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1 UNIVERSITÉ JEAN MOULIN LYON III ANNÉE UNIVERSITAIRE 2002-2003 DEA - Droit des affaires LE DROIT MORAL DE L'AUTEUR EN DROIT FRANÇAIS

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UNIVERSIT JEAN MOULIN LYON III ANNE UNIVERSITAIRE 2002-2003 DEA - Droit des affaires

LE DROIT MORAL DE L'AUTEUR EN DROIT FRANAIS

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Mmoire prsent parFrdric FOUILLAND Sous la direction de Madame Sabine Dana-Demaret

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"LA PLUS SACREE,la plus lgitime, la plus inattaquable, et, si je puis parler ainsi, la plus personnelle des proprits, est l'ouvrage fruit de la pense d'un crivain" Le Chapelier, 1791

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Sommaire

Sommaire ................................................................................ 1 Introduction ............................................................................ 5 Titre I- La titularit du droit moral........................................ 16Chapitre 1- La titularit du vivant de l'auteur ................................ 18 Chapitre 2- La titularit post mortem ............................................ 47

Titre II- L'exercice du droit moral......................................... 56Chapitre 1- Le droit moral: obstacle toute exploitation............... 58 Chap 2- Le droit moral: limite la libert de l'exploitant .............. 70

Bibliographie ........................................................................ 87 Table des matires ................................................................ 90

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Introduction

1. "Un ouvrage vendu par un auteur un imprimeur ou un libraire, et qui doit porter son nom, doit tre imprim dans l'tat o il a t vendu et livr". Telle tait la formule employe par le tribunal civil de la Seine dans un jugement rendu le 17 aot 1814. L'on devine ici les prmices de la thorie du droit moral qui sera l'uvre d'une jurisprudence et d'une doctrine fcondes durant tout le 19me sicle et jusqu' 1957. En 1828, la cour d'appel de Paris posa le principe "qu'une uvre musicale n'a d'existence et ne devient saisissable qu'autant qu'elle a reu une publication par son auteur". Le droit de divulgation voyait ainsi le jour. De son ct, la doctrine ne manquait pas d'apporter sa pierre l'difice. Dans son Cours de droit commercial1, Pardessus justifiait le droit de regard de l'auteur sur son uvre, mme aprs la cession, par l'ide d'usufruit. Plus proche des conceptions modernes, Renouard, en 1839, explique l'insaisissabilit de l'ouvrage indit par l'ide qu'il est pour l'auteur le "sanctuaire de sa conscience". Il n'en reste pas moins qu'il faudra encore beaucoup de temps et de rflexion doctrinale pour que la thorie du droit moral parvienne un degr d'achvement permettant une conscration lgislative. 2. Jusqu'alors, la proprit littraire et artistique n'avait de reconnaissance lgale qu'au travers de deux lois rvolutionnaires. Les dcrets des 13-19 janvier 1791 et 19-24 juillet 1793 consacraient respectivement le droit de reprsentation des auteurs d'uvres dramatiques et le droit de reproduction des "auteurs d'crits en tout genre", des compositeurs de musique, peintres et dessinateurs. De 1793 1957, le mouvement lgislatif n'est que ponctuel. Il faudra attendre 1902, par exemple, avant que ne soit proclam le principe selon lequel la protection lgale est indpendante du mrite ou de la destination. De mme, l'indpendance entre la vente d'une uvre d'art et la cession du1

Publi pour la premire fois en 1814-1816.

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droit de reproduction fut reconnue par une loi de 1910. Ainsi, malgr l'exceptionnelle fcondit de la jurisprudence, le laconisme des deux grandes lois rvolutionnaires apparut bientt comme un inconvnient. La Commission de la proprit intellectuelle, cre par dcret du 28 aot 1944 et prside par M. Jean Escarra, rdigea en 1947 un premier projet qui fit l'objet de discussions approfondies et de nombreux amendements, avant de donner naissance la grande loi du 11 mars 1957 sur la proprit littraire et artistique. L'expos des motifs de cette loi annonait clairement qu'elle visait "codifier la jurisprudence qui s'est cre depuis un sicle et demi en matire de droit d'auteur et fixer en un texte dfinitif le dernier tat de la doctrine franaise en ce domaine", en mme temps qu' "rpondre au besoin qu'ont prouv les crateurs intellectuels d'tre protgs en tenant compte des conditions techniques et conomiques nouvelles et aussi des nouvelles formes d'art surgies depuis la lgislation rvolutionnaire". Cette loi, ptrie d'humanisme selon Desbois2, met l'accent sur le droit moral, que l'article 1er (devenu article L 111-1 du CPI) cite avant les droits patrimoniaux, et renforce les droits des auteurs qu'elle veut viter de mettre la merci des exploitants. La loi du 3 juillet 1985 est venue y porter quelques retouches en consacrant notamment les droits voisins. Le lgislateur de 1957 en effet, n'avait pu prvoir l'volution technologique considrable dans le domaine de la communication. Celle-ci permit de toucher un public plus large, et plus rapidement. En outre, des moyens de copie se dvelopprent, et il s'agissait alors d'viter une fuite massive de droits d'auteur qui sont la principale source de revenus des crateurs d'art. Finalement, le code de la proprit intellectuelle (CPI) vit le jour en 1992, suite la loi du 1er juillet 1992 procdant une codification droit constant. 3. Actuellement, la plupart des pays reconnaissent le droit moral, mais sans toujours lui donner la place minente qui est la sienne en droit franais. De mme, l'article 6 bis de la Convention de Berne attribue l'auteur le droit de revendiquer la paternit de l'uvre et le droit au respect de l'uvre mais la condition d'tablir une atteinte son honneur ou sa rputation, sans mme exclure que l'exercice de ces prrogatives soit limit dans le temps. Un compromis visait prendre en compte le particularisme des systmes de copyright qui ne connaissaient pas la doctrine du droit moral en tant qu'ensemble cohrent de rgles intgr dans la sphre de la proprit littraire et artistique. Si l'observation ne vaut plus aujourd'hui pour le Royaume-Uni dont une loi de 1988 contient un chapitre consacr au droit moral, elle vaut en revanche encore pour les Etats-Unis en dpit de leur adhsion rcente la Convention de Berne. Sans aller jusqu' affirmer que le copyright est une technique d'incitation conomique3, il est clair qu'il se prsente comme plus souple l'gard des "industriels" de la communication. Partant, nul doute que le droit moral constitue un enjeu essentiel. Il est menac indirectement par l'extension du champ d'application du droit d'auteur, qui le rend parfois presque incongru 4, et, plus directement, par l'irruption du consumrisme qui contribue dsacraliser l'uvre et conduit l'utilisateur opposer ses propres droits sur la "marchandise" acquise. Ces craintes peuvent paratre dpasses depuis que la Cour de cassation 5 a, dans l'affaire Huston, dclar que les dispositions franaises relatives au droit moral taient d'application imprative. Reste que l'exercice effectif de ce droit passe en pratique par une indpendance conomique qui2 3

Desbois H., Le droit d'auteur en France, Dalloz, 3 d., 1978, 173, p. 206. Franon A., Le droit d'auteur au-del des frontires: une comparaison des conceptions civilistes et de common law: RIDA juillet 1991, n149, p. 19 et s. 4 Le droit au respect de l'uvre sur une notice technique d'utilisation d'un aspirateur par exemple. re 5 Cass. Civ. 1 28 mai 1991: RIDA juillet 1991, n149, p. 197; JCP 91, II, 21731, note Franon.

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n'est pas le lot de la majorit des auteurs. En outre, il reste le danger de voir le rapprochement des lgislations, au plan communautaire, se traduire concrtement par un abaissement du niveau de protection atteint, sur ce terrain, en France, sans parler des pressions qui continuent d'tre exerces par l'industrie amricaine. 4. De la place accorde au droit moral dans une lgislation dpend l'quilibre entre investissement et respect de la cration intellectuelle. Comme le soutient M. Edelman6, la nature reconnue au droit d'auteur "constitue l'expression juridique de la reprsentation qu'une socit se fait de sa propre culture". Le droit Franais, de part la place qu'il rserve au droit moral dans ses dispositions, tmoigne d'un intrt certain pour ceux qui contribuent au patrimoine culturel. Ainsi, le droit moral doit alors tre regard comme un outil de sauvegarde des intrts de l'auteur.

5. Il s'agira, dans le cadre de ce mmoire, d'analyser le droit moral de l'auteur d'une faon objective, tel qu'il est prsent par les textes franais et interprt par les tribunaux. Avant d'envisager sa mise en uvre (Titre II) dont on verra que les consquences sur les relations contractuelles de l'auteur ne sont pas des moindres, nous serons amens examiner sa titularit (Titre I). Mais, dans un premier temps, nous allons tenter d'en cerner la dfinition (I), puis nous examinerons sa nature (II) ainsi que ses caractres (III).

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J.-Cl. Proprit littraire et artistique, fasc. 301-1, n2.

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Section I- Dfinition du droit moral6. L'article L 111-1 alina 2 du CPI dispose que le droit de proprit incorporelle comporte des "attributs d'ordre intellectuel et moral"7. Ce sont ces derniers attributs qui forment ce que l'on dnomme le droit moral de l'auteur. Il convient d'ajouter que le droit moral n'existe qu'en prsence d'une uvre, mme inacheve, conformment l'article L 111-2 du CPI qui dispose que " L'uvre est rpute cre, indpendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la ralisation, mme inacheve, de la conception de l'auteur". 7. Le lgislateur s'est d'abord proccup de dfinir les caractres du droit moral; ncessit d'autant plus grande que ce droit, pourtant prminent, n'est cern que d'une manire imprcise par une numration d'attributs plus que par une relle dfinition: l'article L 121-1 nonce seulement que l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualit et de son uvre; il faut attendre l'article L 121-2 pour voir voqu le droit de divulgation et l'article L 121-4 pour voir apparatre un autre attribut du droit moral, le droit de repentir ou de retrait, le seul minutieusement rglement; dans le cas des logiciels, le droit moral se rduit au droit au nom, et ce, par interprtation a contrario de l'article L 121-7 du CPI. On pourra nanmoins se rattacher la dfinition qu'en donne P-Y. Gautier8: le droit moral est le lien juridiquement protg, unissant le crateur son uvre et lui confrant des prrogatives souveraines l'gard des usagers, l'uvre ft-elle entre dans le circuit conomique.

Section II- Nature juridique du droit moral8. La conception dualiste du droit d'auteur confre une nature extra-patrimoniale au droit moral (1). Son caractre personnel suggre un rapprochement avec les droits de la personnalit (2), mais tout en lui rservant une spcificit certaine (3).

1- Un droit extra-patrimonial9. Extra-patrimonial, le droit moral produit cependant des consquences importantes l'gard des droits patrimoniaux. Par exemple, mme s'il existe un dbat doctrinal sur ce point, c'est l'exercice du droit de divulgation de l'auteur qui va faire natre les droits pcuniaires9. La frontire entre les deux types de prrogatives se rvle alors difficile tracer, mais il demeure que cette distinction fait le dpart entre l'esprit et l'conomie 10, que cette dernire n'assujettira cependant jamais.7

Il semble bien que la distinction entre l'aspect intellectuel et l'aspect moral relve de la redondance. V. en ce sens A. Huguet, L'ordre public et les contrats d'exploitation du droit d'auteur, LGDJ, 1962, n. 51. V. cpdt Desbois, qui distingue les soucis, scrupules, regrets "d'ordre purement intellectuel" ( ides ou tendances esthtiques) et les considrations de "caractre strictement moral" (conscience, convictions politiques ou religieuses). me 8 P-Y. Gautier, Proprit littraire et artistique 4 d., p. 195 9 V. infra n151 et s., spc. n155. 10 P-Y. Gautier op. cit. p. 196.

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10. En effet, dans la tradition franaise, le droit moral occupe la premire place, l'article L 111-1 al. 2 du CPI citant les "attributs d'ordre intellectuel et moral" avant les "attributs d'ordre patrimonial". Cette prminence n'est pas seulement symbolique, comme en tmoigne l'arrt Huston11, o la Cour de cassation a qualifi les rgles concernant le droit moral et notamment le droit au respect de l'uvre de lois d'application imprative, vinant en l'espce la loi amricaine: " Attendu, selon le premier de ces textes (loi du 8 juillet 1964), qu'en France, aucune atteinte ne peut tre porte l'intgrit d'une uvre littraire ou artistique, quel que soit l'Etat sur le territoire duquel cette uvre a t divulgue pour la premire fois; que la personne qui en est l'auteur du seul fait de sa cration est investie du droit moral institu son bnfice par le second des textes susviss (article 6 de la loi du 11 mars 1957 devenu article L 121-1 du CPI); que ces rgles sont des lois d'application imprative;".

2- Rapprochement entre droit moral et droits de la personnalit11. On intgre gnralement le droit moral, droit extra-patrimonial, dans la catgorie des droits de la personnalit (avec le droit l'image, le droit au nom, le droit l'honneur) qui ont tous pour dnominateur commun de dfendre la personnalit de l'individu; certains auteurs allant mme jusqu' voquer un droit de l'homme 12 . Il est li la personne, en ce que c'est la rputation de l'homme qui est concerne par l'uvre laquelle il attache son nom: c'est pourquoi seul il pourra dcider de la divulguer; c'est pourquoi il a droit ce que l'uvre lui soit attribue et ce qu'elle ne soit pas modifie sans son consentement. Ses caractres seront donc ceux des droits de la personnalit. Ce rapprochement se justifie donc par le constat que, dans l'approche traditionnelle au moins, l'uvre de l'esprit est avant tout l'manation d'une personnalit.

3- Le droit moral, droit de la personnalit spcifique12. Il convient nanmoins de rserver au droit moral une place part dans cette catgorie juridique. En effet, contrairement la plupart des autres droits de la personnalit, il est largement rglement par des textes et porte sur une uvre, forcment dtache de la personne physique de son crateur. On retrouvera d'ailleurs ce particularisme dans sa perptuit, alors mme que les autres droits de la personnalit s'teignent avec la mort de leur titulaire. Le droit moral de l'auteur apparat donc comme un droit de la personnalit spcifique. C'est ce qu'a pu relever la Cour de cassation 13 dans une formule a priori contradictoire: " mais attendu que le droit moral de l'auteur d'uvres littraires est seulement celui de faire respecter soit l'intgrit de ses uvres, soit son nom et sa qualit en tant qu'auteur de celles-ci, mais qu'il est entirement tranger la dfense des autres droits de la personnalit protgs par la loi;". L'allusion aux "autres droits de la personnalit" semble justifier le rapprochement mais, on en conviendra, la prcision que le droit moral est "entirement tranger" ces "autres droits" maintient une certaine distance. On pourra donc considrer, et tel tait le cas en l'espce, que le droit moral n'est pas en cause lorsqu'un article de presse met en cause certains11

Cass. 1 civ., 28 mai 1991, RIDA 3/1991, p. 97; JCP G 1991, II, 21731, note Franon; JCP E 1991, II, 220, note Ginsburg et Sirinelli. 12 P-Y. Gautier. 13 Cass. Civ. I, 10 mars 1993, D. 1994. 78, n. Andr Franon ; RTD. Com. 1994. 48, obs. Franon ; JCP 1993.II.22161, n. Jacques Raynard. V. aussi : TGI Paris, 11 fv. 1993, RIDA 1993, n156, p. 235.

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pisodes de la vie et les sympathies supposes d'un auteur, sans faire mention d'un quelconque crit manant de lui, la lsion invoque par la personne tant sans rapport avec une uvre.

Section III- Les caractres du droit moral13. En dpit du pluriel (droits moraux) consacr par la codification de 1992, il n'en demeure pas moins que le droit moral est un concept unitaire comprenant diffrents caractres numrs par l'article L 121-1 du CPI 14 . Aprs avoir nonc, dans l'alina premier de cet article, que l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualit et de son uvre, le lgislateur ajoute dans les deux alinas suivants que " ce droit est attach sa personne (1). Il est perptuel (2), inalinable (3) et imprescriptible (4)"; il convient, pour complter cette numration, d'ajouter qu'il est insaisissable (5).

1- Un droit attach la personne14. Cet attachement la personne aura d'importantes consquences quant l'exercice du droit moral (A). Aussi, l'on en retiendra un intrt pratique considrable, notamment pour protger l'auteur (B).

A- Consquences quant l'exercice du droit moral15. Il est admis que ce caractre vaut pour le droit moral dans son ensemble, et pas seulement pour les prrogatives vises l'article L 121-1 du CPI15. Il en rsulte alors que l'exercice du droit moral est en principe rserv l'auteur. En d'autres termes, un crancier de l'auteur sera exclu, par exemple, du bnfice de l'action oblique de l'article 1166 du C.civ. 16. Un problme vient se poser lorsque l'auteur est un incapable mineur ou majeur; il devrait pouvoir exercer personnellement son droit moral. Une hsitation peut cependant surgire lorsque l'auteur est hors d'tat d'exprimer ce consentement. Le problme n'est en effet abord par l'article L 132-7 alina 2 du CPI que sous l'angle des droits patrimoniaux. Il semblerait que le reprsentant lgal ne saurait prendre lui-mme l'initiative de divulguer une uvre: c'est en ce sens qu'une doctrine autorise se prononce16. 17. Le caractre personnel du droit moral peut faire douter de la possibilit d'en confier l'exercice un mandataire. Une telle solution ne semble cependant pas prescrite par la loi 17 ; on pourra donc admettre qu'une socit de gestion collective soit expressment14

Au demeurant, la loi de 1957 n'utilisait aucun moment l'expression "droit moral" , se rfrant seulement des "attributs" soumis une rglementation distincte. 15 V. en ce sens, voquant le caractre "personnalissime" du droit moral, G. Cornu, Les rgimes matrimoniaux, me Thmis, 8 d., 1997, p.320. 16 A. et H.-J. Lucas op. cit. n382; V. aussi X. Linant De Bellefonds "Droits d'auteur et droit voisins" Dalloz 2002, p.245. 17 P-Y Gautier, Le mandat en droit d'auteur : Mlanges Franon, Dalloz, 1995, p. 223-234.

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investie d'un tel pouvoir. Aussi, la jurisprudence fait bnficier les personnes morales exploitant une uvre d'une protection possessoire, l'gard des tiers contrefacteurs. A supposer que l'uvre soit la cration d'un salari, la socit sera "mandate" pour dfendre les droits sur l'uvre sans avoir prouver une quelconque cession de droits18. Mais, afin d'viter toute drive, il sera plus prudent d'associer l'auteur au processus de dcision autant que faire se peut.

B- Intrts quant la protection de l'auteur18. Il s'agira principalement de protger la personnalit intellectuelle de l'auteur (1); cela dit, si la notorit d'un auteur venait s'teindre suite une mauvaise exploitation de ses oeuvres, le droit moral ne pourrait aucunement intervenir (2).1- La protection de la personnalit intellectuelle

19. Pour reprendre la formule de M.Colombet, le droit moral s'attache l'auteur comme "la lueur au phosphore"19. L'intrt pratique de cette caractristique apparat lorsque, dans certains contrats, il est impos l'auteur de crer des uvres trop nombreuses, dans un laps de temps trop court; en effet, l'auteur tant tenu de respecter un rendement dtermin, il est fortement probable que cela sera de nature compromettre la qualit de l'uvre, et par l mme, la rputation et l'avenir de l'auteur. La jurisprudence sera amene censurer ces contrats au motif que le droit moral se dtache de la personnalit de l'auteur. Il semble alors intressant de rapporter cette dcision de la cour d'appel d'Aix-enProvence20, qui annula comme contraire aux principes qui rgissent la proprit artistique, un contrat dont les clauses essentielles ne respectaient pas la personnalit du peintre, sa libert cratrice et son droit moral en lui imposant, en change d'une mensualit modique, un nombre d'uvres fonction de la cadence des ventes. La cour releva que le rythme de production impos portait atteinte au droit moral de l'artiste qui, contraint de fournir une certaine quantit de toiles, pouvait se trouver oblig de livrer des uvres qu'il considrait comme inacheves ou imparfaites. C'est donc lorsque l'auteur a perdu toute sa libert, que le droit moral vient finalement se dtacher de sa personne; dans de telles circonstances en effet, l'opportunit d'une divulgation de l'uvre est laisse au marchand de tableau et la convention doit alors tre annule, car l'artiste ne peut plus suffisamment exercer son droit fondamental. 20. Il convient nanmoins de prciser que l'engagement que prend l'artiste de fournir priodiquement, pendant une certaine dure, un nombre dtermin de ses uvres n'a en soi rien d'illicite21. Il n'en sera autrement que lorsque la partie envers laquelle il a t pris, et qui a elle mme l'obligation d'aider l'artiste dvelopper son talent, lui aura fait des conditions de travail telles qu'elles constitueront au contraire une entrave ce dveloppement. La Cour de cassation22, dans l'affaire Etat gabonais c/ Antenne 2 a en effet prcis dans le cadre d'une commande des fins publicitaires: "attendu que [] le droit moral18 19

Cf. infra n48 et s. me Claude Colombet, "Proprit littraire et artistique et droits voisins" 9 d. Prcis Dalloz. 20 CA Aix, 23 fvrier 1965: D. 1966.166, note Savatier. 21 CA Paris, 15 novembre 1966, D.1967.284. re 22 Cass. 1 civ., 7 avril 1987, Etat gabonais c/ Antenne 2: Bull. civ. I, n. 124; RIDA 4/1987, p. 197; D. 1988, 97, me 2 esp., note Edelman; RTD com. 1988, p. 225, obs. Franon.

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de l'auteur sur son uvre ne prexiste pas celle-ci et que l'auteur peut, au pralable, lgalement consentir par convention limiter sa libert de cration". Ainsi, l'auteur peut valablement aliner sa libert de cration, mais cela ne saurait en aucun cas le priver de son droit moral qui existe mme en prsence d'une uvre inacheve.2- L'absence d'influence sur la perte de notorit

21. En revanche, le droit moral ne devra pas servir sanctionner la perte de notorit rsultant de l'inexploitation ou de la mauvaise exploitation d'une uvre puisque sa finalit consiste protger la personnalit de l'auteur. Comme l'a prcis la Cour de cassation 23, l'article L 121-1 du CPI ne protge que les droits de proprit incorporelle de l'auteur, quelle que soit sa notorit ou la valeur de son uvre; ainsi, "en fait une fausse application la dcision qui, aprs avoir [] condamn ce dernier (un marchand de tableaux) rparer le prjudice rsultant de ses agissements ayant abouti la baisse de la cte du peintre, ordonne que les tableaux de cet artiste dont le marchand est encore propritaire ne pourront tre vendus que sous le contrle d'un expert [], au seul motif que le marchand avait liquid des toiles du peintre dans des conditions dsastreuses pour la rputation de celui-ci qui pouvait exiger le respect de son droit moral pour l'avenir". En effet, aucun des attributs du droit moral n'taient mis en chec; ainsi du droit de divulgation, ainsi du droit au respect de son nom et de l'uvre. En outre, l'exploitation d'une uvre, aussi mauvaise soit-elle, ne relve pas du droit moral, mais simplement des obligations du cessionnaire des droits patrimoniaux. Il n'y a donc pas dans ce cas dtachement du droit moral de la personne de l'auteur.

2- La perptuit22. En consacrant la perptuit du droit moral, le lgislateur signifie la fois que la dure du droit moral n'est pas identique celle du monopole d'exploitation qui est temporaire, et que ce droit, quoiqu'tant destin protger la personnalit de l'auteur telle qu'il l'a exprime dans son uvre, n'est pas non plus un droit viager, la diffrence des droits gnraux de la personnalit. 23. Le droit moral va ainsi subsister aprs l'expiration du droit pcuniaire. Le lgislateur l'a expressment rappel propos de l'un des ses attributs, le droit de divulgation. En effet, l'article L 121-2 alina 3 du CPI dispose que "ce droit [de divulgation] peut s'exercer mme aprs l'expiration du droit exclusif d'exploitation dtermin l'article L 123-1". La perptuit du droit moral ne semble donc pas incompatible avec la nature personnelle des prrogatives en cause. Elle est fonde, selon M. Desbois, sur le fait que l'uvre survit ellemme son auteur, tout en restant marque de l'empreinte de sa personnalit. Mais il est vident que cette perptuit deviendra de plus en plus thorique au fil des dcennies, faute de personnes susceptibles d'agir en justice pour le dfendre.

3- L'inalinabilit24. L'inalinabilit du droit moral trouve sa cause dans l'ordre public (A). Toutefois, la ralit conomique mrite d'apporter quelques nuances ce principe (B).23

Civ. I, 3 dcembre 1968, D.1969.73, note Lindon; V. aussi Civ. I, 10 mai 1995, D. 1996.114, n. Edelman.

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A- Un principe tenant au caractre d'ordre public du droit moral25. L'inalinabilit fut affirme initialement par la jurisprudence24. En l'espce, il s'agissait du peintre Rouault, qui avait remis des toiles non acheves ni signes, moyennant rmunration un marchand de tableaux qui s'tait engag les retourner l'artiste pour dernire rvision et signature. Les hritiers du marchand en revendiquaient la proprit et refusrent de les restituer au peintre. Le tribunal en conclu que la remise des tableaux dans ces conditions n'avait nullement opre transfert de la proprit au marchand. Le tribunal se fondait sur une incessibilit du droit moral et sur l'impossibilit de le restreindre par quelconque convention. Le dispositif du jugement refltait alors cette suprmatie du droit moral et de l'art en gnral: " Attendu que, plus spcialement en matire de peinture, l'intrt suprieur de l'art exige que le peintre, seul possesseur de ce qui est le plus beau dans l'homme, c'est--dire la pense cratrice, soit le seul juge de ce moment o l'uvre doit tre considre comme dfinitive [] Attendu que la possibilit pour le peintre de revenir sur une uvre inacheve est la consquence du droit de libre dveloppement de la personnalit humaine, droit qui est de la nature mme que tous les droits inhrents la libert de l'homme; qu'il s'agit l de droits qu'on ne peut cder et qui ne peuvent tre restreints par aucune convention;". L'inalinabilit du droit moral a t confirme par le lgislateur. Cette inalinabilit vise non seulement les cessions un diteur25, par exemple, mais aussi les renonciations. Dans le cadre de ces dernires, la Cour de cassation 26 a prcis que la clause d'un contrat autorisant le producteur passer outre au dfaut d'accord du ralisateur est atteinte d'une nullit d'ordre public. Ainsi, comme le dit M. Desbois 27 , l'auteur ne peut renoncer la dfense de sa personnalit, sous peine de commettre un "suicide moral".

B- Un principe nuanc26. La conscration d'un tel principe, qui est logique, ne peut cependant tre absolue. Le fait qu'un droit subjectif ait un caractre d'ordre public ne peut permettre de prohiber par principe n'importe quelle renonciation. On concevra en effet que renoncer prmaturment son droit de divulgation ou son droit de repentir s'avre extrmement dangereux pour les intrts de l'auteur. En revanche, un amnagement des droits au respect du nom et de l'uvre peut tre tolrable. De par le pass, la jurisprudence admettait sans aucune condition la renonciation au droit de paternit 28 et celle-ci s'imposait aux hritiers de l'auteur 29 . Dans cette affaire , il s'agissait d'un cas de collaboration occulte entre l'pouse de l'auteur principal et ce dernier (Mr et Mme Daudet). La cour d'appel de Paris retenait alors que lorsqu'il apparat que la volont commune de l'auteur et de son pouse est de laisser au premier la qualit d'auteur unique de l'uvre, les hritiers, dpositaires de la volont de l'auteur, ne peuvent tre autoriss la trahir en faisant sortir chacun des poux de la mission qu'ils se sont donne l'un et l'autre. Au travers de cette dcision, la cour a n'a donc pas censur la volont de l'pouse qui24 25

Cf. par exemple, Trib. civ. Seine, 10 juillet 1946, D.1947.98, note Desbois, JCP 1947.3405, note Plaisant. me CA Paris, 4 ch., 23 novembre 1977, Ann. Prop. Ind. 1979, p. 68. re 26 CA Paris, 1 ch., 14 juin 1950: D. 1951, p.9, note Desbois; Gaz. Pal. 1950, 2, p. 78 (affirmant la ncessit de re protger l'uvre "contre l'indiffrence momentane de l'auteur lui-mme"). V. aussi Cass. 1 civ., 7 fvrier 1973: D. 1973, p. 363, note Edelman; Gaz. Pal. 1973, 1, p. 404, note Sarraute. 27 Desbois, op. cit., 382. 28 Cour de Paris, 14 novembre 1859, affaire Maquet et Dumas, Ann. 1859. 390. 29 CA Paris, 9 juin 1964, affaire Daudet, JCP 1965 II 14172, n. Franon.

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constituait bien une renonciation la "qualit d'auteur", c'est--dire la paternit. Un tel amnagement du principe d'inalinabilit est intressant, notamment en matire de "ngritude littraire"30. De mme, le droit au respect de l'uvre n'est pas intangible, mais nous y reviendrons dans le cadre de l'tude de l'exercice des prrogatives du droit moral 31.

4- L'imprescriptibilit27. Il convient de distinguer la prescription du droit lui-mme, ou de sa jouissance (1), de la prescription de l'action visant sanctionner une atteinte ce dernier (2).

A- Le rejet des prescriptions acquisitive et extinctive28. La prescription, comme mode d'acquisition d'un droit ou usucapion rsulte de la possession lgale d'un bien prolonge pendant un certain temps. Or, il est unanimement admis que la possession est une notion inadapte aux droits de proprit intellectuelle. M. Cornu le montre bien: " ne donnant par hypothse aucune prise une apprhension, au pouvoir brut d'une dtention matrielle, ces meubles incorporels sont soumis des rgimes juridiques fort divers, mais dont le trait commun, par une diffrence spcifique avec les meubles corporels, est de ne faire aucune part la possession"32. 29. On voit alors mal que le droit moral puisse tre acquis, par quelque moyen que ce soit, au profit de quelqu'un qui ne serait pas le crateur de l'uvre. L'article L 121-1 du CPI dispose que ce droit est perptuel et imprescriptible. Ces deux notions ne font pas double emploi. En effet, l'imprescriptibilit signifie que le droit moral ne se perd pas par le nonusage, ft-il trentenaire, et que l'auteur ou ses ayant droit ne peuvent se voir opposer une longue inertie dans la dfense du droit moral comme cause d'extinction de ce droit. Le caractre imprescriptible pos par ce texte vise aussi bien la prescription extinctive, au dtriment de l'auteur, que la prescription acquisitive, au bnfice d'un tiers. 30. On soulignera nanmoins l'admission par la Cour de cassation d'une forme de protection possessoire, au bnfice de la personne morale exploitant une uvre et dsireuse d'agir contre des tiers contrefacteurs33.

B- La question de la prescription de l'action31. On a vu que le droit moral ne pouvait se perdre, ou s'acqurir par prescription. Pour autant une action visant rparer une atteinte au droit moral n'est-elle soumise aucun dlai ? Ce n'est a priori pas le cas, cette action se prescrit selon les rgles du droit commun; l'auteur ou ses hritiers devront donc intenter l'action dans les trente ans qui suivent l'atteinte. On rapportera cependant l'avis de certains auteurs34 qui ont considr que l'action en contrefaon est une forme d'action en responsabilit civile, puisqu'elle a un caractre indemnitaire, et qu'il suffit donc d'appliquer le dlai de prescription dcennal30 31

Cf. infra n190. Cf. infra n213. me 32 G. Cornu, Droit civil: introduction, 8 d. n 1679. 33 Cf. infra n48 et s. 34 P-Y. Gautier op. cit. 434.

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pos l'article 2270-1 du code civil. Cela dit, la jurisprudence 35 a prcis que l'action visant restaurer la paternit de l'auteur chappait cette prescription. On ne peut alors qu'approuver cette solution. En effet, l'article L. 113-1 du CPI dispose bien que "la qualit d'auteur appartient, sauf preuve contraire, celui ou ceux sous le nom de qui l'uvre est divulgue". Or, la qualit d'auteur confre un droit moral qui, rappelons-le, ne peut tre usucap par des tiers ni perdu par le non usage. Cette qualit d'auteur dpendant du nom sous lequel l'uvre est divulgue, il semble justifi que toute "preuve contraire" puisse tre rapporte n'importe quel moment; une solution contraire viderait a priori le droit moral de sa substance.

5- L'insaisissabilit32. L'insaisissabilit apparat comme une consquence ncessaire de l'inalinabilit. Si une saisie peut porter sur l'uvre d'art elle-mme, en tant que bien matriel, ou sur les redevances issues de l'exploitation de l'uvre, elle ne peut en aucun cas porter sur le droit moral. En raisonnant a contrario, autoriser une telle prrogative aux cranciers reviendrait leur permettre d'exercer le droit de divulgation la place de l'auteur, ce qui serait profondment contestable. De mme, les cranciers se verront exclus du bnfice d'une action oblique (art. 1166 C.Civ.) ou paulienne (art. 1167 C.Civ.) qui concernerait le droit moral.

33. Nous traiterons dans un premier temps de la titularit du droit moral (Titre I), dont on verra qu'elle pourra tre source de nombreux conflits. Dans quelle mesure un auteur ou ses hritiers peuvent-ils opposer leur droit moral l'exploitant ou au propritaire d'une uvre? Le droit moral prsente-t-il un intrt systmatique? Supporte-t-il des limites? Un exploitant doit-il rellement craindre le droit moral? Nous tenterons d'apporter des rponses ces questions lorsque nous examinerons, dans un deuxime temps, l'exercice du droit moral (Titre II).

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Cass. Civ. 1

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, 17 janvier 1995: JCP G 1995 IV 689; Civ. I, 6 mai 1997, RIDA 1997 n174 p. 231.

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Titre I- La titularit du droit moral

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34. Comme tout droit subjectif, pour le faire respecter, encore faut-il en tre le titulaire. C'est la question que nous allons aborder dans le prsent titre. Il s'agit de s'interroger ici sur le titulaire originaire, ab initio, sur la tte duquel natront les droits d'auteur. L'intrt de cette question rside en ce que tout moment, l'auteur ou ses hritiers pourront engager une action visant dfendre leur droit moral sur l'uvre; en effet, si l'auteur est libre de cder ses droits patrimoniaux ( et parfois mme la cession sera prsume, comme dans le contrat de production audiovisuelle ou le contrat de commande pour la publicit 36), le titulaire originaire conservera en tout hypothse l'exercice du droit moral, dont on a voqu l'inalinabilit. 35. Nous envisagerons alors deux priodes: la premire tant le vivant de l'auteur, o il bnficie "personnellement" du droit moral (Chap.1); la deuxime se situant postrieurement son dcs, car, l'encontre des droits de la personnalit proprement parler, le droit moral est transmissible cause de mort; on parlera alors du droit moral post mortem (Chap.2).

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Art. L 132-23 et L 132-31 du CPI.

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Chapitre 1- La titularit du vivant de l'auteur

36. Une uvre, quel que soit son genre, n'est pas ncessairement le fruit d'un travail d'un seul auteur (I). En effet, il est bien des crations intellectuelles de mme genre ou regroupant des genres diffrents, issues d'une collaboration; le code de la proprit intellectuelle comporte alors de nombreuses dispositions en cas de pluralit d'auteurs (II).

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Section I- L'auteur37. L'auteur est la personne qui va bnficier des droits moraux et patrimoniaux. Mais qu'entend-on par le terme "auteur" ? La jurisprudence, plus que la loi, a dgag des principes gnraux permettant d'attribuer la qualit d'auteur (1). Aussi est-il ncessaire de s'interroger sur une ventuelle interfrence sur la titularit du droit moral, rsultant de la situation matrimoniale (2) ou salariale (3) de l'auteur, ou encore, de son appartenance la fonction publique (4).

1- Principes gnraux rgissant la qualit d'auteur38. On dnombrera trois principes gouvernant la qualit d'auteur. On remarquera, et bien que cela ne figure pas dans la loi, que l'auteur ne peut tre qu'une personne physique (B) qui bnficiera d'une prsomption de la qualit d'auteur lorsque l'uvre sera divulgue sous son nom (C). Mais, dans un premier temps, il conviendra de prciser la notion d'auteur (A).

A- La notion d'auteur39. Nulle dfinition de l'auteur n'est donne par la loi. Cependant, en s'attachant la conception personnaliste du droit d'auteur, et tel qu'il en ressort de l'esprit des textes, l'auteur est celui dont la personnalit s'est exprime dans l'uvre; il faut une intervention originale. C'est ce lien tnu entre l'uvre et la personnalit du crateur qui investit ce dernier des droits d'auteur. On relatera les propos de M. Linant de Bellefonds 37 , qui constate une quipollence "auteur-crateur", car selon lui, le crateur marque l'uvre de l'emprunte de sa personnalit: ainsi de l'crivain, du compositeur, ou du chorgraphe. C'est donc en examinant ce lien que l'originalit pourra tre caractrise et que la qualit d'auteur sera susceptible d'tre reconnue certaines personnes. 40. Il est constant que les ides ne sont pas protgeables en elles-mmes, et ce, partant du postulat qu'elles doivent pouvoir tre reprises sans que ceux qui les ont conues prtendent pouvoir se les approprier. C'est la forme mme dans laquelle elles sont exprimes qui donne prise au droit d'auteur. Pour autant, la personne ayant apport l'ide ou le thme l'origine de la cration d'une uvre peut-elle tre considre comme coauteur? M.Lindon38 a en effet avanc que l'ide ne devrait pas tre considre in abstracto, celle-ci tombant effectivement dans le fond commun, mais qu'il serait bienvenu de retenir la protection une ide confie par une personne une autre, en vue de sa ralisation dans un autre domaine que le cercle des uvres littraires: le concepteur ne devrait pas se voir refuser un droit d'auteur puisque sans lui l'uvre n'aurait pas t cre. Cette suggestion n'est cependant pas sans appeler quelques remarques. En effet, Claude Colombet39 soulve le problme des "ides banales, courantes, uses" et retient que ds lors, la protection du fournisseur d'ides ne pourrait s'admettre qu'en s'attachant son37 38

Xavier Linant de Bellefonds, op. cit. n 315. R. Lindon, L'ide artistique fournie un tiers en vue de sa ralisation, JCP 1970. I. 2295. 39 Cf. note ss. Cass. Civ. 1re 13 novembre 1973: D. 1974 p.533.

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mrite, et cela paratrait tout fait contestable eu gard aux principes du droit d'auteur. Ainsi, sur cette question, la jurisprudence est constante et ne reconnat pas la qualit d'auteur la personne fournissant une ide ou un thme: " Attendu qu'une esquisse, bauche d'une uvre d'art, tire toute sa valeur de l'expression particulire que la sensibilit du peintre a su donner l'ide interprter, et non point de l'ide elle-mme, dpouille de son expression artistique; que son vritable auteur n'est donc pas le dcorateur, qui a fourni l'ide, mais le peintre qui a su lui donner forme et couleurs;" 40. 41. Pas plus que celui qui s'est limit fournir l'ide ou le thme, le simple excutant matriel ou, plus gnralement, celui qui suivra la lettre des instructions, ne pourra se prvaloir de la qualit d'auteur. Ainsi du ralisateur qui se conformera au cahier des charges trs prcis du producteur 41 , ou du ralisateur d'missions tlvises considr comme simple prestataire de services techniques 42 ; ainsi de celui qui se contentera d'appuyer sur le dclencheur d'un appareil de photo aprs qu'une autre personne ( qui l'on reconnatra la qualit d'auteur) ait choisit le sujet, le moment, "procd aux oprations de rglage de l'appareil, de mise au point de l'image et de cadrage de la photographie"43. 42. Enfin, l'on peut ajouter qu'un travail de restauration, malgr de longues recherches et analyses pour la reconstitution ne pourra attribuer la qualit d'auteur, c'est ce qu'a fait remarquer la cour d'appel de Paris44: " Considrant qu'un individu ne peut valablement soutenir qu'en restaurant la copie de 1963 des Vampires il a ralis une uvre de cration au sens du droit d'auteur, que la cration d'une uvre nouvelle, que ce soit une adaptation ou une uvre composite, suppose un apport original alors que la restauration implique la fidlit la plus stricte l'image et l'esprit de l'uvre d'origine []". Dans l'espce, il ne s'agissait pas de respecter la lettre des instructions, mais de rester fidle l'uvre originale, en se gardant de tout apport personnel.

B- L'auteur, personne physique43. Autre consquence de la conception personnaliste du droit d'auteur, le monopole ne pourra natre que sur la tte d'une personne physique. Cela est vis expressment par les articles L 113-2 al 1er pour l'uvre de collaboration, L 113-7 al 1er pour l'uvre audiovisuelle et, pour l'uvre radiophonique, par l'article L 113-8 al 1er . Quant l'article L 113-1 du CPI, il n'apporte gure de prcisions, s'en tenant prsumer la qualit d'auteur "celui ou ceux sous le nom de qui l'uvre est divulgue". Depuis un arrt de 1982, la solution consacre par la Cour de cassation 45 est que, l'hypothse de l'uvre collective mise part, seules les personnes physiques pourront avoir la qualit d'auteur: " Attendu qu'il rsulte de ces textes [ art. L 113-1, L 113-2, et L 113-5 du CPI] qu'une personne morale ne peut tre investie titre originaire des droits d'auteur que dans le cas o une uvre collective, cre son40

T. Civ. Seine 19 ch. 29 avril 1955: JCP G 1955, II, 8966; V. aussi, TGI Paris, 3 ch. 21 janvier 1983: D. re 1984, inf. rap. p.286, obs. Colombet; Cass. Civ. 1 8 novembre 1983: Bull. civ. I, n260; Cass. Crim. 26 janvier 1965: JCP G 1965, IV, p. 30, refusant tout droit d'auteur au client d'un architecte qui a prcis ses dsirs et ses gots par des esquisses sommaires tablies gratuitement par un autre architecte ami. 41 CA Poitiers, 7 dcembre 1999, JCP E 2000 p. 1375 n. Brochard. re 42 Cass. Civ. 1 29 mars 1989, RIDA juill. 1989, p.202. 43 TGI Paris, 6 juillet 1976: JCP 1978. II. 18840, note Manigne; RTD com. 1977. 117, obs. Desbois. 44 CA Paris, 5 octobre 1994: D. 1996. 53, obs. Edelman. re 45 Cass. Civ. 1 17 mars 1982 : JCP G 1983, II, note Plaisant; D. 1983, inf. rap. p. 89, obs. Colombet. V. Aussi re Cass. Civ. 1 19 fvrier 1991 : Bull. Civ. I, n67.

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initiative est divulgue sous son nom;[] ". C'est dans le domaine des arts appliqus que cette solution s'est vue oppos le plus de rsistance 46 et, malgr certaines dcisions divergentes 47 , on pourra nanmoins la tenir pour certaine. En effet, de mme qu'une personne morale n'exerce son activit qu'au travers de ses reprsentants, il parat douteux qu'elle puisse crer par elle-mme, sans l'intervention de personnes physiques; Il semble difficile de soutenir qu'une personne morale ait une personnalit cratrice propre. Sur ce point, la jurisprudence s'est montre parfois intrigante. On relvera un arrt de la Cour de cassation48 qui invitait les juges d'appel rechercher si "la socit Hayat n'avait pas fait uvre personnelle en appliquant la fabrication des chandails de cette forme une technique de tissage particulire de nature donner l'ensemble un aspect distinctif, caractristique d'une cration originale []". Rendues leur contexte, ces dcisions peuvent priori se justifier. Il s'agissait en l'espce de socits exploitant des uvres d'art appliqu et dsireuses d'agir en contrefaon l'encontre de tiers. Alors, certainement dans un souci d'allgement procdural et de "justice", les juges se sont fonds sur cette fiction pour leur reconnatre la qualit d'auteur et faire aboutir leur demande. Par ailleurs, ces quelques drives jurisprudentielles ne devraient plus avoir lieu d'tre, puisqu'il est maintenant reconnu aux personnes morales exploitant une uvre, et en l'absence de revendication des auteurs personnes physiques, une prsomption de titularit des droits l'gard des tiers contrefacteurs. 44. Enfin, si une personne morale ne peut tre titulaire ab initio des droits d'auteurs (except le cas de l'uvre collective), rien ne l'empche d'en tre le cessionnaire. Mais cela ne sera bien videmment valable qu' l'gard des droits patrimoniaux, le droit moral tant inalinable.

C- La prsomption de la qualit d'auteur45. L'article L 113-1 du CPI fait bnficier les personnes physiques, sous certaines conditions, d'une prsomption de la qualit d'auteur (1). Il importe en effet, lorsque tout porte croire qu'un auteur a ralis une uvre, de lui viter d'avoir rapporter la preuve de sa paternit. Aussi, la jurisprudence a largi cette prsomption au bnfice des personnes morales exploitant une uvre (2).1- La prsomption de la qualit d'auteur personne physique

46. L'article L 113-1 du CPI dispose que "la qualit d'auteur appartient, sauf preuve contraire, celui ou ceux sous le nom de qui l'uvre est divulgue". Cette prsomption pourra tre invoque par tous les crateurs dont le nom a t port la connaissance du public d'une manire quelconque. On citera titre exemple, le scnariste dont le nom

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CA Paris 10 dcembre 1980: D. 1981, p.517, n. Greffe, les juges affirmant que la loi du 11 mars 1957 relative aux droits d'auteur ne contient, selon une jurisprudence constante, aucune disposition refusant expressment le bnfice de ses prescriptions aux personnes morales. re 47 Cass. Civ. 1 17 dcembre 1991: RIDA 2/1992, p.190 (la cour d'appel a "constat que la socit Sipa Press s'tait prsente comme l'auteur de la photographie"); V. aussi Cass. Com. 24 janvier 1995: JCP G 1995, IV, 734, contestant l'affirmation qu'une socit est l'auteur d'un modle, mais uniquement au motif que l'originalit n'est pas tablie. re re 48 Cass. Civ. 1 8 dcembre 1987: RIDA 2/1988, p. 139; Bull. Civ. I, n341; V. aussi Cass. Civ. 1 10 mai 1995: RIDA 4/1995, p.291, approuvant la cour d'appel qui avait estim que le sac cr par la socit Chanel traduisait, par la combinaison de ses lments caractristiques, un effort personnel de cration.

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figure sur un scnario divulgu49, le ralisateur dont le nom figure sur le texte crit du scnario ou sur des coupures de presse, et cela mme si le gnrique du tlfilm n'en fait pas mention50, ou, encore, les metteurs en scne et scnariste mentionns au gnrique sous la forme " un film de"51. Mais la mention du nom de l'auteur doit tre dpourvue d'quivoque, de sorte que la mention "avec le concours de " apparat comme ambigu et se rvle donc insuffisante52. A notre sens, cette solution tient de l'opportunit et s'avre critiquable. Exclure une personne du bnfice de la prsomption lorsqu'il est mentionn qu'elle a apport (simplement) son concours ne revient-il pas prendre en considration le mrite? Au regard des principes accordant la protection du droit d'auteur cela n'est pas satisfaisant. 47. L'uvre une fois divulgue sous le nom d'un autre auteur, ce sera au demandeur ou ses hritiers qu'incombera la charge de la preuve contraire, car il s'agit d'une prsomption simple qui peut tre combattue par tous moyens. La Cour de cassation53 n'a pas manqu de le rappeler dans un litige opposant les hritiers de Boris Vian aux co-auteurs d'un film tir d'un scnario initial de celui-ci (scnario tir du roman "J'irai cracher sur vos tombes"): " Mais attendu, d'abord, que l'art. L 113-1 c. propr. intell. institue une prsomption simple de la qualit d'auteur et ne s'oppose pas ce que cette qualit soit galement reconnue une ou plusieurs personnes autres que celles sous le nom de qui l'uvre a t divulgue;". Aussi, par exemple, la rectification de l'tiquette fausse appose sur un disque suffira renverser cette prsomption: "la cour d'appel a souverainement estim qu'en invoquant la rectification immdiate, sur les tiquettes des disques, du nom sous lequel l'uvre tait ainsi divulgue par erreur, M.Perez et la socit Hugh Music apportaient la preuve contraire prvue par l'article 8 de la loi du 11 mars 1957"54. En cas de contestation, les juges du fond apprcieront souverainement les lments et les faits prsents par celui qui se prvaut de la prsomption55.2- L'application de cette prsomption aux personnes morales

48. Depuis une dizaine d'annes, on peut constater un courant jurisprudentiel favorable aux personnes morales dsireuses d'agir en contrefaon. Jusqu'alors, les personnes morales concernes devaient prouver, conformment l'article L 113-5 du CPI56, qu'elles taient soit propritaires d'une uvre collective et donc investies des droits de l'auteur, soit cessionnaires des droits patrimoniaux. La solution alors logique du point de vue des principes rgissant les droits d'auteur, avait cependant pour consquence de permettre aux contrefacteurs d'chapper aux poursuites, car bien souvent, l'absence d'crit translatif des droits patrimoniaux entre les auteurs vritables et ces personnes morales s'expliquait soit par une mconnaissance des rgles relatives aux crations des salaris 57 , soit par la49 50

Cass. Civ; 1 3 juillet 1990: RIDA avril 1991, p.116; RTD Com. 1991, 48, obs. Franon. TGI Paris, 29 mai 1987: Cah. Dr. Auteur, fvrier 1988, p.32. 51 CA Paris, 6 juin 1991: Juris-Data n 022501. 52 TGI Paris, 17 fvrier 1999: Com. Comm. Elec. 2000, Comm. n62 ( 2me esp.), obs. Caron. re re 53 Cass. Civ. 1 24 novembre 1993: RIDA avril 1994, p.216; D.1994, p.405, 1 esp. Note Edelman. re 54 Cass. Civ. 1 23 mars 1983, Gaz. Pal. 1983. 2. Panorama p. 226. er 55 Bourges, 1 juin 1965, D. 1966. 44, n. Delpech, retenant que la SACEM ne saurait tre considre comme ayant qualit pour confrer ou refuser de confrer la qualit d'auteur, cette qualit s'induisant d'lments et de faits dont le juge conserve une entire libert d'apprciation. 56 Article L 113-5 du CPI: " L'uvre collective est, sauf preuve contraire, la proprit de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulgue. Cette personne est investie des droits de l'auteur". 57 Art. L 111-1 du CPI: indiffrence de l'existence d'un contrat de travail: les droits appartiennent ab initio aux auteurs.

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croyance errone en une qualification de la cration en cause en uvre collective. Certainement dans un souci d'allgement procdural, la haute juridiction procda un renversement de la charge de la preuve. 49. En effet, elle avait admis dans un premier temps 58 une prsomption d'uvre collective, en l'absence de revendication des auteurs (salaris), au bnfice de la socit exploitant ladite uvre, et dsireuse d'agir en contrefaon. Depuis l'arrt Aro 59 du 24 mars 1993, nombreuses dcisions de la haute juridiction s'inscrivent dans ce courant jurisprudentiel favorable aux personnes morales. Les conditions de mise en uvre de cette prsomption nonces dans l'arrt Aro taient exposes ainsi: " Qu'en l'absence de toute revendication de la part de la ou des personnes physiques ayant ralis les clichs, ces actes de possession (l'exploitation commerciale par la SMD sous son propre nom) taient de nature faire prsumer, l'gard des tiers contrefacteurs, que la socit SMD tait titulaire sur ces uvres, quelle que ft leur qualification, du droit de proprit incorporelle de l'auteur". Mais, il conviendra de rapporter que la formule a volu au gr des espces 60, certaines ne prcisant plus, propos de l'uvre: "quelle que soit sa qualification", d'autres ne faisant pas rfrence aux "actes de possession". Mme si cette construction s'est montre sinueuse dans sa motivation, voir mme dans son fondement, il n'en demeure pas moins qu'elle a t linaire dans l'effet recherch; la rgle prtorienne signifiant que, malgr la lettre de l'article L 113-5 du CPI, la preuve pralable que l'uvre est collective n'est plus exige et, mieux encore, la nature intrinsque d'uvre protgeable possde par la personne morale demandeur l'action en contrefaon lui permet de bnficier de la prsomption. 50. Cette prsomption n'est alors pas sans appeler quelques remarques. Il s'agit en effet d'une prsomption portant sur "le droit de proprit incorporelle de l'auteur". Signifie-telle que la personne morale est prsume titulaire des droit patrimoniaux ou ensemble les droits patrimoniaux et le droit moral? En outre, rendues sous le visa de l'article L 113-5 du CPI, ces dcisions posent priori une prsomption rfragable, mais leur lecture, toute "preuve contraire" semble relativement difficile rapporter par les socits prtendues contrefactrices. 51. La question de savoir sur quels droits porte la prsomption n'est pas sans importance, et cela intressera particulirement notre domaine puisqu'il est maintenant admis par la jurisprudence que la seule violation du droit moral peut constituer une contrefaon: "Qu'en effet, caractrise la contrefaon par diffusion, prvue par l'article L 335-3 du code de la proprit intellectuelle, la mise sur le march de l'art d'une uvre originale, mme abandonne par son auteur, lorsqu'elle est faite en violation du droit moral de divulgation qu'il dtient sur celle-ci en vertu de l'article L 121-2 de ce code"61. On peut constater que les dcisions rendues par la haute juridiction visent l'article L 113-5 du CPI, qui investit des droits de l'auteur (droit moral et droits patrimoniaux) la personne physique ou morale sous le nom de laquelle est divulgue l'uvre collective. Le droit moral semble donc tre inclus dans cette prsomption. Mais,58 59

Cass. Civ. 1 19 fvrier 1991: Bull. Civ. I, n67 (2 arrt). re Cass. Civ. 1 24 mars 1993: JCP 1993, II, 22085, n. Greffe; RTD com. 1995. 418, obs. Franon. V. aussi: re Cass. Civ. 1 9 janvier 1996, D.1996 IR 50; D. Aff. 1996. 300. re 60 Cass. Civ. 3 juillet 1996, D. 1997 p. 328 n. Franon, propos d'un logiciel; Cass. Civ. 1 22 fvrier 2000, Bull. civ. n58 et obs. Sirinelli; Cass. Com. 7 avril 1998, D. Aff. 1998, p. 1054, obs. B.P. et Cass. Civ. 3 avril 2001, D. 2001 Somm. P. 2636, obs. Sirinelli, faisant nouveau rfrence aux "actes de possession". 61 Cass. Crim. 13 dcembre 1995, D. Aff. 1996.274.

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en ce qui nous concerne, en quoi pourrait constituer une contrefaon par violation du droit moral? 52. Raisonnons en premier lieu sur le cas o une socit retarde l'exploitation d'une uvre (collective ou cration d'un salari) et n'a donc pas exerc son droit de divulgation sur cette oeuvre. Une lecture plus attentive des diffrentes motivations des arrts rendus par la Cour indique qu'il est fait rfrence soit aux actes d'exploitation, soit aux actes de possession de l'uvre, et cela n'est pas sans consquences. Les actes d'exploitation sous entendent qu'il y ait eu au pralable divulgation. Une socit ne pourrait donc se prvaloir de la prsomption, faute d'exploitation ncessitant une divulgation pralable. Pire mme, la socit contrefactrice serait, quant elle, fonde invoquer la prsomption! En revanche, il convient de prciser ce qu'a voulu entendre la Cour de cassation par "actes de possession". Les lments de la possession sont le corpus et l'animus domini. La Cour admet implicitement que le corpus, qui dsigne le pouvoir de fait exerc sur une chose que l'on possde, peut porter sur une chose incorporelle62. Les actes de possession correspondront vraisemblablement aux actes juridiques de divulgation et d'exploitation. En ce qui concerne l'animus domini, il suffira que l'exploitant personne morale se comporte en matre de la chose, c'est--dire comme s'il tait auteur ou cessionnaire. L encore, la prsomption sera au bnfice de la socit prtendue contrefactrice. 53. En deuxime lieu, on pourrait envisager une violation du droit au respect au nom ou au respect de l'uvre. Cette situation suppose que deux socits exploitent la mme uvre, mais l'une le fait en violation des droits moraux de l'autre. Il est clair que s'il y a eu une cession pralable des droits d'exploitation, la prsomption s'avre inutile puisque la socit plaignante dispose de l'acte de cession. En revanche, s'il n'y a pas eu de cession, la socit contrefactrice violera la fois les droits patrimoniaux et le droit au nom, voire mme le droit au respect de l'uvre. Partant, la contrefaon par violation du droit moral est accessoire une contrefaon par violation des droits patrimoniaux. Sur ce point alors, le dbat se rvle thorique tant il est difficile voire impossible d'imaginer une simple violation du droit moral. 54. Enfin, il convient de se demander en quoi pourrait consister la preuve contraire. Laisser allguer la personne poursuivie que le demandeur est une personne morale qui ne peut tre regarde comme titulaire ab initio des droits (except l'uvre collective) reviendrait ruiner immdiatement la construction jurisprudentielle, car celle-ci joue quelle que soit la qualification de l'uvre. De mme, admettre que le prtendu contrefacteur puisse exiger la production des contrats de cession conduit au mme constat puisque c'est justement pour viter cela que la prsomption a t labore. La Cour de cassation63 a d'ailleurs refus d'accueillir ce mode de dfense: "Attendu que pour dclarer irrecevable l'action en contrefaon dirige par la socit Ateliers Jean Perzel contre la socit Sofar, [], l'arrt attaqu nonce que la socit Ateliers Jean Perzel, qui exploite l'uvre, ne justifie pas avoir bnfici d'une cession des droits de l'auteur, et que, l'objet n'ayant pas le caractre d'une uvre collective, la prsomption dicte par l'article susvis (art. L 113-5 du CPI) ne pouvait s'appliquer; en quoi la cour62

F. Pollaud-Dulian, De la prescription en droit d'auteur: RTD civ. 1999, p.585-595, reconnaissant la forme d'une protection possessoire; V. aussi P. Tafforeau, de la possession d'un droit d'auteur par une personne morale, Comm. Com. Elec. 2001 Chro. n10. re 63 Cass. Civ. 1 22 fvrier 2000, Bull. civ. n58, obs. Sirinelli.

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d'appel a viol ce texte, par fausse application". Dans une espce plus rcente, les hauts magistrats 64 ont confirm la solution de la cour d'appel de Lyon qui s'tait montre indiffrente aux arguments du contrefacteur qui soulignait non seulement le caractre tardif (postrieur aux demandes) mais aussi irrgulier du transfert des droits d'auteur du crateur vers la socit (absence au profit de l'auteur de la participation aux recettes provenant de la vente ou de l'exploitation). On peut finalement se demander si les juges entendent encore rserver une place la possibilit de renversement de la prsomption. On serait alors en prsence d'une prsomption irrfragable, certains auteurs, tels M. Sirinelli65, avanant mme que la solution propose n'est plus une rgle de preuve mais une rgle de fond.

2- Le droit moral de l'auteur mari55. Conformment aux articles 1404 du C.Civ (" Forment des propres par leur nature [] tous les droits exclusivement attachs la personne") et L 121-9 al 1er du CPI (" [] le droit de divulguer l'uvre, de fixer les conditions de son exploitation et d'en dfendre l'intgrit reste propre l'poux auteur ou celui des poux qui de tels droits ont t transmis []"), le droit moral demeure propre l'auteur et ne saurait tomber en communaut. Par ailleurs, toute clause contraire encourt la nullit, et ce, quelque soit le rgime matrimonial. 56. Il en ira autrement pour les produits pcuniaires provenant de l'exploitation de l'uvre qui seront soumis aux rgles applicables aux meubles, suivant le rgime matrimonial adopt, uniquement lorsqu'ils auront t acquis pendant le mariage ( art. L 121-9 al 2 du CPI).

3- Le droit moral de l'auteur salari57. Il est trs frquent que des uvres soient cres dans le cadre du travail. L'article L 111-1 al 3 du CPI dispose cet effet que " L'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une uvre de l'esprit n'emporte aucune drogation la jouissance du droit reconnu par l'alina 1er [qui attribue la qualit d'auteur] au crateur". Le salari crateur est alors qualifi d'auteur et investi ab initio des droits d'auteur. Ainsi, il pourra toujours exercer son droit moral qui est attach sa personne et inalinable, ce qu'affirmait dans un arrt la cour d'appel d'Aix-en-Provence 66: " l'auteur [d'un prsentoir de rouge lvre], mme salari, conserve sur son uvre les attributs d'ordre moral dont l'article 6 de la loi du 11 mars 1957 [art. L 121-1 du CPI] consacre le caractre perptuel et inalinable". 58. Dans le cas du logiciel, l'auteur salari conservera aussi son droit moral, mais ce dernier sera attnu; en effet, comme en dispose l'article L 121-7 du CPI, l'auteur ne pourra ni exercer son droit de repentir ou de retrait, ni s'opposer la modification du logiciel par le cessionnaire des droits mentionns l'article L 122-6 2 (droits de traduction, d'adaptation et d'arrangement) lorsqu'elle ne portera pas atteinte son64 65

Cass. Civ. 3 avril 2001, D. 2001 Somm. P. 2636, obs. Sirinelli. Sirinelli, note ss. Arrt prc. 66 CA Aix-en-Provence, 21 octobre 1965, D. 1966 J 70, n. Greffe.

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honneur et sa rputation. Mais ceci est susceptible d'amnagement conventionnel plus favorable l'auteur.

4- Le droit moral de l'auteur fonctionnaire59. La question qui se pose est de savoir si les exigences du service public ont une consquence sur la titularit originaire du droit d'auteur, et, plus particulirement, du droit moral. Cette situation est rgie par un avis du Conseil d'Etat du 21 novembre 1972: " Les ncessits du service exigent que l'administration soit investie des droits de l'auteur sur les uvres de l'esprit telles qu'elles sont dfinies par la loi de 1957, pour celles de ces uvres dont la cration fait l'objet mme du service. Par l'acceptation de leurs fonctions, les fonctionnaires et agents de droit public ont mis leur activit cratrice ou les droits qui peuvent en dcouler la disposition du service, dans toute la mesure ncessaire desdites fonctions". A priori le fonctionnaire conserverait sur ses uvres son droit moral, mais non sans quelques attnuations selon les exigences du service67.

Section II- La pluralit d'auteurs60. Une uvre n'est pas ncessairement le fruit d'un travail d'un seul auteur. Bien souvent en effet, des "esprits" s'associent l'laboration d'une cration artistique. Cette collaboration peut relever d'un mme genre ou d'un genre diffrent, tre active ou passive selon que les artistes se sont concerts ou non; elle peut aussi, sous certaines conditions, faire intervenir une personne morale. Face cette diversit de situations, le lgislateur a prvu diffrentes rgles. Il s'agira alors dans un premier temps d'tudier l'uvre de collaboration (1), avant d'envisager les uvres collectives (2) et celles dites composites ou drives (3).

1- L'uvre de collaboration61. L'uvre de collaboration rpond des rgles gnrales (A). Consacrant la jurisprudence antrieure, la loi du 11 mars 1957 a qualifi les uvres audiovisuelles et radiophoniques (B) d'uvres de collaboration en leur prvoyant nanmoins quelques spcificits.

A- Rgles gnrales62. Aprs avoir cern la dfinition (1) des uvres de collaboration, il conviendra de caractriser rapidement leur rgime juridique et d'envisager le droit moral des coauteurs (2).

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Xavier Linant de Bellefonds op. cit. 356.

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1- Dfinition

63. L'article L 113-2 al. 1er du CPI dispose: "est dite de collaboration l'uvre la cration de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques". Cette dfinition, assez succincte, a d tre prcise par la jurisprudence. L'uvre de collaboration devra ainsi rpondre deux exigences. Non seulement il faudra un travail cratif, conduit par plusieurs auteurs (a), mais aussi une communaut d'inspiration (b).a- L'exigence d'un travail cratif conduit par plusieurs auteurs

64. Pour prtendre la qualit d'auteur, il faut avoir non seulement particip la "cration" de l'uvre, mais aussi l'avoir marque de l'empreinte de sa personnalit. De ce fait, et conformment lettre de cet article, une personne morale ne peut en aucun cas tre coauteur d'une uvre de collaboration. L encore, les principes gnraux rgissant la qualit d'auteur trouveront s'appliquer. Ainsi, les personnes prtendant la qualit de coauteur devront avoir concouru la mise en forme, et pas seulement fourni l'ide ou le thme68. De mme, la personne se bornant conseiller un peintre 69 ou un lve70 par exemple ne sera pas considre comme coauteur de l'uvre finale, tout comme le client d'un photographe qui a donn des directives gnrales sur le sujet photographier 71. La frontire entre la simple ide ou le thme, et le commencement d'excution ncessaire pour attribuer la qualit d'auteur est relativement tnue. Dans tous les cas, la qualification relvera de l'apprciation souveraine des juges du fond, qui ont pu retenir que l'apport de l'ide et des connaissances assorti de suggestions de croquis attribuait la qualit de coauteur. En effet, la Cour de cassation72 prcisa dans un arrt que "la cour d'appel a relev que Polieri avait collabor la ralisation du projet de "thtre torique" labor en 1956 et 1957 non seulement en apportant ses ides et ses connaissances en matire de thtre et plus spcialement d'agencement scnique, mais encore en participant la mise en forme du projet en assortissant ses suggestions de croquis;". 65. En outre, leurs contributions devront rpondre aux exigences d'activit cratrice et d'originalit; si elles se sont contentes de suivre des instructions excluant toute manifestation de leur personnalit travers l'uvre, elles ne pourront tre coauteur. On relatera l'affaire Renoir c/ Guino73 o ce dernier, disciple de Renoir, tait reconnu coauteur de sculptures, car mme en tant qu'excutant matriel (le matre atteint de rhumatismes donnait des instructions prcises l'lve), il disposait d'une marge de libert confrant l'uvre la marque de sa personnalit. La "ngritude" littraire peut s'inscrire dans le domaine des uvres de collaboration. La cour d'appel de Paris 74 a alors reconnu que la personne qui rcrit un livre (un "ngre" en l'espce), en donnant au manuscrit initial son

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Cass. Civ. 1 8 novembre 1983: Bull. Civ. I, n260. TGI Paris, 3me ch., 21 janvier 1983, Vasarely: D. 1984, p. 286, obs. Colombet, Vasarely s'tait born dterminer le sujet: il s'agissait d'agrandir une uvre prcdente, et de la traiter en noir, blanc, et gris nuanc de 1 10; aussi, le tribunal n'omettait pas de prciser que ce dernier n'avait effectu aucun contrle de l'excution et n'avait procd aucune retouche de l'uvre acheve. 70 CA Paris 3 novembre 1988: Cah. dr. Auteur, juin 1989, p.10. me 71 CA Paris, 4 ch., 26 mars 1992: RIDA 2/1993, p. 218; D. 1993, somm. P. 84, obs. Colombet. re 72 Cass. Civ. 1 18 dcembre 1978: JCP G 1979, II, 19273, note Manigne; D. 1980, p.49, obs. Colombet. 73 Cass. Civ. 1re 13 novembre 1973: D. 1974 p.533. obs. Colombet. 74 CA Paris 10 juin 1986: D. 1987, IR. 153, obs. Colombet.

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empreinte personnelle doit tre considre comme coauteur de l'uvre finale. Il en ira de mme pour une personne interviewe qui apportera un "ton personnel" une interview 75. 66. Enfin, le coauteur doit apporter par tous moyens la preuve de sa collaboration une uvre s'il ne remplie pas les conditions de l'article L 113-1 du CPI pour bnficier de la prsomption76. Pour autant, le seul fait que le prtendu coauteur ait t rmunr pour sa participation ne suffira pas lui attribuer cette qualit. Dans une espce77, l'auteur d'un logiciel destin la gestion des cabinets mdicaux contestait la rmunration consentie par convention un mdecin pour l'apport de certaines spcifications sur le fondement que, s'agissant simplement d'ides (non protgeables), il ne pouvait tre coauteur et que la convention tait nulle pour absence de cause. La Cour de cassation n'a pas censur la cour d'appel:"Mais attendu que tout en retenant que les apports de M.Remont ne prsentaient pas les caractristiques d'une uvre relevant de la protection de la loi du 11 mars 1957, c'est bon droit que la cour d'appel a considr que la contribution de M.Remont l'laboration du logiciel justifiait la rmunration stipule son profit;". Il faut donc faire la diffrence entre une participation non "originale" mais qui peut tre rmunre comme tout travail, et l'apport original qui attribue la qualit d'auteur.b- Une communaut d'inspiration

67. Il est indispensable que les diffrents coauteurs soient anims par une inspiration commune qui les conduit se concerter. Le critre de la concertation est trs important, puisqu'il diffrenciera l'uvre de collaboration de l'uvre composite78. La cour d'appel de Paris79 par exemple a tenu pour coauteurs "ceux qui, dans une intimit spirituelle ont collabor l'uvre commune et l'ont cre par leurs apports artistiques dans un art semblable ou diffrent". On notera aussi la position de la Cour de cassation80 pour qui la collaboration rsulte d'un "travail cratif concert et conduit en commun". La question s'est pose de savoir si des contributions relevant de genres diffrents permettaient la qualification de leur association en une seule uvre dite de collaboration. La rponse s'avre affirmative, l'article L 113-3 al. 4 du CPI le prvoyant expressment: " Lorsque la participation de chacun des coauteurs relve de genres diffrents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter sparment sa contribution personnelle, sans toutefois porter prjudice l'exploitation de l'uvre commune". La jurisprudence prsente de nombreuses illustrations de cette disposition. Ainsi par exemple, de la collaboration entre un dessinateur et l'auteur du texte dans une bande dessine 81 , entre l'auteur du graphisme des personnages d'un rcit et l'auteur des dialogues de ce rcit82, ou entre l'auteur des paroles et le compositeur de la musique pour une uvre lyrique83. Ainsi encore, de la collaboration entre un sculpteur (Guino) et un peintre (Renoir), ce dernier faisant uvre littraire en dcrivant sa pense 75 76

TGI Paris 24 mars 1982: JCP 1982, II, 19901, obs. Bonet; RTD com. 1983. 433, obs. Franon. re Cass. Civ. 1 3 juillet 1990: RIDA avril 1991, p.116; RTD Com. 1991. 48, obs. Franon. 77 Cass. Com. 23 octobre 1990: Bull. Civ. IV, n245. 78 Cf. infra n115 et s. 79 CA Paris 11 mai 1965: D. 1967. 555, n. Franon. re 80 Cass. Civ. 1 18 octobre 1994: RIDA 2/1995, p.305, note Latreille; Bull. Civ., I, n298; La formule est reprise re me par Cass. Civ. 1 2 dcembre 1997: JCP G 1998, IV, 1147; V. aussi TGI Paris, 3 ch., 16 juin 1995: Gaz. Pal. 1996, 1, somm. p. 50 ("travail concert et conduit en commun"). re 81 Cass. Civ. 1 19 dcembre 1983: Bull. Civ. I, n304; V. aussi CA Paris 6 novembre 1991: D. 1992. IR. 63. re 82 Cass. Civ. 1 2 dcembre 1997: D. 1998. 507, note Edelman; RIDA, avril 1998, p. 409. re 83 Cass. Civ. 1 5 mars 1968: D. 1968. 382; RTD Com. 1968. 488, obs. Desbois.

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Guino, qui avait cependant, rappelons-le, une part de libert cratrice. On citera enfin un arrt de la Cour de cassation84 qui constata une collaboration entre une cartomancienne et celui qui avait ralis les maquettes des cartes et tait intervenu dans la rdaction des notices et dans la mise au point du jeu par ses conseils techniques. 68. Certaines caractristiques se montrent indiffrentes la qualification d'uvre de collaboration. Tout d'abord, si l'laboration de l'uvre requiert une concertation, il semblerait que la succession dans le temps des contributions n'exclut pas la qualification d'uvre de collaboration. Mais, dans une espce, le TGI de Nanterre 85 a prcis que la communaut d'inspiration et de but poursuivi qui a prside l'laboration de l'uvre, confrant celle-ci un caractre indivisible, doit tre constate. Cependant il est vrai, et on se ralliera l'opinion de M. A. Lucas86, que le caractre successif des participations se rvle tre un indice d'absence de concertation. Ensuite, il est envisageable que des collaborateurs se rpartissent des tches, de sorte que celui qui effectuera un travail de corrections linguistiques sur l'intgralit d'une uvre 87 (en l'espce un dictionnaire) sera retenu comme coauteur; mais selon Desbois88, chaque contribution devra s'inscrire dans le "programme commun". 69. Aussi, il n'y a pas tenir compte de l'importance respective des contributions. Dans une espce, le "guide des carrires de l'industrie pharmaceutique" avait t publi en 1989 sous les noms de deux auteurs. Cela dit, un des coauteurs n'avait rdig qu'un seul chapitre de l'uvre. Une cour d'appel lui reconnu la qualit de coauteur d'une uvre de collaboration, mais n'avait pas exactement appliqu le principe de proprit commune qui en rsulte, du fait de cette participation minime. La Cour de cassation89 a alors cass l'arrt en rappelant que: "Attendu que l'uvre de collaboration est la proprit commune des coauteurs, indpendamment de l'importance ou du mrite de leurs apports respectifs;". On ne peut que constater que cette solution est conforme au principe du droit d'auteur qui interdit de prendre en considration le mrite pour attribuer la qualit d'auteur. 70. Par ailleurs, la Cour de cassation a opr une distinction entre l'apport principal confrant la qualit de coauteur, et l'apport accessoire. On citera alors cet attendu de la Cour, dans une affaire o le peintre Salvador Dali revendiquait la qualit de coauteur d'une uvre lyrique90: " [] dans l'exercice de leur pouvoir souverain d'apprciation des lments de la cause, les juges du second degr ont dduit de ces constatations qu'en dehors de certains costumes, seuls lments fournis par Salvador Dali, et qui ont un caractre accessoire, les uvres reprsentes avaient leur valeur propre, et qu'ainsi le demandeur tait mal fond en sa prtention d'tre considr comme coauteur de l'uvre commune". Cette dcision peut se comprendre aisment, tant l'apport de quelques costumes se dtache du scnario d'ensemble et de la musique qui confrent l'originalit l'uvre lyrique. Certes, l'on pourra objecter qu'elle revient prendre en compte le mrite, mais nous rfuterons cette analyse. En effet, elle se borne respecter la dfinition de l'uvre lyrique qui consiste en un scnario accompagn de musique. Evidemment, il en84 85

Cass. Civ. 1 29 avril 1975: Gaz. Pal. 1975, 1, somm. 125. TGI Nanterre 6 mars 1991: Cah. Dr. Auteur, avril 1991, p.19. 86 A. et H.-J. Lucas, op. cit. 179. 87 CA Paris 27 fvrier 1985: D. 1986. IR. 181, obs. Colombet. 88 Desbois, op. cit. n133. re 89 Cass. Civ. 1 2 avril 1996: JCP G 1996, IV, 1283; Bull. Civ. I, n165. re 90 Cass. Civ. 1 5 mars 1968: D. 1968. 382; RTD Com. 1968. 488, obs. Desbois.

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serait autrement si l'ensemble des costumes faisaient partie intgrante de l'uvre. Ainsi, Dali pensait que sa grande renomme irait l'encontre des principes rgissant les droits d'auteur. Il n'en fut pas ainsi, la protection tant indpendant du mrite ou de la renomme de l'artiste. Cette solution relve certainement de l'opportunit mais elle n'exclue pas pour autant les costumes de l'artiste de la protection. En effet, en tant que crations originales, Dali tait investi des droits de l'auteur, mais seulement sur ses costumes. 71. On peut ajouter qu'en prsence de plusieurs intervenants la cration d'une uvre, il n'y a pas de prsomption d'uvre de collaboration. La qualit de coauteur doit rsulter d'lments prcis rvlant le rle crateur de chacun. C'est en ce sens que s'est prononce la Cour de cassation91: " Attendu qu'en dduisant ainsi la qualit de coauteur de M.Godard d'une prsomption de collaboration, sans relever les lments prcis d'o il rsultait qu'il avait eu un rle de cration dans la dfinition des noms des personnages, la cour d'appel n'a pas donn de base lgale sa dcision;".2- Rgime juridique et droit moral des coauteurs

72. Il convient d'exposer titre liminaire le rgime juridique de l'uvre de collaboration. A cet effet, l'article L 113-3 du CPI dispose: "L'uvre de collaboration est la proprit commune des coauteurs. Les coauteurs doivent exercer leurs droits d'un commun accord. En cas de dsaccord, il appartient la juridiction civile de statuer. Lorsque la participation de chacun des coauteurs relve de genres diffrents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter sparment sa contribution personnelle, sans toutefois porter prjudice l'exploitation de l'uvre commune". Ces dispositions voquent fortement le rgime de l'indivision de droit commun des articles 815 et s. du Cciv, rgime qui tait d'ailleurs appliqu par la jurisprudence d'avant la loi du 11 mars 1957. Une vieille dcision 92 affirmait en effet qu'il s'agissait d'une coproprit "totale sur la totalit de l'uvre et totale sur chacune des parties". Il dcoule donc de l'article L 113-2 al 1er et 2 du CPI que les dcisions concernant l'uvre de collaboration devront tre prises l'unanimit. Mais en ralit l'analogie avec le rgime de droit commun de l'indivision a ses limites, car ce n'est qu'en l'absence de dispositions spciales du code de la proprit intellectuelle qu'il sera intressant de recourir aux rgles gnrales de l'indivision telles que mentionnes dans le code civil. Ainsi, pour M.Gautier93, les coauteurs auraient intrt de conclure des conventions d'indivision rgies par les articles 1873-1 et s. du code civil en vue de dsigner un grant pour administrer l'exploitation de l'uvre de collaboration. Ils pourraient aussi bnficier de la gestion d'affaires (art. 815-4 al. 2 du Cciv.), du mandat tacite pour les actes d'administration (art. 815-3 du Cciv.), et chaque coauteur serait autoris prendre les mesures ncessaires pour la conservation des biens indivis (art. 8152 al. 1er du Cciv.). 73. Conformment l'article L 113-3 du CPI, chacun des coauteurs disposera des prrogatives relevant du droit moral. Leur nature personnelle exclura l'application de la rgle de l'unanimit, mais le droit moral sera alors contrl par le juge par l'intermdiaire91 92

Cass. Civ. 1 6 mai 1997: Bull. Civ., I, n145; D. Aff. 1997. 738; D. 1998. 80, note Edelman. CA Paris 27 fvrier 1918: Gaz. Pal. 1918. 1. 125. 93 P-Y. Gautier, op. cit., n393 et 394.

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de la thorie de l'abus de droit. Il s'en suit qu'en matire d'actions en justice, et plus particulirement d'actions en contrefaon, le principe pos par la Cour de cassation94 "que le coauteur d'une uvre de collaboration qui prend l'initiative d'agir en justice pour la dfense de ses droits patrimoniaux est tenu, peine d'irrecevabilit de sa demande, de mettre en cause les autres auteurs de cette uvre;", mme s'il supporte quelques assouplissements 95 , ne vaut que pour les droits patrimoniaux, et non pour le droit moral. La rgle de l'unanimit ne pourra donc faire obstacle la recevabilit de l'action d'un des coauteurs lorsque la contrefaon s'accompagnera d'une violation du droit de divulgation, du droit la paternit ou du droit au respect de l'uvre. 74. L'alina 3 de l'article L 113-3 du CPI confie au juge civil la mission de trancher en cas de dsaccord. Le conflit pourra porter non seulement sur l'exercice des droits patrimoniaux, mais aussi sur celui du droit moral affrant l'uvre dans son ensemble. L'exemple topique tant le coauteur opposant son droit de divulgation pour paralyser l'exploitation d'une uvre. Le tribunal pourra alors passer outre son refus. Cette possibilit offerte au juge trouve sa source en ce que d'une part, le droit moral est susceptible d'abus, et d'autre par en ce que la pluralit de titulaires et les exigences du travail en quipe sont susceptibles de temprer la rigueur des prrogatives reconnues chacun96. La cour d'appel de Paris97 s'tait clairement exprime en ce sens propos d'une uvre audiovisuelle. Aprs avoir affirm que les participants "ne sauraient prtendre imposer leur volont discrtionnaire", elle ajoutait: " l'intransigeance d'un seul, serait-il le crateur de la plus grande partie de l'uvre, ne peut entraner la ruine de l'uvre commune, le prestige d'un coauteur ne pouvant confrer ce dernier un droit moral de nature suprieure aux autres coauteurs et lui assurer une prminence l'gard de ceux-ci". 75. Enfin, l'alina 4 du mme article confre chaque coauteur le droit d'exploiter sa propre contribution, sous rserve d'une diffrence de genre entre les diffrents apports, et d'absence de prjudice l'uvre commune. Cette disposition droge donc la rgle pose par l'alina 1er qui fait de l'uvre de collaboration la "proprit commune des auteurs". La question s'est pose de savoir si au-del de l'hypothse d'une exploitation spare, il n'existait pas un droit propre des coauteurs sur leur contribution. La rponse s'avre ngative car, comme le prcise A. Lucas98, partir de la divulgation de l'uvre commune, il s'opre une sorte de "fusion juridique" des contributions qui ne sera pas sans consquences sur le terrain du droit moral. Le dbat se rvle donc assez thorique; la question du droit de divulgation ne se pose pas par hypothse puisqu'on est en prsence d'une uvre commune divulgue. Le droit de repentir ou de retrait, qui suppose une cession du droit d'exploitation, n'est pas en cause non plus puisque les contributions des coauteurs ne donnent pas lieu isolment de telles cessions. Le droit la paternit s'exerce dj sur l'uvre commune, mais on peut supposer que chaque coauteur exige que94 95

Cass. Civ. 1 4 octobre 1988: RIDA 3/1989, p.251; D. 1989, p.482, note Gautier. re Cass. Civ. 1 5 dcembre 1995: JCP G 1996, IV, 254, la recevabilit de l'action n'est pas subordonne un re accord unanime, une "mise en cause" des coauteurs suffit; Cass. Civ. 1 10 mai 1995: D. 1996, p.114, note Edelman, la mise en cause n'tant requise que pour autant que la contribution du demandeur "ne peut tre spare de celle des coauteurs"; V. aussi Cass. Crim. 13 dcembre 1995: RTD Com. 1996, p.460, obs. Franon, aucune restriction ne peut tre apporte au droit de chaque coauteur de se porter personnellement partie civile pour demander rparation du prjudice n de la contrefaon. 96 A. et H-J. Lucas op. cit. 188. re 97 CA Paris, 1 ch., 18 avril 1956: D. 1957, p.108, note Desbois. 98 A. et H-J. Lucas op. cit. 192.

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son nom soit associ de manire spcifique son apport (dans le cadre d'une chanson par exemple, "un texte de" ou "une musique de"). Quant au droit au respect de l'uvre commune qui appartient chacun des participants, il parat suffisamment protecteur pour qu'il soit superflu d'envisager de le reconnatre distinctement chaque participant.

B- Les uvres audiovisuelles et radiophoniques76. Les uvres radiophoniques (2) ne prsentent pas de spcificit particulire; leur rgime est quasiment calqu sur celui des uvres audiovisuelles (1).1- Les uvres audiovisuelles

77. Ces uvres rpondent tout d'abord du statut des uvres de collaboration (a). La loi, en son article L 113-7 al 2 du CPI a aussi institu une prsomption de titularit des droits au bnfice de certains participants personnes physiques (b), qui leur permettra naturellement d'exercer leur droit moral (c).a- Qualification d'uvres de collaboration

78. La jurisprudence d'avant la loi du 11 mars 1957 penchait, en accord avec une doctrine majoritaire, pour une qualification de l'uvre cinmatographique en uvre collective. La question ft dfinitivement tranche par un important arrt de la Cour de cassation 99 qui prcisa: "La prtention d'une socit de production de films d'tre l'unique auteur de toute une uvre cinmatographique par elle dite, est srieusement contestable; et c'est contrairement au droit coutumier, qui prend en considration les circonstances de fait et les conventions intervenues, qu'un arrt assimile de faon gnrale l'uvre cinmatographique une uvre collective ou de commande;". Cette solution, consacre par la loi de 1957 est maintenant introduite dans l'article L 113-7 du CPI ("Sont prsums, sauf preuve contraire, coauteurs d'une uvre audiovisuelle ralise en collaboration: []"), aprs que la loi du 3 juillet 1985 ait substitu la notion d'"uvre audiovisuelle" celle d'uvre cinmatographique, permettant d'appliquer le statut du cinma notamment aux uvres tlvises. 79. La question s'est quand mme pose de savoir si cette qualification n'tait qu'une prsomption, susceptible d'tre renverse par une preuve contraire permettant, le cas chant, de qualifier l'uvre audiovisuelle d'uvre collective 100 . Si certaines dcisions tendaient vers l'affirmative101, la cour d'appel de Paris102 retenait que: " L'article L 113-7, alina 1, du CPI [] pose le principe gnral selon lequel "les personnes physiques qui ralisent la cration intellectuelle de ces uvres ont la qualit d'auteur". Par cette disposition claire, le lgislateur a entendu signifier que l'uvre audiovisuelle ne pourrait jamais tre une uvre collective dans laquelle ceux qui contribuent la ralisation ne sont pas des auteurs. Ces dispositions, la diffrence de l'alina 2 du99

Cass. Civ. 10 novembre 1947, affaire Mascarade, D. 1947. 529, rapport Lerebourg-Pigeonnire. V. Aussi: Cass. Civ. 20 dcembre 1949, D. 1951. 73, n. Desbois. 100 Cf. infra n101 et s. 101 CA Paris 6 juillet 1989: JCP G 1990, II, 21410, n. Franon, mais cass par Cass. Civ. 28 mai 1991: JCP 1991, II, 21731, n. Franon. 102 CA Paris 16 mai 1994: JCP 1995, II, 22375, n. X. Linant de Bellefonds, rformant TGI Paris 27 octobre 1993: RIDA juillet 1994, n161, p.398, n. Pollaud-Dulian.; V. Aussi CA Paris 17 janvier 1995: RIDA juillet 1995, n165, p. 332, affirmant que "l'uvre audiovisuelle est forcment une uvre de collaboration".

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mme article L 113-7, n'est pas susceptible de preuve contraire". La Cour de cassation 103 avait prn la mme solution dans un arrt antrieur de quelques mois: " qu'elle [la cour d'appel] a ainsi lgalement justifi sa dcision, sans avoir rechercher le caractre prtendument collectif de l'uvre audiovisuelle, qu'elle a au contraire justement qualifie d'uvre de collaboration []". Il est vrai que la rfrence aux "personnes physiques" semble exclure indubitablement la qualification en uvre collective. 80. Reste que cette solution prsente une certaine rigidit. L'on pourrait dans un premier temps prendre en considration, par exemple, l'uvre multimdia. Effet des arrts rejettent la qualification d'une telle uvre en uvre audiovisuelle en se fondant sur "l'interactivit" qui s'oppose au "dfil squentiel et linaire" d'images qui s'imposent un spectateur passif 104 . Rappelons-le, l'uvre audiovisuelle "consiste" dans des squences. Faut-il voir par l une exclusivit, ou au contraire une possibilit de qualifier d'uvre audiovisuelle, une uvre qui ne contiendrait pas exclusivement des squences, et qui laisserait place l'interactivit, au choix de l'utilisateur? Le dbat reste ouvert, mme si certains auteurs retiennent que l'uvre multimdia rpond la dfinition de l'uvre audiovisuelle105. Pour notre part, une apprciation au cas par cas serait la solution la plus approprie, car si la loi ne semble pas imposer une qualification en uvre audiovisuelle d'une uvre ne contenant pas exclusivement des squences, elle ne la rejette pas non plus. Au demeurant, l'uvre multimdia tant volutive, il ne semble pas judicieux de la cantonner une dfinition prcise ou un cadre juridique dtermin. Tel serait le cas pourtant si on lui attribuait la qualit d'uvre audiovisuelle, puisqu'en en vertu du principe pos par la jurisprudence: l'uvre audiovisuelle est forcment une uvre de collaboration. Or, le statut d'uvre collective se montrerait parfois certainement plus appropri que celui d'uvre de collaboration106 notamment en matire de jeux vido. 81. Dans un deuxime temps, une telle solution viendrait priver systmatiquement les producteurs audiovisuels du bnfice du statut d'uvre collective 107 , et ce, mme si l'extension de son champ d'application venait se confirmer. La justification de cette solution ne serait alors pas sans difficults pour les tribunaux.b- Les coauteurs

82. L'article L 113-7 du CPI institue une liste de coauteurs prsums et, lorsque l'uvre audiovisuelle est tire d'une uvre ou d'un scnario prexistants encore protgs, les auteurs de l'uvre originaire sont assimils aux auteurs de l'uvre nouvelle. 83. L'article L 113-7 al2 du CPI dispose: "sont prsums, sauf preuve contraire, coauteurs d'une uvre audiovisuelle ralise en collaboration: 1 L'auteur du scnario; 2 L'auteur de l'adaptation; 3 L'auteur du texte parl; 4 L'auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spcialement ralises pour l'uvre; 5 Le ralisateur.". Les coauteurs viss103 104

Cass. Civ. 1 26 janvier 1994, RIDA octobre 1994, n162, p. 433. CA Versailles 18 novembre 1999: Com. Com. Elec. 2000, Comm. N16, note Caron, sur appel de TGI Nanterre 26 novembre 1997: Gaz. Pal. 25 mars 1998, p.25.; V. Aussi CA Paris 28 avril 2000 D. 2001. Somm. 2553, obs. Sirinelli, qualifiant l'uvre multimdia d'uvre collective. 105 A. Lucas, op. cit. 193; X. Linant de Bellefonds, op. cit. 429. 106 B. Edelman, l'uvre multimdia, un essai de qualification, D. 1995. Chr. 109. me 107 X. Linant de Bellefonds, note ss. CA Paris, 4 ch., 16 mai 1994: JCP G 1995, II, 22375.

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par cette liste ne bnficient que d'une prsomption simple, les dispensant d'avoir prouver l'originalit de leur apport. Pour autant, leur participation l'uvre devra tre tablie, et ce sujet, la mention du nom dans le gnrique du film s'avre suffisante 108, comme le prvoit l'article L 113-1 du CPI. Cette prsomption est bien videment susceptible d'tre renverse par l'apport d'une preuve contraire. Ainsi, par exemple, la Cour de cassation 109 a dni la qualit de coauteur un ralisateur, dont le rle s'tait limit une simple "prestation de services techniques". 84. Notons ensuite que la liste de l'article L 113-7 n'est pas exhaustive; elle s'est simplement limite aux personnes les plus mme d'tre l'origine de la cration audiovisuelle, et justifiant ainsi de bnficier de la prsomption. Il suffira aux autres personnes revendiquant la qualit de coauteur d'une uvre audiovisuelle de rpondre aux critres poss par les principes gouvernant la qualit d'auteur en gnral. Elles devront produire des pices tablissant leur participation la cration intellectuelle du film, car mme si la liste accepte que d'autres personnes soient coauteur, la prsomption est institue au seul bnfice des intervenants cits. Peuvent donc tre reconnus coauteurs d'une uvre audiovisuelle: le scripteur 110 , le cadreur ou camraman 111 ds lors qu'il dispose d'une marge de libert et d'initiative personnelle laisse par le ralisateur. La solution est a priori valable pour le producteur112 personne physique, la condition que son intervention ne soit pas lie uniquement la production. 85. En revanche, et nonobstant la reconnaissance d'un droit d'auteur sur leur uvre, un photographe de plateau 113 , un architecte dcorateur 114 , et un auteur de documents publicitaires115 n'