa-tion, le déclassement d’installations et l’inté-gration européenne, en particulier surl’Autorité de sûreté et les exploitants. Ilremettra son rapport au Gouvernement enoctobre 2003.

Une des missions de SKI est de tenir à jour saconnaissance et son opinion sur la sûreté desinstallations nucléaires suédoises. Dans cenouvel environnement, cette mission devientde plus en plus importante. SKI poursuit sesrecherches de nouveaux outils pour la facili-ter et la soutenir. Un des outils développéspar SKI est l’« outil d’évaluation intégrée desûreté ». SKI espère qu’il facilitera également

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

88

Centrale de Forsmark – Suède

Page 38: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

la détection précoce d’éventuelles défi-ciences de sûreté chez les exploitants, pourleurs actions sur le terrain et en termes deculture de sûreté, déficiences qui peuventêtre difficiles à détecter à l’occasion d’inspec-tions ou d’évaluations individuelles. De plus,SKI a commencé à développer des indicateursde sûreté appropriés, en concertation avecles titulaires d’autorisation.

Conclusion

SKI ressent que l’environnement réglemen-taire est devenu plus exigeant. L’Autorité desûreté doit faire preuve de flexibilité et êtrecontinuellement prête à adapter sesméthodes de travail et ses outils à une nou-velle situation. En parallèle, elle doit déve-lopper en conséquence les compétences deson personnel et maintenir à jour la base dedonnées de ses connaissances. Puisque l’in-dustrie change rapidement, l’Autorité doiten faire autant pour toujours contrôler lasituation.

SKI estime que les exploitants nucléairescontinueront d’être soumis à une pression

sur les coûts. En même temps, leur responsa-bilité en matière de sûreté demeure. Lasociété suédoise escompte un haut niveau desûreté pour ses réacteurs électronucléaires.Pour SKI, les exploitants devront demeurersolides techniquement et financièrement. Ilsdoivent clairement comprendre leurs respon-sabilités en matière de sûreté nucléaire ets’efforcer continuellement d’améliorer lasûreté. De son côté, SKI consacre des moyensimportants à définir et clarifier les exigencesréglementaires, efforts qui devront se pour-suivre.

Au travers de ses inspections et de ses éva-luations, SKI n’a pas détecté d’effet négatifimmédiat sur la sûreté, qui pourrait être lié àla déréglementation. Cependant, SKI restevigilant car les moyens des exploitants sontlimités et les conséquences pour la sûretépeuvent ne pas être immédiatement détec-tables. Les exploitants considèrent la sûreténucléaire avec sérieux, mais il est égalementimportant que les propriétaires des installa-tions comprennent qu’une bonne sûreté estune condition sine qua non pour que leursinstallations demeurent compétitives dansun marché de l’électricité plein de défis.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

89

Page 39: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

A quel point la sûreté est-elle influencée parla libéralisation du marché de l’électricité ?Cette question ne peut recevoir de réponsedéfinitive. En tout cas, la compétitivité agagné en importance dans les marchés déré-glementés de l’életricité. Tous les facteurs decoûts sont examinés pour identifier des éco-nomies potentielles. Il y a un risque de voirdes aspects de sûreté subordonnés à desjugements économiques. La sûreté ne peuts’obtenir à coût zéro. Le maintien et le pro-grès de la sûreté demandent de grandsefforts, justement dans le domaine de laconduite de l’entreprise. Ces devoirs de ladirection ne doivent pas être supplantés pardes activités d’accroissement de la compétiti-vité. Quelques managers ont dans le passépris la position selon laquelle les centralesnucléaires allemandes disposaient de fortesmarges de sûreté. A l’avenir, on pourraitselon eux vivre sur ce « gras» en matière desûreté ; des améliorations et modificationsadditionnelles seraient donc inutiles. Cetteposition est dangereuse, car elle néglige quele maintien d’un haut niveau de sûreté exigeun effort continu d’amélioration de la sûreté.

En tant qu’autorité de surveillance de laréglementation nucléaire, le ministère del’environnement et des transports (UVM) du Land de Baden-Württemberg a étéconfronté fin 1998 à des modifications depersonnel et d’organisation à la centrale dePhillipsburg, dont la cause était les conditionsde concurrence accrue. Cela a conduit à unprocessus d’autorisation au cours duquel leschangements organisationnels ont été exa-minés et la nouvelle organisation autoriséesous certaines conditions liées à la sûreté.

Après l’arrêt annuel de 2001 du réacteur 2 dePhillipsburg, un événement significatif pourla sûreté s’est produit. Une chaîne de facteursdistincts a contribué à cet événement ; desfaiblesses dans le domaine organisationnel,en particulier dans le contrôle interne, ontnotamment été identifiées dans ce contexte.La question d’un lien causal entre les modifi-cations entreprises et l’événement se posedonc. La suite de cet article détaille les modi-fications de personnel et d’organisation etleur instruction administrative, et insiste surles faiblesses intervenues lors de l’événe-ment.

Réduction de personnel à la centrale nucléaire de Phillipsburg

En prélude au retrait des monopoles régio-naux des entreprises de fourniture d’énergieallemandes, depuis le milieu des années1990, les producteurs d’énergie se sont pré-parés à la compétition future. La recherched’économies potentielles dans les coûts deproduction d’électricité n’a pas épargné lescentrales nucléaires. Les coûts de personnel,de combustible et d’indisponibilité – bienque leur part dans le coût de l’électricité soitfaible par rapport au coût d’investissement –ont fait l’objet d’une recherche de possibili-tés d’économies. A travers des améliorationstechniques, qui ont permis par exemple dedétecter des éléments combustibles défec-tueux dès le déchargement du cœur du réac-teur ou d’inspecter les éléments en parallèleau déchargement, les durées d’indisponibili-té ont été réduites. Les temps d’arrêt ontaussi été raccourcis par des améliorations des

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

90

Changements de personnel et d’organisation à la centrale de Phillipsburg (Allemagne)

par Dr. Walter Glöckle, responsable pour les questions fondamentales de la sûreté nucléaire, Ministère de l’environnement et des transports (UVM) du Land de Baden-Württemberg et Dr. Dietmar Keil, chef de la division « sûreté des réacteurs, radioactivité dans l’environnement », Ministère de l’environnement et des transports (UVM) du Land de Baden-Württemberg

Page 40: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

processus organisationnels et de la planifica-tion des tâches. Des améliorations supplé-mentaires de la compétitivité ont été réali-sées par l’exploitation de marges deconception disponibles pour augmenter lapuissance. En augmentant l’enrichissementinitial et les taux de combustion au déchar-gement, les coûts de traitement des déchetset les coûts de combustibles ont pu êtreabaissés.

Les économies en personnel ont enAllemagne été engagées en premier par lacentrale de Phillipsburg. L’UVM a prisconnaissance mi-1998 de l’objectif de réduc-tion de 40 % du personnel technique. Cen’est qu’ensuite que l’exploitant a indiquécomment il avait l’intention d’atteindre cetobjectif et quelles investigations il avait misesen œuvre. Le changement d’organisationenvisagé voyait le passage d’une organisa-tion par spécialité à une structure organisa-tionnelle plus légère orientée vers le process.Cela devait en particulier simplifier les pro-cessus et éliminer les interfaces. Les spéciali-tés mécanique, électrotechnique et servicescentralisés devaient être rassemblés dans unespécialité « technique systèmes » et lenombre des sections dans cette spécialitédevait être réduit. Le service maintenancedevait à l’avenir prendre également en char-ge la planification de la maintenance pério-dique. Le personnel du service conduite,c’est-à-dire les équipes de conduite, devaitsoutenir les services maintenance et tech-nique systèmes. De plus, il était prévu detransférer des responsabilités comme l’assu-rance qualité hors du site de production, auniveau de la société EnBW Kraftwerke AG.

Du côté de l’UVM, il n’était pas exclu en prin-cipe qu’une organisation ainsi modifiée tra-vaille plus efficacement et que la sûreté puis-se aussi être garantie avec une organisationplus légère. Cependant un tel changementd’organisation a été considéré comme unemodification majeure de l’exploitation de lacentrale et comme telle soumise à autorisa-tion sous le régime de la loi atomique. Nousavons donc indiqué à l’exploitant qu’il devaitnous soumettre les modifications correspon-dantes et ne pouvait les mettre en œuvrequ’après une expertise et l’obtention d’uneautorisation. Comme en fin d’année 1998 etdébut 1999 le personnel technique avait déjàété réduit sur la base des départs à la retrai-

te et qu’il était prévisible que dans les tri-mestres suivants d’autres départs précocesauraient lieu, cette forme de réduction depersonnel a été interdite avant autorisationde la nouvelle organisation.

Processus d’autorisation du changement d’organisation

Les prescriptions de la réglementation tech-nique nucléaire allemande en matière d’or-ganisation, de personnel et de qualificationsont très générales. Elles ne formulent enparticulier des exigences sur le personnel quepour la constitution minimale de l’équipe dequart. Les autorités réglementaires ont doncdû définir lors des réunions d’instruction avecl’exploitant quels documents étaient àremettre à l’appui de la demande et quelscritères de jugement seraient utilisés pourl’examen de ces documents. En tant que prin-cipal document, la partie « organisation dupersonnel d’exploitation » du manuel d’ex-ploitation, dont découlent la structure orga-nisationnelle et les responsabilités des ser-vices et sections, a été examinée. Les partiesdu manuel d’exploitation relatives à la radio-protection, à la maintenance et aux quarts,et le manuel de gestion de la qualité, quirèglent les processus et les interactions desdifférents services d’exploitation, ont égale-ment dû être présentés. En addition, l’exploi-tant a dû présenter un rapport sur l’analyseorganisationnelle menée et décrire saméthode de mise en place de l’organisation.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

91

Centrale de Phillipsburg – Allemagne

Page 41: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Enfin, un dossier sur la méthodologie d’utili-sation de personnel extérieur a été exigé.

Lors de l’examen administratif, une attentionparticulière a été portée aux questions sui-vantes:

– les qualifications, fonctions et responsabili-tés du personnel employé sont-ellesdéfinies?

– l’effectif minimal dans le domaine tech-nique est-il fixé ?

– une limitation claire des compétences clés,pour lesquelles l’emploi de personnel exté-rieur est exclu, est-elle déterminée ?

– des règles et des organisations claires sont-elles précisées pour l’intégration de person-nel extérieur ?

– la nouvelle organisation donne-t-elle sajuste place à l’objectif d’ancrer et de déve-lopper une haute culture de sûreté ?

Pour l’analyse, les autorités ont consulté leTÜV Energie und Systemtechnik GmbHBaden-Württemberg, qui en tant qu’expertgénéraliste connaît bien les questions tech-niques, organisationnelles et de personnel dePhillipsburg. L’Institut Fraunhofer pour lascience du travail et l’organisation, un insti-tut de recherche appliquée, a égalementcontribué à l’expertise, car il dispose de com-pétences particulières sur les formes d’orga-nisation moderne y compris dans desdomaines importants pour la sûreté.

L’autorisation a été octroyée fin 1999. A côtéde la nouvelle structure organisationnelle,l’effectif minimal des différents services etsections a été fixé. Cet effectif défini pour lepersonnel interne à l’exploitant est environ20 % en dessous de la situation de 1998.L’exploitant a été contraint de présentersemestriellement un document sur l’état deses effectifs internes et des prestataires occu-pés de manière durable. Il a également étédécidé que tout projet de changement del’organisation ou des effectifs internes requisdoit être déclaré. Par ailleurs, l’exploitantdoit définir des procédures pour le choix,l’emploi, l’habilitation, les compétences et lasurveillance de personnel extérieur. La res-ponsabilité pour les travaux menés par despersonnels extérieurs doit rester à l’exploi-tant, qui doit conserver la compétence tech-nique nécessaire à cette fin.

En lien avec l’autorisation à la centrale dePhillipsburg, des prescriptions analogues surl’effectif technique dans les différents ser-vices et sur la démarche pour des change-ments envisagés ont également été prises pour les autres centrales du Baden-Württemberg, Obrigheim et Neckar-westheim.

Evénement à Phillipsburg 2 en août 2001

Après l’arrêt annuel de 2001, les réservoirs derenoyage ont été comme d’habitude remplisavec de l’eau borée du puits de cuve. Commela quantité d’eau n’était pas suffisante, lesréservoirs ont dû être complétés avec unmélange d’eau déminéralisée et d’acideborique à haute concentration. A cause dumauvais positionnement d’une vanne, parerreur et sans que cela soit détecté, seule del’eau déminéralisée a été ajoutée au réser-voir de renoyage. La sous-concentration enbore n’a été détectée par une mesure que 14jours après le redémarrage et ensuite décla-rée à l’autorité de surveillance.

Lors de l’analyse approfondie de cet incidentont été constatées des faiblesses organisa-tionnelles et des actions du personnel nonstrictement orientées vers la sûreté. Parexemple, des insuffisances dans le manueld’exploitation avaient été identifiées, maiselles n’avaient pas été reconnues comme fai-sant problème et avaient été mises de côté.La vérification de l’assurance qualité et lecontrôle interne des activités de l’équipe deconduite ont été identifiés comme nécessi-tant des améliorations. Du fait qu’un événe-ment similaire (précurseur) de l’année 2000n’était pas encore complètement analysé àcause d’un manque de personnel, un renfor-cement des effectifs de la section « analysedes défaillances et examen des événements»a été demandé. De plus, les défaillances etincidents devront à l’avenir être analysé plusprofondément par l’exploitant sous lesaspects facteurs humains et précurseurs.

Même si dans la section « analyse desdéfaillances et examen des événements» unmanque de personnel a été constatés, on nepeut rendre un effectif insuffisant ou l’orga-nisation mise en place globalement respon-sables de l’événement. Plusieurs faiblessesidentifiées remontent à des périodes précé-

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

92

Page 42: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

dant le changement d’organisation.Cependant l’événement a montré qu’un ren-forcement en personnel dans certainsdomaines était utile. L’exploitant EnBW adepuis embauché environ 20 spécialistestechniques supplémentaires, en majorité desingénieurs. EnBW s’est engagé à introduireun système de management de la sûretéfondé sur des indicateurs objectifs pour ren-forcer le contrôle interne. Le concept d’un telsystème a été présenté en milieu d’année ; samise en œuvre est prévue d’ici fin 2004.Indépendamment, l’UVM mène un nouvelexamen de l’organisation de la centralenucléaire de Phillipsburg avec l’aide d’ex-perts. Après 3 ans d’expérience de la nouvel-le organisation, il s’agit d’examiner dansquelle mesure elle a fait ses preuves et lesaméliorations prévues sont intervenues.

Bilan

La libéralisation du marché de l’électricité adifférents effets sur l’exploitation des cen-trales nucléaires. Les autorités publiques sontainsi soumises à de nouveaux défis.L’expérience allemande montre qu’elles doi-vent se préoccuper de manière accrue deseffectifs, de l’utilisation de personnel exté-rieur et de l’organisation des centrales. Ellesse trouvent alors dans un domaine où les exi-gences de sûreté doivent être développées ettraduites concrètement à partir d’exigencesgénérales. Il est incontestable qu’une bonneorganisation et un effectif suffisant de per-sonnel qualifié sont indispensables à uneexploitation sûre.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

93

Page 43: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Ce texte présente les résultats du groupe detravail d’examen de la consolidation de l’in-dustrie de la Commission de régulationnucléaire des Etats-Unis (NRC). Ce groupe detravail a été formé en février 2000 surdemande de la Commission. La Commission ademandé aux équipes de la NRC d’examineret de lui présenter les implications de laconsolidation et les besoins d’envisager deschangements de la doctrine de la NRC pourla surveillance des activités des industriels. LaCommission a également demandé à seséquipes « d’être proactives et d’augmenterleurs interactions avec les parties intéresséespour identifier les nouvelles questions dedoctrine liées aux nouvelles tendances dansla consolidation de l’industrie ».

Le groupe de travail a été formé de person-nel expérimenté des états-majors, desbureaux des parties intéressés et d’un direc-teur régional pour mener cet effort à bien. Legroupe de travail a identifié 25 thèmes desurveillance réglementaire qui pouvaientêtre potentiellement affectées par la consoli-dation de l’industrie et a regroupé cesthèmes en huit catégories. Des estimationspréliminaires des impacts potentiels pourchacun des 25 thèmes ont été présentées à laCommission en mars 2001.

En juin 2001, la Commission a approuvé lapoursuite et la fin des travaux en suivant lesrecommandations des équipes et a approuvéla publication des estimations préliminairesau registre fédéral. Les estimations ont étépubliées au registre fédéral et sur le siteInternet de la NRC pour une période de com-mentaires de 60 jours.

De nombreux commentaires ont été reçusd’organisations et d’individus. Environ lamoitié des commentaires étaient générale-ment en accord avec les estimations prélimi-naires des équipes. Plusieurs autres venaient

en soutien, mais présentaient des perspec-tives supplémentaires à considérer. D’autresétaient en désaccord avec certains aspectsdes estimations ou suggéraient des actionsde suite supplémentaires.

Pour obtenir un retour complémentaire desparties intéressées sur ces sujets, les équipesont tenu un atelier public les 1er et 2novembre 2001. L’atelier combinait cet effortsur la consolidation de l’industrie avec uneffort conjoint mais séparé sur les impactspotentiels sur la sûreté de la dérégulationéconomique de l’industrie. L’atelier était inti-tulé « Atelier sur les questions de consolida-tion de l’industrie nucléaire et de dérégula-tion ». La première session portait sur lessujets de la consolidation de l’industrie. Laforme en était une table ronde de managersexpérimentés de la NRC et de représentantsd’organisations intéressées recouvrant unelarge gamme d’opinions. Les organisationsextérieures incluaient l’Union des scienti-fiques inquiets, l’US Enrichment Corporation,l’Association nationale des commissaires deservices publics, l’Institut de l’énergie nucléai-re (NEI), le Nuclear Regulatory ServicesGroup, et la Nuclear Management Company.Un facilitateur a permis à l’atelier d’encoura-ger des discussions interactives sur desthèmes sélectionnés entre les principaux par-ticipants et avec les autres spectateurs.

Le reste de l’atelier s’est penché sur l’effortde recherche financé par la NRC pour identi-fier les conséquences possibles de la dérégle-mentation pour la sûreté nucléaire. Ceteffort est fondé sur le rapport NUREG/CR-6735, « Effets de la déréglementation sur lasûreté : implications tirées de l’aviation, durail et des industries électronucléaires duRoyaume-Uni ». L’étude examinait les pro-blématiques de sûreté résultant de la déré-glementation dans ces industries au

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

94

Les effets de la consolidation de l’industrie sur la surveillance par la NRC

par Herbert N. Berkow – Autorité de sûreté nucléaire américaine (NRC)

Page 44: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

Royaume-Uni. Les participants de l’atelierreprésentaient ces industries, l’industrie élec-tronucléaire américaine et d’autres partiesintéressées. Les idées de l’atelier et desétudes associées devaient être utilisées pourdéterminer si des activités de recherche com-plémentaires étaient nécessaires.

Sur la base de l’identification et l’examen parles équipes de la NRC des effets possibles dela consolidation de l’industrie nucléaire surles fonctions et responsabilités de contrôlede la NRC, et en s’appuyant sur l’importanteinformation fournie par les parties intéres-sées externes, les équipes ont conclu qu’il n’ya pas actuellement de besoin de changementdes règlements, doctrines, guides ou de lastructure organisationnelle de la NRC.

On trouvera ci-après un résumé des impactspotentiels, pour chacune des huit catégoriescouvrant 25 thèmes de la consolidation del’industrie, sur les responsabilités de contrôlede la NRC. Ce résumé est tiré du rapportSECY-02-0143 « Estimation des effets pos-sibles de la consolidation de l’industrienucléaire sur la surveillance par la NRC » du26 juillet 2002.

Catégorie 1: sûreté opérationnelle de l’installation

Dans la catégorie de la sûreté opérationnel-le, aucune action de suite n’est recomman-dée. La poursuite du suivi par les équipes duretour d’expérience et les résultats des pro-cessus de surveillance actuels devraient four-nir une identification précoce des problèmesliés à des actions des exploitants pilotées parl’économie et demandant une attention ducontrôleur. Ce processus définirait ensuite laréaction appropriée des équipes. Commel’expérience de la consolidation de l’industrieest encore limitée, l’effort des équipesdevrait continuer à se porter sur le suivi del’information opérationnelle et sur la vigilan-ce quant aux indications de nature inatten-due.

Il semble actuellement que les autorisationsdes installations indépendantes d’entreposa-ge de combustible usé et les règlements, doc-trines et procédures pour la certification decolis d’entreposage de combustibles uséssont suffisants pour traiter des situationsrésultant de la consolidation de l’industrienucléaire. Les équipes continueront à tra-

vailler avec l’industrie pour obtenir une noti-fication précoce et ainsi prévoir les niveauxfuturs d’instruction qui peuvent être généréspar les consolidations. De plus, il peut y avoirdes circonstances uniques et imprévuesdemandant de changer les règlements etdoctrines d’entreposage et de transport decombustible usé. Pour une telle situation, leséquipes continueront à identifier les pointsde doctrine importants et feront les recom-mandations appropriées à la direction de laNRC.

Les règlements et doctrines actuels pour lagestion des déchets de faible activité sem-blent suffisamment flexibles pour gérer lessituations créées par la consolidation de l’in-dustrie. Ainsi, la consolidation semble n’avoiraucun impact significatif sur le thème de lagestion des déchets. Cependant, il pourraêtre utile que les équipes considèrent leseffets des renouvellements d’autorisation desréacteurs1 lorsqu’elles fournissent des obser-vations sur les projections de long terme duministère de l’énergie et des états sur la pro-duction de déchets de faible activité.

Etant donné la consolidation en cours de l’in-dustrie, il est possible que des propriétairesde plusieurs installations continuent à cher-cher la consolidation des fonctions et organi-sations de préparation à la crise. Cela suggè-re d’utiliser les processus NRC existants poursuivre et déterminer la tendance et estimerles implications en termes d’effectifs et d’im-pact potentiel sur la sûreté, de façon à garan-tir que les règlements et doctrines sont tou-jours respectés et que le processusd’évaluation de sûreté de la NRC porte uneattention suffisante à la préparation à lacrise.

La fiabilité des sources électriques externes adernièrement reçu une attention considé-rable. Les autres agences gouvernementales,en plus de l’industrie, représentent la majori-té des parties prenantes externes. Leséquipes ont pris conscience de la créationd’organisations de transport régionales(RTO) et de leur rôle potentiel dans la fiabili-té des sources externes, et suit leur dévelop-pement par des interactions appropriéesavec les parties intéressées compétentes.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

95

1. Voir Contrôle 147, l’article « Processus de renouvelle-ment d’une autorisation d’exploitation de centralenucléaire aux Etats-Unis».

Page 45: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

L’Institut pour l’exploitation de l’énergienucléaire (INPO) a aussi développé le systèmeEPIX d’échanges d’informations sur la perfor-mance des équipements qui, dans le futur,pourra permettre d’obtenir de l’informationsur les équipements sollicités par les pertur-bations des sources électriques externes.

En ce qui concerne les sujets de sûreté opéra-tionnelle, le corpus réglementaire en vigueurcouvre l’exploitation sûre, la mise à l’arrêt etl’évacuation de la puissance résiduelle descentrales nucléaires. Les lignes de communi-cation établies avec l’industrie et les autresparties intéressées, en particulier cellesconcernant la déréglementation écono-mique, devraient fournir une informationopportune si des questions de sûreté seposent. De plus, la NRC dispose de l’infra-structure nécessaire (comme l’accord de prin-cipe avec l’Institut de recherche sur l’énergieélectrique) pour obtenir et examiner l’infor-mation concernant la fiabilité des sourcesélectriques externes.

La NRC continuera ses efforts en cours poursuivre les développements concernant la ges-tion du réseau.

Catégorie 2: délivrance d’autorisations

L’intérêt renouvelé qui est porté à de nou-velles demandes d’autorisation est attri-buable, au moins en partie, à la consolida-tion industrielle. La Commission et leséquipes ont eu plusieurs rencontres avec des

représentants de l’industrie élaborant desprojets de soumissions éventuelles dedemandes d’autorisation d’installation et desite. Ces initiatives en cours semblent suffi-santes et devraient permettre de réagir auxdéveloppements industriels et aux plans enévolution. Dans l’année fiscale 2002, lecongrès a alloué 10 millions de dollars sup-plémentaires pour permettre à la NRC de sepréparer et de répondre à des projets denouveaux réacteurs sans mettre en péril lesprogrammes existants pour la sûreté des ins-tallations en fonctionnement ou retarderd’autres initiatives importantes en cours.Pour rester en phase avec l’intérêt industriel,la NRC a inclus des ressources pour les projetsde nouveaux réacteurs dans le budget del’année 2003.

Tant que la consolidation se poursuit, il estapproprié de maintenir l’effort des équipesde la NRC pour s’engager avec les industrielsdans l’évolution des plans et échéanciers derenouvellement d’autorisations et des hypo-thèses de planification des ressources et desprocessus d’examen.

Si des changements significatifs se produi-saient dans l’industrie, les équipes envisage-raient un effort supplémentaire pour établirun processus cohérent avec les dimensions del’agence pour suivre et documenter l’expé-rience correspondante des équipes et les avisdes parties intéressées, et pour établir des cri-tères pertinents d’évaluation de cette expé-rience et de ces avis en regard des besoins dechangement d’organisation des équipes envue de s’adapter aux effets de la consolida-tion industrielle. Un objectif primordial decet effort serait une évaluation de l’impactde la consolidation de l’industrie à la fois surl’efficience et sur l’efficacité de la structureorganisationnelle actuelle de l’agence.

Dans la catégorie de la délivrance des autori-sations, aucune action de suite n’est recom-mandée.

Catégorie 3 : inspection, application desrèglements, et évaluation

Le processus de contrôle des réacteurs (ROP)devrait être transparent vis-à-vis de la conso-lidation de l’industrie. Cependant, la NRC n’aencore qu’une expérience limitée des effetsde la consolidation sur la mise en œuvre duROP. Avec davantage d’expérience, les chan-gements éventuellement nécessaires du ROP

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

96

Centrale de Pearch Bottom en Pennsylvanie – Etats-Unis

Page 46: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

devraient devenir évidents. L’auto-évaluationannuelle incluse dans le ROP est le véhiculede l’évaluation de tout changement néces-saire. La poursuite de l’usage du processusd’auto-évaluation du ROP est adéquate pourévaluer périodiquement l’efficacité du ROP àla lumière d’un environnement industrielévolutif.

En ce qui concerne l’efficacité du ROP pourévaluer la performance de sûreté d’unexploitant confronté à des difficultés finan-cières, les équipes sont d’accord avec lesobservations de l’industrie suivant lesquellesle ROP devrait être le moyen d’évaluation decette performance de sûreté. Les équipes dela NRC sont également en accord avec laposition de l’industrie suivant laquelle lesefforts doivent se poursuivre sur le dévelop-pement et l’évolution du ROP pour qu’ilserve d’indicateur principal de problèmes deperformance et qu’il aide la NRC à identifierle besoin d’examiner un exploitant confron-té à des difficultés financières.

Si des changements significatifs se produi-sent dans l’industrie, les équipes envisage-ront le lancement d’une étude pour détermi-ner si un module d’inspection ou un « pland’urgence » (semblable aux « plans d’urgen-ce grève » créés par certains bureaux régio-naux) doit être développé pour faciliter l’éva-luation par la NRC de la performance desûreté d’un exploitant confronté à des diffi-cultés financières. Cela pourra aider à garan-tir qu’un niveau de contrôle accru de la NRCest mis en œuvre, si nécessaire, au momentopportun pour garantir que la sûreté opéra-tionnelle est maintenue, et que les impactssur la performance à plus long terme desactions de l’exploitant ont été évalués demanière appropriée.

L’expérience des effets de la consolidationindustrielle sur la mise en œuvre effective duprogramme d’application des règlements estlimitée. La NRC devrait continuer à suivre lacharge de travail associée aux plaintes pourdiscrimination et les allégations liées à latechnique pour déterminer si les activités deconsolidation industrielle influencent cettecharge de travail et prendre des décisions surles ressources sur la base de ce suivi. Lebureau de l’application des règlementsdevrait maintenir ses activités de surveillancede la mise en œuvre des programmes régio-naux d’application des règlements pourminimiser les incohérences.

Bien que l’expérience actuelle sur les effetsde la consolidation de l’industrie sur la miseen œuvre effective du programme portantsur les allégations soit limitée, il semble qu’ily ait là une occasion d’améliorer le guideactuel pour un traitement cohérent des allé-gations issues de la mise en œuvre de poli-tiques, programmes ou procédures d’entre-prise affectant des installations dans deuxrégions ou plus. De plus, les équipesdevraient continuer à suivre le nombre, laportée et la nature des allégations reçuespour déterminer si les activités de consolida-tion entraînent une charge de travail accruesur les allégations, et envisager une prise dedécision sur les ressources sur la base desrésultats de ce suivi.

Catégorie 4 : démantèlement

Actuellement, il semble que les règlementset doctrines concernant le démantèlementsont suffisamment flexibles pour s’adapteraux situations résultant de la consolidationde l’industrie. La consolidation de l’industriene semble donc pas avoir d’impact significa-tif sur le thème du démantèlement et aucu-ne action de suite n’est recommandée.

Catégorie 5 : interfaces réglementairesexternes

Dans cette catégorie, aucune action de suiten’a été recommandée. L’interaction de routi-ne et le dialogue de la NRC avec d’autresautorités de contrôle fédérales ou des Etats,y compris les associations nationales repré-sentant ces autorités, et avec des autorités decontrôle étrangères, devraient se poursuivrepour identifier des questions de doctrineémergentes relatives aux nouvelles ten-dances dans la consolidation de l’industrie.En outre, la NRC devrait continuer à interagiravec les parties intéressées pertinentes pouridentifier les questions de doctrine émer-gentes susceptibles d’affecter les interfacesde la NRC avec d’autres autorités de contrôledes Etats ou fédérales dans l’approbation detransferts d’autorisation.

Catégorie 6 : installations du cycle du combustible

Pour cette catégorie aucune action de suiten’est recommandée. Beaucoup des estima-tions d’impact discutées sur d’autres thèmessont applicables aux installations du cycle du

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

97

Page 47: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

combustible comme aux réacteurs. Leséquipes examinent actuellement les optionsenvisageables pour consolider le programmed’inspection du cycle du combustible, enparallèle avec les efforts en cours pour exa-miner le processus de contrôle et pour éva-luer les résultats de la phase II récemmentachevée de l’examen des matières dérivées.L’expérience de la NRC dans le traitement deconsolidations passées et en cours dans l’in-dustrie du cycle a démontré que les règle-ments, guides et processus existants ont étécapables de gérer les efforts variés de conso-lidation.

Catégorie 7 : Structure financière

Dans cette catégorie un thème important estle transfert de propriété à des étrangers carla consolidation industrielle risque fort d’ac-croître l’attractivité la propriété pour desétrangers. L’inquiétude porte sur le caractèreadéquat du contrôle de la NRC sur des pro-priétaires étrangers ainsi que sur le caractèreadéquat de la performance de sûreté de pro-priétaires étrangers. Pour le moment, ilsemble que les règlements et doctrines finan-ciers actuels sont suffisamment flexibles pours’adapter aux situations créées par une pro-priété étrangère résultant de la consolida-tion de l’industrie, dans le cadre du droitactuel.

Dans le domaine de l’assurance, la NRC a desprogrammes pour évaluer la capacité d’unexploitant ou d’un pétitionnaire à payer desprimes rétrospectives à la fois pour des assu-rances de responsabilité et des assurances desite. En ce qui concerne le transfert d’autori-sation, cette évaluation fait partie de l’éva-luation de sûreté que les équipes préparentpour soutenir l’approbation (ou le refus) dedemandes de transfert d’autorisation. Deplus, les exploitants doivent en vertu du 10CFR 1 40.21 démontrer annuellement qu’ilssont capables de payer les primes rétrospec-tives pour leurs réacteurs qui pourraient êtredécidées sous le système Price-Anderson.

Si des changements significatifs se produi-saient dans l’industrie, les sujets ci-dessusseraient considérés dans le contexte d’autresinitiatives et réglementations financières.

Catégorie 8 : considérations réglementaires hors NRC

Dans cette catégorie deux thèmes ont étéconsidérés : stabilité et fiabilité du réseau etconsidérations antitrust.

En ce qui concerne la stabilité du réseau, laNRC dispose de suffisamment de mécanismesréglementaires et d’inspection pour identi-fier et traiter les questions de sûreté nucléai-re qui pourraient se développer sur la basede questions de stabilité et de fiabilité duréseau. Au fil de l’expérience de l’industriedéréglementée, des changements du cadreréglementaire pourraient être nécessaires. LaNRC a informé les parties intéressées de l’in-dustrie de ses préoccupations et a observéque des organisations comme NEI et INPOrépondent avec leurs propres initiatives pourtraiter ces questions. Toute proposition dechangement du cadre réglementaire serafondée sur l’information de l’activité de suivide la NRC et sur les évaluations de l’expé-rience d’exploitation. Ce suivi permanent etcette interaction identifieront tout besoinpour la NRC de devenir plus proactive parrapport aux questions de fiabilité du réseau.

En ce qui concerne les considérations anti-trust, la Commission continuera à rechercherune législation qui élimine tous les examensantitrust par la Commission elle-même carces examens dupliquent les responsabilitésd’autres agences plus expérimentées en lamatière. Aussi longtemps qu’une telle légis-

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

98

Page 48: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

lation n’est pas promulguée, cependant, lesexamens antitrust de nouvelles installationsdoivent continuer à être menés, à l’exceptionpeut-être des installations qui seront exploi-tées en tant qu’installations commerciales sile ministre de la justice approuve une telleexception. Dans une industrie consolidée etdéréglementée, où les exploitants ne sontpas des services publics de l’électricité, cesexamens pourraient être plus complexespour un pétitionnaire qui possède déjà plu-sieurs installations nucléaires (et d’autres ins-tallations de production d’énergie). Dans cecas, les examens antitrust pourraient nécessi-

ter davantage de ressources qu’elles n’en ontnécessité dans le passé.

Conclusion

Sur la base des efforts décrits dans ce texte etde l’expérience actuelle de la NRC avec l’in-dustrie électronucléaire en consolidation, leséquipes ont conclu que des changementssignificatifs du contrôle de l’industrie par laNRC ne sont pas justifiés à ce stade. Leséquipes continueront à suivre les change-ments de l’industrie et leurs impacts sur l’ef-ficacité de leur surveillance.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

99

Page 49: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

100

L’impact de la déréglementation sur la sûreté (résumé de l’étude NUREG CR 6735 sur ce thème)

La dérégulation du marché de l’électricité aux Etats-Unis a fait l’objet d’une étude1de laCommission de réglementation nucléaire américaine (USNRC) dont l’objectif était de dresserune liste aussi complète que possible des conséquences de la dérégulation sur le risque poten-tiel que posent les centrales nucléaires américaines. Une étude de l’historique des industriesaméricaines du rail et de l’aviation civile d’une part, et de l’industrie électrique au Royaume-Uni d’autre part, a été effectuée en raison de leur pertinence à l’égard de l’industrie élec-trique américaine. Il est important de noter que, dans aucun des cas considérés, la sûreté n’afait l’objet d’une déréglementation.

Principaux résultats de l’étude

L’adaptation à la dérégulation industrielle est un long processus. Dans les trois cas considérésdans l’étude, les changements issus de la dérégulation sont toujours en cours, alors qu’elle acommencé il y a plus de 20 ans dans l’industrie du rail et dans l’aviation. Il y a fort à parierque l’industrie nucléaire américaine est entrée dans un cycle d’adaptation très long.

Performance du point de vue de la sûreté

Aux Etats-Unis, les industries du rail et de l’aviation affichent des résultats, en termes de sûre-té, meilleurs après la dérégulation qu’avant. De la même façon, l’arrivée de la compétitivitédans l’industrie nucléaire britannique a incité les responsables des centrales nucléaires à sefocaliser sur la fiabilité des matériels et le respect de la réglementation. On voit donc que ladérégulation n’est pas incompatible avec le maintien de la sûreté, en particulier dans lesdomaines qui sont directement liés à la génération de profits. Toutefois, dans les trois cas del’étude, on constate que l’importance et la rapidité des changements causés par la dérégula-tion posent des problèmes substantiels de gestion de la sûreté.

Ré-affectation des priorités des dépenses des entreprises

Dans les 3 cas étudiés, les compagnies ont procédé à des changements importants de priori-tés dans leurs dépenses. Par exemple, une étude sur la maintenance dans l’aviation civile amontré que les compagnies avaient augmenté l’intervalle de temps entre les visites sur lesmoteurs sans constater d’augmentation des taux de défaillances. Dans l’industrie du rail, lesdépenses de maintenance des voies ont été multipliées par 5, pendant que la main-d’œuvreétait réduite de moitié. En dépit de cette réduction importante, la sûreté a été améliorée, enparticulier au niveau de l’état des voies. Le secteur nucléaire de l’industrie électrique duRoyaume-Uni a lui aussi subi des réductions importantes de main-d’œuvre associées à uneaugmentation significative de l’utilisation de la sous-traitance. Les problèmes induits par ceschangements ont conduit l’Autorité de sûreté britannique à imposer une nouvelle conditiond’autorisation aux exploitants de réacteurs nucléaires.

Influence sur la culture de sûreté des entreprises

Dans les 3 cas de l’étude, la dérégulation a conduit à des changements de culture importantsdans les entreprises. Dans les industries du rail et de l’aviation, des problèmes de culture ontaffecté la sûreté à la suite des acquisitions et des fusions. Dans l’industrie du rail, la dérégu-lation a mis en évidence un manque de déclaration des problèmes de sûreté. En Grande-Bretagne, la culture d’entreprise dans l’industrie nucléaire est surtout mise en cause par l’uti-

1. Rapport NUREG/CR-6735

Page 50: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

101

lisation de la sous-traitance et la perte de la mémoire institutionnelle. Ces constats ont amenél’Autorité de sûreté américaine du rail et l’Autorité de sûreté nucléaire britannique à impo-ser une analyse préalable à tout changement organisationnel important et susceptible d’af-fecter la sûreté.

La tendance aux fusions et acquisitions, constatée dans l’industrie nucléaire américaine, estsans équivoque. Bien qu’elles n’aient pas systématiquement conduit à des problèmes de sûre-té, ceux-ci peuvent être très importants et semblent être exacerbés en cas de mauvaise plani-fication. De ce fait, la prise en compte des conséquences potentielles des réorganisationsmajeures mises en place dans le cadre de la dérégulation est un sujet critique pour la sûretéde l’industrie nucléaire.

Relation entre pressions financières et problèmes de sûreté

Un autre problème clé concerne la relation entre les difficultés financières et les problèmesde sûreté dans les industries du rail et de l’aviation. A ce jour, les études n’ont pas clarifié lesmécanismes de cette relation, cependant le lien entre faible rentabilité et problèmes de sûre-té apparaît être plus important dans le cas des compagnies non rentables et de petite taille.

Même si les centrales nucléaires américaines les plus compétitives sont financièrement sainesaprès la dérégulation, certaines centrales peuvent éprouver des difficultés qui les incitent àfaire des économies. Les difficultés financières peuvent être un indicateur d’une diminutiondes marges de sûreté dans l’industrie nucléaire.

Conséquences potentielles sur la sûreté des réductions de personnel

D’importantes questions sont liées aux réductions de personnel et à la fatigue dans l’indus-trie nucléaire et dans celle du rail. Les enquêtes menées dans le cadre de récents accidents fer-roviaires ont montré que le manque de personnel et la fatigue sont des facteurs contributifs.Au Royaume-Uni, les Autorités de sûreté ont exprimé leur inquiétude face aux réductionsexcessives de personnel qui aboutissent à une perte des compétences et à un recours excessifà la sous-traitance. Elles ont aussi posé le problème de l’augmentation des heures supplé-mentaires. Ces questions sont à relier aux pressions exercées pour réduire les coûts dans lecadre de la dérégulation.

Expériences des Autorités de sûreté

Avec la mise en place de la dérégulation, l’Administration fédérale de l’aviation avait réduitses effectifs et son budget avant de s’apercevoir que le personnel ne pouvait plus répondreaux exigences supplémentaires induites par la dérégulation. Par contraste, l’Autorité de

Page 51: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

102

sûreté nucléaire britannique a anticipé l’accroissement de la charge de travail due à la priva-tisation du marché de l’électricité en augmentant, légèrement, son effectif. Dans la mesureoù la dérégulation entraîne davantage de travail pour l’Autorité de sûreté américaine, seseffectifs et ses autres ressources devraient être ajustés en conséquence.

De plus, du fait des changements organisationnels liés à la dérégulation, les Autorités de sûre-té du rail et de l’industrie nucléaire de Grande-Bretagne ont commencé à requérir une auto-risation préalable pour tout changement important de structure tel que réductions de per-sonnel, fusions et acquisitions, qui pourrait avoir un effet sur la sûreté. Toutefois, cetteapproche n’a généralement pas été normative et a été limitée à requérir des compagnies unplan démontrant le maintien de la sûreté.

Conditions favorables pour la sûreté

Dans les 3 cas étudiés, certaines circonstances favorables à la sûreté peuvent avoir masqué desproblèmes causés par la dérégulation. De ce fait, et même si les statistiques montrent uneamélioration de la sûreté dans l’industrie du rail et dans l’aviation civile après la dérégulation,il ne faudrait pas en conclure que des améliorations similaires seront nécessairement obser-vées dans l’industrie nucléaire américaine.

Dans l’industrie de l’aviation, les décennies d’améliorations de la sûreté et de la technologiepeuvent avoir occulté certaines conséquences négatives pour la sûreté. Alors que la dérégu-lation a accéléré les améliorations de la technologie, nombre d’entre elles auraient cependanteu lieu.

Dans l’industrie ferroviaire, l’amélioration des conditions financières a permis d’augmenter lasûreté. Cette augmentation est principalement due à l’abandon de lignes non rentables. Deplus, la dérégulation est intervenue au moment ou l’Administration ferroviaire fédérale s’im-pliquait davantage dans le domaine de la sûreté.

En Grande-Bretagne, les années qui ont immédiatement suivi la dérégulation ont vu d’im-portants subsides qui ont protégé la santé financière de l’industrie nucléaire. Les réductionsde personnel et autres menaces sur la sûreté auraient pu être plus graves en l’absence de telssubsides. Le rôle proactif de l’Autorité de sûreté britannique qui a anticipé et contrôlé leseffets de la privatisation a réduit l’importance de certains problèmes de sûreté.

Tout le bénéfice que l’industrie nucléaire devrait tirer de changements similaires est encore àvoir. En l’absence de conditions favorables identiques, la dérégulation pourrait avoir plus d’ef-fets négatifs sur la sûreté de l’industrie nucléaire américaine que dans les cas étudiés.

Conclusions générales

Sur la base des cas étudiés, le rapport identifie un certain nombre de problèmes qui ont uneimportance potentielle pour la sûreté de l’industrie nucléaire américaine en cours de déré-gulation. L’expérience des cas industriels étudiés montre que la dérégulation économiquen’est pas incompatible avec un niveau de sûreté raisonnable, en particulier lorsque les aspectsde sûreté sont liés positivement à la productivité. Cependant, des problèmes de sûreté ayantété relevés dans les 3 industries étudiées, la sûreté ne peut être considérée comme acquiseaprès la dérégulation.

L’importance et la rapidité des changements associés à la dérégulation peuvent aussi créer desdéfis importants pour la gestion de la sûreté dans l’industrie nucléaire américaine et pour lesAutorités de sûreté, comme le montrent les 3 cas étudiés. Une étude et une analyse minu-tieuses devraient permettre d’identifier préventivement les moyens de minimiser les pro-blèmes de sûreté similaires dans l’industrie nucléaire américaine, où les conséquences sontpotentiellement graves.

Page 52: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

103

Depuis plusieurs années, au nom d’unemeilleure compétitivité, la disponibilité duparc nucléaire français a fait l’objet de pres-sions considérables exercées par les direc-tions d’EDF. Ces pressions ont été souventdouloureusement vécues par le personneltravaillant sur les centrales, qu’il s’agisse dupersonnel EDF ou du personnel des entre-prises sous traitantes. Cette pression, qui s’esttraduite en particulier par de très impor-tantes modifications de structures et desdiminutions sérieuses des investissements etde la formation, a-t-elle eu les mêmes consé-quences sur la sûreté ?

En premier lieu, il faut préciser ce que l’onentend par compétitivité. La direction d’EDFinsiste beaucoup sur le nombre de kWh pro-duits et le moment où ils sont produits (etdonc vendus). C’est le sens des campagnesqui ont eu lieu sur la valeur du coefficient dedisponibilité (Kd) et de celle qui est en courssur le projet « arriver à l’heure ». Pour la CGT,à ces éléments s’ajoute la réflexion sur lapérennité du parc nucléaire français. Uneétude récente, commanditée par les repré-sentants du personnel au CCE d’EDF au sujetde la disponibilité du parc nucléaire, a souli-gné l’impact de la durée de vie des tranchessur la compétitivité du nucléaire, ainsi que lanécessité d’une transmission des compé-tences entre la génération «qui s’en va», quia vu construire puis démarrer les tranches, etles générations futures.

Cela renvoie à des caractéristiques de la pro-duction d’électricité nucléaire qui tiennentau poids du travail passé sur le bon fonction-nement présent des installations, au hautniveau de valeur ajoutée existant dans ce sec-teur, à l’importance du maintien dans letemps, aussi longtemps que possible, decaractéristiques techniques sensiblement dumême niveau que celui existant actuelle-ment. Toutes ces questions rejoignent direc-tement le concept de « sûreté nucléaire ».

Parallèlement, la Direction du parc nucléaired’EDF est confrontée au contexte politiqued’ouverture du marché de l’électricité.

Comme toute entreprise désormais plongéedans le secteur concurrentiel, la stratégie desdirigeants vise trois niveaux :

• Recherche de productivité, laquelle renvoieaux formes locales d’organisation du travail,d’effectifs, d’intensification du travail, dedélais…

• Recherche de performance par la compéti-tivité, laquelle renvoie au « marché » et doncaux coûts…

• Recherche de rentabilité financière, laquel-le renvoie aux deux précédentes, mais sur-tout à ce que l’on appelle la « financiarisa-tion » de la gestion (la stratégie de« groupe »).

Les multiples transformations des structureset du management des sites visent essentiel-lement à satisfaire à ces objectifs, enessayant, dans ces conditions nouvelles, demaintenir les conditions de sûreté, en parti-culier parce qu’elles sont indispensables aumaintien de la confiance des populationsdans le nucléaire, ce qui est un élémentessentiel du débat sur l’avenir de la filièrenucléaire à l’intérieur du débat plus large surl’avenir énergétique du pays.

Au-delà de ces modifications de structures(qui n’ont pas été sans effet sur les conditionsde travail dans les centrales), ces orientationsont eu un effet direct sur les volumes finan-ciers dépensés dans le nucléaire. La politiquede réduction des coûts voulue par la direc-tion générale d’EDF pour « faire de lamarge » a été effectivement suivie d’effetsau sein du parc nucléaire.

Bien sûr, les tenants du libéralisme, les dog-maticiens du « marché », tentent de fairecroire que l’avenir de la filière nucléaire estdirectement lié à sa compétitivité, d’où la

Sûreté nucléaire – Evolutions structurelles et disponibilité

par Jean-Luc Silvain et Jean Barra – Confédération générale du travail

Page 53: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

mise en oeuvre actuelle des politiques deréduction des coûts et la recherche de gainsde productivité.

La CGT ne partage pas cette vision fondée surl’idéologie libérale. Bien évidement, une desmissions premières du service public est defaire que les prix de vente, donc les coûts deproduction, soient les plus bas possibles. Celasignifie entre autres que la baisse des coûtsde production doit intégralement se répercu-ter sur les prix de vente et ne doit pas servir àdégager du «cash » pour jouer au Monopolysur le marché international, ou, comme cer-tains l’espèrent pour demain, servir à payerles dividendes des futurs actionnaires (à cesujet, il est flagrant de constater que lesclients éligibles qui ont « quitté » EDF, ayantobtenu des prix plus bas ailleurs, n’ont pasrépercuté cette «économie» sur leurs prix devente, ils ont donc dégagé des profits sup-plémentaires, redistribués à leurs action-naires… ; il n’y a donc pas, comme nousl’avions dit, d’intérêt social (au sens de lasociété) à l’ouverture à la concurrence).

L’avenir de la filière nucléaire dépend essen-tiellement d’enjeux de société et marginale-ment de ses coûts. Ces enjeux sont l’accepta-bilité sociale et écologique, la satisfaction desbesoins énergétiques, les retombées écono-miques et en termes d’emplois et d’indépen-dance énergétique.

Autant d’enjeux qui relèvent de choix desociété ; c’est pour cela que nous réclamonsdepuis des années un réel débat national surces questions. Les coûts font partie de cedébat, mais en aucun cas ils ne le détermi-nent, et c’est précisément l’absence actuellede ce débat qui permet aux libéraux demettre en avant l’unique question des coûts(c’est d’ailleurs pour cela qu’ils ne veulent pasdu débat).

La « réduction des coûts » s’est traduite dedeux façons en apparence contradictoires :d’une part les directions ont constammentaffirmé que ces réductions de coût ne por-taient pas sur des opérations affectant lasûreté ; d’autre part et pour la première foisdepuis la création du parc nucléaire, les cri-tères financiers sont redevenus le premiermode de pilotage des modifications destranches nucléaires.

Cette contradiction n’est qu’apparente. Sieffectivement la première liste des investisse-

ments « différés» ne concernait pas des opé-rations classées importantes pour la sûreté, ils’avère à l’usage que certaines pratiques,proches de l’autocensure, apparaissent, d’au-tant plus fortes si les problèmes concernésn’ont que des incidences à long terme ouavec des probabilités d’occurrence trèsfaibles.

Cela a un rapport direct avec la qualité et lasûreté.

Ce rapport est de deux ordres: il concerne laqualité au sens propre et le management.

• Nous affirmons que la recherche effrénéeactuelle de réduction des coûts est contradic-toire avec les objectifs de qualité de l’indus-trie nucléaire, condition pour la sûreté.

• Cela s’oppose à la mise en œuvre du mana-gement actuel, lequel a pour but de condui-re l’entreprise là où il veut qu’elle aille et qui,pour cela, s’est doté d’un outil baptisé« management par la qualité ».

Actuellement, la Direction du parc nucléairetente de mettre en œuvre ce projet (MPQ)qui vise la compatibilité entre rentabilitéfinancière et qualité.

De leur côté, les agents tentent d’alerter surla dégradation des conditions nécessaires àl’accomplissement de leur activité. De mul-tiples événements sur les sites, dont ceux àpartir desquels se construisent les « indica-teurs de sûreté », semblent confirmer cettedégradation.

Toutefois, la dégradation de ces indicateursne témoigne que partiellement des pro-blèmes posés. Les agents alertent aussi, à leurmanière, sur l’accroissement du coût humaindu travail nécessaire à la garantie des condi-tions de sûreté : coût pour les agents et pourles collectifs de travail pour produire malgrétout de la qualité.

Dans ce contexte de dégradation des condi-tions du travail et d’augmentation de soncoût humain, nous pensons que le MPQ estporteur de risques de dégradation des condi-tions de sûreté.

Le drame de la qualité, c’est que bien sou-vent on ne la voit qu’en «creux», c’est-à-direlorsque se produit une « non-qualité ».

Il en résulte que la mesure de la qualité nepeut pas se limiter aux seuls événements

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

104

Page 54: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

de non-qualité considérés comme « significa-tifs».

Par ailleurs, à chaque fois que se produit unincident, un accident, un aléa, un dysfonc-tionnement, une analyse est effectuée. Elle apour but d’éviter qu’un événement procheou similaire ne se reproduise, et pourtant lenombre de ces événements ne diminue pasautant qu’on pourrait légitimement l’espé-rer !

N’est-ce pas justement faute de débat sur laqualité et sur l’organisation ? N’est-ce pasfaute d’une prise en compte suffisante del’avis de tous les salariés du secteur sur leurtravail et leurs conditions de travail ?

Alors prenons le problème d’une autremanière et, pour chercher à diminuer lenombre de ces événements, plutôt que secontenter d’en analyser les causes (même s’ilconvient bien évidement de le faire), nousdisons « essayons de comprendre commentse réalise la qualité au quotidien ».

Ne pas se limiter en somme à la question :« pourquoi y a-t-il des incidents? » mais élar-gir cette question à une autre : « comment età quel coût pour les salariés et les collectifs,se réalise le travail, qui fait qu’il n’y a pasd’incident ? ».

Or il est évident que la recherche d’une com-pétitivité (réduction systématique des coûts)génère une pression de plus en plus impor-

tante sur les salariés et dégrade fortementleurs conditions de travail et de vie.

Dans cette situation, les priorités se dépla-cent depuis le principe d’une sûreté prioritai-re en toute circonstance vers une recherched’économie de temps et de moyens. Les arbi-trages sont alors de plus en plus difficiles àrendre et la sûreté devient une affirmationplutôt qu’une réalité.

Le colloque organisé les 9 et 10 octobre parle CCE d’EDF sur « Le nucléaire et l’homme »a fortement mis en lumière cet état de fait.

Les salariés, qui restent les premiers garantsde la sûreté, parlent d’ailleurs d’organisationdu travail virtuelle qui s’abrite derrière lesprocédures, alors que le travail réel s’enéloigne.

La plupart des évolutions dans les organisa-tions, les structures et les méthodes de mana-gement que mettent en œuvre les directionsse traduisent par cette organisation virtuelle.Le développement des prestations intégréesest une illustration de cette dérive. En effet,elles entraînent un éloignement d’EDF, res-ponsable de la sûreté, de la réalisation dugeste professionnel qui permet d’assurer ounon la sûreté. En fait, cette politique poursuittoujours le même but, celui de la réductiondes coûts de la sous-traitance. Elle a pourconséquence une nouvelle réduction desgaranties collectives des salariés ainsi quel’accroissement de la précarité. Ces dernierséléments sont reconnus par beaucoupcomme un obstacle à la bonne réalisation desactivités donc à la sûreté.

Au contraire de cette orientation politiquedes directions, la CGT considère qu’il fautrevoir fondamentalement l’organisation del’exploitation du parc. Celle-ci doit s’appuyersur plusieurs grands principes:

– démocratie et transparence internecomme externe ;

– garanties sociales de haut niveau pourtous les intervenants ;

– cohérence et pérennité de la filière indus-trielle.

La sûreté, quant à elle, doit être en perma-nence le ciment de ces principes. A partir decette conception, la compétitivité du processindustriel du nucléaire sera le résultat obte-nu.

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

105

Page 55: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

106

D’ailleurs, la récente étude du CCE d’EDF surla disponibilité du parc démontre que cettecompétitivité a déjà été atteinte par le passé,et que son maintien et son amélioration nepeuvent se concevoir sur la base de raisonne-ments financiers à court terme. Durée de vie,amélioration technique et d’exploitation,

maintien des savoir-faire, sont les clés d’uneréelle et efficace compétitivité.

A défaut, on assistera à une dégradation dela sûreté qui entraînera de façon inévitableune dégradation de la compétitivité.

Page 56: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

107

Vous avez enfin dit « débat » ?

Nicole Fontaine, ministre française de l’indus-trie, vient de donner l’accord de la France auprincipe d’une libéralisation totale des mar-chés de l’électricité et du gaz, sous certainesconditions, avant 2007. La négociation seraitconclue fin novembre.

Quelles alternatives nous restera-t-il pour ledébat annoncé début 2003, si le dossier estdéjà verrouillé en 2002 ?

Les aides de l’Etat permirent la mise en placedu nucléaire et assurent aujourd’hui sonmaintien. Dans une gestion libérale, le critè-re économique est déterminant : se posealors la question des conséquences sur lasûreté des installations d’une telle gestionainsi que du blocage entraîné par cette ges-tion pour la création d’un outil industriel deproduction d’énergies alternatives et renou-velables.

Le débat tant attendu aurait enfin dû appor-ter des réponses pertinentes à la mise enplace de nouveaux moyens de productionénergétiques : celui-ci ne se serait pas limitéaux seules données techniques et indus-trielles mais aurait inclus une réflexion surles interactions économiques, environne-mentales et géopolitiques.

Le programme de production d’électricitéatomique en 1968 fut décidé et imposé auxfrançais par les responsables politiques sansdébat démocratique. L’objectif réel restait dedévelopper le nucléaire civil tout en répon-dant à la demande du nucléaire militaire.

Nucléaire : un bilan financierimpossible !

Un bilan concernant la filière de productiond’électricité d’origine nucléaire est impos-

sible à établir au fait du secret qui a toujoursentouré ce domaine.

Le principe de production de plutonium àdes fins militaires fut décidé en 1945 par legénéral de Gaulle à travers la création duCEA. A partir de 1956, trois unités deMarcoule fournirent du plutonium pour lapremière bombe atomique française quiexplosa en 1960. Parallèlement, EDF décidaen 1955 d’engager la construction de réac-teurs du même type pour une productiond’électricité atomique. Elle rajouta en unedécennie 6 réacteurs graphite-gaz, toujoursproducteurs de plutonium, aux trois deMarcoule1.

Dans les années 60, la commission consultati-ve « Production d’électricité d’originenucléaire » (PEON) maintenait la pressionpour que soit lancé un programme nucléaire« le moment venu » ; ce moment fut consti-tué par le premier choc pétrolier. On rajou-tait au concept de puissance militaire celuid’indépendance énergétique et on pouvaitainsi jouer dans la même cour que les Etats-Unis ou l’Union Soviétique.

Le montant des investissements réalisédepuis 1968 pour à la construction de 58réacteurs d’une nouvelle filière est estimé à153 milliards d’euros. Pour la période de1945 à 1968, aucun chiffrage n’est disponiblemais on peut l’estimer à une somme équiva-lente. Pour ce qui concerne la surgénération,le seul réacteur Superphénix pour saconstruction et son fonctionnement de 1986à 1996 a coûté, selon une évaluation de laCour des Comptes, 7,7 milliards d’euros (horsdémantèlement).

La première manipulation sur le prix du kilo-wattheure nucléaire consiste à ne pas inté-grer les investissements énormes de la miseen place de la filière. La seconde participe à

L’aberration économique du nucléairepris dans la tourmente d’une libération du marché de l’électricité

par André Crouzet et Marc Saint Aroman – Réseau – « Sortir du nucléaire»

Page 57: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

nous convaincre que les 15 % retenus sur cemême kWh vont nous permettre d’assurer lefinancement du démantèlement sécurisé decentaines de sites nucléaires, de mines d’ura-nium, d’usines de fabrication du combus-tible, des 70 réacteurs nucléaires, deSuperphénix…

Ce sont pourtant des millions de tonnes dedéchets issus de ce démantèlement, rajoutésaux milliers de tonnes de combustibles usés,qui devront être gérés pour des milliers d’an-nées: la provision est dérisoire.

Retraitement : la cerise sur le gâteau nucléaire !

Sous prétexte de « recyclage » du combus-tible, l’usine COGEMA de La Hague est miseen service en 1967. L’ancien ministre del’époque M. Robert Galley reconnaîtra quecette unité devait permettre de garantir laproduction de plutonium militaire au cas oùun accident surviendrait à Marcoule1.

Pour ce qui concerne le mensonge chroniquede la rentabilité du « retraitement », dès1986 on pouvait lire « mais hélas les maté-riaux récupérés (ndlr à La Hague) n’ont pasune valeur suffisante pour rendre le retraite-ment rentable en lui-même comme on lecroyait »2. En juillet 2000, Messieurs Charpin– Pellat – Dessus montraient dans leur rap-port3 comment le plutonium évité grâce àl’usine de La Hague coûtait à la collectivité,suivant divers scénarios futurs, entre 170 et290 millions d’euros la tonne ! M. Stoffaës4

déclarait en 2002 : « Il faut couper définiti-vement et de manière convaincante le lienoriginel entre la production d’électricitéd’origine nucléaire et les matières nucléairessusceptibles d’utilisation militaire, en inter-rompant la production de plutonium à partirdes déchets nucléaires et en recherchant dessolutions acceptées pour le devenir des com-bustibles irradiés »5. Qui pourrait donc four-

nir une explication rationnelle à la poursuitedu retraitement en France ?

Quid d’un défaut générique grave ou de l’accident majeur ?

Le discours officiel ne change pas: des décla-rations récurrentes tendent toujours à nousfaire croire qu’il est toujours possible derésoudre les problèmes existants. Nousremarquons néanmoins une tendance régu-lière de tous les acteurs du nucléaire à se cou-vrir à travers des écrits internes, vis-à-vis dedéfauts graves qu’ils relèvent : ils ne portentbien sûr pas ce discours vers le grand public.Tout se passe comme s’ils se protégeaientd’un procès post-accidentel. Le vieillissementdu parc révèle en continu de nouveaux ano-malies et problèmes génériques graves. Rienque pour des défauts de génie civil, une ving-taine de réacteurs ou leurs enceintes deconfinement sont menacés de destructionpar leurs propres alternateurs mal position-nés. Il y a aussi les niveaux de plates-formesde la majorité des réacteurs français qui ontété positionnées trop bas alors que le dérè-glement climatique menace ces réacteursd’inondation. Pour ces types de défauts laseule solution est bien sûr d’arrêter définiti-vement les réacteurs. Les attentats du 11 sep-tembre ont révélé un énorme défaut deconception ; nos 58 réacteurs, initialementprévus pour tenter de résister à une destruc-tion interne par le cœur, se retrouventcomme des tortues sans carapace : tous leurssystèmes de fonctionnement de sauvegardeet de sécurité sont à l’extérieur, sans protec-tion contre les agressions externes!

Pour ce qui est du vieillissement du parc, EDFsollicite régulièrement des délais auprès del’Autorité de sûreté nucléaire pour le rem-placement de pièces essentielles nécessairesau fonctionnent de ses réacteurs victimesprincipalement de corrosion (couvercles decuves, générateurs de vapeur, gaines de com-bustible, barres de contrôle, etc.).

L’accident de Three Misle Island en 1979, bienque limité en impact externe, à coûté auxEtats-Unis le prix de la mise en place de leurparc (essentiellement à travers le coût demodifications techniques). Après cet acci-dent, les Etats-Unis n’ont plus passé de com-mande pour de nouveaux réacteurs.L’accident de Tchernobyl a pour sa part coûté

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

108

1. Film « Atomes crochus».

2. L’ère nucléaire : Jacques Leclercq éditions Hachette.3. Rapport au Premier ministre, juillet 2000 : Annexe 1scénario S7.4. M. Stoffaës est directeur de la prospective et des rela-tions internationales chez EDF.5. Revue de l’Association d’Economie Financière N° 66« Johannesburg 2002 : Ecologie et Finance ».

Page 58: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

à l’ex-Union Soviétique 3 fois la totalité desbénéfices commerciaux enregistrés par l’ex-ploitation de toutes les centrales nucléairessoviétiques entre 1954 et 1990, soit 36 ans !6

Si la France a arrêté le nuage de Tchernobyl àsa frontière, c’est tout simplement qu’il luirestait, en 1986, 20 réacteurs nucléaires àmettre en service dans l’hexagone.

Et la libéralisation ?

Aujourd’hui, avec l’ouverture du marché del’électricité à la concurrence, un véritableséisme secoue EDF. Des études concernant leprix réel du kilowattheure commencent àintégrer des coûts externes, hors bilan, dontl’État garantissait la gestion. En 2000, ladirection d’EDF demandait de réduire lescoûts de production d’électricité de 30 % :ceci a contribué à dégrader de façon impor-tante les conditions de travail déjà énormé-ment tournés vers la sous-traitance. Cemanagement déstabilise un monde syndicaldéjà bien éprouvé par le changement de sta-tut. La CGT Mines-Energie reconnaît dans untract appelant à manifester le 3 octobre 2002que « l’éclatement du salariat intervenantdans les installations, les pressions inces-santes sur le prétendu coût du travail ainsique la sous-traitance en cascade engendrentdes doutes sur la sûreté et la sécurité ».

A tout cela l’application de la loi européennes’ajoute enfin pour imposer à la France uneréduction de l’exposition des travailleursd’un facteur 2,5. Les robots ne pouvantprendre le relais des hommes dans un tempsraisonnable pour EDF, nous nous interro-geons sur la capacité qu’aura l’entreprise àrésoudre cette quadrature du cercle. Le der-nier audit de la direction d’EDF le 18 sep-tembre, devant la Commission des financesde l’Assemblée Nationale, nous annonce queles comptes de l’entreprise frisent le« rouge ». EDF a perdu un tiers des clientspotentiels éligibles, au 30 juin 2002.

De plus, les rachats de groupes en Italie,Angleterre, Mexique, Brésil, Argentine,Chine, sont loin d’être porteurs des bénéficesescomptés pour financer les futurs coûts dudémantèlement des réacteurs en fin de vie,ainsi que ceux de la gestion des déchets pourlesquels des solutions sérieuses n’existent

toujours pas. L’Etat doit pourtant décider en2006 des différentes possibilités à mettre enœuvre pour les déchets nucléaires7.

La Direction générale de la concurrence de laCommission européenne, dirigée par M.Mario Monti, a depuis plusieurs mois EDFdans le collimateur et a engagé des pour-suites pour concurrence déloyale : elle comp-te bien empêcher EDF de continuer à utiliserl’argent du démantèlement pour financer sapolitique expansionniste.

EDF a réalisé trois types de provisions:

– pour risques et charges (dont le nucléaire,que ce soit le retraitement du combustibleou le démantèlement des centrales), quireprésentent 51,1 milliards d’euros;

– pour le renouvellement des concessions(EDF n’est pas propriétaire des ouvrages, quiappartiennent aux collectivités locales), quipèsent pour 20,7 milliards d’euros;

– pour les retraites (42 milliards d’euros horsbilan).

Ces sommes excèdent de loin les capitauxpropres d’EDF (ils s’élevaient fin 2001 à 13, 7milliards d’euros, avec une dette financièrenette de 22,2 milliards d’euros).

François Roussely, après avoir déclaré enjuillet dernier, devant la Commission de laproduction et des échanges, que les résultats2002 d’EDF frôleraient le « rouge », annon-çait en septembre une possible améliorationsi le froid sévissait ! Le réchauffement clima-tique ne serait pas bon pour les comptesd’EDF basés sur le nucléaire.

Que devient le nucléaire confronté à la loi du marché?

Le scandale TEPCO au Japon vient de démon-trer comment TOUS les opérateurs dunucléaire japonais ont été amenés à falsifierdes documents concernant la sécurité de leurréacteurs nucléaires afin de continuer à toutprix à produire de l’électricité. Le Royaume-Uni annonçait, en décembre 2001, son inten-tion de prendre à sa charge le coût – 56 mil-liards d’euros – du démantèlement de sonancien parc nucléaire et le retraitement deses déchets pour sauver BNFL de la faillite.Cette opération avait pour but, selon laministre de l’industrie, de transférer la factu-

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

109

6. D’après Energie et Sécurité n° 15. 7. A travers la loi Bataille.

Page 59: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

re à une autre compagnie publique créée àcet effet8. Toujours au Royaume-Uni, BritishEnergy, privatisée il y a six ans, était récem-ment menacée de faillite. La compagnie, quiassurait 20 % des besoins en électricité dupays grâce à ses huit centrales nucléaires,avait reçu le 9 septembre 2002 une garantiebancaire à court terme du Gouvernementpour un montant de 650,8 millions d’eurosdevant lui permettre d’assurer sa survie jus-qu’au 27 septembre 2002.

Quel avenir énergétique en France?

Forts de ces expériences absurdes, si nous sui-vions le même chemin en France avec uneprivatisation des bénéfices et une collectivi-sation de la gestion des déchets et dudémantèlement, nous nous considérerionsdavantage dans un système maffieux quedans une démocratie. C’est pourtant bien cequi se dessine à travers les salons feutrés dela fondation Concorde, chargée de la privati-sation d’EDF.

Le mensuel La Recherche de décembre 2000,à travers l’éditorial de son rédacteur en chefO. Postel-Vinay, écrivait : « Les nucléaristessavent depuis longtemps que cette histoired’effet de serre, à laquelle ils croient du boutdes lèvres, est pour eux une chance histo-rique. Le moment est clairement venu de lasaisir. »

L’alternative posée aujourd’hui à la Franceest de continuer dans la voie du nucléaire ou,à l’instar de nombreux pays démocratiques àtravers le monde, d’en sortir.

MM. les députés Birraux et Le Déaut écri-vaient récemment, à propos de la sortie programmée du nucléaire en Allemagne :« … Compte tenu de la force de son appareilindustriel et des débouchés intérieurs etextérieurs de ces nouvelles sources d’énergie,ce qui aurait pu risquer de constituer un nau-frage économique pourrait au contraire serévéler comme un virage stratégique opéréavec prescience et donc un pari gagnant. »9.

Pour ce qui est des emplois, ce virage poli-tique a permis d’en créer 35 000 dans le sec-teur industriel de l’éolien et le premier

ministre allemand a annoncé la création de120 000 emplois supplémentaires d’ici 2010.

Si l’État subventionne encore comme par lepassé de nouveaux prototype tel l’EPR pourun montant de départ de 3 milliards d’euros,il entérinera la fuite en avant dans le gas-pillage et empêchera toute redéfinitiond’une politique alternative d’économiesd’énergie et de productions renouvelablescomme cela se pratique à travers l’Europe.

Le mix nucléaire et renouvelable qui nous estproposé constitue une escroquerie évidentepour deux raisons essentielles :

1) La France ne dispose pas de la trésorerienécessaire à la mise en place simultanéed’une politique de renouvellement et d’en-tretien du parc d’un côté et d’une politiquealternative. Les réactions de politiques nesont pas là pour nous rassurer : M. Batailledéclarait récemment que la mise en place del’éolien en France constituerait un « gaspilla-ge coûteux ». Le retard accumulé par laFrance en matière d’énergie renouvelablepar rapport aux autres pays du monde risquede ne pas se rattraper de si tôt.

2) La production électrique nucléaire imposeune consommation forte10, et est donc tota-lement antagoniste à une politique d’écono-mies d’énergie. C’est essentiellement cela quia guidé de nombreux pays dans leur décisionde mettre en place une politique alternativeet de sortir du nucléaire.

Conclusion

Comme nous venons de le montrer à traversces lignes, l’aberration financière du nucléai-re transparaît à toutes les étapes de son his-toire et de sa production. Le bilan ne seraitpas complet si nous n’évoquions les coûtssanitaires tout au long de la filière, de lamine aux déchets : des masses énormes d’ef-fluents radioactifs liquides et gazeux sontsimplement rejetées de façon chronique etcontinueront de n’avoir aucun impact officielsur la santé. Lorsque des études comme celledu Pr. J.F. Viel, publiée dans le célèbre etsérieux « British Medical Journal », montre-ront des excès de leucémies à Beaumont-Hague, il suffira de créer une commissionpour attribuer cela au hasard. Le risque d’ac-cident majeur et l’accumulation des déchets

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

110

8. D’après Libération du 4-12-2001.

9. Page 51 du rapport sur les énergies renouvelables :N° 3415 Assemblée Nationale. 10. Commission AMPERE.

Page 60: Dossier : Sûreté et compétitivité...Sûreté et compétitivité Sommaire Page Avant-propos: par André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection

▼Dossier : Sûreté et compétitivité

111

radioactifs condamnent irrémédiablement lafilière nucléaire qui met en jeu l’avenir del’humanité alors qu’elle ne représente que5 % de la consommation énergétique mon-diale.

Bien que faisant partie de la spécificité dunucléaire, les coûts de la mise en place desexercice de crise, des distributions de pastillesd’iode, de la protection des centrales… neseront pas inclus dans le prix du kilowattheu-re nucléaire. Ce coût restera à la charge ducontribuable ! Pour un accident nucléairemajeur en France, le plafond cumulé desdédommagements en provenance d’EDF, del’Etat et des autres Etats signataires de laconvention plafonneraient à 625 millionsd’euros, alors que le seul coût de l’accidentd’AZF est estimé aujourd’hui entre 1, 5 et 1,7milliards d’euros. Les territoires pollués à

Toulouse n’ont pourtant pas été rendus inha-bitables pour des millénaires.

L’AEN préconisait à travers un récent rapport,le plus sérieusement du monde, un scénariodit « écologique » comportant une multipli-cation par 18 de la production électronu-cléaire mondiale actuelle.

Alors, plus sérieusement, après ce bilan, laseule réponse que peuvent fournir nos dépu-tés à la mise en place de nos futurs moyensde production électriques, à travers leursvotes, ne peut concerner que la décisionimmédiate de sortie de l’âge du nucléaire !Aussi cher que coûtera cette sortie, elle n’at-teindra jamais les montants exorbitants citésplus haut pour les dégâts en cas d’accidentou pour l’obligation de gestion des déchetsen cours de production.