DOSSIER QUEL AVENIR POUR LES ASSOCIATIONS AGRÉÉES …

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Associations, QUEL AVENIR POUR LES ASSOCIATIONS AGRÉÉES DE SÉCURITÉ CIVILE ? DOSSIER 28 Septembre-Octobre 2019 a n° 52 SOMMAIRE a DES ASSOCIATIONS AU BORD DU PRÉCIPICE Pages 24-27 a INTERVIEW Joël Prieur, administrateur du CNPC et président de la commission permanente Secourisme, formation citoyenne et service national universel Pages 28-30 © Nicolas Lefebvre

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QUEL AVENIR POUR LES ASSOCIATIONS AGRÉÉES DE SÉCURITÉ CIVILE ?DOSSIER

28 Septembre-Octobre 2019 a n° 52

SOMMAIREa DES

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Les temps sont durs… Il n’y a qu’à allumer sonposte de radio, de télévi-sion ou lire les journauxpour faire ce constat –notamment économique– qui semble faireconsensus au sein d’unegrande partie de la popu-lation. Niveau de vie enbaisse, difficulté à trouverdu travail, endettement,composent une rengainemalheureuse qui anime lequotidien de nombreuxFrançais. Mais les tempssont durs aussi pour lesassociations, et, dans lecas qui nous intéresse,les associations agrééesde sécurité civile. Bienmoins médiatisés, lesproblèmes rencontrés par ces associations debénévoles secouristesdepuis quelques annéesrisquent pourtant d’avoirdes conséquences importantes dans le paysage constitutif de lasécurité civile. Quellessont les problématiquespointées du doigt ? Lasituation est-elle grave ?Quels peuvent être les effets néfastes ? Réponses dans ce dossier.

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Les associations agréées desécurité civile font face à denombreuses difficultés quiremettent en cause leur avenir.

Texte : Sylvain Ley

Ya-t-il eu, un jour, un âge d’orpour les associations agrééesde Sécurité civile (AASC) ?

Une période faste, où elles pouvaientvivre dignement de leurs actions, faireévoluer leur matériel sans prendre lerisque d’engendrer au sein de leurs finances un trou béant… En 2004,lorsqu’a été publiée la loi dite de « modernisation de la sécurité civile »,les AASC auraient pu croire à ce rêve.Pourtant, aujourd’hui, à peine 15 ansaprès la promulgation de cette loi, leconstat est amer. Toutes les associa-tions agréées de sécurité civile, dumoins les « grandes associations » nationales – celles qui assument l’ensemble des missions ABCD (lireencadré) et les dépenses qui vont avec– réunies au sein du Conseil nationalde protection civile (CNPC), s’accor-dent à dire à peu près la même chose :la situation actuelle est plus que déli-cate et si elle n’évolue pas dans le bonsens, leur avenir est très incertain. LesAASC sont en effet au bord du gouffre.Financier en premier lieu. « Les asso-ciations agréées de sécurité civile ontété structurées au fil du temps par laLoi de modernisation de la sécurité civile, explique Philippe Testa, respon-sable du département secourisme dela Direction des activités bénévoles etde l’engagement de la Croix-Rougefrançaise. Mais elle est arrivée à sonterme dans le modèle économique imposé »*. Ce modèle économiqueprévoyait que les AASC tireraient leursressources du marché de la formationau secourisme d’une part (enseigne-ment du PSC 1 notamment au grand

public) et de celui des Dispositifs prévisionnels de secours (DPS) del’autre. Deux voies économiques quipermettraient d’engranger des béné-fices suffisants pour assurer l’achat dematériel et d’équipements divers, devéhicules, habiller leurs secouristes,les former mais aussi s’investir dansles missions de soutien à la popula-tion. Mais ces deux voies économiquessemblent, aujourd’hui, aboutir à uneimpasse. « En 2004, l’Etat nous a dit"au lieu de vous donner le poisson, onvous donne la canne à pêche", résumeJoël Prieur, président de la commis-

sion secourisme du CNPC. La canne àpêche, c’était le marché "réservé" de laformation et le marché "réservé" desDPS. Mais ce modèle économique estarrivé à épuisement. »

L’ENJEUDE LA CONCURRENCE

Les AASC n’ont en effet, semble-t-il,pas su conserver leur pré-carré. Problème de légitimité, de gouver-nance ou de naïveté face à une sociétéoù l’esprit du bénévolat peut être rapi-dement foulé au pied par le mercanti-lisme ? Quelle qu’en soit la cause, le

marché « réservé » aux associationss’est ouvert à d’autres acteurs et laconcurrence, qualifiée par certains de« déloyale », s’est rapidement instal-lée. Sur le plan de la formation, c’estavant tout le positionnement du ministère de l’Education nationale quia porté un coup sanglant aux associa-tions. La décision de former 100 % desélèves de 3e au PSC 1 d’ici quelques années (lire notre Dossier dans Secours Mag n°51) va forcément avoirde fortes répercussions sur les ressources escomptées par les AASCdans ce domaine. « Avec la formationde cohortes entières d’élèves de 3e auPSC1 à l’école, ce sont autant de personnes qui seront diplômées et quine viendront pas se former chez nous,sans compter que l’on sait que le PSC1est une porte d’entrée privilégiée versnos équipes de bénévoles »*, attestePhilippe Testa. Malgré le fait que laformation des élèves au PSC1 relèved’une volonté bienveillante de structu-rer la résilience de la population enaugmentant considérablement lepourcentage de personnes forméesaux gestes de secourisme, il n’en restepas moins que ce marché économiquepour les AASC s’en trouvera considé-rablement entamé. Parallèlement, un autre type d’attaque, plus virale,semble phagocyter petit à petit le marché du PSC1. Il s’agit de petites associations agréées à l’échelle dépar-tementale pour former au PSC1 (lirel’Entretien avec Joël Prieur, pagessuivantes). D’après une étude réaliséepar la Croix-Rouge française, elles se-raient plus de 700 en France. N’ayant

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Evoluant dans un modèle économique obsolète et face à des contraintes réglementairesde plus en plus importantes, les associations agréées de sécurité civile tirent la sonnetted’alarme. Bien que la sécurité de nombreux Français leur soit régulièrement confiée, ilsemble que l’avenir des associations qui forment cette « famille » des bénévoles-secouristes soit compromis ou au moins bouleversé. Etat des lieux.

“C’est le

positionnement duministère de

l’Education nationalequi a porté un coup

sanglant auxassociations.

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pas à assumer les frais généraux inhé-rents aux associations nationales, ellesproposent des prix cassés pour formerau PSC1 (30 à 40 euros, alors que leprix moyen se situe autour d’unesoixantaine d’euros). Et deviennent defait des concurrents contre lesquels lesAASC assurant l’ensemble des mis-sions ABCD ne peuvent pas lutter.Cette dérive mercantile avait été poin-tée du doigt en 2012 par le rapport del’Inspection général de l’administra-tion réalisé par Philippe Sauzey. Ilsemble qu’à l’orée 2020, elle se soitinstallée.

LES DPS, PAS SI RENTABLES

Le second enjeu concerne les disposi-tifs prévisionnels de secours. Là aussi,la source financière promise par l’Etataux associatifs semble se tarir graduel-lement. Plusieurs facteurs sont encause. La concurrence fait rage. Déjàentre AASC elles-mêmes car sur unmême événement nécessitant la miseen place d’un DPS, l’organisateur

n’hésite pas à négocier les prix. Les associations deviennent des variablesd’ajustement dans leur budget global.« Nous sommes sur une sorte de marché du secours organisé par desbénévoles pour des dispositifs très différents qui vont de la kermesse àdes grands rassemblements, expliquePhilippe Testa. Or les associations nesont pas intrinsèquement préparéespour faire du marketing et de la vente.Du coup, il existe quelques ambiguïtéssur certains territoires. Je pense quece modèle nous appauvrit plus qu’ilnous rapporte. Car on finit par se batailler là où il n’y a pas besoin. Onnous a mis dans une sorte d’engrenagequi ne correspond pas à la philosophie d’emploi de nos associations. »* Al’heure actuelle, les DPS ne fontpreuve d’aucun encadrement tarifaireparticulier. C’est un peu « à la tête duclient », et celui qui remporte le marché devient tout simplement lemoins-disant. Le marché du DPS, notamment celui de grande envergure,est aussi de plus en plus soumis à

l’arrivée de structures privées qui proposent une offre généralementplus chère, mais qui apportent aussiplus de moyens (médicalisation, ma-tériel high-tech, secours spécifiquessur des événements sportifs ex-trêmes), sur laquelle les AASC ne peu-vent s’aligner. Mais l’enjeu de laconcurrence n’est pas le seul facteurqui tend à rendre les DPS de moins enmoins rentables pour les AASC. L’évolution des normes (notammentenvironnementales et qui va concer-ner l’ensemble des parcs véhicules),l’augmentation du prix des matériels,le poids de la réglementation sont devenus des charges financièreslourdes, et des tâches chronophagespour les organismes de bénévoles. « Quand nous intervenons sur unDPS, le matériel que nous utilisonsn’est pas amorti, explique WalterHenri, président de la Fédération dessecouristes français Croix Blanche. Si

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S’il fallait salarier des secouristes sur les DPS, le prix de ces derniers serait plusieurs fois décuplé.

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nous nous comparions au monde del’entreprise, l’achat d’un véhicule serait réalisé avec une volonté d’amor-tissement sur cinq ans et au bout de cetemps, la rentabilité du véhicule permettrait d’en acheter un nouveau.Nous, quand on met en rapport le prixfacturé pour un DPS et celui d’un véhicule, il ne peut y avoir d’amortis-sement, c’est impossible ! C’est un peunotre faute, nous avons habitué les or-ganisateurs à baisser progressivementnos tarifs »*. Il est vrai que le montantproposé par les associations agrééesde sécurité civile – quel que soit leDPS – est considérablement dévaluépar rapport à la prestation réellementeffectuée. Même s’il est difficile d’éta-blir un prix moyen pour un DPS, si l’offre des AASC devait être facturéeau prix réel, donc en prenant encompte la rémunération des secou-ristes et l’amortissement du matériel,le prix affiché atteindrait des sommesplusieurs fois décuplées. La balanceéconomique est donc loin de pencherdu côté des associatifs. « Quand on faitle bilan comptable de nos associations,explique Walter Henri, nous avons uncode spécifique qui représente la valo-risation du bénévolat. Il n’existe pasdans d’autres domaines. Cette valori-sation, c’est le volume horaire des actions bénévoles que l’on multipliepar le taux du Smic, multiplié parfoispar deux ou trois en fonction de l’acti-vité réalisée. Cette somme-là repré-sente la force du bénévolat dans nosassociations. Et elle est considéra-ble ! »* Mais elle n’est pas exploitée.De fait, cette force est ignorée par laplupart des organisateurs d’événe-ments, mais aussi par les représen-tants de l’Etat.

UNE FORCEPEU CONSIDÉRÉE

La valeur des associations agréées deSécurité civile est loin d’être considé-rée à sa juste mesure. C’est sur le plandu soutien aux populations quel’exemple est frappant. Aujourd’hui, lerôle des AASC dans les missions B estpleine et entière. A la suite d’un événe-ment de grande ampleur, qu’il s’agissed’un épisode météorologique intense

comme une canicule, une chute de neige brutale, le passage d’une tempête, un incendie comme celui deNotre-Dame, bref, tout événement entraînant des populations sinistrées,les AASC deviennent une béquille indispensable dans et à la suite de lamise en place d’un plan de secours. Lafourniture de matériels pour venir enaide aux populations, letemps dévolu par les béné-voles pour soutenir les sinistrés sont autant d’actesqui restent à la charge desassociations. « Lors des funérailles de Johnny Hallyday sur les Champs-Elysées, nous ne savionspas combien de personnesallaient se présenter. 10 000, 100 000 ? C’étaiten novembre, il faisaitfroid, mais nous avons imaginé quecertains fans dormiraient sur place,explique le colonel Gilles Malié, chefd’état-major de la zone de défense etde sécurité de Paris. Nous avons ététrès contents de pouvoir compter surles associatifs qui ont tourné toute lanuit pour aller voir les gens, leur demander s’ils avaient besoin dequelque chose. Cela n’est pas institu-tionnalisé, pas financé, pourtant, s’ilsn’avaient pas été là, nous aurions eu lelendemain des gens morts de froid »*.Cette évidence qu’est l’utilité des associatifs dans la chaine de secours,et notamment dans la phase de

soutien aux populations, ne semblepourtant pas reconnue à sa juste valeur. Force est de constater quemême certains élus ignorent le rôledes AASC. « A la suite des inondationsdans l’Essonne, nous avons participé àdes réunions de crise à la préfecture,se remémore Walter Henri. Nousavons été surpris de constater quecertains maires ne savaient même pasque nous existions. »* Et même ens’élevant dans la pyramide de l’Etat,

le cri d’alarme des associa-tions ne semble pas réson-ner, même si, au sein duministère de l’Intérieur etde sa direction générale dela sécurité civile et de lagestion des crises on « compte beaucoup » surles associatifs dans le cadredu soutien aux populations.Leur participation à ces actions semble évidente,mais les soutiens, qu’ils

soient financiers ou même politiques,sont inexistants. Leur silence face ànos demandes d’interview et d’expli-cations est des plus significatifs…«Nous sommes dans une phase de réflexion autour de la légitimité du travail que l’on fournit, analysePhilippe Testa. Nous sommes remer-ciés pour ce travail, mais il faudraitqu’il soit pris en compte de façon unpeu plus large. Qu’il soit considérécomme une réelle participation aumaintien d’une partie de la santé de lapopulation. Nous devons être recon-nus comme des partenaires pleins etentiers. Aujourd’hui, la dénomination

Les coûts humains et matériels sonttrès élevés pour les AASC sur lesDPS.

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Nousdevons êtrereconnuscomme desacteurspleins etentiers

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des autorités envers les associationsagréées, c’est « le tiers secteur ». Je netrouve pas ça très élégant… »* Les associations reprochent à leur autoritéde tutelle de n’être jamais intégrées auxtravaux de réflexion sur les questionsqui les concernent, mais d’être simple-ment, convoquées pour en connaîtreles résultats. Mais avec une représenta-tion sur le terrain de quelque 50 000bénévoles secouristes, cette force, rela-tivement peu nombreuse par rapportaux sapeurs-pompiers, est loin d’inquiéter politiquement… Encore unefois, la balance ne penche pas du côtédes bénévoles.

QUELLES PISTESPOUR L’AVENIR ?

L’avenir des AASC questionne beau-coup en interne. Et les pistes pour

travail est en cours mais la bataille semble difficile à gagner. Les AASC fontpartie d’un écosystème, dont les ramifi-cations s’entremêlent parfois sans logique apparente. Une gestion entuyaux d’orgue sans inter ministérialité,des intérêts divergents, des querelles declochers entravent au bon fonctionne-ment d’une chaîne de secours logique et efficace. Malgré des rapports déjàalarmants, comme celui de l’Inspectiongénérale de l’administration en 2012, lecri d’alarme ne semble pas avoir d’écho.D’après nos informations, un nouveautravail de l’IGA, mené par Philippe Sauzey, grand connaisseur de la causeassociative, est actuellement en cours.Viendra-t-il grossir la pile des rapportspoussiéreux du ministère ou aura-t-il,enfin, un réel impact ? Il est encore tôtpour le savoir. Pourtant, c’est aujourd’hui que des réponses doiventêtre trouvées. Car l’hémorragie quitouche les AASC prend de plus en plusd’ampleur et le sang qui coule dans lesveines des bénévoles n’est pas une ressource inépuisable. a

* Citation issue de la conférence surl’avenir des AASC de Secours Expo 2019

AASC et ABCDLes différents agréments délivrés auxassociations sont les suivants :r A : Opérations de secoursr B : Actions de soutien aux populations sinistréesr C : Encadrement des bénévoles lors des actions desoutien aux populations sinistréesr D : Dispositifs prévisionnels de secoursLes agréments peuvent être délivrés, sur le plangéographique, au niveau international, national,interdépartemental ou départemental. Ils fixentnotamment les moyens et les compétences nécessairespour pouvoir prétendre aux différentes missions.

Le positionnement de l’Educationnationale sur la formation des élèvesde 3e engendrera une perte financièreimportante pour les AASC.

sortir de ce marasme sont floues. Faceaux exigences de plus en plus impor-tantes de la réglementation, de la population, et avec les difficultés financières actuelles, quelles solutionspeuvent être envisagées ? De nombreuses réflexions sont menées,notamment au sein du Conseil natio-nal de la protection civile, qui regroupe les grandes AASC. Faut-il revoir le fond et laforme de l’engage-ment des bénévoles,leurs missions, leurformation ? La sociétéde 2020 n’est pluscelle des années 90,voire des années 60parfois, qui reste en-core le modèle utilisé.« Le CNPC représenteune force, admet Walter Henri. Nousréfléchissons à despropositions… »* Le

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“ Il faut agiter le drapeau rouge,sous peine de disparaître ! ”

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JOËL PRIEURadministrateur du CNPC etprésident de la commissionpermanente Secourisme,formation citoyenne etservice national universel.

place en 2004, lequel a échoué àstructurer et à rationaliser le mouve-ment associatif. Est visée en particu-lier la procédure relative auxagréments, qui permet assez facile-ment l’obtention d’une autorisationlimitée au département. Il existe descentaines de ces petites associations,qui n’en n’ont que le nom. Certainessont des sortes de micro-entreprises,parfois familiales, dont l’objet estavant tout « à but lucratif ». Poursurvivre ou exister, toutes pratiquentun démarchage féroce, relevant parfois d’un véritable dumping. Bien entendu, bien peu s’aventurentsur le terrain risqué des missions desécurité civile, sauf parfois quelquesmissions D rémunératrices.

Comment pouvez-vous lutter contre ce phénomène ?Ce phénomène n’est pas nouveau. Lerapport de l’Académie de médecinede 2010 (dit rapport Julien/Larcan)et au moins deux rapports de l’IGAen parlent. Les AASC du CNPC ontsolennellement interpellé l’Etat enjuin 2015 sur cette problématique, enattendant de lui qu’il fasse le ménage.La réponse, toujours la même, nousrenvoie au principe constitutionnelde la liberté associative, auquel il estimpossible de s’opposer, surtoutquand vient s’y ajouter la volontéprésidentielle de former 80% de lapopulation aux gestes qui sauvent.Pour autant, les AASC trouvent unpeu courte cette réponse de l’Admi-nistration, et nous sommes persua-

concurrence latente s’envenimeraentre le secteur marchand du secourset le « tiers secteur » associatif. A l’intérieur de ce dernier, nous sou-haitons que l’Etat se prononce sur laprogression des UDSP (Unions dé-partementales de sapeurs-pompiers)sur le terrain des DPS et leur posi-tionnement par rapport aux autresAASC, le tout sur fond de concur-rence biaisée, car les UDSP disposentde moyens, de qualifications et decompétences qu’elles héritent, demanière compréhensible mais à boncompte, des Services départemen-taux d’incendie et de secours. Sur le marché de la formation, tout a été dit. Nous allons subir sansrien pouvoir faire les conséquencesde la politique très ambitieuse del’Education nationale consistant àformer au PSC1 toute la classe d’âgedes élèves de 3e à partir de 2022. Etcomme si le marché de l’enseigne-ment du secourisme n’était pas déjàassez concurrentiel, nous devons toujours faire face à la présence sur le terrain de petites structures asso-ciatives départementales, qui tirentnon seulement les prix vers le bas,mais qui développent surtout desstratégies suspectes de recherche duprofit, que le rapport de l’IGA Sauzeyde 2012 qualifiait déjà de « dérivesmercantiles ».

Qui sont ces associations ? Ce sont généralement des pe-tites structures qui profitent du floudu dispositif réglementaire mis en

La situation des associations agréées de sécurité civile représentées au sein du CNPC est-elle vraiment alarmante ?Oui. Nous sommes victimes d’uninexorable effet ciseau. D’une part, etsous la pression des normes et de laréglementation, les AASC font face àl’augmentation régulière des prix desmatériels médicaux, notamment àusage unique, des véhicules sani-taires, des moyens de communica-tion, etc. D’autre part, nousenregistrons une baisse de nos recettes, en sachant qu’elle ira crois-sant. Toutes les associations repré-sentées au sein du CNPC s’accordentsur ce constat. Le modèle écono-mique dessiné par la Loi de 2004 estarrivé à épuisement, et il faut remet-tre tout à plat. A titre d’exemple, ets’agissant des DPS, nous appelonsdepuis longtemps à une réflexion in-terministérielle sur le rôle et la placedes compagnies privées dans la miseen sécurité des grands rassemble-ments, faute de quoi la situation de

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dés qu’avec un peu de bonne volonté,mais aussi d’imagination, l’équilibrenécessaire et délicat entre liberté associative et régulation du « tierssecteur » peut être trouvé.

La situation financière des AASC est-elle critique ?Dans cette conjoncture, forcémentoui. Pour tenir un poste de secours depetite envergure, il faut aligner à mi-nima un lot A, un lot D, du matérielmédical toujours plus pointu, deskilos de matériel à usage unique, quifont autant de DASRI, des postesradio, un véhicule de premier secoursà personne, une tente, des bénévolesavec des tenues impeccables etc. Toutça mis bout à bout, vous en avez déjàpour 100 000 euros d’investisse-ment, sans compter les dépenses defonctionnement. Nous sommes sur lepoint d’investir dans des moniteursmultiparamétriques qui coûtent unefortune, idem pour les glucomètres,sans compter la mise aux normes antipollution des véhicules… Vous ajoutez à cela l’investissementdans la formation des bénévoles : uneformation PSE 2, c’est 350 euros partête, une formation de formateur dePSE 2, c’est 1500 euros. Toutes cesévolutions et ces contraintes sontnormales, et nous ne les contestons

pas, car elles vont dans le sens de laprotection des populations, ce quireste notre point cardinal. Mais ellesengendrent des dépenses énormespour les associations regroupées auCNPC, précisément celles qui s’hono-rent en plus d’assurer les fameusesmissions B et C, dites de soutien auxpopulations, dont je rappelle qu’ellesne correspondent qu’à des dépenses.C’est pourquoi il faut agiter le drapeaurouge, sous peine de disparaître !

Quel est le positionnement de l’Etat face à ces inquiétudes ?La Direction générale de la sécuritécivile et de la gestion des crises a ététrès claire avec les AASC. Ce qui inté-resse avant tout les pouvoirs publics,c’est la capacité des AASC à assurerdes missions de type B, c’est-à-direde soutien aux populations. Ce à quoinous répondons que les missions Bsont très sympathiques, que les béné-voles adorent ça, mais que pour lesassociations, les recettes de la forma-tion citoyenne et des DPS ne permet-tent plus de développer les actionsdans ce sens, ce que nous regrettons.

N’avez-vous aucun autre moyen de vous faire entendre ?Nous avons une fenêtre de tir qui seprésente. L’Inspection générale

de l’administration nous sollicite actuellement pour faire un point desituation sur les DPS, et nous allonsaborder une période électorale propice, car l’échelon local, celui descommunes, s’est toujours montréplus attentif aux associations que leniveau national. A nous maintenantde nous montrer réactifs et de tenirun discours cohérent dans nos réponses, ce qui nous renvoie à notresens du collectif, exprimé sous l’égidedu CNPC.

Et si elles n’évoluent pas ? Nous ne souhaitons pas dispa-raitre du domaine du secourismestricto sensu, mais si nous étions tropcontraints par le déséquilibre de nos bilans financiers, nous pourrionsêtre tentés de faire autre chose, ou dechanger le point de gravité de nos activités. Les missions de soutien auxpopulations, par exemple, confinentde plus en plus avec celles de l’ur-gence sociale, et nous en avons tiréles conséquences en développantpartout des activités de solidarité oud’action sociale. En termes d’image,le retour d’une maraude sociale estaussi important, sinon plus, qu’unDPS. De plus, ces actions coûtentbeaucoup moins cher et échappentquasiment à la tyrannie de la normeimposée par la réglementation de sécurité civile. Le problème, c’estqu’il ne s’agit plus du tout des mêmesmotivations pour nos bénévoles.Pour faire court, le ressort du béné-vole secouriste, c’est l’action de sauver. Alors que ce qui meut un bénévole de solidarité, c’est la compassion. Les deux motivations neprocèdent pas exactement desmêmes mécanismes psychologiques,et il est parfois difficile de faire cohabiter ces deux populations. a

L’évolution du matériel représente un budget conséquent pour les AASC difficile à honorer.

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