Dix neuf sami mokaddem-extrait 3

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    Compte rebours 47

    *

    Viviane Silva

    Viviane Carthage, Tunis

    Viviane Silva croisa les bras et contempla par la

    fentre de sa maison, situe sur la colline de Carthage, la

    ville qui stendait au bord de la mer. La vue avait

    rveill en elle une nostalgie qui lhabitait depuis la

    disparition de son mari, William.

    Viviane et William avaient lhabitude de venir passer

    leurs vacances en Tunisie. Il lui manquait terriblement,

    et chaque recoin de cette demeure lui rappelait sa

    prsence mais surtout le grand vide quil avait laiss.

    Plus rien navait t pareil depuis sa disparition.

    Le tlphone sonna, larrachant ses penses. Elle se

    retourna, hsita quelques secondes, mais la sonnerie

    insista. Elle se rapprocha de lappareil et souleva le

    combin.

    -Allo ?

    -Agent Silva ?

    Viviane soupira lorsquelle reconnut la voix de son

    ancien directeur :

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    -Je ne suis plus agent spcial, Monsieur. Jai prsent

    ma dmission, vous vous souvenez ?

    -Comment allez-vous ?

    -Je me repose, en Tunisie.

    -Viviane, jai une nouvelle mission pour vous.

    Quelle partie dans jai prsent ma dmission ne

    comprenait-il pas ?

    -Monsieur

    -coutez-moi, Viviane. coutez-moi attentivement.

    Je ne vous aurais pas contacte si cette affaire ntait pas

    importante pour vous.

    Le ton tait ferme. Presque menaant. Quelque chose

    de grave se passait. Elle le sentait.

    -Allez-y, dit-elle.

    -Cest en rapport avec votre mari.

    Viviane se raidit. Il avait effectivement toute son

    attention prsent.

    Le directeur poursuivit :

    -Je ne peux pas vous en dire davantage au tlphone,

    jai charg un de nos agents de vous attendre, midi, au

    caf ct de chez vous. Il vous briefera sur laffaire,

    soyez au rendez-vous.

    Il raccrocha sans plus de crmonie. Une manie

    quelle dtestait chez lui, du temps o elle faisait encore

    partie de la maison.

    Elle tait agent spcial et faisait partie dune unit

    particulire du bureau de renseignements britannique,

    appele la SSI, Special Secret Investigations, mais

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    Viviane avait toujours dit son mari quelle tait

    traductrice officielle, sans jamais lui rvler la vritable

    nature de son travail. Elle le regrettait aujourdhui.

    La SSI avait t cre en 1940, au cours de la

    Deuxime Guerre mondiale. Sa premire mission avait

    t de retrouver la copie originale des Centuries de

    Nostradamus, ayant remarqu lpoque quAdolf

    Hitler se servait de ce livre pour consolider lide de sa

    victoire et de son rgne, en diffusant les vers de

    Nostradamus parlant de lui, dans toute lEuropei.

    Depuis cette opration, la SSI stait spcialise dans

    la recherche de livres anciens, jusqu ce quelle soit

    amene faire face lorganisation secrte Golden

    Dawnii.

    La confrontation avec la Golden Dawn fut un

    tournant pour la SSI. La secte a t au dbut fonde pour

    ltude des sciences occultes et sotriques, mais se

    tourna rapidement vers leur application effective,

    incluant des meurtres, des sacrifices en masse, et des

    tentatives de contact avec les autres mondes travers

    des mthodes dtailles dans les livres anciens.

    Cest en rapport avec votre mari.

    Le jour o elle avait dcouvert le corps sans vie de

    William, elle stait jur de traquer ses assassins

    jusquau dernier.

    Les circonstances de sa mort taient obscures. Il

    enqutait sur son arrire-grand-pre, le peintre John

    Collier, lorsquil fut brusquement assassin, ne laissant

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    pour indice Viviane que leur dernire conversation

    tlphonique.

    Elle sen souvenait comme si ctait hier. Il lui avait

    dit quune socit secrte tait en qute dune toile de

    Collier, renfermant un secret. La dernire fois quelle lui

    avait parl, les membres de cette organisation taient

    ses trousses.

    Viviane passa la main dans ses cheveux courts et se

    mordilla la lvre. Le reflet dans les carreaux de la

    fentre lui renvoyait un visage fatigu, malgr ses yeux

    bleus au regard vif et profond.

    Il pleuvait ce jour-l. La voix de William tait

    lointaine et hache. Elle lui avait suggr de rentrer. Elle

    lui avait dit quils rsoudraient cette affaire ensemble,

    mais le soir mme, William fut assassin.

    Elle aurait aim lui dire la vrit, ce soir-l. Elle

    aurait aim lui expliquer quelle travaillait pour une

    agence gouvernementale et quelle avait des

    informations, justement, sur cette socit secrte qui

    tait sa poursuite. Ctait elle de le protger, et elle

    avait failli.

    Elle lavait perdu, un soir de pluie. Elle se

    souviendrait toujours de la ple lune automnale clairant

    la scne du crime, des bandes jaunes entourant

    lemplacement du cadavre. Elle se souvenait davoir

    serr son corps sans vie contre elle, et davoir pleur

    toutes les larmes de son corps.

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    Le lendemain, Viviane avait prsent sa dmission.

    Elle stait jure de se consacrer lidentification des

    assassins. Elle avait remont les pistes de William et

    dcouvert aprs quelques mois quil avait un contact en

    Tunisie. Quelquun qui lui aurait souffl cette histoire de

    message cod, cach dans lune des toiles de Collier.

    Elle regarda sa montre. Il tait dix heures.

    ***

    Cest durant sa dernire mission que Viviane avait

    crois Adam, un journaliste tunisien qui enqutait, son

    tour, sur cette organisation et qui se rvla tre le

    collgue de William. Viviane lui avait sauv la vie.

    Elle le retrouva, plus tard, dans lavion, en

    destination de la Tunisie. Elle fuyait lAngleterre, aprs

    la mort de William, et lui continuait son enqute sur la

    socit secrte. Elle tait heureuse de le revoir. Ils

    avaient chang leurs coordonnes.

    Durant tout le voyage, elle avait contempl le ciel, les

    yeux perdus dans la course des nuages. Une seule image

    occupait son esprit : celle de son dfunt mari.

    Mais elle ntait pas en Tunisie par hasard. Elle tait

    sur la piste du tueur.

    ***

    Viviane retrouva lhomme lheure et au lieu

    convenus. Elle fut agrablement surprise de savoir

    quelle le connaissait dj :

    -Tim ? Cest toi ? lui demanda-t-elle avec un grand

    sourire.

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    -Bonjour Agent Silva, rpondit-il en lui rendant un

    sourire gn par autant de familiarit.

    -Cela fait si longtemps ! Quand jai quitt la SSI tu

    venais de lintgrer depuis un mois. Cest mme moi qui

    ai procd ton valuation. Tu en as fait du chemin

    depuis.

    -On dirait bien que oui, rpondit Tim. Je suis agent

    de terrain prsent, affect lantenne SSI de Tunis.

    Content de vous revoir, dailleurs.

    Il reprit un air srieux et linvita sasseoir.

    -Alors, quest-ce que tu as pour moi ?

    -Nous avons appris que la Golden Dawn, la socit

    secrte souponne davoir tu votre mari, tait

    galement sur la trace des uvres du peintre Maurycy

    Gottlieb. Hier, la dernire petite-fille de Gottlieb a t

    assassine Kiev.

    Viviane sentit son estomac se nouer. La situation

    prsentait des similitudes avec le meurtre de William.

    Elle demanda dune voix tremblante :

    -Tu veux dire que laffaire de mon mari ntait que le

    dbut ?

    -Absolument. Nous avons galement appris que le

    dernier hritier du peintre Goya vient de disparatre. La

    Golden Dawn sait que lun des peintres a transmis un

    secret dune extrme importance ses hritiers, alors ils

    les interrogent puis les tuent.

    Le visage de Viviane se durcit. Elle dit :

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    -Donc, le petit-fils de Goya est galement sur le point

    dtre assassin.

    -Oui. On vous a contacte parce que cette personne

    se trouve Tunis.

    -Mais que veut la Golden Dawn cette fois ?

    -Nous lignorons. Ils sont la recherche de quelque

    chose. Peut-tre un message cod, comme lavait prcis

    William.

    Un message qui lui a cot la vie, pensa Viviane.

    Lagent prcisa :

    -Nous avons peu dinformations sur le peintre

    Gottlieb. Il est n en 1856 et dcd en 1879. Il a vcu

    en Ukraine et a ralis vingt-trois tableaux durant sa

    courte vie. Pour les deux autres peintres, les

    informations sont disponibles l-dedans.

    Il glissa sur la table une paisse chemise en kraft.

    -Et pourquoi ces trois peintres ? Collier, Goya et

    Gottlieb ?

    -Cest peut-tre seulement lun dentre eux. Peut-tre

    tous. Peut-tre quil y en a dautres. Nous navons pas

    suffisamment dinformations, mais vous devriez

    commencer enquter.

    Viviane nota ladresse dAntoine Goya sur un bout

    de papier, remercia Tim puis se leva.

    -Agent spcial ? dit-il.

    -Oui ?

    Lombre dun sourire apparut sur ses lvres :

    -Bon retour parmi nous.

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    Compte rebours 46

    *

    Lhistoire de lternel Menteur

    Rayan et Rene Tunis

    Une odeur de pain grill rveilla Rayan. Il trouva

    Rene dans la cuisine. Elle avait prpar un petit

    djeuner pour deux.

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    Rene tait de bonne humeur. La radio diffusait un

    des succs dElvis Presley : Its now or neveriii

    . Rene

    lui demanda de se lever :

    -Fais-moi danser, Croque-note, jadore cette

    chanson !

    -Mais je ne sais pas danser, Rene.

    Elle le tira de sa chaise:

    -Je ne tai pas demand de mapprendre danser.

    Allez.

    Rayan se leva. La voix dElvis lemporta, alors il fit

    danser la jeune femme. La chanson les accompagnait:

    When I first saw you With your smile so tender My heart was captured My soul surrendered

    Rene le prit par les mains et monta sur ses pieds.

    Il la fit tourner, elle rejeta ses cheveux en arrire et

    clata de rire.

    Rayan retrouva le sourire son tour.

    -Je nai pas dans comme a depuis mon

    anniversaire, dit-elle.

    -Ctait quand ?

    -Le 19 octobre dernier, croque-note. Je venais de

    fter mes 18 ans.

    -Jaurais jur que tu tais un peu plus ge.

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    Elle lui fit une moue enfantine :

    -Je vais tcher doublier cette remarque pleine de

    tact, Croque-note.

    Rene lui sourit puis murmura :

    -Ctait mon pre qui mavait fait danser.

    -On le retrouvera. On retrouvera tes parents,

    Princesse, je te le promets.

    -Cela fait un mois aujourdhui, Rayan.

    Ctait la premire fois quelle prononait son

    prnom. Ce fut comme un dclic, qui rveilla quelque

    chose en lui. Il ralisa quil tenait dans ses bras une

    jeune femme perdue, qui navait plus que lui prsent.

    Il la prit dlicatement par les mains et la fit asseoir

    doucement en rptant :

    -On les trouvera.

    Presque sans rflchir, Rene se pencha vers lui et

    dposa un baiser sur ses lvres. Rayan ne le lui rendit

    pas. Il redoutait la tournure que prendrait leur relation.

    Rene le troublait. Elle tait irrsistible, mais vulnrable.

    Alors il lui prit le visage entre les mains, dposa un

    baiser sur son front en rptant :

    -Je te le promets.

    ***

    Rene tait assise devant la tlvision et suivait

    attentivement les images animes qui se succdaient,

    lorsque Rayan sortit de sa chambre. Il lui demanda :

    -Quest-ce que tu regardes ?

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    -Un film que jaime bien. Je nen rate aucune

    rediffusion.

    Il remarqua les images animes qui se succdaient

    sur lcran. Elle linvita sasseoir prs delle en

    rpondant :

    -Cest Fantasia, Croque-note. Assieds-toi.

    Rayan se souvint immdiatement du carnet et des

    notes propos de ce film, quil avait trouves. Il lui

    demanda soudain, avec intrt :

    -Il vient de commencer ? Je voudrais bien le regarder

    avec toi.

    Ce film renfermait-il des indices ?

    Peine perdue.

    Le film tait dun ennui mortel. Sept courts mtrages

    en tout, avec de la musique classique comme fond

    sonore. Le premier reprsentait un ciel nuageux, avec

    des explosions de couleur, le deuxime montrait des fes

    dans une fort enchante, dans le troisime, on pouvait

    voir une succession danimaux danser.

    Rene prcisa :

    -Il y a des informations basiques que tu devrais

    connatre : le deuxime court-mtrage illustre les danses

    du ballet Casse-noisettes de Tchakovski. Le troisime

    est tir dun opra, la Gioconda, et sache que des

    danseuses du ballet russe ont servi de modles pour les

    personnages.

    Elle glissa dlicatement sa main la rencontre de

    celle de Rayan. Il la laissa reposer dans la sienne. Rene

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    manquait daffection. Elle tait bouleverse par la

    disparition de ses parents.

    Le quatrime court-mtrage tait un peu plus anim,

    dans la mesure o Mickey Mouse jouait lapprenti

    sorcier. Le cinquime illustrait la naissance de la Terre

    et lapparition des dinosaures, le sixime mettait en

    scne des cratures de la mythologie grecque : des

    centaures, des licornes et enfin Bacchus, dambulant,

    ivre mort.

    Rene commenta :

    -Les cratures qui apparaissent dans la squence : les

    faunes, les nymphes, et les satyres, cela ne te rappelle

    rien ?

    Leurs doigts se croisrent. Rayan ne rsista pas aux

    longs doigts fins de Rene qui enlacrent les siens. Il

    rpondit :

    -Non, pas vraiment.

    Elle murmura :

    -Les vers que je tai rcits lautre soir :

    Errant comme Bacchus, avec des faunes et des lopards,

    Et des nymphes et des satyres pour ton cortge

    Pour une raison inconnue, les deux vers firent

    frissonner Rayan. Il lui demanda :

    -Et quest-ce quils signifient ?

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    -Aucune ide. Et cest pour a que je les aime. Je

    trouve que leur beaut rside dans le mystre quils

    voquent. Mais ils regroupent tous les lments qui

    apparaissent dans la squence, ainsi que Bacchus qui

    apparat la fin.

    -En lisant lintgralit du pome, on le saura. Qui en

    est lauteur, dj ?

    Son visage sassombrit soudain :

    -Je ne peux pas prononcer son nom.

    Commena alors la septime partie, qui tait peut-

    tre la plus intressante, mettant en scne un dmon qui

    se rveillait la tombe de la nuit, semant la terreur,

    puis disparaissait quand le jour se levait.

    Globalement, un film sans intrt, pensa Rayan. Il lui

    fit part de son avis. Rene sourit et lui rpondit en

    reposant la tte sur son paule :

    -Il faut regarder au-del des images et de la musique,

    la symbolique de cette dernire squence. Cest un beau

    message pour terminer le film : ds que les cloches de

    lglise sonnent laube, la lumire du jour chasse le

    dmon, annonant le triomphe de lEspoir sur la force

    des Tnbres, en ayant pour fond sonore le magnifique

    Ave Mariaiv.

    -Et comment tu sais tout cela ?

    -Cest mon pre qui ma appris tous ces dtails, et

    bien dautres.

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    Le silence les enveloppa. Un lger parfum se

    dgageait de Rene. Elle resserra ltreinte de ses doigts

    autour de ceux de Rayan, puis se leva et dit :

    -Allons dehors, Croque-Note.

    Ils se levrent, sortirent au balcon en contemplant les

    rues dsertes et la ville qui dormait. Le regard de Rene

    se perdit dans le vide. Rayan lui demanda :

    -Pourquoi mas-tu dit que tu ne pouvais pas

    prononcer le nom de lauteur des vers ?

    Elle posa son regard sur lui, garda le silence pendant

    quelques secondes puis rpondit en contemplant de

    nouveau la rue dserte :

    -Parce que son nom est maudit. Il porte malheur. On

    le surnomme le Monstre .

    Il rpta aprs elle :

    -Le monstre.

    -Le monstre. Mon pre lappelle lternel

    Menteur . Il a t nomm ainsi depuis quil est parti

    la recherche dun ancien livre que personne ne devait

    lire.

    -Quel livre ?

    Rene continuait contempler la rue et dit :

    -Un livre de magie noire, qui sert invoquer les

    dmons, mais qui a disparu depuis longtemps. Cest

    lcrivain Lovecraft qui en a parl dans ses nouvelles.

    A lvocation du nom du matre, un clair zbra le

    ciel. Une tempte sannonait.

    -Et cet ternel Menteur a fini par trouver le livre ?

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    -Oui. Il a fini par trouver le Ncronomicon.

    -Cest ainsi quil sappelle ?

    -Oui. Cela veut dire le livre des noms des morts .

    Cest un livre maudit. La phrase douverture dit : Au

    long des res peut mourir mme la mort.

    Il avait commenc pleuvoir.

    Un vague souvenir traversa lesprit de Rayan. Tout

    cela avait un got trange. Morbide.

    NcronomiconCe titre lui tait familier.

    La main de Rene rechercha la sienne, serra fort ses

    doigts. Son treinte lui parut diffrente. Il sentit sa peur.

    -Arrtons de parler de ce livre. Cela naugure rien de

    bon, murmura-t-elle.

    Au long des res peut mourir mme la mort.

    [ A SUIVRE]

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    et connaitre les points de ventes de Dix-Neuf.

    pop-libris.wix.com/site

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    iHitler avait eu recours cette technique. Multiples sont les vers qui semblent parler de lui dans le livre de Nostradamus. Nanmoins, lunit SSI est une pure invention de lauteur. ii Golden Dawn, en franais Aube Dore , tait une socit secrte anglaise fonde en 1888 par William Wynn Westcott. Elle se prsentait comme une cole consacre ltude des sciences occultes et leur enseignement. Cette socit fut dissoute en 1905 la suite de conflits internes. Le rle de la GD dans la suite de lhistoire est purement imaginaire. iii La chanson its now or never est extraite de lalbum Flashback, 1960. iv Toutes les donnes avances sur Fantasia ont t recueillies partir de la page ddie ce film sur Internet.