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4 | Le Marathon des mots Vendredi 20 juin 2014 0123 Photos de Marguerite Duras chez l’homme qui a inspiré « L’Amant ». BÉNARD/ANDIA.FR Dominique Blanc lisant « La Douleur ». ROS RIBA raphaëlle leyris M arguerite », dit-elle. Tant est grande l’intimité que Dominique Blanc a nouée avec Duras, elle qui joua pendant près de quatre ans, seule sur scène, La Douleur, dans une mise en scène de Patrice Chéreau et du chorégraphe Thierry Thieû Niang. Mais c’est un autre texte de l’écri- vaine, L’Amant, que l’actrice a eu envie de donner à entendre pour l’ouverture du Marathon des mots, qui célèbre le centenaire de sa naissance. Un roman (prix Goncourt 1984) découvert lors de sa parution chez Minuit et que Dominique Blanc aime « énormé- ment » : « Je pense qu’y sont rap- prochés tous les thèmes de Mar- guerite : l’Indochine, bien sûr, l’éducation amoureuse, le fantôme de l’inceste qui plane, la solitude extrême de deux êtres… Cela, dans une langue en apparence très sim- ple, alors qu’elle est une grande architecte. » Elle lira, le 26 juin, avec l’acteur Philippe Calvario « un montage de passages qui tournent beaucoup autour de la volupté, avec des scènes d’une sen- sualité superbe ». L’histoire d’amour de Domini- que Blanc avec l’œuvre duras- sienne remonte à l’adolescence et à la lecture, en classe de pre- mière, à Lyon, d’Un barrage contre le Pacifique (1950), à l’initiative d’un professeur de français. A l’époque, Dominique Blanc se targuait de « ne pas être une litté- raire », pour se démarquer de l’une de ses sœurs aînées (la fra- trie compte cinq enfants), « tou- jours plongée dans ses livres ». Mais le Barrage l’a emportée : « C’était formidable d’avoir affaire à un écrivain vivant, qui parlait de gens de notre âge. » A 20 ans, la rencontre de Dominique Blanc avec le théâtre, tout en mettant un terme à sa future carrière d’ar- chitecte, scelle le début de sa pas- sion pour la littérature. Amusante coïncidence : la première fois que, devenue comédienne, au début des années 1980, elle livre une lecture en public, c’est un texte de Madame de Duras (1777-1828), amoureuse de Chateaubriand qui se laissa mourir : « Une héroïne de Duras tout court », dit Dominique Blanc, avant de raconter en riant cette soirée, rendue « apocalyp- tique » par le mistral : « Ça n’a pas dû être épatant. » Mais le goût des lectures publiques était pris : « Il n’y a pas de décor, pas toujours de lumières, c’est un exercice ingrat, très peu artificiel… Et ça me plaît », résume-t-elle de sa voix claire, qui détache chaque syllabe. « Il n’y a que la beauté des mots et l’excel- lence de votre travail qui font que les gens vont partir avec vous. C’est un vrai pari. » La force du texte à défendre Que ce soit au théâtre, au ci- néma ou à la télévision, la force du texte à défendre, « son intelligence et sa justesse », est le premier cri- tère de choix de la comédienne, qui juge avoir toujours été « chan- ceuse » de ce point de vue, au fil de sa carrière. Depuis près de vingt ans, elle cultive des liens singu- liers avec des textes lus ou dits pendant des années. Ainsi, d’un montage de poèmes et lettres de René Char (auteur dont elle dit qu’il la « réconcilie avec l’exis- tence »), créé pour une lecture à l’Odéon, en 1995, avec Michel Pic- coli et Paul Veyne. De cette soirée est né un spectacle qui fut joué jusqu’en 2005, « au moindre creux compatible dans nos emplois du temps », se souvient celle qui avait en charge les poèmes d’amour « C’est ce qu’il y a de plus dur à faire passer ; ce Char-là, il faut l’éclairer, l’illuminer. C’était ma tâ- che d’instrumentiste. » En 2007, Patrice Chéreau, qui l’a dirigée, entre autres, au cinéma dans La Reine Margot (1994) et au théâtre dans Phèdre (2003), lui propose de se lancer dans des lec- tures à deux de La Douleur (POL, 1985), qui raconte l’attente de son mari, Robert Antelme, déporté. Ce texte, Marguerite Duras disait qu’elle l’avait écrit sur le moment et oublié, jusqu’à ce qu’elle le retrouve dans « deux cahiers des ar- moires bleues de Neauphle-le-Château ». En 2008, Dominique Blanc demande à Ché- reau la possibilité de dire le texte seule, dans une mise en scène de lui. En plus de 200 représenta- tions, elle porte La Douleur des plus peti- tes salles de province française au Brésil et au Japon. Après une soirée à Bruxelles, en 2012, Patrice Ché- reau lui demande d’arrêter. « Cela ne m’a pas réjouie, mais il était hors de question de jouer contre sa volonté. Cette décision avait sans doute à voir avec sa ma- ladie, mais on n’en a jamais re- parlé… » Elle ne doute pas qu’un jour elle repartira sur les routes avec ce « grand texte humaniste, universel », qui n’a besoin que d’elle-même pour le dire et de « [son] homme », éclairagiste, pour la mettre en lumière. Elle qui cherche chez un écrivain une voix mais aussi « un tempérament », « un engagement », se réjouit de voir que le personnage « trop en- combrant » de Duras dans ses der- nières années a cessé de masquer son œuvre. Elle est heureuse que puissent découvrir ses livres, sans a priori, « tous ces jeunes gens qui ne connaissent pas la dame au col roulé avec ses grosses lunettes et ses bagues, celle qui emmerde Bernard Pivot avec ses silences et ses phrases défini- tives… » Grâce à Dominique Blanc, notamment, ils sont en mesure de rencontrer « Marguerite ». Dominique Blanc et Philippe Calvario lisent « L’Amant », de Marguerite Duras, jeudi 26, 20 heures, au Théâtre du Capitole, A lire sur Lemonde.fr/livres : « Keskèli ? Dominique Blanc » « Avec un excellent lecteur, le texte continue de m’appartenir » Agnès Desarthe publie un recueil de nouvelles, « Ce qui est arrivé aux Kempinski », qu’elle lira à Toulouse avec Gérard Desarthe florence bouchy P our Agnès Desarthe, publier Ce qui est arrivé aux Kempinski re- présente à la fois « un aboutisse- ment et une victoire ». Alors qu’elle écrit des nouvelles « depuis tou- jours », elle n’avait jamais eu la possibi- lité d’en proposer un recueil, tant la forme brève, en littérature française, sus- cite peu d’enthousiasme chez les édi- teurs. Elle en réalisera avec d’autant plus de plaisir la lecture publique en duo avec Gérard Desarthe, le 26 juin, à 21 h 30, à la Chapelle des Carmélites « Lorsque le livre est publié, il vous échappe, les lecteurs se l’approprient, et c’est tout à fait normal. La lecture publi- que, explique l’écrivaine, est une occasion unique de montrer le texte dans l’état où il a été créé, de le faire exister comme il a été écrit dans ma tête. » Dans cette perspec- tive, on pourrait s’étonner que l’auteure partage cette lecture avec un acteur, fût-il son beau-père. « Quand je travaille avec un excellent l ecteur – ce qui n’est pas le cas de tous les comédiens –, j’ai l’impression que le texte continue de m’appartenir. » « Quand Gérard Desarthe lit mes nouvel- les, ajoute-t-elle, j’ai l’impression qu’il éclaire le texte de l’intérieur. Il en a une compréhension si fine que l’effet produit est celui d’une loupe, très légère. » L’écriture d’Agnès Desarthe se prête sans doute particulièrement bien à la lec- ture à haute voix. Qu’il s’agisse d’un mo- nologue intérieur, au style indirect libre, comme dans « Une leçon de vol libre », d’un dialogue entre un écrivain et une vieille dame, au wagon-bar d’un TGV, dans « Pseudonyme », ou de récits en- châssés, toujours explicitement adressés à un auditeur-lecteur, dans « La Table de Mendeleïev », les nouvelles travaillent toute l’oralité, et la mettent en scène. « Tout ce que j’écris, affirme l’écrivain, est toujours oral. Je n’ai jamais publié quelque chose qui ne puisse pas être lu. J’écoute ce que j’écris : il faut que ça sonne ! » Incongruité du quotidien Cette oralité du texte, très travaillée mais cherchant à susciter le sentiment du plus grand naturel, permet paradoxa- lement, dans les nouvelles d’Agnès De- sarthe, l’irruption d’une forme de mer- veilleux ou de surnaturel, qui ne sont parfois que les autres noms de l’incon- gruité ou de l’absurdité, délicieuse ou tra- gique, du quotidien. Au fil du recueil, on s’entretient régulièrement, et sans s’en étonner, avec un diable plus ou moins amoureux de la femme qui lui parle (« Dans l’oreille du diable »). On part se promener, puisqu’« Il ne se passe jamais rien ici », et l’on est accosté par un faisan prétendant être la réincarnation d’un « poilu » de 1914. Un couple hésite à se marier, et voilà que nous est révélée l’existence d’un « Comité » que chacun peut consulter pour trancher ses dilem- mes. Il est « efficace, mais son activité est spasmodique, soumise à la météo et aux caprices des humeurs ». « Nous sommes davantage une instance consultative, ex- plique l’un de ses membres, un regard sur le monde. Les gens sentent une sorte d’aura bienveillante autour d’eux, cela les rassure et les stimule. » Quant à savoir « Ce qui est arrivé aux Kempinski », le mystère reste entier. L’hé- roïne de la nouvelle est une historienne, mais ses recherches, exclusivement con- sacrées à la Shoah, font fuir tous ses pré- tendants. Elle rencontre enfin un pasteur berlinois, tout aussi passionné qu’elle par le sujet. Mais n’en disons pas plus, et lais- sons Agnès Desarthe nous conter leurs aventures. Car c’est bien de contes qu’il s’agit, et du plaisir qu’on trouve à les lire comme à les écouter. « Je me suis toujours demandé, dit Agnès Desarthe, pourquoi certaines choses s’arrêtent dans la vie, alors qu’elles sont très bien. Quand on est enfant, on nous lit des histoires. J’aimerais que cette bonne pratique continue à l’âge adulte. Voilà pourquoi j’encourage tou- jours les gens à me demander de lire mes textes ! » Agnès et Gérard Desarthe lisent « Ce qui est arrivé aux Kempinski » jeudi 26, 21 h 30, à la Chapelle des Carmélites, à Toulouse. ce qui est arrivé aux kempinski, d’Agnès Desarthe, L’Olivier, 198 p., 17,50 €. Signalons, du même auteur, la parution en poche de Comment j’ai appris à lire, Points, 146 p., 5,70 €. La comédienne Dominique Blanc parle de l’auteure de « L’Amant », texte qu’elle va lire sur la scène du Théâtre du Capitole La lecture publique, « un vrai pari. Et qui me plaît » Alaa El-Aswany lu par Denis Podalydès : « Un bonheur » Au début d’Automobile Club d’Egypte, l’auteur, qui vient de mettre un point final à son ro- man, reçoit la visite de deux de ses personnages, révoltés par la manière dont ils sont traités. « Il manque au roman nos sen- timents et nos idées, plaident- ils. Nous avons le droit de parler de nous-mêmes. » Avant d’être chassés par l’auteur scandalisé, les personnages lui laissent un DVD, qui est la copie, améliorée par leurs soins, du roman ini- tial. C’est cette version qui est, bien entendu, donnée à lire. Of- frir « une nouvelle vie au texte », le laisser s’échapper : la lecture, par Denis Podalydès, d’un ex- trait de ce livre lors du Mara- thon des mots relève du même « bonheur », souligne Alaa El- Aswany, joint par téléphone. Zone neutre Le romancier cairote n’en est pas à son coup d’essai. Fidèle du festival toulousain, l’auteur de L’Immeuble Yacoubian (Ac- tes Sud, 2006) dit éprouver, chaque fois que l’un de ses tex- tes est lu en public, un sembla- ble plaisir, doublé d’appréhen- sion : « C’est une expérience forte et utile, qui m’aide beau- coup dans mon travail d’écri- ture. » Il se souvient encore, « avec émotion », de la lecture, par Omar Sharif, d’extraits de ses livres. « Quand on lit – j’en serais moi-même incapable –, il faut se placer dans une zone neutre, garder la bonne dis- tance, afin de laisser un espace pour ceux qui écoutent », re- marque Alaa El-Aswany. Quand des lectures de ses textes sont faites dans une langue qu’il ne comprend pas – l’allemand, par exemple –, Alaa El-Aswany en fait son miel : « Je suis le texte sur le visage des spectateurs, comme une ombre chinoise. » Automobile Club d’Egypte fait le portrait de la société cairote au lendemain de la seconde guerre mondiale, alors que le pays est dirigé par le jeune roi Farouk et que le vieux système politique se lézarde de toutes parts. C’est une fresque pleine d’ironie, tendre et cruelle, cou- leur sépia. « J’ignore absolu- ment quelle partie du livre De- nis Podalydès a choisie. Que ce soit lui qui lise me rend content et fier. J’attends ! », se réjouit le romancier. c. s. Denis Podalydès lit « Automobile Club d’Egypte », samedi 28, 20 heures, au Cloître des Jacobins, à Toulouse. Automobile Club d’Egypte (Nâdï al-sayyâdrât), d’Alaa El-Aswany, traduit de l’arabe (Egypte) par Gilles Gauthier, Actes Sud, 542 p., 23,80 €. rencontre

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    Photos de Marguerite Duras chez lhomme qui a inspir LAmant .BNARD/ANDIA.FR

    Dominique Blanc lisant La Douleur .ROSRIBA

    raphalle leyris

    M arguerite ,ditelle. Tantest grandelintimit queDominiqueBlanc a noueavec Duras, elle qui joua pendant prs de quatre ans, seule sur scne, La Douleur, dans une miseen scne de Patrice Chreau et du chorgraphe Thierry Thie Niang.Mais cest un autre texte de lcrivaine, LAmant, que lactrice a eu envie de donner entendre pour louverture du Marathon des mots, qui clbre le centenaire de sa naissance. Un roman (prix Goncourt 1984) dcouvert lors de sa parution chez Minuit et queDominique Blanc aime normment : Je pense quy sont rapprochs tous les thmes de Marguerite : lIndochine, bien sr,lducation amoureuse, le fantmede linceste qui plane, la solitudeextrme de deux tres Cela, dans une langue en apparence trs simple, alors quelle est une grande architecte. Elle lira, le 26 juin, avec lacteur Philippe Calvario un montage de passages qui tournent beaucoup autour de la volupt, avec des scnes dune sensualit superbe .

    Lhistoire damour de Dominique Blanc avec luvre durassienne remonte ladolescenceet la lecture, en classe de premire, Lyon, dUn barrage contrele Pacifique (1950), linitiative dun professeur de franais. A lpoque, Dominique Blanc setarguait de ne pas tre une littraire , pour se dmarquer de lune de ses surs anes (la fratrie compte cinq enfants), toujours plonge dans ses livres .Mais le Barrage la emporte : Ctait formidable davoir affaire un crivain vivant, qui parlait de gens de notre ge. A 20 ans, la rencontre de Dominique Blanc avec le thtre, tout en mettant

    un terme sa future carrire darchitecte, scelle le dbut de sa passion pour la littrature. Amusanteconcidence : la premire fois que,devenue comdienne, au dbutdes annes 1980, elle livre unelecture en public, cest un texte de Madame de Duras (17771828), amoureuse de Chateaubriand qui se laissa mourir : Une hrone deDuras tout court , dit DominiqueBlanc, avant de raconter en riant cette soire, rendue apocalyptique par le mistral : a na pas d tre patant. Mais le got deslectures publiques tait pris : Ilny a pas de dcor, pas toujours de lumires, cest un exercice ingrat, trs peu artificiel Et a me plat ,rsumetelle de sa voix claire, quidtache chaque syllabe. Il ny aque la beaut des mots et lexcellence de votre travail qui font que les gens vont partir avec vous. Cestun vrai pari.

    La force du texte dfendreQue ce soit au thtre, au ci

    nma ou la tlvision, la force dutexte dfendre, son intelligenceet sa justesse , est le premier critre de choix de la comdienne, qui juge avoir toujours t chanceuse de ce point de vue, au fil desa carrire. Depuis prs de vingtans, elle cultive des liens singuliers avec des textes lus ou dits pendant des annes. Ainsi, dun montage de pomes et lettres de Ren Char (auteur dont elle dit quil la rconcilie avec lexistence ), cr pour une lecture lOdon, en 1995, avec Michel Piccoli et Paul Veyne. De cette soire est n un spectacle qui fut joujusquen 2005, au moindre creuxcompatible dans nos emplois dutemps , se souvient celle qui avaiten charge les pomes damour Cest ce quil y a de plus dur faire passer ; ce Charl, il faut lclairer, lilluminer. Ctait ma tche dinstrumentiste.

    En 2007, Patrice Chreau, qui ladirige, entre autres, au cinma dans La Reine Margot (1994) et au thtre dans Phdre (2003), lui propose de se lancer dans des lectures deux de La Douleur (POL, 1985), qui raconte lattente de son

    mari, Robert Antelme, dport. Ce texte, Marguerite Duras disaitquelle lavait crit sur le moment

    et oubli, jusqu cequelle le retrouve dans deux cahiers des armoires bleues deNeauphleleChteau .

    En 2008, DominiqueBlanc demande Chreau la possibilit dedire le texte seule,dans une mise enscne de lui. En plusde 200 reprsentations, elle porte LaDouleur des plus petites salles de provincefranaise au Brsil etau Japon. Aprs unesoire Bruxelles,en 2012, Patrice Chreau lui demandedarrter. Cela nema pas rjouie,mais il tait hors dequestion de jouer

    contre sa volont. Cette dcision avait sans doute voir avec sa maladie, mais on nen a jamais reparl Elle ne doute pas quun

    jour elle repartira sur les routesavec ce grand texte humaniste, universel , qui na besoin que dellemme pour le dire et de [son] homme , clairagiste,pour la mettre en lumire. Elle quicherche chez un crivain une voixmais aussi un temprament , un engagement , se rjouit de voir que le personnage trop encombrant de Duras dans ses dernires annes a cess de masquer son uvre. Elle est heureuse que puissent dcouvrir ses livres,sans a priori, tous ces jeunesgens qui ne connaissent pas la dame au col roul avec ses grosses lunettes et ses bagues, celle qui emmerde Bernard Pivot avec sessilences et ses phrases dfinitives Grce Dominique Blanc,notamment, ils sont en mesure de rencontrer Marguerite .

    Dominique Blanc et Philippe Calvario lisent LAmant , de Marguerite Duras, jeudi 26, 20 heures, au Thtre du Capitole,

    A lire sur Lemonde.fr/livres : Keskli ? Dominique Blanc

    Avec un excellent lecteur, le texte continue de mappartenir Agns Desarthe publie un recueil de nouvelles, Ce qui est arriv aux Kempinski , quelle lira Toulouse avec Grard Desarthe

    florence bouchy

    P our Agns Desarthe, publier Cequi est arriv aux Kempinski reprsente la fois un aboutissement et une victoire . Alorsquelle crit des nouvelles depuis toujours , elle navait jamais eu la possibilit den proposer un recueil, tant laforme brve, en littrature franaise, suscite peu denthousiasme chez les diteurs. Elle en ralisera avec dautant plus de plaisir la lecture publique en duo avec Grard Desarthe, le 26 juin, 21 h 30, la Chapelle des Carmlites

    Lorsque le livre est publi, il vouschappe, les lecteurs se lapproprient, etcest tout fait normal. La lecture publi

    que, explique lcrivaine, est une occasionunique de montrer le texte dans ltat o ila t cr, de le faire exister comme il a tcrit dans ma tte. Dans cette perspective, on pourrait stonner que lauteure partage cette lecture avec un acteur, ftilson beaupre. Quand je travaille avec un excellent l ecteur ce qui nest pas le casde tous les comdiens , jai limpression que le texte continue de mappartenir. Quand Grard Desarthe lit mes nouvelles, ajoutetelle, jai limpression quil claire le texte de lintrieur. Il en a une comprhension si fine que leffet produit est celui dune loupe, trs lgre.

    Lcriture dAgns Desarthe se prtesans doute particulirement bien la lecture haute voix. Quil sagisse dun monologue intrieur, au style indirect libre, comme dans Une leon de vol libre , dun dialogue entre un crivain et une vieille dame, au wagonbar dun TGV, dans Pseudonyme , ou de rcits en

    chsss, toujours explicitement adresss un auditeurlecteur, dans La Table de Mendeleev , les nouvelles travaillent toute loralit, et la mettent en scne. Tout ce que jcris, affirme lcrivain, est toujours oral. Je nai jamais publi quelquechose qui ne puisse pas tre lu. Jcoute ce que jcris : il faut que a sonne !

    Incongruit du quotidienCette oralit du texte, trs travaille

    mais cherchant susciter le sentimentdu plus grand naturel, permet paradoxalement, dans les nouvelles dAgns Desarthe, lirruption dune forme de merveilleux ou de surnaturel, qui ne sont parfois que les autres noms de lincongruit ou de labsurdit, dlicieuse ou tragique, du quotidien. Au fil du recueil, on sentretient rgulirement, et sans sen tonner, avec un diable plus ou moinsamoureux de la femme qui lui parle( Dans loreille du diable ). On part se

    promener, puisqu Il ne se passe jamais rien ici , et lon est accost par un faisan prtendant tre la rincarnation dun poilu de 1914. Un couple hsite semarier, et voil que nous est rvlelexistence dun Comit que chacun peut consulter pour trancher ses dilemmes. Il est efficace, mais son activit est spasmodique, soumise la mto et aux caprices des humeurs . Nous sommesdavantage une instance consultative, explique lun de ses membres, un regard sur le monde. Les gens sentent une sorte daura bienveillante autour deux, cela les rassure et les stimule.

    Quant savoir Ce qui est arriv auxKempinski , le mystre reste entier. Lhrone de la nouvelle est une historienne,mais ses recherches, exclusivement consacres la Shoah, font fuir tous ses prtendants. Elle rencontre enfin un pasteur berlinois, tout aussi passionn quelle parle sujet. Mais nen disons pas plus, et lais

    sons Agns Desarthe nous conter leursaventures. Car cest bien de contes quil sagit, et du plaisir quon trouve les lirecomme les couter. Je me suis toujoursdemand, dit Agns Desarthe, pourquoicertaines choses sarrtent dans la vie,alors quelles sont trs bien. Quand on est enfant, on nous lit des histoires. Jaimeraisque cette bonne pratique continue lge adulte. Voil pourquoi jencourage toujours les gens me demander de lire mes textes !

    Agns et Grard Desarthe lisent Ce qui est arriv aux Kempinski jeudi 26, 21 h 30, la Chapelle des Carmlites, Toulouse.

    ce qui est arriv aux kempinski,dAgns Desarthe,LOlivier, 198 p., 17,50 .Signalons, du mme auteur, la parution en poche de Comment jai appris lire, Points, 146 p., 5,70 .

    La comdienne Dominique Blanc parle de lauteure de LAmant , texte quelle va lire sur la scne du Thtre du Capitole

    La lecture publique, un vrai pari. Et qui me plat

    Alaa ElAswany lu par Denis Podalyds : Un bonheur Au dbut dAutomobile ClubdEgypte, lauteur, qui vient demettre un point final son roman, reoit la visite de deux deses personnages, rvolts par lamanire dont ils sont traits. Il manque au roman nos sentiments et nos ides, plaidentils. Nous avons le droit de parlerde nousmmes. Avant dtrechasss par lauteur scandalis,les personnages lui laissent unDVD, qui est la copie, amliorepar leurs soins, du roman initial. Cest cette version qui est,bien entendu, donne lire. Offrir une nouvelle vie au texte ,le laisser schapper : la lecture,par Denis Podalyds, dun extrait de ce livre lors du Marathon des mots relve du mme bonheur , souligne Alaa ElAswany, joint par tlphone.

    Zone neutreLe romancier cairote nen estpas son coup dessai. Fidledu festival toulousain, lauteurde LImmeuble Yacoubian (Actes Sud, 2006) dit prouver,chaque fois que lun de ses textes est lu en public, un semblable plaisir, doubl dapprhension : Cest une exprienceforte et utile, qui maide beaucoup dans mon travail dcriture. Il se souvient encore, avec motion , de la lecture,par Omar Sharif, dextraits deses livres. Quand on lit jenserais moimme incapable , ilfaut se placer dans une zoneneutre, garder la bonne distance, afin de laisser un espacepour ceux qui coutent , remarque Alaa ElAswany. Quanddes lectures de ses textes sontfaites dans une langue quil necomprend pas lallemand, parexemple , Alaa ElAswany enfait son miel : Je suis le textesur le visage des spectateurs,comme une ombre chinoise. Automobile Club dEgypte fait le portrait de la socit cairoteau lendemain de la secondeguerre mondiale, alors que lepays est dirig par le jeune roiFarouk et que le vieux systmepolitique se lzarde de toutesparts. Cest une fresque pleinedironie, tendre et cruelle, couleur spia. Jignore absolument quelle partie du livre Denis Podalyds a choisie. Que cesoit lui qui lise me rend contentet fier. Jattends ! , se rjouit leromancier. c. s.

    Denis Podalyds lit Automobile Club dEgypte ,samedi 28, 20 heures, au Clotre des Jacobins, Toulouse.

    Automobile Club dEgypte (Ndalsayydrt), dAlaa ElAswany,traduit de larabe (Egypte) par GillesGauthier, Actes Sud, 542 p., 23,80 .

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