Dossier médical: un nouveau partenariat dans le soin

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13tome 35 > n°1 > janvier 2006 > cahier 1

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Presse Med. 2006; 35: 13-4© 2006, Masson, Paris

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Dossier médical : un nouveau partenariatdans le soin

Emmanuel Hirsch

La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du systèmede santé semble modifier de manière significative l’environnement législatif de la pratique médi-cale dans son ensemble. Le titre II de cette loi – “Démocratie sanitaire” – concerne l’information, lepartage de la décision, la personne de confiance, l’accès au dossier médical. Les évolutions préco-nisées dans la relation de soin procèdent désormais d’une exigence d’autonomisation de la per-sonne malade, visant au renforcement de la notion de responsabilité partagée. S’agit-il, en fait, depromouvoir une nouvelle conscience éthique dans un contexte où cumulent la technicité et la vul-nérabilité au détriment de l’humanité du soin, ou plutôt de renforcer les procédures encadrant lespratiques? Aujourd’hui, la communication d’une information médicale de qualité nous donne lesentiment de participer davantage aux choix qui nous concernent. Encore semble-t-il nécessaire des’approprier de telles données, bien souvent sensibles et douloureuses, afin d’être en mesure deprendre la décision qui s’imposerait. Il me paraît donc essentiel de ne pas nous limiter à la stricterevendication de la mise à disposition d’un dossier médical dans bien des cas difficile à comprendre,à intégrer, parce qu’hétérogène et constitué de données d’un accès peu évident du fait de leurtechnicité. Nous devons contribuer à promouvoir les conditions d’une conception nouvelle et doncdifférente de la relation de soin. Pour ce faire, les professionnels doivent disposer de plus de dis-ponibilité, d’une capacité d’écoute et de compréhension qui réhabilite la notion traditionnelle ducolloque singulier. En fait, je suis persuadé que les soignants aspirent, au même titre que les per-sonnes malades et leurs proches, à une qualité de relation qui favorise de véritables alliances. C’està un partenariat dans le soin que nous devons viser, chacun assumant ses responsabilités et affir-mant ses choix avec le sentiment qu’on le respecte profondément.

Accompagner et personnaliser la communication du dossier

Les pratiques médicales sont chaque jour davantage complexes. L’exigence souvent justifiée despersonnes malades ne peut qu’inciter à la diversification des approches et des examens, ce quiengage de multiples intervenants dans un suivi médical. Le dossier médical s’informatise, recueillantdes données cliniques et biologiques indispensables au suivi et à la prise de décision. Il constitue

Espace éthique/AP-HP, Département de recherche en éthique, Université Paris-Sud 11, Paris (75)

Correspondance:Espace éthique/AP-HP, CHU Saint-Louis, 75475 Paris Cedex [email protected]

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un instrument au service de la personne que consultent et enri-chissent ceux qui la soignent mais également un documentscientifique utile à la formation et à la recherche. Ce dossier – ycompris dans une forme informatisée – est susceptible derecueillir des appréciations subjectives, intermédiaires, des obser-vations cliniques et psychologiques: autant de trace d’un parcoursdans la maladie dont le statut et l’opportunité peuvent parfoisse discuter tout en ayant leur pertinence pour comprendre l’évo-lution de la maladie.J’éprouve quelque difficulté à comprendre ce qui, d’une manièreformelle, pourrait justifier des réserves dans sa communicationdirecte à la personne concernée. Pour autant que l’on considèrele dossier médical comme un support, une médiation qui favo-rise l’échange. Cela étant, la transmission de certaines informa-tions imparfaitement documentée ou sensibles peut susciter,dans certaines circonstances, des difficultés qu’il serait grave denégliger. Je pense notamment aux affections à propos des-quelles nos représentations sociales stigmatisent trop souventencore. Ainsi, la désignation de certaines pathologies d’ordrepsychiatrique peut avoir une résonance dramatique pour la per-sonne qui en découvre la formulation explicite de manière for-tuite dans son dossier. Il me semble donc important d’assumerun effort de discernement, d’accompagner et donc de person-naliser la mise à disposition du dossier médical, ne serait-ce quepour inciter les personnes à la retenue parfois nécessaire dansla divulgation de données qui peuvent mettre en cause leursdroits et peut-être ceux de tiers. En matière d’accès à l’emploiou aux assurances, on peut comprendre la signification que pren-nent certaines données médicales avec des conséquences pré-judiciables à la personne concernée: en effet, les demandeursde son dossier acceptent difficilement qu’on leur refuse sa pré-sentation, voire l’interprètent comme une dissimulation. D’unpoint de vue déontologique, le secret médical ne saurait êtreopposé à la personne. Encore semble-t-il nécessaire que la confi-dentialité ne soit en rien menacée par la banalisation d’une dif-fusion sans règles strictes du dossier médical. Ainsi, certainespersonnes ne veulent pas que leurs proches soient informés deleur maladie – y compris à leur mort. Comment préserver un telsecret alors que les procédures en vigueur donnent parfois l’im-pression de relever de l’obligation de “tout dire”, voire de “toutsavoir”? La transparence est un principe qui, pour être a priorivertueux, trouve ses limites lorsqu’il accentue la vulnérabilitéd’une personne et la soumet à des intrusions auxquelles il luidevient, en pratique, impossible de s’opposer.

Une mission du soignant

En soi, une information n’a aucune signification si elle ne pro-cède pas d’une relation précise et personnelle ayant pour objetl’intérêt direct de la personne concernée. Il est trop souvent

question de vérité dans un contexte fait d’incertitudes où s’im-pose plus que toute autre considération un rapport de confianceet de respect réciproque. L’information doit être adaptée, évo-lutive et soucieuse de servir la personne selon son attente pro-fonde. Il y faut une grande compétence, beaucoup d’attention etde disponibilité. Le dossier médical ne devrait pas figer la rela-tion de soin, la ramener à une procédure indifférenciée.Actuellement, on envisage dans certaines circonstances de recou-rir à un médiateur – mandataire ou référent – qui favoriserait lacommunication avec l’équipe soignante. Je considère que l’exi-gence d’information relève des missions du soignant et qu’il doitse donner tous les moyens pour y satisfaire de manière person-nalisée et adaptée, dans les meilleures conditions possibles: celane se limite pas à la transmission du dossier médical. Il ne s’agitpas tant d’informer que de communiquer et donc de permettre àla personne malade de s’approprier les connaissances qu’elleestime nécessaire à son investissement personnel dans un projetde soin. Dans ce domaine également, la prudence me sembleplus opportune que des revendications générales forcémentinadaptées aux réalités des situations toujours singulières aux-quelles confronte la maladie grave. C’est à l’humanité d’uneparole partagée plutôt qu’à des vérités brusquement assénéesque chacun aspire dans les circonstances délicates de la maladie.Considérons les débats actuels consécutifs à la mise en œuvredes dispositifs préconisés par la loi du 4 mars 2002 comme laformidable opportunité qui nous est donnée de mieux com-prendre nos obligations morales à l’égard de la personnemalade. Fragilisée par son état, parfois menacée dans son exis-tence même, elle sollicite de notre part un soutien réel qui nese limitera jamais à l’énoncé de droits formels. Le droit à l’in-formation doit être compris comme notre devoir de reconnaîtrela personne dans son besoin d’estime, de compréhension, d’ap-partenance, en d’autres termes dans son attente d’un soin com-pétent et attentionné. Nous devons donc nous engager à toutfaire pour éviter d’instrumentaliser la relation de soin, de la sou-mettre à des procédures essentiellement administratives, pourne pas dire procédurières, afin de favoriser une obligation dedignité et de respect.

Pour en savoir plus• Résultats de l’enquête préliminaire relative à la loi du 4 mars 2002, réaliséepar l’Espace éthique/AP-HP. www.espace-ethique.org/fr/enq_4mars.php

• Questionnaire d’enquête disponible par téléchargement à l’adressewww.espace-ethique.org/fr/documents/enq4mars.pdf

• L’analyse de l’enquête “Loi du 4 mars 2002 et pratiques soignantes” est publiéedans Laennec, 4/2005: 35-49.