Dossier pédagogique La gravure allemande à la Renaissance

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Musée des Beaux-Arts de Caen La gravure allemande à la Renaissance Dossier pédagogique 28 novembre 2014 – 8 mars 2015

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M u s é e d e s B e a u x - A r t s d e C a e n

La gravure allemande

à la Renaissance

Dossier pédagogique

28 novembre 2014 – 8 mars 2015

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La gravure allemande à la Renaissance 1. Présentation de l'exposition p. 3 2. AD comme Albrecht Dürer, par Wolf Halberstadt p. 4 3. L'Allemagne aux XV

e et XVI

e siècles p. 6

3.1 Les crises surmontées de la fin du Moyen Age 3.2 L'expression culturelle d'une ère de contrastes 3.3 L'Allemagne de la Renaissance 3.4 La réforme (1517 – 1555)

4. Chronologie : l'Allemagne sous les règnes de Maximilien Ier et Charles Quint, par Jacques Soria p. 13 5. Carte du Saint Empire romain germanique : la Réforme en Allemagne p. 15 6. Un chef-d'œuvre de la gravure : Melencolia I, par Caroline Joubert p. 16

6.1 Melencolia I : une iconographie complexe 6.2 Le Typus melancholicus et la théorie des quatre tempéraments 6.3 La Melancholia generosa ou la mélancolie réhabilitée

7. Le statut de l'artiste à la Renaissance : monogramme et signatures, par Caroline Joubert p. 19 8. Les techniques de la gravure dans la première moitié du XVIe siècle, par Caroline Joubert p. 21 9. Pistes pédagogiques p. 24 9.1 Pistes pédagogiques pour le 1

er degré : la communication par le signe

9.2 Pistes pédagogiques pour le 2nd

degré en lettres et histoire des arts, par Karine Guihard (2nd degré - lettres), professeur-relais du service éducatif

9.3 Pistes pédagogiques pour le 2nd

degré : questionnaires, par Wolf Halberstadt et Frédérique Lucet

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1. Présentation de l'exposition

Rassemblant quelque deux cents gravures, l'exposition est l'occasion d'offrir aux visiteurs un panorama de la production graphique allemande dans la première moitié du XVIe siècle, une production d'une richesse d'invention et d'une qualité technique rarement égalées. Les œuvres exposées, toutes issues de la collection Mancel conservée au musée des Beaux-Arts, permettent en outre d'évoquer une page d'histoire particulièrement dense, marquée en particulier par de grands bouleversements politiques, économiques et religieux. De toutes les écoles germaniques, celle de Nuremberg est sans doute la mieux représentée dans le fonds Mancel avec Albrecht Dürer et ses chefs-d'œuvre incontestés que sont La Mélancolie et Saint Jérôme dans sa cellule mais aussi avec ses élèves, Georg Pencz et les deux frères Barthel et Hans Sebald Beham. Ces derniers, que l'on qualifia de « petits maîtres » en raison des dimensions réduites de leurs estampes, se montrèrent particulièrement perméables aux influences italiennes. Premier graveur à avoir adopté des formats minuscules et principal représentant de l'école du Danube, Albrecht Altdorfer est également très présent dans la collection, notamment avec l'exceptionnelle série des quarante bois gravés illustrant La Chute et la rédemption de l'homme. Au nord de l'Allemagne, Heinrich Aldegrever hésite entre le maniérisme flamand, le naturalisme local et les formes de la Renaissance italienne, trois esthétiques parfaitement lisibles dans un ensemble de gravures illustrant soit des thèmes profanes, soit des épisodes bibliques et mythologiques. Enfin, aux côtés de ces gravures au burin pleines d'imagination figurent une sélection de bois et de clairs-obscurs - une innovation technique majeure de cette époque -, œuvres d'artistes ayant travaillé à Nuremberg, à Strasbourg (Hans Baldung Grien), à la cour de Saxe (Lucas Cranach), à Bâle (Hans Holbein le Jeune) et à Augsbourg (Hans Burgkmair, Hans Weiditz).

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2. A D comme Albrecht DÜRER

A

comme Albrecht ou Albert ou Albertus Dürer

A comme Allemagne, espace géographique peu défini, aux différences régionales accusées. Les « écoles

artistiques » et les créateurs sont disséminés à travers le pays. Contrairement à l'Italie ou aux Pays-Bas, l'Allemagne du XVe siècle reste ancré dans le Moyen Age. L'art gothique - que Goethe avait considéré par erreur comme l'expression idéale de l'âme allemande - est omniprésent.

A comme accélération. Le monde germanique se met en mouvement. L'invention de l'imprimerie par

Gutemberg, la richesse gérée par des banquiers avisés - particulièrement en Allemagne du sud -, l'éclosion des cités comme Augsbourg, Nuremberg et Ulm transforment les comportements et éveillent curiosité et esprit d'invention.

A comme alémanique. L'espace alémanique, avec des villes comme Strasbourg, Colmar, Bâle, Fribourg,

produira avec la Franconie et l'Autriche, les grands artistes du XVIe siècle. Le Sud l'emporte sur le Nord.

A comme assimilation. Assimiler les conquêtes de l'art de la Renaissance que l'on découvre en Italie et aux

Pays-Bas sans tomber dans l'imitation sera le programme des peintres et graveurs du nouveau siècle. Apprendre, voyager, se former à Venise, à Rome ou à Amsterdam tentent toute la nouvelle génération d'artistes.

A comme artiste. Les artisans des ateliers de gravure deviennent des artistes. Ils gravent, ils peignent sans

se limiter aux commandes des villes, des princes ou des particuliers. Ils négocient leurs prix et prennent conscience de leur valeur, de leur talent. Leurs techniques se libèrent des contraintes de l'artisanat.

A comme Apocalypse. La foi et la religion sont au centre des débats. Martin Luther accroche ses 95 thèses à

la porte de l'église de Wittenberg et lance ainsi la Réforme. Lire l'Évangile, chercher soi-même la foi sans se fier aux autorités de l'Église, voilà un nouvel espace de liberté et d'exigence morale.

Albrecht Dürer par Albrecht Dürer, gravure sur bois

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D comme Dürer. Né en 1471 à Nuremberg, il y meurt en 1528. Dürer est considéré comme le maître de la

Renaissance allemande. Sa technique de la gravure, le traitement de la couleur et sa vision de l'espace ainsi que ses traités théoriques font de lui l'homme de la Renaissance par excellence.

D comme découvertes. La Renaissance allemande n'a pas produit de grands voyageurs ou découvreurs de

continents nouveaux. L'art, la religion et la gestion des cités et des états sont au centre des « révolutions ». L'artiste veut découvrir les secrets de la vie. La représentation du microcosme, des scènes bibliques ou des paysages témoignent de la volonté d'appréhender le monde.

D comme désordre. La mise en cause de l'ordre établi ne se limite pas à la religion ou à l'art. Les paysans,

soumis à leurs seigneurs, revendiquent leur libération. Les guerres des paysans, violentes et réprimées dans le sang, montrent les limites des libertés nouvelles. Les paysans espèrent le soutien de Martin Luther, mais celui-ci leur refuse et exige la soumission aux princes.

D comme déclin. La production artistique perd en originalité à partir de 1550. Les difficultés politiques, les

guerres de religion qui aboutiront à la Guerre de Trente Ans au XVIIe siècle, le manque d'innovations dans le domaine artistique sont des facteurs qui expliquent ce déclin relatif.

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3. L'Allemagne aux XVe et XVIe siècles

3.1 Les crises surmontées de la fin du Moyen Age

La crise paysanne Redevances foncières et seigneuriales sont supportées avec plus d'aigreur. Pour la première fois, un esprit frondeur demande des comptes à la noblesse sur l'origine de ses droits : « où était-elle donc au paradis terrestre ? »(Als Adam grub aund Eva spann, wo war denn da der Edelmann ?), persiflait un dicton populaire. Plus grave, des jacqueries éclatent. L'évêché de Strasbourg est fort secoué de 1439 à 1444 par le soulèvement du « Bundschuh », ainsi nommé d'après la chaussure que les révoltés plaçaient sur leurs fanions. La crise nobiliaire La chute des rentes seigneuriales concourt à une crise de la noblesse allemande, que deux autres facteurs viennent aggraver. D'une part, son rôle et son prestige militaire se sont amoindris depuis la fin du temps des croisades, et surtout depuis l'apparition de troupes de mercenaires venant se substituer à la vieille armée féodale. D'autre part, la territorialisation toujours plus poussée de l'Allemagne tend à faire tomber la grande masse des nobles sous la domination de pouvoirs s'interposant entre eux et l'empereur : or, du plus profond d'un vieil idéal de « liberté germanique », cette médiatisation est ressentie par beaucoup de nobles comme la déchéance suprême. La crise du monde nobiliaire à la fin du Moyen Age est surtout vécue dans sa strate inférieure, la plus nombreuse, à laquelle commence alors à s'appliquer restrictivement l'expression de « chevalerie », jadis propre à tout l'Ordre noble. Menacés de sombrer dans un prolétariat de valets d'armes, beaucoup de nobles se jettent alors dans une politique de guerres privées et de coups de main, différant assez peu du banditisme pur et simple. Les XIVe et XVe siècles marquent l'apogée - si l'on peut dire - de la chevalerie pillarde (Raubrittertum). La crise sociale Bien que cette même époque corresponde, on le verra, à un authentique sommet, économique et culturel, de la vie urbaine en Allemagne, les villes ont également eu leur part dans ce grand ébranlement de la société. Outre les séquelles démographiques de la Peste noire, elles ont éprouvé les effets d'une différenciation sociale qui n'a cessé de s'accentuer en leur sein, depuis l'époque de l'union sacrée de leurs habitants contre leurs seigneurs. À partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, la plupart des villes étant parvenues à arracher à ceux-ci leur autonomie, sinon leur indépendance, les luttes urbaines entrent dans un second âge, pour s'instaurer à l'intérieur même des cités. La crise spirituelle Au-delà des revendications propres à chacune de ses catégories sociales, l'Allemagne de la Grande Dépression connaît une crise spirituelle et morale, dont les données sont largement communes à l'ensemble de l'Occident. Les secousses de la société inspirent les manifestations d'une piété exaltée, comme celle des Flagellants (Geissler) dont les processions se multiplient au moment de la Peste noire ; leurs mortifications suspectes sont condamnées par le pape en 1349. L'idée de « réforme » en un sens redoutablement vague, est mise à la mode dans des libelles populaires, telle la « Réforme de l'empereur Sigismond », écrite en allemand vers 1439. L'auteur, anonyme, offre un programme de révolution sociale et ecclésiastique, associant la défense des faibles, le respect du « juste prix », la suppression des nobles parasites, la sécularisation des biens d'Église et le mariage des prêtres. La crise hussite Ces multiples tensions sociales trouvent une sorte d'illustration synthétique dans la crise hussite, qui, au-delà de la Bohême, retentit largement dans l'ensemble de l'Empire. Jan Hus, professeur à l'université de Prague, est excommunié en 1411 pour ses doctrines, inspirées de celles de l'Anglais Wyclif (mort en 1384), et où se dessine déjà l'idée fondamentale du protestantisme : la supériorité des Écritures sur le magistère

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ecclésiastique. Cité devant le Concile de Constance, où il se présente muni d'un sauf-conduit (à dire vrai, très elliptique) du roi des Romains Sigismond, l'hérétique est aussitôt arrêté, condamné et brûlé (1415). Le prestige de Jan Hus était grand en Bohême : son martyre le grandit, et lorsque Sigismond, accusé de parjure, succède comme roi de Bohême à son frère Venceslas (1419), une révolte générale éclate dans le pays. Les insurgés édictent les « Quatre Articles de Prague » (1420), établissant la liberté de prédication, la communion sous les deux espèces, la renonciation du clergé aux biens séculiers, et l'obligation du pouvoir civil de lutter contre les péchés mortels... Le hussitisme s'est appuyé à la fois et contradictoirement sur l'université, la noblesse, la bourgeoisie, et - dans son aile taborite - sur tout un petit peuple en désarroi, à l'affût de consolations mystiques et de solutions révolutionnaires. À ce titre, il est très révélateur des tensions sociales accumulées dans l'Empire à la fin du Moyen Age. La manière dont il les a libérées n'est pas sans évoquer par anticipation certaines pages de la Réforme, qui interviendra au siècle suivant.

3.2 L'expression culturelle d'une ère de contrastes Les universités Restée jusqu'à l'époque courtoise l'apanage d'une étroite élite cléricale et nobiliaire, la culture voit sa diffusion s'élargir dans l'Allemagne bourgeoise des XIVe et XVe siècles. La multiplication des universités en témoigne. Avec un retard d'un demi-siècle sur Paris, la première université de l'Empire, celle de Prague, est fondée en 1348 par Charles IV, suivie de celle de Vienne en 1365. Cinq universités allemandes existent à la fin du XIVe siècle, huit au milieu du XVe, dix-sept en 1502. Bien entendu, les universités restent dominées par l'Église, mais à la différence des vieilles écoles cathédrales et monastiques, elles sont externes à l'appareil proprement ecclésiastique, ce qui favorise déjà une certaine sécularisation culturelle. L'imprimerie Ce caractère plus ouvert et plus profane de la culture sera accentué par l'apparition de l'imprimerie. Le rôle n'en jouera pleinement qu'à partir du XVIe siècle, mais dès le dernier tiers du XVe il n'est pas négligeable en Allemagne, où cette invention est née et s'est répandue le plus vite. Johann Gütenberg, de Mayence, a mis son procédé au point vers 1450. Sa Bible, première grande édition imprimée, est parue en 1454. Avant 1471, l'on recensait en Europe quatorze villes possédant une imprimerie, dont neuf allemandes (plus quatre italiennes et Paris). La langue allemande L'élargissement des bases sociales de la vie culturelle se traduit encore par les progrès continus de la langue allemande aux dépens du latin. Du plan littéraire, la langue nationale passe maintenant dans les actes de la vie publique. La première loi d'Empire rédigée en allemand est le Mainzer Landfrieden de 1235. Encore intermittent au XIIIe siècle, cet usage s'intensifie, puis devient pratiquement général vers le milieu du XVe siècle. Le développement de l'emploi administratif et commercial de l'allemand correspond au passage à la civilisation de l'écrit de plus larges couches sociales - bourgeoises notamment - peu familières avec le latin. L'architecture Comme dans l'ordre politique et intellectuel, la vie mystique marque en Allemagne une nette césure autour du milieu du XIIIe siècle. C'est l'époque où les cathédrales gothiques commencent à fleurir en ce pays, avec un retard sensible sur la France, où elles régnaient déjà depuis une centaine d'années. D'une façon générale, c'est d'ailleurs dans l'esthétique flamboyante du gothique tardif (Spätgotik) - dans les jeux exubérants des nervures de voûtes, venant compenser le plan un peu froid de ses églises-halles, dans une conversion soudaine à une architecture ciselée et à un raffinement décoratif contrastant fort avec sa sobre tradition romane - que l'Allemagne, longtemps réticente, s'est enfin assimilé l'art gothique, de façon profonde et originale. L'Allemagne est aussi l'un des pays qui ont le plus exploité les ressources du gothique sur le plan de l'architecture profane. Mais cet âge bourgeois ouvre surtout un vaste champ à l'invention de l'urbanisme.

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La puissance des villes allemandes s'exprime dans celle de leurs murailles et de leurs portes, dont la splendide enceinte de pierre rose de Nuremberg (achevée en 1452) ou le « Holstentor » de Lübeck (1477) évoquent les images les plus célèbres.

3.3 L'Allemagne de la Renaissance Les Fugger Le fondateur de la Maison est un tisserand en futaines, installé, en 1368, à Augsbourg. Ses descendants s'enrichissent dans un commerce italo-allemand, portant en particulier sur des textiles, des produits métallurgiques et des épices. Ils sont bientôt assez riches pour pouvoir consentir d'importantes avances à des princes. En 1487, à l'occasion d'un semblable prêt, Jakob Fugger, dit le Riche, a l'idée de se faire donner en gage par l'archiduc Sigismond de Habsbourg la part revenant à celui-ci sur les mines d'argent du Tyrol. En 1495, les Fugger prennent un contrôle partiel sur les mines de cuivre de Neusohl en Hongrie. Ces participations minières continueront à s'étendre à échelle internationale, notamment au mercure espagnol d'Almaden (1525). A partir de leurs mines, les Fugger créeront de multiples établissements métallurgiques, tout en conservant leurs activités initiales dans le commerce et la finance. Depuis leur capitale, Augsbourg, ils mettent en place un gigantesque appareil commercial, reposant sur six implantations principales : Nuremberg, Breslau, Innsbruck, Venise, Rome et Anvers - et sur de nombreux comptoirs, dont Danzig et Cracovie. Comme à leurs débuts, le centre de gravité de leurs affaires reste sud-allemand et italien, mais ils sont aussi très présents en Europe du Nord. Créanciers attitrés des Habsbourg, les Fugger contribuent de façon décisive à l'élection impériale de Charles Quint, en lui avançant 543 000 florins sur les 850 000 que coûta au souverain ce difficile avènement. Les Fugger sont aussi en relations financières avec le pape : ils sous-traitent pour l'Allemagne le produit de la vente de ces indulgences, qui soulèveront l'indignation de Luther ; ils prennent en régie la direction de la monnaie pontificale et fournissent à la papauté les fonds nécessaires au recrutement de sa garde suisse. L'Humanisme Il est assez délicat d'individualiser et de dater le chapitre allemand de la Renaissance culturelle européenne. Dans la mesure où elle n'a pas été « confisquée » par la Réforme, la Renaissance allemande s'absorbe pour une grande part dans un XVe siècle prolongé, brillant certes, mais encore très gothique. De tout autre autres préoccupations se reflètent dans les cercles humanistes qui se développent en Allemagne, à la fois au-delà de l'esprit médiéval, en marge du tourbillon de la Réforme, et en liaison avec la Renaissance intellectuelle occidentale. Sujet d'Empire d'origine néerlandaise, Érasme (vers 1469-1536) n'appartient qu'à l'Europe, par l'universalité de sa culture et de ses relations, mais il exerce une profonde influence sur le mouvement des idées en Allemagne, surtout au cours de la dernière partie de sa vie, qu'il passe en ce pays. Parmi les représentants de l'humanisme allemand, le Badois Johannes Reuchlin (1454-1522) est celui qui a le plus atteint à un rayonnement international. Éminent philologue, il est avec Érasme l'un des rénovateurs des études hébraïques en Occident. Défenseur de la liberté de l'esprit, il s'oppose au cours d'une célèbre polémique à l'Israélite converti Pfefferkorn, qui dans son zèle néophyte voulait faire brûler tous les livres de ses anciens coreligionnaires. En dehors de Reuchlin, l'humanisme allemand prend une coloration plus historique que littéraire, et répond, même sous forme latine, à une inspiration nationale marquée, notamment chez l'antiquaire augsbourgeois Conrad Peutinger (1465-1547), commentateur de De mirandis Germaniae antiquitatibus, chez le patricien nurembergeois Willibald Pirckheimer (1470-1530), ami de Dürer, auteur d'une Germaniae... explicatio, chez les Alsaciens Jakob Wimpfeling (1450-1528) et Beatus Rhenanus, auteurs respectifs d'une Germania et de Rerum germanicarum libri tres, passablement « nationalistes ». C'est aussi l'époque où le Franconien Conrad Bickel, alias Celtis (1459-1508) se fait commentateur de la Germania de Tacite (1500), et où le chevalier d'Empire Ulrich von Hutten (1488-1523) exalte Arminius.

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Les Arts Cette époque correspond bien à l'âge d'or de la peinture allemande, par prolongement du mouvement qui s'était esquissé à cet égard au cours du XVe siècle. La continuité est très sensible entre les deux périodes, qu'il s'agisse du maintien de la liaison entre la peinture et la gravure, de permanences géographiques - l'Alsace joue toujours un rôle privilégié -, ou de filiations d'écoles. Schongauer et ses frères ont eu pour élèves Grünewald et Dürer. De ces deux artistes, Grünewald (vers 1460-1528) (de son vrai nom Mathis Gothart Nithart), né en Franconie, auteur du célèbre retable d'Issenheim - aujourd'hui à Colmar - appartient encore largement au Moyen Age tardif, par une certaine raideur de dessin et par son intensité tragique. Il n'en est pas moins exactement contemporain d'Albert Dürer (1471-1528), auquel nul ne conteste la qualité de « renaissant ». Fils de la glorieuse cité de Nuremberg, si souvent rencontrée au chapitre des arts et de l'esprit, Dürer a dépassé son horizon franconien par de nombreux voyages ; outre une expérience alsacienne, il séjourne en particulier à Venise, où il peint pour le « Fondaco dei Tedeschi », et aux Pays-Bas. Parfois un peu académique dans sa peinture, le maître de Nuremberg est insurpassable comme graveur : chacun connaît son célèbre cuivre Le Chevalier, la Mort et le Diable, rayonnante allégorie des vertus du miles christianus évoqué peu auparavant sous la plume d'Érasme. Dürer déploie aussi une grande activité de dessinateur et réalise à cet égard un chef-d'œuvre comme illustrateur du livre d'heures de l'empereur Maximilien. Protégé de ce dernier, et ami des humanistes, Dürer atteint de son vivant à la gloire. De même que Dürer avait fréquenté en Alsace l'atelier Schongauer, inversement le Strasbourgeois Hans Baldung (vers 1484-1545), lui aussi peintre et graveur, va en partie se former à Nuremberg : c'est sans doute là qu'il reçoit le surnom de « Grün/Grien », en raison de son affection pour la couleur verte. Très originale, son œuvre se distingue encore par ses thèmes volontiers sensuels, bizarres ou contrastés, ainsi dans sa Vanité, où la Femme de la Renaissance s'oppose à une Mort qui rappelle - comme parfois chez Dürer - les hantises de la fin du Moyen Age. Des deux Holbein, originaires d'Augsbourg, l'Ancien (vers 1465-1524), qui finit sa carrière en Alsace, n'a été qu'un peintre habile. Son fils, Hobein le Jeune (1497-1543) a su dépasser de loin l'académisme paternel. Il s'est surtout illustré dans le portrait, en fixant les traits des Grands de son temps : Henri VIII, Jane Seymour, Erasme, les riches bourgeois de Danzig, etc. On tient de cet artiste pour assez peu « allemand », ce à quoi ont pu contribuer son installation en Angleterre et les exigences d'un portraitiste plus soucieux d'objectivité que de cette transposition métaphysique chère à la plupart des grands peintres allemands. Plus enraciné dans l'Allemagne de son temps, Lucas Cranach (1472-1553) a entretenu un atelier à Wittenberg, haut-lieu de la Réforme. Il en a été en quelque sorte le peintre officiel, à commencer par ses portraits de Luther et de Mélanchthon. Ceci ne l'a pas empêché d'évoluer vers une manière plus profane, n'excluant pas la sensualité, comme dans sa Vénus et l'amour.

3.4 La réforme (1517 – 1555) L'état religieux de l'Allemagne au début du XVe siècle Il est naturellement tentant d'imputer la Réforme à la « crise » de l'Église à la fin du Moyen Age, mais plus délicat d'apprécier les limites exactes de cette crise. La cupidité de la papauté et du haut-clergé, l'ignorance de la masse des clercs, l'immortalité et l'indifférence spirituelle des uns et des autres, les vaines subtilités où se perd la théologie pendant que le peuple est abandonné à la superstition, tels sont, comme chacun sait, les principaux éléments du réquisitoire développé par Luther et les réformateurs. Leur témoignage est dans une large mesure confirmé par celui de contemporains moins engagés, dont Érasme, et par les travaux historiques. Mais tous ces errements n'étaient somme toute pas nouveaux dans l'histoire de l'Église médiévale. Peut-être ont-ils été alors plus vivement ressentis en raison d'exigences spirituelles plus profondes se faisant jour chez les fidèles. L'Allemagne pour sa part connaît à la fin du Moyen Age une ferveur dont sa vie artistique et intellectuelle, le nombre des fondations pieuses, confréries et associations caritatives s'y multipliant, attestent l'intensité. Le sentiment religieux s'y exprime de façon contrastée, à la fois démonstratif dans la place qu'il donne à un culte spectaculaire des reliques, aux pèlerinages, etc., et marqué d'un évident effort d'intériorisation. Ce deuxième besoin trouve, au-delà du dogme et du rituel, des

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exutoires divers allant du mysticisme à la magie ; mais une constante se dégage, la volonté d'un recours plus attentif aux Écritures, dont témoigne la multiplication des éditions bibliques.

La révolte de Martin Luther (1517 – 1522) L'affaire des indulgences s'ouvre à la suite de l'intensification d'un « commerce » qui, pour être ancien, a indéniablement pris à l'époque de Luther une ampleur et des formes susceptibles de choquer. En elles-mêmes, les indulgences ne sont que des remises consenties par l'Église sur les pénalités « temporelles » qu'elle peut attacher à l'expiation des fautes. Rien n'empêche ces sanctions de revêtir la forme d'un sacrifice financier ; rien n'indique non plus qu'un tel sacrifice puisse dispenser de remplir les conditions « spirituelles » de repentir nécessaires au pardon de la faute. Les deux plans tendent néanmoins à se confondre à partir du moment où l'Église organise à son profit, et à vaste échelle, la vente de lettres d'indulgence. En 1506, le pape Jules II imagine d'aider par ce moyen au financement de la construction de la nouvelle basilique Saint-Pierre de Rome. Le placement des indulgences donne lieu en Allemagne à de hautes transactions politiques et commerciales auxquelles

s'associent notamment les banquiers Fugger. Plus soucieux d'efficacité que de nuances théologiques, les « courtiers en indulgences » tendent à accréditer l'idée très simple que l'on peut acheter le salut. Dans ce contexte, Luther se décide à établir une série de propositions touchant le problème de la grâce et des indulgences. Ces 95 thèses de Wittenberg, qu'il aurait, selon la tradition, affichées à la porte de l'église du château de cette ville, la veille de la Toussaint 1517, ne constituent pas dans l'esprit de leur auteur une initiative fracassante. Rédigé en latin, le texte est destiné à servir de support à l'une de ces « disputations » académiques alors fréquentes entre théologiens et sa teneur n'a rien d'iconoclaste. Le ton, il est vrai, est assez peu aimable pour la papauté. Luther est vite dénoncé comme hérétique et « hussite », notamment par le dominicain Tetzel, principal responsable du placement des indulgences en Allemagne du Nord, et par Johann Eck, professeur à Ingolstadt, qui restera sur le plan intellectuel l'adversaire le plus résolu du réformateur. Le 7 août 1518, le moine de Wittenberg est cité à comparaître à Rome dans les soixante jours, pour y répondre de l'accusation d'hérésie. Le parti de Luther est pris. « Le sort est jeté pour moi », écrit-t-il le 10 juillet, « je méprise et la fureur et la faveur de Rome, je ne veux plus jamais être réconcilié, ni en communion avec eux ». Le 10 décembre 1520, entouré de professeurs et d'étudiants de l'université de Wittenberg réunis devant une porte de la ville, Luther jette symboliquement au feu le texte de la Bulle, avec quelques livres de droit canon et ouvrages de ses adversaires. Dans l'immédiat, les risques qui s'attachent à l'excommunication et à la mise hors la loi ne peuvent être ignorés par Luther sans compromettre toute son action. Se laissant « enlever » par des amis, le réformateur trouve refuge au château de la Wartburg en Thuringe. Grâce à la complicité de l'électeur Frédéric de Saxe, il y vit près d'un an dans la clandestinité sous le nom de « chevalier Georges » (Junker Jörg) (mai 1521-mars 1522). Cette retraite n'est pas inactive. Surmontant les dernières « insinuations du diable » visant à le faire douter de sa mission, il poursuit son combat avec la plume, et commence sa grande traduction allemande de la Bible. Il ne l'achèvera qu'en 1534, mais le Nouveau Testament sera déjà terminé au cours des semaines passées à la Wartburg. Il existait déjà d'autres Bibles allemandes, mais celle de Luther connaît un succès sans précédent. Ce monument porte fortement l'empreinte de son traducteur à travers certaines versions personnelles, par des gloses, et par les gravures « combattantes » qui en accompagnent souvent les éditions. Indépendamment de sa vaste portée littéraire et linguistique, la Bible luthérienne va être un véhicule essentiel de la Réforme. Tensions sociales À d'autres égards, la Réforme a entraîné une libération explosive de certaines tensions sociales. Les déshérités et les victimes de l'évolution générale de la société allemande ont cru trouver là le droit ou l'occasion d'une revanche. Tel est le cas de la vieille chevalerie immédiate, dont on a vu la déchéance. La

Maître I. B., Portrait de Martin Luther, burin, 1530

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guerre (Fehde) de Franz von Sickingen (1522-1523) est restée l'illustration la plus tumultueuse des espoirs alors placés en la Réforme par beaucoup de ses pairs. Sickingen se lie à l'humanisme à travers Reuchlin et Hutten. Lorsqu'éclate la Réforme, l'Ebernburg en devient un refuge : Luther, sur le chemin de Worms, est invité à s'y mettre en sûreté. Bientôt, une « association fraternelle des chevaliers du haut Rhin », liée elle-même à la noblesse franconienne, élit Sickingen comme capitaine, et se laisse entraîner par lui à l'assaut de la principauté électorale de Trèves. Peu après éclate avec la guerre des Paysans (1525) la plus violente crise sociale de l'histoire allemande. Pour une part, ce mouvement prolonge une série de jacqueries de la fin du Moyen Age, en particulier celle du « Bundschuh », qui avait déjà agité l'évêché de Strasbourg au milieu du XVe siècle. Sous le même signe de ralliement, les troubles renaissent dans les pays du haut Rhin une cinquantaine d'années plus tard : à Sélestat (1493), à Spire (1502), puis en Forêt Noire à partir de 1513. À cette date, l'âme de la révolte est un ancien serf de Spire, Joss Fritz, qui prêche contre la noblesse, et enseigne que l'on ne doit payer d'impôts qu'au pape et à l'empereur : à des réminiscences de Wyclif se mêlent là certaines nostalgies, liées à l'idée de la réforme impériale. Concurremment au « Bundschuh », le Wurtemberg est atteint en 1514 par la grande jacquerie de « Pauvre Conrad ». Autant que l'on puisse proposer une interprétation d'ensemble de ces explosions locales et sporadiques, il semble que la protestation paysanne, à cette époque et en ces régions, ait un arrière-plan assez différent des émotions rurales correspondant à la Grande Dépression. Depuis le dernier tiers du XVe siècle, la situation économique et notamment agricole s'était améliorée et les exigences de la seigneurie et de la propriété « foncière » ne s'étaient pas durcies de façon marquante. Le mécontentement paysan s'exprime davantage à l'encontre de la seigneurie « territoriale », qui, non contente d'inventer pour son propre compte des charges (fiscales) s'ajoutant aux redevances foncières traditionnelles, ébranle l'équilibre du monde rural par le développement d'un appareil de tutelle destructeur des libertés locales : la substitution de juges « savants » aux vielles justices villageoises nourrit souvent un grief significatif à cet égard. Cette hypothèse d'explication, plus sociale qu'économique, est confirmée par le fait que la guerre des Paysans n'affecte que très sporadiquement le nord, l'est et le sud-est de l'Allemagne, où la condition des masses rurales n'est pas plus enviable, mais où l'ossification des structures territoriales est plus ancienne. Les troubles atteindront avant tout le sud-ouest et le centre de l'Empire, là précisément où une pléiade de petits Reichsstände et chevaliers sont en train de « passer le cap », consistant à territorialiser leurs possessions foncières, en bousculant les franchises des communautés paysannes. Les revendications de celles-ci ont vite interféré avec la Réforme, notamment par le truchement des sectes « prophétiques », qui, Bible en main, annoncent simultanément le retour au christianisme primitif, et l'avènement d'un ordre social plus juste. L'âme de la révolte est ici Thomas Müntzer, et son instrument, la ville de Mühlhausen, qui, à l'appel des « Élus », s'est constituée en une démocratique « communauté chrétienne ». Le rôle répressif assumé en Allemagne du Sud par la Ligue de Souabe revient en l'espèce au landgrave Philippe de Hesse. Le 15 mai, à Frankenhausen, il inflige aux rebelles un irrémédiable désastre, à la suite duquel Müntzer, parmi beaucoup d'autres, est exécuté. Par son échec, la guerre des Paysans a profondément marqué l'Allemagne moderne. Elle a fait perdre aux masses rurales une bonne partie du poids social auquel elles pouvaient encore prétendre face à des pouvoirs territoriaux et à des structures aristocratiques qui jusqu'alors étaient loin d'avoir atteint partout leurs formes achevées. Sur le plan religieux, la guerre des Paysans est le grand aiguillage où la Réforme rompt avec les forces révolutionnaires et populaires qu'elle a contribué à déchaîner. Le vainqueur de Frankenhausen, Philippe de Hesse, est un ardent partisan de Luther, et Luther applaudit à sa victoire. Le réformateur aurait certes préféré ne pas être confronté à cette tempête, et ne pas avoir à désavouer ces paysans, qui souvent l'invoquent. En un premier temps, il se contente donc de lancer une Ermahnung zum Frieden (avril 1525), encourageant les deux parties à la paix. Mais peu après l'ampleur du conflit l'oblige à choisir son camp, et il le fait avec sa violence coutumière dans son pamphlet « Contre les bandes pillardes et meurtrières des paysans », Wider die räuberischen und mörderischen Rotten der Bauern (mai 1525). D'un ton frémissant, il condamne ces « fripons, coquins sans foi, parjures, menteurs et désobéissants... méritant dix fois la mort du corps et de l'âme », et il n'hésite pas à conclure que « la rébellion est pire que le meurtre ». L'on verra plus loin les attendus de ce verdict dans le cadre de la conception générale de l'État développée par Luther.

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Prenons acte ici du résultat : la Réforme allemande rejette la subversion, il lui reste à se donner une définition légale. L'implantation du protestantisme (1525 – 1555) Le roi des Romains Ferdinand, frère de Charles Quint, doit se prêter aux longues négociations de Passau au terme desquelles la paix religieuse promulguée à la diète d'Augsburg de 1555 officialise la division confessionnelle de l'Allemagne. Le texte légalise la coexistence du catholicisme romain et de la Confession luthérienne d'Augsbourg, à l'exclusion des Zwingliens, Calvinistes, Baptistes et de tout autre secte. En vertu du principe ultérieurement résumé par la formule cuius regio, eius religio, les sujets doivent embrasser la religion de leurs seigneurs territoriaux, en gardant seulement la « liberté » d'aller s'installer dans un territoire de confession opposée. Les sécularisations intervenues avant 1552 sont entérinées. Un terne entracte (1555 – 1618) Au sortir des années héroïques de la Réforme, dont le compromis d'Augsbourg vient de marquer la conclusion, l'Empire accuse le besoin d'un certain répit. À l'heure où les luttes religieuses prennent ailleurs, notamment en France, leur tour le plus aigu, l'Allemagne est presque devenue, dans l'Europe de la seconde moitié du XVIe siècle, un havre de paix. Il faut du reste avouer qu'elle traverse là l'une des périodes les plus fades de son histoire. Tout se passe comme si, conscient de la précarité de la paix retrouvée, et dans l'attente de la grande explication confessionnelle et politique que sera la Guerre de Trente ans, le peuple allemand retenait son souffle.

Extraits de Histoire du peuple allemand : des origines à la paix de Westphalie, Jean-François Noël, Paris, P.U.F., 1975

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4. Chronologie : l'Allemagne sous les règnes de Maximilien Ier et Charles Quint

LES HABSBOURG HISTOIRE RELIGION ART

1440-1493 Frédéric III 1493-1519 Maximilien Ier 1519-1556 Charles Quint

1420-1436 Guerres hussites en Bohême. 1439-1444 Révoltes paysannes dans l'évêché de Strasbourg. 1440 Frédéric III élu empereur. 1487 Jakob Fugger le Riche se fait donner en gage par l'archiduc Sigismond de Habsbourg sa part sur les mines d'argent du Tyrol. 1493 Premier Bundschuh en Alsace (du nom du soulier à lacets, devenu l'emblème du paysan révolté). 1513 Soulèvement des paysans dans le Wurtemberg. 1516 Charles Quint, roi d'Espagne. 1519 Charles Quint élu empereur par les sept Électeurs.

1411 Excommunication de Jean Hus. 1415 Cité devant le Concile de Constance, Jean Hus est condamné et brûlé. 1483 Naissance de Martin Luther. 1505 Luther entre au couvent des Augustins d'Erfurt. 1517-31 octobre Luther affiche à Wittenberg ses 95 thèses contre la pratique des indulgences. 1520-10 décembre Luther brûle la bulle qui lui ordonne de se rétracter. Il publie son appel À la noblesse chrétienne de la nation allemande. 1521 Diète de Worms : excommunié en janvier, Luther est mis au ban de l'Empire en mai.

1440-1450 Johann Gutenberg met au point l'imprimerie à Mayence. 1454 Parution de la première Bible imprimée par Gutenberg. 1471 Naissance à Nuremberg d'Albrecht Dürer. 1472 Naissance à Kronach de Lucas Cranach l'Ancien. 1494-1495 Premier voyage de Dürer en Italie. De retour à Nuremberg, il ouvre son propre atelier. 1505 A Wittenberg, Cranach est nommé peintre de la Cour par Frédéric le Sage. Il restera au service des Électeurs de Saxe jusqu'à sa mort en 1553. 1505-1507 Second voyage de Dürer en Italie. À Venise, il intente un procès au graveur italien Marcantonio Raimondi. 1513-1514 Dürer grave au burin ses trois chefs-d'œuvre : Le Chevalier, la Mort et le Diable, Saint Jérôme dans sa cellule, Melencolia I. 1515 Hans Holbein le Jeune quitte Augsbourg pour s'installer à Bâle. 1516-1518 Le Triomphe de Maximilien : une frise composée de 139 bois gravés notamment par Hans Burgkmair et Albrecht Altdorfer. 1520-1521 Voyage de Dürer aux Pays-Bas où il rencontre Erasme, Patinir et Lucas de Leyde. Premiers portraits de Luther, gravés par Cranach.

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LES HABSBOURG HISTOIRE RELIGION ART

1556-1564 Ferdinand I

1522-1523 Guerre des Chevaliers avec Franz von Sickingen et Ulrich von Hutten. 1525 La Guerre des Paysans, que mobilisent la misère et les aspirations évangéliques, ensanglante tout le sud de l'Allemagne. Désavoués par Luther, les insurgés sont impitoyablement exterminés. 1530 La Diète d'Augsbourg consacre la rupture. 1531 Ligue de Smalkalde : alliance des princes protestants contre l'empereur. 1534-1535 Les anabaptistes, désavoués par Luther, sont écrasés à Münster. 1546-1547 Guerre de Smalkalde : la ligue conduite par l'Électeur de Saxe est anéantie à Mühlberg. 1548 Diète d'Augsbourg : Charles Quint fait proclamer un Interim qui autorise la communion sous les deux espèces et le mariage des prêtres. 1555 Paix d'Augsbourg : reconnaissance du protestantisme pour les États et non pour les individus avec l'institution du principe cujus regio, ejus religio (même prince, même religion). 1556 Abdication de Charles Quint. 1557 Banqueroute de la monarchie espagnole : 1 million de ducats de créances sont perdues pour les Fugger.

1521-1522 Luther vit clandestinement au château de la Wartburg en Thuringe, protégé par l'Électeur Frédéric de Saxe. 1529 Le nom de « protestants » apparaît quand Charles Quint revient sur les acquis de la diète de 1526 en matière de liberté religieuse. 1530 Melanchthon présente la Confession d'Augsbourg. 1531 Mort de Zwingli. 1534 Parution de la bible traduite en allemand par Luther. 1545 Ouverture du Concile de Trente d'où est issue la Contre-Réforme. 1546 Mort de Luther. 1556 Mort d'Ignace de Loyola.

1522-1526 L'atelier de Cranach se spécialise dans l'illustration et la publication des textes luthériens. 1525 Georg Pencz et les frères Beham (Barthel et Hans Sebald) sont accusés d'hérésie et bannis de Nuremberg. 1529 Un décret interdit toute peinture religieuse à Bâle. Holbein part définitivement pour l'Angleterre en 1532.

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5. Carte du Saint Empire romain germanique : la Réforme en Allemagne Sources : Atlas d'Histoire de l'Église, sous la direction de Jochen Martin, 1987, Brepols

New Cambridge Modern History Atlas HC Darby and Harold Fullard, CUP, 1970

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6. Un chef-d'œuvre de la gravure : MELENCOLIA I Maladie mentale, type de caractère ou état d'esprit provisoire, la mélancolie a trouvé sa plus belle illustration avec la gravure au burin réalisée par Albrecht Dürer en 1514, Melencolia I. Le Chevalier, la Mort et le Diable (1513), Saint Jérôme dans sa cellule (1514) et Melencolia I constituent les fameuses « gravures chefs-d'œuvre » (Meisterstiche) de l'artiste allemand. Sans constituer un ensemble au sens strict du terme, elles possèdent une véritable unité spirituelle selon Erwin Panofsky. Le chevalier semble être une représentation de la vie active tandis que saint Jérôme incarne la vie contemplative du chrétien. La Mélancolie figurerait le monde rationnel et imaginatif de la science et de l'art. L'analyse de cette estampe a engendré un très grand nombre d'interprétations contradictoires et difficiles à résumer, interprétations qui accentuent son caractère énigmatique plutôt qu'elles ne l'éclairent. Mais peut-être est-ce justement le désir de clarification et de connaissance qu'elle provoque qui donne à cette image célèbre tout son intérêt. 6.1 Melencolia I : une iconographie complexe La figure principale est-elle un ange ou une femme ? Les ailes et la couronne végétale dont elle est affublée l'apparentent à une figure allégorique, traditionnellement représentée par une femme ailée. Ses attributs sont le compas qu'elle tient de la main droite, le livre à fermoir posé sur ses genoux, un trousseau de clés et une bourse fermée attachés par des rubans à la ceinture de son riche vêtement. Compas et livre renvoient au savoir. Selon Dürer lui-même, « la clé représente le pouvoir, la bourse la richesse ». La main, ou comme ici le poing, soutenant une tête que l'on imagine lourde de pensées est l'attitude donnée à toutes les figures mélancoliques ; caractéristique et récurrent dans l'iconographie occidentale, ce geste permet même de les identifier sûrement. Plusieurs saint vieillards sont ainsi souvent représentés (Job, saint Joseph, saint Antoine et saint Jérôme) mais aussi sainte Madeleine et le Christ lui-même, chacun incarnant la misère humaine, le renoncement, une méditation eschatologique que l'on retrouve encore dans les représentations de la Mort et de la Vanité. L'iconographie profane offre d'autres exemples de mélancoliques avec les figures du poète, du philosophe, de l'artiste et plus récemment de l'amoureux. Cette attitude, enfin, est également celle de l'allégorie de la Paresse (Acedia), versant négatif de la mélancolie. Trop de réflexion empêche sans doute d'agir. C'est aussi dans l'inaction apparente que le philosophe peut s'abandonner à la réflexion ou bien l'artiste à l'inspiration. Le visage plongé dans l'ombre n'est autre que le faciès ténébreux (facies nigra) du mélancolique ravagé par la bile noire. Sa singulière noirceur fait d'autant plus ressortir l'admirable clarté du regard, non pas le regard de l'indolent ou du paresseux mais bien plutôt un regard de visionnaire, heureusement qualifié par Panofsky de « suréveillé ». Le chien, enroulé sur lui-même et comme endormi, est une référence directe au tempérament saturnien; l'animal a en effet la mauvaise réputation d'être en proie aux accès de dépression et de folie. Sur ses ailes déployées, la chauve-souris, autre symbole des aspects sombres et négatifs de la mélancolie, annonce sans ambiguïté le sujet de la gravure.

Albrecht Dürer, Melencolia I, burin, 1514

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Albrecht Dürer, Le Chevalier, la Mort et le Diable, burin, 1513

L'angelot, appliqué à griffonner sur une tablette, est peut-être l'image des prémices d'un savoir-faire insouciant, un symbole du dessin et de l'apprentissage par le jeu.

Une accumulation d'objets entoure la figure principale. Cet enchevêtrement d'instruments correspondrait au « caractère dissolu de l'état d'esprit » pour certains exégètes : un désordre de l'espace à mettre en rapport avec le chaos de la connaissance profane, un dérèglement qu'il faudrait par conséquent opposer à l'espace et à l'esprit ordonnés du Saint Jérôme dans sa cellule. Pour d'autres cette « nature morte d'objets », composée des attributs traditionnels de la Mélancolie, serait au contraire le « prototype [...] des aptitudes humaines ». Au bas de l'image, de gauche à droite, sont dispersés un encrier, une sphère de pierre, un trusquin, un rabot, une paire de tenailles, une scie, une règle, des clous et l'embout d'un soufflet. Au-dessus du chien, on trouve encore un marteau, un brasero avec un creuset, un polyèdre, une échelle et la meule sur laquelle l'angelot est assis.

La notion de mesure est symbolisée par une balance dont les plateaux sont équilibrés, un sablier dans lequel la moitié du sable est écoulé, un petit cadran solaire dont l'aiguille ne produit aucune ombre, une cloche avec un battant maintenu à la verticale. Les objets semblent figés dans un instant de tranquillité mélancolique. Le temps paraît suspendu. Le carré magique est l'expression de la compétence mathématique : la somme des chiffres figurant sur une même ligne (verticale, horizontale ou diagonale) donne toujours le nombre 34. Tous les objets représentés renvoient aux mathématiques et à la géométrie ou bien à leurs divers champs d'application : aux métiers de tourneur, charpentier, menuisier, tailleur de pierres mais aussi à l'architecture et à l'alchimie. La géométrie et les métiers connexes sont justement associés dans la tradition à Saturne, planète des arts de la mesure et de la mélancolie. À l'arrière-plan et à gauche, Dürer a gravé un paysage nocturne illuminé à la fois par un arc-en-ciel et par le passage d'une comète. Ces indications n'ont rien à voir avec une quelconque intention de réalisme. Elles font allusion aux fantasmes visionnaires de fin du monde amplement partagés par Dürer et ses contemporains. Elles soulignent aussi le rapport étroit entre mélancolie et astronomie, science dont l'attribut principal est le compas. Une nouvelle dimension est ainsi atteinte : l'iconographie complexe de Melencolia I soulève la question de la place de l'homme dans le cosmos et dans le monde. Dans cette problématique sur le cosmos, théologie, astrologie et science se trouveraient réunies. 6.2 Le Typus melancholicus et la théorie des quatre tempéraments Vulgarisée à la fin du Moyen Age, la doctrine classique humorale plaçait le genre humain sous l'influence de quatre humeurs essentielles (sang, bile jaune, phlegme ou pituite, bile noire), distinguant ainsi quatre tempéraments (le sanguin, le colérique, le flegmatique et le mélancolique) auxquels étaient associés les quatre éléments, les quatre saisons et les quatre âges de la vie.

Albrecht Dürer, Saint Jérôme dans sa cellule I, burin, 1514

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Sous l'empire de Saturne (la planète la plus éloignée du soleil et donc la plus froide), le typus melancholicus était tenu pour méprisable ; lié à la terre, à l'automne et à la soixantaine, il était déterminé par la bile noire, une humeur froide et sèche dont l'excès dans le corps rendait atrabilaire, avare, rancunier, envieux, triste et paresseux. Ambroise Paré le décrit en outre de complexion « brune ou noirâtre, avec un regard inconstant, farouche et hagard, triste, morne et renfrogné... car quelquefois il leur est avis qu'ils voient des diables, serpents, manoirs obscurs, sépulcres et corps morts, et autres choses semblables. » (d'où l'association mélancolie et sorcellerie faite par Lucas Cranach dans une peinture, aujourd'hui conservée au Statens Museum for Kunst à Copenhague). 6.3 La Melancholia generosa ou la mélancolie réhabilitée. Marsile Ficin (1433-1499), chef de file du néo-platonisme florentin, procède à une vigoureuse réhabilitation de Saturne et de la mélancolie. En premier lieu, il établit le lien qui unit ingéniosité et mélancolie. Saturne agit sur les facultés psychologiques de l'homme aussi bien de façon négative que positive : assombrissant et hallucinant, il provoque la maladie ou conduit à la folie; polarisant, il favorise au contraire la mémoire et la spéculation. Saturne est plus élevé que Jupiter. Il est l'esprit (spiritus) tandis que Jupiter n'est que l'âme. Le premier invite à la contemplation, le second à l'action. Saturne est donc le patron de tous ceux qui se consacrent à la réflexion et à la méditation. Dans son traité De vita (1489), Ficin identifie en outre la mélancolie saturnienne à une souffrance. Cette affliction, due à la conscience intime des limites du corps, est aussi un « don unique et divin ». Le saturnien aspire, à travers le dépassement de soi, à l'esprit et à la félicité céleste. L'enseignement de Marsile Ficin relatif à la melancholia generosa est transmis aux milieux humanistes allemands par Agrippa von Nettesheim. Celui-ci distinguait au sein du furor melancholicus trois facultés de l'âme : l'imagination (melancholia imaginationis) qui incite à devenir peintre, architecte ou maître d'un autre art, la raison (melancholia rationis) grâce à laquelle philosophes et docteurs accèdent à la connaissance des choses naturelles et humaines, enfin l'esprit (melancholia mentis) permettant la révélation des choses éternelles aux esprits les plus élevés. La gravure de Dürer est sans doute bien plus que l'illustration du thème ambivalent de la mélancolie. Elle est une réflexion sur les tensions qui animent l'être humain, une image de la vulnérabilité et de la conscience dominée par le doute, « le paysage d'une pensée pour laquelle le monde est devenu incertain et problématique ». Ni la connaissance des choses ni l'ordre du ciel ne contiennent des réponses toutes faites. Aucune délivrance n'est à attendre de la multiplicité des signes. La dignité du génie saturnien réside dans cette prise de conscience. Esprit toujours en éveil, il choisit le questionnement et la création en toute connaissance de ses limites. Choix d'une vie difficile et douloureuse, sans « la cellule » du saint ni « l'armure » du chevalier pour se protéger.

Sebald Beham, Melencolia I, burin, 1539

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7. Le statut de l'artiste à la Renaissance : monogramme et signatures Le Monogramme (gr. monogrammaton ; de monos, seul, et gramma, lettre) Combinaison de lettres, généralement initiales d'un nom propre. Marque ou signature abrégée. Les initiales entrelacées sont le chiffre. Beaucoup d'artiste et en particulier les graveurs ont signé avec un monogramme. Ce sont les monogrammistes dont on ne connaît que rarement le nom entier. Les toutes premières gravures n'étaient ni signées ni datées. Au cours du XVe siècle cependant, les graveurs prennent l'habitude de dater et d'apposer une marque de reconnaissance sur leurs estampes. Face à de nombreuses images anonymes et dispersées, les historiens d'art ont reconstitué des corpus à partir de critères stylistiques. Ne pouvant identifier ces maîtres par leur nom, ils ont choisi pour chacun une particularité distinctive : une date (Maître de 1446), un sujet traité (Maître des Jardins d'Amour), le lieu où les gravures sont conservées (Maître du Cabinet d'Amsterdam), une marque ou un signe (Maître à la Navette), des initiales (Maître ES). Les noms de certains graveurs, connus seulement par l'une de ces particularités, ont pu être retrouvés par la suite. Le Maître à la Cruche a été ainsi assimilé à Ludwig Krug. D'autres au contraire n'ont jamais pu être identifiés, tel le Maître IB, toutes les tentatives faites jusqu'à ce jour étant demeurées vaines. Dans la première moitié du XVIe siècle, on rencontre des gravures non signées et non datées, d'autres signées d'un monogramme, d'autres enfin signées du nom de l'artiste. Ces différentes formules reflètent une évolution significative. En effet, le graveur naguère considéré comme un artisan acquiert peu à peu le statut d'artiste à part entière. Albrecht Dürer signa tout au long de sa vie du célèbre monogramme AD, mais après 1500 il lui arrive de signer certaines de ses œuvres en toutes lettres. Georg Pencz, sous l'influence des Italiens, en fera de même. Les graveurs en taille-douce ont porté ce qui n'était qu'une technique aux dimensions d'un art original. En revanche, les artisans chargés de la taille des bois, les imprimeurs et les éditeurs restent dans l'ombre. Les noms de ces différents intervenants n'apparaîtront que plus tard sur les estampes.

Heinrich ALDEGREVER Monogramme composé des lettres AG et prenant pour modèle le monogramme de Dürer.

Albrecht ALTDORFER Monogramme composé des initiales AA superposées à la manière de Dürer.

Hans BALDUNG GRIEN Entre les initiales HB du nom Hans Baldung est insérée la lettre G de son surnom Grien, allusion possible au goût de l'artiste pour la couleur verte (Grün en allemand).

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Sebald BEHAM Le monogramme HSP (pour Hans Sebald Peham, le P étant la prononciation en usage à Nuremberg) devient HSB (pour Hans Sebald Beham) lorsque l'artiste quitte sa ville natale pour Francfort.

Barthel BEHAM Pour la même raison, le monogramme BP a évolué vers 1531 vers les initiales BB.

Lucas CRANACH L'artiste signe du monogramme LC, mais aussi d'un serpent aux ailes déployées à partir de 1509, puis d'un serpent aux ailes repliées après 1530.

Albrecht DÜRER La grande majorité des gravures de Dürer porte le monogramme AD, le D inscrit entre les jambages du A. En 1504, Dürer signera en toutes lettres la gravure Adam et Ève : « ALBER DURER NORICUS (Nuremberg) FACIEBAT (a fait) AD (signifiant à la fois Anno Domini et Albrecht Dürer) 1504 ».

Ludwig KRUG Une cruche (Krug en allemand) entourée des initiales LK.

Georges PENCZ Les lettres G et P sont disposées l'une au-dessous de l'autre. La date de l'œuvre est parfois inscrite de part et d'autre du monogramme. Georges Pencz signe parfois de son nom. Sur La Prise de Carthagène par Scipion, gravure réalisée à partir d'un dessin original de Jules Romain, apparaissent les noms de l'auteur de la composition et de l'interprète.

Hans SCHÄUFELEIN Les initiales H et S sont accompagnées d'une petite pelle (en allemand kleine Schaufel), qui valut aussi à l'artiste le nom de Maître à la Pelle.

Hans SPRINGINKLEE Les lettres HSK entrelacées avec le S inscrit à l'intérieur du H.

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8. Les techniques de la gravure dans la première moitié du XVIe siècle 8.1 La gravure sur bois La taille d'épargne sur bois de fil Le principe consiste à laisser en relief, sur une planche de bois dur et poli, le dessin alors que les autres parties (blancs et lumières) sont évidées; ce relief sera encré et reportera, en sens inverse, le dessin en noir sur blanc. L'impression en relief s'effectue avec une presse typographique. Suivant de près l'essor du papier, dont la production s'est développée à partir de 1360, la gravure sur bois est apparue dans le plus grand anonymat à la fin du XIVe siècle. Les images réalisées avant 1500 au moyen de cette technique sont aussi appelées xylographies. Dans son principe, la taille d'épargne repose sur un procédé simple en théorie, déjà utilisé pour l'impression des étoffes. Une planche est débitée dans le fil du bois et recouverte d'un enduit blanc. Sur cette surface, la composition retenue est dessinée en sens inverse du résultat désiré à l'impression. À l'aide de canifs et ciseaux, le graveur effectue ensuite la taille : en évidant le bois, il isole ou épargne les traits de la composition. Les parties en relief, une fois encrées, sont reportées sur le papier tandis que les parties creusées correspondent aux blancs de l'épreuve imprimée. Au-dessous d'une certaine largeur le graveur ne peut toutefois amincir ses traits sans les briser ; commandé par la nature fibreuse du bois qui lui interdit les détails trop minutieux, il ne peut réaliser que très difficilement les tailles incurvées ou croisées. L'artisan doit trouver par conséquent un compromis entre son désir d'obtenir le dessin le plus subtil, le plus élaboré, et les contraintes du matériau. Dans les années 1496-97, Albrecht Dürer réinvente la gravure sur bois pour en faire un art majeur. D'autres perfectionnements sont apportés à ce procédé par les graveurs allemands dans la première moitié du XVIe siècle. Vers 1470, les imprimeurs annexent la gravure sur bois pour l'illustration d'ouvrages. Les bois gravés et les caractères typographiques, ayant la même épaisseur, peuvent être en effet imprimés ensemble sur une même presse. La gravure sur bois coloriée Les images en noir sur blanc sont rehaussées au pinceau ou au pochoir avec de l'aquarelle ou de la gouache. La pratique du coloriage était courante aux XVe et XVIe siècles, mais peu d'épreuves ont survécu. La taille blanche ou gravure leucographique Le dessin est en creux; les autres parties en relief étant encrées, on obtient à l'impression un dessin en négatif, blanc sur noir. Ce procédé est employé presque exclusivement par Urs Graf (1485-1529) pour des images de bannerets incarnant les principales villes suisses. La gravure en camaïeu ou en clair-obscur Une image en couleurs est obtenue par la superposition au moment de l'impression de plusieurs planches exactement repérées, en général une planche de trait encrée en noir et une, deux ou trois planches de teintes. Les teintes choisies sont, comme l'indiquent les termes camaïeu et clair-obscur, ton sur ton, c'est à dire un ou plusieurs tons clairs sur du noir ou sur un ton plus foncé. Le procédé, inventé en Allemagne dans la première décennie du XVIe siècle, est employé notamment par Lucas Cranach, Hans Burgkmair, Hans Baldung Grien et Hans Wechtlin. Certaines gravures, initialement en noir sur blanc, ont été imprimées en clair-obscur dans un second temps, parfois bien après la date de réalisation de la première planche de trait. C'est le cas des gravures en clair-obscur présentées dans l'exposition. Rationalisation et division du travail Les gravures sur bois étaient réalisées dans de vastes ateliers, fort bien organisés, réunissant autour du maître plusieurs compagnons et apprentis. Les artistes, tels Dürer, Baldung, Altdorfer, Holbein..., dessinaient les compositions sur les blocs de bois ou bien se contentaient de fournir des dessins transposés sur le bois

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par des artisans qui effectuaient ensuite le travail de la taille. D'autres compagnons étaient chargés de l'impression des épreuves. Usage et fonctions Répondant à des préoccupations religieuses et prophylactiques, les premières gravures sur bois, servirent à maints usages. Collées au verso d'une reliure ou dans un coffret, clouées au mur, cousues dans la doublure d'un manteau, elles ont été consommées et, de ce fait, ont disparu. Aux gravures de dévotion et aux représentations de saints viennent s'ajouter bientôt des vues topographiques, des estampes populaires et satiriques, des images de propagande religieuse ou politique, des bois de grand format servant de décorations murales..., s'adressant à un public très large et varié. 8.2 La taille douce Le principe consiste à creuser les lignes du dessin dans une plaque de métal. Au moment de l'impression, les parties incisées sont bourrées d'encre et la surface de la plaque est soigneusement essuyée. La plaque et la feuille de papier humidifiée passent entre les deux rouleaux de la presse. La pression exercée étant très forte, la plaque laisse une empreinte sur le papier appelée cuvette. Les parties imprimées en noir correspondent aux entailles, les parties blanches aux surfaces polies et essuyées. L'impression en creux s'effectue avec une presse à taille-douce. Sous le terme de « taille-douce » sont regroupés tous les procédés de gravure en creux sur métal. Si la gravure sur bois implique une répartition des tâches rigoureuse, la gravure sur métal appartient sans ambiguïté au domaine artistique, le créateur et l'exécutant se confondant dans la même personne. On distingue deux manières principales de graver : soit les tailles sont creusées manuellement à l'aide d'un outil, soit les creux sont obtenus par la morsure d'un acide. Seules la gravure au burin, procédé de taille directe, et l'eau-forte, procédé de taille indirecte, sont employées dans la première moitié du XVIe siècle. La gravure au burin La plaque de cuivre est incisée directement à l'aide d'un burin, une tige d'acier de section carrée ou en losange dont le bout est très pointu. Les traits au burin, nets et fins, s'élargissent habituellement au centre, tandis que leurs extrémités sont effilées. Apparue vers 1430, la gravure au burin est la technique à la fois la plus ancienne et la plus difficile. L'eau-forte L'artiste recouvre la plaque d'un vernis que les acides n'attaqueront pas. Avec une pointe en acier, il dessine ensuite son motif sur ce vernis, mais sans que sa pointe n'entame la surface du métal. La plaque est plongée dans un bain d'acide qui mord les parties mises à nu. Les blancs de l'image correspondent aux parties épargnées par la pointe. La profondeur des tailles est déterminée par le temps d'immersion. Le trait à l'eau-forte est plus spontané que celui du burin, le vernis laissant plus de liberté à l'artiste. Son extrémité n'est plus effilée, mais plutôt carrée. Cette technique, empruntée aux armuriers, est utilisée pour la première fois par les graveurs allemands vers 1500-1510. Les accidents visibles sur les épreuves imprimées, comme le caractère brouillé de l'encrage, sont dus d'une part à la mauvaise qualité des vernis et d'autre part à l'oxydation des plaques de fer, métal exclusivement employé à cette époque. Usages et fonctions D'invention très récente, l'eau-forte n'est alors pratiquée qu'à titre expérimental. La production réduite et la faiblesse des tirages expliquent la rareté des images créées par ce moyen. En revanche, les gravures au burin ont subsisté en grand nombre. Destinées à un public de riches patriciens, d'aristocrates, d'érudits et d'artistes, elles ont été conservées comme des objets de collection dans des portefeuilles ou des albums. Les images sont souvent de petites dimensions. Cette tendance à la miniaturisation inspira le nom de « petit maître » donné à plusieurs graveurs allemands de cette époque.

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Heinrich Aldegraver, L’Humilité, gravure au burin, 1552 (detail)

Lucas Cranach l'Ancien, Armoiries des familles Scheurl et Tucher, gravure sur bois de fil (détail)

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9. Pistes pédagogiques 9.1 Pistes pédagogiques pour le 1er degré : la communication par le signe

Ce qui suit est un canevas dans lequel il est possible de choisir quelques entrées donnant suite à des trames pédagogiques plus précises. Conception du signe - les éléments du signe : point, ligne, geste du tracé, symétrie, courbe - les signes fondamentaux : carré, cercle, triangle, flèche, croix - la réunion des signes : relation entre signes de formes semblables, de formes différentes, le schéma, la figure... - le signe dans l'ornement - de la ligne à la surface : positif - négatif - la simulation du volume : tressage, perspective, illusion d'optique, ombre Fixation de la langue par le signe - de la pensée à l'expression : les pré images, la langue, le geste... - la fixation du langage : écritures figuratives (pictogrammes sumériens, hiéroglyphes égyptiens, île de Pâques, écritures chinoise, précolombienne, runique..., écritures alphabétiques - les alphabets du monde : voyelles, consonnes, les différents groupes d'écriture, minuscules, majuscules... - la calligraphie européenne et orientale - la typographie - les signes de valeurs numériques - les signes de ponctuation, symboles monétaires et autres. Signes, symbole, marque, signal - de l'illustration à l'emblème : image, schéma, plan, allégorie, image de superstition - le symbole : image symbole, signe symbole - la richesse graphique des symboles figuratifs - de l'image au symbole - les symboles animaux (archétypes du subconscient) - les symboles végétaux - la forme humaine en tant que symbole - les symboles abstraits : croix, signes du mouvement, tissages, entrelacs, nœuds, signes solaires, signes décoratifs, symbole et géométrie - les signes pseudo-scientifiques et magiques, cabalistiques (astrologie, alchimie...) - les signatures, monogrammes, marquages, signes de propriété - les signes communautaires, les emblèmes, armoiries, héraldiques, signes actuels de communication (drapeaux) - les marquages : marquage dans le passé (filigrane), signes industriels d'aujourd'hui (logo...) - les signes techniques et scientifiques : idéogrammes du technicien - les signaux d'orientation : pictogrammes, signaux utilitaires... Nous sommes passés rapidement du dessin (réaliste) vers le symbole (combinaison d'attributs) pour arriver au signe (conventionnel).

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Trace de mots, lettres, chiffres dans l'art contemporain Quelques pistes de prolongements culturels possibles - Art et Langage - Raoul Hausmann - Christian Boltanski - Marcel Duchamp - Kurt Schwitters - On Kawara - René Magritte - Jean Le Gac - John Baldessari - François Dufrêne - Jochem Gerz - Edward Ruscha - Bernard Venet - Victor Burgin - Cy Twombly - Piet Mondrian - Raymond Hains - Jenny Holzer - Marcel Broodthaers - Ben Vautier - Annette Messager - Joseph Kosuth - Robert Barry - Laurence Weiner - Bruce Nauman - Julian Schnabel - Robert Filiou - Jean-Pierre Raynaud - Mimmo Rotella - Jean de la Villeglé - Mario Merz - Roman Opalka Trace de mots, écrits... dans l'art - Simone Martini - Jacques-Louis David - Pablo Picasso - Masaccio - Edouard Manet - Paul Klee - Fra Angelico - Georges Braque - Philippe de Champaigne - Francis Picabia

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9.2 Pistes pédagogiques pour le 2nd degré en lettres et histoire des arts

La Bible, les vanités et la mythologie En lien avec les programmes de :

Français lettres classe de 6ème

Lettres anciennes et classiques

Histoire des arts collège, thématique « Arts, mythes et religions »

Histoire des arts lycée, thématique « Arts et sacré », piste d'étude « l'art et les grands récits (religion, mythologie) »

Cette exposition pourra constituer un prolongement au « parcours Bible » dans les collections permanentes avec de nombreuses gravures à sujet biblique dont les suites :

Albrecht Dürer, La vie de la vierge (Suite de vingt xylographies gravées entre 1503 et 1510), La Grande Passion (suite de douze xylographies gravées entre 1497 et 1511), La petite passion (suite de seize planches gravées au burin entre 1508 et 1513)

Albrecht Altdorfer, La Chute et la Rédemption de l'homme (suite de quarante gravures sur bois) De nombreuses autres gravures de l'exposition représentent Jésus, la Vierge ou des saints. Représentations de saint Jérôme

Histoire des arts collège, thématique « Arts, ruptures, continuités », l'œuvre d’art et le dialogue des arts : citations et références d’une œuvre à l’autre.

Les programmes invitent à la confrontation des différentes versions d’un même sujet pour conduire l’élève à réfléchir sur les intentions des artistes, sur la visée de leurs œuvres respectives. On pourra comparer six versions de saint Jérôme, trois versions de l'exposition et trois versions des collections permanentes. Biographie de Saint-Jérôme (342-420): Né d’une famille riche, Jérôme se rend à Rome vers douze ans et se passionne pour la littérature classique, l’œuvre de Virgile en particulier. Il a pour maître le grammairien Donat. Baptisé en 365, il séjourne à Aquilée, où il approfondit ses connaissances en théologie. Vers 373, à la suite d’une brouille avec sa famille, il décide d’aller vivre en ermite au désert de Chalcis en Syrie. Il apprend l’hébreu, renonce aux lettres profanes, se consacre à l’exégèse et se fait ordonner prêtre. Il commence à cette époque à traduire les livres saints. En 382, il est de retour à Rome et chargé par le pape Damase d’établir un texte officiel de l’ancienne version latine de la Bible. Mais son rigorisme, sa défense de la vie monastique et son dégoût du christianisme mondain suscitent contre lui une vive opposition et il quitte Rome pour se fixer en Palestine. Il passe les trente dernières années de sa vie, dans un monastère. Cette période est marquée par une intense activité intellectuelle (traduction latine de la Bible, commentaires sur l’Ancien et le Nouveau Testament). Passionné, de nature violente et intraitable, c’est par la perfection toute classique de son style et par l’ampleur de sa science profane et sacrée qu’il étonne ses contemporains. Sa traduction de la Bible prend au XIIIe siècle le nom de Vulgate et est déclarée canonique par le Concile de Trente (1545-1563). Plusieurs épisodes ont été ensuite rattachés à sa vie par des textes apocryphes comme La Légende Dorée de Jacques de Voragine notamment : les tentations au désert, les visions du saint et l’amitié avec un lion. Les représentations iconographiques de Saint Jérôme : les attributs Les attributs :

Le chapeau de cardinal : prêtre romain, Jérôme de Stridon est traditionnellement représenté en cardinal. Même lorsqu'il est représenté comme un anachorète avec une croix, un crâne et une Bible pour toute ornementation de sa cellule, on utilise généralement le chapeau rouge ou un autre signe pour indiquer son rang. On retrouve ainsi le chapeau de cardinal.

La pierre à la main : elle maintient le saint en état d'éveil et est un rappel de la pénitence. On la retrouve dans les représentations de Saint Jérôme au désert ou Saint Jérôme pénitent.

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Le lion : saint Jérôme au désert aurait retiré une épine de la patte d'un lion, celui-ci serait alors devenu son compagnon et protecteur.

Le crâne : il est lié à saint Jérôme pénitent, on le trouve notamment dans les représentations baroques du saint. Il est le crâne d'Adam, du péché originel qui figure au pied de la croix, le crâne de la mort, de la finitude de toute chose mais aussi la promesse de la résurrection.

Le crucifix : sur lequel le saint médite au désert. Œuvres présentées dans l'exposition La gravure allemande à la Renaissance

Albrecht DÜRER, Saint Jérôme dans une grotte, 1512, gravure sur bois

Albrecht DÜRER, Saint Jérôme en pénitence, Vers 1497, gravure au burin

Albrecht DÜRER, Saint Jérôme dans sa cellule, 1514, gravure au burin Tableaux des collections permanentes :

Pérugin, Saint Jérôme dans le désert (XVIe siècle) Anonyme flamand, Saint Jérôme (XVIIe siècle) Lubin Baugin, Saint Jérôme (XVIIe siècle)

Les deux premières gravures, comme les trois tableaux des collections permanentes représentent saint Jérôme retiré au désert. Dans les deux tableaux du XVIIe siècle, le décor a disparu, le sujet s'est resserré sur saint Jérôme, la main posée sur un crâne, un livre près de lui (la Bible). Dans les gravures Saint Jérôme dans une grotte, Saint Jérôme en pénitence et le tableau du Pérugin, Saint Jérôme dans le désert, le saint est représenté dans son environnement accompagné du lion qu'il a guéri, et en train de contempler un crucifix. Dans la gravure Saint Jérôme dans sa cellule, le saint apparaît davantage comme un humaniste, un savant entouré d’objets, de livres dans son cabinet de travail. Description des trois tableaux de la collection permanente : Un saint Jérôme au désert de la Renaissance :

Pérugin, Saint Jérôme dans le désert (salle 1). On retrouve le chapeau de cardinal, le crucifix, le lion et la pierre. Au premier plan, saint Jérôme, à genoux devant le crucifix, la pierre dans la main pour le rappeler à la vigilance, et sans signe aucun de mortification, est plongé dans une contemplation mystique. Ses yeux, sans trace de mélancolie, attestent une grande sérénité. Cette paix du saint dans sa rencontre avec Dieu, se transmet au paysage tout entier, les bleutés du lointain faisant écho au vêtement du saint et au pagne du Christ.

Deux saints Jérôme pénitents de type baroque liés au thème des vanités avec la présence du crâne : Anonyme flamand, Saint Jérôme (salle 4). Le tableau donne à voir le refus du monde : la présence

discrète du chapeau cardinalice, coupé par l'angle droit du tableau, signale que Jérôme a renoncé au monde, même aux charges ecclésiastiques qui confèrent tant de pouvoir et de prestige. La lumière qui sculpte le corps du saint, son modelé rugueux mettent en évidence l'ascèse imposée à ce corps. D'ailleurs on note en bas à gauche la présence d'un fouet destiné aux flagellations. Enfin la main de saint Jérôme sur le crâne montre bien la conscience de la vanité des choses humaines mais il traduit également l'intensité méditative de la figure du saint, figure du sage avec ses cheveux et sa barbe blanche, tout entier tourné vers la Bible. Il est face au crucifix, ce qui renforce la signification du crâne comme symbole de rédemption. Enfin la flamme qui l'éclaire, l'éclaire aussi au sens spirituel du terme.

Lubin Baugin, Saint Jérôme (salle 4). Le père de l'Église est ici représenté comme un austère anachorète. Le fond, sombre, uni, évoque une retraite hors du monde, une cellule dont on distingue à peine le sol et les murs. Le rejet des biens du monde se lit aussi dans les feuillets que Jérôme froisse de son coude, dans les livres fermés, abandonnés dans le coin droit du tableau, ainsi que le chapeau cardinalice dont la pourpre très atténuée, tend à le rendre presque invisible. Sur ce fond, se détache le corps de saint Jérôme, sculpté comme à l'antique, saisi dans une pose maniériste avec les jambes repliées, dont la nudité est cachée par un drap bleu. L'éclairage attire notre attention sur la méditation de saint Jérôme, concrétisée par le face à face avec le crâne qu'il tient dans sa main gauche.

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On pourra compléter l'étude des six versions exposées au musée par d'autres versions intéressantes :

Saint Jérôme pénitent: Léonard de Vinci, Saint Jérôme pénitent, vers 1480 ; Caravage, Saint Jérôme, vers 1605; Georges de La Tour, Saint Jérôme pénitent, 1630

Saint Jérôme et le lion : Antonio Colantonio, Saint Jérôme guérissant le lion, panneau de retable mi-XVe siècle; Vittore Carpaccio, Saint Jérôme et le lion, vers 1502

Saint Jérôme humaniste et érudit : Antonello de messine, Saint Jérôme sans son cabinet, vers 1456 ; Lucas Cranach, dit l'Ancien, Le cardinal Albert de Brandebourg en saint Jérôme dans sa cellule, 1525

Saint Jérôme glorieux : Carlo Crivelli, Saint Jérôme et Saint Augustin, après 1490 Humanisme et Renaissance : Albrecht DÜRER, Saint Jérôme dans sa cellule, 1514, gravure au burin : la représentation d'un humaniste au travail ?

Lettres 1ère L Saint Jérôme dans sa cellule semble davantage être la représentation d'un humaniste dans son cabinet de travail que celle d'un théologien ou d'un saint (voir ci-dessus la comparaison avec d'autres représentations de saint Jérôme), loin d’une vie contemplative et retirée du monde, le saint semble rayonner d’une activité débordante. Pour une analyse de Saint Jérôme dans sa cellule, voir le site : http://brunorigolt.blog.lemonde.fr/2012/11/09/analyse-dimage-lhumanisme-de-durer-a-travers-saint-jerome-dans-sa-cellule-1514/ Mythologie Cette exposition pourra constituer un prolongement au parcours « mythologie » des collections permanentes.

Sebald BEHAM, Didon, 1520, gravure au burin, à comparer au tableau du musée des Beaux-arts de Caen, Didon abandonnée d'Andréa Sacchi, XVIIe siècle [salle 5]

Heinrich ALDEGREVER, Les Travaux d'Hercule, 1550, série de 13 gravures au burin Albrecht DÜRER, Hercule, Gravure sur bois Albrecht ALTDORFER, Hercule et une muse, Hercule et le lion de Némée, gravures au burin Albrecht ALTDORFER, Arion et une néréide ; Une nymphe attaquée par un satyre ; Vénus accroupie,

gravures au burin Georg PENCZ, Thétis et Chiron, 1543, gravure au burin

L'expression de la mélancolie, en lien avec la gravure d'Albrecht Dürer, La Mélancolie

Histoire des arts, thématique : « Arts, corps, expressions », piste d'étude « Le corps, l’âme et la vie » Français, 4ème: objet d'étude: la poésie, le lyrisme: pour une séquence « l'expression de la mélancolie

en poésie » Français, 1ère: objet d'étude : la poésie: pour une séquence « l'expression de la mélancolie en

poésie » Français, 1ère L: objet d'étude : les réécritures: « Spleen et mélancolie en poésie et en peinture »

On pourra se référer aux trois fameuses « gravures chefs-d'œuvre » (Meisterstiche) d'Albrecht Dürer, Le Chevalier, la Mort et le Diable, 1513, la Mélancolie 1514, et Saint Jérôme dans sa cellule, 1514. Sans constituer un ensemble au sens strict du terme, elles possèdent une véritable unité spirituelle selon Erwin Panofsky. On remarquera notamment dans les trois œuvres la présence d'éléments liés à l'évocation du temps qui passe : le crâne ou le sablier. Le chevalier semble être une représentation de la vie active tandis que saint Jérôme incarne la vie contemplative du chrétien. La Mélancolie figurerait le monde rationnel et imaginatif de la science et de l'art.

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Pour une étude comparative de ces trois gravures en termes de géométrie, voir le site : http://www.melencoliai.org/Melencolia-Chevalier-St_Gerome.html Groupement d'œuvres possibles sur le thème de la mélancolie : Poèmes :

Charles Baudelaire, les quatre « Spleen », Les Fleurs du mal. 1857 ; « La Chambre double »,.et « N’importe où hors du monde ». Le Spleen de Paris. 1862

Jules Laforgue, « Spleen » (« Tout m’ennuie aujourd’hui. »), « Litanies de mon triste cœur », « Le Brave, brave automne »

Paul Verlaine, « Soleils couchants », section « Paysages tristes » du recueil Poèmes saturniens, 1866 Henri Michaux, « Ma vie », 1932, La Nuit remue Henri Michaux, « Entre ciel et terre », La Vie dans les plis Pierre Reverdy, « Tard dans la vie », La Liberté des mers, 1959

Chansons : Léo Ferré, chanson « La Mélancolie », 1964 Hubert-Félix Thiéfaine, chanson « Scandale mélancolique », album Scandale mélancolique, 2005 Bénabar, chanson « Triste compagne », album Reprise des négociations, 2005 Miossec, « la mélancolie », album L'Étreinte

Iconographie : Domenico Feti, La Mélancolie, 1623 ; Georges de La Tour, La Madeleine à la veilleuse, vers 1640-

1645; Salvator Rosa, Démocrite, 1650 ; Goya, Caprice, 1799 ; portrait photographique de Baudelaire par Nadar, 1855 ; Alfred de Musset par Alexandre Bida, 1879 ; Manet, La Prune, 1878 ; Edvard Munch, Mélancolie, 1902, Picasso, Portrait de Jaimes Sabartès, 1901 ; Chirico, Melancolia, 1912

Prolongement : le mélancolique au théâtre Shakespeare, Hamlet Molière, Le Misanthrope ou l'atrabilaire amoureux

Bibliographie :

Yves Hersant, Mélancolies : de l’Antiquité au XXe siècle : anthologie commentée, Coll. Bouquins, R. Laffont, 2005

Hélène Prigent, Mélancolie, mélancolies : fortunes de la dépression, Coll. Découvertes, Gallimard, 2005

Mélancolie : génie et folie en Occident, dirigé par Jean Clair, Réunion des musées nationaux, Gallimard, 2005

http://www.sauramps.com/IMG/pdf/melancolie.pdf

http://www.solidariteetprogres.org/documents-de-fond-7/culture/article/albrecht-durer-contre-la-melancolie-neo.html

Lien internet pour l'iconographie :

http://www.evene.fr/culture/agenda/melancolie-genie-et-folie-en-occident-6458.php?photo Lien avec les œuvres des collections permanentes du musée : vanités et méditations face aux ruines La méditation sur la fin de toute chose: les Vanités

Johannes Moreelse (1603-1634), Marie-Madeleine pénitente

Saint Jérôme, anonyme flamand, vers 1630

Nicolaes van Veerendael, Vanité

Jan Davidsz de Heem, Vanité Méditation mélancolique face aux ruines :

Johannes Moreelse (1603-1634), Marie Madeleine pénitente

François Boucher (1703-1770), Pastorale ou Jeune berger dans un paysage, 1858

Jean-Baptiste Lallemant (1716-1805), la Pyramide de Caïus Cestius

Jean-Baptiste Lallemand (1716-1805), Couple et enfant au pied des ruines

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Andrea Locatelli (1695-1741), Paysage avec ruines et personnages Les vanités

Histoire des arts collège, thématique « Arts, espace, temps », piste d'étude « l'œuvre d'art et l'évocation du temps et de l'espace : formes symboliques »

Histoire des arts lycée, thématique « Arts, corps, expressions », piste d'étude « le corps, présentation et représentation »

On pourra étudier le genre et le message des vanités dans les gravures suivantes :

Sebald BEHAM, La Mort et trois femmes nues, gravure au burin

Sebald BEHAM, La Mort se saisissant d'une femme nue, 1547, gravure au burin

Barthel BEHAM, L'Avare et l'enfant mort-né, gravure au burin

Ludwig KRUG, Deux Femmes nues avec un crâne et un sablier, gravure au burin

Albrecht DÜRER, La Mort et le lansquenet, 1510, gravure sur bois

Albrecht DÜRER, Le Chevalier, la Mort et le Diable, 1513, gravure au burin Pour en savoir plus sur les vanités, se reporter sur le site du musée à la fiche-œuvre consacrée au tableau de Nicolaes van Veerendael, Vanité1 Les allégories

Heinrich ALDEGREVER, L'Humilité, La Chasteté, La Tempérance, La Diligence, L'Orgueil, L'Envie, La Lascivité, L'Avarice, 1552, gravures au burin

Heinrich ALDEGREVER, La Foi, La Force, L'Intempérance, 1528, gravures au burin Georg PENCZ, Les Six Triomphes de Pétrarque, gravures au burin (Le Triomphe de l'Amour, Le

Triomphe de la Chasteté, Le Triomphe de la Renommée, Le Triomphe du Temps, Le Triomphe de la Mort, Le Triomphe de l'Éternité)

1 http://mba.caen.fr/espace-pedagogique#documents

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9.3 Pistes pédagogiques pour le 2nd degré : questionnaires Melencolia I Questionnaire Peux-tu retrouver la signature de l'artiste et la date ? Essaye de les transcrire. Le titre de cette gravure est "MELENCOLIA I". Comment vois-tu aujourd'hui quelqu'un qui est mélancolique ? Donne quelques adjectifs pour le décrire. Nous essaierons de savoir un peu plus tard si ce mot avait la même signification à l'époque de la Renaissance. ................................................. ................................................. ............................................. Décris l'aspect physique de la figure principale de Melencolia I (son corps, la position de son corps, de ses bras, son visage, son regard, ses vêtements...). ..................................................................................................................................................................... ................................................................................................................................................................... .................................................................................................................................................................... Quatre objets sont attribués à la figure principale. Cite les objets et essaye de trouver leurs significations. Objet Signification ........................................................................ ......................................................................... ........................................................................ ......................................................................... ........................................................................ ......................................................................... ........................................................................ ......................................................................... Quels animaux sont représentés sur cette gravure ? ....................................................................... ..........................................................................

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Qui est assis à côté de la figure principale ? Que fait ce personnage ? En quoi est-il différent de la figure principale ? ..................................................................................................................................................................... ................................................................................................................................................................... Cite les objets qui servent à mesurer. .................................. ........................... .................................. .................................. Que signifie le tableau avec les chiffres ? Tu peux le transcrire et essayer de comprendre sa logique ? Fais l'inventaire des outils et des objets qui peuvent servir à différents métiers. .................................. ........................... .................................. .................................. .................................. ........................... .................................. .................................. .................................. ........................... .................................. .................................. .................................. ........................... .................................. .................................. A qui peuvent servir ces objets ? Cite des métiers. .................................. ........................... .................................. .................................. Quel lien existe-t-il avec les instruments de mesure ? ................................................................................................................................................................... L'astre que tu vois à l'arrière-plan n'est peut-être pas le soleil, mais Saturne. À l'époque de Dürer, les astres incarnaient des caractères, des comportements. Melencolia I pourrait être la tentative de l'artiste de nous montrer ce caractère saturnien, mélancolique. Essaye de deviner quel caractère incarnait Saturne en tenant compte des éléments de cette gravure. ................................................................................................................................................................ ................................................................................................................................................................ ................................................................................................................................................................

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Après cette description, tu peux revenir à ta définition du mot « mélancolie ». Le mot avait-il le même sens pour Dürer ? Emets une hypothèse. .................................................................................................................................................................. la gravure Melencolia I est associée à deux autres gravures qui sont également représentées dans l'exposition. De quelles gravures s'agit-il ? Donne la figure principale pour chaque gravure. Titre Figure principale Melencolia I………………….............................. ......................................................................... .................................................................. .......................................................................... .................................................................. .......................................................................... .................................................................. .......................................................................... Quelle activité représente chaque figure ? .................................................................................................................................................................. .................................................................................................................................................................. .................................................................................................................................................................. Peux-tu expliquer brièvement pourquoi ces trois gravures sont souvent regroupées ? .................................................................................................................................................................... ..................................................................................................................................................................

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Monogrammes et signatures Questionnaire

Parmi les gravures présentées dans l'exposition, choisissez cinq monogrammes illustrant particulièrement la diversité des situations rencontrées. Faire un schéma de chacun de ces monogrammes et expliquer leur localisation dans l'œuvre.

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Sur quels types de support l'artiste a-t-il choisi de graver son monogramme ? ................................................................ ........................................................... ................................................................ ........................................................... ................................................................ ........................................................... 3. Pouvez-vous justifier ce choix ? ................................................................................................................................... ................................................................................................................................... ................................................................................................................................... ................................................................................................................................... À partir de ces différents monogrammes, essayez de retrouver les noms des graveurs.

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Dessinez un monogramme à partir de vos nom et prénom. Justifiez votre choix. L'apparition du monogramme sur les gravures annonce un changement fondamental pour le statut de l'artiste. Quel est ce changement ? ................................................................................................................................................................... ................................................................................................................................................................... ................................................................................................................................................................... ...................................................................................................................................................................

Dossier réalisé à l'occasion de l'exposition La gravure allemande à la Renaissance (27/11/1999 - 28/02/2000)