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L E D E VO I R , L E M E R C R E D I 3 J U I N 2 01 5 PARIZEAU 1930-2015 A 6 JESSICA NADEAU P ar sa détermination, son ouverture, son mi- litantisme et sa vision d’avenir, Jacques Pa- rizeau a façonné le parti québécois et le mouve- ment souverainiste qui perdent aujourd’hui une partie de leur ADN, une source d’inspiration et surtout, un chef adoré par ses militants. « L’affaire, avec monsieur Parizeau, c’est que le parti l’a tellement aimé, soupire Louise Beau- doin à l’autre bout du fil. C’est un des chefs qui ont été incontestés et incontestables. Et ça n’a pas été le cas avec tout le monde. Lui-même, il a cri- tiqué René Lévesque en 1984. Mais lui, comme chef du parti, c’était l’amour aveugle. » Cet amour inconditionnel s’explique par cette détermination à faire du Québec un pays, sou- tient l’ancienne ministre. « Il incarnait cette vo- lonté totale de faire l’indépendance. Il a façonné le parti dans cet esprit-là. Et le parti a toujours été malheureux depuis son départ. » Pourquoi ? Parce qu’aucun autre n’a osé parler d’indépendance de façon aussi claire depuis, répond M me Beaudoin. « Ce parti est tellement programmé pour faire l’in- dépendance que M. Parizeau l’a vraiment eu com- plètement à sa main. Quand on promet un réfé- rendum au PQ, comme M. Parizeau l’a fait en 1994, c’est le bonheur, c’est la joie. Sinon, on est triste, on est dans le malheur.» Elle parle de sa détermination, mais égale- ment de sa franchise, de la clarté de ses idées, de la grande droiture et de la stature de l’homme. « Ce qu’il représentait, c’était tout ce que les militants ont pensé qui manquait au PQ par la suite. Ils ont pensé qu’il les mènerait au para- dis, au Grand Soir. Et c’est la nostalgie de ça.» Pour lui, il n’y avait que l’article un du pro- gramme du Parti québécois qui comptait et sa vision a profondément marqué le Parti, ajoute M me Beaudoin. « C’est ça qu’il a donné comme ADN au parti. » En entrevue à Radio-Canada, l’ancien pre- mier ministre Lucien Bouchard confirme cet amour que lui portaient les militants. « Il n’y a pas de chef de parti qui a été plus aimé que M. Parizeau, parce que c’était un homme poli- tique qui n’était pas prêt à tous les compromis. Il n’aimait pas le pouvoir à ce point et il ne faisait pas beaucoup de compromis dans l’affirmation de ses allégeances souverainistes. Et les militants aimaient ça. Parce que les militants du Parti québécois n’aiment pas vraiment le pouvoir. Le pouvoir, c’est pour faire des compromis, ceci et cela, ça les intéresse plus ou moins. Ils veulent l’attention vers la souveraineté et lui, il la leur promettait et il l’incarnait. » Le plus grand militant ? Par le biais d’un communiqué de presse, le prédécesseur de Jacques Parizeau, Pierre Marc Johnson, a parlé d’un « homme de conviction », « intransigeant mais toujours courtois » qui a marqué le parti. « Ses convictions d’indépendan- tiste sans compromis en auront fait le chef de file de la vision la plus radicale du Parti québécois. » Lorsque Jacques Parizeau a pris la relève du parti, après le départ de celui-ci, le PQ était en mauvaise posture, se rappelle cet autre ancien chef du parti, André Boisclair. C’est pourquoi il qualifie Jacques Parizeau de « l’homme de la ré- conciliation », celui qui a « su recréer l’unité au PQ en s’entourant de valeurs sûres telles que Pauline Marois, Guy Chevrette et Camille Laurin à l’exécu- tif national ». La patience, que prônait Pierre Marc Johnson, avait créé une certaine frustration chez plusieurs membres. « Il est arrivé dans un moment qui était trouble pour le PQ. À l’époque, c’était la débandade. Dans plusieurs circonscrip- tions au Québec, il n’y avait plus d’exécutif au PQ, ou ça ne répondait tout simplement plus. Et il a pris son bâton du pèlerin et il s’est attelé à la tâche avec une discipline incroyable. C’est le gars qui a restructuré le parti», raconte celui qui était res- ponsable du comité des jeunes pendant la cam- pagne de Jacques Parizeau à titre de chef du PQ. François Gendron, le doyen de l’Assemblée nationale, se rappelle également de « Mon- sieur » comme d’un militant qui participait « avec énormément de conviction et de fierté » à des assemblées de cuisine. « N’oubliez pas que M. Parizeau était peut-être un des plus grands militants du parti […] Il avait aussi énormé- ment d’ascendant sur le parti et de crédibilité. Et le parti était fier de voir que M. Parizeau reprenait le bâton du pèlerin pour ce que vous savez [faire l’indépendance]Il faut croire que cette image en a marqué plusieurs. L’ancien chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, se souvient lui aussi du mili- tant souverainiste, qui a parcouru le Québec dans sa voiture pour donner des confé- rences et participer à des assemblées de cui- sine. « Le gars qui négociait les emprunts du Québec vendait des cartes de membres comme le militant qu’il était. Ce n’est pas peu dire. » Pour lui, Jacques Parizeau a apporté « beau- coup de rigueur au mouvement souverainiste » grâce, notamment, à son expérience de minis- tre des Finances, rôle pour lequel il a été re- connu par ses collègues canadiens. Le nouveau chef du parti souverainiste à Ot- tawa, Mario Beaulieu, pleure également la dis- parition de « l’aumônier des indépendantistes », l’homme vers qui plusieurs se tournaient pour demander conseil. « Le Bloc québécois perd au- jourd’hui un de ses plus grands défenseurs. Nous lui en sommes éternellement reconnaissants. » Féministe et généreux Dans une lettre publiée sur le site de L’actua- lité, son ancien conseiller, aujourd’hui député pé- quiste, Jean-François Lisée, prétend qu’il a été «le premier ministre le plus féministe » en instaurant l’équité salariale. Ce faisant, il a également orienté le parti dans cette voie. « C’est lui qui l’a mise dans le programme électoral du Parti québécois en 1994 », écrit M. Lisée, qui rappelle que plusieurs fois, notamment dans les commissions régionales sur l’avenir du Québec, « Monsieur » renvoyait les propositions qui lui étaient faites sous prétexte « qu’il n’y [avait] pas assez de femmes ». Il insiste également sur son ouverture et sa générosité, rappelant que la cause et le parti avaient plus d’importance pour lui que les vieilles chicanes. « Pour la souveraineté, répétait- il, la maison est prête à tous les sacrifices ! Sous sa gouverne s’est construite en 1994 et 1995 la plus grande coalition de l’histoire politique du Québec. Il fallait pour y arriver que “ Monsieur ” accepte de faire entrer sous sa grande tente ceux qui, jusqu’à la veille, l’avaient rejeté, snobé, critiqué. » Inspiration Plusieurs évoquent l’espoir que Jacques Pari- zeau incarnait pour les militants et autres sou- verainistes. « C’est lui qui nous a appris que même si on a de la misère à voir de nos yeux l’avenir, qu’il nous suffit de le créer, cet avenir. Il nous a bien illustré que notre avenir dépend de notre volonté, rappelle André Boisclair. On perd une référence, mais ce serait trahir la force de son héritage que de dire qu’il n’est plus là. Son œuvre, son enseignement vont demeurer.» Par voie de communiqué, l’ancienne première ministre et alliée de la première heure, Pauline Marois, a salué l’inspiration qu’il représente tou- jours pour les souverainistes. « Aujourd’hui, pour toutes celles et ceux qui croient dans notre avenir, pour tous les militants de l’indépendance, c’est un homme inspirant qui s’éteint. » Avec Marco Bélair-Cirino et Guillaume Bourgault-Côté Le Devoir Entre Parizeau et le PQ, c’était l’amour aveugle Jacques Parizeau était « le plus grand militant » CLÉMENT ALLARD LA PRESSE CANADIENNE Le chef du Parti québécois Jacques Parizeau entouré des députés François Gendron, Pauline Marois et Guy Chevrette lors d’un caucus en mai 1988. MARCOS TOWNSEND LA PRESSE CANADIENNE « L’affaire avec M. Parizeau, c’est que le parti l’a tellement aimé », se souvient Louise Beaudoin, ici avec l’homme politique en août 1994. JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Le premier ministre Jacques Parizeau, accompagné par le chef du Bloc québécois Lucien Bouchard, salue la foule alors qu’il lance la campagne référendaire à Québec en 1995. Un homme de conviction, intransigeant mais toujours courtois qui a marqué le parti [...] Ses convictions d’indépendantiste sans compromis en auront fait le chef de file de la vision la plus radicale du Parti québécois. Pierre Marc Johnson, le prédécesseur de Jacques Parizeau à la tête du Parti québécois « »

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L E D E V O I R , L E M E R C R E D I 3 J U I N 2 0 1 5

P A R I Z E A U 1 9 3 0 - 2 0 1 5A 6

J E S S I C A N A D E A U

P ar sa détermination, son ouverture, son mi-litantisme et sa vision d’avenir, Jacques Pa-

rizeau a façonné le parti québécois et le mouve-ment souverainiste qui perdent aujourd’hui unepartie de leur ADN, une source d’inspiration etsurtout, un chef adoré par ses militants.

« L’af faire, avec monsieur Parizeau, c’est quele parti l’a tellement aimé, soupire Louise Beau-doin à l’autre bout du fil. C’est un des chefs quiont été incontestés et incontestables. Et ça n’a pasété le cas avec tout le monde. Lui-même, il a cri-tiqué René Lévesque en 1984. Mais lui, commechef du parti, c’était l’amour aveugle. »

Cet amour inconditionnel s’explique par cettedétermination à faire du Québec un pays, sou-tient l’ancienne ministre. « Il incarnait cette vo-lonté totale de faire l’indépendance. Il a façonné leparti dans cet esprit-là. Et le parti a toujours étémalheureux depuis son départ.» Pourquoi? Parcequ’aucun autre n’a osé parler d’indépendance defaçon aussi claire depuis, répond Mme Beaudoin.«Ce parti est tellement programmé pour faire l’in-dépendance que M. Parizeau l’a vraiment eu com-plètement à sa main. Quand on promet un réfé-rendum au PQ, comme M. Parizeau l’a fait en1994, c’est le bonheur, c’est la joie. Sinon, on esttriste, on est dans le malheur.»

Elle parle de sa détermination, mais égale-ment de sa franchise, de la clarté de ses idées,de la grande droiture et de la stature del’homme. «Ce qu’il représentait, c’était tout ce queles militants ont pensé qui manquait au PQ parla suite. Ils ont pensé qu’il les mènerait au para-dis, au Grand Soir. Et c’est la nostalgie de ça.»

Pour lui, il n’y avait que l’article un du pro-gramme du Parti québécois qui comptait et savision a profondément marqué le Parti, ajouteMme Beaudoin. « C’est ça qu’il a donné commeADN au parti. »

En entrevue à Radio-Canada, l’ancien pre-mier ministre Lucien Bouchard confirme cetamour que lui portaient les militants. « Il n’y apas de chef de par ti qui a été plus aimé queM. Parizeau, parce que c’était un homme poli-tique qui n’était pas prêt à tous les compromis. Iln’aimait pas le pouvoir à ce point et il ne faisaitpas beaucoup de compromis dans l’af firmationde ses allégeances souverainistes. Et les militantsaimaient ça. Parce que les militants du Partiquébécois n’aiment pas vraiment le pouvoir. Lepouvoir, c’est pour faire des compromis, ceci etcela, ça les intéresse plus ou moins. Ils veulentl’attention vers la souveraineté et lui, il la leurpromettait et il l’incarnait. »

Le plus grand militant?Par le biais d’un communiqué de presse, le

prédécesseur de Jacques Parizeau, Pierre MarcJohnson, a parlé d’un « homme de conviction »,« intransigeant mais toujours courtois » qui amarqué le parti. «Ses convictions d’indépendan-tiste sans compromis en auront fait le chef de filede la vision la plus radicale du Parti québécois. »

Lorsque Jacques Parizeau a pris la relève duparti, après le départ de celui-ci, le PQ était enmauvaise posture, se rappelle cet autre ancienchef du parti, André Boisclair. C’est pourquoi ilqualifie Jacques Parizeau de « l’homme de la ré-

conciliation», celui qui a «su recréer l’unité au PQen s’entourant de valeurs sûres telles que PaulineMarois, Guy Chevrette et Camille Laurin à l’exécu-tif national ». La patience, que prônait PierreMarc Johnson, avait créé une certaine frustrationchez plusieurs membres. «Il est arrivé dans unmoment qui était trouble pour le PQ. À l’époque,c’était la débandade. Dans plusieurs circonscrip-tions au Québec, il n’y avait plus d’exécutif au PQ,ou ça ne répondait tout simplement plus. Et il apris son bâton du pèlerin et il s’est attelé à la tâcheavec une discipline incroyable. C’est le gars qui a

restructuré le parti», raconte celui qui était res-ponsable du comité des jeunes pendant la cam-pagne de Jacques Parizeau à titre de chef du PQ.

François Gendron, le doyen de l’Assembléenationale, se rappelle également de « Mon-sieur » comme d’un militant qui par ticipait« avec énormément de conviction et de fierté » àdes assemblées de cuisine. « N’oubliez pas queM. Parizeau était peut-être un des plus grandsmilitants du parti […] Il avait aussi énormé-ment d’ascendant sur le parti et de crédibilité.Et le parti était fier de voir que M. Parizeau

reprenait le bâton du pèlerin pour ce que voussavez [faire l’indépendance]. »

Il faut croire que cette image en a marquéplusieurs. L’ancien chef du Bloc québécois,Gilles Duceppe, se souvient lui aussi du mili-tant souverainiste, qui a parcouru le Québecdans sa voi ture pour donner des confé -rences et participer à des assemblées de cui-sine. « Le gars qui négociait les emprunts duQuébec vendait des cartes de membres commele militant qu’il était. Ce n’est pas peu dire. »

Pour lui, Jacques Parizeau a apporté « beau-coup de rigueur au mouvement souverainiste »grâce, notamment, à son expérience de minis-tre des Finances, rôle pour lequel il a été re-connu par ses collègues canadiens.

Le nouveau chef du parti souverainiste à Ot-tawa, Mario Beaulieu, pleure également la dis-parition de « l’aumônier des indépendantistes »,l’homme vers qui plusieurs se tournaient pourdemander conseil. «Le Bloc québécois perd au-jourd’hui un de ses plus grands défenseurs. Nouslui en sommes éternellement reconnaissants. »

Féministe et généreuxDans une lettre publiée sur le site de L’actua-

lité, son ancien conseiller, aujourd’hui député pé-quiste, Jean-François Lisée, prétend qu’il a été «lepremier ministre le plus féministe» en instaurantl’équité salariale. Ce faisant, il a également orientéle parti dans cette voie. «C’est lui qui l’a mise dansle programme électoral du Parti québécois en1994», écrit M. Lisée, qui rappelle que plusieursfois, notamment dans les commissions régionalessur l’avenir du Québec, «Monsieur» renvoyait lespropositions qui lui étaient faites sous prétexte«qu’il n’y [avait] pas assez de femmes».

Il insiste également sur son ouverture et sagénérosité, rappelant que la cause et le partiavaient plus d’impor tance pour lui que lesvieilles chicanes. «Pour la souveraineté, répétait-il, la maison est prête à tous les sacrifices ! Sous sagouverne s’est construite en 1994 et 1995 la plusgrande coalition de l’histoire politique du Québec.Il fallait pour y arriver que “Monsieur ” acceptede faire entrer sous sa grande tente ceux qui,jusqu’à la veille, l’avaient rejeté, snobé, critiqué.»

InspirationPlusieurs évoquent l’espoir que Jacques Pari-

zeau incarnait pour les militants et autres sou-verainistes. « C’est lui qui nous a appris quemême si on a de la misère à voir de nos yeuxl’avenir, qu’il nous suffit de le créer, cet avenir. Ilnous a bien illustré que notre avenir dépend denotre volonté, rappelle André Boisclair. On perdune référence, mais ce serait trahir la force deson héritage que de dire qu’il n’est plus là. Sonœuvre, son enseignement vont demeurer. »

Par voie de communiqué, l’ancienne premièreministre et alliée de la première heure, PaulineMarois, a salué l’inspiration qu’il représente tou-jours pour les souverainistes. «Aujourd’hui, pourtoutes celles et ceux qui croient dans notre avenir,pour tous les militants de l’indépendance, c’est unhomme inspirant qui s’éteint.»

Avec Marco Bélair-Cirino et Guillaume Bourgault-Côté

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Entre Parizeau et le PQ, c’était l’amour aveugleJacques Parizeau était « le plus grand militant »

CLÉMENT ALLARD LA PRESSE CANADIENNE

Le chef du Parti québécois Jacques Parizeau entouré des députés François Gendron, Pauline Marois et Guy Chevrette lors d’un caucus en mai 1988.

MARCOS TOWNSEND LA PRESSE CANADIENNE

«L’af faire avec M. Parizeau, c’est que le parti l’a tellement aimé», se souvient Louise Beaudoin, iciavec l’homme politique en août 1994.

JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Jacques Parizeau,accompagné par le chef du Bloc québécois LucienBouchard, salue la foule alors qu’il lance lacampagne référendaire à Québec en 1995.

Un homme de conviction,intransigeant mais toujourscourtois qui a marqué le parti [...] Ses convictionsd’indépendantiste sanscompromis en auront fait le chef de file de la vision la plus radicale du Parti québécois.Pierre Marc Johnson, le prédécesseur de Jacques Parizeau à la tête du Parti québécois

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