DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans...

52
N o 24 AVRIL - MAI - JUIN 2019 DOSSIER Tarif standard : 7 • Tarif étudiant, chômeur, faibles revenus : 5 • Tarif de soutien : 10 SCIENCE VIRUS : UN MONDE DE PERSPECTIVES ET DE RECHERCHES par Dimitri Fitsios TRAVAIL SCOP, ELDORADO ORGANISATIONNEL ET MANAGÉRIAL? par Christine Noël-Lemaître et Séverine Le Loarne-Lemaire ENVIRONNEMENT FISCALITÉ ÉCOLOGIQUE ET VALEUR DU CARBONE par Francis Combrouze L’INDUSTRIE DU FUTUR

Transcript of DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans...

Page 1: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

No 24 AVRIL - MAI - JUIN 2019

DOSSIER

Tarif sta

ndard

: 7

€ • T

arif étu

dia

nt,

chôm

eur, faib

les r

eve

nus : 5

€ • T

arif de s

outie

n :

10

SCIENCEVIRUS : UN MONDE DE PERSPECTIVES ET DE RECHERCHESpar Dimitri Fitsios

TRAVAILSCOP, ELDORADO ORGANISATIONNEL ET MANAGÉRIAL?par Christine Noël-Lemaître et Séverine Le Loarne-Lemaire

ENVIRONNEMENTFISCALITÉ ÉCOLOGIQUE ET VALEUR DU CARBONE par Francis Combrouze

L’INDUSTRIE DU FUTUR

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page1

Page 2: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL - MAI - JUIN 2019

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

ÉDITO Femmes et hommes de science, entrez dans le débat politique! Amar Bellal .............................................................. 3

APPEL General Electric : Stop au démantèlement! ...................................................................................................................... 4

PÉTITION Alerte sur l’avenir du Palais de la découverte! ............................................................................................................. 8

RENDEZ-VOUS Repas de soutien à la revue Progressistes ........................................................................................................ 9

DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTURÉDITOAux origines des bouleversements industriels : la cyber-révolution Ivan Lavallée ........................................................ 11L’industrie du futur : vers une révolution industrielle? Simon Descargues ....................................................................................... 12Les liens entre services et industrie : l’approche marxiste Jean-Claude Delaunay ......................................................................... 16Tribune : Industrie 4.0, le retour de la manufacture de Marx? Francis Velain ............................................................................... 19Le capital, ce n’est pas l’automatisation mais l’imbrication Dmytri Kleiner .................................................................................. 21La robotique collaborative dans l’industrie : enjeux, perspectives actuelles et futures Michel Devy ...................................... 23La démocratie comme levier pour penser l’industrie de demain Aymeric Seassau .................................................................... 25

BRÈVES ....................................................................................................................................................................................... 28

SCIENCE ET TECHNOLOGIEJEUNES CHERCHEURS L’étude des virus : tout un monde de perspectives et de recherches Dimitri Fitsios .............................. 32ÉPISTÉMOLOGIE Michel Serres, les sciences et la philosophie Jean Michel Galano ......................................................................... 34SOCIÉTÉ La peur des vaccins, un phénomène complexe? Michel Limousin ................................................................................. 36

TRAVAIL - ENTREPRISE - INDUSTRIEÉCONOMIE Les SCOP, un eldorado organisationnel et managérial? Christine Noël-Lemaître et Séverine Le Loarne-Lemaire.............. 38ÉCONOMIE La scission d’EDF : une mauvaise idée Texte collectif ..................................................................................................... 41

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉRESSOURCES Le delta du Mékong vietnamien en développement Nguyễn Ngọc Trân ............................................................... 44ÉCONOMIE Fiscalité écologique et valeur du carbone : éléments d’analyse et propositions Francis Combrouze .................... 46AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE Triangle de Gonesse et EuropaCity : où s’arrêtera la ville? Hervé Bramy .................................... 49

Les sciences et les techniques au féminin : Émilie du Châtelet Claude Frasson .......................................................................... 52

NOUVEAU ! PLUS SIMPLE, PLUS RAPIDEpaiement en ligne sur progressistes.pcf.frAbonnement 4 numéros par an !

Progressistes (trimestriel du PCF) • Tél. 01 40 40 13 41 • Directeur honoraire : † Jean-Pierre Kahane • Directeur de la publication : Jean-François BolzingerDirecteur de la rédaction : Ivan Lavallée • Directeur de la diffusion : Alain Tournebise • Rédacteur en chef : Amar Bellal • Rédacteurs en chef adjoints : SébastienElka • Coordinatrice de rédaction : Fanny Chartier • Rubrique Science : Arnaud Vaillant • Rubrique Travail : Léa Bruido • Rubrique Environnement : Jean-ClaudeCheinet • Brèves : Emmanuel Berland • Livres : Delphine Miquel • Jeux et stratégies : Taylan Coskun • Comptabilité : Mitra Mansouri • Abonnements : FrançoiseVarouchas • Rédacteur-réviseur : Jaime Prat-Corona • Comité de rédaction : Jean-Noël Aqua, Geoffrey Bodenhausen, Jean-Claude Cauvin, Clément Chabanne,Bruno Chaudret, Marie-Françoise Courel, Simon Descargues, Marion Fontaine, Claude Frasson, Clémence Grandlarge, Michel Limousin, George Matti, Simone Mazauric, Evariste Sanchez-Palencia, Pierre Serra, Peppino Terpolilli, Françoise Varouchas • Informatique : Joris Castiglione • Conception graphique et maquette : Frédo Coyère • Expert associé : Luc Foulquier • Édité par : l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75167 Paris Cedex 19) • No CPPAP : 0922 G 93175 • No ISSN : 2606-5479 • Imprimeur : Public imprim (12, rue Pierre-Timbaud, BP 553, 69637 Vénissieux Cedex).

Conseil de rédaction : Président : Ivan Lavallée • Membres : Hervé Bramy, Marc Brynhole, Bruno Chaudret, Xavier Compain, Yves Dimicoli, Jean-Luc Gibelin, ValérieGoncalves, Jacky Hénin, Marie-José Kotlicki, Yann Le Pollotec, Nicolas Marchand, Anne Mesliand, Alain Obadia, Marine Roussillon, Francis Wurtz, Igor Zamichiei.

2

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page2

Page 3: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

eu de scientifiques exercent aujourd’huides responsabilités politiques. Il est vrai queleur formation ne les favorise pas vraiment

dans la maîtrise du discours, à la différence deceux qui ont suivi une formation en histoire, lit-térature, économie ou journalisme, et qui sont lar-gement avantagés dans les organisations politiques.Il y a toujours les exceptions qui confirment larègle, mais on peut tout de même s’étonner decette faible représentation quand on sait tout ceque doit la société au progrès technico-scientifiqueet à la recherche. Nous vivons dans des sociétésd’une complexité sans précédent dans l’histoire,mais dont la majorité des leaders politiques, dufait de leur formation, n’ont qu’une vague idée dufonctionnement. C’est étonnant à l’heure desgrands enjeux et défis planétaires qui demandentde plus en plus de culture scientifique pour bienles appréhender : eau, énergie, climat, biodiversité,santé, agriculture…Peut-être est-ce aussi une des causes qui contribuentà sous-estimer l’importance stratégique de l’in-dustrie dans notre pays et favorisent son délitement.N’a-t-on pas fait souvent remarquer que l’Allemagne,ce pays qui a su remarquablement bien préserveret moderniser son appareil productif ces dernièresannées, est dirigée par une femme titulaire d’undoctorat de physique?Mais il y a peut-être aussi une autre raison. Lesscientifiques, voyant l’état du débat et le niveaucatastrophique des connaissances sur tous cessujets, rechignent à prendre la parole. Il n’y a eneffet que des coups à prendre, moqueries et mépris,dans des débats où l’avis d’un animateur de blogou d’un collectif de citoyens, bien rodés à la prisede parole, sera mis au même niveau d’expertise

que celui de centaines d’équipes de recherche surun sujet précis. Donc, ne vaudrait-il pas mieux setenir à l’écart de tout ce vacarme et se concentrersur ses recherches, ce qui est bien plus gratifiant,avec ce petit air de «vivons heureux, vivons caché»?C’est le dilemme de l’astrophysicien qui se demandes’il doit vraiment perdre de précieux moments –qu’il ne consacrera pas à ses recherches – pourcontredire les croyances en astrologie.C’est un calcul dangereux, et de plus en plus descientifiques comprennent cela. Laisser s’installerun débat sur la base de contrevérités défiant touterationalité, laisser une ambiance perdurer quidénigre les résultats scientifiques les plus solidementétablis, voilà qui menace le monde scientifiquelui-même. L’obscurantisme détourne de nombreuxjeunes des filières scientifiques ; de plus, desdécisions politiques importantes, à contresensdes recommandations établies par la communautéscientifique mondiale, se prennent au plus hautniveau, ce qui a des conséquences pour la sociététout entière.Il devient urgent que les scientifiques entrent dansle débat politique, même si c’est difficile. Quelquesfigures scientifiques ont eu le courage de le faire,pensons notamment à l’astrophysicien AndréBrahic qui se moquait, lors de ses passages média-tiques, de l’astrologie et valorisait la démarchescientifique, la recherche, ne cessait de rappelertout ce qu’on leur devait : il avait compris de sonvivant qu’il fallait descendre dans l’arène et l’im-portance politique d’agir en ce sens.La revue Progressistes, prend sa part dans cettedifficile bataille, et continuera d’ouvrir ses pagesà ces femmes et à ces hommes de progrès : vouspouvez compter encore longtemps sur nous ! n

AMAR BELLALRÉDACTEUR EN CHEF DE PROGRESSISTES

Femmes et hommes de science, entrez dans le débat politique !

P

3

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page3

Page 4: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Développer la filière énergétique industrielle est essentiel pour répondre auxbesoins humains, écologiques et sociaux de nos territoires !

APPEL COLLECTIFEn annonçant 1044 suppressions d’emplois sur le territoire deBelfort, soit plus de la moitié des effectifs dédiés à la filière desturbines pour centrales à gaz, avec les effets induits sur la cinquantainede sous-traitants, General Electric porte un coup terrible à la filièreénergétique et industrielle française, ceci après des centaines desuppressions d’emploi à GE Renouvelables (GE Hydroelectricpower).D’un trait de plume est rayé de la carte le plus gros centre deproduction mondial de turbines à gaz, des savoir-faire technologiqueset des compétences humaines accumulés depuis des décennies,qui ont conduit à la capacité de réaliser de A à Z des turbines auxpuissances variées.

LA DÉCISION DE GE EST ANTIÉCOLOGIQUE ET ANTIÉCONOMIQUELa turbine à gaz est décisive pour la transition écologique en tantqu’alternative au charbon, et au lignite dans les pays qui l’utilisentmassivement, car elle produit deux fois moins de CO2 et aucuneparticule fine. Son pilotage flexible en fait une des technologiesincontournables pour compenser l’intermittence des énergiesrenouvelables, tant que des solutions de stockage viable ne sontpas trouvées. Elle peut aussi avoir sa place dans un avenir énergétiquedécarboné (biométhane, hydrogène). Loin d’être en fin de cyclede vie, le produit devrait connaître au contraire un bond de sademande mondiale.

UNE LOGIQUE DE RENTABILITÉ FINANCIÉRE A TOUT PRIXUn fonds de pension prédateur (Trian Fund Management) a prisle contrôle de GE en 2017, après la vente d’Alstom Énergie à GE,qui s’est soldée par un désengagement de l’État français, jusqu’àla vente par Alstom de ses parts dans les co-entreprises de l’énergieau bénéfice juteux d’actionnaires d’Alstom, comme Bouygues. Legroupe GE, qui a distribué 117,2 milliards de dollars en dividendeset rachats d’actions en dix ans, mène une stratégie financièreglobale boursière se traduisant par des cessions et restructurationsconsidérables d’actifs industriels pour faire uniquement de l’argentailleurs et autrement.Après la vente d’Alstom Énergie à GE, tous les brevets mis au pointà Belfort ont été transférés sans contrôle dans une filiale de droitSuisse, ainsi que les fonctions stratégiques (gestion de projets,services commerciaux), et donnent lieu au paiement de royaltieset redevances diverses par le site. Cela s’apparente à un véritable

hold-up sur les technologies mises au point par les travailleurs ettravailleuses de nos territoires, avec l’appui de nos services publics,et fonctionne comme une pompe aspirante de la valeur créée surle territoire, en même temps que comme un moyen d’échapperà l’impôt en France.À cela s’ajoute une stratégie de délocalisation d’activités deproduction vers les États-Unis, conformement à l’objectif politiquede Donald Trump : « America first ». C’est une véritable guerreéconomique qui se livre, où la France et l’Europe sont un champouvert à tous vents et se retrouvent prises en étau entre les États-Unis et les pays asiatiques du moment qu’il n’y a pas de véritablestratégie et politique industrielle en la matière.Dans cette situation de perte de contrôle sur une industrie essentielleà la transition écologique, la responsabilité de l’État est majeure.

L’INDUSTRIE ET LES COOPÉRATIONS NATIONALES SABORDÉESLes doutes sur les choix de restructurations industrielles opérésdepuis une vingtaine d’années sont tels que deux commissionsd’enquête parlementaire ont été constituées, à l’Assemblée nationaleet au Sénat. Leurs conclusions sont sans appel : « l’État a failli àpréserver les intérêts nationaux », déclare Olivier Marleix, présidentde la commission d’enquête de l’Assemblée nationale.Cette affaire a même pris récemment un tour judiciaire, avecun signalement adressé au procureur d’un possible « pacte decorruption ».

General Electric : Stop au démantèlement !

n XXX

4

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

Nous publions cet appel signé par de nombreux acteurs du monde du travail et des citoyens inquiets de la désindustrialisationde notre pays et déplorant une absence de stratégie nationale dans un secteur pourtant nécessaire à la transition énergétiqueet à l’emploi.

Manifestation à Belfort contre le plan de General Electric, 22 juin 2019.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page4

Page 5: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Les opérations successives de ventes à la découpe et de désengagementde la part de l’État ont été réalisées sous la pression d’intérêtsfinanciers puissants, sans vision industrielle et sans souci de l’in-dépendance nationale. La nomination comme directeur de GEFrance d’un ancien conseiller du président Macron n’est pas denature à rassurer sur les liens actuels entre le pouvoir politiqueet le pouvoir économique.

CE QUE NOUS SOUTENONSUne politique énergétique cohérente et efficace suppose aucontraire que les projets industriels soient au niveau des prévisionsconcernant la transition écologique et qu’ils s’appuient sur ledéveloppement de l’emploi, des compétences, d’un outil industriel,sur une relation intime, et non prédatrice, avec la recherche et lesservices, et sur des coopérations avec les entreprises privées etpubliques.L’enjeu immédiat est donc la préservation et le développementde la filière des turbines à gaz. C’est l’intérêt vital pour l’avenir duterritoire, de ses salariés, de sa jeunesse, de ses habitants, de sesPME sous-traitantes. C’est l’intérêt du pays tout entier d’insérerson industrie dans une transition écologique réussie, en faisanten sorte que l’efficacité sociale et économique l’emporte sur leprofit égoïste.Nous récusons les fausses solutions de la diversification qui sontavancées, parce qu’elles s’inscrivent dans un temps bien trop long.Ces pistes, quel que soit leur intérêt à moyen et long terme, nepermettent pas de préserver les compétences humaines et l’outilindustriel, dont la disparition serait irréversible.

NOUS DEMANDONS1.Un moratoire immédiat sur le plan de suppression des emploiset l’ouverture d’un véritable débatpublic et social, avec toutes lesparties prenantes, mettant toutes les informations sur la table.2. Un plan de développement industriel ambitieux de la filière,incluant R&D, formation, préservation des emplois et investissements,coopérations industrielles à l’échelle nationale et européenne,s’appuyant sur l’atout humain exceptionnel de Belfort, et la mobi-lisation de moyens financiers bancaires.3. La dénonciation de l’accord de cession d’Alstom à GE denovembre 2014, que GE n’a pas respecté non seulement sur lacréation des 1000 emplois, mais aussi sur l’avenir du site de Belfort,qui devait assurer pendant dix ans les fonctions d’un centre mondialde décision, ce qui implique notamment :– le retour en France de la propriété intellectuelle des brevets mis aupoint en France et la transparence sur les royalties et droits versés;

– l’annulation de la vente des parts d’Alstom dans les co-entreprisesénergie détenues avec GE, puisque la « fusion » Alstom-Siemensne s’est pas faite, et, pour la même raison, l’annulation du versementdu dividende exceptionnel de 900 millions d’euros, toujours prévupour juillet.4.La création d’un comité de suivi démocratique, doté d’un pouvoireffectif de contrôle des engagements, incluant les représentantssyndicaux, les élus locaux, et les représentants des partis politiquesayant participé aux commissions d’enquête parlementaires. C’està ce comité, et non à GE, qu’il revient de décider de l’affectationdes 50 millions d’euros d’amende pour non-respect de la promessede création d’emplois.

DES SOLUTIONS EXISTENT, LE GOUVERNEMENT A DES LEVIERS POUR AGIRLa responsabilité de l’État dans la situation actuelle est évidente,sa responsabilité pour en sortir par le haut également. Si ce dossierpose à terme la question de la maîtrise publique sur nos secteurséconomiques stratégiques, dans l’immédiat l’État doit intervenirau lieu d’accompagner les décisions de GE, et il n’est pas sansmoyens d’actions pour le faire.GE vit en grande partie des commandes publiques, non seulementpour l’énergie, mais aussi pour les équipements des hôpitaux, lesservices aux collectivités locales. L’entreprise a perçu du CICE, duCIR (crédit d’impôts recherche) alors même que le groupe necesse de délocaliser des activités, y compris l’ingénierie. Les intérêtsde GE en France, avec 17000 salariés employés au total, sontimportants. Il existe donc, avec de la volonté politique, des moyensde pression économiques.Les possibilités juridiques effectives existent de dénoncer le contratde 2014, que GE n’a pas respecté, pour que la puissance publiquereprenne la main sur les orientations stratégiques du secteur de l’énergie.Il est temps de mettre un coup d’arrêt à des décisions qui nousemmènent un peu plus vers le point de non-retour des technologieset capacités industrielles fondamentales de notre pays. Pourretrouver la voie d’une véritable politique industrielle et de servicesau service des besoins sociaux et écologiques de notre pays, et denos territoires, nous voulons contribuer à imposer d’autres choixque ceux d’une industrie soumise aux exigences de la finance.Notre argent et celui de nos banques doit servir à autre chose.

Pour signer cette cet appel, écrire à [email protected](indiquer prénom, nom, fonction ou qualité) ou aller sur ce lien :https://framaforms.org/generalelectric-1560508350

5

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

Départ d’une turbine de General Electric pour le Pakistan, Belfort, 6 septembre 2016.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page5

Page 6: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

COMMANDEZ LES ANCIENS NUMÉROS DE PROGRESSISTES

No 21 CHINE, PRÉSENT ET FUTURSCe dossier soumet à la réflexion lesévolutions récentes des forces productiveschinoises pour comprendre la voie spécifiquesur laquelle s’est engagé le géant asiatique. Retrouvez aussi les autres rubriques avec,entre autres, un entretien avec l’astro -physicien Roland Lehoucq, un texte surla cobotique, la robotique collaborative etune contribution traitant des spéculationssur les denrées alimentaires par GérardLe Puill.

N° 20 LE NUCLÉAIREÀ L’INTERNATIONALUn dossier qui dresse un panorama dunucléaire civil dans le monde, des avancéesde la recherche et des coopérations inter-nationales existantes. On trouvera aussi un appel à distinguer le vrai du faux dansles médias par Sylvestre Huet. Retrouvezaussi les autres rubriques avec, entre autres,un entretien avec Jacques Treiner sur l’intérêtde mettre la science à la portée de tous, untexte sur la sécurité au travail et une contributionsur l’eau Cristaline.

No 22 LES FORMES DE L’EAUDu delta du Mékong au robinet, en passantpar la tempête Xynthia, c’est de la gestiondu bien commun, l’eau et des défis qui ysont associés qu’il s’agit. On trouvera dansles autres rubriques une alerte rouge surle nucléaire civil, un retour sur la machinede Turing, une réflexion sur la santé autravail et AZF dix-sept ans après ainsi qu’uneanalyse du programme Négawatt et seshypothèses. Et bien sûr la rubrique «Livres»et un portrait de France Bloch-Sérazin, pourles sciences et techniques au féminin.

No 23 INTELLIGENCE ARTIFICIELLEProgressistes décortique les enjeux de l’in-telligence artificielle. Si les ordinateurspeuvent aujourd’hui réaliser de plus en plusde tâches complexes jusqu’ici réservéesau cerveau humain, la cyber-révolutionnumérique révèle son potentiel, qui peuts’avérer aliénant ou émancipateur. À lireaussi, une réflexion marxiste sur la gestiondes entreprises par Tibor Sarcey, les enjeuxactuels de l’industrie spatiale et de larecherche technique en cours par l’ingénieurUmut Guven, ainsi qu’une contribution surles liens entre paysages et luttes des classes.

N°19 BITCOIN, BLOCKCHAIN, TRADINGHAUTE FRÉQUENCE OUVA LA FINANCE?Un dossier inédit sur la finance et les tech-nologies numériques. Avec une contributionnotable de Nicole El Karoui, spécialiste enmathématiques financières. Retrouvezaussi les autres rubriques avec entre autresun texte sur la fameuse équation E=mc2,l’aménagement du territoire et le travail àdomicile. Enfin, nous rappelons l’engagementde Martha Desmureaux, ouvrière, avecune pétition demandant son entrée auPanthéon.

N°18 SCIENCES ET TECHNIQUES,DES RÉPONSES PROGRESSISTESLes réponses du PCF sur les grands sujetsscientifiques et techniques : santé, énergie,écologie, recherche, OGM, climat, numé-rique… Nous abordons aussi la précaritéénergétique avec une contribution de MinhHa-Duong, membre du GIEC. À noter un articlede Serge Abiteboul sur la sous-traitance parla DGSE de nos données à une entrepriseétats-unienne, un texte sur la souffrance desfemmes au travail de Karen Messing ainsiqu’une contribution de Gérard Le Puill sur leglyphosate.

N°17 BIODIVERSITÉLa biodiversité est aujourd’hui appropriéeet mise en péril au nom de logiques éco-nomiques et financières. Quelles politiquesmener pour la préserver ? C’est le thèmedu dossier. Nous faisons aussi le pointsur l’économie du pétrole avec les contri-butions de Pierre-René Bauquis et DenisBabusiaux. À lire aussi, les rapports entrehumains et animaux au travail par JocelynePorcher, Sylvestre Huet sur les énergiesrenouvelables, et un texte de Gilles Cohen-Tanoudji sur le CERN.

N°15 PÉTROLE, JUSQU’À QUAND?Grand oublié des débats sur l’énergie.Ce numéro revient sur les enjeux écono-miques, écologiques et géopolitiquesactuels et à venir autour de l’extractiondu pétrole. À lire aussi, « La science éco-nomique est-elle expérimentale ? » parAlain Tournebise, « D’autres choix politiquespour retrouver un haut niveau de sécuritéferroviaire » par Daniel Sanchis, ou encore« Loi “travail” : quand le Web rencontrela rue » par Sophie Binet.

CONTACTEZ-NOUS AU 07 88 17 63 93 ou [email protected] € les 3 numéros (+ frais de port) • 40 € les 10 numéros (+frais de port)

6

Tous les numéros sont téléchargeables gratuitement surLe blog ! : revue-progressistes.org et sur revueprogressistes

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page6

Page 7: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Nom & prénom .....................................................................................................................................................................................................

Adresse ................................................................................................................................................................................................................

Code postal .......................................................... Ville ......................................................................................................................................

Adresse électronique .......................................................................................................... Mobile(*) ...............................................................

(*) informations utilisées uniquement dans le cadre de l’abonnement

BULLETIN D’ABONNEMENT ANNUELo Je règle par chèque bancaire ou postal (France uniquement) à l’ordre de «association Paul Langevin»o Standard : 25 € o Chômeurs/étudiants : 20 € o Souscription : 35 € o Étranger : 36 €

Bulletin à retourner à : ASSOCIATION PAUL LANGEVIN - 6, AVENUE MATHURIN-MOREAU 75167 PARIS CEDEX 19Tél. : 07 88 17 63 93 ou 01 40 40 13 41• Mail : [email protected]

[ À ENVOYER À L’ADRESSE CI-DESSUS ]

RÈGLEMENT PAR CHÈQUE BANCAIRE OU POSTAL (À L’ORDRE DE ASSOCIATION PAUL LANGEVIN. REMPLIR BULLETIN CI-DESSOUS).

RÈGLEMENT PAR PRÉLÈVEMENT AUTOMATIQUE (REMPLIR FORMULAIRE CI-DESSOUS).

Durée 1 an / 4 numéros

Date : ................................................. Signature :

NOM, PRÉNOM ET ADRESSE DU DÉBITEUR

nom : .......................................................................................................................................................................................Prénom : ..................................................................................................................................................................................adresse : .................................................................................................................................................................................cP : ......................................... Ville : ............................................................................... Pays : ..........................................

DÉSIGNATION DU COMPTE À DÉBITER

Bic-code internationald´identification de votre banque

iBan-numéro d´identification international du compte bancaire

récurrent/répétitif

créancier : aSSOciaTiOn PaUL LanGeVin - icS : Fr23ZZZ530622 - 6, avenue Mathurin-Moreau, 75167 Paris cedex 19

Bulletin à retourner à : ASSOCIATION PAUL LANGEVIN - 6, AVENUE MATHURIN-MOREAU 75167 PARIS CEDEX 19

Fait à : .......................................... Le : ............................ Signature :

TYPE DE PAIEMENT

BULLETIN D’ABONNEMENT PAR PRÉLÈVEMENT AUTOMATIQUE (2 fois/an)

MANDAT DE PRÉLÈVEMENT SEPA ASSOCIATION PAUL-LANGEVINRéférence unique du mandat (réservé à l’administration)

en signant ce formulaire vous autorisez l’aSSOciaTiOn PaUL LanGeVin à envoyer des instructions à votre banque pour débiter votrecompte, et votre banque à débiter votre compte conformément aux instructions de l’aSSOciaTiOn PaUL LanGeVin. Vous bénéficiezdu droit d´être remboursé par votre banque selon les conditions décrites dans la convention que vous avez passée avec elle. Une demandede remboursement doit être présentée dans les 8 semaines suivant la date de débit de votre compte pour un prélèvement autorisé.

Vous pouvez à tout moment vous désabonner en appelant au 07 88 17 63 93

JOINDRE UN RIB

o Standard : 25 € o Chômeurs/étudiants : 20 € o Souscription : 35 €

BULLETINS D’ABONNEMENTS À

Les informations contenues dans le présent mandat, qui doit être complété, sont destinées à n´être utilisées par le créancier que pour la gestion de sarelation avec son client. elles pourront donner lieu à l´exercice, par ce dernier, de ses droits d´oppositions, d´accès et de rectification tels que prévus auxarticles 38 et suivants de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l´informatique, aux fichiers et aux libertés.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page7

Page 8: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Le Palais de la découverte est un centre de sciences parisien deréférence créé en 1937. Il est implanté au sein du Grand Palais,qui va subir une rénovation globale prévue de septembre 2020 à2024. Excellente nouvelle ! Ce bâtiment ancien va enfin être rénové.Toutefois, les conditions de cette rénovation nous semblent pourle moins inquiétantes.Perte de contenu lors de la fermeture. Plutôt qu’une rénovationprogressive, le Palais sera fermé pendant au moins quatre ans,complètement vidé, et une grande partie de ses contenus ne serapas conservée.Perte d’espaces et de diversité.Les travaux du Grand Palais permettentde créer de nouveaux espaces pour le public : des boutiques, desespaces de circulation ou privatisables seront créés. Par ailleurs,tous les occupants du bâtiment gagneront en surface…, sauf lePalais de la découverte, qui en a pourtant déjà perdu régulièrementces dernières décennies.De plus, un changement d’affectation des espaces alloués au Palaisde la découverte transforme de nombreux espaces de médiationou d’expositions en espaces de circulation. Aussi, dans le projetactuel, il est prévu pour 2024 deux fois moins de salles d’exposésqu’il n’y en a aujourd’hui ! La diversité de l’offre et son attractivitésont clairement menacées ! Dans ces conditions, il ne sera pluspossible de traiter l’ensemble des fondamentaux des différentesdisciplines scientifiques autrement que de façon incomplète et superficielle.Diminution du nombre de personnels sur place. Les espacestertiaires vont, eux, diminuer de façon drastique : il n’est prévuque 80 postes de travail à la réouverture, contre 160 actuellementsur le site du Palais (et plus de 220 il y a dix ans). Disparaissentnotamment le centre de documentation et les ateliers de dévelop-pement et de fabrication (menuiserie, plasturgie, mécanique…).

Or ces moyens techniques sont à l’origine de la richesse et del’originalité de l’offre du Palais, en permettant des échangesétroits entre médiateurs et techniciens, et une plus granderéactivité pour la maintenance des expositions. Le déménagementd’une grande partie des personnels à la Cité des sciences et del’industrie entraverait gravement le fonctionnement du Palaisde la découverte et lui ferait perdre le peu d’autonomie qu’il agardé depuis la fusion des deux établissements en 2010.Sans conditions de travail acceptables, sans espaces suffisantspour présenter la diversité de la science au public, le Palais dela découverte de 2024 n’aura en commun avec le Palais de ladécouverte actuel que le nom.Pour maintenir et même développer sa mission de vulgarisationet de création des vocations dans les sciences fondamentales,nous demandons que le projet soit revu et corrigé, en allouantplus d’espaces et de moyens humains et techniques sur place,dans l’intérêt du public et de la culture scientifique !

Parmi les signataires (dans l'ordre chronologique de la signature) :Sébastien Balibar, Gilles Dowek, Gilles Cohen-Tannoudji, Brigitte Zana,Pierre Arnoux, Régis Goiffon, Robert Ferréol, André Deledicq, RogerMansuy, Hélène Gispert, Jean-Paul Allouche, Jean-Pierre Luminet, SylvainGravier, Marion Pastori-Gravier, Marc Rogalski, François Parreau, AvivaSzpirglas, Bernard Teissier, Joseph Oesterlé, Edouard Thomas, RolandLehoucq, Jean-Philippe Uzan, Guy Simonin, Dominique Souder, MartineBühler, Aline Parreau, Christian Mauduit, Denise Grenier, Jack Guichard,Denis Tanguay, Claude Parreau, Thomas Hervé, Ivan Lavallée, EvaristeSanchez-Palencia, Pierre Audin.

Alerte sur l’avenir du Palais de la découverte !Nous publions cette pétition que nous soutenons sans réserve, le Palais de la découverte étant un de ces lieux qui fait progresser la culture scientifique en France.

Pour signer cette pétition :https://www.petitions24.net/avenir_du_palais_de_la_decouverte

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

8

PÉTITION DE LA COORDINATION DES PERSONNELS DU PALAIS DE LA DÉCOUVERTE

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page8

Page 9: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

REPAS DE SOUTIEN À LA REVUE PROGRESSISTES

Jeudi 12 septembre 2019 à 19 heuresFête de l'Humanité H Stand de la Gironde

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

Menu 20 €

* * * * * * * * * * * * * * *ENTRÉE DU BASSIN D’ARCACHONHuîtres et verre de vin blanc ou entrée sans fruits de mer

* * * * * * * * * * * * * * *PLAT BORDELAIS (au choix)

Tournedos et cèpes de la Lande girondineLamproie à la bordelaise

Entrecôte bordelaise (suppl. 5 €)Accompagnement : fagot de haricot verts

et pommes de terreVerre de vin de rouge en accompagnement

* * * * * * * * * * * * * * *DESSERT (au choix)

Assiette de fromage de paysCannelé bordelais sur crème anglaise

Café

Comme chaque année, la revue organise un rendez-vous qui réunitscientifiques, intellectuels, syndicalistes, dirigeants politiques, travailleursdans différents secteurs, militants et, surtout, lecteurs de la revue. C’estl’occasion d'échanger des idées, vivre un beau moment de convivialitéet de célébrer ensemble l’union du monde du travail et des sciencespour le progrès.

Cette manifestation dans le cadre de la plus grande et belle fête populairede l’Hexagone est désormais incontournable !Le menu, délicieux, est concocté par des militants de la Fédération dela Gironde, dont la qualité de la cuisine est bien connue!Alors, dès maintenant réservez cette soirée dans votre agenda!

Pour des questions d’organisation, merci de vous inscrire à l’adresse [email protected]

9

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page9

Page 10: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

L’INDUSTRIE DU FUTUR

10

Progres AVRIL-MAI-JUIN 2019

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page10

Page 11: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

PAR IVAN LAVALLÉE*,

e 28 mai 1936 à Princeton, Alan Turing présente un conceptmathématique entièrement nouveau, une rupture concep-tuelle dans la façon d’énoncer et de résoudre un problème,

de définir et de faire un calcul. C’est la machine de Turing1 (désormaisdésignée par l’abréviation MT), une machine théorique. Elle vadonner naissance à la révolution numérique2 portée par le conceptd’algorithme.En 1948, Norbert Wiener énonce un nouveau principe scientifique.C’est la cybernétique, ou science du contrôle des systèmes, quidonne pleine ampleur aux concepts d’informationet de rétroaction,et son sens moderne à celui de message.Les concepts scientifiques qui allaient transformer la façon decalculer, produire et communiquer étaient nés et allaient frayerleur chemin dans le système de production et d’échanges, nonsans générer quelques contradictions.Ce n’est que vers la fin des années 1970 que cybernétique etmachine de Turing vont se rencontrer et former un couple desplus féconds, qui va générer le nouveau système technique.Dans une première phase, jusque dans les années 1970 où vas’opérer le basculement, la cybernétique s’appuie sur l’électroniqueanalogique, il y a alors toujours séparation nette entre d’un côtécybernétique et automatique et télécommunication, et de l’autreinformatique3. Dès lors que les processeurs numériques (i.e. desMT) deviennent le cœur des systèmes cybernétiques, assurant lagestion des systèmes par la rétroaction, la gestion de l’informationpar l’intermédiaire de messages numérisés circulant sur des

réseaux, le changement devient qualitatif, d’autant plus qu’ap-paraissent alors les microprocesseurs. Ajoutons à cela la montéeen puissance des capacités de stockage et de calcul des ordinateursainsi que la miniaturisation et, concomitamment, la généralisationdes réseaux. La façon de produire s’en trouve profondémentmodifiée, mais la façon de consommer et de communiquer entreindividus (téléphones portables) s’en trouve aussi bouleversée.C’est toute l’organisation de la société, les rapports sociétaux quisont impactés.Ce dossier, coordonné par Simon Descargues, vous proposed’explorer les bouleversements et les enjeux liés aux transformationsprofondes de notre appareil industriel, que l’on recouvre sous levocable « industrie du futur ». n

1. Voir Progressistes, no 22 .2. Voir Progressistes, no 23 .3. À tel point que les constructeurs étaient considérés comme spécialisés. Bull, par exemple, produisait la ligne d’ordinateurs DPS 7 destinés à la gestion,et Télémécanique les machines de la gamme Solar (après T-1600) pour les automatismes industriels. En fait, on s’aperçoit très vite que seul change le système d’exploitation, c’est-à-dire le logiciel. Le matériel est le même,fondamentalement une machine de Turing. J’ai personnellement écrit un systèmed’exploitation complet sur Solar 16-40 pour le transformer en machine de gestion en 1977.

AUX ORIGINES DES BOULEVERSEMENTS INDUSTRIELS : LA CYBER-RÉVOLUTION

L

11

IVAN LAVALLÉE est directeur de la rédaction de Progressistes.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page11

Page 12: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

PAR SIMON DESCARGUES*,

CHAÎNE DE VALEUR ET ESSOR DESTECHNOLOGIES DU NUMÉRIQUELes deux dernières décennies sontmarquées par l’émergence et la dif-fusion massive de nouvelles techno-logies et de nouvelles machines. Ilen va ainsi, par exemple, de la mul-tiplication des robots, dont le nombredevrait passer de 1,035 milliard en2008 à 3,053 milliards à l’horizon2020 selon la Fédération internationalede robotique. Ces évolutions ne sontpas sans conséquence sur l’évolutiondes chaînes de valeurdes entreprises. Pour Michael Porter1, créateur duconcept, une chaîne de valeurregroupe l’ensemble des étapes déter-minantes pour une entreprise afinde créer de la valeur dans un domained’activité stratégique. La valeurdoitêtre ici entendue comme valeur per-çue par le client, c’est-à-dire la sommequ’il est prêt à dépenser pour un bienou service2.Dans une logique concurrentielle,une entreprise a besoin de construiredes avantages durables pour se dis-tinguer des autres entreprises pré-sentes dans le même domaine d’ac-tivité. La construction et l’analyse

de la chaîne de valeur permet à uneentreprise de trouver les moyens dese différentier d’une autre entreprisevis-à-vis d’un client, que celui-ci soitune autre entreprise (b to b) ou unconsommateur (b to c). Par exemple,si les produits de deux entreprisespeuvent être quasi identiques, l’unepeut se distinguer de l’autre par unmeilleur service de livraison ou encoreun meilleur service marketing.De nombreux changements sontintervenus sur les chaînes de valeurau cours de ces dernières années.Bien souvent, ceux-ci ont été accom-pagnés de nouvelles technologiesnumériques ou se sont appuyés surde nouveaux environnements etopportunités crées par elles.Il en va ainsi, par exemple, de l’or-ganisation des fonctions supportsdes grands groupes. Le développe-ment de l’informatique et des ERP3

a ainsi facilité la centralisation et lagestion à distance d’une grande partiede ces fonctions. Alors que les filialesdisposaient de fonctions supportssur site (comptabilité, ressourceshumaines, services achats, servicesclients, etc.), le développement et lafiabilité des systèmes informatiquesont permis de réaliser des économies

L’INDUSTRIE DU FUTUR : VERS UNE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE?Usine du futur, industrie du futur, chaîne de valeur, quatrième révolution industrielle, cyber-révolution : autant determes qui traduisent un renouveau dans le système de production et de consommation rendu possible par lesnouvelles technologies… La situation ne manque pas de poser de nouveaux problèmes, donc de nouveaux défis.

12

UNE MOSAÏQUE TECHNOLOGIQUE

Big data et analytics. La présence de capteurs sur les machineset les produits permet de collecter d’importantes sommes dedonnées. Avec les bons outils de traitement et d’analyse, cesdonnées permettent d’optimiser la chaîne de production enidentifiant de manière très fine les problèmes qui surviennent ;elles permettent d’également d’accroître la connaissance surles habitudes et préférences des consommateurs.Robotisation. On sait aujourd’hui créer des robots travaillant defaçon autonome, plus flexibles et en plus grande coopérationavec les opérateurs.Simulation. La simulation 3D de produits, matériaux ou procédéss’étend à l’ensemble de la chaîne de production ; l’acquisitionde données réelles permet de l’affiner.Systèmes d’information horizontaux et verticaux. Les systèmesd’information doivent faciliter l’intégration et la communicationintra- et interentreprises. Ils aident à l’automatisation des chaînesd’approvisionnement, de production et de distribution, mais aussià la création de liens plus étroits entre les différents départementsdes entreprises afin de répondre au mieux à leur demande.L’Internet industriel des objets. Grâce aux capteurs sur lesmachines et les objets en cours de fabrication, les machinespeuvent connaître l’historique de production de l’objet ainsi quela demande finale correspondante en vue d’y répondre de manièreautomatisée ou via un poste de contrôle central. On peut aussi,grâce à l’Internet des objets, collecter des données pendantl’utilisation du produit afin d’apprendre quelles fonctionnalitéssont utilisées et découvrir les modes de défaillances.Cybersécurité. La diffusion du numérique et l’augmentation descommunications qui l’accompagne font de la cybersécurité unenjeu majeur pour les entreprises industrielles. De nombreuxfournisseurs de matériel 4.0 ready se sont ainsi rapprochés despécialistes de la cybersécurité afin de proposer des offresintégrant cet aspect.Cloud. Le cloud est déjà répandu pour la gestion de logiciels etde données. La plus grande interconnexion des sites de productionet des départements au sein de l’entreprise requiert un partagede grandes quantités de données, rendue plus facile grâce aucloud.Fabrication additive. Cette technologie suscite de nombreuxespoirs. Au-delà de la production de prototypes, la fabricationadditive permet déjà la production en petites séries de piècescomplexes, de pièces de rechange, et même d’outils personnalisés.La vitesse et la précision de l’impression devraient augmenteret permettre la production à plus grande échelle.Réalité augmentée. Une utilisation possible vise à fournir àl’opérateur de maintenance des informations sur les techniquesde réparation d’une pièce, par exemple via le port de lunettesde réalité augmentée. Cette technologie peut également êtreutilisée pour faire de la formation, ou rendre des étapes deconception moins abstraites afin d’y associer plus de partiesprenantes.

Source : The Boston Consulting Group, « Industry 4.0. The Future ofProductivity and Growth in Manufacturing Industries », avril 2015 (traduction :La Fabrique de l’industrie).

LA CHAÎNE DE VALEUR

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page12

Page 13: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

d’échelle en externalisant dans desfiliales étrangères ou des entreprisessous-traitantes des services aupara-vant internalisées dans les filiales.Les années à venir semblent orientéesvers la propagation d’une mosaïquede technologies numériques touchantl’ensemble du système de production.Dans ce contexte, la notion d’industrie

du futurmet en débat les modifica-tions importantes, voire radicales,qui pourraient en résulter.

L’ÉMERGENCE DES SYSTÈMESCYBER-PHYSIQUES DE PRODUCTIONL’ensemble de technologies émer-gentes peut donner l’image d’uneforte hétérogénéité. Disparates aupremier abord, ces éléments conver-gent, s’articulent et s’intègrent deplus en plus entre eux. L’on doit à laNational Science Foundation la défi-nition de cette évolution au traversde la notion de systèmes cyber-physiques (SCP), laquelle désigne lapossibilité pour un réseau demachines de gérer de manière auto-nome des informations issues del’environnement physique les concer-nant. L’autonomie s’entend ici commela capacité de ces machines à échangerentre elles et avec d’autres appareilsleurs informations. Les SCP sont ainsien capacité d’enregistrer, de traceret de transmettre des données phy-siques qu’elles convertissent envaleurs numériques.

Dans le sillage du développementdes SCP, l’émergence des systèmescyber-physiques de production (SCPP)annonce une poursuite des évolutionsque connaissent les chaînes de valeurdes entreprises. Les SCPP « consistenten des entite� s et sous-systèmes auto-nomes et coopérants, connectés autravers d’une relation contextualisée,au sein et au travers de tous les niveaux

de la production, du process auxre� seaux logistiques »4. Il s’agit doncde la combinaison de différents sys-tèmes cyber-physiques. Cette conver-sion permet également des échangesd’information avec d’autres entre-prises. Par exemple, une chaîne d’em-bouteillage pourrait être en capacitéd’envoyer des informations sur leniveau de stock de matière premièredisponible et ainsi déclencher unedemande d’approvisionnement. Enparallèle, elle pourrait avertir les ser-vices de livraisons d’un possible retarddû à des pannes tout en analysant

les raisons de celle-ci de manièrequ’elles ne se reproduisent plus. Cepossible nécessite au préalable queles filiales, les entreprises sous-trai-tantes, les fournisseurs et les clientspuissent communiquer dans un envi-ronnement informatique partagé,voire commun5.Le développement des SCP et SCPPpose la problématique de la placedes travailleurs dans ces systèmesde régulation. Si l’usine sans salariérelève pour l’heure plus de la science-fiction que de la réalité, le profil dutravailleur de demain interroge. Laquestion de la formation commecelle des marges de manœuvre pouragir sur ces nouvelles formes de pro-duction sont un enjeu majeur desannées à venir. Cette place du tra-vailleur fait apparaître un enjeumajeur, celui des perspectives laisséesà l’intervention humaine : le SCPpeut limiter l’action humaine à unrôle de supervision du SCP, qui prendla totalité de ses décisions sans l’in-tervention ou, à l’inverse, réduire leSCP à un rôle d’informateur, laissantles travailleurs prendre la totalité desdécisions.

DE L’USINE À L’INDUSTRIE DU FUTURC’est dans ce contexte d’émergencede nouveaux systèmes sociaux tech-niques que sont apparues les notionsd’usine intelligente ou d’usine dufutur. La Fédération française desindustries mécaniques définit l’usinedu futur comme « une réponse à plu-sieurs transitions simultanées : éner-

13

Si l’usine sans salarié relève pour l’heure plus de la science-fiction que de la réalité, le profil du travailleur de demain interroge. La question de la formation comme celle des marges de manœuvre pour agir sur ces nouvellesformes de production sont un enjeu majeurdes années à venir.

“ “

LES NIVEAUX DE CYBERNÉTISATION

Pour l’heure, on distingue plusieursniveaux de cybernétisation de cesréseaux de machines que le chercheurOlivier Cardin* distingue de la manièresuivante :Connexion : le SCP opere sur un réseauPlug&Play et utilise des donnéesenvoyées par un réseau de capteurs.Conversion : le SCP traite l’informationet la retranscrit en informations de plushaut niveau.Cyber : le SCP a une connaissance desautres SCP de l’environnement et peutinteragir avec eux pour enrichir son propretraitement de l’’information.Cognition : le SCP est capable d’établirun diagnostic sur la base des simulationsde son propre comportement et uneanalyse différentielle des données recueil-lies par des capteurs.Configuration : le SCP peut s’adapterseul en cas de défaillance, se reconfigurerou ajuster de manière autonome sesparamètres afin de revenir a un com-portement nominal.

* Olivier Cardin, «Contribution à laconception, l’évaluation et l’implémentationde systèmes de production cyber-physiques».

Par systèmes cyber-physiques (SCP) on entend la possibilité pour un réseau de machines de gérer de manière autonome des informations issues de l’environnement physique les concernant.

s

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page13

Page 14: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

14

gétiques, écologiques, numérique,organisationnelle et sociétale. Chacunede ces transitons fait appel à de nom-breuses nouvelles technologies oumodes d’organisations arrivant àmaturité en cours de développementou à concevoir »6.Néanmoins, il est rapidement apparuque limiter l’analyse des évolutionsen cours aux frontières de l’usine nerendait pas suffisamment comptede l’ampleur de ces changements au

sein des modèles productifs. Allantdans ce sens, le gouvernement alle-mand de la chancelière Angela Merkeldonnait officiellement, dès 2011, lecoup d’envoi à une initiative nationale,rassemblant industriels et laboratoiresde recherche avec le soutien de lapuissance publique. Pour le gouver-nement allemand, il s’agissait de sau-vegarder et d’accroître le leadershipde l’Allemagne en identifiant les prin-cipales tendances internationalesen matière de modes de consomma-tion et en réfléchissant à la possibilitéd’y répondre, et de créer de nouveauxbesoins, via les technologies numé-riques à disposition immédiatementou à moyen terme. La notion d’in-dustrie 4.0 était née, et elle sera repriseen France sous le vocable d’industriedu futur. Ainsi, plus que la questionde l’efficacité productive, c’est biensur le possible développement denouveaux modèles d’affaires que seporte le regard. Si ceux-ci sont dif-férents d’une entreprise à une autre,en fonction de leur taille ou de leursecteur, cette réflexion sur la réor-ganisation des filières de productionincite à parler d’industrie du futurplutôt que d’usine du futur.En plaçant au cœur de la réflexionsur l’industrie du futur la questiondu consommateur, il faut aborderles changements sociétaux induitspar la large diffusion du recours auxnumériques au sein de la société. Laminiaturisation des composants toutcomme la diffusion des connexionssans fils ont accru le recours aux

objets connectés dans notre quotidien(selon les recensements effectuéspar Satista7, on en dénombrait plusde 15 milliards en 2015 et l’on estimequ’il y en aurait quelque 75 milliardsen 2025). Les bouleversements des usages quien résultent sont autant d’opportu-nités pour les industriels de se repo-sitionner dans leur domaine d’activitéen tentant de se différencier de leursconcurrents. L’intégration des capteursremontant des informations sur l’uti-lisation des produits permet d’amé-liorer leur qualité ou leur fonction-nalité. Il favorise en outre la possibilitéd’intégrer les clients à la conceptionde ceux-ci dans le b to bcomme dansle b to c. Au-delà du produit manu-facturé en lui-même, l’apparition dunumérique dans le quotidien permetde construire des offres de servicesassociés à leur vente. Le smartphoneest à ce titre un cas d’école, puisqu’ilreprésente une mine d’offres de ser-vices : maintenance, paramétragepersonnalisé, applications, créationset échanges de données…Au-delà des machines, on vend dessolutions. L’industrie du futur com-porte une dimension servicielleaccrue. On vend les conseils, les para-métrages et les logiciels associés.L’on perçoit alors clairement l’enjeuéconomique qui sous-tend cetteévolution : le suivi et les services

associés permettent de construirede nouvelles manières de se diffé-rentier et de générer des rentes derevenus moins perméables aux fluc-tuations économiques.

UNE QUATRIÈME RÉVOLUTIONINDUSTRIELLE?La notion d’industrie du futur reposeainsi sur la numérisation croissantede la production et la manière dontl’Internet des objets, des donnéeset des services va modifier les pro-cessus de production, la logistiqueet, plus généralement, l’organisationdu travail.En effet, la capacité à récolter et àpartager des données issues de l’en-vironnement permet d’accroître l’ef-ficacité productive et aussi d’êtreéconome en matières premières8.Cela permet, d’une part, de gérer auplus juste des intrants et, d’autre part,d’améliorer l’efficience des chaînesde production, notamment en orga-nisant la maintenance. À cela s’ajoutel’intégration dans la conception deslignes de productions de demandesde plus en plus spécifiques. L’on voitpoindre la possibilité de la person-nalisation accrue de l’offre tout enconservant des coûts unitaires bas.Ainsi, l’enjeu majeur de l’industriedu futur serait celui du passage dela production de masse à celui de lapersonnalisation de masse.

En plaçant au cœur de la réflexion sur l’industrie du futur la question du consommateur, il faut aborder les changements sociétaux induits par la large diffusion du recours aux numériques au sein de la société.

“ “Le salar d’Uyuni, en Bolivie,renfermerait 40% des réservesmondiales de lithium. L’industriedu futur peut être l’expressiond’une concurrence féroce entreles États pour mettre la main sur des ressources rares.

s

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page14

Page 15: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

L’ensemble de ces changementsdépasse largement le cadre technique.L’industrie du futur comporte desdimensions économiques et socialesimportantes. Elle pose la questiondu renouveau industriel, de son tissu,des investissements à faire, et éga-lement la question de l’évolution desformes d’emplois et de la formation.Elle questionne enfin le triptyque« citoyen-producteur-consommateur »dans la mesure où elle rend poreusesles frontières entre ces rôles. Dansla foulée du développement de lanotion d’industrie du futur, de nom-breux industriels et chercheurs n’hé-sitent pas à parler de quatrième révo-lution industrielle : tout comme lamachine à vapeur devenait le symbolede la première révolution industrielle,les SCP seraient celui d’une nouvellerévolution industrielle à l’œuvre.Celle-ci donnerait naissance à unenouvelle configuration dans l’orga-nisation et le pilotage de la productionet de la distribution, structurés autourdes systèmes cyber-physiques deproduction.

« CYBER-DOMINATION » OU « CYBER-REVOLUTION »?Ni réalité ni fantasme, la notion d’in-dustrie du futur revêt avant tout unedimension prospective. Celle-ci senourrit des possibles qui émergentdes convergences technologiques etdes avancées probables de larecherche et développement. Au-delà des gains de productivité etd’une meilleure gestion des coûts,elle exprime aussi l’idée d’un possiblebouleversement des modèles éco-

nomiques. En ce sens, elle revêt unedimension sociétale qui interrogel’évolution des rapports sociaux deproduction.La technologie n’est pas bonne oumauvaise en soi. Elle n’est pour autantpas neutre. Comme à chaque étapede l’histoire du capitalisme, l’évolutiondes modèles productifs s’accompagneet se construit dans des rapports declasse. Il importe en effet de garderen mémoire cette proposition centrale

du matérialisme historique : l’histoireest, en dernière instance, l’histoirede la lutte des classes. L’industrie dufutur est l’occasion de renouveler laréflexion sur la manière dont nousproduisons. Les systèmes cyber-phy-siques de production rendent possiblele contrôle de la quasi-totalité du

processus productif par un petit nom-bre de décideurs. L’industrie du futurpeut être l’expression d’une concur-rence entre les grandes entreprises,ou encore entre les États pleinementengagés dans le développement deleur industrie9 pour mettre la mainsur les ressources matérielles afind’en assurer le développement. Ilpourrait s’ensuivre une amplificationdes agressions impérialistes, des pil-lages et des dégradations de notreenvironnement. Pour les pays occi-

dentaux, comme la France, cettecyber-domination pourrait égalementaccélérer le phénomène de paupé-risation de la population en répar-tissant le travail entre emplois sous-qualifiés et sous-payés, d’une part,et emplois extrêmement qualifiés etaliénants, de l’autre.À l’inverse, cette cyber-dominationpourrait se transformer en cyber-révolution. Elle pourrait être un levierpour mettre en adéquation notremode de production avec les urgencesécologiques auxquelles nous faisonsface10, mais également avec nos aspi-rations les plus progressistes : baissesignificative du temps de travail etorganisation collective de la produc-tion, notamment. Pour cela, rompreavec le fatalisme ambiant11 est unpassage obligé. À l’époque de la mon-tée en puissance des mouvementsaltermondialistes, le slogan « Agirlocal, penser global » faisait florès.Peut-être y a-t-il aujourd’hui uneunité du salariat à construire autourde l’idée suivante : « Face à la criseécologique : gérer nos entreprises,construire notre industrie. » n

*SIMON DESCARGUES est sociologue du travail

1. M. Porter, l’Avantage concurrentiel, Dunod (trad. Philipe Lavergne), 1997.2. Elle ne se confond donc pas avec le concept marxiste de valeur.3. EPR (enterprise resource planning) est un système d’information qui permet de suivre au quotidien l’ensemble des données des services d’une entreprise.4. http://ims2.cran.univ-lorraine.fr/sites/ims2.cran.univ-lorraine.fr/files/inline-files/Olivier_Cardin-les_CPPS.pdf5. Cela pose la question de l’intégration viades systèmes informatiques communs ou du moins partagés et, en corollaire, cellede la gestion de la sécurité de ces systèmes.6. http://industriedufutur.fim.net/wp-content/uploads/2015/11/Guide_pratique_UDF.pdf7. https://fr.statista.com/statistiques/584481/internet-des-objets-nombre-d-appareils-connectes-dans-le-monde--2020/8. Notons également que les donnéescollectées deviennent une forme de matièrepremière dont l’exploitation ouvre de nouvelles perspectives.9. États-Unis d’Amérique, Chine, Corée du Sud et Allemagne notamment.10. Au-delà de la question climatique, c’est l’aune des changements globaux que doit s’évaluer la crise écologique que nous traversons.11. Que la multiplication des scénariosdystopiques illustre bien.

15

L’enjeu majeur de l’industrie du futurserait celui du passage de la production de masse à celui de la personnalisation de masse.“ “

LES RÉVOLUTIONS INDUSTRIELLES

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page15

Page 16: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

16

PAR JEAN-CLAUDE DELAUNAY*,

ai consacré mon existence dechercheur à comprendre, àl’aide du marxisme, ce qu’est

le capitalisme. J’ai étudié ses instru-ments. J’ai cherché à mesurer le tauxd’exploitation des travailleurs enFrance sur près d’un siècle. Au milieude ma vie professionnelle, j’ai cherchéà comprendre ces activités que l’onappelle services et qui étaient alorsen pleine expansion. Mon interventionporte sur les services et leur rapportà l’industrie.Quand on traite des services, on entresur un terrain brûlant pour ce qui atrait au marxisme. Certaines théoriesconsidèrent que les services ne modi-fient pas la théorie de Marx. Ces acti-vités ne seraient que des extensionsde la division du travail et seraientremplacées ou modifiées, grâce auxmachines, comme le sont les biens.D’ailleurs, parfois des biens sont pro-duits à leur place et ces biens (parexemple les disques, les CD) se sub -stituent à elles. Dans un registre différent, le développement des ser-vices serait surtout la manifestationde l’impérialisme et de ses formesfinancières et bureaucratiquescontemporaines.Mais la plupart des théories consi-dèrent que l’apparition massive desservices remettrait en cause le bien-fondé de la théorie de Marx, car ilsrelèveraient de la production imma-térielle. Or le problème que Marxvoulait traiter aurait été celui de lapropriété privée des biens matériels.Notre époque, qui serait celle de l’im-matérialité, anéantirait, pour cetteraison, la problématique révolution-naire de Marx. Selon d’autres théories,le marxisme reposerait sur l’analyse

des relations hommes-machines.L’apparition massive des servicesindiquerait que l’analyse devraitporter désormais sur des relationsde type hommes-hommes. Par consé-quent, le marxisme aurait été uneanalyse de l’économique alors quele monde contemporain serait celuide la politique. Enfin, les servicesproduiraient une sociologie totale-ment différente de celle imaginéepar Marx ; ils témoigneraient del’émergence de nouvelles classes

moyennes, ce qui obligerait à repenserle rôle directeur de la classe ouvrièredans le processus révolutionnaire.Tels sont, à mon avis, les principalesthéories qui, émises à propos desservices, concernent la théorie deMarx.C’est dans cette ambiance que, audébut des années 1980, je me suisengagé dans l’étude des services. Jecrois pouvoir résumer ma réflexiond’ensemble en disant que l’industrieet les services sont deux pôles contra-dictoires de l’économie. Ils sont donc,de ce fait, unis et opposés. Toutefois,le dépassement de la contradictionn’implique pas la disparition de l’in-dustrie des pays capitalistes, comme

cela se produit avec la mondialisationcapitaliste. Il implique simplementsa transformation radicale. De lamême façon qu’à une certaine époquel’agriculture a été transformée pourdevenir une agriculture industrielle,aujourd’hui la société devient unesociété de service et l’industrie prendla forme d’une industrie servicielle.Cette évolution n’en est cependantqu’à ses débuts et suppose, pour êtremenée à terme, le déploiement degrandes luttes sociales.

PREMIÈRE PARTIE

L’INDUSTRIE DEMEURE DOMINANTE AU PLAN MONDIALL’IMPORTANCE DE LA PRODUCTION INDUSTRIELLEJe suis conduit, dans cet exposé, àfaire apparaître deux caractéristiquesdes activités économiques : domi-nantes et déterminantes. Je prétendsqu’aujourd’hui l’industrie est toujoursdominante, mais qu’elle est de moinsen moins déterminante du fonction-nement des économies.

Pourquoi l’industrie est-elle toujours dominante?L’industrie est dominante parce qu’elleproduit les biens matériels dont lespopulations ont besoin pour vivreconformément aux conditions denotre époque. De plus, l’industriefournit les équipements permettantde construire et de renouveler lesinfrastructures de la vie moderne,qu’il s’agisse des voies ferrées pourles trains à grande vitesse ou des ser-veurs, réseaux, fibres optiques, com-posants électroniques que nécessite,

LES LIENS ENTRE SERVICES ET INDUSTRIE : L’APPROCHE MARXISTELe développement des services est intimement lié à celui de l’industrie, bien que cette dernière reste détermi-nante dans l’économie. Se pose aussi la question de la définition de la production immatérielle tout autant quecelle du travail.

J’

L’industrie estdominante parcequ’elle produitles biensmatériels dontles populationsont besoin pour vivreconformémentaux conditionsde notre époque.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page16

Page 17: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

entre autres, Internet. Enfin, l’industrieest le terrain expérimental à grandeéchelle sur lequel s’enracine l’activitéde recherche. Perdre le savoir-faireindustriel réduit la capacité à déve-lopper le savoir-faire scientifique.Cela dit, si l’industrie est importantepour satisfaire les besoins du déve-loppement, elle est de moins en moinsdéterminante de ce développement.

Caractéristiques de l’industrie et développement des servicesPourquoi l’industrie a-t-elle étéaccompagnée d’un fort développe-ment des services?L’industrie que nous connaissonsn’est plus celle du XIXe siècle. Le degréde complexité des forces productivess’est accru ; ensuite, la division dutravail a fait apparaître le besoin deservices collectifs traités à part ; enfin,les conditions générales de fonction-nement des sociétés ont profondé-ment changé. De nouveaux besoinsapparaissent, indépendamment desbesoins industriels.La complexité. Les rapports écono-miques ne sont plus les mêmesaujourd’hui qu’à l’époque de Marx.Leur espace de définition s’est étendu.Ils fonctionnent dans le temps. Ilsnécessitent une organisation ad -ministrative et législative dense etcontinue.L’approfondissement de la divisiondu travail. Elle a fait apparaître lebesoin, en amont de la productionindustrielle ou, à ses côtés, d’activitésreprésentatives des conditions géné-rales de la production (éducation,santé, culture, recherche, adminis-tration, planification, financement,gestion de l’eau, défense). Marx, pre-nant l’exemple des abeilles, a clai-rement observé qu’il n’existe pas deproduction sans conception préalablede la production. Ces activités doivent,aujourd’hui, être développées sys-tématiquement de manière séparéede la production.Les changements intervenus dans lavie courante. Je désigne ici deuxfamilles de phénomènes qui, sansêtre directement liés au développe-ment de l’industrie, sont générateursde services : l’allongement de la viehumaine et l’urbanisation.La liaison entre industrie et servicesest donc aujourd’hui très forte. Celadit, il ne paraît pas possible de confon-

dre services et production industrielle.Les services ont acquis leur indé-pendance. Ce ne sont pas les résultatsunivoques du développement indus-triel ni de simples rejetons de l’im-périalisme, même si certains servicessont hypertrophiés par le capital.

DEUXIÈME PARTIE :

PRODUCTION NONMATÉRIELLE ET TRAVAIL Il est clair qu’existe une corrélationpositive entre production industrielleet services. Mais ces deux sortes d’ac-tivités sont distinctes. Il paraît doncraisonnable de se demander en quoila production industrielle est différentede la production des services.

LA PRODUCTION INDUSTRIELLEOn dit qu’un produit industriel estmatériel dans la mesure où il est lerésultat de la transformation desmatières présentes au début de sonprocès de production. Pour obtenirun produit matériel, il a notammentfallu l’emploi d’une force de travailet d’équipements. Mais ces deux élé-ments sont, au plan concret, explicatifsde sa forme, et non de son contenu.

LA PRODUCTION DES SERVICESUn service, en revanche, est un produitdont le contenu matériel de départn’a aucune importance pour sa défi-nition. Si des matières premières ontété utilisées, le service est indifférentà ce contenu. Par différence avec lesproduits industriels, ce sont les forcesde travail et les équipements ayantpermis de les produire qui les carac-térisent. Sans doute viendra-t-il àl’esprit tel ou tel contre-exemple,mais la réalité est rarement « pure ».

Le travail de la production des servicesIl est important de savoir ce que sontles produits et comment ils évoluent.Et il l’est plus encore de savoir quellessont les caractéristiques du travail

dans ce contexte. Je vais d’abord indi-quer quelles sont, selon moi, les prin-cipales caractéristiques du travail dela production des services. J’évoqueraiensuite certains aspects nouveauxdu travail de production des services.

Les principales caractéristiquesde la production des servicesLe travail des services peut être dé -crit à l’aide de cinq caractéristiquesimportantes.

1.Dimension relationnelle. Tout travail(T), dans le cadre d’un paradigmetechnologique donné et de la divisioncorrespondante du travail, est la com-binaison d’une composante de trans-formation des matières (TR) et d’unecomposante de relation avec les autresagents et usagers du produit (R), soitT = TR × R.Un produit matériel (un bien) peutalors être défini comme un produitdont la composante relationnelle dutravail est égale à 0 ou proche de 0.Leurs producteurs ignorent quels ensont les consommateurs ; leursconsommateurs ignorent celles etceux qui l’ont produit.Un produit non matériel (un service)est, au contraire, un produit dont lacomposante de transformation estnulle. En revanche, sa composanterelationnelle est égale à 1 ou prochede 1. Le travail qui est à son originevise à produire explicitement unerelation : le producteur d’un service

17

De la même façon qu’à une certaineépoque l’agriculture a été transformée pour devenir une agriculture industrielle,aujourd’hui, la société devient une société de service et l’industrie prend la forme d’une industrie servicielle.

“ “L’industrie est le terrain expérimental

à grande échelle sur lequel s’enracinel’activité de recherche. Perdre le savoir-faireindustriel réduit la capacité à développer le savoir-faire scientifique.“ “

Le travail de service ne possèdeaucun pouvoirrévolutionnaireparticulier qui le placerait en dehors du capitalismeindustriel dans ce qu’il a de plusclassique.

s

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page17

Page 18: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

18

connaît nécessairement le consom-mateur de ce service ; cette connais-sance fait même partie de son travail.Réciproquement, le consommateurd’un service connaît nécessairementle producteur du service qu’ilconsomme.2.L’usage. Il découle de ce qui précèdeque le travail de service est un travailayant à prendre en compte l’usagedu produit de service, ce qui le dif-férencie fondamentalement du travailde production des biens. Dans unesociété développée capitaliste, letravail relatif aux biens a uniquementpour but la vente, alors que le travailde service a pour but explicite l’usagedes services qu’il produit.3.Profondeur variable du produit deservice. Le travail de service est untravail dont la profondeur varie. Lepoint important, ici, a trait aux servicescollectifs. Le choix de leur profondeurdépend de choix de nature politique.Le service de santé, par exemple,peut avoir pour finalité seulementde soigner les maladies ou seulementde les prévenir, ou de les soigner etde les prévenir. On peut généralisercet exemple à l’ensemble des servicescollectifs.

4. Implication plus grande du tra-vailleur dans le processus de productiondes services. La nature du travail deservice change pour les travailleurseux-mêmes. Il peut être plus savant,plus « intéressant » que celui dépensépour la production des biens. Enmême temps, la charge nerveuseinduite par ce travail est plus forteeu égard à la plus grande implicationmentale du travailleur dans le procèsde son travail.5.Une productivité dont les lois dif-fèrent de celles relatives aux biens. Laproduction des services n’obéit pasaux mêmes lois d’évolution de la pro-ductivité que la production des biens.Lorsqu’il s’agit de transformer lesmatières premières, cette évolutionest sans mystère. Les capitalistes agis-sent principalement sur les équipe-

ments, dont ils sont les propriétaires,pour accroître, à titre individuel, laproduction de plus-value (la pro-ductivité) et de profit. Ils agissentégalement sur les procédures, lesprotocoles. Par l’intermédiaire deséquipements et dans le cadre desrapports marchands capitalistes quiencadrent l’activité relationnelle dessalariés des services, les capitalistesdes services gardent la main et cher-chent à atteindre des objectifs deproductivité. Ces objectifs sont cepen-dant plus difficiles à atteindre quedans le cas des biens.Quel bilan peut-on tirer à partir del’observation de ces caractéristiques?Le travail de service est-il en trainde révolutionner le processus detravail des sociétés développées aupoint de remettre en cause les théoriesde Marx? On peut raisonnablementapporter réponse à ces questions.Le travail de service présente d’évi-dentes particularités qui n’en fontpas une simple extension quantitativedu processus de production industriel.

En effet, il est générateur de tensionssupplémentaires nouvelles entre lestravailleurs et les capitalistes ; il intro-duit des éléments relationnels nou-veaux au sein du processus de pro-duction ; mais il ne possède aucunpouvoir révolutionnaire particulier

qui le placerait en dehors du capi-talisme industriel dans ce qu’il a deplus classique. Le rapport social deservice ne bouleverse pas le rapportsocial capitaliste, qui repose toujourssur la propriété du capital. Cependant,le travail de service n’est pas neutre :il met le capital à l’épreuve, il forgeles éléments d’une nouvelle concep-tion du travail et il ouvre la perspectivequi consistera à mettre réellementet totalement la production matérielleet la production non matérielle auservice des consommateurs.

UNE NOUVELLE REVOLUTIONTECHNIQUE EN COURS : QUELS EFFETS SUR LE TRAVAIL DE SERVICE? Je souhaite, pour clore ce texte, faireétat des révolutions techniques encours et de leurs effets sur le travail,en particulier sur le travail de service.Je vais être extrêmement bref, ren-voyant aux écrits des ingénieurs etdes scientifiques sur ce point. Ce quel’on observe est que le travail de ser-vice, que l’on croyait imperméableà toute mécanisation, s’est trouvé,dès les années 1960-1970, en premièreligne de l’investissement informatique,notamment dans le secteur bancaire.L’informatisation de l’activité de ser-vice ne met pas en cause les carac-téristiques du travail de service déga-gées dans la sous-partie précédente.Au contraire, elle permet de mieuxles accomplir en concentrant lesbesoins de main-d’œuvre sur les acti-vités essentielles.On observe également que, stimulé

Le travail de service n’est pas neutre :il met le capital à l’épreuve, il forge les éléments d’une nouvelle conception du travail. “ “

Les services ont acquis leurindépendance. Ce ne sont pas les résultatsunivoques du développement industriel ni de simples rejetons de l’impérialisme,même si certains services sont hypertrophiéspar le capital.

“ “L’industrie et les servicessont deux pôlescontradictoires de l’économie. Ils sont, de ce fait,unis et opposés.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page18

Page 19: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

19

par les besoins du capital, le progrèstechnique suit son chemin. De nou-velles machines apparaissent, denouveaux paradigmes se mettent en place, rappelant et prolongeantles conceptions de Turing sur les

machines universelles et les théoriesde Wiener sur la cybernétique.Alors que, jusqu’à une époque récente,les résultats recherchés comman-daient la puissance de calcul, la rela-tion inverse tend à l’emporter : c’estla puissance de calcul qui commandela puissance mécanique. Cette nou-

velle ère technologique, dont l’in-telligence artificielle est la manifes-tation la plus visible, accentue lesévolutions précédemment observa-bles et en précise de nouvelles. Elleconfirme le rôle directeur et déter-minant de la recherche ainsi que desservices collectifs. Elle ouvre la pers-pective que la production soit effec-tuée comme on rend un service.

CONCLUSIONSPour conclure ces brèves remarquesrelatives à l’industrie et aux servicesainsi qu’à la théorisation correspon-dante, je dirai que le marxisme duXXIe siècle explorera principalement,selon moi, les quatre directions suivantes :1. La généralisation du développe-ment industriel de type classiquedans les pays en voie de développe-

ment et le développement des servicesaux entreprises.2. L’analyse fine de la mise en placeet des effets de la révolution numé-rique dans la production industrielleet des services.3.Une meilleure compréhension enprofondeur du socialisme aux carac-téristiques chinoises, et du socialismeen général, ainsi que de la productiondes services collectifs.4.Les modalités et les conséquencesdu déclin irréversible de l’impérialismeet de son leader américain (modifi-cation en profondeur et redéfinitiondes services financiers, des grandsorganismes internationaux ainsi quedes relations internationales). n

*JEAN-CLAUDE DELAUNAY estéconomiste, professeur honoraire des universités.

s

Le travail de service présented’évidentes particularités qui n’en font pasune simple extension quantitative duprocessus de production industriel.“ “

L’industrie 4.0, c’est la puissance du numérique au service d’un projet technique et politique. Un projet techniquecar il s’agit d’intégrer en système technique les outils numériques actuels et futurs de R&D, de gestion de laproduction, des relations clients-fournisseurs, des flux logistiques, du suivi fonctionnel et de la maintenancedes produits et des équipements vendus, et d’analyse de leur usage par les clients. Un projet politique car il reconstruit l’atelier de la manufacture, chère à Marx, en tant que creuset de la production capitaliste.

TRIBUNE : INDUSTRIE 4.0, LE RETOUR DE LA MANUFACTURE DE MARX ?

PAR FRANCIS VELAIN*,

RÉVOLUTION DU CALCUL. CRISEET SORTIE DE L’ÈRE INDUSTRIELLESommes-nous à la veille de sortir del’ère industrielle de la machine-outilet de son système technique? Pourl’heure, là où le déterminisme méca-nique échoue, l’automatisation butte.Il faut conserver l’homme, même surdes tâches a prioriélémentaires, pré-visibles, quantifiables. Là où l’hommen’a ni loi mathématique ni modèleempirique, la machine-outil et sonsystème technique restent inopérants.L’homme reste ainsi indispensabledans le travail malgré le processusd’exclusion drastique qui le frappejusqu’à l’absurde.Poursuivre avec cette machine-outilse révèle de plus en plus coûteux etinsupportable. Aucun recul des acquis

sociaux, aucune libération du capitalet/ou de la concurrence ne peutrésoudre ce problème, sinon tem-porairement. Même les réorganisa-tions capitalistiques du capital et dutissu industriel n’y suffisent pas.Externalisation et essaimage d’acti-vités, recours à la sous-traitance,

nouvelles spécialisations capitalis-tiques pour construire des équipe-mentiers ou sous-traitants universels,développement de groupes – struc-tures capitalistes typiques – de PME-PMI, démantèlement des groupesmonopolistiques publics et parfoisprivés, l’entreprise éclatée ne règlerien.Mais les forces productives ne sontpas restées figées. Entre 1930 et 1950,elles furent l’objet d’une double révo-lution conceptuelle au moment oùla machine-outil et son système tech-nique approchaient des limites de

Dans le monde de l’industrie 4.0, le travailleur passera plus de temps à produire des machines pour d’autresmachines, pour le capital donc, que pour les besoins spécifiquementhumains.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page19

Page 20: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

leurs fondamentaux. En synthèse,cette révolution repose sur deux éléments :1. La compréhension moderne ducalcul mathématique : un processussystématique de la pensée qui peutfaire l’objet d’un traitement méca-nique. Cela rend possible une machineuniverselle (la machine de Turing).2. La modélisation cybernétique dela commande et du contrôle des sys-tèmes (Wiener). Là, cette machineà calculer universelle est en interaction,via un réseau, avec son environne-ment au passé déjà mémorisé, et sonprésent, mémorisé en temps réel –via une collecte de données – et surlequel la machine universelle peutamener une machine-outil ou unhomme à intervenir. Ce modèle renddonc compte du comportement duvivant comme des interactions deséléments de simple matière. Dansles deux cas, l’inattendu, l’inconnupeuvent être affrontés empiriquement,et cette confrontation peut être« apprise » et évaluée.L’homme a donc à disposition unemachine apprenante et un systèmetechnique potentiellement réactif,adaptatif à l’inattendu, voire à l’in-connu. De quoi faire face aux réalitéset besoins du travail industriel et au-delà, bien au-delà, des apports de la simple puissance informatique de calcul et des performances desréseaux.

OÙ VA L’ENTREPRISE?…L’industrie 4.0 a pour projet de prendretoute la mesure de cette double révo-lution. Les dernières décennies ontvu la grande entreprise éclater, l’in-dustrie 4.0 la reconstruira.C’est déjàà l’œuvre dans les plus grandes. Lesdifficultés liées aux distances, à lasous-traitance, la coordination etl’avancement des projets ou de laproduction, et même le travail col-laboratif entre groupes ou entreprisespar ailleurs concurrents sont déjàlargement sous contrôle. Une certi-tude: ces forces productives nouvellesappellent à faire politique.Le capital veut renouer avec la coo-pération du nombre, qui multiplieà lui seul la productivité du travailen unissant les capacités individuellesdes salariés, sous les formes les plusdiverses, en fonction des besoins etdes possibles. Métiers, qualifications,

échelles salariales seront bousculés,transformés. L’industrie 4.0 réinventele travail et le travailleur moyen, créeen plus un partage une mutualisationinédite des moyens techniques et de leur puissance, et réimpose la loi de la valeur.Cette nouvelle manufacture n’est pasobligatoirement celle d’un seul capitalindividuel ou social, mais possible-ment de plusieurs, dans le cadre decoopérations industrielles, plus oumoins ouvertes, plus ou moins dura-bles, entre capitalistes plus ou moinségaux. Les grands groupes sont à lamanœuvre en fonction de leur stra-tégie passée, leur actuelle organisationinterne, leurs filiales, leurs pratiquesavec leurs équipementiers et autressous-traitants, et leurs clients. À condi-

tion d’avoir une taille capitalistiqueminimum, à tout moment des capi-taux productifs peuvent coopérer, seséparer, se fondre. L’industrie 4.0,c’est le capital industriel qui se remetau centre du jeu ; c’est le capital pro-ducteur de la base matérielle de lasociété qui se réorganise et se réaffirmecentral.

… ET LE TRAVAIL?L’industrie 4.0 est en quelque sorteune reproduction, à travers desmachines et l’initiative privée, de la

construction politique réussie del’industrie européenne de l’espaceet de l’aéronautique à l’échelle demultiples entreprises et établissementsdisséminés sur le continent. Cettefois, pour des raisons et objectifs depure rentabilité financière.Le maître mot est intégration entemps réel de toutes les activités etinteractions. Plus seulement à traversdes réunions, mais même sur lespostes de travail. L’industrie 4.0, c’estle fonctionnement en mode projet,en permanence et en (presque) totaletransparence. Cela touche tous lesaspects du travail, y compris l’analysedes futures conditions de travail. Dessimulateurs peuvent vérifier qu’unsoudeur d’une certaine taille et cor-pulence, droitier ou gaucher, saurasouder dans le recoin inaccessiblede la coque d’un navire. Ici, l’enjeudu développement de mécaniquesayant les capacités adaptatives ducorps humain prend un certain sens,puisque leur commande pourrait sefaire par les performances de lamachine « apprenante ». Le défi 4.0du robot autonome humanoïde vaau-delà des enjeux éthiques de simu-lation des sentiments humains auprèsdes enfants ou des personnes âgées.En attendant, le soudeur se formeravirtuellement (ou pas) à l’art de la sou-dure, y compris pour les endroits lesmoins accessibles et produira de ladonnée pour d’éventuels automatesapprenants plus ou moins humanoïdes.Les entreprises aiment bien montrerdes salariés travaillant « ensemble »sur des maquettes virtuelles. Mais la

20

sLà où l’homme n’a ni loi

mathématique ni modèle empirique, la machine-outil et son système techniquerestent inopérants.“ “

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page20

Page 21: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

21

transparence vaut (déjà parfois) aussipour le respect des jalons, des indi-cateurs, pour la capacité de répondreaux sollicitations des collègues et dela hiérarchie. C’est cela aussi l’atelier4.0 de la fabrique du nouveau monde.Votre employeur en saura beaucoupsur votre personnalité par les donnéesrecueillies de vos interactions avecvos collègues.Tous les repères concrets bien connusqui aident au développement d’uneconscience d’intérêts revendicatifscommuns ou convergents vont êtreremplacés par de nouvelles réalités.Rien n’est plus urgent que de reforgerles repères du « travail abstrait » :Pourquoi ne sert-il à rien – ou àpresque rien – de se demander si lamachine est bonne ou pas pour letravailleur ? Pourquoi, lors de l’in-troduction de machines nouvelles,le capital veut-il augmenter le tempsde travail tout en rendant plus nom-breux les travailleurs considéréscomme « surnuméraires » ?Certains entendent échapper à lacontradiction capital/travail du salariatgrâce à quelques nouvelles machinesindividuelles que pourrait leur pro-poser l’industrie 4.0. Au XIXe siècle, lecapital réinventa parfois un tempsle travail à domicile, ou quasi indé-pendant, artisanal, du petit entre-preneur libre en promouvant de tellesmachines, comme la machine à cou-dre. Mais les formes de propriété réin-ventées à cette occasion ne résistèrentpas longtemps face à la manufactureen marche vers la grande entreprise.

Y compris à cause des lois socialesque celle-ci se voyait imposer.Le monde va continuer à se peuplerd’ateliers, mais ouverts à bien d’autres.Avec des salariés mieux éduquésqu’au début du XIXe siècle, car la maî-trise de la nouvelle machine et sonsystème oblige à introduire, commel’a avancé Marx, « l’enseignementpratique et théorique de la technologiedans les écoles du peuple […]en contra-diction avec le mode capitaliste del’industrie et le milieu où il place l’ou-vrier ». La notion d’ouvrier n’y feraguère sens d’ailleurs. Celle de prolétaire

à statut salarial, le salarié, sera pluspertinente. Le travailleur exploitésera plus collectif que jamais, et lemode de production capitaliste seprésentera comme une immenseaccumulation de marchandises.Dans le monde de l’industrie 4.0, letravailleur collectif producteur de larichesse matérielle sociale passeraplus de temps à produire des machinespour d’autres machines, pour lecapital donc, que pour les besoinsspécifiquement humains. À l’exempledes objets connectés.En attendant de gentils robots, d’autrescapitalistes feront profit en embau-chant des travailleurs pour aider l’en-semble des hommes à dépenser leur

richesse, fût-elle limitée. Que sonten effet les emplois d’aide à la per-sonne sinon une déclinaison modernedes emplois domestiques repéréspar Marx? Là aussi l’industrie redevientcentrale dans le débat politique.Principale source possible de la réduc-tion du temps de travail ou pas?

L’INDUSTRIE 4.0 ET LA CITÉL’industrie 4.0 n’est pas seulementmanufacture intégrante et inscritedans un système technique. Elle estinscrite dans la vie de la cité, les pra-tiques et aspirations des hommes.D’où la collecte des données pourtracer l’environnement et l’usage desrichesses consommées par leshommes. L’industrie 4.0 se nourritde la vie, des pratiques individuelleset sociales des « clients ». Cela vautpour les équipements industriels,les soins, jusqu’au beurre du frigo et aux pratiques culturelles et de loisirs.Le modèle de l’usine 4.0 est universel.Toutes les activités de travail socialse plieront à son organisation dutravail et à l’usage de son systèmetechnique. L’hôpital, le tourisme,l’industrie culturelle et du specta-cle… et la fonction publique. Lespromesses de la machine universellesont universelles. Le petit ou grandpeu qu’elle tiendra aura d’immensesconséquences. Là aussi l’appel aupolitique va s’amplifier. n

*FRANCIS VELAIN est ingénieur.

Le modèle de l’usine 4.0 est universel.Toutes les activités de travail social se plieront à son organisation du travail et à l’usage de son système technique. “ “

s

Lors de la présentation de Nick Dyer-Witheford sur #PlatPol11, la question du remplacement par le capital du travail productif s’est invitée dans le débat et a continué à faire l’objet de discussions informelles. L’auto-matisation mènerait-elle le capitalisme à sa fin ? Sans doute que non.

LE CAPITAL, CE N’EST PAS L’AUTOMATISATIONMAIS L’IMBRICATION

PAR DMYTRI KLEINER*,Traduction de Madeleine Grant

e que le capitalisme automa-tise, comme l’a remarquéNick, ce ne sont pas les

emplois inférieurs non qualifiés, maisplutôt en règle générale les emplois

qualifiés. Au lieu d’un futur où desusines complètement automatiséesde robots étincelants produiraientd’incalculables richesses pour desêtres humains menant une vie deloisir et d’élévation mentale, unevision plus réaliste de l’automatisation

capitaliste est celle de jeunes répon-dant dans l’affolement et sans savoiroù donner de la tête aux divers bips,alertes et lumières clignotantes dela cuisine d’un fast-food.Jusque dans les années 1950, les repaset les collations rapides étaient l’affaire

C

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page21

Page 22: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

de cuisiniers spécialisés dans ce typede préparation, qui trouvaient faci-lement des emplois dans l’industriede la restauration alors florissante.Exerçant un métier recherché, lesbons spécialistes de la restaurationminute étaient parfois difficiles àtrouver, et il fallait leur verser unsalaire relativement élevé. Insta-Burger King, créé en 1953 à Jacksonville(Floride) par Matthew Burns et KeithJ. Kramer, trouva le moyen de vendreles hamburgers meilleur marché enéliminant le recours aux cuisiniersqualifiés, remplacés par de la main-d’œuvre non qualifiée grâce à leurnouveau gril, l’Insta-Broiler. CarlN. Karcher, fondateur de Carl’s Jr.,lui emboîta le pas et remplaça luiaussi ses cuisiniers par des aides decuisine sans qualification et un équi-pement de cuisine automatisé.Ce mouvement n’est pas limité à l’in-dustrie de la restauration rapide : descentres d’appels aux aéroports, deshôpitaux aux usines, la déqualificationa remplacé le travail qualifié par l’in-troduction de technologies mises enœuvre par des travailleurs non qua-lifiés ou peu qualifiés. Le travail conti-nue à être au centre de la créationde valeur, il est simplement de plusen plus incorporé à une superstructurecapitaliste automatisée et autoritairede contrôle et d’encadrement. Cen’est pas le travail que le capital rem-place, mais bien plutôt le capitalhumain, soit, selon Wikipedia, « l’en-semble des aptitudes, talents, quali-fications, expériences accumulées parun individu et qui déterminent enpartie sa capacité à travailler ou àproduire pour lui-même ou pour les

autres ». Pour comprendre ce pro-cessus, l’automatisation ne suffit pas,il faut plutôt évoquer la déshuma-nisation du capital, l’intégration descompétences humaines dans l’équi-pement et du travail humain dansl’automatisation.

Les technologies employées dans laproduction déqualifiée sont bien sûrelles-mêmes produites, et leur concep-tion requiert une ingénierie de plusen plus complexe, qui fait appel àdes travailleurs hautement qualifiés.Le travail qualifié n’est pas remplacémais déplacé de la production directede biens de consommation à la pro-duction indirecte de biens d’équi-pement, ce qui produit un effet dedépolitisation. La capacité de négo-ciation des masses de travailleurs

déqualifiés est fortement réduite,puisqu’elles sont facilement rem-plaçables, tandis que les techniciensqualifiés concepteurs de logicielssont de plus en plus séparés des lieux

de la production directe, où se créela valeur ajoutée, et soustraits à l’ap-propriation de la valeur ajoutée.Les techniciens ne se considèrentgénéralement pas comme victimesde l’exploitation. Ne travaillant pasd’arrache-pied à la production debiens de consommation ou de ser-vices, ils se sentent souvent mis enavant, et non exploités par le capital.Ils produisent des idées, des projets,des prototypes parfois, mais jamaisdes produits offerts à la vente. Lescapitalistes leur donnent la possibilitéde réaliser leurs visions techniques,ils ne leur prennent rien directement.Lors de sa communication sur#PlatPol11, Chris Chesher a présentéun robot serveuse, commercialisélors d’un salon en Corée. Il a étéobservé que les serveuses sont payéesau salaire minimum, et qu’il était parconséquent hautement improbablede voir se généraliser un tel produitpuisqu’il serait beaucoup plus coûteuxd’assurer l’entretien d’une équipede robots serveuses que de serveusesen chair et en os. L’industrie des tech-nologies peut bien prendre plaisir àexhiber des robots animaux de com-pagnie et des robots domestiques, iln’empêche que les vrais moyens sontalloués au développement des robotsmilitaires, conçus pour tuer.

L’AUTOMATISATION NE MÈNERAPAS LE CAPITALISME À SA FINLe capitalisme ne va pas éliminer lamain-d’œuvre, il n’essaiera mêmepas d’aller dans cette direction. Il vaen revanche créer une main-d’œuvredéqualifiée, toujours plus dépendantedu capital pour être à même de pro-duire, et divisée, privée d’uneconscience prolétarienne collective,dispersant ainsi son pouvoir de classe.

22

Si j’ai 1 000 amis Facebook mais que leurs propres amisappartiennent tous au même cercle de mes propres amis, je necommunique en fait au mieux sur ce média qu’avec mes1000 amis. Je suis de fait alors enfermé dans une bulle deconfirmation, c’est-à-dire que je n’échange qu’avec des personnesqui partagent mes idées. Je m’affirmerai d’autant plus à l’intérieurde ce groupe que j’en rajouterai dans le soutien sans nuanceaux idées qui le fédèrent.Mais si mes 1000 amis n’ont que peu d’amis en commun avecmoi-même et partagent mes posts, je peux potentiellementcommuniquer à travers eux avec plusieurs centaines de milliersde personnes.C’est ainsi que, par exemple, en France lors de l’élection présidentiellede 2017, le vote des 18-25 ans a pu notablement être influencépar une lutte d’influence sur le forum Blabla 18-25 ans du sitejeuxvideo.com, bien loin des bulles de confirmation militante.

BULLE DE CONFIRMATION OU CAISSE DE RÉSONNANCE?

Une vision plus réaliste de l’automatisation capitaliste est celle de jeunes répondant dans l’affolement et sans savoir où donner de la tête auxdivers bips, alertes et lumières clignotantesde la cuisine d’un fast-food.

“ “La capacité de négociation

des masses de travailleurs déqualifiés est fortement réduite, puisqu’elles sontfacilement remplaçables, tandis que les techniciens qualifiés concepteurs de logiciels sont de plus en plus séparésdes lieux de la production directe, où se crée la valeur ajoutée, et soustraits à l’appropriation de la valeur ajoutée.

“ “

Le capitalisme ne va pas éliminer la main-d’œuvre, il n’essaiera même pasd’aller dans cette direction. Il va enrevanche créer une main-d’œuvredéqualifiée, toujours plus dépendante du capital.

“ “s

Comme pour les centres d’appel, dans les aéroports, les hôpitaux, les usines, ladéqualification a remplacé le travail qualifié par l’introduction de technologiesmises en œuvre par des travailleurs non qualifiés ou peu qualifiés.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page22

Page 23: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

23s

Et quand le mécontentement socialexplosera, il automatisera les forcesmeurtrières indispensables pourréprimer les soulèvements. Le droïdeantiémeute aux méthodes de répres-sion brutales est plus viable que legentil robot domestique.Un système qui oriente la productionvers la création de valeur d’échangea de fortes motivations pour créerdu contrôle, puisque la capture deressources rares est au cœur de laformation de la valeur d’échange ; ila en revanche de faibles motivationspour créer l’abondance pour tous.Seule une société de travailleurs égauxdans la production comme dans le

partage aurait intérêt à atteindrel’abondance, puisque tous profite-raient de l’augmentation des richesseset de la diminution du travail.

Le capital ne se sert pas de son appareiltechnologique pour libérer le travail,mais pour y enfermer et y contenirà la fois la vie humaine et le travail,

à coup d’atteintes à la vie personnelle,de harcèlements, d’extorsions.L’extraordinaire pouvoir de la tech-nologie pour produire des richessesne peut réellement réduire le labeurqu’avec l’abolition du salariat et l’éli-mination des classes. C’est alors seu-lement que l’innovation et la déter-mination issues du peuple pourrontfaire en sorte d’utiliser la technologiepour réduire le travail et augmenterles loisirs. En attendant, il ne s’agitque d’un mirage de science-fiction.n

*DMYTRI KLEINER est Senior Architect à Red Hat Open Innovation Labs.

L’extraordinaire pouvoir de la technologie pour produire des richesses ne peut réellement réduire le labeur qu’avec l’abolition du salariat et l’élimination des classes.“ “

LA ROBOTIQUE COLLABORATIVE DANS L’INDUSTRIE : ENJEUX, PERSPECTIVES ACTUELLES ET FUTURESLes robots collaboratifs, ou cobots, sont déjà dans les usines, et de nombreux développements visent le marchégrand public du robot d’assistance… Mais à part quelques robots spécialisés, celui qui permettra d’accroîtrel’autonomie des personnes âgées à domicile n’est pas pour demain !

PAR MICHEL DEVY*,

appelons qu’un cobot est un robotcapable d’effectuer des tâchesà proximité d’une personne,voire d’interagir avec cettepersonne en toute sécurité.

Les premiers cobots sont des robotsmanipulateurs à poste fixe, en coursde déploiement dans l’industrie. Onparle aussi de cobotique mobile,quand on évoque des véhicules auto-matisés, les AGV (automatic guidedvehicle), qui se déplacent de manièreautonome dans des espaces partagésavec des humains.

Pourquoi cette technologie très récenteest adoptée si rapidement dans l’in-dustrie ? Nous rappellerons d’abordle contexte général qui sous-tend lesévolutions en cours dans nos usines :la cobotique est une des technologiesmises en avant dans l’industrie du

futur. Puis nous décrirons commentla cobotique transforme actuellementle travail dans l’industrie, avant denous projeter un peu plus avant dansle futur.

ENJEU GÉNÉRAL : L’INDUSTRIE DU FUTUREn France, l’industrie du futur suscitede nombreuses discussions à tousles niveaux et a donné lieu à diversesinitiatives : création en 2015 del’Alliance pour l’industrie du futur(AIF) au niveau national, élaborationde programmes dédiés dans lesrégions, mise en place de groupesde travail dans les pôles ou les cham-bres de commerce et d’industrie,émergence de très nombreux consul-tants qui proposent leurs servicespour faire un diagnostic des usinesavant de conseiller des pistes de « pro-grès », etc. Notre pays en ce domainene fait que suivre un mouvementmondial, qu’il est convenu d’appelerla quatrième révolution industrielle,ou industrie 4.0, caractérisée par ladiffusion des technologies du nu -mérique à tous les niveaux dans lesentreprises.

Cette transformation est rendue pos-sible par l’arrivée à maturité de nom-breuses technologies innovantes :les cobots, mais aussi les objetsconnectés (IoT, pour Internet of things),la fabrication additive (impression3D), les interfaces homme-machine(réalité augmentée sur tablettes ousmartphones…), la modélisation etla simulation 3D (réalité virtuelle...),etc, sans oublier l’intelligence arti-ficielle qui permet de planifier, desuperviser, d’optimiser et d’apprendrevia l’analyse de grandes masses dedonnées (big data).Les objectifs du déploiement de cestechnologies dans l’industrie, sontmultiples. Au niveau technique : – l’usine, avant même d’exister, est« numérique ». Les modèles 3D desproduits et des équipements (robots,outils…) sont exploités pour simulertous les processus industriels, pouroptimiser la configuration des atelierset les interactions des machines avecles opérateurs, pour former ces opé-rateurs via la réalité virtuelle,– l’usine est « agile » ou « flexible ».Pour s’adapter plus rapidement à lademande des clients, les chaînes de

R

Au niveau économique, l’industrie du futur en France devrait permettre une relance des activités industrielles, en particulier manufacturières. “ “

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page23

Page 24: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

fabrication doivent être reconfigu-rables afin de produire de petitesséries ou lots, voire de produire suc-cessivement des produits différents(lot de taille 1), chaque produit cor-respondant à une commande « à lacarte » d’un client ;– l’usine est « étendue ». Les techno-logies numériques permettent degérer les flux entre les fournisseurs(supply chain), les différentes unitésde production et la logistique (gestiondes stocks, transporteurs), avec uneplanification temporelle automatiquedes flux depuis les entrées (com-mandes des clients) jusqu’aux sorties(livraisons aux clients).– enfin, l’usine est plus « développe-ment durable ».Ces technologies permettent d’amé-liorer la qualité des produits (zérodéfaut), d’optimiser l’exploitationde l’outil industriel avec la main-tenance préventive pour réduire auminimum les temps d’immobilisa -tion des machines et de garantirune traçabilité pour mieux gérerproduits et équipements jusqu’aurecy clage via le PLM (product lifecycle management).Au niveau économique, l’industriedu futur en France devrait permettreune relance des activités industrielles,en particulier manufacturières : cesactivités ne génèrent plus qu’environ10 % du PIB national en 2016, et necréent que 2,5 millions d’emplois,

soit environ deux fois moins qu’en1980. Cette relance proviendrait d’unemeilleure adaptation au marché,mais surtout de gains de productivitéet de croissance : « produire pluspour gagner plus ». On espère main-tenir ainsi les usines en France, etmême relocaliser des productionsqui se font aujourd’hui dans des paysà faible coût de main-d’œuvre.Enfin, au niveau humain, il est poli-tiquement correct d’affirmer que« l’homme est au cœur du change-ment ». Un des enjeux consensuelsest de réduire la pénibilité du travail,et en particulier les troubles mus-culo-squelettiques (TMS). Cela dit,il est affirmé aussi que la transfor-mation numérique va fortementimpacter la nature des emplois, avecla suppression à terme des « opérateursde surface » et une montée en com-pétence des personnels. Mais combienresteront encore dans les usines?

PERSPECTIVES DE LA COBOTIQUE Les cobots ont d’abord été conçuset mis au point dans les laboratoires,notamment en Allemagne vers 2010.Cette technologie a été rapidementtransférée à la société Kuka, qui adéveloppé les bras manipulateursLWR (light weight robot), puis IIWA(intelligent industrial work assistant).Tous les fabricants de robots (ABBen Europe, Universal Robotics auxÉtats-Unis, Yaskawa et Fanuc au

Japon…) proposent aujourd’hui descobots. Les premiers déploiementsdans l’industrie ont suivi vers 2015,notamment dans l’industrie auto-mobile en Allemagne, au Japon et enCorée du Sud. En France, de nombreuxindustriels font des tests ou des POCs(preuves de concept) : des cobotssont déjà opérationnels, par exemplechez des équipementiers de l’auto-mobile (Bosch, Continental, Valéo).Les cobots n’ont pas vocation à rem-placer tous les robots industriels déjàprésents dans les usines : pour êtresans danger pour les humains, lescobots sont légers, se déplacent à faiblevitesse et manipulent de petites charges(jusqu’à 10 kg pour les plus puissants).Ils sont déployés surtout dans leschaînes d’assemblage de petits objets;il restera des robots de grande dimen-sion, qui opèrent sans limite de vitesse

dans des cages pour empêcher touthumain d’être à proximité.Un cobot est conçu pour être colla-boratif; il opère dans un espace ouvert.Pour éviter tout contact avec des obs-tacles, et notamment avec des humains,il est équipé de mécanismes de sécuritéintrinsèques (pour un bras, mesuredes efforts sur toutes les articulations;pour un AGV, détection de contactsur les pare-chocs) et extrinsèques

24

s

Les cobots n’ont pas vocation à remplacer tous les robots industriels déjà présents dans les usines.“ “

Chaîne d’assemblage automatisée dans une usine produisant des voitures Tesla.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page24

Page 25: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

(exploitation de capteurs pour surveillerl’environnement proche du cobot :caméras, kinects, télémètres laser...).Sa programmation suit une normeprécise qui limite vitesse et accélérationen fonction de la distance avec l’hu-main le plus proche.Les cobots sont faciles à déployer età programmer, et ils exécutent destâches qu’un opérateur pourrait réa-liser. Le concepteur d’une celluled’assemblage doit donc décider com-ment répartir les actions entre cobotset opérateurs :– le cobot ne se fatigue pas, est préciset fiable, mais ses capacités d’adap-tation et de dextérité sont limitées ;il réalise des tâches apprises sur desobjets rigides. L’opérateur est fatigable,en particulier il souffre de la chaleur,de la poussière… et risque des TMSs’il répète toujours le même geste.Mais il peut détecter des anomalieset adapter ses actions ; il peut mani-puler des objets souples ;– le cobot sera donc réservé aux tâchesrépétitives et ennuyeuses, aux tâchesdangereuses ou aux travaux réalisésdans des environnements hostiles.L’opérateur est requis pour des tâchescomplexes, comme la pose de jointsou de câbles.Un des avantages de la cobotique estqu’en cas de panne matérielle d’uncobot sur une cellule d’assemblage,en attendant de le remplacer, sa tâche

peut être assurée par un opérateur,même si c’est en diminuant lacadence… mais la production n’estpas arrêtée.Plusieurs modes d’interaction sontpossibles entre cobots et opérateurs.Une étude réalisée au sein de PSAen 2015 avait mis en avant cinq scé-narios typiques et avait estimé lepourcentage de cas où cela pouvaits’appliquer.1. Autonomie (20 % ). Le cobot effectuedes tâches sans interaction. Par rapportà un robot classique, un cobot a denombreux avantages : il est léger, sedéplace et se programme facilementet n’a pas besoin d’être entouré debarrières physiques. L’interactionavec un opérateur se limitera à laphase d’apprentissage des mouve-ments et à la mise en place de dis-positifs de sécurité extrinsèque,comme des barrières virtuelles(nappes laser).2. Coaction avec synchronisation tem-porelle (50 % ). Cobot et opérateurpartagent l’espace de travail, avecdes zones d’échange d’objets.3.Coopération avec synchronisationspatiale et temporelle (10 %). L’espacede travail est partagé et la tâcherequiert une interaction physique.Par exemple, le cobot peut servir detroisième main : il tient un objet surlequel l’opérateur exécute une tâche(insertion trop complexe pour être

soulignait la syndicaliste Marie-Claire Cailletaud dans un rapportremis au CESE en mars 2018, « Lathèse développée depuis trente ansd’une société post-industrielle endevenir, dans laquelle la prospéritéde notre pays pourrait se passer d’in-dustrie et ses entreprises se passerd’usines, est infirmée par la réalité.Quel que soit par ailleurs le poidsdes services dans l’économie, la néces-sité de faire évoluer les modes de pro-

chez Renault est limpide à cet égard :aujourd’hui, seuls 19 % des véhiculesparticuliers de Renault sont désormaisproduits en France, contre 53 % aupa-ravant. Autant d’emplois perdus surle territoire national.Le constat est pourtant connu, entrente ans la part de l’industrie dansle PIB est passée de 20 à 12 %, alorsque ce secteur représente les troisquarts de la balance commercialeet 80 % de la R&D. Ainsi, comme le

PAR AYMERIC SEASSAU *,

« La désindustrialisation en Franceest arrivée à un point si critique quele pays court le risque d’être entraînédans une régression et une austéritésans fin, d’être coupé de son avenir.Est-ce cela, son programme? » Ainsise conclut un long article de Mediapartdu 31 mai 2019 très justement intitulé« Macron en naufrageur de l’indus-trie »1. Le bilan des années Ghosn

robotisée de manière fiable, mise enplace d’un joint souple…).4. Cobot manipulé par l’opérateur(10 %). Le robot a un outil monté surson organe terminal (par exempleune ponceuse). Le cobot porte lepoids, l’opérateur contrôle lui-mêmeles mouvements du cobot pour exé-cuter la tâche avec l’outil.5. Cobot porté par l’opérateur, exo -squelettes (10 %). L’opérateur portele cobot, qui l’assiste dans ses mou-vements, par exemple pour porterdes charges lourdes.Enfin, cela suscite des interrogationspour le futur, que ce soit au niveaudes effets sur l’emploi, sur le travail,ou sur les salariés. Pensons à l’exem-ple de Tesla et les difficultés decontrôler une machine effectuantdes tâches dans le monde physique,qui plus est en interaction avec desopérateurs.n

*MICHEL DEVY est directeur de rechercheémérite au Laboratoire d’analyse etd’architecture des systèmes (LAAS) du CNRS, Toulouse.

25s

Exemple de cobotique

mobile : Air-Cobot, un

robot collaboratifconçu pour

inspecter desavions en

maintenance au sol

(ici, à l’intérieurd’un hangar Air

France àToulouse).

LA DÉMOCRATIE COMME LEVIER POUR PENSER L’INDUSTRIE DE DEMAINPlus d’un demi-million d’emplois industriels ont été détruits entre 2007 et 2015. Il est grand temps de reprendrele contrôle du secteur industriel, secteur stratégique pour l’emploi, notre balance commerciale et l’écologie.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page25

Page 26: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

duction et de consommation appelledes réponses industrielles »2. En effet,la question de l’avenir de nos filièresest au cœur des enjeux qui traversentnotre pays, qu’il s’agisse de l’emploi(le secteur industriel est le seul àgénérer 3 à 4 emplois induits pourun emploi industriel) ou de la tran-sition écologique.Commandé en 2012 par le nouveaupouvoir Hollande, dans un pays oùla crise financière n’a pas épargnél’industrie (environ 1 emploi sur 2détruits durant la crise financière de2007-2010 concernait le secteur indus-triel), le rapport Gallois3 reconnaîtle « décrochage industriel » et la néces-sité du renforcement des filières stra-tégiques. Mais plutôt que de s’attaquerau problème, ce rapport a donnénaissance au « pacte de compétitivité »et au fameux CICE, dont l’inefficacitéest patente.

La politique d’Emmanuel Marcondepuis son arrivée au pouvoir aggravece phénomène. Qu’il s’agisse desprojets suspendus Alstom-Siemenset Renault-Fiat ou de l’absorptiondu « navire amiral » de la filière navalefrançaise avec la prise de contrôledes chantiers de Saint-Nazaire parFincantieri, la cangue idéologiquedu pouvoir en place le pousse à nepenser l’industrie qu’au travers d’unprisme néolibéral exclusivementtournée vers le marché. Plus dange-reux : la question de la gouvernanceindustrielle comme de la démocratieà l’entreprise restent trop souventdans l’angle mort des grands débatspolitiques, alors qu’ il y aurait beau-coup à dire.

RETROUVER UN ÉTAT STRATÈGE :CONDITIONNER ET CONTRÔLER LES AIDESPour le Parti communiste, il fautmettre en œuvre de toute urgenceun nouveau mode de développement.Celui-ci doit inclure des circuits courtsde production et répondre aux besoinsde la transition écologique. La miseen place de ce nouveau mode dedéveloppement nécessite ainsi des

sortir de la crise. La question de lamaîtrise de la production demeureincontournable pour qui prétendagir pour transformer la société ; elleest également un levier pour recréerdu commun, car elle fait appel à l’in-telligence collective pour organiserensemble une transition nécessaire.Les solutions existent ; leur mise enœuvre nécessite un essor démocra-tique à tous les niveaux afin de pesersur les critères de gestion des entre-prises pour les mettre au service del’intérêt collectif. Il faut à cet égardêtre particulièrement attentif auxdéveloppements des luttes portéespar les salariés. Que ce soit celle dessalariés de la centrale thermique deCordemais, qui défendent de nou-veaux projets pour leur outil de travail,ou celles des salariés de la SNCF, deplus en plus souvent ces luttes portenttout autant sur le maintien de l’emploiet l’amélioration des conditions detravail que sur des propositionsconcrètes pour organiser la transitionécologique. De plus en plus durement confrontésà la finance prédatrice et au court-termisme destructeur, les travailleursqui développent des luttes dans l’in-dustrie défendent bien souvent une

26

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

s

relocalisations industrielles et la maî-trise de l’appareil productif. Hélas !depuis des années, nous prenons lechemin inverse.

En effet, comment prétendre engagerla transition écologique sans capacitéde production au plus près desbesoins? La France importe 60 % deses produits industriels et ne produitpas plus de biens manufacturés qu’en1996, alors que la consommation deces produits a augmenté de plus de60 % depuis cette date. Du reste, ledossier General Electric est là pourrappeler un élément simple : la ques-tion se pose dans les mêmes termesdans le domaine des transports(Alstom-Siemens, STX-Fincantieri)puisque, en termes d’émissions depolluants, à la tonne transportée lacombinaison maritime et fluvial et/ouferré est sans commune mesure avecle désastre du tout-camion.Face aux fermetures de sites, auxdélocalisations, aux fusions, toutesau détriment de l’emploi et de l’am-bition industrielle, les dispositifslégaux sont aujourd’hui insuffisants.Qu’il s’agisse de la loi Florange, quioblige seulement à rechercher unrepreneur en cas de fermeture desite, ou encore du décret Montebourg,qui encadre les prises de participationde capitaux étrangers dans des entre-prises jugées stratégiques. Cette faibleambition du législateur aggrave lesentiment que les gouvernants nonseulement laissent faire les destruc-tions d’emploi, mais également qu’ilssont incapables de faire face aux exi-gences de la crise écologique. Il y adonc besoin d’un État stratège quiempêche les fermetures de sites utileset viables et n’hésite pas à revenir aucapital lorsque nécessaire pour adap-ter notre appareil productif aux enjeuxdu siècle.

DE NOUVEAUX POUVOIRS POUR LES TRAVAILLEURS ET LES CITOYENSPenser un nouveau mode de déve-loppement et agir pour le mettre enœuvre, c’est aussi redonner du sensà une société qui en a besoin pour

La question de l’avenir de nos filièresest au cœur des enjeux qui traversent notre pays, qu’il s’agisse de l’emploi ou de la transition écologique.“ “

Il y a besoin d’un État stratège qui empêche les fermetures de sites utiles etviables et n’hésite pas à revenir au capital. “ “

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page26

Page 27: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

vision de l’intérêt général intégrantl’urgence écologique.Pour le Parti communiste, faire enten-dre la voix des salariés, leur donnerplus de droits au sein de l’entrepriseet leur permettre de peser sur lesgrands choix qui les concernent enpremier lieu permettrait non seule-ment d’éviter bien des désastres,mais aussi de mettre en œuvre desexpérimentations, des solutions d’ave-nir. D’ailleurs, lorsqu’ils prennenten main les rênes de leur entreprisevia une SCOP, ils montrent qu’ilssavent gérer, le fait qu’à cinq ans letaux de survie d’une SCOP est de65 %, contre 50 % pour l’ensemble

des entreprises françaises, l’atteste.Voilà pourquoi les communistesproposent un droit de veto suspensif

des représentants des salariés pourfaire prendre en compte des propo-sitions alternatives aux licenciements

et de nouveaux pouvoirs de décisiondes représentants du personnel (surles heures supplémentaires, le tempspartiel, les contrats précaires, lasous-traitance, les plans de forma-tion…). Encore faut-il protéger lessalariés eux-mêmes pour leur per-mettre notamment d’assumer despouvoirs nouveaux. Or les ordon-nances Macron sont venues pro-longer un cycle de quatre réformes(ANI en 2013, lois Macron etRebsamen en 2015, loi El Khomrien 2016) et affaiblir tout ce qui enca-dre la vie au travail de 17 millionsde salariés de droit privé… jusqu’auxinstances de décisions elles-mêmesavec le nouveau CSE (comité socialet économique) qui remplace le CE(comité d’entreprise) et les CHSCT(comité d’hygiène, de sécurité et

des conditions de travail). À l’inverse,la loi de sécurité d’emploi et de for-mation proposée par les députéscommunistes à l’Assemblée nationaleen 2017 permettrait un droit nouveauà la mobilité dans la sécurité, avecun revenu, c’est-à-dire une sociétésans chômage.À la mise en place d’une véritabledémocratie d’entreprise il faut éga-lement ajouter la participation activedes citoyens dans l’organisationindustrielle de leur territoire. En cesens, le Parti communiste n’a de cessede pousser à l’organisation de confé-rences régionales pour l’emploi etla formation. Celles-ci permettraientle contrôle citoyen en associant auxdirigeants d’entreprises les repré-sentants des salariés, des pouvoirspublics, des élus locaux pour penserun développement industriel régionalrépondant aux besoins des popula-tions du territoire. Dans le mêmeordre d’idées, il nous apparaît urgentde mettre en place une grande confé-rence nationale sur la reconquêteindustrielle avec un nouveau modede développement réunissant patro-nat, syndicats, scientifiques, asso-ciations et élus.La construction d’un nouveau modèlede développement implique égale-ment de remettre la main sur lesleviers de financement. Ainsi, il fautimpérativement nationaliser le secteurbancaire de manière à pouvoir orienterl’argent, en le conditionnant, versl’investissement, l’emploi, la recherche,la transition écologique. Pour le Particommuniste, faire face aux enjeuxde la crise écologique passe néces-sairement par ouvrir en grand la portedes entreprises. La démocratie nedoit pas s’arrêter à la porte des entre-prises, elle doit en être son cœur bat-tant. Contre la résignation et le fata-lisme, il nous faut construirecollectivement un modèle productifnouveau, porteur d’émancipationet d’avenir. n

*AYMERIC SEASSEAU est responsable du secteur Industrie au PCF.

1. https://www.mediapart.fr/journal/france/310519/macron-en-naufrageur-de-l-industrie?onglet=full2. https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Rapports/2018/2018_07_industrie_croissance_avenir.pdf3. https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000591.pdf

27

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

Penser un nouveau mode de développement et agir pour le mettre en œuvre, c’est aussi redonner du sens une société qui en a besoin pour sortir de la crise.“ “

Faire entendre la voix des salariés,leur donner plus de droits au sein de l’entreprise et leur permettre de peser sur les grands choix qui les concernent en premier lieu permettrait non seulementd’éviter bien des désastres, mais aussi de mettre en œuvre des expérimentations,des solutions d’avenir.

“ “

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page27

Page 28: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

28

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

LA SÉCU PÂTIT DES LARGESSES PRÉSIDENTIELLESLe budget de la Sécurité sociale devait être à l’équilibrecette année, mais les nouveaux allégements decotisations décidés par Emmanuel Macron, qui secombinent avec une faible croissance, vont creuserle déficit. En 2019, les caisses seront dans le rouge.En cause, les mesures votées en décembre 2018 enréponse au mouvement des Gilets jaunes, notammentla « prime Macron » – des miettes distribuées auxsalariés tout en préservant les marges des entreprises,lesquelles bénéficient d’une exonération totale decotisations et d’impôts pour des versements allantjusqu’à 1000 € – qui tassera encore un peu plus lacroissance de la masse salariale à 2,9 %. D’où desrecettes « plus faibles qu’attendu », de l’ordre de1,7 milliard d’euros.La commission des comptes de la Sécurité socialeestime le manque à gagner lié à l’exonération desheures supplémentaires et à la baisse de la CSG pourcertains retraités à « respectivement 1,2 et 1,5 milliardd’euros ». Dès lors, le déficit pourrait atteindre4,4 milliards d’euros. La CGT chiffre à 114 milliards les recettes potentiellesaujourd’hui non exploitées : 13 milliards via l’augmentationdes salaires, 5,5 milliards via l’égalité salariale entreles femmes et les hommes, une fiscalité du capitalpour 30 milliards ou encore 20 milliards via la luttecontre l’évasion fiscale… n

À L’ASSAUT DE LA MOBILITÉAÉRIENNE URBAINEAirbus et la RATP se lancent dans l’aventure du taxivolant. À eux deux, le leader européen de l’aéronautiqueet le géant des transports en commun ont annoncéun partenariat pour envisager l’intégration des véhiculesvolants dans le transport urbain. Le territoire concernépar une première étude de faisabilité de services demobilité aérienne urbaine est l’Ile-de-France, où seulscertains pôles seront desservis. En fin d’année 2019,les premières conclusions seront tirées. Quoi qu’il ensoit, Airbus et la RATP annoncent que « ces véhiculesvolants n’auront pas vocation à remplacer les bus oules métros, ce ne sera pas non plus un service happyfew pour faire Roissy-La Défense ». n

CONSERVER ADP DANS LE GIRON PUBLICLa procédure pour demander un référendum d’initiativepartagée sur l’avenir d’Aéroports de Paris (ADP) aabouti. Processus aussi complexe qu’inédit, il faitrentrer la démocratie dans une longue chaîne de privatisations.Depuis trente ans, les citoyennes et citoyens sontinvités à se prononcer pour décider du devenir desbiens et richesses de la nation, ce qui n’a pas été le

cas, par exemple, lors des privatisationsdes autoroutes… Au bout de trenteans, la vente du patrimoinepublic par des gouvernementsaux logiques libérales seheurte à la mobilisation de248 députés et sénateursproposant une loi référen-daire pour « Affirmer le carac-tère de service public nationalde l’exploitation des aéro-

dromes de Paris ». L’objectif estde recueillir en neuf mois au mini-

mum 4,7 millions de signatures, soit10 % du corps électoral, pour soutenir cette propositionde loi s’opposant à la privatisation ADP (plus de 10 %de l’objectif étaient atteints une dizaine de jours aprèsl’ouverture du site qui recueille les signatures(https://www.referendum.interieur.gouv.fr/soutien/etape-1).

Les banques françaises financent les énergies fossiles

Une étude réalisée par l’observatoire Fair Finance France a passé au peigne finles politiques énergétiques des principaux groupes français. Elle souligne despratiques financières contestables. La note de Fair Finance détaille les investissementsopérés récemment par six grandes banques et se penche également sur lesprocédés financiers du Crédit coopératif et de la NEF. Ces deux derniers organismes,

de moindre envergure,font de l’éthique envi-ronnementale et socialeleur argument écono-mique. Et pour cet aspect-là particulier, la promesseest tenue.BPCE-Natixis, maisonmère du Crédit coopératif,affiche des pratiquesmoins glorieuses : elle

« continue de financer des entreprises charbonnées», relève l’analyse. Concrètement,en 2016 et 2017, c’est 5,6 milliards d’euros qui ont été financés par la banquedans les énergies fossiles et seulement 1,6 milliard d’euros dans les renouvelables.La Société générale a annoncé en ce milieu d’année 2019 qu’elle arrêterait detraiter avec des entreprises dont plus de 50 % de l’activité est réalisée dans lecharbon thermique ou n’ayant pas de stratégie de transition énergétique.Pour rappel, il y a deux ans, devant la commission d’enquête sénatoriale surl’évasion de capitaux, Frédéric Oudéa, patron de la Société générale, avait déclarésous serment que sa banque avait fermé ses implantations dans les pays figurantsur la liste grise des paradis fiscaux, ainsi que dans les États jugés non coopératifs,comme Panamá. Le sénateur Éric Bocquet, rapporteur de cette commissiond’enquête, avait annoncé début avril que son groupe (communiste, républicainet citoyen) allait saisir le bureau du Sénat au sujet de ces déclarations de FrédéricOudéa, en estimant qu’elles pourraient donner lieu à des poursuites pour fauxtémoignage.n

Brésil, droits humains et environnement :le double jeu français Emmanuel Macron a reçu le 16 mai 2019 le chef indien Raoni. Il l’a assuré dusoutien de la France dans son combat pour protéger la biodiversité et les peuplesde l’Amazonie, victime d’une déforestation grandissante. En effet, et malgré unelégère baisse de la superficie de déforestation ces dernières années due aux pro-grammes de préservation de la forêt amazonienne, c’est 20 % de sa surface totalequi ont disparu. D’après les hypothèses, entre 40 et 55 % de sa superficie vadisparaître dans les vingt prochaines années. L’État brésilien très agricole du

Mato Grosso est un des frontsmajeurs de la déforestation.Trois semaines après cette réception,le 5 juin, des grands patrons bré-siliens, des gouverneurs locaux etun représentant du gouvernementd’extrême droite du président JairBolsonaro étaient reçus en Francepour faire la publicité concernantles « opportunités » brésiliennesen matière de privatisations, deconcessions ou de grands projets

d’infrastructures. Le MEDEF soulignait dans son invitation au forum que « Leplan d’inspiration néolibérale du ministre de l’Économie, Paulo Guedes, a étéaccueilli favorablement par les milieux économiques ». n

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page28

Page 29: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

29

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

HOAX : LES OURS POLAIRES SE PORTENT BIEN…Des sites états-uniens climatosceptiques comme ClimateDepot, Watts Up With That?, No Tricks Zone, mais aussile think tank britannique The Global Warming PolicyFoundation, qui contestent régulièrement la réalité duréchauffement climatique, reviennent régulièrementsur le sujet. Preuves à l’appui, ils l’affirment : le nombred’ours polaires serait en hausse depuis 2005 d’aprèsune étude, contestée et non scientifique, de la zoologistecanadienne Susan Crockford.Premièrement, connaître exactement le nombre d’ourspolaires sur Terre est mission impossible, car il s’agitd’une espèce répartie sur des territoires éloignés etvastes.Deuxièmement, l’International Union for Conservationof Nature (IUCN) a établi une estimation, certes surdes relevés éloignés dans le temps, pour des périodesqui s’étalent sur vingt ans. La plus ancienne estimationdate de 1997. Selon l’IUCN, il y avait, en « s’appuyantsur des données incomplètes », 26000 ours polairessur Terre en 2016. Chaque sous-groupe d’ours a étéétudié.Enfin, d’après une étude menée par neuf scientifiquesexperts des environnements polaires et publiée dansla revue Biology Letters, leur nombre global pourraitêtre réduit de 30 % à l’horizon 2050.« C’est un problème de perte d’habitat, tout simplement »,assénait en avril 2018, dans le New York Times, lebiologiste Andrew Derocher, spécialiste des ours polairesà l’université d’Alberta, qui souligne que la diminutionde la population des ours polaires est due à unemécanique vicieuse : la diminution de la surface debanquise entraîne une perte d’espace favorable pourles populations de phoques, qui représentent plus de60 % de la nourriture des ours. En état de stressnutritionnel les ours polaires ne peuvent alors plusstocker assez de graisse pour survivre et se reproduire.n

RÉFORME DE LA SNCF : LA CONVENTION COLLECTIVE DANS LE FLOUVoici un an les cheminots étaient massivement mobiliséspour s’opposer à la réforme de la SNCF. Après plus detrois mois de grève, les cheminots n’avaient pas obtenu

le retrait de la réforme mais un certain nombre deconcessions et de promesses, sur lesquelles, d’ailleurs,le gouvernement et la direction de la SNCF semblentaujourd’hui vouloir revenir. La fin des embauches austatut et la transformation de la SNCF en société anonymesont prévues pour le 1er janvier 2020, en même tempsque l’ouverture à la concurrence.La convention collective de haut niveau promise n’atoujours pas abouti. En parallèle, les cheminots dénoncentune dégradation brutale des conditions de travail. Lesréductions de personnels conduisent à mettre souspression les agents, portant atteinte à la fois à leursconditions de travail et à la qualité du service rendu.La SNCF est dans une course à la rentabilité afin dese préparer à l’ouverture à la concurrence. Cette coursemortifère conduit un grand nombre d’agents à dénoncerleurs conditions de travail, certains n’hésitant pas àcomparer l’ambiance à celle de France Télécom, dontle procès des pratiques managériales est en cours. n

En Allemagne, la méthanisationbouleverse prix et pratiques agricoles

Pour sortir du nucléaire, outre la relance de fait du charbon, le gouvernementallemand a exhorté les paysans à investir dans la méthanisation. Le processusconsiste à produire du méthane dans la fosse à lisier des élevages bovins et

porcins. Ce gaz est converti par la suiteen électricité. Conséquence directe : lamoitié du maïs produit outre-Rhin estdirectement mélangé aux effluents d’élevagedans la fosse à lisier pour favoriser la fer-mentation qui émet le gaz, et la superficiede maïs traitée au glyphosate y a doubléen quelques années.Selon une étude comparative de la Société

d’aménagement foncier et d’économie rurale (SAFER) conduite en partenariatavec le ministère de l’Agriculture parue fin mai 2019, le prix des terres agricolesa augmenté de 140 % en Allemagne entre 2006 et 2017. Cette flambée est imputableà la course aux hectares dans les fermes allemandes pour produire de l’électricité,bien payée, à partir de la méthanisation. Mais cela met l’hectare de terre agricoleà 30000 € en moyenne dans ce pays frontalier de la France. À titre de comparaison,en France ce prix est de 8710 € l’hectare dans la plaine du Rhin et de 3200 €sur le plateau lorrain nord, en Moselle. La pression sur les terres agricoleseuropéennes, alimentée par la Chine, s’en trouve accrue. Pour illustration, lesterres agricoles des Hauts-de-France sont massivement investies par les Belgeset les Allemands. n

La végétation de l’hémisphère nord et le CO2

Nous nous faisons relais du communiqué du CEA endate du 3 avril 2019.À partir des données de long terme sur les concentrationsde dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, ungroupe international de scientifiques, coordonné parle Laboratoire des sciences du climat et de l’environ-nement (CEA-CNRS-UVSQ), a découvert que la végé-tation de l’hémisphère nord absorbait des quantitésde plus en plus grandes de CO2produites par l’activité

humaine, contribuant ainsi à ralentir le réchauffement climatique.Le CEA précise que la végétation terrestre et les océans capturent une quantitéde CO2 égale à la moitié des émissions générées par les activités humaines. Cettenouvelle étude montre que la végétation dans l’hémisphère nord a eu un rôleprédominant dans cette absorption globale depuis cinquante ans. Loin d’êtrecompromis par les sécheresses et les changements climatiques récents, ce puitsde carbone a même considérablement augmenté au cours des vingt dernièresannées. n

De l’eau sur Pluton L’étude des informations récoltées par la sonde dela NASA New Horizons pendant trois ans amènedes scientifiques du monde entier à estimer quesous la couche de glace et de gaz de Pluton secacherait un océan. Il prendrait place sous la partiegauche du cœur de la planète, appelé la plaineSpoutnik. Cette plaine est recouverte d’un énormeglacier profond de 4 km pour 1000 km de large etcomposé en majorité de glace d’azote. n

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page29

Page 30: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Sans l’homme, où vivraient les animaux?Une équipe constituée de scientifiques de l’université d’Aarhus (Danemark) etde celle Göteborg (Suède) s’est attachée à établir un atlas des aires de répartitionactuelles des animaux, incluant les aires de présence des animaux en l’absencede pressions exercées par l’homme.Pour établir une cartographie la plus complète possible, les chercheurs onttravaillé sur l’ADN provenant de fossiles. Ils ont pu déterminer ainsi commentles espèces éteintes sont génétiquement liées à celles actuelles. Les lieux de leurdécouverte ont donné, quant à eux, des informations sur les aires de répartitionde ces animaux disparus.Pour établir des hypothèses sur l’influence du changement climatique sur lesespèces animales, les chercheurs du monde entier recourent majoritairementà des cartographies représentant les habitats des espèces de mammifères. Orces données ne prennent pas en compte le véritable habitat de ces animaux :elles n’illustrent que l’habitat rogné par les activités humaines, comme la chasseou la déforestation.Cet atlas, compilé sur la plate-forme Phylacine, permettra une meilleure approchede l’impact du changement climatique sur la biodiversité. Une biodiversité quis’amenuise à très grandes vitesse. n

30

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

RÉUSSITE DE LA CONVERSION DE SANG EN TYPE O–Peter Rahfeld, chercheur de l’Université de la Colombie-Britanique (Vancouver), a converti du sang de type Asang du groupe O–. Pour arriver à ce résultat, lescientifique a extrait une enzyme d’une bactérie du tube digestif. Sa particularité : faire disparaître les protéines responsables du groupe A pour donnerun groupe O–, soit le groupe « donneur universel ».Avec son équipe, il doit encore conforter la précisiondu processus d’extraction et l’étude sur les éventuelseffets secondaires. En France, uniquement 7 % de la population possèdeun groupe O–, contre 37 % de A+. Cette avancéepourrait permettre de sextupler le nombre de donneursuniversels. Les hôpitaux manquent chroniquement desang pour les opérations, les accouchements, le suivides malades… n

UNE NORME INTERNATIONALECONTRE LES VIOLENCES ET LE HARCÈLEMENT AU TRAVAILL’Organisation internationale du travail (OIT) a adoptéle 21 juin 2019, une convention contraignante, accom-pagnée d’une recommandation, contre les violenceset le harcèlement au travail, reconnus enfin comme«une violation des droits humains ou une atteinte àces droits ». C’est une première, c’est surtout unevictoire historique qui couronne sept années de mobi-

lisation de la confédération syndicale internationale(300 organisations dans 151 pays) dans un contexteoù un pays sur trois n’a aucune législation pour protégerdu harcèlement sexuel au travail.C’est la CGT qui représentait les travailleuses ettravailleurs français dans cette négociation et qui acontribué à gagner un des textes les plus ambitieuxde l’OIT de ces cinquante dernières années.Alors que l’OIT fête ses cent ans, et deux ans aprèsla mobilisation mondiale des femmes déclenchée par#metoo, l’adoption de ces normes rappelle l’utilité decette institution et le fait que l’action collective paye.La dernière convention date d’il y a presque dix ans.Notre pays a joué un grand rôle. Le soutien «sansréserve» de la France, obtenu par la mobilisation inter-syndicale et féministe coordonnée par la CGT, a entraînél’Union européenne derrière elle. Il demeure au gou-vernement français de ratifier cette convention pourentériner ces nouveaux droits et d’engager desdiscussions tripartites. n

LA NORMANDIE CANDIDATE POUR LA CONSTRUCTION D’UN DUO D’EPRLa Normandie est officiellement candidate pour accueillirla construction du 2e EPR à Penly. La région l’a annoncéen marge du salon Nucléopolis, à Caen. Comme cesderniers seront désormais construits par deux, il s’agiraitde deux réacteurs. Le député communiste de Seine-Maritime Sébastien Jumel a souligné à l’occasion decette décision la nécessité « d’arriver à un mix énergétiqueéquilibré et intelligent, et le nucléaire en fait partie.Il faut une vision qui ne soit pas court-termiste ». n

On renvoie des conteneurs de déchetsLa Malaisie réexpédie des centaines detonnes de déchets plastiques vers de quatorzepays qui s’en étaient débarrassés sur sonterritoire. La Malaisie a pris le relais de laChine – qui en 2018 avait brusquementcessé de traiter les déchets occidentaux,mais nombre de ses usines de recyclagefonctionnent sans licence d’exploitation.La ministre de l’Énergie, de la Technologie,de la Science, de l’Environnement et duChangement climatique, Yeo Bee Yin, dit stop aux conteneurs introduits dansle pays « avec de fausses déclarations entre autres infractions, en violation patentede notre législation sur l’environnement ». Et elle est on ne peut plus claire : «LaMalaisie ne sera pas la décharge du monde.»Dans le monde, près de 300 millions de tonnes de plastique sont produiteschaque année, dont l’essentiel finit dans des décharges ou dans les océans. n

Les barrages hydroélectriques, notre bien communDans sa déclaration de politique générale de juin 2019, le Premier ministreÉdouard Philippe l’a affirmé : « Nous respecterons le droit européen, mais nousn’accepterons pas le morcellement de ce patrimoine commun des Français. ».Pressé par Bruxelles, le gouvernement français est gêné par le contexte duréférendum contre la privatisation d’Aéroports de Paris et la mobilisation quis’ancre sur la question des barrages d’EDF.Gilets jaunes, CGT, Sud, Parti communiste, EELV, socialistes, et autres : l’unitéétait présente fin juin pour défendre une gestion publique de ces infrastructureshydroélectriques et du bien commun qu’est l’eau. Plus d’une centaine de députésde tous bords présentaient à l’Assemblée nationale, le 5 avril 2019, une propositionde résolution pointant comme «dangereuse et irrationnelle l’ouverture à laconcurrence de ce secteur stratégique».Pour Fabrice Coudour, chargé de la question des barrages à la CGT Énergie, « ily a un très fort lobbying des opérateurs, qui veulent récupérer une part de rentabilité » :l’hydraulique rapporte environ 1,5 milliard d’euros par an à l’État et comptait,en 2017, pour plus de la moitié de l’électricité d’origine renouvelable produiteen France (et 10 % de l’électricité produite au total). n

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page30

Page 31: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

31

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

LE CONSEIL DE L’EUROPE CONTRE LA PLURIANNUALISATIONDU TEMPS DE TRAVAILC’est une victoire pour la CGT, qui avait saisi le Comitéeuropéen des droits sociaux. La loi « travail » du 8 août2016 créait la possibilité de mettre en place une modu-lation du temps de travail sur trois ans, ce qui avaitmotivé la saisine du comité par la CGT. Un accordpouvait donc prévoir que le temps de travail était plu-riannualisable, c’est-à-dire que l’on décomptait letemps de travail moyen sur plusieurs années, jusqu’àtrois ans.

Le Comité européen des droits sociaux a considéré quecette mesure était déraisonnable, notamment au motifqu’«une période de référence d’une durée supérieureà douze mois et pouvant atteindre trois ans a pour effetde priver les travailleurs du droit à un taux de rémunérationmajorée pour les heures de travail supplémentairesétant donné que la durée de travail hebdomadaire peutêtre augmentée durant une longue période sans majorationde la rémunération pour les heures supplémentaires ».C’est donc ainsi qu’il faut interpréter la Charte européennedes droits sociaux, texte directement invocable devantle juge français, qui devra donc l’appliquer et ordonnerle paiement des heures supplémentaires même en casd’accord de modulation du temps de travail sur troisans. Nous sommes navrés pour FO Métaux qui avaitsigné un tel accord avec l’UIMM avant même la publicationdu décret d’application. n

ALLEMAGNE : DES ÉCOLOGISTESCONTRE LE CHARBONPlus de 5000 activistes ont envahi la grande mine àciel ouvert de charbon de Garzweiler, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Ils étaient soutenus par le mouvementFridays for Future, que lança en 2018 l’adolescentesuédoise Greta Thunberg et qui s’est rapidement inter-nationalisé. Ce mouvement européen fait écho auxrécentes mobilisations de la jeunesse en faveur de lalutte contre le changement climatique.

Le renoncement au nucléaire a prolongé la dépendancedu pays au charbon. Plus polluante mais plus prévisible,moins chère et plus facile à acheminer que l’éolien oule solaire, l’énergie du charbon représente encore prèsde 40 % de la production d’électricité outre-Rhin. Legouvernement allemand vient de décider son abandond’ici à 2038 seulement, ce qui irrite les activistes éco-logistes. Avant d’enclencher leur « sortie du nucléaire »à la suite de la catastrophe de Fukushima, les Allemandsauraient pu se demander quelle source d’énergie miracleallait remplacer l’atome, énergie décarbonée parexcellence, avec les énergies renouvelables. n

Victoire syndicale pour la psychiatrieÀ Amiens, après sept mois de grève, la CGT de l’hôpital psychiatrique Philippe-Pinel a signé jeudi 17 janvier 2019 le protocole de sortie de crise proposé par la

direction. Ce dernier prévoit notamment lacréation de 30 postes de soignants et la titula-risation de 25 contractuels. Pour ChrystèleLeclercq, déléguée CGT de l’hôpital, les mesuresobtenues sont déjà « une grande victoire », etelle ajoute : « On ne pensait pas que ce seraitaussi long. Ça montre bien l’indifférence destutelles par rapport aux problèmes et à la réalitédu terrain. »

Selon Raphaël Tresanini, réalisateur du documentaire Psychiatrie : le grand naufrage,diffusé sur France 3 dans l’émission « Pièces à conviction » du 10 avril, « quand lesservices de psychiatrie sont rattachés à un groupe hospitalier de taille conséquente,cela peut fonctionner à peu près. Mais il faut aussi réaliser que certains directeursd’établissement ne s’intéressent absolument pas à cette spécialité. Pour toutes cesraisons, la psychiatrie est souvent le parent pauvre de l’hôpital ». n

Un manque de gynécologues en FranceUne chute vertigineuse de gynécologues médicaux est constatée depuis desdécennies en France. Pour l’année 2018-2019 ont été ouverts en gynécologiemédicale 82 postes d’internes. Ce qui ne permet pas de compenser la chute ver-tigineuse enregistrée par le conseil national de l’ordre des médecins ; au 1er janvier2018, il n’y avait plus en France que 1054 gynécologues médicaux en exercice,soit 891 de moins qu’en 2007, et 82 de moins qu’en 2017.En début d’année, leur nombre est passé largement sous la barre du millier, dufait de départs à la retraite. Ces gynécologues médicaux auront pour missiond’assurer la prise en charge de près de 30 millions de femmes en âge de consulter.De quoi préoccuper quand on sait que près de deux tiers des cas de cancers chezles femmes sont des cancers gynécologiques.Or si en 1997 la proportion des femmes consultant régulièrement et spontanémentleur gynécologue médical était de 60 %, elles n’étaient en 2012 que 25 % à pouvoirle faire, et sans doute bien moins encore aujourd’hui. C’est pourquoi de nombreusesvoix s’élèvent pour dire qu’il est de la responsabilité des pouvoirs publics dedéployer, dès aujourd’hui, un plan d’urgence pour la formation en nombre dejeunes gynécologues médicaux, afin que la gynécologie médicale puisse êtrepleinement accessible à chaque femme tout au long de sa vie. n

Il fait trop chaud pour travailler !Il a fait chaud. Et brûler du charbon comme en Allemagne, supprimer les normesenvironnementales sur les voitures comme aux États-Unis ou faire de l’affichagecomme en France ne fera que favoriser les épisodes caniculaires. Voici donc un

pense-bête : l’Institut national de recherche et desécurité (INRS) souligne qu’« au-dessus de 33 °C[travailler] présente des dangers » et peut être àl’origine de troubles pour la santé, voire d’accidentsdu travail. Ainsi, le chef d’entreprise « doit adapterle travail en conséquence ». Dans le secteur de laconstruction et des travaux publics, au delà de30 °C, il est déconseillé de travailler selon les

modalités habituelles. Enfin, l’article L4131-1 du Code du travail stipule qu’une« situation de travail dont [le travailleur] a un motif raisonnable de penser qu’elleprésente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé » peut « faire usagede son droit de retrait ». Sans climatisation ou exposé directement à une sourcede chaleur, il convient donc de faire valoir la vulnérabilité physique que représententles épisodes caniculaires de cet été 2019… et des longs étés à venir. n

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page31

Page 32: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

PAR DIMITRI FITSIOS*,

DÉCOUVERTE DES VIRUSL’histoire de la virologie modernepourrait remonter à 1892, lorsqueDimitri Ivanovski, célèbre bio-logiste et botaniste russe, meten évidence la présence d’agentspathogènes dans la sève deplants de tabac passés dans unfiltre de Chamberland (agentsd’une taille d’un dixième demicromètre [0,1 µm]). La pré-sence d’agents microbiologiquesinfectieux dans un filtrat supposélibre de tout micro-organismelaisse donc supposer la décou-verte d’une forme de microbejusqu’alors inconnue. C’est leNéerlandais Martinus Beijerinckqui utilise le premier le termelatin de virus, qui signifie « poi-son », pour nommer cet agentinfectieux contagieux. Il fautattendre 1935 et les travaux deWendell M. Stanley pour com-prendre la structure de cet agentpathogène baptisé « virus de lamosaïque du tabac ». Stanleyréussit à « cristalliser » ce microbeà partir de ses composants (pro-téine et acide nucléique), per-mettant ainsi de réaliser la pre-mière caractérisation d’uneprotéine virale. Les avancéestechniques de la microscopiepermettent également de voir,quatre ans plus tard, les pre-mières images, par microscopieélectronique, du virus de lamosaïque du tabac. Grâce auxprogrès techniques de la science,soixante et un ans après la mise

en évidence du premier virus,le généticien français AndréLwoff énonce les cinq caractèresfondamentaux faisant des virusdes entités originales :– le virion (particule virale) nepossède qu’un seul type d’acidenucléique (ou ARN ou ADN)pour coder son informationgénétique ;– le virion se reproduit unique-ment à partir de son matérielgénétique, par réplication deson génome (pas de mitose, pasde scissiparité) ;– les virus sont obligatoirementdes parasites intracellulaires ;ils ne peuvent se reproduire qu’àl’intérieur d’une cellule vivantedu fait qu’ils ne possèdent pasde système énergétique ou enzy-matique leur permettant d’as-surer leur autoréplication ;– le virion présente une structureparticulaire (cristallisation pos-sible) définie (icosaédrique,tubulaire…) ;– la taille du virion n’entre pasen considération, car il est capa-ble de passer au travers du filtrede Chamberland.

AVANCÉE DES RECHERCHESLIÉES AU DOMAINE MÉDICALC’est à travers le prisme de cettedéfinition que la virologiemoderne fonde l’ensemble deses recherches. Ainsi, les fractionsvirales ultrafiltrées sont systé-matiquement criblées pour larecherche de nouveaux virus.Entre autres, nous pouvons noteren 1983 la découverte par

nature virale de Bradford coccusa été révélée. En effet, les obser-vations au microscope électro-nique permettent de mettre enévidence une particule viraleicosaédrique de 500 nm de dia-mètre, soit trois fois plus grandeque le plus grand virus connualors ! La taille extraordinairede ce virus, baptisé alorsMimivirus (pour mimickingmicrobe virus), brise un dogmecentenaire : il existe des virusqui ne passent pas le filtre his-torique de Chamberland et sataille de 200 nm. C’est ainsi que

s’ouvre, en 2003, un nouveaupan de la virologie jusqu’alorscomplètement masqué, celuides « virus géants ». Suit alorsla découverte de trois nouvellesfamilles de virus géants, touscapables d’infecter des amibeset plus impressionnants les unsque les autres : – Pandoravirus, d’une taille de1000 nm et dont l’analyse dugénome par des outils bio-infor-matiques permet d’affirmer qu’iln’exprime pas moins de900 gènes qui ne ressemblentà rien de connu aujourd’hui ! Àtitre de comparaison, le virusdu sida, lui, n’en code que 9.– Pithovirus, découvert dans un

l’équipe de Luc Montagnier duVIH1, agent responsable du sida,ou bien, en 1977, la déclarationofficielle de l’OMS annonçantl’éradication de la variole (causéepar un poxvirus) du fait d’unelongue campagne de vaccinationau niveau mondial.En 1992, après une épidémiede pneumonie dans l’hôpitalde Bradford, en Grande-Bretagne, Timothy J. Rowbothamrecherche les bactéries Legionellapneumophila, responsables decas de pneumonie. Ses recher -ches se dirigent vers des amibes

(protozoaires unicellulaires pos-sédant un noyau) du genreAcanthamoeba, qui colonisentrégulièrement les circuits d’aé-ration des hôpitaux et sont leshôtes privilégiés des bactériescausant des pneumonies.Rowbotham découvre alors uneamibe parasitée par de grossesparticules rondes d’environ500 nm (soit 0,000 5 mm ou0,5 µm), sans être capable pourautant de caractériser ces para-sites intracellulaires. Durantvingt ans, il interprète ses obser-vations comme la découverted’un nouveau type bactérien,« Bradford coccus», difficilementcultivable. C’est en 2003 que la

L’étude des virus : tout un monde de perspectives et de recherches

Plusieurs théories sont en concurrence pour expliquer l’origine des virus géants. Ces virus pourraient constituer une quatrièmebranche éteinte du vivant.

n JEUNES CHERCHEURS

32

Les découvertes progressives en biologie sur les nombreuses formes de virus et lamise au jour récente de formes géantes bousculent notre représentation du vivant et mettent en avant le danger potentiel du dégel du pergélisol.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page32

Page 33: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

échantillon de sol gelé en Sibérievieux de 30000 ans. Sa taillecolossale de 1500 nm (1,5 µm)fait de lui le plus grand virusconnu à ce jour.– Mollivirus, d’une taille plusproche de Mimivirus, 600 nm,a lui aussi été découvert enSibérie dans un échantillon desol gelé âgé de 30000 ans.Plusieurs théories sont enconcurrence pour expliquerl’origine des virus géants. Cesvirus pourraient constituer unequatrième branche éteinte duvivant, avec les bactéries, lesarchées et les cellules nucléées,les eucaryotes, dont nous faisonspartie. Cette théorie repose surun puissant argument, celuiselon lequel ces virus ont ungénome codant en grande partiepour des protéines ne ressem-blant à rien de connu. Ainsi, onpeut supposer que ces virus, sidifférents entre eux dans leurcomposition en gènes mais par-tageant tout de même quelquesprotéines homologues (cellesde la capside, par exemple),dérivent d’un ancêtre antérieurà l’ancêtre commun des espècesvivantes d’aujourd’hui. ChantalAbergel et Jean-Michel Claverie,du laboratoire Information géno-mique et structurale, à Marseille,proposent le schéma suivant :un virus à ADN aurait pu êtrecapturé par une cellule ances-trale n’ayant pas de noyau (doncavant l’apparition des bactéries,des archées et des eucaryotes),devenant ainsi la première cellulenucléée à ADN. Par la suite, ceprotonoyau aurait pu retournerà un état viral, redonnant auvirus sa caractéristique de para-site. La découverte des virusgéants remet donc en causenotre vision de l’histoire de lavie. Ces derniers seraient, enquelque sorte, un témoignagede la vie passée. La récentedécouverte au Gabon de fossilesdans des roches vieilles de2,1 milliards d’années repousseainsi l’apparition de la vie 1,5 mil-liard d’années plus tôt que ceque l’état des connaissancesavait permis d’établir. Ces décou-vertes laissent donc supposer

« dormante ». Ces bactéries sousforme dormante sont appeléesspores. La robustesse de leurparoi, la faible teneur en eau dumilieu et une dépense d’énergieminimale confèrent aux sporesdes caractéristiques remarqua-bles de résistance : elles peuventsurvivre pendant des centainesd’années. Ainsi, dans la péninsulede Iamal, c’est une spore deBacillus anthracis libérée par

la fonte du pergélisol et retournéeà sa forme végétative qui est àl’origine de cette crise sanitaire.La découverte de Pithovirus etMollivirusdans des échantillonsde sols anciens gelés en Sibériea alerté la communauté scien-tifique sur un second risquemicrobiologique, celui du retourde virus anciens infectieux.Comme l’ensemble des virusgéants, Pithoviruset Mollivirusont leur matériel génétique sousforme d’ADN, bien que les virusgéants ne soient, a priori, paspathogènes pour l’être humain,il n’est pas à exclure que d’autresvirus à ADN soient capables derefaire surface. C’est le cas, parexemple, du virus de la variole.Une série de quatre momiesdatant du XVIIe siècle ont étédécouvertes en Iakoutie, Sibérie;l’analyse génétique de ces

momies a permis d’affirmer queces individus avaient été encontact avec un clone ancestralde la variole.

La découverte des virus géantsapporte donc deux messages :– sur le plan épistémologique,il est important de se rappelerque la découverte d’un potentielquatrième domaine du vivantavait été rendue impossible parune définition arbitraire de lanotion de virus. Mimivirus estdonc une découverte paradig-mique, conduite par unerecherche fondamentale quilaisse la place au questionne-ment et à l’appréciation de lavalidité des critères préétablis,parmi lesquels la classificationdu vivant en trois domaines.– concernant la sonnetted’alarme tirée lors de la décou-verte de Pithoviruset Mollivirus,qu’adviendra-t-il lorsque l’oncommencera à exploiter indus-

triellement toutes ces régionspolaires ? Dans la mesure où le réchauffement climatiqueentraîne un recul de la calotteglaciaire, les côtes nord sontdésormais accessibles auxbateaux. La pression mise parles industries extractrices surles États pour les pousser à auto-riser l’exploitation des zonessubarctiques riches en métauxprécieux et en ressources fossiless’accroît. Nous devons refuserque la course au profit nousoblige à accepter l’exposition àl’air libre de sols qui étaientcongelés depuis des centainesde milliers d’années, libérant,en plus des gaz à effet de serre,les innombrables bactéries etvirus qu’ils contiennent.n

*DIMITRI FITSIOS est doctorant en biologie.

que l’apparition de la vie surTerre a été ponctuée de nom-breuses étapes encore grande-ment inconnues.

LES VIRUS GÉANTS, UN ENJEU DE TAILLELe pergélisol, normalement geléen permanence, subit de pleinfouet le réchauffement clima-tique. Avec une augmentationde 0,3 °C en moyenne de la tem-pérature annuelle en Arctique,le monde scientifique lance unealerte. Stockant 1700 milliardsde tonnes de carbone, soit envi-ron le double de la quantité dedioxyde de carbone (CO2) déjàprésent dans l’atmosphère, maisaussi du méthane et une grandequantité de mercure, la fontedu pergélisol est une bombe àretardement très puissante. Enplus de libérer des gaz à effetde serre en grande quantité, lafonte des sols gelés entraîne degraves problèmes géologiques.Les sols, devenant meubles, s’ef-fondrent, générant des affais-sements de terrain gigantesqueset mettant en péril les fonda -tions des bâtiments, comme àIakoutsk, en Sibérie.Au risque physico-chimique,nous devons ajouter le risquemicrobiologique. En effet, fin2015 ce sont 2300 rennes et unjeune garçon qui ont succombéà une infection pulmonaire dansla péninsule de Iamal, en Russie.Le responsable ? Bacillusanthra-cis, une bactérie allongée, unbacille, produisant diversestoxines capables de générerescarres, septicémie et infectiondes voies respiratoires. En l’ab-sence de conditions favorablesà leur croissance, les bactériesdu genre Bacillus sont capablesde rentrer dans une forme dite

La découverte de Pithovirus et Mollivirus dans des échantillons de sols anciens gelés en Sibérie a alerté la communauté scientifique sur un secondrisque microbiologique, celui du retour de virus anciens infectieux.

33

Rapports de la taille de diversvirus avec celle de la bactérieEscherichia coli.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page33

Page 34: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

Michel Serres, les sciences et la philosophieDans tout consensus, il y a quelque chose de suspect. Les hommages, parfois dithy-rambiques, rendus à Michel Serres au lendemain de sa mort visent essentiellement lepersonnage médiatique. L’essentiel est pourtant ailleurs.

PAR JEAN MICHEL GALANO*,

ichel Serres : penseurubiquitaire, chroni-queur scientifique

habitué à s’exprimer sur tousles sujets, de la physique desparticules à l’anthropologie, enpassant par les mathématiques,l’écologie, la géologie, et j’enpasse… Chroniqueur brillantqui avait des idées sur tout, lapolitique, la pédagogie, l’usagedes médias, les réformes àaccomplir. On pouvait s’en aga-cer, voire dénoncer un peu desupercherie dans cette éruditionprofuse et ces prises de positionassenées de façon trop souventpéremptoire.On pourrait se contenter desaluer en Michel Serres un écri-vain doté d’une rare originalité,

avec son écriture nerveuse etrythmée, très marquée par l’ora-lité, ses phrases au grain serréet ses séduisantes métaphoresempruntées au vocabulairemarin, qu’il affectionnait. Onaurait tort toutefois. MichelSerres fut d’abord un authen-tique philosophe et pédagoguedes sciences. Sa formation l’aconduit à un parcours singulier,marqué par l’adhésion indéfec-tible à une certaine conceptiondu monde, et plus particulière-ment de l’ordre du monde,

conception dont il est redevableà son « vieux maître » GottfriedWilhelm Leibniz. Conceptiondont il a développé jusqu’auterme ultime les potentialités.

UN PARCOURS À LA FOISCLASSIQUE ET ATYPIQUEEn 1949, Michel Serres est reçuau concours de l’École navale,dont il démissionne peu aprèspour préparer le concours d’en-trée à l’École normale supérieure.Fils de batelier et « marin d’eaudouce », comme il aimait à ledire, il restera homme de la meret navigateur toute sa vie, depuisson service militaire en tantqu’officier de marine jusqu’àses dernières années. Sa forma-tion de philosophe avec le typed’études classiques qui condui-sent à la rue d’Ulm, il a su la

mettre en perspective, voire encontrebalancer les aspects néga-tifs, par la pratique exigeante etrigoureuse de la navigation etde tout ce qu’elle suppose demodestie et de rigueur propre-ment scientifique. Pendant plus de quinze ans, iltravaille à sa thèse de doctorat,ouvrage monumental et quicontinue à faire autorité, laPhilosophie de Leibniz et sesmodèles mathématiques. Au sor-tir de la guerre, s’intéresser à cepenseur allemand si souvent

opposé à Descartes relevait d’unchoix singulier, d’autant plusque Leibniz avait fait l’objet, audébut du XXe siècle, dans l’uni-versité française d’études rigou-reuses et exhaustives, celled’Émile Boutroux notamment.Surtout, en ces années où l’exis-tentialisme tenait le haut dupavé et malgré le prestige trèsréel d’un Gaston Bachelard, laphilosophie des sciences restaitune affaire de spécialistes.

UN LIEN FORT ENTRESCIENCES ET PHILOSOPHIESerres innove. Ce qui le séduitet peut-être même le fascinedans le système leibnizien, c’estl’intérêt porté aux continuités,aux relations en réseaux, au faitque dans cette conception dumonde tout se réponde. Lemonde de Leibniz est à la foisinfiniment varié (il n’y a pasdeux choses identiques, c’est leprincipe des indiscernables) etintégralement connaissable(principe d’universelle intelli-gibilité). Le fait est que le systèmeleibnizien se présente sous la

forme d’un réseau à entréesmultiples, « en étoile », dit jus-tement Serres, d’une tabulationqu’on peut lire dans n’importequel sens. C’est là ce qui fait sagrande différence avec le systèmede Descartes. Comme le ditSerres, « le monde leibnizien n’estpas uniforme, il est varié, com-pliqué, harmonieux seu lementen dernier ressort». Harmonieuxtout de même, et c’est pourquoi,malgré toutes les apparences,ce monde est « le meilleur desmondes possibles».Et même si Serres souligne l’ex-trême attention portée parLeibniz à la biologie naissante(Leibniz est le premier à mesurertoute la portée des découvertesd’Antoni van Leeuwenhoeck),il n’y voit, il est vrai, qu’uneconfirmation et une illustrationde son système : démarche quisubordonne quelque peu lascience à la métaphysique,laquelle tout en la respectantscrupuleusement se croit fondéeà en donner la vérité.Au-delà de Leibniz, le mériteéclatant de Michel Serres aura

n ÉPISTÉMOLOGIE

34

Le mérite incontestable de Serres est d’avoir, notamment dans les années post-68, mis au premierplan la catégorie de vérité là où les autres ne juraientque par celle de sens.

Image n6

Michel Serres à la librairieDialogues à Brest, Finistère, le 30octobre 2014.

M

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page34

Page 35: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

été de montrer l’existence d’unevéritable structure d’échangesentre sciences et philosophie.Le thème de la traduction (titrede l’un des Hermès) est à cetégard tout à fait décisif : lesphilosophies, dans ce qu’ellesont de meilleur, ne se déve-loppent pas de manière isolée,ne sont pas la création arbitraired’un philosophe roi ou artiste ;elles sont la traduction aprèscoup, beaucoup plus rarementl’anticipation, d’un travail effec-tué hors d’elles. C’est ainsi quedans la Naissance de la physiquedans le texte de Lucrèce Serresclôt de façon à peu près défi-nitive l’interminable débat surle clinamen, cette étrange pro-priété qu’ont pour les épicu-riens les atomes de s’écarterlégèrement, dans leur chuteperpétuelle, de la ligne droitepour s’agréger entre eux etconstituer des corps. Cette pro-priété, qui substitue le hasardà la fatalité et où Marx voit unepremière forme de liberté,Serres montre qu’elle procèded’une observation rigoureusedes phénomènes naturels, enl’occurrence de ce qu’on nom-mera plus tard la mécaniquedes fluides. Ce faisant, aurebours de la lecture moralistetraditionnelle, il introduit l’épi-curisme dans l’histoire dessciences.Le mérite incontestable de Serresest d’avoir, notamment dans lesannées post-68 et quelle qu’aitpu être son amitié avec, parexemple, Michel Foucault, misau premier plan la catégorie devérité là où les autres ne juraientque par celle de sens. La science,que ce soit dans ses formes éla-borées (les sciences dites« dures ») ou dans ses formesencore en devenir (les scienceshumaines), n’est pas une idéo-logie. Le savoir n’est pas réduc-tible à un vouloir. Il y a de l’in-tersubjectif, toujours susceptibled’être brouillé, parasité, maisqui extirpe les relations humainesdu bruit et de la fureur. Telle estla transversalité : les hommesne communiquent que par cequ’ils ont en commun.

FORCE ET IMPASSE DU MODÉLE LEIBNIZIENLe modèle leibnizien mis enœuvre par Michel Serres s’avèredonc d’une extrême fécondité.Entre les sciences proprementdites et les sciences humaines,il pose l’existence et la nécessitéd’un « passage » dont le fameux« passage du Nord-Ouest » (bienconnu dans l’histoire des explo-rations et titre de l’un de sesmeilleurs livres) lui fournira unebrillante métaphore. Mais lessavoirs techniques se trouventaussi réhabilités : c’est le momentde se souvenir que Leibniz étaitingénieur des mines, et par ail-leurs le concepteur et réalisateurdu cylindre cannelé, la premièrevéritable machine à calculer.Mais ce que Serres privilégie deplus en plus dans la pensée deLeibniz, ce n’est pas sa très réelleinventivité technique ni la qua-lité de ses observations. C’estle calcul. Pour Leibniz, DumDeus calculat, fit mundus (« le

devenir du monde est un calculdivin »). Dieu est « une immensemachine à calculer, capabled’amour, mais qui calcule tout,les raisons de ses décrets commeles doses de son amour» (JacquesBrunschwig). De même lemonde totalement laïcisé deMichel Serres est-il pleinementrationnel, au sens où tout y a saraison d’être, peut-être très obs-cure pour nous, qui ne sommespas à une place centrale dansce dispositif, mais rationnelle,et donc légitime en droit.Ici s’engrène, avec une sorte denécessité de structure, une visionconservatrice du monde. Demême que pour Leibniz l’universne cesse de progresser vers lemeilleur selon un mouvementininterrompu, sans que leshommes aient à y prendre plusque leur part, de même pourMichel Serres si tout le réel est

Et il y a davantage encore. Unethèse leibnizienne fondamentale,reprise par Michel Serres, portesur ce qu’on appelle classique-ment la composition du continu: pour Leibniz, il n’y a jamais deruptures autres qu’apparentes,pas de commencement absolu,pas de chocs ni de fractures maisdes processus dont du fait denotre finitude nous escamotonsla continuité. Cette thèse méta-physique se révèle remarqua-blement stimulante pour la com-préhension scientifique dephénomènes physiques tels quel’élasticité, l’impénétrabilité, ouencore dans la biologie naissantel’existence de micro-organismes.Le dynamisme leibnizien semontre de ce point de vue incom-parablement supérieur au méca-nisme cartésien. Le continuismeleibnizien peut rendre comptedes processus évolutifs qui mar-quent l’histoire du vivant. Les choses se compliquentencore un peu plus quand onen arrive à l’histoire humaine.Les modèles mis en œuvre parSerres, s’ils lui permettaient defaire l’économie de la dialectique,ne lui donnaient pas les moyensde penser conceptuellement ladifférence anthropologique.Ayant disqualifié, comme on l’avu, l’histoire en tant que créationhumaine, Serres s’est rabattud’une part sur les théories deRené Girard (la Violence et leSacré), d’autre part sur une médi-tation franchement écologistedes relations de l’homme à lanature, avec l’idée d’un droit decelle-ci (le Contrat naturel).Continuisme toujours.La pente qui a mené MichelSerres, après un apport tout àfait salutaire et considérable,vers un statut de chroniqueurhypermédiatique doit être com-prise moins comme le devenird’un homme que comme laconséquence d’une certaineconception métaphysique etantidialectique du monde natu-rel et humain. On reste toujoursl’homme de sa philosophie.n

*JEAN MICHEL GALANO est philosophe.

rationnel, du moins en droit,l’inverse n’est pas vrai : le ration-nel, ce sont des modèles idéauxque nous donnent à penser lesmathématiques. Ce qui reste,c’est le bruit, le parasitage, l’ap-parence charmante ou horrible,mais qui n’est telle que pournous. Ce qui n’est pas intégrablepar la science en l’état actuelde son développement se trouverenvoyé à l’esthétique.Le postulat essentiel du conser-vatisme est toujours celui d’uneharmonie naturelle sous-jacentequi transcenderait tous les dés-ordres apparents, naturels ouhumains. Là se révèle, c’est bienconnu, la dureté profonde dusystème leibnizien : le mal n’estqu’une illusion d’optique, à nousde prendre la bonne distanceet de travailler notre vision dumonde. Il en va de même pourMichel Serres : les tentatives deshumains pour prendre en mainleur destin, pour faire de l’his-toire, voire pour faire histoire,

ne suscitent chez lui qu’une iro-nie apitoyée. Dans Genèse, aprèsavoir expliqué que « le bruit defond est le fond du monde », ilrègle leur compte aux révolu-tionnaires d’une phrase : « Il ya un bruit de fond dans le bruitde fond, et c’est là toute la chan-son. » Ce que nous appelonsprétentieusement et inconsi-dérément Histoire, ce n’est enfait qu’une juxtaposition d’his-toires, au sens où l’on dit d’unenfant ou d’un enquiquineurqu’il « fait des histoires ». Et il ya davantage : du fait que l’actiondes hommes ne s’exerce effica-cement qu’au niveau local, touteentreprise à dimension civili-sationnelle se voit révoquée enson principe comme « violence »;« La violence est l’un des deuxou trois outils permettant illu-soirement de passer du local auglobal. »

35

Là se révèle, c’est bien connu, la dureté profonde du système leibnizien : le mal n’est qu’une illusiond’optique, à nous de prendre la bonne distance et de travailler notre vision du monde.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page35

Page 36: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

PAR MICHEL LIMOUSIN*,

es vaccins ont constituéune grande avancée dansla lutte contre les mala-

dies infectieuses microbiennesou virales. On cite toujoursl’exemple de la variole, qui a étécomplètement éradiquée. C’étaitune maladie mortelle ou gra-vement invalidante. Le vaccinétait efficace, mais il n’était passans risque puisque dans uncas sur un million il entraînaitune variole avec soit de gravesséquelles neurologiques, soit lamort par encéphalite. Pourtant,ce risque était accepté car lerapport bénéfice/risque étaittrès favorable. La variole étaitune maladie à contaminationinterhumaine spécifique terri-fiante. Lorsque le dernier cashumain a été traité, l’Organi -sation mondiale de la santé adécidé, après un temps delatence de sécurité, d’arrêter lavaccination au niveau mondial.Espérons que quelque militairepervers n’ait pas gardé dessouches en réserve pour uneéventuelle guerre biologique…

D’une certaine façon, l’enjeuétait collectif et non pas indi-viduel ; c’était une mesure de

santé publique obligatoire, nonsoumise à l’appréciation indi-viduelle. Il y avait une adhésionlarge des populations à cettemesure d’ordre public.Aujourd’hui, les choses sont dif-férentes. L’adhésion individuelleaux campagnes de vaccinationne se fait pas facilement. Il y aplusieurs raisons à cela :1. Le progrès médical a été telque les gens ont perdu l’expé-rience de ces maladies trans-missibles dans les pays déve-loppés, et de ce fait ils font moinsle lien avec la prévention miseen place.

2. L’individualisme s’est répandudans la société, et chacun veutêtre maître de son destin.

L’individu ne comprend pas quesa propre vaccination sert à pro-téger les autres. Pour qu’unepopulation soit correctementprotégée par la vaccination, il

est communément admis parles statisticiens que 95 % desgens doivent être vaccinés. Untel taux empêche l’agent patho-gène de se propager, et parconséquent les personnes quin’auront pas été vaccinées serontelles aussi protégées; alors dansles cas de non-vaccination ilpeut s’agir de personnes qui ontune contre-indication médicalejustifiée, comme un déficitimmunitaire, ou d’un simpledysfonctionnement du systèmede santé. La vaccination n’estdonc pas une simple protection

individuelle. On le voit bien pourla vaccination antigrippe.3. Des erreurs de communica-tion ont joué un rôle aggravant.Par exemple quand le ministrede la Santé Bernard Kouchnera arrêté la campagne de vacci-nation scolaire contre l’hépa-tite B de l’ensemble des enfantsparce que certains avançaientdans les médias l’idée qu’il yavait un risque de développe-ment de sclérose en plaques,la population en général, envertu du principe de précaution,a préféré s’abstenir de vaccinerles enfants contre cette maladie vraiment dangereuse. Lespreuves scientifiques ont étéapportées qu’il n’y avait aucun

risque particulier lié à cette vac-cination, mais le doute étaitdans les têtes.4. L’attitude des laboratoires deproduction a joué un rôle négatifaussi. Ils sont totalement orientésvers le profit : c’est de plus enplus évident aux yeux de tous.Il s’en suit là aussi un doute :Est-ce qu’on me vaccine pourmon bien ou pour le profit desmultinationales du médica-ment? Y a-t-il un risque de com-promission des décideurspublics ? Des affaires récentessèment le trouble…

n SOCIÉTÉ

36

La peur des vaccins, un phénomène complexe?La question de la méfiance du grand public à l’égard des vaccins se pose de nou-veau aujourd’hui. C’est un vrai problème de santé publique.

Le progrès médical a été tel que les gens ont perdul’expérience de ces maladies transmissibles dans les pays développés, et de ce fait ils font moins le lien avec la prévention mise en place.

Pour qu’une population soit correctement protégée par la vaccination, il est communément admis par lesstatisticiens que 95 % des gens doivent être vaccinés.

L

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page36

Page 37: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

37

5. Enfin, de nombreux lobbiesréactionnaires antiscientifiquessont à l’œuvre, en particuliersur Internet. Certains courantspseudo-écologistes se mobili-sent. Cela ajoute au désarroi dela population. Une campagnecontre les sels d’aluminium pré-sents dans les vaccins perdure ;pourtant, l’ensemble des orga-nisations de médecins (pédiatres,épidémiologistes, médecins desanté publique) se sont pronon-cées clairement sur ce sujet. Lesadjuvants type sels d’aluminiumsont utiles car ils potentialisentl’action des vaccins et permettentd’injecter moins d’extrait virauxou bactériens. Mais le bruit defond de la crainte continue.

OÙ EN EST-ONAUJOURD’HUI? Des maladies comme la rougeoleont fait leur réapparition, avecdes morts à la clé. C’est une véri-table épidémie mondiale dénon-cée par l’Organisation mondialede la santé (229000 malades en2018, dont 136000 décès, contre170000 cas en 2017). L’UNICEFa lancé un cri d’alarme le 2 mars2019. Dix pays, dont le Brésil,l’Ukraine et la France, sont res-ponsables des trois quarts envi-ron de l’augmentation totaledes cas en 2018. Si on peut lecomprendre de pays insuffi-samment développés ou en

guerre, c’est inadmissible pourla France. En Israël, c’est la popu-lation ultra-orthodoxe qui estparticulièrement touchée, carelle refuse les vaccinations déli-vrées dans les écoles publiques.Le dernier point de situationconcernant la rougeole, qui vientd’être publié par Santé publiqueFrance, insiste sur l’existencede foyers épidémiques actifs.Depuis le 1er janvier 2019, pasmoins de 244 cas ont été recensés

(rappelons qu’une personnemalade contamine en moyenne15 à 20 personnes). Ils se situenten Savoie, avec 48 cas à Val-Thorens et 5 cas dans les valléesvoisines; début février, l’agencerégionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes a affirmé l’existencede 18 cas identifiés depuis janvierdans cette station de ski. Lesautres foyers se situent en Haute-Garonne avec 15 cas dans unecommunauté de gens du voyage,à La Réunion avec 36 cas déclarésdepuis décembre 2018, et àMayotte avec 14 cas déclarésdepuis le 1er janvier 2019… (voirla carte ci-dessus).91 % des cas déclarés sont sur-venus chez des personnes nonou mal vaccinées ; 30% des cas

déclarés de rougeole ont donnélieu à une hospitalisation, dont4 cas en réanimation. La cam-pagne de vaccination obligatoiresemble avoir porté ses fruits :le nombre de cas commenceraità décroître.Concernant les méningites àméningocoques, on observe descas sporadiques mais toujoursgraves. Lorsque cela arrive, lesgens se font vacciner en massedu fait du risque de contagion

plus optimiste, avec un dépistageet une vaccination pour tous.Cette projection se fonde surune augmentation très rapidede la couverture vaccinale, quiatteindrait 80-100 % d’ici à 2020avec le vaccin large spectre.Dans ce cas de figure, le cancerdu col de l’utérus pourrait êtreéliminé dans le monde d’ici àla fin du siècle. Pour les pays endéveloppement, le large déploie-ment d’un dépistage fondé surle test HPV deux fois dans la vie,à l’âge de 35 et 45 ans, avec unecouverture de 70 % permettraitd’éviter de 12,5 à 13,4 millionsde cas dans les cinquante pro-chaines années.Le taux de couverture vaccinalede la France est aujourd’hui l’undes plus bas en Europe (moinsde 20 % de la population cible).Cette question est connue depuisplus de dix ans dans le pays,mais les gouvernements suc-cessifs n’ont rien fait : la raisonest financière (de l’ordre de 140 €par dose). Chaque année, envi-ron 1000 femmes meurent dansnotre pays de ce cancer qui peutêtre évité. On laisse la chargede ce vaccin cher à la famille.C’est scandaleux. Une réformepublique de fixation du prix desmédicaments devient là aussiurgente.Il faut ajouter à cela les faussesinformations. Un médecin « lan-ceur d’alerte » a signalé qued’après une étude australiennele vaccin favoriserait l’appari-tion de cancer. Il n’en est rien.La Société française de colpo-scopie a repris ladite étude etmontré que c’est faux, d’autantplus faux que dans ce type devaccin il n’y a ni virus ni agentsinfectieux.Il faut sans cesse expliquer,convaincre. Il faut mettre enœuvre les moyens financiers etorganisationnels. Dans ces seulesconditions l’obscurantisme recu-lera et la santé s’améliorera.C’est un combat contre l’irra-tionnel qu’il faut livrer. n

*MICHEL LIMOUSIN est médecin et membre du conseil scientifique de la Fondation Gabriel Péri.

de proximité (par exemple dansles collectivités scolaires : uni-versités, écoles, etc.). Là ils ontpeur et se mobilisent. Il vaudraitmieux qu’ils se fassent vaccineravant. C’est une assurance.Enfin, dernière idée farfelue àla mode : imputer la responsa-bilité de l’autisme au vaccin«rougeole, oreillons, rubéole»(ROR). Des études statistiquespuissantes ont démontré lecaractère non fondé de ces allé-gations, mais la rumeur estencouragée, y compris par cer-tains « écologistes », dont undéputé européen.

LE VACCIN CONTRE LE CANCER DU COL DE L’UTÉRUSLe directeur général del’Organisation mondiale de lasanté, le docteur Ghebreyesus,a appelé à agir pour éliminer lecancer du col de l’utérus. Dansla revue The Lancet Oncology,des chercheurs australiens ontfait des projections sur l’inci-dence de ce cancer à travers lemonde, en fonction de différentsscénarios de dépistage et devaccination contre le papillo-mavirus humain (HPV) respon-sable. Si rien de plus n’est fait,il y aura 44,4 millions de cancersdu col de l’utérus dans le mondedans les cinquante prochainesannées (2020-2069) et 15 millionsde décès dans les pays en déve-loppement ou émergents. Enrevanche, la situation serait biendifférente dans le scénario le

Des maladies comme la rougeole ont fait leurréapparition, avec des morts à la clé. C’est une véritableépidémie mondiale dénoncée par l’Organisationmondiale de la santé (229000 malades en 2018, dont 136000 décès, contre 170000 cas en 2017).

Source : Santé publique France.

RÉPARTITION DES CAS DE VARIOLE RECENSÉS EN FRANCE

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:15 Page37

Page 38: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

PAR CHRISTINE NOËL-LEMAÎTRE;ET SÉVERINE LE LOARNE-LEMAIRE*,

NOUVEL ESSOR POUR LE STATUT COOPÉRATIFET ENJEUX POUR PENSER LE TRAVAILLe champ de l’économie socialeet solidaire renvoie l’image d’unmodèle alternatif synonymed’émancipation des salariés, debien commun et de mieux-êtreau travail. C’est dans ce cadreque le statut coopératif, né� auXIXe siècle en réaction aux dérivesde l’entreprise capitalistiquenaissante1, connaît aujourd’huiun regain d’intérêt. Longtempscantonnée aux mondes agricole,mutualiste ou bancaire, cetteforme juridique est désormaissollicitée dans des domainesdiversifiés, allant de la productionde biens courants (projet de

SCOP [société coopérativeouvrière de production] déposépour la reprise de l’usine Fralib)aux services de transport (casde SeaFrance) ou encore auxsecteurs plus high-tech (Alma,Animascope)… Le recours à cestatut juridique alimente lesespérances de nombreux salariés

et d’entrepreneurs en matièrede bien-être au travail et de réa-lisation de soi.

Sur un plan purement théorique,la coopérative devrait faciliterla mise en place d’un manage-ment centré sur la dimensionsociale de l’entreprise tout envisant à� atteindre des objectifséconomiques classiques. Engarantissant la sécurisation del’emploi grâce au contrôle de

coopérative inviterait les salariésà� souscrire à� un contrat psycho-logique implicite qui ne seraitpas toujours rempli par l’em-ployeur2 et qui pourrait induireune forme insidieuse de souf-france au travail due à une formed’autoaliénation. Pour Pasquieret Liarte3, la gouvernance de laSCOP et le mode d’organisationdu travail qu’elle sous-tendseraient parfois très éloignésdes ambitions éthiques qui lesfondent. La SCOP peut parfoisse transformer en outil de domi-nation par quelques-uns de lamajorité� des salariés et succom-ber au phénomène de dégéné-rescence démocratique.Dans ce contexte, cet articleentend présenter une synthèse

Les SCOP, un eldorado organisationnel et managérial ?Nombreux sont les salariés qui aspirent à un des modes d’organisation du travail alter-natifs, dans lesquels la qualité du travail et la performance ne seraient plus des injonc-tions paradoxales. Qu’en est-il vraiment avec les SCOP ?

n ÉCONOMIE

38

la stratégie de l’entreprise parles salariés, et non par des partiesprenantes indépendantes del’entreprise comme des fondsde pension, le recours à la formecoopérative est ainsi présenté,du moins en théorie, commeun moyen d’éviter les délocali-sations ou les fermetures d’ac-tivité pour cause de rentabilitétrop faible.La réalité du travail dans l’éco-nomie sociale et solidaire esttoutefois souvent bien éloignéede ces images d’Épinal. Ainsi,les attentes en matière de bien-être au travail formulées par lessalariés de l’économie socialeet solidaire ne seraient pas néces-sairement satisfaites, loin de là� .Le fait de travailler dans une

La coopérative, par la démarche collectiviste sur laquelle elle repose, est un moyen pour l’individude s’extraire d’un rapport de contrainte qu’il juge soit injuste, soit en sa défaveur.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:16 Page38

Page 39: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

des raisons pour lesquelles lacoopérative, qui devrait théo-riquement favoriser une orga-nisation du travail permettantà chaque salarié� de penser sontravail, et dès lors de pouvoirviser à un épanouissement pro-fessionnel, peut se révéler enréalité incapable de générer lesconditions d’un travail authen-tiquement émancipateur.

UNE HISTOIRE ANCIENNELe statut de coopérative n’estpas récent : son apparition estquasi concomitante à� la dispa-rition du compagnonnage et à�l’émergence de l’entreprisemoderne, avec le statut desociété anonyme apparu enFrance au XIXe siècle et favorisépar la loi de 1867. Les historiensattribuent la naissance du statutcoopératif à des tisserandsanglais de la région de Rochdalequi, en 1844, ne parviennent à�obtenir ni hausse des salairespar les manufacturiers ni haussedes prix de vente de leurs pro-duits auprès des commerçants.Afin de garantir un niveau devie correct, les vingt-huit tisse-rands concernés mettent unepartie de leurs économies encommun pour fonder une asso-ciation commune et un magasincommun. Le principe est fondé� :la coopérative repose sur le par-tage d’un actif dans lequel desindividus investissent de ma -nière commune, qu’il s’agissed’un actif de production ou devente. Ces individus veulenttous vivre décemment du pro-

duit de leur travail en s’affran-chissant de la domination, àcaractère essentiellement éco-nomique, d’un entrepreneurqui ne redistribuerait pas leprofit de la vente de ce travailde manière équitable à� l’ensem-ble des travailleurs, mais plutôtaux propriétaires de l’entreprise. Le principe de ce statut futensuite décliné en Allemagne,avec les boulangeries coopéra-tives de Frédéric GuillaumeRaiffeisen, et dans la plupartdes pays confrontés aux révo-lutions industrielles du XIXesiècle,dont la France, qui réfléchira àun statut fédérateur lors de lacréation, en 1884, de la Chambreconsultative des associationsouvrières de production, puisen 1947 avec la définition dustatut de coopérative. La coo-pérative, par la démarche col-lectiviste sur laquelle elle repose,est un moyen pour l’individude s’extraire d’un rapport decontrainte qu’il juge soit injuste,soit en sa défaveur. Qu’il s’agissed’une coopérative d’emploi,d’une coopérative de production(SCOP) ou d’une coopérativemutualiste, le principe du statutcoopératif repose sur les deuxfondamentaux suivants : 1. Il s’agit, tout d’abord, d’uneentreprise dont les capitaux nepeuvent être détenus que parles parties prenantes, le plussouvent les salariés, nomméssociétaires. 2. Ces sociétaires, même s’ilsdétiennent des parties de l’en-treprise aux valeurs inégales,

prennent part de manière éga-litaire à� la prise de décision del’entreprise. Autrement dit, leprincipe du « une personne unevoix » implique que le sociétairequi ne dispose que de 3 % ducapital de l’entreprise aura lemême poids, dans le vote, quecelui qui en possède 20 %, voire40 %.Ces deux principes offrent unmode de gouvernance de l’en-treprise différent du mode clas-sique dans lequel le décideurest l’actionnaire majoritaire, quipeut être souvent hors des fron-tières et du territoire de l’entre-prise, et donc peu intégré dansla vie quotidienne des salariés.Dans le cas de la coopérative,

les actionnaires sont impliquésdans la vie de l’entreprise, et dece fait, inté� ressé� s à sa survie, ilscollaborent nécessairement avecles autres salariés de la coopé-rative. Cette collaboration devraitêtre plus forte dans la mesureoù� chaque salarié� qui décide dedevenir membre actionnaire dela coopérative y perçoit un intérêtpersonnel. Une seconde parti-cularité dans le mode de gou-vernance d’une coopérativepeut résider dans une plusgrande intégration des partiesprenantes, et ce au-delà� dessalariés. Ce phénomène est d’au-tant plus marqué pour les coo-pératives de consommateursque ces derniers acquièrent unepartie du capital de cette struc-ture, et par là même le droit devote leur permettant d’influersur sa stratégie.Le statut juridique de la SCOPa été défini par la loi du 19 juillet

1978. On dénombre envi-ron 1600 SCOP en France, soitune très faible part du total desentreprises. La spécificité juri-dique des SCOP se révèle dansles règles relatives à leur consti-tution et à leur fonctionnement.En effet, elles sont orientéesautour du principe d’un mana-gement participatif, fondé surla collaboration entre deux caté-gories potentielles d’associés :les associés salariés et les « inves-tisseurs ». Les premiers parti-cipent aux choix stratégiquesde l’entreprise lors de l’assembléegénérale, où les décisions prisessont adoptées indépendammentde la proportion de capital déte-nue selon le principe coopératif

« une personne = une voix ». LesSCOP sont gérées selon les règlesd’un management participatifimpliquant chaque salarié� . Lerésultat dégagé par la sociétéest réparti entre les salariés, lesassociés « investisseurs » et l’en-treprise elle-même par l’inter-médiaire de réserves qualifiéesde « fonds de développement ».Le mode de fonctionnement dela SCOP s’inscrit donc en ruptureavec celui des entreprises com-merciales classiques, puisqueles salariés sont de véritablesparties prenantes intégrées dansles processus opérationnels etstratégiques de l’entreprise.Globalement les coopérativesen France, à l’exception desgrandes coopératives mutualisteset bancaires, sont en généralgéographiquement ancrées dansun territoire plutôt restreint etsont composées d’un nombrerelativement restreint de salariés.Au-delà de ces critères directe-ment liés à leur statut juridique,les recherches conduites surleur histoire mettent en évidenceque la coopérative remplit éga-lement une fonction d’ancrage

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

39s

Le mode de fonctionnement de la SCOP s’inscrit en rupture avec celui des entreprises commercialesclassiques, puisque les salariés sont de véritablesparties prenantes intégrées dans les processusopérationnels et stratégiques de l’entreprise.

Coopérative viticole de Mèze(Hérault), illustration de l’ancragegéographique dans un territoireplutôt restreint qui caractérise engénéral ces structures.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:16 Page39

Page 40: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

territorial, du moins à� leur créa-tion. Face au développementdes usines à la périphérie desvilles du XIXe siècle, qui attirentdes ouvriers venus de différentsendroits du pays en quête d’untravail, la coopérative apparaîtcomme une figure de dévelop-pement local. Certaines, en par-ticulier les coopératives agricoles,se développent dans les cam-pagnes, limitant ainsi l’hémor-ragie de leur population; d’autresse créent avec des initiativeslocales1 & 4.

ENJEUX ORGANISATIONNELET MANAGÉRIAL POUR UNE ÉMANCIPATIONPAR LE TRAVAILSi les spécificités que nousvenons de souligner pourraientpermettre, sur le papier, d’offriraux salariés un cadre de travailplus respectueux des leursattentes et susceptible de favo-riser leur émancipation par letravail, il semblerait que lesstructures de l’économie socialeet solidaire soient loin d’être uneldorado organisationnel etmanagérial.Plusieurs théoriciens du travail,parmi lesquels la philosopheSimone Weil5, ont bien soulignél’écart qui sépare la questionde la propriété des moyens deproduction de la question dubien-être au travail. Si les coo-pératives, et notamment lesSCOP, sont une forme d’entre-prise dont les salariés sont éga-

lement propriétaires, il ne fautpas en conclure pour autantqu’elles offrent de factoun lieuplus propice à� leur épanouis-sement et à leur émancipation.Certes, elles peuvent permettrede mettre en place une organi-sation du travail intégrant un

rapport au temps, à� l’espace etaux autres différent. Or ces cri-tères comptent énormémentdans la qualité de vie au travaildes salariés. Théoriquement, lemodèle d’organisation de laSCOP devrait permettre d’éviterdeux écueils dénoncés parSimone Weil comme étant par-ticulièrement destructeurs pourl’homme au travail, à savoir laperte de toute maîtrise sur son

temps et son attention et l’ar-rachement à soi – que la philo-sophe nomme « déracinement »– induit par des méthodes detravail qui lui sont imposées del’extérieur. En offrant un milieude travail nourri par des valeurset une histoire qui échappe enpartie à� la monomanie du chiffre,la forme coopérative d’organi-sation du travail pourrait ainsipermettre d’éviter le déracine-ment dont souffrent les démo-craties occidentales. Toutefois,la propriété des moyens de pro-duction ne garantit pas à� elleseule l’émancipation du travail.En outre, les travaux menés energologie (étude du travailcomme activité humaine déve-

loppée par le philosophe YvesSchwartz6) soulignent l’écartirrémédiable entre les prescrip-tions et la réalité, les normes etle vécu dans le champ du vivant.Comprendre la manière dontles salariés des SCOP vivent l’or-ganisation et le managementdes SCOP implique donc de sepencher sur le travail réel, etnon simplement sur les dispo-sitions légales ou réglementaires.

Une disposition introduite avecles meilleures intentions dumonde peut se trouver renor-malisée par les individus et lescollectifs en fonction descontextes et de ce qui fait his-toire, conduisant ainsi à dessituations invivables. Parce quele travail n’est jamais une simpleexécution de procédures figéesmais toujours un usage de soi,par soi et par les autres large-ment impossible à anticiper,comprendre le fonctionnementdes SCOP implique de se pen-cher sur le vécu réel et subjectifdes salariés qui y travaillent auquotidien. L’analyse de l’activitéde travail au sein des coopéra-tives fait alors apparaître ununivers bien plus contrasté quela seule analyse de son cadreréglementaire. n

*CHRISTINE NOËL-LEMAÎTRE estphilosophe, maîtresse de conférencesà Aix-Marseille Université, Institutd’histoire de la philosophie, EA 3276.

SÉVERINE LE LOARNE-LEMAIREest professeure de management, Grenoble école de management.

1. Jean-François Draperi, Godin,inventeur de l’économie sociale :mutualiser, coopérer, s’associer, éd. Repas, Paris, 2008.2. Yohan Duport, « Implication etrisques des salariés associés dans lessociétés coopératives de production »,in Responsabilité et Environnement,no 55, 2009, p. 25-30.3. Philippe Pasquier et SébastienLiarte, « La société coopérative et participative : outil de gestion pourl’entrepreneur social ou une nouvellehypocrisie managériale », in RIMHE,no 3, août-sept.-oct. 2012, p. 2-16.4. Brett Fairbairn, « EcologicalPerspective: Gaia Theory and theProblem of Cooperatives in Turn-of-theCentury Germany », in The AmericanHistorical Review, vol. 99, no 4,oct. 1994, p. 1203-1239. 5. Simone Weil, l’Enracinement,in Œuvres de Simone Weil, éditionétablie sous la direction de Florencede Lussy, Gallimard, Paris, 1990 ;– Œuvres complètes, t. II, vol. 2 :Écrits historiques et politiques.L’expérience ouvrière et l’adieu à larévolution (juillet 1934-juin 1937),Gallimard, Paris, 1991; – Réflexions sur les causes de laliberté et de l’oppression sociale,Gallimard, Paris, 1998.6. Yves Schwartz, le Paradigmeergologique ou un métier dephilosophe, Octarès, Toulouse, 1998.

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

40

n ÉCONOMIE

s

Publicité datée de 1934 pour un beurre produit par une coopérative laitière.

En offrant un milieu de travail nourri par des valeurset une histoire qui échappe en partie à la monomaniedu chiffre, la forme coopérative d’organisation du travail pourrait permettre d’éviter le déracinementdont souffrent les démocraties occidentales.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:16 Page40

Page 41: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

41

n ÉCONOMIE

partir de l’entrée envigueur de l’Acte unique,en 1987, le système

électrique a été progressivementdéstabilisé par la mise en œuvred’un marché européen de l’éner-gie. La mise en place de laconcur rence, complétée parquelques mécanismes de régu-lation, tenait lieu de politiqueénergétique européenne. Avec

trente ans de recul, on constateque cette vision conduit à l’échec.Le processus était censé profiteraux consommateurs par l’in-troduction de la concurrenceprésumée réduire les coûts, fairebaisser les prix et mieux répondreaux besoins des usagers. On enest loin! À l’opposé de la théorieselon laquelle le fait de casserdes monopoles publics sectorielsallait faire baisser les prix pourles consommateurs mis jusque-là « en coupe réglée » par lesgrands producteurs, les prix devente ont augmenté et devraientcontinuer à progresser, en par-ticulier via les taxes et l’aug-

mentation des coûts de réseaux.Pour autant, les prix de gros sontrestés durablement inférieursau prix moyen de développe-ment de nouvelles capacités.En effet, le marché de l’électricité(comme celui du gaz), complexeet technique, se révèle bien dif-férent de celui d’autres matièrespremières, de biens intermé-diaires, de produits ou services

classiques.L’électricité étant très difficile-ment stockable, l’équilibre entrel’offre et la demande doit êtreassuré à chaque instant. La dis-ponibilité de la ressource doitêtre garantie pour tous les usa-gers. Tout en affichant plusieursobjectifs, tels la sécurité d’ap-provisionnement, la compéti-tivité, la meilleure efficacitéénergétique, la réduction desémissions carbonées, la recher-che et l’innovation, c’est la visionlibérale consistant à désintégrerles opérateurs publics qui l’aemporté. Le système performantassurant la disponibilité en cou-

rant électrique pour notre éco-nomie et notre société a été dés-articulé. En Europe, les centralesà gaz, non rentables, ont étémises sous cocon, le prix basdu charbon a justifié le recoursaux centrales thermiques, lesréseaux se sont retrouvés sur-chargés d’électricité éoliennedistribuée à prix négatifs à cer-tains moments. Le marché degros explosait puis disparaissait.Personne ne se risquait à décrirel’avenir.Le fameux « signal prix » n’estpas suffisant pour inciter auxinvestissements indispensables.Les marchés de gros de l’élec -tricité ne permettent pas la miseen chantier des capacités dufutur du fait de l’extrême volatilitédes prix. Les signaux biaisés quisont donnés aux acheteurs etaux investisseurs vont provoquerdes déséquilibres à court, moyenet long terme. Le marché deman-de des taux de rentabilité élevésavec des retours sur investisse-ment rapides, ce qui est incom-patible avec le secteur industrielen général, et l’énergie en par-ticulier. Le secteur de l’énergiese trouve confronté à des besoinsd’investissement considérablessur le long terme. Ces défis sup-posent des formes spécifiquesd’intervention pour garantir lesinvestissements dans la capacité

de production et pour gérer lastructure du bouquet énergé-tique et son évolution à moyenet long terme. Passer à un nou-veau stade du développementde notre planète conduit à s’in-téresser aux analyses coûts/avan-tages des décisions de gestionen incluant les aspects environ-nementaux, dont la questioncentrale des émissions de gazà effet de serre.La nation demeure le niveau depouvoir pertinent pour des ques-tions essentielles, tels la sécuritéd’approvisionnement, le servicepublic, le niveau des prix, maisaussi pour le choix du bouqueténergétique, la sécurité desinstallations et, bien entendu,les politiques fiscales applicablesau secteur et aux produits etservices. Il faut conforter lesatouts de la France et en fairebénéficier pleinement l’écono-mie française, et les consom-mateurs domestiques et indus-triels. Citons ici les principauxatouts nationaux.

Des gestionnaires de réseauxà la maille nationale. Contrai -rement à d’autres pays, ceux-ci ont, du fait de leur taille et deleur vision nationale, une capa-cité d’innovation très supérieureà celle des gestionnaires de rése-aux de plus petite taille en Europe

Le fameux « signal prix » n’est pas suffisant pour inciter aux investissements indispensables. Les marchés de gros de l’électricité ne permettentpas la mise en chantier des capacités du futur du fait de l’extrême volatilité des prix.

La scission d’EDF : une mauvaise idéeAprès les bruits de couloir émanant de l’Élysée et des cabinets ministériels et les travauxcommandités à plusieurs banques d’affaires, divers articles de presse indiquent quedes scénarios de scission d’EDF s’élaborent à partir d’analyses et d’objectifs contesta-bles et orientés vers l’affaiblissement du service public. Dans leur ensemble, ces scé-narios ont été construits sans tenir compte de l’outil industriel ni de ses salariés, à quil’on fait encore porter les errements de la libéralisation des marchés de l’électricitépar des décisions contraires à l’intérêt général (fermeture de centrales utiles à la sé-curité d’approvisionnement) et une politique sociale très dégradée (gel des salaires,5000 suppressions d’emplois).

TEXTE COLLECTIF ÉLABORÉ PAR DES MILITANTS SYNDICAUX DE LA CGT

À

s

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:16 Page41

Page 42: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

pour relever les défis du nouveaucontexte énergétique. Ils con-stituent en outre un atout pourles entreprises françaises à l’ex-portation en leur permettantde valoriser leur savoir-fairedans le monde.

Un parc de production amorti,performant et largement décar-boné. Le parc nucléaire et leparc hydroélectrique constituentdes atouts pour la transition

énergétique. Les effets de palierspermis par la constitution desinstallations, dans le cadre del’entreprise nationalisée, confè -rent à la France une avance enmatière de décarbonation dumix énergétique. Ils offrent enoutre un avantage aux industrielscomme aux consommateursparticuliers quant aux prix pra-tiqués. Cela a d’ailleurs attirél’attention de Bruxelles, qui n’aeu de cesse de pourfendre laposition dominante d’EDFcomme entrave au développe-ment de la concurrence enFrance et a imposé le systèmede vente à prix régulé de l’élec -tricité nucléaire historique(ARENH1) du quart de la pro-duction d’EDF.Une transition énergétique effi-cace passe par une vision inté-grée production-transport-distribution-consommation.En France, comme à l’échelleeuropéenne, l’idée dominanteconsiste à affirmer que le secteurélectrique est en surcapacité dufait du développement massifde capacités de productionrenouvelable à caractère inter-mittent. L’appel moins fréquentaux capacités de productionthermiques et nucléaires pilo -tables pose de nouvelles ques-tions en termes de choix indus-triels comme en termes definancements pour préserverla sécurité d’approvisionnement,

notamment pour les filières nonsubventionnées. Une vision ra -tionnelle de l’évolution du mixénergétique devrait prévaloirassociant développement équi-libré des filières renouvelables,rénovation des capacités nucléai-res historiques, maintien decapacités thermiques rénovéessuffisantes pour gérer les tensionssur le système et investissementdans le nouveau nucléaire pourpréparer l’avenir. La recherche

est un levier majeur. Alors quenotre pays est à la traîne en lamatière, lui donner les moyensd’ouvrir les possibles dans tousles domaines est crucial.L’intégration production-trans-port-distribution est une sourced’efficacité, et non un poidsdont il faudrait se délester.

DIVIDENDES OU INVESTISSEMENT, IL FAUT CHOISIR!La situation financière d’EDF aservi de point d’appui à la direc -tion de l’entreprise pour justifierun « plan d’économies», d’abordde 700 M€, puis de 1 Md€ etensuite 1,1 Md€, entraînantprès de 5000 suppressions d’em-

plois entre fin 2014 et fin 2017.Regardons de plus près la réalitéde la situation. Le ratio d’en-dettement actuel d’EDF n’estpas supérieur à ce qui s’est pra-tiqué dans le passé… La dettenette d’EDF s’établit à 33 Md€en 2017, contre 37,4 Md€ l’exer-cice précédent. Le désendette-ment d’EDF reste très modeste :4,4 Md€, alors que l’entreprise

aura eu recours à 8 Md€ de cessions d’actifs et 4 Md€ derecapitalisation par l’État.L’explication tient au besoin definancement très importantd’EDF pour les prochainesannées. Toutefois, le ratio dettenette/EBITDA2 appliqué parEDF est proche de 2,5. Si EDFavait appliqué ce type de ratioen 1946 ou encore lors du démar-rage du programme nucléaire,aucun investissement n’auraitété possible.Le rapport Roulet (2003) rappellequ’EDF a investi près de 250 Md€entre 1955 et 2003, avec certainesannées plus de 10 Md€ par an.L’endettement d’EDF a bruta-lement augmenté à la fin desannées 2000, notamment sousl’effet du rachat de British Energy.Ainsi, quand EDF a dû affronterla difficulté d’avoir des recettesmoindres (baisse des prix demarché) et la nécessité d’investir,sa structure financière s’étaitdéjà dégradée. Le rapport Rouletpermet d’établir qu’EDF a tou-jours été un contributeur aux

caisses de l’État, en particulieraprès 1990 : 29 Md€ entre 1955et 2003 en rémunération del’État ; à contrebalancer avecenviron 31 Md€ de dotation encapital. En somme, le solde pourl’État était quasi neutre à la veillede l’ouverture du capital…, maisles dividendes et les frais finan-ciers ont augmenté depuis lepassage en SA en 2004. Après

2004, une inflation du dividende(hors dividendes versés auxminoritaires des filiales conso -lidées) a été constatée, avec prèsde 22 Md€ versés entre 2004 et2017. Les frais financiers (intérêtsdes emprunts) ont dépassé1,5 Md€ par an entre 2010 et2014 puis se sont situés autour1,2 Md€ par an entre 2015 et2017. EDF investit globalemententre 10 et 12 Md€ par an, mon-tant assez stable ces dernièresannées. Le principal choix d’EDFa été de faire porter cet effortpar des cessions d’actifs (parcimmobilier Sofilo, DunkerqueLNG, RTE, EDF Polska…) plutôtque par un accroissement del’endettement. Ces investisse-ments sont à apprécier au regarddes gains attendus, pondérésdes risques de non-réalisationou de retard :– Hinkley Point est un investis-sement élevé de 24 Md€. LaCGT s’était d’ailleurs mobiliséepour que le projet soit décaléde quelques années. Néanmoins,il est contrebalancé par unegarantie de revenu (CfD) de92,50 £/MWh pendant trente-cinq ans ;– Linky est un investissementde 5,7 Md€ qui a été imposé àl’entreprise. Il est intégralementcouvert par la régulation(TURPE3) avec un compte réguléde lissage, rémunéré et apuréau fur et à mesure des gains deproductivité générés par Linkyd’ici à 2030 ;– le « grand carénage » est uninvestissement de l’ordre de50 Md€ (financé par les recettescourantes) qui permet de pour-suivre l’exploitation du parcnucléaire actuel entre dix etvingt ans, rapportant pour cha-que réacteur entre 1 et 3 Md€

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

n ÉCONOMIE

42

Le marché demande des taux de rentabilité élevés avec des retours sur investissement rapides, ce qui estincompatible avec le secteur industriel en général, et l’énergie en particulier.

Une vision rationnelle de l’évolution du mixénergétique devrait prévaloir associant développementéquilibré des filières renouvelables, rénovation des capacités nucléaires historiques, maintien de capacités thermiques rénovées suffisantes.v

s

Centre Recherche et Dévellopement d’EDF. Contrairement à d’autrespays, ceux-ci ont, du fait de leur taille et de leur vision nationale, laFrance a une capacité d’innovation très supérieure à celle desgestionnaires de réseaux de plus petite taille en Europe pour relever lesdéfis du nouveau contexte énergétique

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:16 Page42

Page 43: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

43

(selon les hypothèses de prixde marché) si les centrales pour-suivent leur exploitation.L’industrie nucléaire est désor-mais fortement exposée au mar-ché alors que les autoroutes, lesréseaux d’assainissement, lesaéroports, les réseaux de trans-port et de distribution d’électri -cité et de gaz sont régulés. Sansces régulations, aucun acteurn’accepterait d’investir un cen-time sans garantie de revenu.Même des actifs à vie plus courte,comme le photovoltaïque oul’éolien, bénéficient d’une garan-tie de prix sur vingt ans.

LA SCISSION D’EDF : FAIRE LES YEUX DOUX AUX MARCHÉSLes problématiques de valori-sation boursière sont les raisonsfondamentales avancées pourjustifier les projets de déman-tèlement : profil de risque d’EDFdépendant fortement de ques-tions comme le démantèlementdes centrales; endettement jugéexcessif dès lors qu’il dépassela valeur arbitraire de 2,5 foisl’EBITDA ; opportunités dehausse de la valorisation bour-sière du titre d’EDF SA et, parla suite, plus-values potentiellespour l’État. En fait, le seul argu-ment économique sérieux portesur les besoins d’investissementsconsidérables d’EDF qui ont étéévoqués plus haut.Il faut toutefois relativiser cetenjeu, car la signature d’EDFsur le marché obligataire restebonne, et l’augmentation decapital de 2017 a été presquedeux fois sursouscrite (1,9 Md€pour 1 Md€ proposé). Par ailleurs83,5 % du capital d’EDF appar-tiennent à l’État, ce qui est unegarantie pour les investisseurs.Garantir dans le même tempsdes dividendes élevés et unevalorisation boursière du titreest peu compatible avec lesbesoins d’une entreprise commeEDF, nécessitant des investis-sements de service public trèslourds et à très long terme. Celaincite à rechercher des modesde financement alternatifs,comme le porte la CGT à travers

sa proposition de pôle financierpublic, articulé autour de laCaisse des dépôts et consigna-tions et de la banque publiqued’investissement BPIfrance,institutions qui devraient êtremises à contribution pour finan-cer les investissements d’EDFcomme le fait la banque alle-mande KfW.Si l’on considère qu’EDF a besoinde visibilité et d’une régulationsur ses investissements, la ques-tion de la scission n’est pas lasolution, bien au contraire.Découper EDF et réguler le mar-ché de l’électricité ne vont pasde pair. Cela pourrait créer degrandes difficultés. À titre

d’exemple, la direction com-merce d’EDF bénéficie pour sesclients d’une priorité d’accès àla production du groupe, sanspasser par le marché de gros.Qu’en serait-il demain avec uneentreprise où le commerciali-sateur et le producteur seraientdistincts ? Cette scission pourraitaussi créer de nouvelles désop-timisations dans les fonctionssupports, dans l’ingénierie, dansla gestion intégrée du parc, etaugmenter de facto les coûts.

CINQ PROPOSITIONS POUR EDF ET LE SECTEUR DE L’ÉNERGIE1.Revenir à un véritable servicepublic de l’énergie en faisantcoopérer les entreprises majeuresdu secteur qui en assurent lastabilité plutôt que d’en recher-cher l’éclatement. La volontédu gouvernement, figé dans unevision libérale de l’économie,est aujourd’hui de démantelerEDF en séparant le nucléaire,les réseaux et les autres activitésd’EDF pour pouvoir céder despans entiers d’activités au privé.L’avenir d’EDF, comme du secteurénergétique, repose au contrairesur une nouvelle articulationentre toutes les activités per-

mettant la production, le trans-port et la distribution d’énergie. Les nouvelles caractéristiquesde la production articulant leniveau national et territorial, lacapacité et la volonté des con-sommateurs à intervenir pourréduire les écarts entre producti-on et consommation transfor-ment le rôle des réseaux et néces-sitent des interactions toujoursplus fortes entre gestionnairesde réseaux, producteurs, terri-toires et consommateurs.2. Rendre opérante la pro-grammation pluriannuelle del’énergie (PPE), la recherche desmoyens les plus efficaces pourréduire nos émissions de CO2

et les modes de financementdes différentes filières de pro-duction et de stockage. Pourréduire réellement nos émissionsde CO2 (celles de la France ontaugmenté depuis 2016), il estnécessaire que la PPE soit volon-taire et réaliste et utilise les bonsleviers pour résoudre la difficileéquation de la réponse auxbesoins et aux défis environne-mentaux.3.Mettre sur pied des canauxspécifiques de financement del’ensemble de la chaîne éner-gétique. Pour l’ensemble desfilières de production, commepour les réseaux de transportet de distribution, l’appel aumarché financier coûte cheraux entreprises, alors quel’épargne disponible est impor-tante. Des solutions nouvellesdoivent être imaginées (utili-sation sous garantie de l’Étatdes fonds de réserve de l’assu-rance vie, de l’épargne salariale,participation des électro-inten-sifs…) à l’image de la banqueallemande KfW, qui dispose decentaines de milliards d’eurosà taux réduits pour investir dansla transition énergétique. Lesentreprises pourraient investirmassivement sans que cela pèse

excessivement sur les tarifs del’énergie afin de financer lesréseaux, lancer des programmesd’investissements à coût réduitdans les infrastructures de trans-port, la rénovation thermiquedes bâtiments, les filières renou-velables en gaz et en électricité,la rénovation du parc nucléaire,le nucléaire neuf et les techno-logies de stockage.4. Refaire de la tarification del‘énergie un instrument deréponse aux besoins de déve-loppement de la filière. Repenserles modes de financement desinvestissements permettraitenfin de limiter les hausses detarifs afin de rétablir le lien indis-pensable entre les tarifs régle-mentés qui nécessite une stabilitéà long terme avec la capacitédes producteurs à financer leursinvestissements à long terme.5. Alors que les politiquesmenées ont fragilisé la sécuritéénergétique de l’Europe et dela France, au moment où le GIECtire la sonnette d’alarme et indi-que que respecter l’Accord deParis nécessitera plus de nucléai-re dans le monde, la France aune responsabilité particulière:mettre en place une véritablepolitique énergétique qui valoriseses atouts, ses savoir-faire, sescompétences et permette uneappropriation sociale d’unsecteur hautement stratégiquepour l’économie et les usagersde notre pays. L’heure n’est sur-tout pas à un démantèlementd’EDF – qui signerait un pointgrave de non-retour – par la dislocation finale du modèlequi a fait ses preuves depuis soi-xante-douze ans. n

1. ARENH : accès régulé à l’électriciténucléiare historique.2. EBITDA (Earnings before Interest,Taxes, Depreciation, andAmortization) : en finance, le bénéficed’une société avant que n’en soientsoustraits les intérêts, les impôts et taxes, les dotations auxamortissements et les provisions surimmobilisations (mais après dotationsaux provisions sur stocks et créancesclients). Il s’agit d’un indicateurinitialement développé aux États-Unis.3. TURPE : tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité.

Si l’on considère qu’EDF a besoin de visibilité et d’une régulation sur ses investissements, la questionde la scission n’est pas la solution, bien au contraire.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:16 Page43

Page 44: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Le delta du Mékong menacé d’une part par le changement climatique et la consé-quente élévation du niveau de la mer, et de l’autre par l’utilisation de ses eaux enamont. L’impact est double parce que les effets de ces deux actions sont imbriqués.

PAR NGUYỄN NGọC TRÂN*,

e delta d’un fleuve est lerésultat d’interactionsentre trois facteurs : le

cours d’eau, les vagues et lesmarées. Situé à la lisière dubassin du Mékong, au contactde la mer de l’Est et du golfe deThaïlande, le delta du Mékongs’est formé depuis environ6000 ans par le dépôt des sédi-ments du Mékong et du retraitde la mer.

LES DÉFIS D’HIERAprès 1975, le Vietnam com-mence la planification de l’uti-lisation des sols de la partie viet-namienne du Delta, notammentl’exploitation des trois régionsjusque-là presque en friche etpeu peuplées : la plaine desJoncs (PdJ), le quadrangle deLong Xuyen (QLX), et la pénin-sule de Cà Mau (PCM). Pourl’aménagement de ces régions,les problèmes essentiels à résou-

dre sont les sols acides sulfatéset l’alun, la répartition irrégulièrede l’eau dans l’année et l’intru-sion saline par la marée. La crueannuelle du Mékong inondeune grande partie de la PdJ et

le QLX pendant trois à quatremois, à des profondeurs variantde 1,50 à 4 m : l’eau est en excèsen saison des pluies. En saisonsèche, la sécheresse et le manqued’eau fissurent le sol de la PdJet du QLX. De ce fait, les couchesde jarosite et de pyrite sont oxy-dées, l’alun monte à la surface.Au début de la saison des pluies,l’alun délavé va dans les coursd’eau, y fait baisser le niveaudu pH (potentiel hydrogène) etretarde le commencement dela nouvelle récolte de riz.L’intrusion saline pose un autredéfi : le seuil de la salinité del’eau inférieure à 4 g/L délimitela superficie de la riziculture.Le Vietnam a beaucoup fait pourrelever ces défis. En quaranteannées plus de 20000 km decanaux de toutes les catégoriesont été creusés. Grâce à ce réseau,la nappe phréatique a empêchél’oxydation des couches de pyriteet de jarosite, et par là « étouffél’alun », comme disent les pay-

sans. Par ailleurs, de nombreusesécluses ont été construites envue d’empêcher l’intrusion salineet de désaliniser les zones affec-tées. Ces deux efforts conjuguésont permis d’augmenter nota-

blement la superficie des terresrizicoles avec deux récoltes paran. La production totale de rizdans le Delta était approxima-tivement de 4,6 millions de tonnesen 1976, de 7 millions de tonnesen 1986. En 2016 elle était supé-rieure à 24 millions. L’exportationde riz du Delta représente à peuprès 90 % de l’exportation natio-nale de cette denrée.Le prix à payer pour cet effortpour promouvoir la productionrizicole et assumer la respon-sabilité du « grenier de riz dupays » était que de vastes éten-dues de forêts de meulaleca dis-paraissaient rapidement dansla PdJ, dans le QLX et dans laPCM (régions de U Minh supé-rieure et inférieure). Les zonesbasses ont été asséchées aumaximum afin d’augmenter letaux d’assolement du sol, ce quifait apparaître le risque de labaisse de la nappe phréatiquelorsque le débit du Mékong n’estplus assez important.

Poursuivant la croissance extensive, dès les années 1990 plu sieurs provinces, à commen-cer par An Giang et Đồng Tháp,ont délimité des aires protégéespar des digues construites à unehauteur dépassant le niveau dela crue maximale, ce afin d’y faireune troisième récolte annuelle.La superficie totale vouée auxrécoltes dans les deux provincesatteint plus de 300000 ha en2010. En échange de ce gain, leprix payé a été la perturbationdu régime hydrologique à l’ex-térieur des digues, la baisse defertilité des sols et la dégradationde l’environnement à l’intérieur.L’aquaculture et la pêche, y com-pris la pêche maritime, dans le delta du Mékong, encoremodestes jusqu’au début desannées 1990, contribuent à cejour à 60 % des exportationsnationales totales des produitsde pêche et de l’aquaculture.La superficie des aires de culturede crevettes augmente réguliè-

Le delta du Mékong vietnamien en développement

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

n RESSOURCES

44

La production totale de riz dans le Delta étaitapproximativement de 4,6 millions de tonnes en 1976, de 7 millions de tonnes en 1986. En 2016 elle était supérieure à 24 millions.

L

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:16 Page44

Page 45: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

rement. De nombreuses pro-vinces côtières, de Bến Tre àKiên Giang, ont rapidementachevé leurs plans quinquen-naux de crevetticulture en un àdeux ans, parfois même plus

rapidement. L’une des motiva-tions résidait dans l’écart entrele prix du riz et celui de la cre-vette : 1 kg de crevettes valait12 kg de riz à l’époque. Nombred’écluses construites, notam-ment dans les provinces de CàMau et de Bạc Liêu, pour la pro-duction rizicole ont été soitdémantelées, soit ouvertes defaçon permanente au profit del’élevage des crevettes.Le coût de la croissance a étéégalement la disparition desforêts de mangrove. Il en est demême de l’utilisation de l’eausouterraine. Un exemple de l’ir-rationnel à ce sujet : dans denombreuses régions, le manqued’eau douce pour maintenir leniveau de salinité appropriédans les aires de culture est com-pensé par le pompage de l’eaudouce souterraine ; par contre,dans certains endroits où l’eauest douce, l’eau souterraine

saline a été pompée pour assurerla salinité requise dans les airesde culture. Ainsi, l’exploitationdes ressources naturelles (terre,eau, forêt) s’est faite au profitde la croissance extensive, sans

toujours accorder l’attentionnécessaire à la préservation del’environnement pour le déve-loppement durable.Avons-nous bien compris quele Delta est jeune et sensible ànos actions ? Avons-nous évaluépleinement ses réactions afinque notre exploitation soit adé-quate et durable? La base scien-tifique (non seulement ensciences et techniques, maisaussi en sciences sociales et éco-nomiques) de nos actions estplus que jamais indispensable.D’autant plus que de nouveauxdéfis nous attendent.

LES DÉFIS PRÉSENTS ET À VENIRÀ présent et pour les temps àvenir, le delta du Mékong doitaffronter quatre défis : deux glo-baux, un régional et un local.Les défis globaux sont d’unepart le changement climatique

et l’élévation du niveau de lamer, et de l’autre la globalisationéconomique et l’intégrationinternationale. Le delta duMékong, où vivent près de18 millions de personnes, estconsidéré comme l’un des troisgrands deltas du monde les plusmenacés par le changement cli-matique : inondation par lamontée du niveau de la mer,dévastation/érosion côtière etintrusion saline pénétrant plusprofondément dans le Delta. Ledéfi global lié à l’intégrationinternationale et au processusde globalisation économiqueplace le Delta sous pression dela haute compétitivité, de larecherche et du maintien d’uneposition dans les chaînes devaleurs internationales alorsque l’économie mondiale fait

face à beaucoup d’instabilitésà l’issue imprévisible.Les défis régionaux découlentde l’exploitation de l’eau duMékong en amont, notammentles transferts d’eau intra- etextra-bassins (grande inconnuedu côté de la Chine, les projetsthaïlandais de détournementdes eaux intra-bassin [Kong-Chi-Mun] et extra-bassin [Kok-Ing-Yom-Nan]), et la

construction des barrages hydro électriques sur le Mékongdepuis le plateau tibétain (21 bar-rages chinois, 9 laotiens, 2 cam-bodgiens), alors que la demandeen eau dans les pays riverainsaugmente sans cesse.Les barrages hydroélectriquesretiennent les sédiments dansleur réservoir entraînant un défi-cit sédimentaire en aval, originede la modification morpholo-gique du lit, des berges, desestuaires du Mékong et de lacôte du Delta.Les défis locaux résident dansl’exploitation et la gestion desressources naturelles du Delta(forêts de mangrove, de meu-laleca ; terre, eaux de surface etsouterraines, sable fluvial…) ;dans le mode de croissance(extensif, visant la quantité plutôtque la qualité). Ils proviennentde l’absence d’un mécanismede développement régional,absence qui entrave la synergiedu Delta dans son ensemble ;de la discontinuité dans leschaînes de production condui-sant aux basses valeurs et à lafaible compétitivité des produitsagricoles du Delta. Ils résidentenfin dans les investissements,notamment dans les infrastruc-tures sociales et économiques,qui ne sont pas en adéquationavec les potentialités et la contri-bution du Delta à l’économienationale.

Les problématiques globales,régionales et locales n’agissentpas isolément mais opèrentensemble et de manière inter-connectée, multipliant les consé-quences néfastes. Elles posenten synthèse ledéfi pour le déve-loppement durable du Delta.n

*NGUYỄN NGọC TRÂN, docteur ès sciences, est vice-président de lacommission des Relations extérieuresde l’Assemblée nationale du Vietnam.

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

45

Avons-nous bien compris que le Delta est jeune et sensible à nos actions? Avons-nous évaluépleinement ses réactions afin que notre exploitationsoit adéquate et durable? La base scientifique (non seulement en sciences et techniques, mais aussi en sciences sociales et économiques) de nos actions est plus que jamais indispensable.

Les problématiques globales, régionales et localesn’agissent pas isolément mais opèrent ensemble et de manière interconnectée, multipliant les conséquences néfastes.

Le bassin du Mékong comprend,depuis le plateau du Tibet, six zoneshydro-écologiques.

aa-Progressistes n24-DeF_Mise en page 1 04/07/2019 13:16 Page45

Page 46: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

PAR FRANCIS COMBROUZE*,

DONNER UNE VALEUR AU CARBONE : POUR QUOIFAIRE?Concernant le carbone, lesnotions de valeur, de prix ou detaxe peuvent permettre, par lebiais de la fiscalité, de luttercontre les gaz à effet de serre(GES) et, partant, le réchauffe-ment climatique. Les rapportsdu groupe intergouvernementald’experts sur l’évolution du cli-mat (GIEC) utilisent ces notions.Le règlement européen sur lespermis ou quotas d’émissionsnégociables de GES des instal-lations industrielles (ETS[Emission Trading Scheme])concerne 44 % des émissions

totales de l’UE – en France 23 %des émissions seulement, enraison de la désindustrialisationmassive –, en incluant les volsaériens intracommunautaires,par opposition aux émissionsdites « domestiques » de tousles autre secteurs (77 % en

France) : petites industries,transports, résidentiel, tertiaire,agriculture… Ces permis ETSpeuvent être délivrés gratuite-ment ou contre paiement, aubesoin ils sont soumis auxenchères. Un marché financierdes droits à polluer a ainsi étémis en place ; il est censé per-mettre l’intégration de ce coûtdu carbone par les entreprises.Après un cours originel de 35 €/t,le cours est redescendu à 7 €/tpuis est remonté ces deux der-nières années autour de 20 à30 €/t. Bien en deçà de la contri-bution climat énergie (CCE)payée par les ménages (44,6 €/ten 2018), et dont les entreprisesfrançaises soumises à ETS sontexonérées.

Les mécanismes de marché dits« de compensation », les créditscarbone, s’y ajoutent. Fin 2018,à la COP24 (venant après lesaccords de Kyoto et de Paris),les États se sont mis d’accordsur des règles d’application, saufcelles relatives aux mécanismes

de marché. Ceux-ci doivent per-mettre au nom d’un meilleurrapport coût/bénéfice, la « com-pensation des émissions » d’uneentreprise et/ou d’un pays soitpar des crédits d’actions réaliséesailleurs (application conjointe,art. 6.2), soit par des crédits d’ac-tions dans un autre pays validéspar un mécanisme de l’ONU de « développement propre »(art. 6.4). Les crédits carbone

ainsi générés doivent être « addi-tionnels », c’est-à-dire corres-pondre à des actions vérifiéespour s’assurer de la réalité desréductions obtenues.Ainsi, dans le cadre de l’Orga -nisation de l’aviation civile inter-nationale (OACI), le systèmeCarbon Offsetting ReductionScheme for InternationalAviation (CORSIA) permet auxcompagnies aériennes d’acheter

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

n ÉCONOMIE

46

Parmi les gaz à effet de serre, les émissions de CO2, et donc de carbone, servent d’indicateur. Un consensus s’établit sur le calcul de l’empreinte carbone ; dès lors, taxer le carbone – ce qui revient à lui donner une valeur – comme instrument de la transition écologique peut s’avérer utile.

Fiscalité écologique et valeur du carbone :éléments d’analyse et propositions

La majorité du produit de la TICPE n’est pas affectée à des actions précises :elle est répartie à parts presque égales entre l’État et les collectivités locales(départements et régions). Le compte d’affectation spécial « Transitionénergétique » reçoit 7,2 Md€ et finance les aides aux énergies renouvelablesprincipalement électriques et, à la marge, le biométhane.1,2 Md€ est affecté à l’Agence de financement des infrastructures de transportde France (AFITF) pour des cofinancements nationaux des infrastructuresferrées, fluviales, portuaires, et même routières. L’annexe de la loi d’orientationdes mobilités (LOM), loi qui vaut programmation pour dix ans de cesfinancements ainsi que ceux des crédits des programmes budgétaires del’État, suit le scénario no 2 du rapport Duron du Conseil d’orientation desinfrastructures (COI) : des investissements supérieurs à ceux des cinq dernièresannées (scénario 1) mais inférieurs à la totalité des besoins de régénérationdes infrastructures et de création de nouvelles (scénario 3).

LES EXONÉRATIONSSont exonérés de TICPE le kérosène des transports aériens, le gazole desactivités agricoles et de pêche, le gazole non routier des engins des entreprisesdu BTP. Les entreprises de transports routiers de marchandises et de voyageurssont remboursées par l’État de leurs dépenses de TICPE gazole pour unmontant annuel croissant (1,7 Md€ en 2018), ce au nom du soutien auxentreprises du secteur contre la concurrence des transporteurs d’autres Étatsopérant en France, généralement soumis à des fiscalités sur le gazole moinslourdes dans leur pays. Le total de ces différentes exonérations s’élève à7 Md€/an. La trajectoire de hausse de la CCE jusqu’en 2030 a été fixée par la loi definances pour 2018. En 2019, elle devait augmenter de 10 € et le taux deTICPE du gazole devrait être aligné sur celui de l’essence. Ces deux haussesont été le déclencheur du mouvement des Gilets jaunes. Elles ont été annuléesen décembre dernier par le gouvernement, tout comme la fin de l’exonérationdu gazole non routier du BTP.

TICPE : FINANCEMENT ET RÉPARTITION

Un marché financier des droits à polluer a été mis enplace; il est censé permettre l’intégration de ce coûtdu carbone par les entreprises. Après un coursoriginel de 35 €/t, le cours est redescendu à 7 €/tpuis est remonté ces deux dernières années autourde 20 à 30 €/t.

AA-Progressistes N24-DEF_Mise en page 1 04/07/2019 15:07 Page46

Page 47: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

des crédits carbone pour com-penser les émissions qui dépas-seraient le niveau atteint en 2020(800 Mt, soit environ le doubledes émissions françaises).

LA FISCALITÉ DE L’ÉNERGIE,DONT LA TAXE CARBONELa CCE (contribution climaténergie) a été introduite dansla loi de transition énergétiqued’août 2015 et dans le budget2016 sous forme de taxe addi-tionnelle, insérée dans les tauxde taxe intérieure de consom-mation des produits énergé-tiques (TICPE). La TICPE rap-porte 33,8 Md€ en 2018. S’yajoute la TVA à un taux de 20 %,appliquée à la fois sur le prixdes produits et sur la valeur dela TICPE.La CCEa étécréée à la suite desrapports du haut fonctionnaireAlain Quinet (février 2019).Celui-ci recommande une moyennede 750 €/t en 2050, en se fondantsur la « valeur de l’action climat ».Elle correspond à l’objectif deneutralité carbone en 2050,nécessaire pour tenir les objectifsde réduction du plan Climatprécisé par la stratégie nationalebas carbone découlant du rap-port du GIEC(tableau ci-dessous).

Ces valeurs correspondent audéploiement de technologies« de rupture », d’innovationsmajeures, certains parlent denouvelle révolution industrielle.Par exemple celles fondées surl’hydrogène avec l’électrolysede l’eau, dans les transports oudans l’énergie, le stockage del’électricité, la captation et lerecyclage du CO2, voire l’ingé-nierie bioclimatique en forçantla captation du CO2 par lesocéans ou l’atmosphère ou en

freinant les effets du rayonne-ment solaire sur l’atmosphèreterrestre.

ESTIMER ET FIXER LES BESOINS ET MONTANTS DES INVESTISSEMENTS PRIVÉSET PUBLICS EST NÉCESSAIRELa valeur tutélaire du carbone,baptisée « valeur de l’actionpour le climat », serait d’abordun outil d’évaluation technico-économique destiné à favoriserles investissements dans la tran-sition écologique. Pour « décar-boner » l’économie, fixer la valeurà la tonne évitée doit s’avérerutile pour définir la rentabilitésocio-économique des inves-tissements liés à la transitionécologique. Ainsi, tout inves-tissement public dont le coûtpar tonne de CO2 évitée seraitinférieur à 250 € en 2030 seraitrentable et devrait être réalisé.Le problème que pose le rapportQuinet est que, même si pourlui la valeur tutélaire du carbonen’est pas synonyme de haussede la fiscalité écologique, il estimeque la valeur du carbone devraitavoir un prix unique, que ce soitpour évaluer la rentabilité socio-économique des investissementspublics comme celle des inves-

tissements privés, celle de la fis-calité carbone ou encore pourdéterminer des subventionspubliques.

LE GOUVERNEMENT S’EMPÊTREEntre la discussion du projet deloi de finances 2019, et le « granddébat » en avril, les discoursgouvernementaux oscillent :« On s’en tient à la trajectoired’augmentation programmée »au nom du signal prix pour la

transition énergétique en pri-vilégiant les changements decomportements. Puis « Onannule toute hausse… »., puis« On augmente le chèque énergieen 2019 (150 à 200 €/an enmoyenne) et le nombre de béné-

ficiaires » (3,6 à 5,8 millions deménages). Pour apprécier cettehausse, la dépense énergie enmoyenne annuelle d’un ménageavec deux enfants est de 1 600 €(avec variations selon le typed’habitat – collectif ou individuel

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

47s

La fiscalité carbone, fiscalité indirecte fondée sur un signal prix, n’aurait paspour fonction principale de rapporter de l’argent aux pouvoirs publics maisd’orienter les comportements en incitant à adopter ceux qui sont « sobresen carbone ». Elle relèverait des taxes de régulation, non des taxes derendement comme, par exemple, la TVA.Ces impôts indirects sont principalement payés par les ménages. Pour quece modèle fonctionne, il faut qu’il existe un choix d’alternatives sobres encarbone. Le recours à la fiscalité indirecte comme outil privilégié de la taxecarbone s’inscrit dans un mouvement général tendant à transférer lesprélèvements obligatoires des entreprises vers les ménages au nom de lacompétitivité et de la baisse du « coût » du travail. C’est manifeste en matièrede protection sociale, où les cotisations dites « patronales » ont très fortementbaissé et sont compensées par de la TVA, des taxes tabac ou de la CSG.Selon la théorie de l’effet du double dividende, la taxe serait bonne pourl’environnement tout en permettant de baisser le « coût » du travail. Il s’agitconcrètement d’un transfert de richesses de plus au bénéfice du capital. Si la hausse de la valeur du carbone se traduisait par une hausse de lafiscalité indirecte des ménages suivant l’évolution exponentielle de la valeurdu carbone, ce serait insupportable pour ces derniers et totalement injustesocialement.Nous contestons la théorie du double dividende, alors que les choix depolitiques publiques se font surtout au détriment des investissements publicset de la dépense publique en général. On trouve la même chose en matièrede fiscalité écologique : des secteurs professionnels importants sont exonérésde TICPE (agriculture, transports aériens mais aussi routiers marchandiseset personnes, gazole non routier du secteur du BTP). Sans oublier l’écartentre la valeur de la CCE et les prix de marché des permis d’émission deCO2 du système UE-ETS, qui tiennent aux choix faits en la matière au nomde la compétitivité des entreprises. Celles des secteurs les plus consommateursd’énergie sont en outre exonérées des quotas payants de l’ETS pour éviterun surcroît de délocalisations.Un dernier point : s’il est normal que la fiscalité dite de rendement reposesur le principe d’universalité budgétaire (non-affectation des recettes), lafiscalité écologique dite de régulation des comportements des agentséconomiques devrait être intégralement affectée à la transition écologique.

FISCALITÉ CARBONE : DÉCRYPTAGE

Selon le PLF* 2018 Selon le rapport Quinet 2019

2018 44,6 €/t 54 €/t

2019 55 €/t

2020 65,4 €/t

2021 75,8 €/t

2022 86,2 €/t

2030 100-110 €/t 250 €/t

*PLF : projet de loi des finances.

La TICPE rapporte 33,8 Md€ en 2018. S’y ajoute la TVA à un taux de 20 %, appliquée à la fois sur le prix des produits et sur la valeur de la TICPE.

AA-Progressistes N24-DEF_Mise en page 1 04/07/2019 15:07 Page47

Page 48: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

–, la qualité d’isolation, la loca-lisation géographique/clima-tique…). Les chiffres de l’ONPE(Observatoire national de la pré-carité énergétique) donnent undoublement en dix ans des per-sonnes dans ce cas (5 à 11 mil-lions de personnes en 2018).Puis : «On élargit le système deprimes à la conversion d’achatautomobile et on demande aux

constructeurs de doubler la primed’État. » On ne répond pas audébat de l’affectation du produitde la TICPE à la transition ouon la limite à celle de sa com-posante taxe carbone (CCE) enl’affectant aux plus modestes.Deux remarques s’imposent.Sans cesse repoussée, uneréforme globale de la fiscalité,est urgente et nécessaire. Enmatière de lutte contre le chan-gement climatique, les rôles etfonctions de la réglementation,de la planification, des servicespublics et des politiques indus-trielles s’avèrent essentiels. Orla théorie du signal prix veut lesréduire au nom de leur coûtpour les entreprises.

Augmenter la taxe carbone enbaissant la fiscalité « sur le travail »au nom du double dividendeet sans revoir les exemptions àla TICPE ni l’affecter à la tran-sition écologique serait un nou-veau transfert de richesses aubénéfice du capital !Une transition juste et solidaire,supposerait un ensemble demesures.

1. Affecter majoritairement lestaxes sur l’énergie aux investis-sements et aides nécessaires àla transition écologique, parexemple aux infrastructuresalternatives à la route et utilesau report modal dans les trans-ports, et à la résorption de laprécarité énergétique par uneffort massif sur les travaux et la qualité de l’isolation deslogements.2. Taxer le kérosène aérien, ainsique le gazole non routier desentreprises du BTP; arrêter lesremboursements de TICPE auxentreprises de transports routiersde marchandises, dont tous lescoûts externes (dégradation desréseaux routiers, congestion,

pollution…) doivent être payéspar une écotaxe sur les camionset camionnettes.3. Baisse de la TVA sur les facturesd’électricité et de gaz desménages, biens de premièrenécessité ; accorder des aidesdirectes aux ménages pour finan-cer des travaux de confort ther-mique des logements, ce surcritères de revenus (et non lesseuls crédits d’impôts) ; triplerle chèque énergie pour lesménages modestes éligibles (de200 à 600 €) pour réduire sansdélai la précarité énergétique.4. Assurer la prise en charge à100 % par l’employeur des coûtsde transports domicile-travailet l’augmenter le versementtransports.

5. Réviser le niveau des prix despermis d’émission délivrés parles États membres aux entre-prises relevant du système ETS-UE, comme des exemptionsactuelles accordées à certainssecteurs.6. Instaurer un mécanismed’ajustement aux frontières de

l’UE sur les importations de pro-duits ne respectant pas lesnormes sociales et environne-mentales ni les règles de l’Accordde Paris sur le climat. Il faut eneffet réduire par des investis-sements l’empreinte carboneglobale de la France (1,7 foisplus importante que ses émis-sions sur son territoire), fruitamer des délocalisations et desimportations de produits. La France est dans une situationatypique, car l’importance dusecteur de l’électricité nucléairedonne des émissions bien faiblespar rapport à une empreintecarbone importante de produitsfabriqués ailleurs. Le gouver-nement ne doit plus continuerà « exporter » nos émissions et

prétendre donner la leçon aumonde. Comme il ne doit plusfaire la « leçon écologique » auxsalariés les plus modestes enles taxant encore plus et en exo-nérant les entreprises ! n

*FRANCIS COMBROUZE est syndicaliste.

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

n ÉCONOMIE

48

s

La France est dans une situation atypique, car l’importance du secteur de l’électricité nucléairedonne des émissions bien faibles par rapport à une empreinte carbone importante de produits fabriqués ailleurs.

Augmenter la taxe carbone en baissant la fiscalité« sur le travail » au nom du double dividende et sansrevoir les exemptions à la TICPE ni l’affecter à latransition écologique serait un nouveau transfert de richesses au bénéfice du capital !

AA-Progressistes N24-DEF_Mise en page 1 04/07/2019 15:07 Page48

Page 49: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

n AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

49

PAR HERVÉ BRAMY*,

UN PEU D’HISTOIRELe terme « de France » apparaîtpour la première fois dans untexte de 1126 où il désigne l’ab-baye de Saint-Denis (Monasteriibeati dyonisii de Francia), quiy possède de vastes terres. LaPlaine de France appartient aupremier domaine royal capétiendès le XIIe siècle. Depuis, son rat-tachement économique à Parisne se démentira jamais.Entre Marne à l’est et Seine ausud-ouest, entre les forêts deMontmorency et les buttes deDammartin et, au nord, la forêtde Chantilly, la Plaine de Franceconserve au nord un caractèrerural, préservé par son intégra-tion partielle dans le parc naturelrégional Oise-Pays de France.Grâce à la fertilité de ses sols,recouverts d’une épaisse couchede limons1, elle approvisionnela capitale en denrées alimen-taires. Ainsi, au cours des siècles,ces terres principalement agri-coles ont été le grenier à céréaleset le réservoir des cultures maraî-chères de la capitale.De Saint-Denis à Roissy-en-France, elle est traversée par degrands axes de communicationnord-sud : RN1, autoroutes A1et A3, LGV Nord, et accueille lesaéroports Charles-de-Gaulle etdu Bourget (premier aéroportd’affaire européen). On y trouve

également le triage du Bourgetet la première gare routière deFrance, Garonor.

LE VENTRE MOU DE LA PLAINE DE FRANCED’un côté le Stade de France,une partie des futurs équi -pements sportifs des jeuxOlympiques 2024, de l’autre lepôle de l’aéroport Charles-de-Gaulle, à Roissy-en-France (plusde 85000 emplois)… Et entreles deux le « ventre mou » de laPlaine de France. C’est, sansaucun doute à cause de ceconstat que le maire de Gonessese sent légitime à porter le projetd’EuropaCity.Si la région parisienne est unedes plus riches d’Europe, de trèsprofondes inégalités de richessemitent son territoire. La Seine-Saint-Denis et le Val-d’Oise sontdes départements marqués parde profondes ruptures territo-riales, des terres d’accueil despopulations défavorisées socia-lement qui subissent de pleinfouet la désindustrialisation etle chômage de masse qui enrésulte.Ainsi, dans les années 1980-1990, les classes moyennes onteu tendance à quitter la Plainede France. Alors que le revenumoyen des Parisiens ou des habi-tants des Hauts-de-Seine a aug-menté de 23 % entre 1984 et1998, celui des habitants de la

Le Triangle de Gonesse, intégré à un ensemble plus vaste aux riches terres agricolesdénommé Plaine de France, elle-même intégrée désormais à l’Île-de-France, a unelongue histoire. Il est l’objet d’un projet de mégacentre commercial. Quel impact?Quel rapport aux besoins des populations?

Triangle de Gonesse et EuropaCity : où s’arrêtera la ville ?

S d t d t

Lors du mouvement des lycéens de 1998, le slogan « Nous ne sommes pasdes moins que rien » résonne avec force. Le gouvernement de Lionel Jospinsera amené à prendre quelques dispositions particulières, tendant à résorberles inégalités d’accueil des lycéens, en créant 3000 postes supplémentaireset de nombreuses ZEP. Depuis, force est de le constater : les acquis ont eutendance à s’éroder…C’est durant cette même période (1997-2002) que le conseil général de laSeine-Saint-Denis, conscient de ces déséquilibres profonds, entreprend unevaste réflexion sur l’aménagement de son territoire. Elle donnera naissanceà un document d’orientation intitulé « La Seine-Saint-Denis par la volontédes hommes ».L’espace compris entre Saint-Denis à l’ouest et Tremblay-Roissy à l’est prendtoute sa place dans une nouvelle vision de l’aménagement du département.Ces deux entités sont en concurrence en termes d’attractivité pour elles-mêmes, et au détriment du cœur de la Plaine de France. Les communes du« ventre mou » tenteront de structurer une démarche de coopérationintercommunale, Terres de France, sans statut formel mais avec une utilitémalgré tout reconnue.

DES INÉGALITÉS TERRITORIALES

Situation géographique du triangle de Gonesse.

s

AA-Progressistes N24-DEF_Mise en page 1 04/07/2019 15:07 Page49

Page 50: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2019

n AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

50

Seine-Saint-Denis ou de Sarcellesdans le Val-d’Oise, par exemple,a chuté de 15 % 2.Dans ces deux départements,les populations vivent les iné-galités sociales ou territorialesqu’elles subissent comme desdiscriminations.

CRÉATION DE L’EPA PLAINE DE FRANCESous le gouvernement Jospin(dans lequel Jean-Claude Gayssotétait ministre des Transports),l’État reconnaît les dysfonction-nements de ce territoire qu’il alui-même, sur la durée, fracturéde mille manières (grandsensembles, autoroutes, modes

de transports déficients…)approfondissant les inégalitéssociales comme territoriales.Est alors créé l’établissementpublic d’aménagement (EPA)Plaine de France pour une duréede quinze ans pour engagertoute opération destinée à favo-riser l’aménagement, la restruc-turation urbaine et le dévelop-pement économique et socialdu territoire en Seine-Saint-Denis et dans le Val-d’Oise. L’EPAréalise des études d’aménage-ment nécessaires aux projetsdu territoire, s’assure de l’équi-libre de leur financement, peutréaliser des opérations, des équi-pements et des actions concou-rant à son aménagement.Au bout de ces quinze annéesde travail, des projets structurantssont en cours de réalisation dansdes villes comme Sevran,Villetaneuse, dans le GrandRoissy, etc. Le 1er janvier 2017,l’EPA Plaine de France a été dissous et ses missions ont étéintégrées à Grand Paris Amé -nagement (ex-AFTRP [Agencefoncière et technique de la régionparisienne]) qui poursuit ses

projets, dont celui d’EuropaCity.

EUROPACITY, LE PROJET DU GRAND PARISEuropaCity est bien né de cettevolonté de réduire les inégalitéséconomiques et territoriales decette partie de la Plaine de France.Le projet est présenté en décem-bre 2016 sous le titre « Émergenced’un quartier d’affaires sur leTriangle de Gonesse » à l’occasiond’un colloque intitulé « Quelsleviers pour une mutationurbaine ? Quel avenir pour laPlaine de France dans le GrandParis? » organisé par l’EPA.La ZAC du Triangle de Gonesse(Val-d’Oise) se déploie sur 280 ha

entre les aéroports Charles-de-Gaulle et du Bourget. L’ambitionde ce projet à « vocation inter-nationale » est d’allier un centreéconomique innovant à unedestination commerciale tou-ristique et culturelle majeure,à savoir EuropaCity (760000 m2),portée par les groupes Auchanet Wanda. Outre la gare de laligne 17 du Grand Paris Express,cette opération comporte unvaste quartier d’affaires et d’ac-tivités comprenant 800000 m2

de bureaux, 200000 m2de locauxd’activités technologiques,75000 m2 d’hôtels, 15000 m2 decommerces, 15000 m2 d’équi-pements sportifs et 20000 m2

de locaux d’enseignement. Lespremiers programmes sontattendus pour 2020-20213.

L’OPPOSITION S’ORGANISEDès l’annonce publique du pro-jet, en mars 2011, l’oppositionà sa réalisation s’exprime, notam-ment par le collectif Pour leTriangle de Gonesse (CPTG).Elle se structure au travers deplusieurs axes : bataille juridique,lutte pour une culture maraî-

chère symbolique des sols, ini-tiatives de rassemblements desforces citoyennes, associatives,syndicales et politiques, dontle PCF.Le grand meeting d’oppositionau projet de février 2019 a ras-semblé plus de 1200 personnes.Opposition contre la réalisationd’un centre commercial sup-plémentaire dans un territoiredéjà saturé par l’offre commer-ciale, contre un projet conçucomme un temple de la consom-mation pour divertir le GrandParis. Contre un projet, soutenupar l’État, quel que soit le gou-vernement, et qui interrogenotre modèle de société et sou-lève de nombreuses questions,tant d’un point de vue écologiquequ’économique. Opposition carla plaine de France reste, dansles consciences, un espaceproche de la zone dense urbainepour une agriculture prospèreet des cultures maraîchères

variées afin de nourrir les popu-lations de l’Île-de-France. Il n’estque de se souvenir des champssur lesquels on glanait lespommes de terre ou des grandescultures de tulipes du Trianglede Gonesse.

EUROPACITY : UN DÉSASTREENVIRONNEMENTALAinsi, moins de quatre ans aprèsla COP21, ce projet démesurése traduirait par la disparitionde terres agricoles sur une vastezone cultivée de 300 ha fertiles.Alors qu’en l’espace de cinquante

ans près de 100000 ha de terresfertiles ont disparu au profit del’expansion parisienne, il estgrand temps de donner la prio-rité à la reconstruction de la villesur la ville et à la préservationdes derniers espaces agricolespour éviter que ces terres attrac-tives ne disparaissent sous lebéton. Le développement éco-nomique du Grand Paris ne sau-rait se faire au détriment ducadre de vie des populationsriveraines.

UN PROJET INADAPTÉ AUX BESOINS ÉCONOMIQUESET SOCIAUX DU TERRITOIRECe projet démesuré, estimé à3,1 milliards d’euros, ne prendpas en compte les besoins éco-nomiques et sociaux du territoire.Censé accueillir 30 millions devisiteurs par an, EuropaCitymenace le commerce de proxi-mité et accentuera à n’en pasdouter la désertification des

centres-villes alentour, renforçantainsi l’impression de « villes-dortoirs » dans un territoirepériurbain situé à 15 km de lacapitale. Car les prévisions éco-nomiques du futur centre com-mercial sont largement sur -estimées, tout comme lespromesses en termes d’emplois.La priorité doit donc être donnéeau développement et à la diver-sification des formations pourlutter contre le chômage et per-mettre aux habitants de la Seine-Saint-Denis, du Val-d’Oise et deSeine-et-Marne d’accéder à des

L’ambition de ce projet à «vocation internationale»est d’allier un centre économique innovant à unedestination commerciale touristique et culturellemajeure, à savoir EuropaCity (760000 m2), portéepar les groupes Auchan et Wanda.

Alors qu’en l’espace de cinquante ans près de100000 ha de terres fertiles ont disparu au profit del’expansion parisienne, il est grand temps de donnerla priorité à la reconstruction de la ville sur la ville età la préservation des derniers espaces agricoles.

s

Alors que le revenu moyen des Parisiens ou des habitants des Hauts-de-Seine a augmenté de 23 % entre 1984 et 1998, celui des habitants de la Seine-Saint-Denis ou de Sarcelles dans le Val-d’Oise, par exemple, a chuté de 15 %.

AA-Progressistes N24-DEF_Mise en page 1 04/07/2019 15:07 Page50

Page 51: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

AVRIL-MAI-JUIN 2019 Progressistes

51

emplois durables et qualifiés.C’est à cette condition que seconstruira la métropole dontles Franciliens ont besoin.Comment accepter le projet

EuropaCity?De même, le projet de CDGExpress comme la réalisationd’une gare de la ligne 17, enplein champ sur le Triangle deGonesse, soulèvent des oppo-sitions. Alors que la consultationpublique n’est pas encore ter-minée, le préfet du Val-d’Oisea signé le permis de construireet autorisé sa construction. Cettegare est appelée, pour les pro-moteurs d’EuropaCity, à des-servir le mégacentre commercial.Pour l’État, prendre une telle

décision, c’est soutenir, sans ledire, la réalisation d’EuropaCity.Pour autant, tout le monde nedemande pas l’annulation duprojet de ligne 17 mais la réali-

sation d’un autre tracé pour des-servir utilement Roissy au mêmetitre que le RER B, lequel doitêtre profondément rénové.Or l’État confirme son soutien

au projet malgré la multiplicationd’avis défavorables, y comprisdans ses propres services. Ainsi,en mai 2018, il décide de faireappel de la décision de l’annu-lation, par le tribunal adminis-tratif de Cergy-Pontoise, duprojet de la ZAC du Triangle deGonesse. Le 12 mars 2019, lemême tribunal annule le projetde révision du PLU qui doit per-mettre la réalisation d’Europa -City. Cette fois-ci, c’est le mairede Gonesse qui fait appel de ladécision.L’alternative à EuropaCity sestructure autour du projetCARMA (Coopération pour uneambition rurale et métropolitaineagricole), lequel envisage une

autre vision de l’occupation del’espace. Un projet ambitieuxet réaliste de redéveloppementde cultures maraîchères. Laconsultation en cours des acteursdu projet prend la dimensiond’une véritable coélaboration.Le groupement CARMA « ras-semble des opérateurs du mondeagricole, des professionnels deplusieurs disciplines, des outilsfinanciers et des organismesconcernés par la distributionalimentaire. Tous partagent lamême conviction que l’avenirse joue aujourd’hui et se fixentpour objectif de réaliser un projetpleinement au service du territoireet de sa population tout en affir-mant les perspectives promet-teuses de l’agriculture périurbaineet urbaine à l’échelle de l’Île-de-France » 4.Le devenir agricole du Trianglede Gonesse est donc au cœurd’une véritable ambition démo-cratique à laquelle de très nom-breux citoyen(ne)s, élu(e)s, asso-ciations, syndicats et partispolitiques participent. Cetteambition s’affirme de jour enjour ! n

*HERVÉ BRAMY est ancien présidentdu conseil général de Seine-Saint-Denis.

1. Les limons caractérisent les dépôtséoliens de loess, aussi nommés« limon des plateaux », et sontfréquents dans des dépôts alluviaux.Dans ce dernier cas, les particuleslimoneuses libèrent des élémentsnutritifs qui ont un intérêt majeur pour le renouvellement de la fertilitédes sols, et donc pour leurexploitation agricole.2. Source : la Tribune du 14 mars2007.3. Le Journal du Grand Paris,décembre 2016.4. « Pour plus de terres agricoles en Île-de-France, pour une agriculturede proximité », article du groupementCARMA mis à jour le 28 janvier 2019,disponible en ligne le site du CPTG(http://nonaeuropacity.com/informer/projet-alternatif-groupement-carma-gonessesur).L’alternative à EuropaCity se structure autour

du projet CARMA (Coopération pour une ambitionrurale et métropolitaine agricole), lequel envisageune autre vision de l’occupation de l’espace. Un projet ambitieux et réaliste de redéveloppementde cultures maraîchères.

Opposition contre la réalisation d’un centrecommercial supplémentaire dans un territoire déjàsaturé par l’offre commerciale, contre un projet conçucomme un temple de la consommation pour divertirle Grand Paris.

ÉCRIVEZ-NOUS À [email protected]

De nombreuses manifestations ont été organisées contre le projet EuropaCity.

AA-Progressistes N24-DEF_Mise en page 1 04/07/2019 15:07 Page51

Page 52: DOSSIER L’INDUSTRIE DU FUTUR · 2019. 7. 4. · d’une complexité sans précédent dans l’histoire, mais dont la majorité des leaders politiques, du fait de leur formation,

revue-progressistes.org

Tél. : 07 88 17 63 93

[email protected]

OFFREZ UN ABONNEMENT !

Les sciences et les techniques au féminin

Émilie du Châtelet (1706-1749)Élève précoce, bénéficiant de la même éducation queses frères, c’est au contact de ses précepteurs et des livres de la bibliothèque de l’hôtel de Breteuil que celle qui s’appelle encore Gabrielle Émilie LeTonnelier de Breteuil fait ses premières armes. Elle litplusieurs langues et s’avère assez tôt douée pour lesphilosophies et les sciences. À quinze ans, ellemaîtrise les théories de Locke, Descartes et Leibniz.Elle poursuit sa formation en fréquentant les grandssavants de son temps : Fontenelle, Moreau deMaupertuis, Alexis Claude Clairaut et surtout Voltaire,qu’elle rencontre en 1733. Ensemble, ils viventquinze ans d’idylle au château de Cirey, lieu de leuramour, mais aussi lieu de rencontres savantes,d’expérimentations et de débats scientifiques.En femme des Lumières, Émilie tient à transmettreau plus grand nombre les savoirs des grandsscientifiques de son temps. Si elle contribue à lapopularisation en France de l’œuvre physique deLeibniz, c’est surtout sa traduction des PhilosophiæNaturalis Principia Mathematica de Newton –entreprise en 1745 et publiée à titre posthume parVoltaire – qui entre dans la postérité : c’est encoreaujourd’hui la seule traduction en français existantede cet ouvrage !Alors qu’en France les femmes trouvent encore porteclose dans les institutions scientifiques, trois ansavant sa mort Mme du Châtelet trouve sa place parmiLaura Bassi et Maria Gaetana Agnesi à l’Académie dela ville de Bologne, où elle est élue et inscrite sur leregistre des membres.

CLAUDE FRASSON

revue-progressistes.org

Tél. : 07 88 17 63 93

[email protected]

Pour consulter tous les articles de Progressistes en ligne ou pour télécharger la revue gratuitementprogressistes@Progressistes21

Revue Progressistes

Retrouvez-nous aussi sur LE BLOG !revue-progressistes.org

Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise du Châtelet,École française du XVIIIe siècle, Choisel, château de Breteuil,© Henri-François de Breteuil, cliché Philippe Sébert.

AA-Progressistes N24-DEF_Mise en page 1 04/07/2019 15:07 Page52