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Dossier Épidémiologie et rayonnements ionisants

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    Épidémiologie et rayonnementsionisants

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  • Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

  • ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

    Épidémiologie et rayonnements ionisantsSommaire Page

    ➤ Avant-propospar André-Claude Lacoste, directeur général de la sûreté nucléaire et de la radioprotection –DGSNR 48

    ➤ L’ASN et l’épidémiologiepar Michel Bourguignon, directeur général adjoint de la sûreté nucléaire et de la radioprotection – DGSNR 49

    ➤ L’épidémiologie descriptive et explicative : ses biais et ses limitespar Bernard Junod – École nationale de la santé publique (ENSP, Rennes) 51

    ➤ L’épidémiologie à l’origine de l’évaluation du risque cancérogène des rayonnements ionisantspar Roland Masse – Académie des technologies 59

    ➤ L’épidémiologie peut-elle caractériser les effets des faibles doses d’un agent toxique ?par Rémy Slama et Alfred Spira – Unité 569 « Épidémiologie, démographie et sciences sociales : santé reproductive, sexualité et infection à VIH » - INSERM et INED 65

    ➤ Risques de cancers et radioactivité naturelle : apport de différentes approches épidémiologiquespar Margot Tirmarche, Dominique Laurier et Solenne Billon – Laboratoire d’épidémiologie –Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) 73

    ➤ Les études épidémiologiques sur les travailleurs de l’industrie nucléairepar Agnès Rogel et Maylis Telle-Lamberton – Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire(IRSN) 77

    ➤ Les agrégats de leucémie à proximité des installations nucléaires : résultats et débats récentspar Bernd Grosche – Bureau pour la protection contre les rayonnements (Bundesamt fürStrahlenschutz) – Institut de radiohygiène (Institut für Strahlenhygiene – Oberschleissheim,Allemagne), Per Hall – Département d’épidémiologie médicale – Karolinska Institutet(Stockholm, Suède) et Dominique Laurier – IRSN (Fontenay-aux-Roses, France) 83

    ➤ Les risques de cancers liés à l’exposition aux rayonnements ionisants d’origine médicalepar Elaine Ron – Division épidémiologie du cancer et génétique – National Cancer Institute(Institut national du cancer) – USA 95

    ➤ Épidémiologie des effets des rayonnements ionisants : apport des nouveaux résultats du suivides survivants d’Hiroshima et de Nagasakipar Olivier Catelinois, Isabelle Thierry-Chef et Dominique Laurier – Laboratoire d’épidémiologie – Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) 108

    ➤ Cancers thyroïdiens et radiations ionisantespar Florent de Vathaire – Unité INSERM XR521 – Institut Gustave Roussy (IGR) 116

    ➤ Cancers secondaires des radiothérapiespar Florent de Vathaire – Unité INSERM XR521 – Institut Gustave Roussy (IGR) 120

    ➤ Propositions pour la mise en place du système de surveillance épidémiologique nationale des cancerspar Laurence Chérié-Challine – Institut de Veille sanitaire (InVS) et Juliette Bloch – Directiongénérale de la santé (DGS) 125

    ➤ L’épidémiologie et l’évaluation du risque pour la santé des radiations ionisantes : difficultésméthodologiques et insatisfaction de la demande socialepar Jean Donnadieu – Département santé et environnement – Institut de veille sanitaire (InVS) 133

    ➤ À propos de la surveillance épidémiologique autour des sites utilisant des substancesradioactivespar Philippe Pirard – Institut de veille sanitaire (InVS) 136

    ➤ Épidémiologie et perception du risque : antagonisme ou complémentarité ?par Michel Setbon directeur de recherche – CNRS 138

    Les références bibliographiques des articles composant ce dossier sont mentionnées dans le texte sous la forme

    (nom de(s) l’auteur(s), année de publication). Pour davantage de précisions, veuillez contacter la rédaction.

  • Avant-propos▼

    Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

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    Les rayonnements ionisants ont des effetsscientifiquement démontrés sur les tissus etles êtres vivants.

    Les effets déterministes surviennent obliga-toirement dès lors qu’a été atteint un niveaude dose absorbée de rayonnements.

    En revanche, les effets stochastiques desrayonnements ionisants sont ceux dont l’ap-parition ne peut être décrite qu’en termes deprobabilité. Ce sont d’une part des cancers etdes leucémies, et d’autre part des lésions dugénome potentiellement transmissibles à ladescendance.

    Il est impossible de savoir si un individu expo-sé aux rayonnements ionisants présentera ounon un effet stochastique, ni quand cet effetpourrait survenir. Cette difficulté d’appréhen-der le risque d’exposition aux rayonnementsionisants inquiète d’autant plus que cesrayonnements ne se voient pas.

    C’est ici qu’intervient l’épidémiologie, définiepar les spécialistes comme la science qui étu-die la fréquence et la répartition des mala-dies dans le temps et dans l’espace, le rôle desfacteurs qui déterminent cette fréquence etcette répartition, et cela au sein des popula-tions humaines.

    Cette méthode d’analyse scientifique montretoute sa puissance dans les études de grandsgroupes de sujets ; par exemple, les étudesépidémiologiques concernant les survivantsdes bombardements d’Hiroshima et deNagasaki ont permis de quantifier le risquestochastique d’exposition aux rayonnementsionisants à fortes doses et forts débits dedoses.

    L’épidémiologie produisant des résultatsquantitatifs, la tentation est grande d’y recou-rir comme s’il s’agissait d’une méthode« magique », capable de répondre à toutes lesquestions angoissantes concernant la santé.

    Mais il ne faut pas oublier que l’épidémiolo-gie utilise les méthodes statistiques et qu’uneestimation quantitative produite ne repré-sente qu’une certaine probabilité de résul-tats, avec une précision d’autant meilleureque le nombre de sujets étudiés est grand etque le risque est élevé. Appliquée à des situa-tions où elle n’est pas capable de répondre, laméthode épidémiologique pourrait conduireà la réalisation d’études sans fin, conduisantà des dépenses considérables et inutiles.

    À la différence d’Hiroshima et de Nagasaki, lamajorité des situations d’expositions auxrayonnements ionisants que nous rencon-trons aujourd’hui est à faible dose et faibledébit de dose, avec un risque encore plusfaible. L’épidémiologie peut-elle évaluer cerisque ?

    C’est pourquoi j’ai souhaité que soit effectuéun bilan de l’apport des études épidémiolo-giques vis-à-vis des effets des rayonnementsionisants. Ce numéro de Contrôle rassembleet synthétise les connaissances, et examineobjectivement les difficultés méthodolo-giques. De ce fait, il permet de donner savraie place à l’épidémiologie.

    André-Claude LACOSTEDirecteur général de la sûreté nucléaire

    et de la radioprotection

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    Facteur de risque, étude épidémiolo-gique… Ces mots sont couramment utilisésdans les médias et par le public dès quequelques cas de cancers apparaissent àproximité d’une installation ou d’un sitenucléaire ancien ou récent. Il est alors fré-quemment demandé une étude épidémio-logique dont on attend qu’elle démontreque ces cancers sont causés par une expo-sition aux rayonnements ionisants, consi-dérée a priori comme fautive du seul faitde la proximité de l’installation ou du site.

    Hélas, c’est demander à l’épidémiologieplus qu’elle ne peut donner !

    Mais que peut-elle apporter précisément ?L’épidémiologie a-t-elle un rôle à jouer dansl’accomplissement des missions de l’ASN ?

    La méthode épidémiologique

    À un premier niveau, l’épidémiologie étu-die de façon purement descriptive la fré-quence et la répartition des maladies dansla population. Pour que les études descrip-tives aient un sens, il faut que la collecte del’information soit rigoureuse : identifica-tion précise et recensement exhaustif despathologies incriminées. En effet, pourdémontrer qu’un excès existe, il convientde connaître la fréquence de survenuespontanée de la maladie, considéréecomme la valeur normale de référence. Onperçoit déjà les difficultés du recensementdes informations et la nécessité d’une com-paraison des résultats observés dans unerégion suspecte avec ceux d’une régionconsidérée comme normale. Le choix de lanormalité est en soi un immense pro-blème ; on meurt moins dans le sud de laFrance que dans le nord !

    À un deuxième niveau, on attend de l’épidé-miologie qu’elle soit explicative et démontrele rôle d’un facteur de risque, par exempleles rayonnements ionisants, comme respon-sable d’une pathologie observée. Les étudesà mener sont plus complexes encore car ilfaut sélectionner au sein de la population

    des groupes de malades et des sujets sains, etregarder s’ils ont été soumis ou non au fac-teur de risque, ou à l’inverse sélectionner desgroupes de personnes qui ont été soumis ounon à un facteur de risque et regarder s’ilssont ou non malades. Il faut alors compléterles informations concernant l’état de santédes personnes (par exemple, vérifier les dia-gnostics) et leur degré d’exposition au fac-teur de risque étudié. Il faut enfin comparerles résultats des groupes.

    Dans tous les cas, les comparaisons effec-tuées nécessitent l’utilisation des statis-tiques qui produisent des résultats expri-més en termes de probabilité et non entermes de certitudes.

    L’épidémiologie incontournable

    Malgré les difficultés méthodologiques (cf.l’article de B. Junod), l’épidémiologie estune science qui a apporté de formidablesrésultats :

    • C’est l’épidémiologie qui a démontrél’augmentation massive de mortalité parcancer du poumon chez les fumeurs, et quia identifié le tabac comme facteur causaldes cancers pulmonaires.

    • C’est aussi l’épidémiologie qui a démontréune augmentation d’environ 4 % des can-cers chez les survivants des bombardementsd’Hiroshima et de Nagasaki. Dans ce cas,l’épidémiologie a identifié les rayonne-ments ionisants à forte dose et fort débit dedose comme le facteur de risque respon-sable de l’augmentation observée. Enrevanche, on ne sait pas distinguer un can-cer induit par les rayonnements ionisantsd’un cancer qui n’est en rien lié aux rayon-nements ionisants.

    Dans les deux exemples sus-cités, l’épidé-miologie a pu apporter un éclairage décisifparce que le nombre de sujets étudiés estimportant et que le facteur de risque étaitintense, conditions indispensables pourque la probabilité de détecter la maladieen excès soit suffisante.

    L’ASN et l’épidémiologie

    par Michel Bourguignon, directeur général adjoint de lasûreté nucléaire et de la radioprotection – DGSNR

  • L’ASN et l’épidémiologie

    L’ASN a la responsabilité du contrôle desexpositions aux rayonnements ionisants enFrance. Pour exercer ses responsabilités,l’ASN applique la réglementation de radio-protection qui résulte de la transposition endroit français des directives Euratom. Cesdirectives sont issues des recommandationsélaborées de façon consensuelle au sein desorganismes internationaux comme laCommission internationale de protectionradiologique (CIPR) ou l’Agence internatio-nale de l’énergie atomique (AIEA), sur labase des rapports scientifiques établis par leComité scientifique des Nations unies sur leseffets des radiations atomiques (UNSCEAR).

    L’analyse et l’évaluation des publications etrecommandations de ces différents orga-nismes permettent à l’ASN de constater queles résultats des études épidémiologiquessont à l’origine de l’évaluation quantitativedes risques liés aux expositions aux rayon-nements ionisants (cf. article de R. Masse).L’épidémiologie joue donc bien un rôle cen-tral en matière de radioprotection.

    L’ASN s’intéresse donc à l’épidémiologie entant que méthode capable, dans certainesconditions, de démontrer les effets d’unrisque stochastique, c’est-à-dire d’un risquedont la conséquence ne peut être décritequ’en termes de probabilité. L’article de R.Slama et A. Spira, intitulé « L’épidémiologiepeut-elle caractériser les effets des faiblesdoses d’un agent toxique ? », fournit uneargumentation rigoureuse sur ces ques-tions, en prenant des exemples dansd’autres domaines d’expositions.

    L’ASN est par conséquent attentive auxrésultats des études épidémiologiqueseffectuées dans tous les domaines où uneexposition aux rayonnements ionisantsexiste et pourrait être incriminée :

    • les expositions naturelles aux rayonne-ments ionisants (cf. l’article de M. Tirmarche, D. Laurier et S. Billon) ;

    • les données épidémiologiques chez lestravailleurs du nucléaire (cf. l’article de A.Rogel et M. Telle-Lamberton) ;

    • les données épidémiologiques concer-nant les agrégats de leucémies dans lespopulations vivant à proximité des installa-tions nucléaires (cf. l’article de D. Laurier,B. Grsoche et P. Hall) ;

    • les risques de cancers liés à l’expositionaux rayonnements ionisants d’originemédicale (cf. l’article de E. Ron) ;

    • les données épidémiologiques chez lessurvivants des bombardements d’Hiro-shima et de Nagasaki, régulièrement misesà jour (cf. l’article de O. Catelinois, I.Thierry-Chef et D. Laurier).

    L’ASN s’intéresse également aux études épi-démiologiques ciblées sur des pathologiesdont on sait qu’elles peuvent résulter d’uneexposition aux rayonnements ionisants :

    • les cancers de la thyroïde (cf. l’article deF. de Vathaire) ;

    • les cancers secondaires des radiothéra-pies (cf. l’article de F. de Vathaire).

    L’ASN s’intéresse aussi tout particulière-ment à la proposition pilotée par l’Institutde veille sanitaire (InVS) de mettre en placeun système de surveillance épidémiolo-gique national concernant les cancers (cf.l’article de L. Chérié-Challine et J. Bloch).

    Enfin, l’ASN s’interroge sur les limites del’épidémiologie, d’une part en ce quiconcerne la méthodologie et l’insatisfactionde la demande sociale (cf. l’article de J.Donnadieu), d’autre part à propos de la sur-veillance épidémiologique autour des sitesutilisant des matières radioactives (cf. l’ar-ticle de P. Pirard), et enfin en ce qui concer-ne l’épidémiologie et la perception durisque : antagonisme ou complémentarité(cf. l’article de M. Setbon).

    L’ASN considère donc que des études épi-démiologiques en cours ou à venir sont sus-ceptibles d’améliorer les connaissances enmatière d’évaluation du risque potentiel liéaux expositions aux rayonnements ioni-sants. Mais l’ASN prend acte que les étudesépidémiologiques présentent des limitesméthodologiques, en particulier pour éva-luer un risque additionnel de faible proba-bilité d’une pathologie, le cancer, dont l’in-cidence est naturellement élevée. Uneétude épidémiologique ne constitue doncpas une réponse miracle applicable à toutesituation où une exposition aux rayonne-ments ionisants pourrait constituer un fac-teur de risque. L’ASN considère qu’il seraitdéraisonnable de dépenser des ressourcesimportantes dans les situations où le risqueest faible et la cause multifactorielle.

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    L’épidémiologie, définie comme l’étude dela distribution et des déterminants desmaladies chez l’homme (Mac Mahon et al.,1970), contribue à l’acquisition de connais-sances scientifiques. Ses résultats sont utili-sés pour gérer les problèmes de santé et

    agir sur les facteurs de risques environne-mentaux. La figure 1 présente les étapesde la recherche épidémiologique en expli-citant pour chacune d’elles le niveau d’am-bition de la démarche (en italique) et lanature des résultats produits (encadrés).

    La première étape de la recherche épidé-miologique produit des résultats descrip-tifs sous la forme de distributions statis-tiques d’états de santé ou de survenue deproblèmes de santé à partir de l’observa-tion de groupes d’individus. L’explicationde ces distributions demande le plus sou-vent de procéder en deux temps : le testd’une hypothèse permettant de concluresur l’existence ou non d’un lien entre expo-sition à un facteur de risque et problèmede santé, puis la démonstration expéri-mentale de ce lien associée à sa quantifica-tion sous forme d’un modèle de prévisiondu risque sanitaire selon le niveau d’expo-sition au facteur de risque. L’utilisation desconclusions de la recherche épidémiolo-gique expérimentale est l’articulation sou-

    haitable entre recherche et action. Ellecontribue à modifier la réalité par l’évolu-tion des pratiques.

    Les étapes de la recherche épidémiolo-gique sont abordées ici successivement surle plan des méthodes, des résultats et deleurs implications pour l’action.

    Les biais sont envisagés comme les déca-lages entre résultats visés et résultats obte-nus à la suite d’erreurs méthodologiques(Rothman, 1986). Ils limitent donc intrinsè-quement la portée des résultats épidémio-logiques. D’autres limitations interfèrentavec l’utilisation rationnelle de résultatsépidémiologiques. Elles résultent souventd’a priori ou de la perception des intérêtsen jeu.

    L’épidémiologie descriptive etexplicative : ses biais et ses limites

    par Bernard Junod, École nationale de la santé publique(ENSP, Rennes)

    Figure 1: Étapes de la recherche épidémiologique

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    L’épidémiologie descriptive

    La réalité sanitaire sur laquelle opèrent lesméthodes épidémiologiques est complexe.Elle comprend de nombreuses dimensions(physique, biochimique, physiologique,psychologique, sociologique, écono-mique…). De cette réalité, l’épidémiologiedescriptive capte essentiellement l’état desanté par des mesures de prévalence ou lasurvenue de problèmes de santé par desmesures d’incidence dans des groupes d’in-dividus définis selon des caractéristiques de« temps », de « lieu » et de « personnes ».

    La production de résultats épidémiolo-giques descriptifs repose sur la possibilitéde classer les individus appartenant à ungroupe défini selon leurs problèmes desanté. Dans le domaine du cancer, on dis-pose par exemple de statistiques de mor-talité et de statistiques de morbidité dontla collecte et la valorisation sont notam-

    ment guidées par le Centre internationalde recherche sur le cancer (CIRC). Le tauxde mortalité spécifique s’obtient en rap-portant le nombre de décès attribués à uncancer d’une localisation donnée à 100 000personnes suivies pendant un an. Le tauxd’incidence correspondant (densité d’inci-dence) s’obtient à partir des cas de cancersdiagnostiqués pour la première fois dansune population de 100 000 personnes nonatteintes de ce cancer suivies pendant unan. Les figures 2 et 3 donnent desexemples de résultats descriptifs sur lamortalité et l’incidence pour deux localisa-tions de cancer. Pour neutraliser l’effet del’évolution de la structure par âge de lapopulation au cours du temps, les tauxspécifiques par âge et par période ont étéappliqués à un « standard », à savoir unepopulation de structure d’âge constante,en l’occurrence la population dite « mon-diale », de 1980 à 2000.

    Figure 2 : Évolution de l’incidence et de la mortalité du cancer du sein en France de 1980 à 2000

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    Le « temps » peut se référer au calendrier,à un délai écoulé depuis un événementsurvenu au cours de la vie des individusobservés ou à une combinaison de cesdeux notions (par exemple, la générationdes personnes nées en 1960).

    La notion de « lieu » dépend du contexte dela description. Elle peut par exemple se réfé-rer à une commune de domicile, à une dis-tance par rapport à un site industriel ou à lafréquentation d’un système de transport.

    Les « caractéristiques de personnes » com-prennent le plus souvent l’âge et le sexe.Elles peuvent s’étendre à toute autre caté-gorisation, comme par exemple des situa-tions sociales ou d’activité professionnelle.

    Biais et limites enépidémiologie descriptive

    La survenue de problèmes de santé estconceptuellement indispensable à la pro-

    duction de résultats descriptifs d’incidence.Force est de constater que, à l’exclusiond’événements tels qu’un décès, un acci-dent, une crise cardio-respiratoire aiguë ouun épisode infectieux aigu, on extrapole leplus souvent abusivement la découvertemédicale d’un état de santé à la survenued’événements de santé au moment du dia-gnostic. De telles extrapolations ne posentpas de problèmes majeurs pour un cancerdu poumon diagnostiqué tardivement, àun stade où les symptômes se manifestent.En revanche, le dépistage du cancer du seinou de la prostate à un stade asymptoma-tique peut entraîner une perte considé-rable de la fiabilité du diagnostic dans lesens d’une surestimation de la fréquencede la maladie. L’augmentation de l’inci-dence de ces cancers associée à la stabilitéde la mortalité observées de 1980 à 2000 enFrance reflète soit « une meilleure efficaci-té des traitements face à une incidence

    Figure 3 : Évolution de l’incidence et de la mortalité du cancer de la prostate en France de 1980 à 2000

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    réellement supérieure », soit « une inciden-ce faussement augmentée par le dépistageprécoce, mais sans effet des traitements »(Abenhaïm, 2003). Cette dernière hypothè-se, formulée par le président de laCommission d’orientation sur le cancer enmars 2003, n’a pas eu d’influence sur ladécision de généraliser le programme dedépistage du cancer du sein en France.

    Les intérêts en jeu sont vraisemblablementimpliqués dans l’interprétation des résultatsépidémiologiques descriptifs allant dans lesens d’une augmentation de l’incidence parles médecins spécialistes du cancer.

    La sous-estimation de la survenue de pro-blèmes de santé est patente en l’absenced’examens diagnostiques. L’impossibilitéd’identifier la séropositivité lors d’uneinfection au VIH avant 1983 a entraîné uneaugmentation considérable des cas deSIDA symptomatiques qui se sont révélésau cours des 10 années suivantes. On es-time en effet à une dizaine d’années letemps de latence entre la contaminationet les manifestations du SIDA. Une autredifficulté tient à l’impossibilité de suivreles populations ayant par exemple travaillédans un contexte professionnel supposé à

    risque. Les changements d’emplois et letravail temporaire contribuent à masquerl’apparition de maladies du fait de l’im-possibilité de disposer de groupes depopulation définis.

    Épidémiologie analytique –études d’observation

    Dès lors que le diagnostic d’une entitémorbide est non ambigu, la recherche defacteurs associés à la survenue du problè-me de santé a du sens. En épidémiologiedes maladies chroniques, c’est au milieu duXXe siècle que la mise en évidence du lienentre consommation de tabac et cancer dupoumon d’une part (Doll et al., 1950 ; Dollet al., 1952) et entre tabac, cholestérol,hypertension artérielle et infarctus dumyocarde d’autre part (Chron, 1978) ontconsacré l’utilité de l’épidémiologie analy-tique. Simultanément, les méthodes analy-tiques ont été formalisées dans le cadre dela surveillance épidémiologique des mala-dies infectieuses incluant l’investigationd’épidémies (Langmuir , 1963).

    Les résultats des études analytiques d’ob-servation se résument au tableau 2 x 2 dela figure 4.

    Figure 4 : Résultats analytiques : tableau 2 x 2

    Effectifs observés Variable « santé »

    Malade Non malade Total

    Variable Exposé a b a + b

    « exposition » Non exposé c d c + d

    Total a + c b + d n

    n = a + b + c + d

    Rapport de cotes : (a/b) / (c/d) = (a/c) / (b/d) = (a x d) / (b x c)

    Un tel tableau permet de se prononcer surl’existence d’un lien statistique entreexposition et maladie. Classiquement, onformule l’hypothèse nulle suivante : il n’ya pas de lien entre les variables « exposi-tion » et « santé ». Le test statistique uti-lise les résultats obtenus par l’étude pourestimer la probabilité de se tromper si ondécide de rejeter l’hypothèse nulle ou, end’autres termes, de se tromper enconcluant qu’un lien existe. Plus cette pro-

    babilité est faible, plus la décision de reje-ter l’hypothèse a de chances de corres-pondre à la vérité.

    Il existe 3 manières d’obtenir le tableau dela figure 4 selon les critères de sélectiondes individus retenus pour l’étude.

    1. La sélection des individus repose sur uncritère différent de l’exposition et de lamaladie. Par exemple, un tel tableau a étéobtenu dans l’étude de Doll et Hill sur le

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    lien entre consommation de tabac etcancer du poumon en sélectionnant l’en-semble des « n » hommes inscrits à l’ordredes médecins de Grande-Bretagne etayant répondu à un questionnaire surleurs habitudes tabagiques en 1951. Lesdonnées sur le cancer du poumon ont étérecherchées chez ceux de ces médecinsdécédés au cours des années suivantes.

    2. La sélection des individus repose sur laconnaissance a priori de leur état desanté. Un groupe de « a + c » personnesatteintes de la maladie (les « cas ») et ungroupe de « b + d » personnes indemnes(les « témoins ») sont constitués. Les infor-mations sur les expositions sont recueilliesen principe rétrospectivement pour l’en-semble des individus sélectionnés.

    3. La sélection des individus repose sur laconnaissance a priori de leur exposition.Un groupe de « a + b » personnes exposées(les « exposés ») et un groupe de « c + d »personnes non exposées (les « non-expo-sés ») sont constitués. Les informations surla survenue de problèmes de santé sontrecueillies en principe par un suivi prospec-tif dans chacun des deux groupes.

    Dans la pratique, le caractère prospectifd’un recueil d’informations sur les pro-blèmes de santé et rétrospectif sur lesexpositions souffre d’exceptions. Bien desétudes épidémiologiques sont construitesa posteriori en utilisant des données dis-ponibles recueillies antérieurement.

    Traditionnellement, on teste l’hypothèsenulle en recourant à des lois de probabili-té classiques (hypergéométrique, bino-miale, Poisson, Gauss ou x2 par exemple).L’indicateur statistique le plus communé-ment utilisé pour quantifier l’associationstatistique entre exposition et maladie estle rapport de cotes. Il s’interprète commele rapport entre densité d’incidence chezles exposés et densité d’incidence chez lesnon-exposés. Il a l’avantage d’être robustepar rapport à la méthode d’échantillon-nage de l’étude analytique, notammentlors de l’investigation de maladies chro-niques où ces taux sont stables dans letemps. Par exemple, si le rapport de cotesobtenu à partir des données analytiquesd’observation vaut 2, on estime que ladensité d’incidence est deux fois plus éle-

    vée parmi les personnes exposées queparmi les personnes non exposées, quelque soit le type d’étude réalisé.

    Biais et limites enépidémiologie analytiqued’observation

    Les problèmes méthodologiques desétudes analytiques d’observation peuventêtre dus à la constitution des échantillonset aux méthodes d’observation.

    Dès lors que les conditions d’exposition oud’apparition de problèmes de santé nevarient pas suffisamment entre individussélectionnés, un total d’une ligne ou d’unecolonne du tableau 2 x 2 sera insuffisantpour permettre de mesurer l’association. Parexemple, dans l’étude sur le tabac et le can-cer du poumon chez les médecins britan-niques, Doll et Hill ont renoncé à inclure lesfemmes car, à l’époque, peu d’entre ellesfumaient. Dans ces conditions, il n’aurait pasété possible de mesurer la survenue du can-cer du poumon chez les femmes qui fument.

    Le problème des erreurs de classificationpar rapport à l’état de santé et aux exposi-tions diffère selon le type d’échantillon-nage utilisé. En règle générale, les résultatsd’une étude recueillant la survenue de pro-blèmes de santé dans des groupes de popu-lation déjà identifiés quant à leur statutd’exposition sont sujets à discussion. Parexemple, dans l’étude des médecins anglais,la reconnaissance d’un cancer du poumoncomme cause de décès a pu souffrir d’unbiais allant dans le sens d’une surestimationdu rapport de cotes du fait qu’une mêmetoux persistante a bien des chances d’avoirété investiguée différemment chez un non-fumeur où l’on aura plutôt cherché unetuberculose et chez un fumeur a priori sus-pect de carcinome bronchique.

    Une étude de cas et de témoins est parti-culièrement sujette au biais d’observationdu statut d’exposition. Par exemple, si ondemande à des femmes ayant mis aumonde un enfant présentant une malfor-mation et à des femmes ayant accouchéd’un enfant normal quels médicamentsont été consommés en cours de grossesse,on peut s’attendre à un effort de mémoiredifférent selon qu’il s’agisse des cas ou destémoins, ce qui entraînerait une vraisem-

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    blable surestimation des rapports de cotespar médicament.

    Les problèmes de faisabilité dans le suivisanitaire ou dans la reconstruction desexpositions peuvent altérer les critèresd’inclusion initiaux et entraîner des biaisimprévisibles.

    Les limites le plus souvent évoquées dansles études analytiques résident cepen-dant dans l’interprétation abusive deliens statistiques observés dans le sens dela causalité. Ce type de problème dû àdes tiers facteurs est illustré par la rela-tion entre la couleur voyante des voitureset le risque d’accident. À partir de don-nées brutes, on conclura à un risqueaccru si la voiture est de couleur voyante.On peut supposer qu’un homme jeuneprend plus de risques et qu’il conduit pré-férentiellement des voitures de couleurvive. Ainsi, la prise en considération detiers facteurs tels que l’âge et le sexe duconducteur donne des résultats montrantun risque moindre lorsque la voiture sevoit mieux, les autres conditions étantégales par ailleurs.

    Une autre limite des études analytiquesd’observation réside dans l’acceptabilitéde leurs résultats dans le contexte de lasanté publique. Par exemple, on a observédepuis les premières grandes enquêtes surles facteurs de risque des maladies cardio-vasculaires une relation inverse entreconsommation de tabac et tension arté-rielle systolique, en particulier chez lafemme. Cependant, les publications docu-mentant ce fait sont difficilement acces-sibles, et pour cause : globalement, letabac nuit à la santé.

    Etudes analytiquesd’intervention

    L’étape de démonstration d’une relationcausale entre exposition et maladie néces-site d’intervenir sur un ensemble d’indivi-dus en manipulant le niveau d’exposition.L’essai contrôlé et l’essai thérapeutiquefont partie de l’épidémiologie expérimen-tale. Ceux-ci constituent la méthode ul-time pour prouver l’efficacité d’un nou-veau médicament. En voici le principe. Lehasard désigne dans un ensemble d’indivi-dus volontaires atteints d’une maladie les-

    quels seront traités par un médicamenttraditionnel ou par un nouveau médica-ment à tester. Jusqu’au terme du recueildes données de santé, les observateurs etles patients ignorent la nature du médica-ment consommé. En fin d’étude, l’exposi-tion, à savoir le médicament nouveau outraditionnel, est révélée pour classer lespatients dans la table 2 x 2. La différencede fréquence des problèmes de santéobservés entre les deux groupes est seule-ment imputable au type de médicamentconsommé ou à des variations dues auhasard. En effet, l’allocation aléatoire autype de médicament a permis de minimiserles limitations dans l’interprétation desrésultats dues aux tiers facteurs. La vrai-semblance d’une relation causale s’obtientle plus souvent selon des principes ana-logues au test d’hypothèse classique. Si ladifférence entre fréquences de problèmesde santé observées est statistiquementsignificative et qu’elle va dans un sensfavorable pour le nouveau médicament,elle est interprétable comme un bénéficeobtenu par le nouveau médicament.

    De très nombreuses études d’épidémiolo-gie expérimentale ont contribué àremettre en question les a priori sur les fac-teurs causals d’une maladie ou de sesconséquences. Elles constituent de ce faitun outil de recherche de très grande valeur.

    Peu d’études de cette nature ont été ten-tées à des fins de recherche en induisantune augmentation de l’exposition. Enrevanche, la recherche a pu utiliser dessituations d’exposition particulières,comme dans le cas des bombardementsd’Hiroshima et de Nagasaki. Le caractèreexpérimental des résultats obtenus leurconfère une validité à laquelle les étudesd’observation ne sauraient prétendre,comme le montre par exemple l’utilisationde ces résultats anciens dans une récentepublication sur les risques de leucémieschez l’enfant après irradiation intrautérine(Wakeford et al., 2003).

    Biais et limites des étudesd’intervention

    Une des plus grandes études expérimen-tales a tenté de modéliser l’effet sur lamortalité cardio-vasculaire d’une modifica-

  • ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

    57

    tion de l’exposition aux facteurs de risqueclassiques en réduisant la consommationde tabac, en traitant l’hypertension arté-rielle et en abaissant le taux de cholestéroldans le sang. Plus de 400 000 Américainsont été examinés pour en sélectionner13 000 alloués aléatoirement soit au grou-pe d’intervention, soit au groupe des« soins habituels ». Après plusieurs annéesd’efforts, l’étude n’a pas conclu à unemodification de la mortalité par les actionsentreprises. Les biais et limites évoquésdans cette étude relèvent notamment dela difficulté d’induire une différence d’ex-position notable sur des facteurs quidépendent essentiellement de modes devie adoptés par les individus eux-mêmes.Les personnes allouées au groupe témoindes « soins habituels », sensibilisées dusimple fait de leur adhésion à l’étude, onten effet modifié leur comportement dansle même sens, quoique dans une moindremesure, que le groupe d’intervention.L’absence d’impact des différences d’expo-sition résiduelles a été attribuée à la duréeinsuffisante de l’étude. On pense aujour-d’hui que la formation d’athéromes résul-te de plusieurs dizaines d’années d’exposi-tion aux facteurs de risque.

    Les contraintes liées à la faisabilité d’unessai contrôlé constituent la principalelimitation de leurs apports, du fait de l’im-possibilité d’induire une variation suffi-sante de l’exposition, ou d’une duréeinsuffisante souvent associée à des pro-blèmes de « perdus de vue ».

    Conclusion

    L’épidémiologie permet de mettre en évi-dence les problèmes de santé mesurablesdans une population et de contribuer àleur explication. Les mesures de gestiondes facteurs de risque environnementauxidentifiés par l’épidémiologie explicativepeuvent contribuer à l’amélioration de lasanté publique par la prévention primaire.

    La principale limite dans l’acquisition deconnaissances par l’épidémiologie tientaux variations de la pratique médicale. Aufur et à mesure de l’apport de résultatsépidémiologiques descriptifs et analy-tiques, le système de diagnostic et de soinévolue, entraînant par là des modificationsartificielles de la perception des problèmesde santé. Un récent rapport de l’Académiede médecine (Wakeford et al., 2003) relèvequ’en épidémiologie du cancer la percep-tion de la réalité sanitaire change avec l’in-tensité de l’activité diagnostique. Il enrésulte une surestimation conjointe tantde la perception clinique de l’incidence descancers que de l’efficacité des traitements.Dans ce cas, la mainmise du corps médicalsur les résultats épidémiologiques dessertleur utilisation à des fins de santé publique(Alla et al., 2003).

    Enfin, lorsque l’épidémiologie a fait ladémonstration de la nocivité de facteursenvironnementaux tels que la fumée dutabac, la principale limite de son utilitéréside dans les difficultés d’agir dans lesens d’une prévention primaire efficace.

  • ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

    58

    Étude de cohorte

    DéfinitionEtude d’un ou de plusieurs groupesd’individus sélectionnés ou caractérisésselon leur(s) exposition(s) et suivis pourrepérer la survenue de modifications deleur état de santé.

    ButDécrire les conséquences sanitairesd’expositions par comparaison entreexposés et non-exposés.

    DuréeLes études de cohorte prospectivespeuvent durer plusieurs décenniesselon le délai entre l’exposition et lasurvenue des affections repérées.

    Points forts■ Apport de résultats descriptifs sur lasurvenue de modifications de l’état desanté avec la possibilité de repérer plu-sieurs maladies lors du suivi.■ Minimisation d’un biais d’observa-tion de l’exposition lorsqu’elle estcaractérisée avant la survenue éven-tuelle de modifications de la santé dessujets étudiés.

    Points faibles■ Durée et nombre de sujets néces-saires parfois considérables, entraînantun coût élevé et des problèmes dus aux« perdus de vue ». ■ Biais d’observation de la survenue demodifications de l’état de santé dû à lacaractérisation antérieure de l’exposi-tion.■ Difficulté de choisir un groupe nonexposé adéquat dans les études d’expo-sés et de non-exposés.

    Étude cas-témoins

    Définition

    Étude comparative d’expositions anté-rieures dans deux groupes d’individus :1. des cas sélectionnés du fait qu’ils pré-sentent un problème de santé ;2. des témoins sélectionnés du faitqu’ils ne présentent pas le problème desanté des cas.

    But

    Déduire les conséquences des exposi-tions antérieures sur le problème desanté considéré par la comparaison descas et des témoins.

    Durée

    Les études cas-témoins peuvent sedérouler rapidement, en quelques joursou quelques mois, notamment lors dela survenue de cas groupés dans unedurée et un espace restreints.

    Points forts■ Apport de données descriptives surune ou plusieurs expositions.■ Minimisation d’un biais d’observa-tion sur la santé par l’application de cri-tères de définition adéquats des cas etdes témoins.

    Points faibles■ Décalage entre le moment de l’étudeet le vécu des expositions par les cas etles témoins. ■ Biais d’observation ou de mémoire desexpositions lorsque l’état de santé estconnu ou ressenti lors de leur mesure.■ Difficulté du choix d’un groupetémoin adéquat.

  • ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

    59

    Historique et généralités

    En matière de risque pour la santé, on dis-tingue généralement ce qui revient àl’identification du danger, propriété de lasituation créée dans une population expo-sée à un agent cancérogène, de ce quirevient à l’évaluation du risque qui enquantifie la valeur. Ces 2 aspects sont abor-dés respectivement par l’épidémiologiedescriptive et l’épidémiologie analytique.En ce qui concerne l’exposition aux rayon-nements ionisants, cependant, l’identifica-tion de cancers induits par irradiation estantérieure aux développements de lascience épidémiologique, avant 1930. Ellerepose sur l’observation de cas cliniques decancers cutanés sur radiodermite et surl’observation d’excès évidents de leucé-mies chez les radiologues, de cancers dumaxillaire induits par le radium 226 à lafois en milieu professionnel et chez lespatients, et des cancers professionnels enmilieu minier exposé massivement auradon (Masse R., 2003).

    Néanmoins, l’évaluation du risque, quisuppose une relation quantitative entre leniveau d’exposition et la fréquence descancers induits, est entièrement dépen-dante de la science épidémiologique etn’apparaît que bien plus tardivement.C’est à partir de 1952 (American Journal ofMedicine) que l’on voit se succéder dansles grands journaux scientifiques et médi-caux (Science, New England, Blood, J NtlCanc Inst, JAMA…) la description détailléedes leucémies et cancers solides induitsdans les populations d’Hiroshima et deNagasaki (HN). L’ensemble en est réunidans les Technical reports de la RadiationEffects Research Foundation. La fondationRERF avait été installée en 1946 sous lenom de Atomic Bomb Casualties

    Commission (ABCC) par le présidentTruman et financée par la Commission USde l’énergie atomique (USAEC) renforcéeen 1948 par l’Institut de santé japonais(JNIH). L’effort épidémiologique a ainsi étémaintenu pendant plus de 55 ans et consti-tue un exemple unique, unanimementconsidéré comme le modèle des enquêtesde cohorte, remarquable par la durée del’observation, par la démographie et lenombre de patients suivis, par le caractèrequasi instantané et unique de l’expositionau facteur de risque, et enfin par la quali-té de la reconstitution du niveau des expo-sitions individuelles.

    L’influence de cette enquête sur la radio-protection devait être déterminante. Audébut des années 50, si la Commissioninternationale de protection radiologique(CIPR) reconnaît la possibilité d’effetsgénétiques et cancérogènes (Lindell B.,2000), elle maintient la notion de seuild’exposition pour prendre en compte laproduction d’effets délétères dus auxrayonnements. À partir du milieu desannées 50, la position de la Commissions’infléchit, sans doute influencée par l’ob-servation que les effets génétiques relevéschez l’animal manifestaient un caractèreprobabiliste proportionnel à la dose, maissurtout parce que les observations faiteschez les survivants d’Hiroshima et deNagasaki quantifiaient la réalité du risquede cancer et en situaient l’évolution dansune perspective probabiliste de mêmenature que les effets héréditaires.L’hypothèse de « dose tolérée » sera rem-placée dès 1955 (Lindell B., 2000) par cellede dose « à maintenir aussi basse qu’il estpossible d’atteindre », préfigurant les prin-cipes qui donneront naissance, 20 ans plustard, à la publication de la CIPR 26 en 1977

    L’épidémiologie à l’origine del’évaluation du risquecancérogène des rayonnementsionisants

    par Roland Masse – Académie des technologies

  • qui formalisera, elle, la notion ALARA (Aslow as reasonably achievable).

    Robustesse des études

    Un certain nombre de critères, connusdepuis Doll et Hill par l’épidémiologie descancers dus au tabac, constituent des réfé-rentiels pour établir les relations causalesentre l’exposition à un agent cancérogèneet la survenue de la maladie dans ungroupe humain : la séquence dans letemps, la constance de l’association, laforce de l’association statistique, l’existen-ce d’une relation dose-effet et la plausibi-lité biologique en constituent les élémentsprincipaux. Les cancers radio-induits dansles différents groupes humains obéissent àtous ces critères1.

    • Ils n’apparaissent qu’après un long délaiaprès l’exposition, délai nécessaire à laprolifération des cellules tumorales : lesleucémies et les cancers de la thyroïde del’enfant après quelques années seulement,les autres cancers après un délai supérieuren général à 5 ans.

    • Des cancers ont été observés dans tousles cas d’exposition aux rayonnementsionisants, incluant :

    - l’exposition naturelle dans le cas descancers du poumon après exposition auradon ;

    - des expositions médicales après irradia-tion externe en radiothérapie ou enradiodiagnostic (cas des tumeurs du seinaprès radioscopie du thorax et diagnosticprénatal) et après exposition à des radio-nucléides (iode 131, thorium 232, radium224, phosphore 32) ;

    - des expositions professionnellesexternes et internes, radiologues, minia-turistes (radium 226), mineurs (radon etpoussières d’uranium), ouvriers des pro-grammes nucléaires de l’ex-URSS (pluto-nium) ;

    - des expositions environnementales (îlesMarshall contaminées par des retombéesd’iode, vallée de la Techa et autres sites

    contaminés par les produits de fission duprogramme militaire soviétique).

    • Selon l’importance du groupe humainexposé et les doses délivrées, la force sta-tistique de l’association est variable, maiselle est forte dans la majorité des cas.

    • Dans de nombreuses études il existe unerelation dose-effet nette établissant l’aug-mentation de la proportion des cancers enfonction de l’augmentation de la dosereçue dans chaque tranche de populationcorrespondant à une classe de dose ; c’estparticulièrement le cas dans la cohorte HN,dans certains groupes de patients commeceux traités pour spondylarthrite, dans dif-férents groupes de mineurs exposés auradon.

    • Enfin l’expérimentation animale et larecherche in vitro montrent que l’irradia-tion est capable de provoquer les lésionsmoléculaires, cellulaires et tissulaires quisont directement associées à la survenuede cancers.

    Prenant en considération l’ensemble deces données, l’International Agency forResearch on Cancer (IARC) a classé l’en-semble des expositions externes : X,gamma et neutrons comme cancérogènespour l’homme (groupe 1 de l’IARC) dans samonographie 75. Cette décision introdui-sait une pratique nouvelle à l’IARC, entiè-rement fondée sur la plausibilité biolo-gique, puisque aucune donnée ne permetactuellement de conclure directement àl’action cancérogène des neutrons chezl’homme. De la même manière, elle a clas-sé l’ensemble des émissions internes alphaet bêta dans le groupe 1 (monographie78), bien que relativement peu de radio-nucléides aient pu faire l’objet d’uneenquête épidémiologique.

    Quantification du risqueindividuel

    Malgré des différences, toutes contenues àl’intérieur d’un ordre de grandeur (UNS-CEAR, II, 2000), ce qui est relativementfaible compte tenu de la variabilité desconditions d’exposition et des populationsexposées, la valeur du risque est cohérenteparmi les populations exposées. Elle s’ex-prime en comparant le nombre de cancersattendus (E) sur la base de l’observation

    ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

    60

    1. UNSCEAR: Sources and Effects of Ionizing Radia-

    tion. Volume II Effects, Annex I 297-450, 2000.

  • d’un groupe témoin à celui des cancersréellement observés (O) dans le groupeexposé. O – E définit l’excès de risque, O/Edéfinit le risque relatif (RR) souvent rame-né à l’unité de dose D (O/ED), de mêmeque l’excès de risque relatif (ERR) par unitéde dose (O/ED - 1). Il faut en plus définir letemps pendant lequel a été suivie la popu-lation exposée pour permettre les compa-raisons intergroupes, ce qui s’exprime ennombre de personnes/années (PY). En réa-lité, la comparaison directe avec le groupetémoin n’est généralement pas possible, etles données sont utilisées après un certainnombre d’hypothèses qui ne sont pas for-cément apparentes (Estève J., 2001). Dansle modèle statistique le plus courant, il estpostulé que l’excès de cas pour 100 000 PYest proportionnel au nombre observé enl’absence de rayonnement et à la dosereçue, en faisant ainsi l’hypothèse a priorid’un effet multiplicatif (l’irradiation multi-plie le taux de base du cancer dans lapopulation considérée) et d’une relationlinéaire sans seuil (l’accroissement est pro-portionnel à la dose, aussi faible soit-elle).Les taux de cancers sont déterminés par lesméthodes biostatistiques usuelles etprennent en compte l’âge au moment del’exposition, le délai après l’exposition et lesexe. Parmi les groupes humains exposés lacohorte HN fournit la valeur de risque laplus élevée. L’excès de risque relatif par Svest de 0,45 (0,3 – 0,6) pour les décès parcancer solide et de 5,2 (3,8 – 7,1) pour lesleucémies. Ces résultats servent de réfé-

    rence pour l’évaluation conservatoirequantitative du risque concernant lespopulations exposées.

    Pour les besoins spécifiques de l’évaluationde risque, comme ceux que suscite lareconnaissance des maladies profession-nelles imputables aux rayonnements dansles pays anglo-saxons2, différents modèlesont été affinés. Ils prennent en compte lamanière dont le cancer apparaît dans letemps selon l’âge et le sexe du sujet pourchaque site de cancer en fonction de ladose. On aboutit ainsi à une modélisationempirique destinée à produire le meilleurajustement aux données quantifiées repré-sentant l’évolution des cancers radio-induits dans les populations humaines étu-diées.

    Ces outils peuvent être utilisés pour déter-miner individuellement le risque attri-buable à une exposition donnée. Ils sont àla base de l’évaluation de « probability ofcausation » (PC). L’Agence internationalede l’énergie atomique (AIEA) en donneune application3 à partir de modèlesdécrits dans les rapports de l’UNSCEAR(United Nations Scientific Committee onthe Effects of Atomic Radiation) et du BEIR(Biological Effects of Ionizing Radiation),comité de l’Académie des sciences desÉtats-Unis.

    Ces modèles ne prétendent pas donnerune base biologique aux phénomènesdécrits. Tout au plus prennent-ils encompte la variation de la radiosensibilitéen fonction de l’âge et du sexe, desnotions acquises en radiobiologie commela relation linéaire quadratique qui décritcorrectement la survie cellulaire en fonc-tion de la dose, et la notion de risque mul-tiplicatif dans le cas d’exposition combinéeau tabac et au radon.

    Une succession d’équations décrit ainsi demanière discontinue la relation entre letaux de mortalité ou d’incidence partranche d’âge considérée pour les deuxsexes.

    Modèles biologiques de risque

    Décrire un phénomène biologique commela survenue des cancers après expositionaux rayonnements sans distinction possibleentre les cancers radio-induits et ceux qui

    ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

    61

    2. En France, le mécanisme de reconnaissance obéit

    à un mécanisme particulier. Les leucémies, le cancer

    bronchopulmonaire primitif par inhalation et le sar-

    come osseux, inscrits au tableau 6 des maladies pro-

    fessionnelles, justifient une présomption d’imputabi-

    lité pour les agents exposés au risque et ne re-

    quièrent pas d’évaluation dosimétrique. Les autres

    cancers éventuellement imputables doivent être

    déclarés au titre d’un régime complémentaire, et leur

    reconnaissance nécessite que la relation entre l’expo-

    sition et l’effet soit établie à partir d’un jugement

    d’expert sans que l’évaluation quantitative du risque

    soit un prérequis.

    3. IAEA Tec Doc 870 Methods for estimating the pro-

    bability of cancer from occupational radiation expo-

    sure 1996.

  • ne le sont pas, et sans relation directe avecles mécanismes biologiques qui y concou-rent est assez frustrant. Par ailleurs, dansles cas où l’épidémiologie demeuremuette, en raison de l’absence d’effet oudu défaut de puissance statistique de l’étu-de, la justification d’une extrapolationnécessite la cohérence avec les donnéesbiologiques. Cette problématique trouvetoute son acuité avec l’évaluation durisque à faible dose. Elle justifie larecherche de modèles épidémiologiques« biologiques » (UNSCEAR, 2000).

    On sait que la majorité des cancers épithé-liaux apparaissent en proportion croissan-te quand l’âge augmente et que leur fré-quence à l’âge t obéit à une relation detype Ctb, où C et b sont des constantes, bétant compris entre 4 et 6. Par ailleurs, lacytogénétique des cancers, en particulierdes cancers du côlon, montre que ce sontbien en effet plusieurs étapes distinctes, 6dans le cas du côlon, caractérisées par desmodifications de gènes, qui sont néces-saires à la cancérisation des tissus. Le can-cer est ainsi décrit comme un phénomènemulti-étapes et résulte de la probabilitécombinée pour une cellule de franchir cesdifférentes étapes. Dans le cas des cancerssurvenus chez les survivants d’Hiroshima etde Nagasaki, différentes études ont mon-tré la compatibilité de modèles où de 1 à 3étapes de la cancérisation peuvent êtrefranchies après exposition aux rayonne-ments ionisants, la dernière étape n’étantpas sensible puisque les temps de latencesont en général supérieurs à 5 ans.

    La probabilité que plusieurs mutationsordonnées dans le temps interviennent auhasard dans une cellule donnée est très peuplausible : une variante a donc été propo-sée, dans laquelle la première mutation estsuivie d’une phase de prolifération cellu-laire accélérée, suivie finalement d’une

    seconde mutation conduisant directementau cancer. Ce modèle, introduisant desparamètres de croissance, de mort et dedifférenciation cellulaires, a été généralisé.

    Ces modèles, et d’autres impliquant descoopérations plus complexes entre les dif-férents stades considérés, peuvent êtreamenés à décrire de manière compatiblel’apparition de cancers dans les groupesexposés aux rayonnements ionisants enadaptant les paramètres concernant lenombre de cellules souches, les taux demutations induites par unité de dose, lamort cellulaire, le nombre de stades sen-sibles et la cinétique cellulaire. Il est ainsipossible d’obtenir des relations aux formesvariables, linéaires ou non linéaires (LittleMP et al., 2002), fournissant un ajustementacceptable aux données épidémiologiqueset considérées comme des modèles « semi-biologiques » par rapport aux modèlespurement descriptifs. Il reste néanmoinsque leur valeur prédictive est entièrementdépendante de la qualité des hypothèsesfaites, limitées le plus souvent au nombrede mutations induites et aux effets létauxconcurrents. Ils n’intègrent pas en particu-lier les observations impliquant la commu-nication intercellulaire, les effets collaté-raux, la réaction adaptative et l’hypersen-sibilité à faible dose conduisant préféren-tiellement à la mort cellulaire4.

    Projection de risque, problèmedes faibles doses

    Près de la moitié des victimes d’Hiroshimaet de Nagasaki qui ont survécu aux effetsaigus sont encore en vie. L’âge moyen de lapopulation était de 29 ans au moment dubombardement, et la dose moyenne de240 mSv pour ce qui concerne dans legroupe retenu pour l’étude de mortalité.Parmi les 86 572 exposés, le nombre totalde cancers en excès dans la dernière étudepubliée était de 440 (Preston et al., 2003)et le nombre de leucémies de 78 (Estève J.,1996). Ces nombres sont relativementfaibles et ne représentent qu’une fractiondu risque total qui ne pourra être détermi-né directement qu’à l’extinction de lacohorte. Pour avoir accès au risque totalsur la vie entière, il faut faire des hypo-thèses sur la manière dont se projettera lerisque dans les années futures. En 1977, au

    ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

    4. Quelques exemples de modélisation in vitro

    (Schollnberger et al., 2002, J Radiol Prot 22, A21-A25)

    intègrent la notion de réaction adaptative qui per-

    met de rendre compte de courbes en U observées

    avec la lignée C3H10T1/2 pour la transformation

    maligne. Les courbes en U sont non monotones et

    impliquent un effet protecteur de l’irradiation au

    départ de la relation dose-effet.

    62

  • ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

    63

    moment de la publication 26 de la CIPR, leshypothèses courantes considéraient quel’irradiation ajoutait un contingent de can-cers radio-induits aux cancers spontanés enfonction de la dose ; on sait que l’hypothè-se additive maintenant n’a pas été vérifiée,alors que l’hypothèse multiplicative (unfacteur dépendant de la dose multiplie letaux dans la population concernée) estdemeurée plausible. On a vérifié égale-ment depuis que le risque relatif étaitbeaucoup plus élevé chez le jeune quechez l’adulte, ce qui devait conduire en1990, dans la publication 60 de la CIPR, àune évaluation de risque « vie entière »fondée entièrement sur la notion de risquemultiplicatif et sur la constance de lavaleur du risque relatif par tranche d’âgeet par unité de dose. On sait depuis que lerisque relatif mesuré dans les tranchesjeunes diminue rapidement en fonction del’âge atteint, ce qui diminue d’environ30 % les valeurs retenues à l’époque pourl’ensemble de la population (UNSCEAR,2000).

    De nombreux facteurs peuvent influencerla projection de risque pour des groupeshumains différents de HN. Les plus cou-ramment pris en compte concernent lastructure démographique de la popula-tion, la dose moyenne et le débit de dose.

    Pour une exposition à 1 Sv de type HN despopulations japonaise, chinoise et améri-caine, par exemple, dans le modèle derisque relatif à valeur constante partranche d’âge au moment de l’exposition,les risques globaux sont respectivement de11,2, 9,9 et 12,5 % de probabilité de mou-rir d’un cancer radio-induit.

    Le problème se complique lorsque l’onveut introduire la notion de débit de dose.Bien qu’on admette sur la foi de donnéesradiobiologiques que de faibles débitsdoivent avoir des effets cancérogènes atté-nués, il n’y a pas jusqu’alors d’enquête épi-démiologique qui permette de corriger entoute fiabilité les valeurs de référence. Ilexiste certes de nombreuses populationsexposées à faible débit, mais elles ne per-mettent pas de confronter la valeur derisque observé à celui dégagé par l’en-quête HN. Ce que l’on remarque générale-ment pour ces populations exposées àfaible débit, c’est que le risque y est inap-

    parent ou, fréquemment (NCRP, 2001).plus faible que dans le groupe témoin :c’est vrai pour les cancers solides des tra-vailleurs du nucléaire, c’est vrai pour lesradiologues et c’est vrai pour les popula-tions exposées à de très forts niveaux d’ir-radiation naturelle en dehors des effets duradon. La signification de ces observationsest controversée. Les effets cancérogènesdes radiations sont de faible amplitude, defaibles débits de dose ne peuvent conduirequ’à de faibles doses et donc à des effetsminimes non statistiquement décelables siles populations étudiées ne dépassent paslargement le million d’individus pour desdoses de l’ordre de la dizaine de mSv (LandCE., 1980). Dans l’étude HN, la limite oùl’on décèle un excès de cancers est 200 mSv(UNSCEAR, 1994) et même si il y a appa-rente linéarité exprimant une croissancede la mortalité par cancer entre 0 et 50mSv, la probabilité d’un biais de recrute-ment est très forte, en particulier parcequ’on n’observe aucune tendance de cetype dans l’étude d’incidence (UNSCEAR,2000). La seule enquête, toujours contro-versée d’ailleurs (IARC monographie 75),qui atteste d’un risque dans la gamme de10 mSv est celle concernant les enfantsirradiés in utero pour des raisons diagnos-tiques (UNSCEAR, 1994).

    Les valeurs de risque que l’on attribue auxexpositions à faible débit de dose sontdonc des extrapolations. Elles s’appuientsur des observations médicales d’exposi-tions fractionnées (qui ne sont pas desfaibles débits de RX) dans la gamme du Svcomme les cancers du sein et du poumonchez les patientes suivies pour pneumotho-rax : dans ce cas, on observe que l’excès decancers du sein est compatible avec lesvaleurs HN, alors que l’absence d’excès decancers du poumon témoigne d’une forteatténuation dû au fractionnement. Lesvaleurs de risque s’appuient également surdes données animales à fortes doses, déli-vrées de manière chronique (qui ne sontpas non plus de faibles débits…), quitémoignent d’une atténuation d’effetvariant entre 2 et 10 (UNSCEAR, 1994). Pourdes raisons de simplification et de pruden-ce, le choix d’un facteur unique (DDREF)divisant le risque HN par 2 est supposé cou-vrir l’ensemble de l’atténuation attenduede doses faibles délivrées à faible débit.

  • ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

    64

    Actuellement, les valeurs de 4 à 5 % d’ex-cès de cancers par Sv (UNSCEAR, 2000), cen-sées représenter le risque à faible débit dedose pour une population occidentale glo-balement exposée, ne peuvent être modi-fiées par les enquêtes épidémiologiques,l’importance des incertitudes statistiques,recouvrant les valeurs prévues par ce calculmême lorsque le risque est inapparent.

    Conclusion

    On dispose, grâce à la qualité des enquêtesépidémiologiques concernant le risque decancer dû à l’exposition aux rayonnementsà fort débit de dose, d’un ensemble cohé-rent qui constitue un remarquable outilpour l’évaluation et la prévention desrisques. On ne peut utiliser cet outil pourla gestion du risque à faible débit qu’aprèsde multiples extrapolations jusqu’à ce quede nouvelles données en milieu environne-mental ou professionnel d’une part, oubiologique d’autre part, s’y substituent. Iln’existe pas en particulier de justification

    épidémiologique à l’absence de seuil qui,au titre de la précaution, constitue la basede la gestion du risque pour les travailleurset la population. Compte tenu des incerti-tudes statistiques, il est très improbableque l’épidémiologie puisse trancher cepoint, à moins, ce n’est pas le cas actuelle-ment, que l’on puisse distinguer les cancersradio-induits de ceux qui ne le sont pas.C’est donc la biologie de la transformationcancéreuse et de l’introduction de sesconcepts dans la modélisation qui permet-tra de progresser dans la voie de laconnaissance des effets des faibles doses.Actuellement, ce que dit la biologie, c’estqu’il s’agit d’un mécanisme très complexeavec des voies de rétroaction variables enfonction du débit et de la dose, impliquantles cellules et leur environnement, etimpossible à réduire à l’impact aléatoired’une cession d’énergie dans une cible. Labiologie n’est pas compatible avec la linéa-rité, même en considérant une large répar-tition des variations de sensibilités indivi-duelles qui lisserait les relations dose-effet.

  • ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

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    I. Définition de l’épidémiologieenvironnementale

    On cite souvent la caractérisation de l’effetsur la santé d’expositions à un facteur envi-ronnemental aux faibles doses comme unedes limites de l’approche épidémiolo-gique. Cette affirmation pose avant tout laquestion de la définition de l’expression defaible dose. Dans bien des situations, elledésigne les doses dont les effets sont en-core inconnus, par opposition aux effetsdes doses plus fortes, déjà caractérisés.Sous cet angle, considérer les faibles dosescomme problématiques est une évidencecorrespondant en fait à une des tâches del’épidémiologie environnementale : élar-gir le champ des situations d’exposition, etnotamment des doses, dont l’effet estcaractérisé.

    L’épidémiologie est l’étude des états desanté de la population et de leurs détermi-nants, principalement par une approchereposant directement sur les populations.Nous considérerons que l’épidémiologieenvironnementale concerne les détermi-nants exogènes des maladies. Ces détermi-nants peuvent être de nature biologique(des virus, bactéries…), chimique, phy-sique, mais aussi, et il n’en sera pas ques-tion ici, sociale, politique ou culturelle(Hertz-Picciotto I., 1998). À ce titre, etparce qu’elle utilise une méthodologiesimilaire, l’épidémiologie des risques pro-fessionnels sera ici considérée comme unedes composantes de l’épidémiologie envi-ronnementale. L’étude des effets de cesfacteurs environnementaux nécessite leurquantification : l’exposition, qui désigne lecontact de l’organisme avec le facteur pré-sent dans l’environnement, est caractéri-sée par la durée de ce contact et la concen-

    tration du facteur dans l’environnement ;la dose représente quant à elle la quantitédu facteur absorbée ou déposée dans l’or-ganisme.

    Plutôt que de discuter, de façon un peuspéculative, sur la manière dont l’épidé-miologie pourrait répondre aux défis dufutur, nous avons choisi de rappeler com-ment, par le passé, elle avait réussi à carac-tériser les effets de doses toujours plusfaibles. Après un rappel sur le caractèreprobabiliste des effets étudiés en épidé-miologie, nous verrons le rôle déterminantd’avancées méthodologiques dans le pro-cessus d’exploration des faibles doses pourtrois exemples : ceux de l’amiante, des pol-luants de l’atmosphère et des rayonne-ments ionisants. Nous distinguerons cesavancées selon qu’elles concernent lamesure des expositions, la survenue de lamaladie, l’échantillonnage des sujets oul’approche statistique. Ceci nous amènerafinalement à relativiser l’importance de lanotion de dose dans l’étude des relationsentre santé et environnement, et à lareplacer dans une trame plus largeincluant d’autres caractéristiques de l’ex-position.

    II. Les effets probabilistesnécessitent une approchespécifique

    Il y a des cas où l’effet d’un facteur envi-ronnemental est tellement manifeste quela formalisation épidémiologique estsuperflue : les effets néfastes d’une intoxi-cation par le monoxyde de carbone à desconcentrations dans l’air de l’ordre de1 g/m3 peuvent être mis en évidence à par-tir d’un très petit nombre de sujets expo-sés ; ces effets – perte de conscience,

    L’épidémiologie peut-ellecaractériser les effets des faiblesdoses d’un agent toxique ?

    par Rémy Slama et Alfred Spira – Unité 569 « Épidémio-logie, démographie et sciences sociales : santé reproductive,sexualité et infection à VIH » – INSERM et INED

  • coma… – étaient d’ailleurs déjà connus autemps de l’Empire romain, alors que l’épi-démiologie n’existait pas encore. Demême, les scientifiques travaillant sur lesrayonnements ionisants ont très rapide-ment pris conscience qu’ils pouvaient, à desexpositions que nous considérons aujour-d’hui très élevées, induire des brûlurescutanées ou des atteintes oculaires (EdisonTA., 1896).

    Cette situation ne concerne pas que cer-taines doses très élevées, mais aussi certainseffets qui ne s’observent qu’exceptionnel-lement en l’absence de l’exposition consi-dérée ; par exemple, l’efficacité de la strep-tomycine sur la méningite tuberculeuse estapparue sitôt le premier cas traité, car cettemaladie ne guérit jamais spontanément(cité par Schwartz D., 1996). Ici, l’expositiona un effet quasi systématique (cause suffi-sante pour entraîner la maladie), son effetse manifeste peu de temps après l’exposi-tion, et la description de cas se révèle biensouvent satisfaisante : le lien entre la causeet l’effet s’impose « de lui-même », commes’impose à un enfant l’évidence que c’estl’interrupteur qu’il vient d’actionner qui afait s’allumer l’ampoule.

    Mais ce schéma est malheureusementinopérant pour la plupart des maladiespesant sur la santé publique en Europeaujourd’hui (cancers, maladies cardio-vas-culaires, diabètes…) car les facteurs derisque de ces maladies n’ont pas d’effetdéterministe (ou systématique, à la ma-nière d’une cause suffisante), mais un effetprobabiliste. L’approche épidémiologique,combinée à celles de disciplines telles quela toxicologie, la biologie plus fondamen-tale et la recherche clinique, sera d’autantplus utile que l’effet de l’exposition estrare, le délai de latence entre l’expositionet la maladie important, et que la maladiepossède de nombreuses causes possiblesautres que l’exposition (caractère multifac-toriel de la maladie). Pour reprendre lacomparaison de l’interrupteur, noussommes face à une situation où une actionsur l’interrupteur ne provoque qu’occa-sionnellement l’allumage de l’ampoule, etavec un retard variable. Dans bien des cas,de plus, il y a plusieurs ampoules et denombreux interrupteurs, reliés entre euxpar un réseau électrique complexe.

    Si on veut connaître l’effet d’expositionsau monoxyde de carbone bien plus faiblesque celles déjà évoquées, l’étude d’ununique sujet exposé chroniquement à uneconcentration de monoxyde de carbonedans l’air de 5 mg/m3 n’est pas concluantecar une telle exposition n’entraîne aucunsigne immédiat ni systématique. Elle pour-rait en revanche, chez les femmesenceintes, augmenter le risque de nais-sance prématurée (Ritz B et al., 2000), etceci ne peut être mis en évidence qu’enconsidérant simultanément un grandnombre de femmes enceintes, ou d’ani-maux exposés en cours de gestation à uneconcentration jugée équivalente, et endécrivant les variations de la probabilité denaissance prématurée à mesure que ladose varie. Il en va de même si on s’inté-resse à l’effet de l’exposition aux rayonne-ments ionisants à des doses absorbées dequelques dizaines ou centaines de mGy, cequi est aujourd’hui considéré en radiopro-tection comme des faibles doses.

    L’approche épidémiologique s’est, depuisla seconde moitié du XXe siècle, considéra-blement développée en réponse à de tellessituations, et pour explorer des doses tou-jours plus faibles et des effets toujours plusrares, comme nous allons maintenant levoir à partir de trois exemples.

    III. Amiante et fonctionpulmonaire

    L’étude des effets sur la santé de l’exposi-tion aux différentes fibres d’amianteremonte au moins au début du XXe siècle(Auribault M., 1906), à une époque oùl’épidémiologie moderne n’existait pasvraiment, et a connu de nombreuses évo-lutions méthodologiques.

    La première évolution concerne la défini-tion et la mesure des événements de santéconsidérés. Au début du XXe siècle, lespathologies pulmonaires liées à l’amianteétaient parfois confondues avec la tuber-culose ou la pneumonie, qui pouvaientsurvenir simultanément. La définition del’asbestose, une fibrose pulmonaire exten-sive, à partir d’une série de cas, a constituéune étape importante, venant des disci-plines cliniques, qui a permis à l’épidémio-logie d’avancer. En effet, une pathologiespécifique de l’amiante était identifiée

    ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

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  • (Gee D et al., 2001), qui ne touchait pas lestravailleurs non exposés. Ceci allait faciliterles études futures, en définissant un évé-nement de santé fréquent et suivant l’ex-position assez rapidement. La caractérisa-tion du risque d’asbestose dû à l’amiante arendu la nocivité de l’amiante plus vrai-semblable aux yeux des pouvoirs publics,et a permis les premières mesures de dimi-nution de l’exposition des travailleurs. Plustard, dans les années 1930 et 1940, c’estd’ailleurs le suivi médical et l’autopsie dessujets atteints d’asbestose qui a laissésoupçonner un effet de l’amiante sur uneautre pathologie, le cancer du poumon. Ladiminution des niveaux d’exposition àl’amiante a entraîné une diminution de lafréquence de l’asbestose, qui auparavantpouvait masquer les manifestations ducancer. Les études épidémiologiques réali-sées à partir des années 1950 ont montrél’effet de l’amiante sur le cancer du pou-mon – ce qui imposait de prendre simulta-nément en compte amiante et tabac –,puis sur le mésothéliome de la plèvre. Ledélai de latence moyen avant l’apparitiondes ces maladies est considérable, de 10 à25 ans pour le cancer du poumon etautour de 35 à 40 ans pour le mésothélio-me pleural. On ne pouvait donc plus secontenter, comme dans le cas de l’asbesto-se, de mesurer la fréquence de la maladiechez les travailleurs encore en activité. Unmode d’échantillonnage et de suivi à longterme des travailleurs défini et rigoureux,la méthodologie de l’enquête de cohorte(Doll R., 2001) rétrospective, a alors été uti-lisée (Dement JM. et al., 2001). Cetteméthodologie permet notamment d’éviterl’effet travailleur sain qu’on retrouve dansles enquêtes transversales reposant sur unéchantillon de travailleurs interrogés à unmoment unique sur leur santé, et quiconsiste en une absence de prise en comp-te des travailleurs qui ont dû quitter l’usi-ne pour cause de mauvaise santé, etentraîne donc une sous-estimation de l’ef-fet de l’exposition.

    Simultanément avaient lieu des progrèsdans la mesure de l’exposition à l’amiante.Si les études réalisées par les inspecteursdu travail dans la première moitié du XXe

    siècle se contentaient de caractériser l’ex-position par le nombre d’années de travailen contact avec l’amiante, les études de

    cohorte ultérieures ont notamment reposésur l’utilisation de matrices emploi-exposi-tion : en combinant la concentrationd’amiante dans l’air au poste de chaquetravailleur avec la durée d’occupation duposte, et en sommant ces niveaux pourl’ensemble des postes occupés dans la vieprofessionnelle du travailleur, on arrive àune estimation de l’exposition cumulée(Dement JM. et al., 1983). En plus de laconnaissance des postes successifs occupéspar chaque travailleur, ceci nécessite biensûr de pouvoir reconstituer les niveauxd’exposition dans chaque secteur del’usine et à chaque époque.

    L’ensemble des travaux sur l’amiante a eu,certes avec un important retard, une tra-duction en termes de protection des tra-vailleurs des pays industrialisés : la concen-tration maximale d’amiante autoriséedans les locaux professionnels par les loisaméricaines était de l’ordre de 30 fibres deplus de 5 µ par cm3 d’air en 1960 ; elle estdescendue à 12 fibres en 1969, à 5 en 1971,pour atteindre 0,2 fibre de plus de 5 µ parcm3 d’air à la fin des années 1980 (StolleyPD. et al., 1995) : la concentration maxima-le autorisée a ainsi été divisée par 150 en30 ans !

    Cet historique rapide rappelle que l’évolu-tion des connaissances scientifiques sur leseffets de l’amiante a eu lieu en parallèleavec des avancées méthodologiques cru-ciales dans la définition et la mesure de lasurvenue des pathologies, dans le moded’échantillonnage et de suivi des sujetsinclus dans les enquêtes épidémiolo-giques, et dans la mesure de l’exposition.On a maintenant caractérisé l’effet d’ex-positions chroniques à des concentrationsde l’ordre d’une fibre d’amiante par cm3

    d’air. Et il reste encore de nombreusesquestions ouvertes (Goldberg M., 2001 ;INSERM, 1997), telles que celle de l’effetdes doses plus faibles encore, absorbéeslors de la fréquentation des bâtiments« amiantés ».

    IV. Pollution atmosphérique etséries temporelles

    Il existait à la fin des années 1970 un cer-tain consensus sur l’innocuité de la pollu-tion atmosphérique par les particules ensuspension aux niveaux alors observés

    ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

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  • ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

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    dans les pays industrialisés (Holland WW.et al., 1979). Les travaux menés, surtout àpartir des années 1990, indiquent que cesniveaux de pollution ont bien un effet surla santé. On estime ainsi que la pollutionde l’air pourrait aujourd’hui, dans nospays, être responsable d’environ 6 % desdécès survenant dans la population adulte(Kunzli N. et al., 2001). L’utilisation d’untype d’enquête particulier, l’approche desséries temporelles, est largement derrièrece revirement majeur dans les conclusionsdes scientifiques. Pour comprendre sonintérêt, nous allons passer en revue les dif-férents types d’études utilisées dans laseconde moitié du XXe siècle pour caracté-riser les effets sanitaires de la pollutionatmosphérique.

    Ces travaux peuvent être schématique-ment regroupés en 3 époques (Hertz-Picciotto, 1998). Les premiers indices fortsen faveur d’un effet de la pollution atmo-sphérique sur la santé provenaientd’études « avant-après » comparant lamortalité durant la période suivant immé-diatement un pic de pollution avec la mor-talité de la période le précédant ou lapériode calendaire équivalente les annéesantérieures. L’épisode de pollution surve-nu à Londres en décembre 1952, à l’issueduquel on a estimé que le taux de mortali-té avait été le triple de la norme – voiredavantage (Bell ML. et al., 1952) – est illus-tratif des travaux de cette premièreépoque. Les niveaux de pollution en parti-cules en suspension étaient, lors de cet épi-sode, d’environ 1500 µg par m3 d’air, de 8 à 10 fois supérieurs aux niveaux des 3 semaines précédentes.

    L’approche utilisée à Londres en 1952 estlimitée aux pics de pollution majeurs per-mettant de distinguer une période« avant » avec un niveau de pollution rela-tivement faible et une période « après »,avec une pollution forte. Or de tels picssont devenus moins fréquents au cours desannées 1950-1980, avec la diminution desconcentrations atmosphériques en parti-cules en suspension et en dioxyde desoufre. De plus, l’étude de la mortalitépouvait se révéler peu puissante pourcaractériser l’effet des expositions plusfaibles. Ce type d’étude est aujourd’huigénéralement réservé à des situations par-

    ticulières, notamment des « creux » de pol-lution, comme celui survenu lors de l’inter-diction soudaine de la vente de charbon àDublin en 1990.

    Dans une deuxième période, on a réalisédes comparaisons de la fréquence depathologies pulmonaires entre des villesayant des niveaux de pollution plus oumoins élevés (Lave LB. et al., 1970). La prin-cipale limite de ces comparaisons géogra-phiques provient des corrélations entre lescaractéristiques socio-économiques desvilles et leurs niveaux de pollution (Hertz-Picciotto, 1998) : les zones les plus polluéesétaient souvent aussi les moins favoriséessocio-économiquement, ce qui pouvait ensoi expliquer une situation sanitaire moinsbonne. La relative faiblesse méthodolo-gique de ce type d’approche les rendaitmoins convaincantes que les précédentes ;ceci pourrait avoir un rôle dans le fait déjàcité que la pollution de l’air par les parti-cules en suspension et le dioxyde de soufren’était plus considérée comme un réel pro-blème dans nos pays à la fin des années1970 (Holland WW. et al., 1979).

    Une réelle innovation méthodologique abouleversé la donne dans les années 1990,avec l’utilisation de l’approche des sériestemporelles. Cette méthodologie ouvre latroisième période de l’étude épidémiolo-gique des effets de la pollution atmosphé-rique. Il s’agit, au sein d’une zone donnée,de « corréler » au jour le jour le nombred’admissions à l’hôpital ou aux urgences,par exemple pour des causes respiratoires,au niveau de pollution les jours précé-dents, tout en contrôlant l’effet de carac-téristiques météorologiques comme latempérature (Schwartz J. et al., 1992).L’analyse de ces séries temporelles par unmodèle de régression de Poisson tire profitde la forte variabilité quotidienne desniveaux de pollution dans chaque ville, etn’est pas restreinte aux jours de pollutionélevée, ce qui permet de disposer d’unelongue période d’observation sur de largespopulations. La perte de sensibilité due àl’utilisation d’un unique indicateur d’expo-sition pour l’ensemble des habitants d’unezone (la moyenne des valeurs des capteursde la zone), sans prise en compte de lavariabilité dans l’exposition due aux com-portements individuels, est à mettre en

  • ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

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    regard du gain de sensibilité permis par lenombre important de sujets inclus, et lecôté quasi longitudinal de l’étude. De plus,cette approche ne souffre pas de la limitedes autres types d’études écologiques entermes de possibilité de prise en comptedes facteurs de confusion potentiels(Greenland S. et al., 1998 ; Wichmann HE.et al., 2003) : d’une part, le fait que la com-paraison se fasse au sein d’une unique villepermet de limiter l’hétérogénéité socio-économique des populations étudiées etles biais en découlant (d’une certainefaçon, chaque ville est son propretémoin) ; d’autre part, si on s’intéresse auxeffets à court terme de la pollution, il estpeu vraisemblable qu’une modificationimportante de la prévalence de la consom-mation de tabac dans la ville puisse surve-nir en quelques jours et expliquer desvariations dans le nombre d’admissionshospitalières. La difficulté méthodolo-gique principale est le contrôle de ten-dances saisonnières dans les admissionshospitalières ou les maladies étudiées, etqui limitent l’aptitude de ces modèles àdécrire les effets à moyen et long terme (àl’échelle de quelques mois ou plus) de lapollution (Schwartz J. et al., 1996). Il fautinsister sur la faiblesse des risques décritspar ce type d’approche : l’augmentationde la mortalité quotidienne associée à uneaugmentation de 10 µg/m3 de la concen-tration de particules de moins de 10 µm estestimée à environ 0,8 % pour la mortalitétoutes causes, et à 3 % pour la mortalitépour des causes respiratoires (Holgate ST.,1999). Ceci correspond à des risques rela-tifs de 1,008 et 1,03, respectivement. Bienqu’ils soient donnés pour une augmenta-tion plutôt faible de la pollution, et qu’ilscorrespondent à une variation du risquede mortalité par jour et non pas cumulésur une longue période, il est clair que cesrisques relatifs sont considérablement plusfaibles que ceux couramment décrits pourd’autres facteurs d’exposition, qui sontplutôt dans la gamme allant de 1,5 à 5.Ceci illustre la sensibilité potentielle decette approche pour mettre en évidencedes risques très faibles, mais aussi l’impor-tance d’autres arguments étayant forte-ment la plausibilité biologique des associa-tions décrites (Holgate ST. et al., 1999 ;Brunekreef B. et al., 2002).

    L’approche des séries temporelles, parallè-lement à des études de cohorte (DockeryDW. et al., 1993), a en une quinzaine d’an-nées permis de montrer la nocivité des par-ticules en suspension sur les pathologiespulmonaires à des concentrations del’ordre de 50 à 100 µg/m3, autrefois consi-dérées anodines, d’indiquer un effet pos-sible de la pollution particulaire sur lespathologies cardiovasculaires, et de carac-tériser l’effet possible d’autres polluantsatmosphériques comme l’ozone ou lesoxydes d’azote (Holgate ST. et al., 1999 ;Brune Kreef B. et al., 2000 ; Dockery DW.et al., 2001). Dans cet exemple, pour l’épi-démiologie, ce sont principalement lesavancées au niveau de la méthodologied’enquête et du mode d’échantillonnagedes sujets, composantes cruciales de l’ap-proche épidémiologique, qui ont permis leprogrès des connaissances.

    V. Rayonnements ionisants

    Des évolutions méthodologiques similairesjalonnent l’étude de l’effet des rayonne-ments ionisants sur la santé qui, commedans le cas de l’amiante, s’étend depuis ledébut du XXe siècle. Les niveaux d’exposi-tion que les spécialistes de la radioprotec-tion appellent les faibles doses ont connuau cours du XXe siècle des évolutions simi-laires à celles que nous avons décrites pourl’amiante et les particules en suspensiondans l’air urbain. Ainsi, bien que les com-paraisons temporelles soient délicates dufait d’évolutions dans les unités de mesure,on peut considérer que les doses d’exposi-tion maximales recommandées par laCommission internationale de protectioncontre les rayonnements ionisants (CIPR)ont été divisées par 20 entre 1934 et 1990(Moeller DW., 1997). Passons en revue, iciencore, les principales avancées méthodo-logiques qui ont accompagné cette évolu-tion des normes de protection.

    Concernant la mesure des expositions, lesapproches que nous avons décrites dans lecas des travailleurs exposés à l’amiante ontaussi été utilisées auprès de populationsprofessionnellement exposées aux rayon-nements ionisants ; l’exposition a ainsid’abord été estimée, parmi des radio-logues, par le nombre d’années de travaildans l’emploi exposé aux rayonnements

  • ▼Dossier : Épidémiologie et rayonnements ionisants

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    ionisants (Berrington A. et al., 1897-1997)ou, pour les mineurs d’uranium, par uneapproche similaire à celle des matricesemploi-exposition (Lubin JH. et al., 1991).Mais l’avantage considérable des étudessur l’exposition professionnelle aux rayon-nements ionisants réside dans l’enregistre-ment prospectif des expositions des tra-vailleurs au niveau individuel, disponibledans certains pays depuis les années 1950,au moins pour l’exposition aux rayonne-ments gamma. Bien sûr, ce mode de suiviest limité sous certains aspects, liés au faitque chaque type de rayonnement ionisantimplique un mode de suivi de l’expositiondifférent ; cette difficulté existe aussi pourd’autres facteurs d’exposition, parexemple l’amiante, où plusieurs famillesde fibres, dont la nocivité peut différer,doivent être prises en compte, ou la pollu-tion de l’air. Cet enregistrement de l’expo-sition en vigueur dans le nucléaire permetd’éviter le recours à des approches moinsdirectes de mesure de l’exposition, tellesque celles des matrices emploi-exposition,qui impliquent de fréquentes erreurs demesure de l’exposition au niveau indivi-duel, et donc une plus faible puissance sta-tistique à effectif égal. De plus, du fait ducaractère très pénétrant du rayonnementgamma, dans la mesure où l’irradiation destravailleurs est uniforme pour l’ensembledu corps, l’indication fournie par les dosi-mètres est une bonne approximation de ladose absorbée par chaque organe, biologi-quement pertinente ; pour des facteurscomme l’amiante ou la pollution de l’air,une telle dose est beaucoup plus difficile àestimer, et il faut se contenter d’une me-sure de la concentration du facteur dansl’environnement. Ainsi, l’étude des tra-vailleurs exposés aux rayonnements ioni-sants constitue en quelque sorte un idéalen termes d’estimation de la dose, encorelointain pour d’autres facteurs environne-mentaux. L’étude du risque de mortalitépar cancer associé à l’exposition externeaux rayonnements ionisants, à partir decohortes de travailleurs, a ainsi indiquéune augmentation du risque de leucémieassocié à l’exposition (Cardis E. et al.,1995). Ce type d’étude permet aussi d’illus-trer, incidemment, les limites de l’utilisa-tion d’une population de référence (nonexposée) externe : ainsi, on observe fré-

    quemment que les travailleurs exposés ontun risque de cancer globalement plusfaible que la population générale (ce quiest dû à la sélect