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Dossier d’accompagnement LA FLÛTE ENCHANTÉE

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Doss ier d ’accompagnementLA FLÛTE ENCHANTÉE

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La représentation débute à l’heure indiquée.Nous vous remercions d’arriver au moins 30 minutes à l’avance, afin de faciliter votre placement en salle. Les portes se ferment dès le début du spectacle.

Nous rappelons aux enseignants et accompagnateurs que les élèves sont sous leur responsabilité pendant toute leur présence à l’Opéra. Ces derniers doivent demeurer silencieux pendant la durée de la représentation afin de ne pas gêner les artistes et les autres spectateurs.

Il est interdit de manger et de boire dans la salle, de prendre des photographies, de filmer ou d’enregistrer. Les téléphones portables doivent être éteints.

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Dimanche 5 novembre 2017 - 15hMardi 7 novembre 2017- 20hJeudi 9 novembre 2017- 20hSamedi 11 novembre 2017 - 15 h

Chanté en allemand, surtitré en français.env. 3 heures entracte compris

AUTOUR DE LA CRÉATION

• Conférence tout publicDe La Flûte enchantée à La Femme sans ombre : petite histoire de l’opéra initiatiqueMerc. 18 octobre 2017 - 18h30 - BFM de Limoges

• Parcours thématique scolaireLa Flûte enchantée : juste la fin d’un mondeRencontre avec David Lescot, animée par les étudiants de l’Ecole préparatoire aux concours paramédicaux, sanitaires et sociaux de Limoges.Mar. 7 novembre 2017, 15h Visite (réservation en début de saison)

Nous vous souhaitons une très bonne représentation !

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LA FLÛTE ENCHANTÉE

La Flûte enchantée est un singspiel* en 2 actes de Wolfgang Amadeus Mozart, représenté la première fois le 30 septembre 1791 à Vienne au Theater auf der Wieden. Le livret a été écrit par Emanuel Schikaneder.

A l’Opéra de Limoges, la mise en scène est confiée à David Lescot et la direction musicale à Christophe Rousset.

L’HISTOIREChargé par la Reine de la Nuit d’aller sauver sa fille Pamina, enlevée par Sarastro, le jeune prince Tamino, tombée amoureux de la jeune femme, accède aux portes du Temple où le grand prêtre lui propose une série d’épreuves... Accompagné de l’oiseleur Papageno, il passera ces épreuves et obtiendra la main de Pamina.

PERSONNAGES, RÔLES ET VOIXPamina, fille de la Reine de la Nuit - soprano

Tamino, jeune prince - ténor

La Reine de la Nuit, elle règne sur le Royaume de la Nuit - soprano colorature *

Sarastro, grand prêtre d’Isis et Osiris qui règne sur le Royaume de la Lumière et de la Sagesse - basse

Papageno, oiseleur - baryton

Papagena, future épouse de Papageno - soprano

Monostatos, maure au service de Sarastro - ténor

LES INSTRUMENTS DE L’ORCHESTRE DE L’OPERA DE LIMOGES

8 violons 16 violons 24 altos4 violoncelles2 contrebasses

2 flûtes piccolo2 hautbois, cor de basset2 clarinettes2 bassons

2 cors2 trompettes3 trombones

TimbalesGlockenspiel*

* Singspiel : opéra en langue allemande alternant des scènes chantées et parlées. Généralement de caractère léger.Cor de basset : instrument à vent de la famille des bois à anche simple (famille des clarinettes). A un son plus grave que la clarinette classique.Glockenspiel : instrument composé de lames de métal mises en vibration à l’aide d’un maillet. Signifie en allemand « carillon » (à l’origine, il était composé de clochettes).

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ACTE IAlors qu’il est poursuivi par un serpent, le jeune Prince Tamino perd connaissance. Trois dames, envoyées par laReine de la Nuit, arrivent pour terrasser le monstre, puis se retirent. Lorsque Tamino reprend ses esprits, il est stupéfait de découvrir le serpent inerte à ses pieds. Il rencontre alors Papageno, un étrange oiseleur qui se vante d’être son sauveur. Le mensonge est aussitôt puni par les Trois Dames qui cadenassent la bouche de Papageno et remettent à Tamino un portrait de Pamina, la fille de la Reine de la Nuit. En exprimant spontanément son amour pour la jeune femme, Tamino déclenche l’arrivée de la Reine qui lui promet la main de sa fille s’il parvient à la libérer de l’emprise de Sarastro, un tyran qui la retient prisonnière. Pour l’aider dans sa mission, Tamino reçoit une flûte enchantée et Papageno, chargé de l’accompagner, un jeu de clochettes, tandis que Trois Garçons se chargeront de les guider. Tamino et Papageno pénètrent dans le domaine de Sarastro. Alors qu’il perd momentanément la trace de Tamino, Papageno aperçoit Pamina. Son irruption la sauve des griffes de Monostatos, le serviteur de Sarastro. Papageno reconnaît alors la jeune femme et lui apprend que le Prince Tamino a promis de venir la secourir. Devant le temple de la sagesse, Tamino apprend d’un prêtre que Sarastro, qui règne ici, n’est pas le tyran qu’on lui a décrit. Il apprend également que Pamina est bien ici, vivante, et utilise les pouvoirs de sa flûte pour retrouver sa trace. Tandis que Tamino rejoint Pamina et Papageno dans leur fuite, Sarastro intervient : il pardonne Pamina pour sa tentative d’évasion, punit Monostatos et ordonne solennellement que l’on conduise les jeunes amoureux jusqu’au Temple des épreuves.

ACTE IIParmi une assemblée de prêtres, Sarastro explique que Tamino et Pamina sont destinés l’un à l’autre, mais qu’ils nepourront s’unir que lorsque le jeune Prince aura été admis au temple de la Sagesse en triomphant d’une série d’épreuves. La première épreuve est celle du silence ; Tamino s’y engage, suivi de Papageno qui espère trouver une femme en récompense. Quand les Trois Dames viennent les mettre en garde contre Sarastro, Papageno rompt immédiatement son vœu, et les Trois dames sont mises en fuite par les prêtres du temple. De son côté, Pamina est harcelée par Monostatos qui ne désire qu’une chose, la posséder. La Reine de la Nuit surgit : furieuse contre Sarastro d’avoir détourné Tamino de son premier but, elle remet à sa fille un poignard et lui ordonne de frapper legrand prêtre. À peine se retrouve-t-elle seule que Pamina est à nouveau menacée par Monostatos qui lui arrache le poignard. L’arrivée de Sarastro l’interrompt et le met en fuite. Tandis que Tamino s’astreint toujours au silence, Papageno fait la conversation à une vieille femme qui se présente comme sa petite amie. Elle disparaît subitement quand surgissent les Trois Garçons venus rendre à chacun la flûte et les clochettes et leur proposant de quoi dîner. Tamino utilise immédiatement sa flûte pour communiquer avec Pamina, tandis que Papageno se met à table. Alors qu’elle retrouve Tamino grâce au son de sa flûte, Pamina n’obtient aucun mot de lui. Croyant que le prince ne l’aime plus, elle s’en va, bouleversée. Libéré des épreuves à venir, Papageno exprime son désir de trouver une jeune femme. La petite vieille revient tester sa sincérité, et tandis qu’il fait semblant de lui jurer fidélité, elle se transformeen une ravissante jeune fille du nom de Papagena, mise en fuite par un prêtre. Séparée de Tamino, Pamina songe au suicide, le poignard à la main. Les Trois Garçons la rassurent alors quant aux sentiments de Tamino et l’emmènent. Mais il reste à Tamino une ultime épreuve. S’il réussit, il connaîtra alors la lumière des initiés. Tamino accepte l’épreuve sans hésiter et retrouve Pamina qui devra traverser avec lui les épreuves. Papageno, qui se désespère de la perte de Papagena, s’apprête à se pendre. Sur le conseil des Trois Garçons, il joue alors de son jeu de clochettes : Papagena apparaît. Tous deux se mettent à rêver à leur nombreuse progéniture à venir. S’étant rallié au royaume de la Nuit, afin de gagner la main de Pamina, Monostatos tente de pénétrer dans le temple, accompagné de la Reine de la Nuit et des Trois Dames. Le sol se dérobe alors sous leurs pieds et ils sont engloutis. Tous célèbrent alors la réussite de Tamino et Pamina et consacrent le couple élu, clamant la victoire du soleil sur la nuit et rendant grâce à la sagesse et la beauté !

ARGUMENT

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WOLFGANG AMADEUS MOZART, LE GÉNIE MUSICAL

L’ENFANT PRODIGENé à Salzbourg, Léopold Mozart (le père), est violoniste, pédagogue et vice-maître de Chapelle à la cour du Prince-Archevêque. Wolfgang Amadeus Mozart nait donc dans un milieu musical. Il révèle dès l’âge de trois ans des dons pour la musique. Ayant l’oreille absolue, il est capable de déchiffrer des partitions et de taper la mesure avant ses cinq ans. A six ans, il compose ses premières œuvres. Devant tant de talent, son père décide de l’entrainer dans une tournée à travers les grandes villes d’Europe. L’enfant impressionne l’aristocratie européenne et est nommé « Chevalier de l’éperon d’or » par le Pape Clément XIV. Il entreprend quelques années plus tard un voyage avec sa mère dans le but de trouver un poste. Sa mère meurt à Paris durant le périple et il rentre à Salzbourg, déprimé.

UN GÉNIE DE LA COMPOSITIONA partir de 1781, il quitte Salzbourg pour Vienne où il peut composer plus librement. Après l’immense succès de L’Enlèvement au Sérail, il collabore avec le librettiste Lorenzo Da Ponte et crée trois opéras : Les Noces de Figaro (1786), Don Giovanni (1787) et Cosi fan tutte (1790). Il compose également d’innombrables œuvres aux formes musicales différentes, reconnues par les plus hauts personnages de la Cour qui lui passe de nombreuses commandes.

UNE MORT PRÉMATURÉEDurant les dernières années de sa vie, Mozart vit malade et très endetté. Il mène en effet une vie au-dessus de ses moyens et le triomphe de ses pièces ne suffit pas

à combler ses créances. Malgré le succès de La Flûte enchantée, l’Empereur Léopold II, fervent opposant à la franc-maçonnerie dont Mozart fait partie, n’apprécie guère son ouvrage. En 1791, un inconnu (qui s’avèrera être le comte Franz de Walsegg) lui commande le Requiem mais Mozart meurt le 5 décembre. Les causes de son décès ne sont pas connues.

WOLFGANG AMADEUS MOZART27 janvier 1756, Salzbourg (Autriche) - 5 décembre 1791, Vienne

Aujourd’hui l’un des compositeurs et musiciens les plus réputés, Mozart, bien que mort à seulement 35 ans, laisse une œuvre prolifique, englobant tous les genres musicaux de son époque. Il est célèbre et reconnu notamment pour ses sonates, concertos et symphonies. Il est considéré comme un des plus grands maîtres de l’opéra.

Quelques œuvres1768 Bastien Bastienne (opéra)1781 Sonate pour piano n°11 en la majeur dite « Alla turca » 1786 Les Noces de Figaro (opéra)1787 Une petite musique de nuit, sérénade pour quatuor à cordes et piano 1790 Così fan tutte (opéra)1791 Concerto pour clarinette en la majeur

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GÉNÈSE D’UN CHEF D’ŒUVRE

Représentée pour la première fois, trois mois avant la mort de Mozart, La Flûte enchantée n’est pas été écrite pour devenir un chef d’œuvre. L’ouvrage est plutôt un moyen pour Mozart de sortir de la grande précarité dans laquelle il se trouve à cette époque. Il s’agit également de répondre à une envie : celle de liberté afin d’oublier sa triste situation et de remettre en scène son goût pour l’exotisme dont il s’était déjà inspiré pour L’Enlèvement au Sérail.

En effet, Mozart ne travaillait plus sous les mêmes auspices depuis l’avènement récent de l’empereur Léopold II qui avait succédé à Joseph II. Le nouvel empereur faisait preuve d’un désintérêt le plus total pour le compositeur au point de ne faire appel à lui qu’en dernier recours pour La Clémence de Titus. Ce n’est donc pas de la Cour qu’il fallait attendre une commande. Celle-ci vint d’un entrepreneur privé, Emmanuel Schikaneder, ami de Mozart, comédien et propriétaire du Theater an der Wieden, qui lui proposa de composer la musique d’un livret de son cru*. La Flûte enchantée bénéficia d’un succès retentissant : l’ouvrage fut représenté 223 fois jusqu’en 1801. Salieri le dira « digne d’être représenté devant les plus grands monarques ».

* LE LIVRET DE SCHIKANEDERSchinkaneder s’est inspiré du Dschinnistan de Christoph Martin Wieland (1733-1813). Il s’agit d’un recueil de contes (en 3 volumes) que l’écrivain a en partie rédigés lui-même et qu’il a tous édités entre 1786 et 1789.

La source première qui fut enrichie par d’autres éléments des contes présents dans l’ouvrage : Lulu oder die Zauberflöte (Lulu ou la flûte enchantée) : par ruse et tromperie, le méchant sorcier Dilsenghuin s’est emparé du briquet d’or de la fée Perifirihme, un instrument qui assure la domination sur le royaume des esprits. Périfirihme, a l’aspect redoutable, mais au cœur foncièrement bon, charge le prince Lulu, qui se distingue par sa modestie, son courage, sa sagesse et son innocence, de lui rapporter l’instrument volé. Comme récompense, elle lui promet « ce qu’elle a de meilleur » : sa fille, la belle et douce Sidi. Celle-ci a également été enlevée par Dilsenghuin, et cela pour deux raisons : d’abord le sorcier la désire et veut l’épouser, ensuite il espère par cette union amener Périfirihme à lui céder de bonne grâce le briquet magique, c’est à dire à lui transférer le pouvoir «s ur les esprits de tous les éléments

et toutes les régions de l’univers ». Lulu reçoit de la fée une flûte avec laquelle on peut, à sa guise, susciter ou apaiser les passions. Il reçoit aussi un anneau qui, entre autres, permet à son propriétaire de revêtir la forme qu’il souhaite. Le prince pénètre dans le domaine du sorcier et, jouant de la flûte, il charme d’abord les animaux de la forêt et ensuite le cœur de l’ennemi, et, par surcroît, il gagne l’amour de Sidi. Lors d’un banquet, on endort Dilsenghuin et on lui arrache le briquet d’or. Avec l’aide des Esprits et de la Fée en personne, on vient à bout des ultimes résistances du sorcier. Transformé en hibou, ce dernier s’enfuit, et son château-fort est détruit. Dans le palais de Perifirihme, on célèbre le mariage des jeunes amoureux, Sidi et Lulu.

Première annonce de La Flûte enchantée

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LES PERSONNAGES : DES ALLÉGORIES HUMAINES

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EXTRAIT DE CLASSICA N°154 DU 7 AOÛT 2013

LES PERSONNAGES EN DÉTAIL

Extrait de Classica N°154 du 7 août 2013

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LES PERSONNAGES : DES ALLÉGORIES HUMAINES

2015

-201

6 Op

éra

de m

assy

La fl

ûte e

ncha

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A CHAQUE PERSONNAGE, SON CARACTÈRE, SA PARTICULARITÉ.

Sarastro : la connaissance qui élève l'humanité.la Reine de la Nuit : la vengeance, la violence et les superstitions qui l'assombrissent.Tamino : l'homme spirituel et brave cheminant vers un idéal.Pamina : la femme guidée par l'homme et son guide aimant, le symbole même de l'humanité.Papageno : l'enfant de la Nature.

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SARASTRO, Grand-Prêtre d’Isis et Osiris, représente le monde de la lumière, riche de connaissance et de sagesse. Il est également le symbole du pouvoir, de l’autorité et de la justice. Mozart choisit une voix exceptionnelle de basse profonde pour incarner ce personnage. Le timbre de Sarastro doit résonner aux sonorités d’orgue sans être sombre, car c’est un être de lumière. Sa tessiture doit couvrir une octave et demi du fa grave au do aigu.

Dans son air « O Isis und Osiris » (N10), qui ouvre le second acte, le tempo très lent (adagio) met à l’épreuve les qualités physique du chanteur et pose des problèmes de respiration. La ligne mélodique continue exige ici une maîtrise du cantabile (du soutien vocal) et un beau volume constant. Dans le deuxième air de Sarastro « In diesen heiligen Hallen » ( « Sous ces hautes voûtes sacrées / On ne connait point la vengeance » N15), les

difficultés techniques augmentent. La ligne rythmique est plus agile, ornementée et virtuose, et ajoute au style de Sarastro, noble et majestueux, une note de sensibilité nouvelle.

LA REINE DE LA NUIT est quant à elle une souveraine du monde nocturne et maléfique, sortie tout droit d’un conte de fée. Elle a une soif permanente de pouvoir, de vengeance et du contrôle sur les autres. Pour Pamina, elle est une mère cruelle et impitoyable, qui utilise sa fille à ses propres fins.

Ce rôle fut également écrit pour une voix exceptionnelle – celle de soprano colorature. La montée du diapason depuis la mort de Mozart a rendu ce rôle plus difficile encore. La Flûte enchantée date d’un âge d’or du chant virtuose, qui est ici un facteur d’expression ; aussi Mozart a-t-il voulu que la partie vocale de la Reine soit surhumaine ou presque.

Le rôle de la Reine de la Nuit demande un timbre spécial tout comme une technique exceptionnelle. Il est trop souvent attribué à une voix légère en raison de la tessiture très tendue qu’il suppose (deux octaves et demie), exagérée par la montée du diapason (le contre-fa aigu à plusieurs reprises dans ses deux airs, N4 et N14), et d’une technique d’agilité indispensable. Mais le personnage est si maléfique que seule une voix corsée peut lui correspondre. Est-ce que le soprano dramatique est capable de monter au contre-fa et vocaliser aisément ? Cela parait impossible. Mozart n’a prévu pour ce rôle court mais écrasant que deux airs, un par acte. Ils sont très différents de caractère et exigent de la chanteuse d’exprimer des attitudes contraires : la séduction (« O zittre nicht, mein lieber Sohn » N 4) et la fureur (« Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen » N 14). La partie vocale, parsemée de sauts périlleux, de nuances contraignantes – staccato dans le registre aigu et les vocalises incessants de double-croches, est écrite comme une partition instrumentale. Tous ces aspects extrêmes et surhumains du texte mozartien font que peu de sopranos sont capables de surmonter ces difficultés vocales et de rester convaincantes dans le rôle.

Les deux voix exceptionnelles de Sarastro et de la Reine de la Nuit, du couple suprême d’antagonistes, surplombent tout le répertoire lyrique : La Flûte enchantée comporte pratiquement le rôle le plus grave et celui le plus aigu du répertoire classique. Le fait que ces deux rôles figurent dans le même opéra est hautement symbolique.

LE COUPLE SUPRÊME : LE BIEN /SARASTRO VS LE MAL /LA REINE DE LA NUIT

LA HIÉRARCHIE DES COUPLESExtrait du dossier pédagogique Festival d’Aix-en-Provence. Texte Eléna Dolgouchine

Sarastro / Mise en scène D. Lescot / ©G. Abegg, Opéra de Dijon

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LA HIÉRARCHIE DES COUPLESExtrait du dossier pédagogique Festival d’Aix-en-Provence. Texte Eléna Dolgouchine

C’est un vrai couple et il fonctionne comme tel. Beaucoup de choses les réunissent dès le départ : leur origine princière, la noblesse du cœur, leur courage croissant ; surtout, une quête d’absolu et d’amour de la part de l’un comme de l’autre, qui provoque leur transformation intérieure respective tout au long de l’opéra. Pour accomplir cette élévation de l’esprit et des qualités humaines, tous les deux ont besoin d’être guidés. A la fin, les deux amants, main dans la main, initiés et purifiés par les épreuves, entrent dans la Temple de la Sagesse.

Du point de vue musical, c’est l’art purement lyrique qui s’impose avec le couple Tamino – Pamina. Les deux rôles sont d’une grande difficulté d’exécution sans pourtant tomber dans une virtuosité gratuite résultant de l’agilité technique nécessaire à leur interprétation.

TAMINO est un ténor lyrique. Dans son premier air « Zu Hilfe ! Zu Hilfe ! » (N 1) qui ouvre l’opéra, Tamino est montré dans une situation périlleuse face au serpent géant comme un jeune homme vaillant, de bonne volonté, mais impuissant. Il implore de l’aide et s’évanouit. Ici sa partie vocale se développe en phrases ascendantes, dotées d’un rythme haletant pointé, qui traduit l’état d’angoisse du prince. Néanmoins, les contours mélodiques de ces exclamations sont déjà d’une beauté typiquement mozartienne. Son air célèbre « Dies Bildnis ist bezauberd schön » (N 3), une contemplation amoureuse d’un portrait de Pamina, révèle une ligne de chant pure et une élégance du phrasé musical qui seront la marque de Tamino tout au long de l’opéra.

C’est Tamino qui manipule la flûte enchantée dans les épreuves et dans les malheurs. Le jeu noble de cet instrument au dessein hiératique influence la présence musicale de Tamino sur scène.

PAMINA est le personnage central de La Flûte. C’est elle qui connait l’origine et le mystère de la flûte enchantée, et qui le révèlera à son prince avant les épreuves de l’eau et du feu. Du point de vue de l’action scénique, c’est Pamina qui incarne l’enjeu du combat entre le Bien et le Mal, « la prisonnière » de Sarastro et l’outil de vengeance de la Reine de la Nuit. Le début de son cheminement initiatique est semblable à celui de Tamino : en voulant

s’enfuir pour échapper à Sarastro et Monostatos, son gardien noir d’âme et de corps, elle s’évanouit, faute de pouvoir d’agir. Pamina n’est encore qu’une enfant. C’est l’amour « romantique » et fidèle envers Tamino, qui la fera grandir et animera son propre parcours. Tout comme pour Tamino, son apparence de princesse effrayée va céder la place à une image profondément humaine d’une femme aimante et courageuse, honnête et juste - la femme par excellence.Du point de vue musical son rôle est riche. Sa présence dans les deux finales, dans plusieurs trios et duos, dont le fameux « Bei Männern, welche Liebe fühlen » avec Papageno (N 7) qui chante l’apothéose de l’amour entre un homme et une femme, fait d’elle l’un des personnages préférés de Mozart. La tessiture de Pamina compte presque deux octaves (depuis le ut dièse grave au si bémol aigu). Son air « Ach, ich fül’s » (« Ah, je le sens , c’est fini » N 17) est une lamentation poétique et intime. Mozart apporte beaucoup de soin à cette ligne mélodique si raffinée et sensible, dépourvue d’ornementation coloratura et pourtant si difficile à bien chanter. Au lieu d’avoir la virtuosité acrobatique aux effets « pyrotechniques » de contre-fa semblables à ceux de sa mère, Pamina est exposée à d’autres pièges : ici le contrôle de l’émission, la maîtrise de la dynamique du son et surtout le cantabile (le soutien de la ligne vocale) tout au long du morceaux exigent une forme vocale exemplaire.Le moment-clé pour comprendre le couple Tamino-Pamina se trouve au finale du deuxième acte. C’est le moment exalté et magique de la réunion des amants, après les épreuves subies et vaincues. « Tamino mein ! O welch ein Glück ! » A la phrase pure et divine dans sa simplicité (la sixte ascendante paraît immense, comme une suprême élévation) de Pamina, Tamino répond par la phrase « jumelle » : « Pamina mein !... » (avec une intonation d’une quarte noble). Du point de vue musical, ce jeu de répliques, qui s’emboitent parfaitement, construit une séquence musicale d’une perfection inégalée. Ainsi ce couple d’élus dévoile-t-il son harmonie suprême.

LE COUPLE DES HUMAINS ÉCLAIRÉS : TAMINO ET PAMINA

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LE COUPLE DES ÂMES SIMPLES : PAPAGENO ET PAPAGENA

Avec ce couple d’humains ordinaires nous redescendons sur terre. C’est le couple le plus célèbre de La Flûte enchantée, grâce aux airs de Papageno et à leur duo spectaculaire à la fin du deuxième acte. Le fait que Papageno soit l’un des personnages préférés de Mozart, qui chantera ses airs sur son lit de mort, est connu de tous.

Le couple Papageno-Papagena est l’exemple même du genre du Singspiel, qui allie des mélodies simples, du parlé, des situations comiques et renversantes et du théâtre populaire avec ses « merveilles ».

PAPAGENO, l’oiseleur, joyeux compagnon de route de Tamino, une créature spontanée et naturelle. Il a une apparence mi-homme, mi-oiseau. Paré de plumes multicolores, volubile comme un perroquet, Papageno a l’âme d’un enfant et sème partout sa joie de vivre. Tout le différencie de Tamino : Papageno est au service de la Reine de la Nuit à défaut d’être prince ; il est peureux, mais gentil et a bon cœur ; il est proche de la nature et ne vit pas dans le monde abstrait des idées. La seule chose qui unit le prince et l’oiseleur est la recherche de l’amour. Dans le cas de Papageno, c’est plus précisément celle d’ « une femme ». Dès le début il cherche son double, son âme-sœur. Il nomme Papagena celle qu’il désire avant de savoir si elle existe vraiment. C’est encore ce désir d’avoir « une femme » à soi, qui pousse Papageno à entreprendre le chemin des épreuves aux côtés de Tamino.Le rôle de Papageno constitue l’exception dans le rassemblement de virtuoses qu’est la distribution de La Flûte. Mozart destina le rôle de l’homme simple par excellence à Schikaneder, qui était un comédien à voix d’avantage qu’un artiste lyrique. La partie vocale de Papageno est en effet écrite pour une tessiture moyenne de baryton, sans difficultés spécifiquement vocales. Un bon interprète de Lieder, habitué à nuancer son expression, et qui serait également un bon comédien (pour que la scène avec la bouche fermée soit inoubliable) sera capable d’incarner cette joie de vivre personnifiée qu’il incarne.Les airs de Papageno, qui s’apparentent aux Lieder, sont accompagnés d’instruments spécifiques : la flûte de Pan(« Der Vogelfänger bin ich ja » N 2) et le Glockenspiel des clochettes magiques (par exemple : N21, finale

du deuxième acte « Papagena !... Weibchen ! »). Ces éléments procurent une aura et une sonorité pittoresque et joyeuse à chacune des apparitions de Papageno.

PAPAGENA incarne le pendant féminin de Papageno, l’épouse promise ou la projection de son désir. Papagena est un emploi de soubrette. L’interprétation de ce rôle très court est une mission délicate pour la soprano, car il ne doit pas être trop chargé tout en restant expressif. Dans le finale de La Flûte, à la fin de la quête de l’oiseleur, le couple Papageno-Papagena se réunit dans un duo bouffe (N 21). Ce célèbre morceau a été voulu par Mozart comme un jeu passionnant de symétrie et de répétitions incessantes « pa-pa-pa-pa », un ping-pong musical pétillant entre un mâle et une femelle qui s’accélère en prestissimo pour que la famille Papageno s’agrandisse. Voici que la vraie fonction de ce couple se dévoile : leur union permettra de peupler le monde à l’infini.

Papageno / Mise en scène D. Lescot / ©G. Abegg, Opéra de Dijon

LA HIÉRARCHIE DES COUPLESExtrait du dossier pédagogique Festival d’Aix-en-Provence. Texte Eléna Dolgouchine

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ENTRETIEN AVEC DAVID LESCOT Propos recueillis par Stephen Sazio, dramaturge de l’Opéra de Dijon

Quand on sait qu’on va avoir à mettre en scène une Flûte enchantée, une œuvre dont le sens est complexe et qui a suscité des lectures très différentes, comment aborde-t-on son travail ?J’essaie toujours de reprendre les choses à zéro, comme si elles n’avaient jamais été faites, quelle que soit l’œuvre. Au théâtre, je monte surtout des pièces que j’écris moi-même, et l’opéra est une façon de me frotter à un répertoire et à des œuvres qui ont une histoire, y compris une histoire de mise en scène. Cette histoire, ces mises en scène, je m’en nourris bien sûr, en particulier de la façon dont elles résolvent un certain nombre de problèmes concrets que pose l’incarnation d’une œuvre sur un plateau avec ses contraintes. Mais je ne veux pas fonctionner par références ou par allusions, ni aux autres mises en scène, ni à l’ œuvre elle-même. J’essaie de faire comme si les gens ne savaient pas ce qu’est la Reine de la nuit, par exemple, et de prendre l’œuvre, de la défricher comme si elle était neuve. Au cours de mon travail de réflexion, je ne dissocie jamais l’écoute de la musique de la lecture du livret, et je crois que chez Mozart en particulier, les deux sont vraiment indissociables. Les personnages, les caractères sont construits par la musique, bien plus que par ce qu’ils disent ou par ce qu’ils font. Toutes les grandes œuvres nous renvoient quelque chose de notre présent, viennent faire miroiter quelque chose de notre temps. Et là, il m’a semblé que ce projet de Sarastro de construire une communauté nouvelle, soudée de manière spirituelle etvivant à l’écart, cette décision, avec son caractère merveilleux mais aussi son aspect violent, de refonder en quelque sorte l’humanité, pouvait prendre place dans un monde d’après la destruction, dans un contexte de monde de post-catastrophe écologique, où le besoin de reconstruire un monde habitable vient du fait que le monde ne l’est plus. C’est la première direction qui m’a guidée. Et à cette première catastrophe est venue

se superposer celle d’un couple, un noyau conjugal et amoureux, qui a explosé et qui a tout fait exploser autour de lui, un peu comme chez le dramaturge suédois August Strinberg, chez qui les scènes de ménage deviennent cosmiques, où la guerre entre un homme et une femme remet en question l’ordre même de l’univers. La deuxième direction qui s’est imposée a donc été cette question des rapports familiaux, entre les membres du couple et entre les parents et les enfants, entre les générations.

Car en effet dans votre lecture, Sarastro et la Reine de la Nuit on été un couple, et Pamina et Papageno sont leurs enfants. Pour Pamina, on sent effectivement dans l’œuvre qu’elle constitue un enjeu entre Sarastro (qui est l’héritier spirituel de son père, le livret l’indique explicitement) et la Reine de la Nuit, un enjeu qui concerne en fait son éducation, de la même façon qu’un couple peut se déchirer sur cette question de manière très violente. Concernant Papageno, votre lecture apparaît de prime abord moins évidente...C’est clairement une invention dramaturgique de ma lecture, et je reconnais qu’elle est un peu audacieuse ! Il m’a semblé qu’il y avait là une certaine logique, une façon de raccorder la quête d’identité de Papageno, qui apparaît en filigrane dans le texte. « Donc tu ne sais même pas qui est ta mère ? » lui demande Tamino, et Papageno lui répond : « Non, je ne l’ai jamais su. » Ou quand Pamina lui dit : « Papageno, il me semble avoir déjà entendu ce nom… » C’est une façon pour moi de répondre à ces questions, et surtout de répondre à celle de ce lien étonnant qui se tisse entre Pamina et Papageno, qui n’est ni de l’amitié ni de l’amour, donc de la fraternité.

Dramaturge, musicien, metteur en scène, David Lescot mêle, tant dans son écriture que dans son travail scénique, le théâtre et d’autres formes non-dramatiques, en particulier la musique, la danse ainsi que la matière documentaire.

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Il est vrai que leur première rencontre musicale, le duo « Bei Männern, welche Liebe fühlen » est un des moments les plus fusionnels de la partition, bien plus que tout ce que Pamina et Tamino vont chanter ensemble. C’est pour cette raison que pour moi, c’est toujours la musique qui finit par révéler les choses. Ce qui semble étrange à la lecture du livret devient une évidence à l’écoute. Car qu’est ce que c’est que ce duo ? Ce n’est pas un duo amoureux ! C’est la musique d’un frère et d’une sœur qui se retrouvent sans même le savoir.

Cela révèle en tout cas un autre aspect, un sens premier,de cette fraternité philosophique qui est centre de l’œuvre. Ce qui est étonnant dans La Flûte, c’est que Mozart semble tourner le dos à ces personnages à arrière-plan psychologique complexe que l’on trouve dans ses opéras italiens, pour mettre ici en musique des personnages beaucoup plus univoques, unidimensionnels, qui, comme les personnages de conte de fée, ne débordent jamais. Vous qui avez monté il y a quelques années La Finta Giardiniera, qui est un opéra où l’on pourrait dire que l’inconscient joue le rôle principal, est-ce un aspect qui vous a frappé ici ?Cela fait de La Flûte enchantée une œuvre encore plus moderne. Elle anticipe il me semble sur toute cette théâtralité particulière que l’on va trouver dans le cabaret et le music-hall, avec un côté didactique très brechtien, comme une Lehrstück. Et stylistiquement, il me semble y avoir une filiation très claire avec ce que feront plus tard Kurt Weill, Hans Eisler ou même Karl Valentin. C’est un aspect que je n’attendais pas du tout et qui m’a fortement ému et frappé. Les caractères peuvent paraître en effet beaucoup moins « psychologisés » que dans la tradition théâtrale antérieure, mais cela ne constitue en aucune façon une régression, au contraire. On sait bien que dans l’histoire des formes dramatiques, le rôle du personnage a plutôt eu tendance à s’effacer, à devenir une figure ou même une silhouette. Ensuite mon travail de metteur en scène est de les faire exister, bien sûr, je n’ai pas du tout envie qu’ils soient abstraits.

C’est une œuvre qui fonctionne essentiellement par oppositions, entre le jour et la nuit, entre la vérité et le mensonge, entre les initiés et les autres. Comment voyez ces oppositions, qui s’incarnent évidemment entre les figures de Sarastro et de la Reine de la Nuit ?

Je les vois d’abord comme une guerre des sexes, un monde féminin avec une cité des femmes, et un monde masculin. Mais je ne voulais pas du tout que le monde des femmes soit dés-érotisé, mais au contraire qu’elles utilisent le sexe, la féminité, la séduction, le pouvoir sexuel comme une arme, et une fête, exactement comme les amazones. Guerre, fête, sexe, c’est la même chose pour elles. Du côté des hommes, on a quelque chose de l’ordre de l’ascétisme, du puritanisme, du spirituel bien sûr, mais qui est aussi inquiétant. Je l’imagine comme une communauté de réprouvés des bas-fonds, qui auraient rejoint Sarastro ou qu’il serait allé ramasser dans la misère, comme le font finalement tous les chefs religieux. Avec quelque chose de sectaire aussi. Et comme un gourou, ou un homme politique, Sarastro n’hésite pas faire appel, au début du second acte, à la manipulation, au charisme, à l’art de soulever les foules, de provoquer la conviction. Il y a du démagogue en lui, au service d’une cause noble, certes, faire renaître la vie, mais pour fédérer autour de cette cause, il faut en passer par là. La misogynie notamment, est un moyen qu’il utilise pour souder cette communauté et lui fournir une idéologie simple et efficace. C’est un personnage qui a aussi ses contradictions, et je voulais qu’il endosse tous les aspects du leader. Quelqu’un qui peut à un momentdonné avoir une mainmise et une influence totale sur ses disciples, et à d’autres qui peut être d’une douceur irrésistible. Il me fait penser à un personnage d’une nouvelle de Chaïm Potok, L’Élu, qui se passe dans le New York de l’après-guerre, et raconte l’amitié entre un jeune juif émancipé et un hassidim. À la fin de la nouvelle, le père de ce jeune religieux hyper-orthodoxe et rigoureux, fait un geste très émouvant : il autorise son fils à quitter la tradition. Il y a de ce personnage du père dans l’attitude de Sarastro à l’égard de Pamina et de Tamino : il y a l’initiation, un héritage et des valeurs quisont transmis, mais pas nécessairement pour perpétuer la chose à l’intérieur de la communauté. C’est pour le diffuser à l’extérieur, pour lui donner une efficience dans le monde, et pas dans le microcosme fermé de la secte. En tout cas c’est que nous avons voulu raconter.

ENTRETIEN AVEC DAVID LESCOT Propos recueillis par Stephen Sazio, dramaturge de l’Opéra de Dijon

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On comprend très bien que Sarastro ait cette attitude àl’égard de sa fille Pamina, une éducation au sens le plusnoble du terme, qui consiste non pas à amener l’enfant là où l’on voudrait qu’il soit, mais là où lui-même pourra choisir où il veut aller. Comment voyez-vous Tamino dans cette relation ?Pour moi, Tamino, c’est l’étranger, c’est-à-dire celui qui arrive d’ailleurs. On a toujours besoin de l’étranger pour voir comment le monde fonctionne, sans lui, le monde ne fait que s’auto-décrire. C’est par le regard de Tamino qu’on découvre ce monde, qu’on voit pour la première fois la Reine de la Nuit et le monde de Sarastro. Il est celui qui nous fait passer dans l’histoire. Ce qui est très beau avec lui, c’est qu’il est complètement vierge, et immédiatement frappé par tout ce qui se présente à lui. On lui montre le portrait, et il s’enflamme immédiatement, et d’une manière totalement mystique. Son air du portrait n’est pas du tout un air de désir charnel, mais de désir spirituel, oui, mystique. La première mission qu’on lui donne, celle de libérer Pamina, il s’y jette avec la fraîcheur du converti. Et lorsqu’il pénètre dans le monde de Sarastro, il s’y converti aussi immédiatement. C’est drôle d’une certaine façon, mais ça nous dit aussi comment on passe sous la coupe d’une idéologie puis d’une autre, selon un chemin qui nous semble à chaque fois logique et évident. Cette fidélité à la dernière parole entendue, à laquelle on croit à chaque fois avec ferveur, nous l’expérimentons tous dans nos vies. Il vient s’inscrire dans le plan de Sarastro dans la mesure où ce dernier cherche à construire un couple qui tiendra, qui remettra le monde en équilibre. C’est pour cela qu’il l’éprouve, pour tester sa capacité à former un véritable couple avec Pamina, ce qu’il a lui même échoué à constituer avec la Reine et a produit la catastrophe. Est-ce que ces deux-là pourront tenir ensemble ? De cette force naîtra-t-il quelque chose ?

Cette intransigeance du converti dont est capable Tamino vous amène à traiter ses rapports avec Papageno, au début du second acte, de manière beaucoup plus radicale que ce qu’on a l’habitude de voir. On traite en effet le plus souvent l’opposition entre les deux — Tamino le spirituel et Papageno le terre à terre — uniquement sur le mode de l’humour. On sent ici une véritable tension entre les deux, un vrai potentiel de violence.Le dernier converti est toujours le plus fanatique, c’est làaussi une vérité dont l’actualité nous fournit encore de nombreux exemples, hélas. C’est la face noire de l’engagement total dont est capable Tamino, et je ne voulais surtout pas l’occulter. Quant à Papageno, il me semble être beaucoup plus intéressant qu’un Naturmensch bon vivant et hâbleur. Il incarne un véritable pouvoir, celui de dire « non », il faudrait même dire celui de dire « merde ! ». Cette capacité enfantine à la révolte, cette force de résistance que peut avoir un enfant quand il dit : « j’ai pas envie ! ». Il ne renonce à rien de ce à quoi il tient, il refuse d’obéir à l’injonction au silence : il est entier. Et il finit par obtenir ce qu’il veut. Il incarne aussi un amour plus terrestre, plus charnel que Tamino, mais au moins cet amour-là, on sait qu’il existe !

De la même façon, on sent que vous avez voulu mettre à jour les tensions internes du monde de Sarastro, à le présenter comme moins monolithique que ne veut la tradition. Vous donnez au personnage de l’Orateur la stature d’un quasi contre-pouvoir à Sarastro.C’est n’est pas préconçu. C’est un point de tension qui s’est présenté pendant le travail avec Christian Immler. L’Orateur est à ce moment-là en quelque sorte en train de dire à Sarastro : « Attention, tu es en train de jouer à l’homme politique. Tu nous imposes un nouvel arrivant, tu dis qu’il est bien et il faut qu’on te croit sur parole, mais… » Il est à la fois le porte-parole des valeurs de Sarastro et de la communauté, mais il a un pouvoir de contestation, il ne le suit pas aveuglément. Mon but n’est pas de caricaturer la communauté fondée par Sarastro. Mais à côté des convictions et des valeurs qu’elle porte, il y a aussi des choses inquiétantes et un potentiel sectaireet fanatique, comme dans toute communauté. L’Orateurme permet ainsi d’en donner une image plus complexe,plus équivoque et plus riche.

ENTRETIEN AVEC DAVID LESCOT Propos recueillis par Stephen Sazio, dramaturge de l’Opéra de Dijon

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Après la catastrophe climatique, Sarastro choisit d’établirsa communauté dans les ruines d’un centre commercial…C’est une forme d’ironie, bien sûr. J’ai toujours beaucoupaimé ce thème de la récupération, des décombres, des choses qui sont détournées de leur usage prévu. J’avais aussi envie que cette beauté incroyable qui se dégage progressivement de ce second acte n’apparaisse pas dans un lieu qui soit immédiatement engageant, mais qui en soit au contraire comme l’antithèse. Et il est aussi évidemment un pied de nez symbolique : Sarastro s’installe dans un lieu qui incarne les valeurs inverses de celles qu’il cherche à faire naître, un lieu de la consommation, de la surproduction, qui ont amené la catastrophe.

Quant à la Reine de la Nuit, elle arrive en voiture… !Plus j’avançais dans mon travail, et plus elle incarnait pour moi le lien libidinal, émotionnel et affectif avec le passé, avec une certaine beauté esthétique des années passées, celle du XXe siècle, celle du rêve en cinémascope des années quatre-vingts, qui rendaient déjà hommage à l’esthétique des années cinquante. La Reine de la Nuit est tournée vers le passé, avec lequel elle ne peut pas rompre. Elle cherche à en conserver tout ce qu’elle peut, ses objets et ses valeurs, elle continue à s’en servir et à les faire vivre. Elle a le même rapport avec Pamina, elle veut la garder dans l’enfance, dans un rapport fusionnel, tentaculaire avec elle, là où Sarastro est tourné vers l’avenir et l’émancipation de sa fille.

On n’en dira pas plus, mais vous lui réservez une fin particulière. Est-ce qu’elle trouve une forme de rédemption ?

Oui, car elle a une belle mort, et une belle mort c’est comme une rédemption, puisque cela fait éprouver pour le personnage de l’émotion et de la compassion. C’est le spectateur in fine qui sauve ou pas un personnage. Elle disparaît avec beaucoup de panache, de grandeur et de tristesse. De toute façon j’ai toujours été à fond pour elle !

C’est un événement qui jette comme une ombre ou un cerne sur le triomphe final qui le suit…Oui, j’aimerais beaucoup que cela donne un caractère moins unanimiste, plus ambigu à ce finale. Pour moi, le salut ne peut pas se trouver à l’intérieur du temple. C’est ce qu’explicitera, j’espère, la dernière vision qu’on aura de Tamino et Pamina.

Nous n’avons pas évoqué la figure des trois enfants. Comment les voyez-vous ?Je les vois comme des enfants qui ont grandi et appris àvivre au milieu des ruines, comme sortis d’Allemagne année zéro. Ces enfants qui ont grandi sur les décombres de la guerre mais qui en prennent leur parti et se débrouillent et connaissent mieux que tout le monde comment trouver à manger, etc. Des enfants qui se sont adaptés à leur milieu, et donc aussi un peu caméléons. Au début, leurs costumes se fondent dans le décor, et au deuxième acte, il se sont servis des déchets qu’il ont pu trouver pour s’habiller. Ce moment très beau du quatuor avec Pamina, dans le finale du second acte, je le ressens comme un adieu de Pamina à l’enfance. La voir à côté d’eux, alors qu’elle s’apprête à se donner la mort,nous fait saisir à quel point ses épreuves lui ont fait quitter le monde de l’enfance. Du reste, les seuls vrais moments d’empathie des trois enfants sont avec Pamina et Papageno, les personnages qui sont encore connectés au monde de l’enfance. Tamino, les enfants le conseillent et le guident, ils chantent pour lui. Mais Pamina et Papageno, les enfants chantent avec eux, les comprennent, et les sauvent.

ENTRETIEN AVEC DAVID LESCOT Propos recueillis par Stephen Sazio, dramaturge de l’Opéra de Dijon

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DISTRIBUTION

Christophe Rousset, directionDebora Waldman, assistante à la direction musicaleBrigitte Clair, chef de chant

David Lescot, mise en scèneLinda Blanchet, assistante à la mise en scèneAlwyne de Dardel, scénographieMariane Delayre, costumesPaul Beaureilles, lumièresSerge Meyer, vidéo

Siobhán Stagg, PaminaTuomas Katajala, TaminoJodie Devos, La Reine de la NuitDashon Burton, SarastroKlemens Sander, PapagenoCamille Poul, PapagenaMark Omvlee, Monostatos

Orchestre de l’Opéra de LimogesChœur de l’Opéra de Limoges |direction : Jacques MareschJeunes chanteurs de la Maîtrise de Caen|direction : Olivier Opdebeeck

Schéma dans la mise en scène de David Lescot

La Reine de la NuitJodie Devos

soprano / belge

SarastroDashon Burton

bass-baryton / états-unien

PaminaSiobhán Stagg

soprano / australienne

TaminoTuomas Katajalaténor/finlandais

PapagenoKlemens Sander

baryton/ autrichien

PapagenaCamille Poul

soprano / française

MonostatosMark Omvlee

ténor / néerlandais

Couple séparé qui se déchire

Future épouse

Enfants. L’une est l’objet

de toutes les disputes parentales et l’autre a été abandonné

Au service de Grand Prêtre

Amoureux.Futurs époux s’ils

réussissent toutes une série d’épreuves

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1816 : MISE EN SCÈNE KARL FRIEDRICH SCHINKEL

1954 : MISE EN SCÈNE MAURICE LEHMANN

2004-2005 : MISE EN SCÈNE WILLIAM KENTRIDGE

2014-2015 : MISE EN SCÈNE ROBERT CARSEN

DIFFÉRENTES PROPOSITIONS SCÉNIQUES

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Anne ThorezChargée des actions éducatives et culturelles /

accessibilité05.55.45.95.11

[email protected]

OPÉRA DE LIMOGES

ÉCOUTER, VOIR, LIRE

OUVRAGES• L’Avant-Scène Opéra, La Flûte enchantée, n° 1, 1976• L’Avant-Scène Opéra, La Flûte enchantée, n° 101, 1987• L’Avant-Scène Opéra, La Flûte enchantée, n° 196, 2000• A. Einstein (trad. Jacques Delalande), Mozart, l’homme

et l’œuvre, Paris, Gallimard, 1991• B. Massin (dir.), Guide des opéras de Mozart : Livrets —

Analyses — Dicographies, Fayard, « Les Indispensables de la musique », 1991

• Guide de l’opéra, Fayard, « Les indispensables de la musique », 2000

• Dictionnaire encyclopédique de la musique, R. Laffont, « Bouquins », 1998

• P. Dulac (sous la dir.), Inventaire de l’opéra, Universalis, « Inventaires », 2005

DVD/CD• La Flûte enchantée, Akademie für alte musik Berlin,

direction René Jacobs, Harmonia Mundi, 2010• I. Bergman, La Flûte enchantée, 1974, Filmedia, Keep

Case, 2013

LIENS• Sur l’opéra en général / Autour de L’Affaire

Tailleferre : https://www.reseau-canope.fr/tailleferre/#autour-de-laffaire-tailleferre

• Les différentes étapes d’une production d’opéra (Festival d’Aix en Provence) : https://www.youtube.com/watch?v=RQf_Rj8G6xw

• L’histoire de La Flûe enchantée et de son contexte (Festival d’Aix en Provence) : http://festival-aix.com/fr/medias/lhistoire-de-la-flute-enchantee-festival-daix-en-provence https://www.youtube.com/watch?v=RXxJFmALwuY

• Interview de David Lescot : https://www.youtube.com/watch?v=YU8_qsfEhnI

• Dossier pédagogique Festival d’Aix-en-Provence : https://festival-aix.com/fr/file/3396/download?token=S9Ake4pt

AFFICHE