DOSSIER DOCUMENTAIRE de TRAVAIL

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OPTION THEATRE – TERMINALES DOSSIER DOCUMENTAIRE de TRAVAIL Photo du spectacle « Les naufragés du Fol espoir » du Théâtre du soleil, 2010 THEME DE TRAVAIL : QUITTER SON PAYS Projet : par la mise en espace et en jeu de textes littéraires, théâtraux, d’articles de journaux, de témoignages, de reportages ou d’œuvres plastiques (photographies, peintures, sculpture…), ainsi que de textes issus d’un atelier d’écriture, nous tenterons de montrer sur le plateau ce que « quitter son pays » signifie.

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OPTION THEATRE – TERMINALES

DOSSIER DOCUMENTAIRE de TRAVAIL

Photo du spectacle « Les naufragés du Fol espoir » du Théâtre du soleil, 2010

THEME DE TRAVAIL :

QUITTER SON PAYS

Projet : par la mise en espace et en jeu de textes littéraires, théâtraux, d’articles de journaux, de témoignages, de reportages ou d’œuvres

plastiques (photographies, peintures, sculpture…), ainsi que de textes issus d’un atelier d’écriture, nous tenterons de montrer sur le plateau ce que

« quitter son pays » signifie.

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Quelques remarques préliminaires Au début du XXIème siècle, le nombre de migrants est évalué à 3.5% de la population mondiale. En 2015, 244 millions de personnes vivent dans un pays autre que celui dans lequel elles sont nées. La migration est à la fois une entreprise périlleuse mais aussi une aventure humaine positive qui répond à la quête d’une vie meilleure. Dans un contexte de fermeture croissante des Etats et de durcissement de leurs frontières, les migrations transfrontalières sont synonymes de drames humains. C’est pour cette raison qu’on emploie souvent l’expression « crise des migrants ». On peut s’interroger sur les causes pour lesquelles on quitte son pays, mais aussi sur les questions liées au déplacement (le voyage, l’accueil), à la question du retour, à la nostalgie du pays d’origine, au statut d’étranger. D’après TDC, 15 septembre 2016

DEFINITIONS Les définitions qui suivent sont extraites de TDC, 15 septembre 2016.

EXILE : Personne contrainte de vivre en dehors de son pays d’origine. L’exil renvoie à la notion de migration mais aussi à l’état émotionnel de l’exilé, à son sentiment de se trouver en dehors de son pays et de sa culture. MIGRANT : Selon l’OIM (Organisation internationale pour les migrations), il n’existe pas au niveau international de définition universellement acceptée du terme. Il s’agit d’une personne qui se déplace de manière volontaire vers un autre pays (ou une région) en vue d’améliorer ses conditions de vie et ses perspectives d’avenir. CLANDESTIN : Migrant qui entre dans un Etat en se dérobant aux contrôles policiers et douaniers et qui ne dispose pas du titre de séjour lui permettant de résider dans l’Etat où il se trouve. EMIGRE : L’émigré est celui qui quitte son pays de résidence pour s’installer durablement dans un autre Etat. Selon l’OIM, le droit international reconnaît à chacun le droit de quitter son pays, sans que ce droit ne s’accompagne a priori de celui d’entrer sur le territoire d’un autre Etat. IMMIGRE : L’immigré est celui qui se rend dans un Etat dont il ne possède pas la nationalité avec l’intention de s’y installer. EXPULSE : Personne étrangère ayant fait l’objet d’une mesure d’expulsion (c’est-à-dire d’une obligation de quitter l’Etat dans lequel elle se trouve) ou qui est en coure de reconduction dans son pays d’origine. VOYAGEUR : Personne qui se déplace hors de son lieu de résidence, pour une durée plus ou moins longue, pour des raisons personnelles (tourisme) ou professionnelles. Le voyage suppose un retour dans le lieu d’origine et suggère l’absence de contrainte. REFUGIE : Personne qui se trouve hors de son pays et qui, selon les termes de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) « craint avec raison d’y être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques », et ne veut pas en conséquence y retourner ou se réclamer de la protection de ce pays. L’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) a la charge du sort des réfugiés à l’échelle mondiale. Le statut de réfugié procure une autorisation de séjour dans l’Etat où la personne se trouve. EXPATRIE : Individu qui a migré hors de son pays d’origine, dans une démarche volontaire ou sous la contrainte. RAPATRIE : Réfugié, prisonnier de guerre ou interné civil ayant fait l’objet d’une opération de retour dans son Etat d’origine.

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APATRIDE : Individu qui n’est considéré comme ressortissant par aucun Etat en vertu de son droit sur la nationalité ou de sa Constitution. L’apatride est sans nationalité, soit qu’il n’en ait jamais eu, soit qu’il l’ait perdue. DEMANDEUR d’ASILE : Personne ayant formulé une demande d’admission sur le territoire d’un Etat en qualité de réfugié, et qui est dans l’attente d’une réponse de la part de l’autorité compétente.

TEXTES LITTERAIRES ET THEATRAUX

TEXTES DE LAURENT GAUDE

Extraits d’ Eldorado, J’ai lu. Extrait 1 : Le débarquement du Vittoria Le commandant Piracci n’eut pas besoin de lire l’article. Tout lui revint en tête. Le Vittoria. Oui, il se souvenait. C’était le nom d’un navire qu’il avait intercepté au large des côtes italiennes. Un bateau rempli d’émigrants. Des centaines d’hommes et de femmes qui dérivaient depuis trois jours. Lorsque les marins italiens montèrent à bord, munis de puissantes lampes torches dont ils balayaient le pont, ils furent face à un amas d'hommes en péril, déshydratés, épuisés par le froid, la faim et les embruns. Il se souvenait encore de cette forêt de têtes immobiles. Les rescapés ne marquèrent aucune joie, aucune peur, aucun soulagement. Il n’y avait que le silence, entrecoupé parfois par le bruit des cordes qui dansaient au rythme du roulis. La misère était là, face à lui. Il se souvenait d’avoir essayé de les compter ou du moins de prendre la mesure de leur nombre, mais il n’y parvint pas. Il y en avait partout. Tous tournés vers lui. Avec ce même regard qui semblait dire qu’ils avaient déjà traversé trop de cauchemars pour pouvoir être sauvés tout à fait. Ils firent monter à bord chacun d’entre eux. Cela prit du temps. Il fallut les aider à se lever. À marcher. Certains étaient trop faibles et nécessitaient qu’on les porte. Une fois à bord, ils distribuèrent des couvertures et des boissons chaudes. Ce jour-là, ils les sauvèrent d’une mort lente et certaine. Mais ces hommes et femmes étaient allés trop loin dans le dégoût et l’épuisement. Il n’y avait plus rien à fêter. Pas même leur sauvetage. Ils étaient au-delà de ça. Extrait 2 : Elle a voyagé à bord du Vittoria Récit transposé à la première personne… Tout commença à Beyrouth. Une fois mon voyage payé, il a fallu attendre que le bateau soit prêt. Les passeurs m’avaient dit qu’ils me recontacteraient et m’avaient laissée à la ville. J’ai erré dans ces rues inconnues, des journées entières, pour tuer le temps. La faim et la fatigue me tenaient mais je me concentrais sur son départ imminent et sur mon fils - un petit garçon de onze mois qui pleurait dans la chaleur de ces jours sans fin. Combien de temps avait duré cette attente ? Je ne m’en souviens plus. Il me semblait que les heures passaient avec la lenteur des montagnes qui s’étirent. Et puis un soir, enfin, je fus amenée jusqu’au bateau. Une petite camionnette me déposa à l’extrémité d'un grand port de marchandises. Des groupes d’hommes attendaient sur le quai. Je m’approchai. Le bateau me sembla énorme. C’était une haute silhouette immobile, et cette taille imposante me rassura. Je me dis que les passeurs avec qui j’avais traité devaient être sérieux et accoutumés à ces traversées s’ils possédaient de tels bateaux. On me fit attendre sur le quai, au pied du monstre endormi. Les camionnettes ne cessaient d’arriver. Il en venait de partout, déposant leur chargement humain et repartant dans la nuit. La foule croissait sans cesse. Tant de gens. Tant de silhouettes peureuses qui convergeaient vers ce quai. Des jeunes hommes pour la plupart. N'ayant pour seule richesse qu’une veste jetée sur le dos. J’aperçus également quelques familles et d’autres enfants, comme le mien, emmitouflés dans de vieilles couvertures. Cela aussi me rassura. Je n’étais pas la seule mère. Je trouverais de l’aide si j’en avais besoin. Tout le monde parlait à voix basse. Les passeurs avaient donné des ordres. Il fallait se taire. Mais dans l’excitation du départ, les hommes ne pouvaient s'empêcher de murmurer. Des langues inconnues bruissaient dans la foule. Il y avait là de tout. Des Irakiens. Des Afghans, des Iraniens, des Kurdes, des Somalis. Tous impatients. Tous possédés par un étrange mélange de joie et d’inquiétude. L’équipage était constitué d’une dizaine d’hommes, silencieux et pressés. Ce sont eux qui donnèrent le signal de l’embarquement. Les centaines d’ombres confluèrent alors vers la petite passerelle et le bateau s'ouvrit. Je fus une des premières à embarquer. Je m’installai sur le pont contre la rambarde et observai le lent chargement de ceux qui me suivaient. Nous ne tardâmes pas à être serrés les uns contre les autres. Le

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bateau ne semblait plus aussi vaste que lorsque j’étais sur le quai. C’était maintenant un pont étroit piétiné par des centaines d’hommes et de femmes. Je tentai de garder un peu de place pour mon bébé mais les corps, autour de moi, me pressaient sans cesse davantage. Cette incommodité ne me fit pas flancher. Je me dis que cela ne durerait qu’une nuit ou deux. Que ce temps-là n’était rien dans une vie. Que je me souviendrais bientôt de cette traversée comme d’une incroyable épopée. Que j’en parlerais en souriant lorsque je serais installée de l’autre côté, à Rome, à Paris ou à Londres et que tout serait accompli. Nous levâmes l’ancre au milieu de la nuit. La mer était calme. Les hommes, en sentant la carcasse du navire s’ébranler, reprirent courage. Nous partions enfin. Le compte à rebours était enclenché. Dans quelques heures, vingt-quatre ou quarante-huit au pire, nous foulerions le sol d’Europe. La vie allait enfin commencer. On rigolait à bord. Certains chantèrent les chants de leur pays. Je ne se souviens plus avec précision de cette première nuit sur le navire - ni de la journée qui suivit. Il faisait chaud. Nous étions trop serrés. J’avais faim. Mon bébé pleurait. Mais ce n’était pas ce qui comptait. Je me serais sentie capable de tenir des jours entiers ainsi. Le nouveau continent était au bout. Et la promesse que j’avais faite à mon enfant de l’élever là-bas était à portée de main. J’aurais tenu, vaille que vaille, pourvu que j’ai pu me raccrocher à l’idée que nous nous rapprochions, que nous ne cessions, minute après minute, de nous rapprocher. Mais il y eut ces cris poussés à l’aube du deuxième jour, ces cris qui renversèrent tout et marquèrent le début du second voyage. De celui-là, je me rappelle chaque instant. Depuis deux ans, je le revis sans cesse à chacune de mes nuits. De celui-là, je ne suis revenue. Les cris avaient été poussés par deux jeunes Somalis. Ils s’étaient réveillés avant les autres el donnèrent l’alarme. L’équipage avait disparu. Ils avaient profité de la nuit pour abandonner le navire, à l'aide de l’unique canot de sauvetage. La panique s’empara très vite du bateau. Personne ne savait piloter pareil navire. Personne ne savait, non plus, où l’on se trouvait. À quelle distance de quelle côte ? Nous nous rendîmes compte avec désespoir qu’il n’y avait pas de réserve d’eau ni de nourriture. Que la radio ne marchait pas. Nous étions pris au piège. Encerclés par l’immensité de la mer. Dérivant avec la lenteur de l'agonie. Un temps infini pouvait passer avant qu’un autre bateau ne nous croise. Les visages, d’un coup, se fermèrent. On savait que si l’errance se prolongeait, la mort serait monstrueuse. Elle nous assoifferait. Elle nous éteindrait. Elle nous rendrait fous à se ruer les uns contre les autres. Tout était devenu lent et cruel. Certains se lamentaient. D’autres suppliaient leur Dieu. Les bébés ne cessaient de pleurer. Les mères n’avaient plus d’eau. Plus de force. Plus les heures passaient et plus les cris d’enfants faiblissaient d’intensité - par épuisement - jusqu’à cesser tout à fait. Les esprits sombrèrent dans une épaisse léthargie. Quelques bagarres éclatèrent, mais les corps étaient trop faibles pour s’affronter. Bientôt, ce ne fut plus que silence. Le premier mort lut un Irakien d’une vingtaine d’années. D’abord, personne ne sut que faire, puis les hommes décidèrent qu’il fallait jeter les morts à la mer. Pour faire de la place et éviter tout risque d’épidémie. Bientôt, ces corps plongés à l’eau furent de plus en plus nombreux. Ils passaient par-dessus bord les uns après les autres et chacun se demandait s’il ne serait pas le prochain. Je serrais de plus en plus fortement mon enfant dans mes bras, mais il semblait ne plus rien faire d’autre que dormir. Une femme, à côté de moi, me tendit une bouteille dans laquelle il restait quelques gouttes d'eau. J’essayai de faite boire le nourrisson mais il ne réagit pas. Je lui mouillai les lèvres mais les gouttes coulèrent le long de son menton. Je sentais qu'il partait et qu’il fallait que je me batte bec et ongles. Je l’appelai, le secouai, lui tapotai les joues. Il finit par râler, distinctement. Un petit râle d’enfant. Je n’entendais plus que cela. Au-dessus du brouhaha des hommes et du bruissement des vagues, le petit souffle rauque de mon enfant me faisait trembler les lèvres. Je suppliai. Je gémis. Les heures passèrent. Toutes identiques. Sans bateau à l’horizon. Sans retour providentiel de l'équipage. Rien. La révolution lente et répétée du soleil nous torturait et la soif nous faisait halluciner. Je suis incapable de dire quand il est mort. Je suis restée dans la même position pendant des heures, lui chantant des comptines, l’appelant par son nom, lui jurant qu’il s’en sortirait. Puis les gens qui m’entouraient m’ont tapé sur l’épaule. J’avais vu dans leur regard ce qu’ils pensaient. J’ai hurlé de me laisser tranquille, de ne pas m’approcher, que j’allais le réveiller. Plus tard, ils avaient essayé à nouveau, répétant qu’il ne fallait pas garder de morts sur le bateau. De quoi parlaient-ils ? Ce n’était pas un mort que je tenais dans mes bras, c’était mon enfant. Je ne comprenais pas. Et puis deux hommes sont venus et m’ont forcée. Ils m’ont obligée à desserrer mon emprise. Je me défendis. Elle cracha et mordis. Mais ils étaient plus forts que moi. Ils réussirent à me prendre l’enfant et, sans un mot, le jetèrent par-dessus bord. Je me souviens encore du bruit horrible de ce corps aimé, embrassé, touchant l’eau. Mon esprit assommé ne pensa plus à rien. La fatigue m’envahit. À partir de cet instant, je renonçai. Je me laissai glisser dans un coin, m’agrippai à la rambarde et ne bougea plus. Je n’étais plus consciente de rien. Je dérivai avec le navire. Je mourais, comme tant d’autres autour de moi, et nos souffles fatigués s’unissaient

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dans un grand râle continu. Nous dérivâmes jusqu’à la troisième nuit. La frégate italienne nous intercepta à quelques kilomètres de la côte des Pouilles. Au départ de Beyrouth, il y avait plus de cinq cents passagers à bord. Seuls trois cent quatre-vingt-six survécurent. Dont moi. Je ne sais pas pourquoi. Moi qui n’étais ni plus forte, ni plus volontaire que les autres. Moi à qui il aurait semblé juste et naturel de mourir après l’agonie de mon enfant. Moi qui ne voulais pas lâcher la rambarde parce que se lever, c’était quitter mon enfant et je ne pouvais pas. Extrait 3 : Dernier jour à Bagdad pour Soleiman et Jamal Je suis avec mon frère Jamal. Je ne dis rien. Je claque la portière de la voiture. Il fait tourner la clef. Le moteur gronde. Ce soir, les hirondelles volent haut dans le ciel. Les boulevards grondent du vacarme des klaxons. La poussière soulevée par les embouteillages est encore chaude du soleil de la journée. Mon frère Jamal ne dit pas un mot. Nous roulons. Je sais que nous partirons cette nuit. Je l’ai compris à son regard. S’il m’a demandé de venir avec lui, c’est qu’il veut que nous soyons ensemble pour dire adieu à notre ville. Je ne dis rien. La tristesse et la joie se partagent en mon âme. Les rues défilent sous mes yeux. J'ai doucement mal de ce pays que je vais quitter. Jamal gare la voiture sur la place de l’indépendance. Nous entrons dans notre café, celui où l’on vient tous les jours. Fayçal nous fait signe de la tête. Il joue aux dés avec son oncle. Nous saluons les visages que nous connaissons, puis nous nous asseyons. Mon frère a choisi une des tables qui donnent sur la terrasse. Nous restons dans la pénombre du café mais nous jouissons de la vue sur la place. Je regarde mon frère qui contemple les orangers, le fouillis des voitures et la foule des passants et je sais ce qu’il pense. Il boit son thé sans quitter des yeux cette place qu’il ne verra plus. Il essaie de tout enregistrer. Oui, je sais ce qu’il pense et je fais comme lui. Immobile, je laisse les bruits et les odeurs m’envahir. Nous ne reviendrons plus jamais. Nous allons quitter les rues de notre vie. Nous n’achèterons plus rien, jamais, aux marchands de cette rue. Nous ne boirons plus de thé, ici. Ces visages, bientôt, se brouilleront et deviendront incertains dans notre mémoire. Je contemple mon frère qui regarde la place. Le soleil se couche doucement. J’ai vingt-cinq ans. Le reste de ma vie va se dérouler dans un lieu dont je ne sais rien, que je ne connais pas et que je ne choisirai peut-être même pas. Nous allons laisser derrière nous la tombe de nos ancêtres. Nous allons laisser notre nom, ce beau nom qui fait que nous sommes ici des gens que l’on respecte. Parce que le quartier connaît l’histoire de notre famille. Il est encore, dans les rues d’ici, des vieillards qui connurent nos grands-parents. Nous laisserons ce nom ici, accroché aux branches des arbres comme un vêtement d’enfant abandonné que personne ne vient réclamer. Là où nous irons, nous ne serons rien. Des pauvres. Sans histoire. Sans argent. Je regarde mon frère qui contemple la place et je sais qu’il pense à tout cela. Nous buvons notre thé avec une lenteur peureuse. Lorsque les verres seront vides, il faudra se lever, payer et saluer les amis. Sans rien leur dire. Les saluer comme si nous allions les revoir dans la soirée. Aucun de nous deux n’a encore la force de faire cela. Alors nous buvons nos thés comme des chats laperaient de l’eau sucrée. Nous sommes là. Encore pour quelques minutes. Nous sommes là. Et bientôt plus jamais. C’est mon frère qui s’est levé le premier. Il ne m’a pas demandé si j’avais fini, ou si j’étais prêt à y aller. Il s’est levé d’un bond. Il a posé de l’argent sur la table et il est sorti du café en lançant un salut à la cantonade. Je l’ai suivi avec empressement. C’est ce qu’il voulait. Que je n’aie pas le temps de regarder une dernière fois les amis, d’imaginer quels derniers mots je pourrais leur dire pour qu’ils comprennent ma douleur de les quitter. Que je n’aie pas le temps de flancher. Il s’est levé et a marché rapidement jusqu'à la voiture et c’est ce qu’il fallait faire. Une fois assis au volant il a respiré longuement, puis il m’a regardé et j’ai vu qu’il était sur le point de pleurer. Alors pour qu’il ait quelque chose à faire, pour qu’il ne se laisse pas subjuguer par les larmes, pour que nous ne nous mettions pas à hurler de tristesse tous les deux, enfermés dans notre voiture, je lui ai dit : « J’aimerais bien faire un dernier tour dans la ville. » Il a souri. Il a dit : « C’est une bonne idée » et il a tourné la clef de contact. La voiture est passée encore une fois devant la terrasse du café mais ni lui ni moi n’avons eu le courage de regarder par la vitre. J’ai juste pensé que tout serait pareil demain. Même alignement de chaises et de tables. Même poussière sur le trottoir. Même chat maigre longeant les murs avec crainte. Tout serait pareil. Mais sans nous. Extrait 4 : Interception au large de Lampedusa — Alors ? lança le commandant d’un ton énervé, sans ralentir le pas bien qu’il sentît que son second avait du mal à le suivre. — Ils ont secouru un cargo qui avait lancé un appel de détresse pour avarie... — Où ? — Dix milles de Catane...

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— Quelle heure ? — Zéro heure dix, dit le second en ayant du mal à reprendre son souffle. — En quoi cela nous concerne-t-il ? demanda alors le commandant. — Le cargo était plein de clandestins. Ils arrivaient en vue du port. L’humidité se faisait plus pénétrante encore que dans les ruelles de la vieille ville. — Ils les ont recueillis ? demanda Salvatore Piracci, et son ton commençait à trahir une certaine mauvaise humeur. — Non, murmura le second. Il n’y avait personne à bord. C’est un membre de l’équipage qui a fini par craquer. Il a raconté qu’après avoir émis l’appel au secours, ils avaient mis tous les clandestins dans les canots de sauvetage et les avaient laissés à la mer. Place nette. On n’a effectivement retrouvé aucun des canots sur le cargo. Le type a donné une idée de la zone où a eu lieu le décrochage. Le visage du commandant se ferma. La nuit semblait maintenant lui peser de tout son poids sur les épaules, avec haine. — Combien de barques ? demanda-t-il. — Cinq, d’après le type. — Comment est la mer ? demanda-t-il en pénétrant dans le port. Et son second lui répondit d’un mot : — Sauvage. Extrait 5 : Les frontières Je me suis trompé. Aucune frontière n’est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans sentir la moindre difficulté, mais il faut s’arracher la peau pour quitter son pays. Et qu’il n‘y ait ni fils barbelés ni poste frontière ni change rien. J’ai laissé mon frère derrière moi, comme une chaussure que l’on perd dans la course. Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes. TEXTE DE ERIC-EMMANUEL SCHMITT

Extrait de Ulysse from Bagdad, Le livre de poche, Pages 9 à 11 Je m’appelle Saad Saad, ce qui signifie en arabe Espoir Espoir et en anglais Triste Triste ; au fil des semaines, parfois d’une heure à la suivante, voire dans l’explosion d’une seconde, ma vérité glisse de l’arabe à l’anglais ; selon que je me sens optimiste ou misérable, je deviens Saad l’Espoir ou Saad le Triste. A la loterie de la naissance, on tire de bons, de mauvais numéros. Quand on atterrit en Amérique, en Europe, au Japon, on se pose et c’est fini : on naît une fois pour toutes, nul besoin de recommencer. Tandis que lorsqu’on voit le jour en Afrique ou au Moyen- Orient… Souvent je rêve d’avoir été avant d’être, je rêve que j’assiste aux minutes précédant ma conception : alors je corrige, je guide la roue qui brassait les cellules, les molécules, les gènes, je la dévie afin d’en modifier le résultat. Pas pour me rendre différent. Non. Juste éclore ailleurs. Autre ville, pays distinct. Même ventre certes, les entrailles de cette mère que j’adore, mais ventre qui me dépose sur un sol où je peux croître, et pas au fond d’un trou dont je dois, vingt ans plus tard, m’extirper. Je m’appelle Saad Saad, ce qui signifie en arabe Espoir Espoir et en anglais Triste Triste ; j’aurais voulu m’en tenir à ma version arabe, aux promesses fleuries que ce nom dessinait au ciel ; j’aurais souhaité, l’orgueil comme unique sève, pousser, m’élever, expirer à la place où j’étais apparu, tel un arbre, épanoui au milieu des siens puis prodiguant des rejets à son tour, ayant accompli son voyage immobile dans le temps ; j’aurais été ravi de partager l’illusion des gens heureux, croire qu’ils occupent le plus beau site du monde sans qu’aucune excursion ne les ait autorisés à entamer une comparaison ; or cette béatitude m’a été arrachée par la guerre, la dictature, le chaos, des milliers de souffrances, trop de morts. […] Comme j’envie tout homme qui jouit de la chance d’habiter un endroit habitable. Je m’appelle Saad Saad, ce qui signifie en arabe Espoir Espoir et en anglais Triste Triste. Parfois je suis Saad l’Espoir, parfois Saad le Triste, même si, aux yeux du plus grand nombre, je ne suis rien. […] Né quelque part où il ne fallait pas, j’ai voulu en partir; réclamant le statut de réfugié, j’ai dégringolé d’identité en identité, migrant, mendiant, illégal, sans-papiers, sans-droits, sans-travail ; le seul vocable qui me définit désormais est clandestin. Parasite m’épargnerait. Profiteur aussi. Escroc encore plus. Non, clandestin. Je n’appartiens à aucune nation, ni au pays que j’ai fui ni au pays que je désire rejoindre, encore moins aux pays que je traverse. Clandestin. Juste clandestin. Bienvenu nulle ne part. Etranger partout. Certains jours, j’ai l’impression de devenir étranger à l’espèce humaine... Je m’appelle Saad Saad mais ce patronyme, vraisemblablement, je ne le transmettrai pas. Coincé dans les deux mètres carrés à quoi se réduit mon logement provisoire, j’ai honte de me reproduire, et, ce faisant, de

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perpétuer une catastrophe. Tant pis pour ma mère et mon père qui ont tant fêté mon arrivée sur Terre, je serai le dernier des Saad. Le dernier des tristes ou le dernier de ceux qui espéraient, peu importe. Le dernier. TEXTES DE MICHEL AZAMA

Extraits de Bled, Editions théâtrâles Extrait 1 : L’ailleurs LE VIEIL HOMME - Se cacher, toujours se cacher. Attendre. Trouver un bon passeur, celui qui connaît la nuit et la mer, et la meilleure lune, et la bonne passe, et même le chef de la patrouille. Mais plus il en connaît, le passeur, et plus il est cher. Il aurait mieux valu payer des papiers. Oui. Mais son oncle disait "les papiers, ça se paye, ça ne s'achète pas. Même avec beaucoup d'argent, n'a pas des papiers qui veut." - Pourquoi faire des papiers, puisqu'on ne sait pas lire ? Et son oncle qui avait voyagé et qui connaissait les choses. - Ce sont les autres qui savent. C'est pour eux, les papiers, pour les autres. C'était à se casser la tête, si ceux qui ne savent pas, doivent payer pour ceux qui savent. Mais c'était comme ça. Comme disait la tante Jmia : - Le monde, il est mal foutu, petit, et celui qui le remettra debout sur ses jambes, il est pas encore sorti du ventre. Elle disait aussi à ses heures quand ça la prenait, assise entre ses deux pieds posés bien à plat sur le sol, les mains dessinées au henné, bien enveloppées dans le creux du tablier : - Les pauvres, ils payent, les riches, ils touchent. Et tout le monde il trouve ça normal, même Allah. Enfant, il imaginait l'autre côté de l'eau, là-bas, si loin qu'on n'y arriverait jamais même en nageant trois jours. Et il imaginait l'autre côté de l'eau exactement comme ici : le puits et les femmes à califourchon sur l'âne, qui vont remplir les cruches et les petites filles, une jarre sur la tête posée bien droit, et les gamins aux djellabahs dépenaillées, qui se battent pour le brin de kif à fumer qu'un vieux leur a donné, avant de s'égailler chacun avec sa poignée de chèvres à garder. Et les hommes qui parlent tout le jour habillés de blanc, assis sous le palmier, et plus loin que la plage éblouissante où le sable paraît danser, les femmes dans les jardinets en pente au bord de l'oued, qui tirent la charrue dans la terre rouge à cailloux pour qu'y pousse un peu de menthe pour le thé, un peu de légumes pour le couscous. Et les caravanes à chameaux. Parfois, les bêtes agenouillées, pensives, devant le spectacle de toute cette eau, dont elles rêveront en traversant le désert. Et les hommes habillés de bleu, silencieux toujours, et voilés comme des femmes, qui portent dans leurs yeux les mirages du pays sans eau. Mais son oncle, qui connaissait les choses, disait que de l'autre côté de l'eau, il n'y avait rien de tout ça, ni puits ni ânes ni jarres ni chèvres, ni palmiers, ni hommes en djellabah, ni femmes qui labourent, ni chameaux, ni chameliers bédouins. Et que, de l'autre côté, deux hommes qui se seraient tenus par la main, on leur aurait jeté des pierres. Extrait 2 : Imagination LE VIEIL HOMME- Alors il supprimait par la pensée toutes ces choses qu'il connaissait ; mais il ne parvenait jamais à rien mettre à la place. Rien. On ne peut pas imaginer des arbres sans palmes ni dattes, ni des femmes sans voiles, ni des gens montant autre chose que des ânes ou des chameaux. Et quand, enfant, il tirait son oncle par la djellabah, disant "parle-moi de l'autre côté", l'oncle prenait un air grave et son œil s'en allait très loin, devenant très mince sous la paupière, pour percer l'horizon et revoir de l’autre côté. - Malheur à celui qui traverse la mer, tu m’entends ? disait l’oncle. TEXTE D’ ERRI DE LUCA

Extraits de Le dernier voyage de Sindbad, traduit de l’italien, Gallimard Scène 1 : Montée à bord La nuit, un petit bateau, une cale où entrent un par un des passagers de fortune, des futurs citoyens d’Europe. Rembarquement terminé, une voix brusque dicte les premiers ordres.

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LE CAPITAINE - Malvenue à bord. Vous resterez dans la cale pendant toute la traversée. Les hommes ne sortiront qu’un seul à la fois et une heure par jour. Aucune des femmes ne sortira. Il y a des satellites qui vérifient jusqu’aux poux qu’on a sur la tête. C’est clair ? Personne ne répond. LE CAPITAINE - Bien, maintenant je me présente, je m’appelle Sindbad, marin depuis que le monde existe. Je suis le capitaine, celui qui vous fera débarquer dans la gueule de l’Occident, de la civilisation. Vous verrez quelle civilisation, quel accueil. C’est là que vous voulez aller et moi je vous y emmène, mais sur ce bateau c’est moi qui fais les lois et celui qui ne les respecte pas se retrouve à la mer. La bouffe passe une fois par jour. Si la mer est agitée on ne mange pas, comme ça on ne vomit pas et on ne gaspille pas la nourriture. Pour se laver, il y a l’eau de mer à volonté, le seau est là, vous le descendez par cette ouverture sur le côté. Pour boire, un litre par jour et par personne. Il n’y a pas de toilettes, jetez dehors tout ce que vous évacuez. Après le discours, remue-ménage de ceux qui prennent possession de l’espace qu'ils garderont durant toute la traversée. Ils ont l’air d’être de plusieurs nationalités. LE MATELOT - Capitaine Sindbad, il y a une femme enceinte, pleine jusqu’aux yeux. Probable qu’elle accouche à bord. LE CAPITAINE - C’est pas moi qui l'ai remplie. Qu’elle accouche, mais elle ne sortira pas de la cale. UN PASSAGER - Nous sommes pauvres et prisonniers comme dans notre pays. Et nous avons même payé pour ça. UN AUTRE PASSAGER - Moi, j’ai payé pour la liberté. Peu importe comment je voyage, on peut aussi me mettre dans un cercueil, pourvu qu’on me fasse débarquer vivant. La liberté doit bien être quelque part et si elle existe de l’autre côté de la mer, je la trouverai. UN AUTRE PASSAGER - Nous avons tellement souffert que là-dedans ce sera des vacances. LE MATELOT - Taisez-vous, oh ! Les femmes sont plus à l'aise que les hommes, qui sont perdus et ne savent pas où se mettre. Elles se répartissent vite et simplement les places et les aménagent. Elles sortent une ficelle quelles tendent pour y mettre un tissu en guise de séparation. Un chiffon sert à nettoyer, on aide la femme enceinte à s’installer là où il y a un peu d’air. Scène 2 : Où est l’Orient ? LE CAPITAINE (terminant de donner les instructions après la première installation) - Je ne veux jeter personne à la mer, je veux vous décharger tous sur la terre ferme, mais je ne veux pas vous entendre. Pas de disputes entre vous, vous êtes des caisses, c’est ce qui est écrit sur le livre de bord et ce ne serait pas la première fois que je jette une partie du chargement à la mer. Celui qu’on trouvera sur le pont sans permission finira dans l’eau. Après un moment de silence, un passager demande : UN PASSAGER - Capitaine Sindbad ! LE CAPITAINE - Qu’est-ce que tu veux? UN PASSAGER - Où est l’Orient? Enfermé là-dessous, je ne sais pas de quel côté tourner ma prière. LE CAPITAINE - La proue est tournée vers l’Occident, l’Orient est en poupe du côté où tu entends le bruit des hélices. UN PASSAGER - Merci, capitaine Sindbad. LE CAPITAINE - Pas de mercis. Le voyage sera long et vous serez nombreux à vous maudire de vous être embarqués. Remerciez votre Dieu qui vous a conseillé de vous mettre dans ce trou au milieu de la mer. Tant que nous ne serons pas au large, vous devez vous taire. Quand nous aurons la mer sous les pieds, alors vous pourrez parler, chanter, vous raconter vos histoires. Brève coupure qui fait comprendre qu'ils sont déjà en mer, et on entend s’élever le murmure des histoires, des prières, de l’un d’eux qui chantonne, bouche fermée, tout en réparant quelque chose. Scène 4 : La tempête approche Plus tard, toujours dans la cabine de commandement. Un marin frappe et entre. LE MATELOT - Capitaine Sindbad, un passager demande à sortir. LE CAPITAINE - S’il a le mal de mer, il peut se le garder. LE MATELOT – Non, capitaine, il demande à sortir pour calmer la tempête. LE CAPITAINE - Qu’est-ce que tu dis? LE MATELOT - Il dit que s’il sort, il arrêtera les vagues. LE CAPITAINE - Quel est le plus stupide, toi ou lui ? Nous avons embarqué un autre Moïse. A chaque voyage, il y en a toujours un qui délire, c’est le prix à payer. LE MAITRE D’ÉQUIPAGE - Encore heureux qu’il n’y en ait qu’un. Et puis la tempête s’y met aussi et elle n’aide pas à bien réfléchir.

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LE CAPITAINE - À Jérusalem, il y a un hôpital qui soigne les messies. Tous les ans, une dizaine de pèlerins se laissent impressionner ou prennent un coup de soleil et chacun se met à hurler dans les rues en se prenant pour celui qu’on attend. Une dizaine par an, ils ont un service spécialisé en messies. LE MAÎTRE D’ÉQUIPAGE - Ici, on ne peut pas se le permettre. Les fous finissent en mer. À bord, la folie est contagieuse, si on ne l’arrête pas tout de suite, elle sème la pagaille dans le bateau. LE CAPITAINE - Matelot, dis à ce Moïse que s’il sort de la cale, ou bien il arrive à calmer la tempête, ou bien il finit dans les vagues. Comme ça, l’envie de jouer au bras droit de Dieu le Père lui passera. Fais-toi entendre de tous les autres et on verra s’il y en a qui veulent faire le voyage à la nage. LE MATELOT - Oui, monsieur. (Il sort.) Le maître d'équipage sort une figue sèche de sa poche et la mange. Puis, voyant que le capitaine le regarder : LE MAÎTRE D’ÉQUIPAGE - Vous en voulez? Elles viennent d’Odessa. LE CAPITAINE - Ali! Odessa, merveille de la mer Noire. J’y étais, du temps de Mishka Yaponchik, le Robin des Bois d’Odessa, le bandit qui protégeait les pauvres. Le tzar ne pouvait rien faire. Puis est venu Lénine et Mishka a été assassiné dans un guet-apens. Pour le nouvel ordre, ça ne collait pas. Quelles belles femmes et quels fleuves : une ville de mer placée entre deux colosses d’eau, le Dniestr et le Dniepr, comme Bagdad entre le Tigre et l'Euphrate. Odessa! La mer, c’est presque de l’eau douce et on y trouve les meilleures écrevisses de la Méditerranée. Sans la mer Noire et ses fleuves gigantesques, l’eau delà Méditerranée baisserait. J’ai vu le delta du Danube, du Don : ce sont des montagnes d’eau qui s’embrassent. Odessa : du vin, des ligues, des bandits... LE MAITRE D'ÉQUIPAGE - Vous savez que c’est à Odessa qu’a été composée la musique d'O sole mio? LE CAPITAINE (il commence à siffler l'air, interrompu par le regard interloqué du maître d'équipage) - Qu’y a-t-il ? LE MAÎTRE D’ÉQUIPAGE - Le fou est bien sorti. I.E CAPITAINE - Matelot ! LE MATELOT - À vos ordres, capitaine Sindbad. LE CAPITAINE - Tu lui as bien dit que nous allions le jeter à la mer? LE MATELOT - Oui, monsieur. LE MAÎTRE D’ÉQUIPAGE - Il faut sortir, courage, matelot. Au diable le fou et la tempête. Le déserteur est appuyé au bastingage, les jambes écartées, il fait face à la tempête qui l’a déjà trempé. Les bras levés, il hurle au vent qui ne diminue pas et qui se renforce au contraire. On dirait des bribes de conversation, un duo entre le déserteur et le vent. Le maître d’équipage et le matelot arrivent derrière lui, ils l’attrapent chacun par une jambe et le lancent par-dessus bord. La tempête commence à faiblir. Ils rentrent tous les deux dans la cabine de commandement. LE MAÎTRE D’ÉQUIPAGE - À chaque voyage on en perd un, ou qui devient fou ou que la mer emporte. LE CAPITAINE - Pourtant j’ai connu un bon fou qui arrivait à nous calmer nous et pas les vagues dans les tempêtes. C’était Paul, il venait de Tarse et on lui a coupé la tête à Rome. Il était sur mon bateau, deux semaines de tempête au large de la Crète, à la dérive, sous les rafales de l’euraquilon, un vent de nord-est. Il parlait beaucoup de langues, il rassurait chacun de nous : « Aucun de vous ne perdra la vie, seul le bateau se perdra. » Sa voix stridente et claire dominait la mer. En lisant ses lettres rassemblées à la fin du Nouveau Testament, je retrouve son cri volé aux mouettes, qui le lancent même contre le vent. Il était prisonnier, il voyageait attaché, mais face à ses certitudes, c’étaient nous les détenus, nous qui étions assiégés par les vagues et les terreurs. Lui en était affranchi. Quand un homme a un but et un destin, il va dans le feu sans se brûler, dans l’eau sans se mouiller. LE MAÎTRE D’ÉQUIPAGE - Puis, il va à Rome et on lui coupe la tête. LE CAPITAINE - Les saints doivent la perdre. En somme, il arriva ce qu’il avait dit, nous avons fait naufrage à Malte, le bateau s’est échoué, la proue ensablée, la poupe battue par les flots, puis éventrée. Nous avons gagné le rivage à la force de nos bras. Nous étions presque trois cents et nous nous en sommes tous sortis. LE MAÎTRE D’ÉQUIPAGE - Trois cents, capitaine? LE CAPITAINE - Environ. Et tous sains et saufs. LE MAÎTRE D’ÉQUIPAGE - Une chance extraordinaire. LE CAPITAINE - Grâce à lui qui nous avait donné confiance et nous avait même persuadés de manger quelque chose au milieu de la tempête, car il y avait des jours que nous jeûnions. Ainsi nous avons lait naufrage rassasies. Chaque fois que Sindbad prononce le mot de naufrage, le maître d'équipage fait les cornes en cachette pour conjurer le sort, en levant les yeux au ciel, pendant que Sindbad regarde fixement au loin droit devant lui, là où il entrevoit le signe de fin de la tempête. LE CAPITAINE - A l’avant, le ciel blanchit, une brèche de jour est en train de percer. Dieu le Père s’est mis à découdre le sac.

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Scène 7 : La colombe de la paix Dans la toute première lumière du nouveau jour passe une mouette en vol rasant dans la même direction que le bateau. La lumière éclaire son dos. De la cale, ils la voient à travers l'ouverture sur le flanc. Les passagers sont occupés à se donner un coup de main après leur nuit blanche. I.A FEMME ENCEINTE - C’est la colombe de la paix. HOMME N° 2 - Si c’est une colombe, après le déluge de cette nuit, ce bateau est l’arche de Noé. HOMME N° 3 - Si c’était vrai ! Alors, nous débarquerions sur le rivage d’un monde vide, qui commencerait par nous. UNE AUTRE FEMME - Ce n’est pas une colombe, c’est une mouette. LA FEMME ENCEINTE - Comme elle est blanche, on dirait qu’elle est poussée par la lumière de l’aube, elle bouge à peine les ailes. HOMME N °4 – J’ai faim, aujourd’hui avec la mer calme on nous donnera à manger. Scène 12 : Naissance Le soir, dans la cabine de commandement, le capitaine au gouvernail, le maitre d'équipage entre. LE MAITRE D’ÉQUIPAGE - Capitaine Sindbad, la femme a accouché, nous avons un autre enfant Jésus. LE CAPITAINE - Dommage, l’enfant va pleurer et une fois à terre, les autres l’abandonneront. I.E MAÎTRE D’ÉQUIPAGE - Il ne pleure pas, il est mort. LE CAPITAINE - Fais-le mettre à la mer. LE MAÎTRE D’ÉQUIPAGE - La femme veut l’emporter à terre. LE CAPITAINE - A terre, c’est un infanticide, en mer c’est de la vie restituée, prends-le et mets-le à la mer. Il reste seul, du fond monte un début de chœur bouche fermée. Le maître d’équipage revient. LE MAÎTRE D’ÉQUIPAGE - La femme demande de le mettre elle-même à la mer. LE CAPITAINE - Fais-la monter, mets-lui une veste d’homme sur les épaules. Tandis que se déroule la petite cérémonie d’une mère qui accompagne son enfant au cimetière des vagues, on entend un chœur de femmes. LES FEMMES - Il naît parmi les clandestins, son premier cri est couvert par les moteurs, on coupe son cordon avec les dents, on le confie aux vagues. Les matelots les appellent Jésus ces petits nés sous Hérode et Pilate à la fois. Rien de ces vies n’est une parabole. Aucun marteau de menuisier ne frappera les heures de l’enfance, puis les clous dans la chair. Il naît parmi les clandestins le dernier Jésus, il passe d’une eau à l’autre sans terre ferme. Car il a déjà tout vécu, et dire il a dit. Il ne peut enlever ou mettre une épine de plus aux ronces de ses tempes. Il est avec ceux qui existent le temps de naître. Il va avec ceux qui durent une heure. Scène 15 : L’Europe Dans la cale, Sindbad vient de descendre, le passager le plus âgé vient au-devant de lui. LE PASSAGER - Capitaine, nous avons entendu le chœur et puis nous avons vu l’équipage qui quittait le bateau. Nous croyions que nous étions restés seuls, que vous nous aviez abandonnés. LE CAPITAINE - Nous sommes près de la côte, c’est pour ça qu’ils descendent avant. Il est inutile pour eux de courir le risque d’être arrêtés. Il suffit que je sois sur le bateau. (S’adressant à tout le monde.) Hommes et femmes, écoutez. Le voyage va bientôt se terminer. Nous allons débarquer sur une plage. Le bateau s’échouera, peut-être s’ouvrira-t-il comme une coquille, mais n’ayez pas peur, il se posera sur un faut-fond. Nous descendrons à terre et à ce moment-là je vous quitterai. Voici la carte de la côte, avec les routes et les villages. (Il la tient en l’air pour la faire voir, puis la remet au plus âgé.) Vous trouverez des braves gens et des prisons, c’est une question de chance. Si vous êtes nés sous une bonne étoile, tout ira bien, sinon, enfermés quelque part, vous serez plus à votre aise que là-dedans et vous mangerez quand même. Préparez vos bagages. Au bruit du moteur à bas régime du bateau se superpose, le bruit d’un autre moteur qui approche. LE CAPITAINE - Je ne peux vous donner un port, vous n’êtes pas attendus. UNE VOIX AU MÉGAPHONE - Stoppez les moteurs, déclinez vos identités. LE CAPITAINE (ignorant la nouvelle présence) - Alors, en attendant d’arriver sur la plage, mettez-vous près de moi pour que je vous raconte une histoire. LE MÉGAPHONE - Vous êtes dans des eaux territoriales, stoppez les moteurs et laissez monter à bord. UN PASSAGER - Que disent-ils, capitaine Sindbad? LE CAPITAINE - Qu’ils viennent nous saluer.

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UN PASSAGER - Qui sont-ils? LE CAPITAINE - L’Europe. LE MÉGAPHONE - Stoppez les moteurs ou nous ouvrons le feu. I.E CAPITAINE - Il était une fois, à la cour d’un tyran, une jeune fille qui savait raconter les histoires. Le roi avait décidé de la tuer, mais elle, chaque nuit, le distrayait avec le récit d’une nouvelle aventure et ainsi le roi renvoyait-il la condamnation d’un jour sur l’autre. Une première explosion à l'avant du bateau, un éclair et une grande secousse, des hurlements de peur parmi les passagers. LE CAPITAINE - N’ayez pas peur, c’est l’accueil occidental, leur façon de vous souhaiter la bienvenue. UN AUTRE PASSAGER (avec anxiété) - Cet accueil ne me plaît pas, capitaine Sindbad. Ne vaut-il pas mieux sortir et aller à leur rencontre? C’est bien beau d’écouter des histoires, mais on a tout le temps pour ça... LE VIEIL HOMME - Écoutons le capitaine, il est resté avec nous. LE CAPITAINE – Il y a des moments où il faut perdre du temps, le faire passer. Les histoires de la jeune Shéhérazade lui servaient à rester en vie, à repousser l’échéance. Elle perdait du temps et ainsi elle en gagnait. Parfois, la vie dure le temps qu’on perd. LE MÉGAPHONE- La prochaine fois on touche le bateau : arrêtez-vous ou on vous coule. LE CAPITAINE - Pendant mille et une nuits, elle réussit à détourner le roi de son intention de la tuer, car alors les paroles d’un récit produisaient le miracle de sauver la vie... Un coup plus fort éclaire la scène, puis l’éteint. Prière laïque Notre mer qui n'es pas au ciel et qui embrasses les confins de l’île et du monde béni soit ton sel, bénis soient tes fonds. Accueille les bateaux surbondés sans une route sur tes vagues les pêcheurs sortis la nuit, leurs filets parmi tes créatures, qui reviennent le matin avec la pêche des naufragés sauvés. Notre mer qui n’es pas au ciel, à l’aube tu as la couleur du blé au couchant du raisin de la vendange. Nous t’avons semée de noyés plus que tout autre âge de tempêtes. Notre mer qui n’es pas au ciel, tu es plus juste que la terre ferme quand même tu élèves des vagues-murailles puis les abaisses en tapis. Garde les vies, les visites tombées comme des feuilles dans l’allée, sois pour elles un automne, une caresse, une étreinte, un baiser au front, une mère, un père avant le départ. TEXTE DE PHILIPPE CLAUDEL

Texte publié dans Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés, Points, UNHCR Ecrit le 10 Octobre 2015. BAIGNADE INTERDITE On peut s’asseoir à côté de vous? Je vous en prie. Qu’est-ce que vous faites? On attend. Vous attendez quoi? Les migrants. Les migrants? Oui. Des oiseaux? Non. Des femmes. Des hommes. Des enfants. Ah? Et ils viennent d’où? De là-bas. On ne voit rien. Là- bas. En face. Loin. Vraiment loin? Aucune idée. De l’autre côté en tout cas. Ils arrivent quand? Ils n’ont pas d’horaires. C’est embêtant. Assez. Vous restez là des heures? Des heures. Sans savoir? Sans savoir. Quelquefois on perd notre temps. Aucun n’apparaît. Dommage. Mais c’est rare. Curieux ce manque d’organisation de nos jours. Oui. Et ils viennent faire quoi? Ils fuient. Ils fuient quoi? La guerre. La faim. La misère. Des choses comme ça. Classique. Oui. Classique. Pourquoi venir ici? Je

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veux dire spécialement ici? Sans doute pensent-ils que c’est mieux que là-bas. Les pauvres. Comme vous dites. Et quand vous en apercevez, qu’est-ce que vous faites? Rien. Rien? Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse? Il y en a tellement. On ne peut pas les aider tous. Alors pourquoi aider les uns et pas les autres ? Ce ne serait pas juste. Autant n’aider personne. Par souci d’équité. Et puis ma femme ne sait pas nager. Et moi je ne suis pas un as non plus. Et eux ils savent? Qui? Les migrants. Savent quoi? Nager? Pas vraiment. Ils flottent plus qu’ils ne nagent. Et quand ils flottent, ils sont souvent bleus et raides. Assez morts en somme? Bien morts même. Pas très ragoûtant quand on pense que c’est une plage. Oui. Où des gens se baignent l’été. Pas ici. Pourquoi? Vous n’avez pas vu le panneau: Baignade interdite. C’est très dangereux. Il y a des courants. Ils ne le savent pas? Comment voulez-vous qu’ils le sachent? Il y a le panneau. On ne peut le voir que de la plage. En effet. Et si on le tournait vers eux? C’est-à-dire? Vers le large. Vous pouvez toujours essayer. Vous n’avez pas l’air convaincu? Il faudrait déjà qu’ils sachent lire. Ils ne savent pas? Aucune idée. Ils nous ressemblent? Pas tout à fait. Comment ça pas tout à fait? Ils sont plus maigres. Et puis ils ont des yeux. Des yeux? Des yeux différents. Intenses. Fiévreux. Tourmentés. Un peu fous. Ils sont fous? Non. Enfin si. Pour entreprendre une pareille traversée. Tout de même. Oui. Ce qui est beau c’est de les voir apparaître à l’horizon. Debout. Tous. Sur de maigres embarcations. Serrés les uns contre les autres. On dirait qu’ils marchent sur l’eau. Comme le Christ. Le bateau disparaît sous leur poids. Il est toujours à deux doigts de couler. Et il coule? Parfois oui. Parfois non. Pas toujours. Quand ça coule, ça coule vite. La mer les avale comme une grande bouche. Et puis plus rien. Ne restent plus que les vagues. Un peu frustrant? Je ne dirais pas cela. C’est un autre spectacle. Certains abordent? Certains. Vous leur parlez? Non. Pourquoi? Pour quoi on leur parlerait? On n’en connaît aucun. Et puis il y a la barrière de la langue. On ne parle pas leur langue et eux ne parlent pas la nôtre. Vous leur avez demandé? Non, mais ça se voit. De toute façon ils claquent tellement des dents qu’ils seraient incapables d’articuler un seul mot. Et ce qu’ils veulent, c’est manger, boire, dormir sous un toit, pas commencer une conversation. Vous leur donnez cela? Non. C’est petit chez nous. On ne roule pas sur l’or. La vie est chère, vous le savez bien. D’ailleurs s’ils avaient une idée du coût de la vie ici, ils ne viendraient jamais. Mais une fois qu’ils sont là, ils y restent. Ils ne partent plus. Ils le voudraient? On ne sait pas. Et qu’est-ce que vous faites alors après ? Après quoi ? Après les avoir vus. On rentre. Vous rentrez, comme ça? Oui, on rentre. C’est tout? C’est tout. Mais pourquoi vous venez ici alors? Pour passer le temps. Pour les voir en vrai. À la télévision c’est différent. Ils paraissent plus grands. Alors qu’en vérité ils sont tout petits. Et puis ils font moins peur en vrai. On repart rassurés. Quand on ne sait pas, on se fait des idées. En les voyant on constate qu’ils sont totalement inoffensifs. Tenez. En parlant du loup. Vous voyez là-bas? Où? Là-bas, au bout de mon doigt. Non, je ne vois rien. Mais si, là-bas, suivez mon doigt, tout au bout de mon doigt, vers l’ongle, en haut de la grande vague. Les débris de bois? Ce ne sont pas des débris. Vous en êtes sûr? Certain. Faites-moi confiance. Je commence à avoir l’habitude. Ce sont des migrants. Ça, des migrants? Des migrants. Je les aurais crus plus grands. Qu’est-ce que je vous avais dit? Et ils vont accoster? S’ils ne coulent pas, oui. Vous pensez qu’ils peuvent couler? Il y a des chances. Vous avez vu la mer? Non. Elle se forme. Se forme? Elle grossit. Les vagues. Elles se creusent. Pas bon. Pas bon du tout. On va peut-être rentrer d’ailleurs. Regardez le ciel. Tous ces nuages. Pas envie de nous faire tremper. Vous n’attendez pas de savoir s’ils vont couler ou atteindre le rivage ? Non. Le suspense n’est pas de taille. Et on en a assez vu pour aujourd’hui. On reviendra demain. Demain ? Il y en aura d’autres. Ne vous tracassez pas. Vous croyez ? Garanti. Alors bonne soirée. Bonne soirée. A demain, si vous permettez ? Vous êtes le bienvenu : la plage est à tout le monde.

TEXTE DE PHILIPPE DELERM Texte publié dans Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés, Points, UNHCR SUBIR, RECEVOIR, DONNER Il a subi. Tellement subi. La faim, la soif, et l’ombre du danger surtout. L’idée d’une menace, une rumeur d’abord, une angoisse sourde, des mots murmurés autour de lui. Et puis des coups de feu, des morts, des gens que l’on connaît et des proches. Partir était la seule solution. Une évidence. Mais est-ce une évidence de quitter la terre de son enfance, de son adolescence? Il a presque vingt ans. Il a connu ici des jeux et des amis, et ses premiers rêves d’amour, et son premier chagrin d’amour. Mais partir, oui. Ensemble. Avec tous ceux qui lui restaient. Entravé par ces ballots, ces paquets noués à la hâte. Un essentiel si dérisoire. Subir les pierres des chemins, les vociférations indécentes du passeur, la longue attente sur la grève. Et ce bateau enfin où il s’entasse avec les siens. Subir, oui. Ce n’est pas un voyage d’espoir mais de désespoir. Comment pourraient-ils arriver quelque part, tous ces corps compressés, humiliés dans la nuit noire, avec le fracas des vagues? Son père n’y survivra pas. Mais il y aura quand même une aube, une autre grève, beaucoup de cris encore et beaucoup de silence. D’autres routes, une gare, un train où l’on vous enfourne comme du bétail. Au bout de tout cela, sauvé?

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Sauvé peut-être. Vivant, curieusement vivant, comme hébété. Il continue de tout subir, mais il écar- quille les yeux, car il commence à recevoir. C’est très étrange, recevoir. D’abord on se demande pourquoi, et puis si c’est bien sûr. Il y a des espaces incertains, où l’on peut bivouaquer avec ceux qui vous restent. On vous sert une soupe chaude. On vous tape sur l’épaule, on vous sourit. On vous parle. Quelques mots en commun, des gestes rassurants. D’autres routes, et la fatigue infinie monte, puis des endroits toujours très anonymes, une cour de lycée, un dortoir, mais quand on vient d’où il vient, c’est presque une maison. L’inquiétude persiste. On se rassure en parlant avec les siens. On dit merci, heureux d’abord d’avoir à le dire, et puis très vite il y a beaucoup trop de mercis, seulement des mercis. Et les mois vont passer. Il a vingt ans, il sent au fond de lui les forces vives qui reviennent. 11 a tellement subi, tellement reçu. Il le sent maintenant, subir et recevoir ce n’est pas vivre. Il voudrait enfin pouvoir donner. Il ne sait pas encore quoi, il ne sait pas encore comment. Il sera médecin peut-être, ou infirmier, ingénieur, écrivain. Il construira des ponts ou des romans. Il sera libre. Il est libre déjà: il rêve de donner.

TEXTE DE PHILIPPE TORRETON Texte publié dans Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés, Points, UNHCR PARTIR Partir en peur, en larmes sous les armes, le sang partout, par terre, les ruines de son pays, regarder son quartier déchiré dans le rétroviseur brisé, partir parce qu’on est juif, chiite, chrétien ou sunnite, partir parce qu’on n’est ni juif ni chiite ni sunnite ni chrétien, parce que les bombes tombent, parce qu’on ne sait plus qui vous en veut à mourir, parce qu’on ne sait plus qui voudrait de vous à en vivre. Partir et sauver ce qui reste d’une famille, pour garder des photos vivantes. Partir et payer le prix fort au passeur, prier pour que ça passe aux frontières, payer le gilet, le téléphone et payer encore de sa personne, et garder précieusement ses yeux pour pleurer. Partir en mer et se maudire dans les larmes de sa fille, se noyer dans le silence de sa femme, en être arrivé là, et boire sa honte de ne pas avoir su offrir aux siens un monde tranquille, en être là, à bout de mer, au raz des peurs, à fleur de nerfs, resserrer les brassières, vérifier le téléphone, écouter les bruits du moteur, prier tous les dieux de la terre, prier et payer, payer de ses pieds lorsque la terre ferme commence. Partir sur une route inconnue, partir par là parce qu’il paraît que c’est par là, partir et revenir sur ses pas blessés, parce que ce n’était pas par là ou plus par-là, parce qu’on ne sait pas, repartir parce que par là-bas il y a maintenant des barbelés, là où l’on pouvait passer on ne passe plus, il va falloir expliquer aux siens qui pleurent, aux siens qui ne parlent plus que la terre d’accueil promise est finie, ce sera plus loin, ce sera plus long encore plus long, nous accueillir est compliqué, combien, ils en discutent, ils parlent quotas, pas d’accord entre eux, accueillir les comme eux, ceux qu’ont le même dieu, ceux qui leur seront utile à un quelque chose, accueillir les plus riches, les instruits, les qu’ont quelque chose à leur donner, avons-nous quelque chose à leur donner, sommes-nous utile à quelque chose, avons-nous de quoi passer, avons-nous de quoi être accueilli, dans les trains, qui devraient partir pour une terre de repos, mais c’est rude au pied des trains, on tape pour qu’on ne monte pas, avant sur ces mêmes terres on tapait au pied des trains des gens qui ne voulaient pas partir, l’accueil est casqué, l’accueil est musclé, bondé, saturé de comme nous qui veulent se poser, l’accueil baisse les bras là où il les ouvrait, l’accueil s’emmêle dans la politique, l’accueil se prend les pieds dans les invectives des fascistes, l’accueil n’a pas confiance en lui, nous faisons réagir, notre nombre, notre religion et cette odeur de mort qui nous suit, ça fait réagir, cette foule que je suis, cette foule qui me suit, cette foule que j’ai suivi fait réagir, des clôtures en barbelés bâties en hâte par de la main-d’œuvre emprisonnée en tenue grise comme les souvenirs, ça fait réagir, un petit dormeur la tête dans la mer qui barbote dans sa mort, ça fait réagir, mais pour combien de temps, encore combien d’enfants. Combien de morts pour que vous compreniez que cette guerre que l’on fuit est la vôtre, que ces gens qui fuient c’est vous.

TEXTE D’ATIQ RAHIMI Textes écrits après un séjour au Camp de réfugiés de Burj El-Barajneh, LIBAN In REFUGIES, Cinq pays, cinq camps, Arte – Editions Invenit Va-t’en ! La voix est tyrannique. Elle ne vient pas seulement d'en haut, du ciel, mais d'en bas aussi, de la terre. C'est l'ordre qu'assène la guerre, ou la terreur politique, ou la nature. Va-t’en ! La voix est implacable.

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Elle s'élève avec une soudaineté foudroyante ; elle m'arrache violemment à ma maison, à ma tribu, à ma terre... et me condamne à l'errance, éternellement. Désormais, où que j'aille, quoi que je fasse, qui que je devienne, je ne serai qu’un exilé. Va-t’en ! La voix me hante ; devient comme une voix intérieure, la mienne, qui me chasse, inlassablement. Va-t’en ! L’exil m'appelle. Et je pars, sans m’interroger.

POEMES DE LAURENT GAUDE Poème publié dans LE 1 Hebdo du 9 septembre 2015 REGARDEZ LES Regardez-les, ces hommes et ces femmes qui marchent dans la nuit. Ils avancent en colonne, sur une route qui leur esquinte la vie. Ils ont le dos voûté par la peur d’être pris Et dans leur tête, Toujours, Le brouhaha des pays incendiés. Us n’ont pas mis encore assez de distance entre eux et la terreur. Ils entendent encore les coups frappés à leur porte Se souviennent des sursauts dans la nuit. Regardez-les. Colonne fragile d’hommes et de femmes. Qui avance aux aguets, Ils savent que tout est danger. Les minutes passent mais les routes sont longues. Les heures sont des jours et les jours des semaines. Les rapaces les épient, nombreux. Et leur tombent dessus, Aux carrefours. Ils les dépouillent de leurs nippes, Leur soutirent leurs derniers billets. Ils leur disent: «Encore», Et ils donnent encore. Ils leur disent : « Plus ! » Et ils lèvent les yeux ne sachant plus que donner. Misère et guenilles, Enfants accrochés au bras qui refusent de parler, Vieux parents ralentissant l’allure,

Qui laissent traîner derrière eux les mots d’une langue qu’ils seront contraints d’oublier. Ils avancent, Malgré tout, Persévèrent Parce qu’ils sont têtus. Et un jour enfin, Dans une gare, Sur une grève, Au bord d’une de nos routes, Ils apparaissent. Honte à ceux qui ne voient que guenilles. Regardez bien. Ils portent la lumière De ceux qui luttent pour leur vie. Et les dieux (s’il en existe encore), Les habitent. Alors dans la nuit, D’un coup, il apparaît que nous avons de la chance si c’est vers nous qu’ils avancent. La colonne s’approche, Et ce qu’elle désigne en silence, C’est l’endroit où la vie vaut d’être vécue. Il y a des mots que nous apprendrons de leur bouche, Des joies que nous trouverons dans leurs yeux. Regardez-les, Ils ne nous prennent rien. Lorsqu’ils ouvrent les mains, Ce n’est pas pour supplier, C’est pour nous offrir Le rêve d’Europe Que nous avons oublié.

Textes écrits après un séjour au Camp de réfugiés de Kawergosk, IRAK In REFUGIES, Cinq pays, cinq camps, Arte – Editions Invenit SEUL LE VENT Nous sommes là, Silencieux, Depuis de longues heures déjà, Sous le ciel du matin, Réunis par petits groupes, Tirant sur une cigarette,

Ou jouant du bout du pied avec un caillou. N’attendez pas de nous que nous parlions. Nos mots n’ont plus de force contre le monde, Alors nous les gardons pour nous Et nous écoutons le vent qui fait trembler la toile des tentes,

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- Camp de bâches blanches en longues colonnes monotones, Le vent qui siffle S’engouffre partout Et nous rend fous. Nous écoutons pour nous habituer à sa présence, A son haleine, Car nous savons - nous l'avons compris dès le premier jour de novembre où il est apparu – Qu’il serait notre plus grand ennemi. Seul le vent est chez lui, ici, Qui dévale la pente Fait claquer les drapeaux Et nous oblige à rentrer la tête dans les épaules. N'attendez pas de nous des mots, non. Soit que nous soyons côte à côte, Ou que nous restions dans nos tentes, Nous sommes tête basse, Echine pliée. Nous restons penchés sur nos souvenirs. Nos vies là-bas, Nos sourires, Nous les gardons pour nous. Qui en voudrait? Si nous vous les disions, Le vent les emmènerait, Et ils s éparpilleraient sur la colline, Finiraient à terre, Comme des cerfs-volants d'enfants déchirés, Souillés par boue. Car il pleut maintenant Et tout se transforme en un terrain marron qui colle aux chaussures. Seule la boue est chez elle, ici, - Flaque brillante qui vous attrape les pieds pour vous faire glisser, Trou profond qui vous avale jusqu’à la cheville – La boue, glaiseuse, argileuse, épaisse et collante, Qui fait de nos chaussures, lorsqu'elles sèchent, Des vestiges compacts, comme fossilisés. Seule la pluie est chez elle, ici. Elle tape sur les bâches avec minutie Et cela semble ne jamais devoir cesser. Elle nous fait rentrer dans nos tentes, Tête basse, Dos plié. Que sommes-nous devenus ? Nous étions hommes forts, Paysans aux mains de pierre. Nous étions pères de famille au sourire large Prodiguant les conseils Et veillant à la chaleur sur la tête de nos enfants. Nous étions hommes travail, Courageux à la peine. Nous étions combattants parfois, Pour que notre peuple ne soit pas qu'un nom que l'on se transmette de père en fils, dans le secret des veillées, Mais une terre aussi.

Nous étions groupe de fête, Danse entre frères et amis. Que sommes-nous devenus ? Lassitude des jours qui passent sans travail. Lassitude d'un corps qui se fatigue toujours plus à ne rien faire. Nos enfants nous regardent - Qu'ils cessent de le faire, par pitié... – Nous ne sommes plus qu’un dos, Une démarche traînante. Nous, hommes travail, Larges dans la vie Au regard clair comme les ciels de montagne, Nous sommes inutiles. Nous portons nos enfants dans nos bras, Nous les tenons fermement. Est-ce qu'il ne reste que cela de nous, Des bras pour enlacer la misère Nous, vos femmes, vos sœurs, Nous vous voyons dans votre silence Nous avons, dorénavant, les larmes dans la bouche. Vie de bidon qu’il faut remplir d'eau, De kérosène, Vie de pelle pour creuser les rigoles et déjouer les ruses de la pluie, Vie de marmaille, Les uns sur les autres, Comme des portées de chiots sous la tente, Et cette chaleur au moins, Qui donne, au matin, une odeur d’étable à la tente, Personne ne nous l’enlèvera... Vie de linge qui pend entre nos tentes, Ou le long du grillage, Exhibant notre misère. Nous comptons les pantalons et les pulls que nous n’avons plus. Nous comptons les affaires laissées dans nos maisons, Dans les tiroirs de nos armoires, - Car nous avions des armoires Il nous vient à pleurer en y repensant... – Nous avons, dorénavant, les larmes dans l’esprit. Nous, vos femmes, qui ne pouvons sortir du camp, Nous nous levons chaque matin, Et nous nous regardons. Nous voyons nos enfants mal couverts. Ils seront malades Parce que l'hiver viendra. Nous savons certains des plus jeunes que le froid emportera. Dans nos bras, déjà, un enfant est gris de mort. Nous l'emmitouflons dans une couverture qui ne chauffe plus son corps. Nous avons les larmes au coin des lèvres, Et pourtant le ciel est bleu et vaste à nouveau.

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Nous avons les larmes qui nous coulent au fond de l'âme. Nous regardons nos enfants qui contemplent les allées désertes du camp Ils sont là, Ne disent rien,

Ont le visage sérieux, Et se demandent en silence quel nom ils porteront Maintenant qu’ils sont les fils de cette terre Qui n’appartient qu’au vent.

IL Y A UN NOM Il y a un nom qui m'attendait Depuis longtemps, Un nom qui se réjouissait de ma venue, Avait faim de sentir mes pieds le fouler - Et ceux des dizaines d'hommes et femmes qui m'accompagnaient. Il y a un nom qui m'attendait depuis longtemps Parce qu'il savait que mes enfants seraient pieds nus, Que nous serions écrasés de chaleur à notre arrivée, Puis transis de froid. Il y a un nom qui m'attendait, Que j’ai appris à prononcer et que je connais maintenant : Kawergosk. Il est long comme ma peine. Il accroche la langue et se déploie dans l'obscurité de la gorge. Kawergosk. Il y a un nom qui était pour nous, Qui savait que nous serions côte à côte, Voisins de misère, Que le ciel se réjouirait de nous voir pleurer, Que nos yeux, seraient lumière grise de découragement. Il y un nom, Kawergosk Qui nous a marqués, Est entré dans nos vies, A chassé ce que nous étions. Kawergosk, Ecoute, Nous t'oublierons. Nous aurons la force de nous extraire de ta boue. Nous repartirons, en colonne légère, Franchissant les grilles, Remontant la route d'Erbil, Passant un à un les check-points, Retrouvant, à chaque pas, l'élan du pays qui nous manque. Kawergosk. Nos enfants les plus jeunes,

Ceux qui sont nés ici, Et n'ont connu que l'exil, Ne se souviendront plus de toi. Nous les élèverons dans ton oubli. Kawergosk. Nous te quitterons, Je le promets à la nuit. Il y a un nom qui m’attendait depuis longtemps, Comme un piège de vent et de découragement, Mais que j'aurai la force de laisser derrière moi. Et lorsque nous serons partis, Le blé, sur tes flancs, ne repoussera pas. Nous avons laissé trop de notre sueur sur ta terre. Elle est salée de notre peine à jamais. Les troupeaux ne viendront plus paître sur toi. Ils t'éviteront, Resteront sur les crêtes pour ne pas te fouler, Sentant qu'il y a là un lieu interdit, Qu’il faut laisser au silence et à la prière. Kawergosk. Aucun homme, plus jamais, ne vivra ici. Trop ont pleuré en frappant leurs mains vides Ou en se mordant les lèvres pour ne pas réveiller les enfants. Je fais ce souhait, Kawergosk, Et je te le glisse à l'oreille, La bouche contre l'argile : Que tu sois seule. Oui, Désertée des hommes et des animaux. Terre vide. Témoin à jamais de ce que nous avons été. Et lorsque le vent soufflera, Comme il souffle depuis toujours sur toi, Les vieux grillages immobiles Entendront nos voix, Lointaines, Qui prononceront une dernière fois ton nom, Kawergosk, Et ils sauront alors que nous dansons de joie, Dans nos vies retrouvées, Heureux, Loin de toi.

BAHDINA Bahdina, Souvenez-vous, Ce nom, Répétez-le Bahdina, Pour que je ne sois pas qu’une silhouette indistincte qui marche dans les allées du camp,

Ou se tient devant sa tente, Affairée à laver le linge que la boue, bientôt, resalira. Bahdina. Souvenez-vous de mon nom Et de celui de mes sœurs - Car elles ont toutes un nom – Elles le disent pour vous, Le prononcent à voix haute,

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Mais il ne doit pas tomber par terre dans le froid givré du matin. Si elle vous l’offre, Leur nom, Vous devez vous en souvenir. Shaveen. Ecoutez-nous. Roucheng. Nous ne sommes plus des visages de pleurs, Des yeux résignés, Nées pour le malheur, Nous ne sommes plus des femmes perdues Dont la vie a accouché sans l'avoir vraiment voulu. Maryam. Amana. Ecoutez nos noms. Nous avions des vies, Remplies, Et nous sommes là, Luttant, jour de bataille minuscule après jour de bataille minuscule. Notre victoire est d'avoir un peu chaud. Notre victoire est de trouver de quoi faire petit commerce, Et de déjouer le rien de l'ordinaire. Ne vous fiez pas à nos visages marqués, A nos regards de tourments, Nous voulons encore le bonheur Pour nous Pour nos filles, Ardemment. Elles s'appellent Janat, Rosine, Ecoutez. Retenez ces noms. Elles reprendront notre parole lorsque nous serons découragées, Elles seront plus fortes que nous Parce qu’elles ont encore l'éclat de la joie dans les yeux, Vont à l'école, Pensent, malgré les jours monotones, A leur amoureux, A leurs jeux. Elles n'ont pas l'âge du malheur. Et nos bébés encore moins.

Nous leur avons donné des noms aussi, Sorin, Diala. Nous avons percé les oreilles de nos filles, Pour qu’elles ne soient pas nourrissons indistincts, Chairs juste bonnes à être avalées par la mort, Mais filles de sourire Et de combat. Regardez-les. Nous les berçons au fond de nos bras, Enroulés dans des couvertures de couleurs vives, Ou sur nos jambes, Autour du réchaud qui sent l'essence. Leur nom les protège du vent Et de la mort. Vous devez vous en souvenir. Nous sommes, Femmes en vie, Mères, Sœurs. Nous sommes, Ecoutez, Bébés qui tètent la peur de notre peuple. Nous tiendrons Encore. Nous traverserons cet hiver et le suivant, Car nous sommes faits de cela depuis trop longtemps - la souffrance – Pour sombrer aujourd’hui. Nous tiendrons. Nos noms nous protègent. Ecoutez-les qui claquent au vent Et souvenez-vous, Bahdina, Rosef, Rwayda, Darin, Najaj, Mezguin, Zousan, Cherim...

IMAGES Les images qui suivent pourront inspirer des portraits d’hommes et de femmes, des tableaux et des images sur le plateau, mais aussi des éléments de décor, de lumière…

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Photos du spectacle Les naufragés du Fol espoir, Théâtre du soleil, 2010

Une bande-dessinée de cailloux faite par l’artiste syrien Nizar Ali Badr Nizar Ali Badr, artiste syrien, nous fait part de différentes scènes de vie qui ponctue le parcours des migrants syriens : séparation, travail forcé, maltraitance, mort, parsemés de moments d'espoir et d'amour. Les mots ne peuvent pas décrire la complexité de cet exil. Alors avec des cailloux trouvés à Calais, il nous fait passer un message poétique et tout en douceur sur la gravité de leur situation. Avec émotion, nous pouvons contempler ces images qui, créées lors d'une situation extrême, peuvent devenir des images universelles. Pour voir l’ensemble de la BD : https://mostafamelsa.files.wordpress.com/2016/02/bd-en-cailloux-rc3a9alisc3a9e-par-des-migrants-c3a0-calais.pdf

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Des photos de photo-reporters parues dans la presse

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CHANSONS et

MUSIQUE Tiken Jah Fakoly : Où aller, où ? , Ouvrez les frontières Michel Berger : Loin de chez eux Francis Cabrel : Des hommes pareils Pierre Perret : Lily Maxime Le Forrestier : Né quelque part Renée Lebas : L'Exil, 1943 Bernard Lavilliers : L'Exilé, 2010 Juliette : Aller sans retour, 2008 Jean-Jacques Goldman : Là-bas, 1987 Gérard Manset : Avant l'exil, 1990 Enrico Macias : Adieu mon pays, 1962 Julien Clerc : Réfugié, 2005 Juliette : Aller sans retour, 2008

A compléter…