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m/s n° 4, vol. 31, avril 2015 347 médecine/sciences Revue internationale de biologie et de médecine SOMMAIRE ÉDITORIAL 351 Le médecin chercheur, une espèce en voie d’évolution Pierre Corvol LE MAGAZINE NOUVELLES 353 Compartimentation de la réponse immunitaire chez le moustique Anopheles gambiae : conséquences pour une stratégie de lutte ciblant les vecteurs Guillaume Carissimo, Emmanuel Bischoff, Ken Vernick 355 Le microbiote intestinal, un acteur de la réponse immunitaire adaptative antivirale ? Benoit Chassaing 357 Une seule cellule souche dans le foie : l’hépatocyte ! Hélène Gilgenkrantz 360 Lymphome folliculaire : une histoire de perversion de la mémoire immunologique Sandrine Roulland, Bertrand Nadel 363 L’utilisation de smartphones façonne le traitement cortical de l’information sensorielle tactile provenant de l’extrémité des doigts Anne-Dominique Gindrat, Magali Chytiris, Myriam Balerna, Eric M. Rouiller, Arko Ghosh 367 Une horloge circannuelle sonne le réveil des hibernants Cristina Sáenz de Miera, André Malan, Valérie Simonneaux 369 Détecter la vie grâce à la microscopie à force atomique Sandor Kasas, Petar Stupar, Giovanni Longo, Giovanni Dietler 372 Les approches écologiques et évolutives incontournables pour mieux comprendre les épidémies de grippe aviaire Bernard Cazelles, Huaiyu Tian, Benjamin Roche 374 Nouvelles perspectives pour prévenir le travail préterme Mathieu Nadeau-Vallée, Julia Palacios, Amarilys Boudreault, Sylvain Chemtob DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Jean-Marc Quilbé RÉDACTION RÉDACTEUR EN CHEF Hervé Chneiweiss (Paris) RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE Laure Coulombel (Paris) SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA RÉDACTION François Flori (Paris) SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Marie-Thérèse Dron (Paris) DIRECTRICE ÉDITORIALE Martine Krief-Fajnzylberg CONSEILLÈRE ET REPRÉSENTANTE DE L’INSERM Suzy Mouchet EDP Sciences/Éditions EDK 109, avenue Aristide Briand 92541 Montrouge Cedex, France Tél. : 01 41 17 74 05 Fax : 01 49 85 03 45 [email protected] Indexée dans PubMed/Medline Current Contents, série Life Sciences EMBASE/Excerpta Medica PASCAL CABS BIOSIS médecine/sciences (m/s) est disponible sur le site www.medecinesciences.org. Les numéros de moins d’une année ne sont accessibles qu’aux seuls abonnés. Il en est de même pour les abonnés de l’Inserm et du CNRS sur les sites institutionnels BiblioInserm et BiblioVie. Au-delà de l’année, la revue est en accès libre et gratuit. Les numéros depuis 2001 sont disponibles sur le site www.medecinesciences.org et la collection complète des archives, de 1985 à l’année qui précède l’année en cours, est disponible sur le site www.ipubli.inserm.fr. Vous pouvez également vous inscrire en ligne sur le site www.medecinesciences.org. N’hésitez pas à nous joindre par mail à [email protected] ou par téléphone au 01 69 18 75 75 PHOTO DE COUVERTURE : Inserm/Éric Dehausse, Jenny Valladeau/Voyage au centre de la Terre, Jules Verne- Musée Jules Verne-Ville de Nantes, France.

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m/s n° 4, vol. 31, avril 2015 347

médecine/sciences

Revue internationale de biologie et de médecine

SOMMAIREÉDITORIAL

351 Le médecin chercheur, une espèce en voie d’évolutionPierre Corvol

LE MAGAZINENOUVELLES

353 Compartimentation de la réponse immunitaire chez le moustique Anopheles gambiae : conséquences pour une stratégie de lutte ciblant les vecteursGuillaume Carissimo, Emmanuel Bischoff, Ken Vernick

355 Le microbiote intestinal, un acteur de la réponse immunitaire adaptative antivirale ?Benoit Chassaing

357 Une seule cellule souche dans le foie : l’hépatocyte !Hélène Gilgenkrantz

360 Lymphome folliculaire : une histoire de perversion de la mémoire immunologiqueSandrine Roulland, Bertrand Nadel

363 L’utilisation de smartphones façonne le traitement cortical de l’information sensorielle tactile provenant de l’extrémité des doigtsAnne-Dominique Gindrat, Magali Chytiris, Myriam Balerna, Eric M. Rouiller, Arko Ghosh

367 Une horloge circannuelle sonne le réveil des hibernantsCristina Sáenz de Miera, André Malan, Valérie Simonneaux

369 Détecter la vie grâce à la microscopie à force atomiqueSandor Kasas, Petar Stupar, Giovanni Longo, Giovanni Dietler

372 Les approches écologiques et évolutives incontournables pour mieux comprendre les épidémies de grippe aviaireBernard Cazelles, Huaiyu Tian, Benjamin Roche

374 Nouvelles perspectives pour prévenir le travail prétermeMathieu Nadeau-Vallée, Julia Palacios, Amarilys Boudreault, Sylvain Chemtob

DIRECTEUR DE LA PUBLICATIONJean-Marc Quilbé

RÉDACTIONRÉDACTEUR EN CHEFHervé Chneiweiss (Paris)

RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTELaure Coulombel (Paris)

SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA RÉDACTIONFrançois Flori (Paris)

SECRÉTAIRE DE RÉDACTIONMarie-Thérèse Dron (Paris)

DIRECTRICE ÉDITORIALEMartine Krief-Fajnzylberg

CONSEILLÈRE ET REPRÉSENTANTE DE L’INSERMSuzy Mouchet

EDP Sciences/Éditions EDK109, avenue Aristide Briand92541 Montrouge Cedex, FranceTél. : 01 41 17 74 05Fax : 01 49 85 03 [email protected]

Indexée dansPubMed/MedlineCurrent Contents,série Life SciencesEMBASE/Excerpta MedicaPASCALCABSBIOSIS

médecine/sciences (m/s) est disponible sur le site www.medecinesciences.org. Les numéros de moins d’une année ne sont accessibles qu’aux seuls abonnés. Il en est de même pour les abonnés de l’Inserm et du CNRS sur les sites institutionnels BiblioInserm et BiblioVie.Au-delà de l’année, la revue est en accès libre et gratuit. Les numéros depuis 2001 sont disponibles sur le site www.medecinesciences.org et la collection complète des archives, de 1985 à l’année qui précède l’année en cours, est disponible sur le site www.ipubli.inserm.fr. Vous pouvez également vous inscrire en ligne sur le site www.medecinesciences.org. N’hésitez pas à nous joindre par mail à [email protected] ou par téléphone au 01 69 18 75 75

PHOTO DE COUVERTURE : Inserm/Éric Dehausse, Jenny Valladeau/Voyage au centre de la Terre, Jules Verne-Musée Jules Verne-Ville de Nantes, France.

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médecine/sciences

Revue internationale de biologie et de médecine

M/S REVUES 377 Les IFITM, un obstacle commun à de nombreux virus

Kevin Tartour, Andrea Cimarelli 383 Vers une explication des effets mnémoniques des glucocorticoïdes ?

Freddy Jeanneteau 389 Progrès récents dans la génétique de l’hyperaldostéronisme primaire

Maria-Christina Zennaro, Fabio Fernandes-Rosa, Sheerazed Boulkroun 397 Rôle de la détection centrale des lipides dans le contrôle nerveux

de la balance énergétiqueValentine S. Moullé, Alexandre Picard, Céline Cansell, Serge Luquet, Christophe Magnan

404 Potentiel thérapeutique de la neuromodulation optogénétiqueMarie Vandecasteele, Yann-Suhan Senova, Stéphane Palfi, Guillaume P. Dugué

CHÉMOBIOLOGIE (V) 417 Chimiothèque nationale : avancées et perspectives

Florence Mahuteau-Betzer 423 Force et spécificité du criblage pour des molécules bioactives au CMBA-Grenoble :

une plate-forme dédiée à la découverte et à l’analyse de molécules bioactives et candidats médicamentsCaroline Barette, Emmanuelle Soleilhac, Céline Charavay, Claude Cochet, Marie-Odile Fauvarque

ADDICTIONS (I) 432 Les addictions sous l’angle de la génétique

Nicolas Ramoz, Philip Gorwood 439 Addiction et régulations épigénétiques : implications de MeCP2 et de l’acétylation

des histonesJean Zwiller

FORUMCHRONIQUES GÉNOMIQUES

447 23andMe ou comment (très bien) valoriser ses clientsBertrand JordanANALYSES DE LIVRES

450 La médecine du triJacques Quintin

COMITÉ ÉDITORIALAntoine Bril (Paris)Carine Franc (Villejuif)Marie Gaille (Paris)Hélène Gilgenkrantz (Paris)Jacques Haiech (Strasbourg)Xavier Jeunemaitre (Paris)Bertrand Jordan (Marseille)Anne-Marie Moulin (Paris)Jean-Michel Rigo (Hasselt)Anna Salvetti (Lyon)Jean-Luc Teillaud (Paris)

COMITÉ SCIENTIFIQUEMichel Aubier (Paris)Joël Bockaert (Montpellier)Marcel Dorée (Montpellier)Denis Duboule (Genève)Gérard Friedlander (Paris)Thierry Galli (Paris)Simone Gilgenkrantz (Nancy)Michel Goldman (Bruxelles)Jean-Pierre Grünfeld (Paris)Axel Kahn (Paris)Jean-Claude Kaplan (Paris)Jean-François Lacronique (Paris)Arnold Munnich (Paris)Jean-Paul Ortonne (Nice)Marc Peschanski (Évry)Jacques Piette (Liège)Jacques Pouysségur (Nice)Bernard Rossier (Lausanne)Guy Rousseau (Bruxelles)Philippe Sansonetti (Paris)Alain Tedgui (Paris)Germain Trugnan (Paris)Gilbert Vassart (Bruxelles)Éric Vivier (Marseille)

Ce numéro de médecine/sciences est soutenu par une bourse accordée par l’Institut la Conférence Hippocrate-Groupe de Recherche Servier

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médecine/sciences

International journal of biology and medicine

CONTENTSEDITORIAL

351 Being a medical doctor and a scientist, a constantly evolving challengePierre Corvol

THE MAGAZINENEWS

353 Compartimentalization of immune responses in the mosquito Anopheles gambiae: consequences for insect vector immunity researchGuillaume Carissimo, Emmanuel Bischoff, Ken Vernick

355 The intestinal microbiota helps shapping the adaptive immune response against virusesBenoit Chassaing

357 The hepatocyte is the only stem cell in the liverHélène Gilgenkrantz

360 Follicular lymphoma: a history of perversion of immunological memorySandrine Roulland, Bertrand Nadel

363 Smartphone use shapes cortical tactile sensory processing from the fingertipsAnne-Dominique Gindrat, Magali Chytiris, Myriam Balerna, Eric M. Rouiller, Arko Ghosh

367 A circannual clock wakes up hibernating mammalsCristina Sáenz de Miera, André Malan, Valérie Simonneaux

369 Detecting life thanks to the atomic force microscopeSandor Kasas, Petar Stupar, Giovanni Longo, Giovanni Dietler

372 Ecological and evolutionary approaches are essential to understand better the epidemics of avian influenzaBernard Cazelles, Huaiyu Tian, Benjamin Roche

374 New insights to prevent preterm laborMathieu Nadeau-Vallée, Julia Palacios, Amarilys Boudreault, Sylvain Chemtob

médecine/sciences a été le fruit d’une coopération entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Québec, à la suite d’une recommandation de la Commission permanente de coopération franco-québécoise.

médecine/sciences est membre du Committee on Publication Ethics (COPE)www.publicationethics.org

CRÉDITS PHOTOS : p. 377 : © Olivier Schwartz, Institut Pasteur, Paris, France).p. 389 : © Inserm-Rafael Oriol).p. 397 : © Inserm-Ariane Sharif).p. 404 : © Nir Grossman, Imperial College London) http://www.imperial. ac.uk/people/nir.grossman06p. 423 : © Marie-Odile Fauvarque).p. 432, p. 439 : © Inserm/Éric Dehausse, Yasmina Saoudi/Vingt mille lieues sous les mers. Jules Verne-Musée Jules Verne-Ville de Nantes, France.

Soumission électronique médecine/sciencesmédecine/sciences est dotée d’une gestion éditoriale automatisée, via le système informatique Fontisworks (http://msc.fontismedia.com). Tous les manuscrits, brèves, nouvelles, éditoriaux, synthèses, ou textes du forum, doivent être soumis par voie électronique, et nos experts doivent également soumettre leur évaluation par voie électronique.La marche à suivre est très simple : le nouvel utilisateur accède à la page d’accueil du site de soumission en ligne de médecine/sciences à l’adresse suivante : http://msc.fontismedia.com et clique sur le bouton « accès auteur » (ou « accès expert ») dans la liste de liens fi gurant sur l’écran qui s’affi che. Si l’utilisateur est un auteur, il sera d’abord invité à créer son compte en s’enregistrant. Il recevra un mail de confi rmation contenant son mot de passe. L’enregistrement ne s’effectue qu’une seule fois, lors de la toute première utilisation. À chaque connexion suivante, il suffi t de cliquer directement sur « auteur » pour s’identifi er, saisir le nom d’utilisateur (mail) et le mot de passe pour entrer dans le système. Une fois dans le système, l’auteur souhaitant soumettre un manuscrit suit le cheminement indiqué pour saisir les différentes informations afférant à la soumission, ainsi que pour télécharger les fi chiers de son manuscrit.Les experts, eux, seront d’abord sollicités par mail, et devront, dans une première étape, accepter ou refuser l’expertise en entrant dans le système via « l’accès expert », en indiquant leur identifi ant (adresse e-mail) et le numéro du manuscrit qui leur aura été indiqué dans le mail de sollicitation. Puis, comme précédemment, suivre les informations pour télécharger le manuscrit à évaluer, puis, dans un second temps, déposer leur expertise.Tous les documents nécessaires à la soumission en ligne sont accessibles sur la page de garde du site M/S de Fontismedia.Les auteurs qui ne pourraient pas soumettre leur manuscrit via fontismedia auront la possibilité de le soumettre par e-mail au secrétariat de Médecine/Sciences.Toute information complémentaire et toute aide pourront être apportées par le secrétariat général de M/S (ffl [email protected])

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350 m/s n° 4, vol. 31, avril 2015

médecine/sciences

International journal of biology and medicine

M/S REVIEWS 377 IFITM, a common barrier to many viruses

Kevin Tartour, Andrea Cimarelli 383 Toward an explanation for the mnemonic effects of glucocorticoids?

Freddy Jeanneteau 389 Genetic alterations in primary aldosteronism

Maria-Christina Zennaro, Fabio Fernandes-Rosa, Sheerazed Boulkroun 397 Role of brain lipid sensing in nervous regulation of energy balance

Valentine S. Moullé, Alexandre Picard, Céline Cansell, Serge Luquet, Christophe Magnan

404 Therapeutic potential of optogenetic neuromodulationMarie Vandecasteele, Yann-Suhan Senova, Stéphane Palfi, Guillaume P. Dugué

CHEMOBIOLOGY (V) 417 The French National Compound Library: advances and future prospects

Florence Mahuteau-Betzer 423 Strength and specificity of the CMBA screening platform for bioactive

molecules discoveryCaroline Barette, Emmanuelle Soleilhac, Céline Charavay, Claude Cochet, Marie-Odile Fauvarque

ADDICTIONS (I) 432 A genetic view of addiction

Nicolas Ramoz, Philip Gorwood 439 Epigenetics and drug addiction: a focus on MeCP2 and on histone acetylation

Jean Zwiller

FORUMTALES OF THE GENOME

447 23andMe: how to make (a lot of) money out of your customersBertrand JordanBOOK ANALYSIS

450 The tragic side of medicineJacques Quintin

ÉDITEUREDP Sciences/Éditions EDK109, avenue Aristide Briand92541 Montrouge Cedex, FranceTél. : 01 41 17 74 05Fax : 01 49 85 03 [email protected]

EDP SCIENCES/ÉDITIONS EDKSAS au capital de 40 000 €RCS Nanterre 403 452 81617, avenue du HoggarPA de Courtabœuf91944 Les Ulis, Francewww.edpsciences.org

IMPRIMEURCorlet, Imprimeur, S.A.ZI route de Vire,14110 Condé-sur-Noireau, FranceN° 83406

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SERVICE ABONNEMENTSEDP Sciences/Éditions EDK17, avenue du HoggarPA de Courtabœuf91944 Les Ulis Cedex A, FranceTél. : 01 69 18 75 75Fax : 01 69 86 06 [email protected]

PUBLICITÉClaudine TruferTél. : 01 41 17 73 [email protected]

Copyright© « Médecine/Sciences- Inserm ». Publication périodique mensuelle. Tous droits de reprogra-phie à des fins de vente,de location, de publicité ou de promotion réservés à l’éditeur.Commission paritaire n° 1117 T 81597EDK, Paris, Dépôt légal :à parutionISSN n° 07670974ISSN électronique n° 1958-5381

INDEX DES ANNONCEURS : JNI, 2e couv. - EDK, p. 366, p. 403, p. 438, p. 454, 3e couv. - Société de philo-sophie des sciences, p. 376. - Plasmid factory, p. 396. - First European meeting on bone marrow adiposity, p. 416. - IreSP/EDK, p. 431. - Premup, p. 446. - Bulletin d’abonnement, p. 453. - Euromedlab Paris 2015, 4e couv.

This issue of médecine/sciences is supported by a grant of Institut la Conférence Hippocrate-Servier Research Group

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ÉDIT

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médecine/sciences

m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104001

médecine/sciences 2015 ; 31 : 351-2

Le médecin chercheur, une espèce en voie d’évolution

Pierre Corvol

Éditorial

« La médecine ne finit pas à l’hôpital mais elle ne fait qu’y commencer.Le médecin qui est jaloux de mériter ce nom dans le sens scientifique doit, en sortant de l’hôpital,aller dans son laboratoire et c’est là qu’il cherchera par des expériences sur les animaux à se rendre compte de ce qu’il a observé chez ses malades »Claude Bernard

> « From bench to bedside and vice-versa » est un titre usité de séminaire pour souligner l’aspect translationnel de la recherche. Il implique une collaboration de chercheurs et médecins cher-cheurs, ne serait-ce que pour assurer le vice-versa. Mais l’espèce médecins chercheurs se fait de plus en plus rare. Déjà, en 1979, J.B. Wyngaarden, le futur directeur des NIH (National Institutes of Health), publiait un article dont le titre « The clinical investigator as an endangered species » [1] a été repris à maintes occasions pour s’alarmer de la désaffection des cliniciens pour la recherche et de la difficulté à mener de front une activité de médecin et de chercheur. Cette espèce a-t-elle disparu, est-elle en voie de dis-parition, ou bien évolue-t-elle en s’adaptant à une médecine de plus en plus exigeante et à une science de plus en plus complexe ? Dans le domaine des sciences fondamentales, il y a toujours eu des chercheurs de formation médicale, qui contribuent gran-dement à l’élucidation des mécanismes fondamentaux de la vie. Mais c’est dans la recherche appliquée aux maladies et aux patients que le médecin chercheur est plus que jamais nécessaire. La médecine s’est toujours enrichie des découvertes scientifiques et technologiques. Mais aujourd’hui, les connaissances s’accé-lèrent comme jamais. On a dépassé depuis longtemps le premier « omique », l’anatomique, avec les multiples -omiques. L’étude du génome entier du patient, la génétique, l’imagerie médicale, la pharmacologie, les sciences numériques et l’émergence de la médecine de précision bousculent la compréhension des maladies. L’étude du mécanisme des maladies n’est pas l’apanage du médecin chercheur, mais elle bénéficie de son apport grâce à sa familiarisation avec la maladie humaine. Une interaction étroite entre chercheurs et médecins chercheurs optimise le choix et la pertinence des modèles et des protocoles de thérapeutique expérimentale. À cet égard, il pourrait être utile de favoriser un enseignement médical raccourci destiné aux scientifiques s’enga-geant dans cette voie, afin que chercheurs et médecins cher-

cheurs partagent la même compréhension des maladies sur lesquelles ils travaillent. Un autre type de recherche, celle qui est directement orientée sur le patient, exige des médecins chercheurs pour intégrer l’ensemble des don-nées, établir des relations génotype-phénotype, effectuer les premières études d’efficacité de nouvelles thérapeu-tiques, et participer à la création de cohortes et d’études épidémiologiques. L’essor des biotechnologies change radicalement l’ap-proche traditionnelle de la pharmacologie. Jusqu’à il y a peu, la découverte et le développement des médicaments provenaient quasi exclusivement de la recherche des industries pharmaceutiques. Les sociétés de biotechno-logie ont ouvert un nouveau secteur. Elles se sont le plus souvent constituées au contact de scientifiques issus du monde académique et de médecins chercheurs. L’utili-sation croissante de produits issus du vivant, comme les anticorps monoclonaux, et la part à venir des thérapies cellulaire et génique, requièrent la participation de méde-cins ayant une solide expertise en recherche. Ce secteur qui est en forte progression en France, a tout à gagner du côtoiement régulier des médecins et des chercheurs.La formation de médecins chercheurs est longue, exigeante et hautement sélective. En France, initialement construite avec des moyens de fortune, elle s’est professionnali-sée avec la création des filières Médecine-Sciences par plusieurs universités médicales et de l’École de l’Inserm Liliane Bettencourt en 2002. Ces double-cursus proposent aux jeunes étudiants en médecine une formation scienti-fique poussée et un accès au master 2 en sciences avant le passage du concours de l’Internat. La thèse de sciences peut être faite soit pendant une interruption de l’Inter-nat, soit directement après le master, avant de passer ce concours. Ce dernier cursus se rapproche de celui proposé par le programme MD-PhD des NIH. Il s’agit d’une forma-tion longue (bac plus 13), coûteuse, exigeante, mais qui amène médecins et scientifiques à travailler ensemble et à élaborer des projets communs. À l’issue de ce long investissement personnel et de la communauté scienti-fique, il serait catastrophique que le médecin ainsi formé perde ses contacts avec ses collègues scientifiques, et

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qu’il ne puisse pas accéder à des moyens pour bâtir sa propre ligne de recherche. Parallèlement, les structures d’exercice de la recherche cli-nique à l’hôpital se sont développées avec la création des premiers Centres d’investigation clinique (CIC) en 1992, puis celle des Unités de recherche clinique (URC) qui apportent un soutien méthodologique indispensable. Aujourd’hui, plus de 40 CIC couvrent l’ensemble du territoire national, où peuvent travailler de concert cliniciens, médecins chercheurs et scien-tifiques. C’est un endroit privilégié où médecins et chercheurs peuvent appliquer le fameux « From bench to bedside and vice-versa ». Encore faut-il que ces structures ne soient pas soumises, du fait des restrictions budgétaires, à trop réa-liser d’études pharmacologiques multicentriques pour les-quelles elles ne sont ni à l’origine des sujets de recherche, ni l’investigateur principal. Les conditions du médecin chercheur ont évolué : le méde-cin qui veut faire de la recherche et poursuivre une activité clinique peut se former plus facilement qu’autrefois ; il peut développer sa recherche dans un centre de recherche fonda-mentale ; il dispose de structures hospitalières dédiées à la recherche clinique. Il a accès à des crédits spécifiquement dévolus à la recherche clinique dans le cadre des programmes hospitaliers de recherche clinique. Pourtant, sa situation est difficile pour plusieurs raisons. D’abord, la demande de l’ad-ministration hospitalière et des facultés de médecine vis-à-vis de ses médecins enseignants est de plus en plus pressante en termes d’efficience pour des raisons budgétaires. Ensuite, la temporalité de la recherche clinique n’est pas celle de la recherche fondamentale. Il faut en moyenne 2 ans avant qu’un protocole de recherche clinique soit accepté par les autorités de santé, et au moins trois ans supplémentaires avant que ses résultats ne soient publiés. C’est un handicap dans la course aux publications. Le temps indispensable à la recherche est dévoré par les tâches cliniques et administratives. Il est fini le temps où l’on pouvait faire la visite des patients le matin et cloner ses gènes l’après-midi… sans compter le temps pour se tenir au courant des derniers acquis en médecine et en science, repérer les évolutions dans d’autres domaines que le sien, s’informer sur ce qui se développe ailleurs, en France et à l’étranger. La compétition pour les moyens financiers est féroce, d’autant plus que les crédits de recherche se raréfient, ce qui est le cas actuellement. Le médecin chercheur obtient plus tard que ses collègues scientifiques ses premiers contrats d’envergure et avec moins de chance de succès. Le RO1, le principal contrat NIH aux États-Unis, est obtenu à plus de 45 ans pour les MD-PhD (contre 38 ans en 1980) [2].Les solutions existent. Reconnaissons qu’il n’est pas pos-sible d’exercer pleinement et simultanément les trois tâches d’enseignement, de recherche et de soins (et aussi d’admi-nistration…) mais elles peuvent s’accomplir successivement au cours d’une carrière. La recherche du médecin chercheur

doit être protégée, choyée et sauvegardée au moins durant les 4 ou 5 ans qui suivent la fin de son cursus MD-PhD. Ce n’est pas possible dans le cadre trop étroit d’une unité hospitalière fonctionnelle - le rôle en clinique de chaque médecin y est incontournable - mais c’est possible au sein d’un ensemble clinique plus large tels qu’un pôle d’activité ou un département. Pour cela, il est impératif que médecins cliniciens et administration partagent la même vision de l’importance de la recherche médicale et qu’ils en acceptent les nécessaires investissements. Il n’est pas facile à des cliniciens hos-pitaliers d’accepter que certains de leurs collègues médecins cher-cheurs réservent une part de leur temps à la recherche. Il n’est pas évident pour l’administration de l‘hôpital de dégager du temps libre pour la recherche et de faciliter l’implantation de jeunes équipes de médecins chercheurs. Il n’est pas évident de faire travailler ensemble scientifiques et médecins.En fin de compte, qu’est-ce qui motive le médecin à se former en recherche et à s’y consacrer à l’hôpital ? Sans doute la curiosité, le désir de comprendre et le sentiment de contribuer au progrès sur la maladie, même s’il est modeste. C’est aussi le plaisir de travailler de façon étroite avec des collègues scientifiques et de partager déception et espoir pour résoudre scientifiquement un problème médical. C’est ce dont témoignent Brown et Goldstein, tous les deux médecins cher-cheurs et prix Nobel de médecine pour leurs travaux sur le métabolisme lipidique, et amis de toujours [3]. Partageons avec eux les « 4 P » du médecin chercheur : passion, patients, pugnacité et partage. Une formule toujours d’actualité. ‡Being a medical doctor and a scientist, a constantly evolving challenge

LIENS D’INTÉRÊTL’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

P. CorvolProfesseur émérite au Collège de France

CIRB, Collège de France11, place Marcelin Berthelot

75231 Paris Cedex 05, [email protected]

RÉFÉRENCES

1. Wyngaarden JB. The clinical investigator as an endangered species. N Engl J Med 1979 ; 301 : 1254-9.

2. Daniels J. A generation at risk: young investigators and the future of the biomedical workforce. Proc Natl Acad Sci USA 2015 ; 112 : 313-8.

3. Goldstein JL, Brown M. The clinical investigator: bewitched, bothered, and bewildered, but still beloved. J Clin Invest 1997 ; 99 : 2803-12.

TIRÉS À PARTP. Corvol

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médecine/sciences

médecine/sciences 2015 ; 31 : 353-76

NOUV

ELLE

SM

AGAZ

INE

353m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104002

1Institut Pasteur, Unité de Génétique et Génomique des Insectes Vecteurs, 28, rue du Docteur Roux, 75015 Paris, France ;2CNRS, Unité hôtes, Vecteurs et Pathogènes (URA3012), 28, rue du Docteur Roux, 75015 Paris, France ;3Department of Microbiology, University of Minnesota, Minneapolis, MN, É[email protected]

> Les arbovirus possèdent un cycle bio-logique complexe ; ils sont transmis à des hôtes mammifères (l’homme ou des animaux) par des arthropodes comme les moustiques, les mouches ou les tiques. L’incidence et les risques associés aux arbovirus augmentent dans le monde entier, et notamment en Europe occiden-tale et en Amérique du Nord où ces virus étaient jusqu’à présent absents. Parmi ces derniers, nous pouvons citer le virus de la dengue (famille des Flaviviridae) - avec 40 % de la population mondiale qui vit dans les zones exposées -, ou le virus Chikungunya (famille des Togaviridae) qui a ré-émergé en 2006 sur l’île de La Réunion pour se répandre ensuite dans le monde entier. Tous deux sont transmis par des moustiques du genre Aedes.La compréhension des interactions entre les pathogènes (bactéries, parasites et virus) et l’immunité que développe les insectes vecteurs (ou les nouveaux vec-teurs potentiels favorisés par des chan-gements environnementaux) vis-à-vis de ceux-ci, sont essentielles pour évaluer les risques associés à ces maladies et mettre en place des mesures de contrôle vectoriel adaptées. Une de ces mesures consiste à remplacer les moustiques du terrain par des moustiques résistants, en disséminant dans la nature des mous-tiques dont l’immunité envers un patho-gène spécifique serait augmentée [1].Dans ce contexte, nous avons évalué la réponse immunitaire contre le virus O’nyong nyong (famille des Togaviridae,

virus le plus proche phylogénétique-ment du Chikungunya [2]) du moustique Anopheles gambiae, principal vecteur du paludisme (maladie provoquée par un parasite eucaryote du genre Plasmodium) en Afrique, et nous l’avons comparée aux réponses antiparasitaires précédemment décrites dans la littérature [3] (certaines sont illustrées sur la Figure 1). Cette étude montre pour la première fois une com-partimentation des réponses immuni-taires dirigées contre les pathogènes chez ce moustique, ainsi que l’existence d’un équilibre entre les mécanismes complexes qui gouvernent la résistance ou la suscep-tibilité à divers pathogènes humains.

Les étapes de l’infection parasitaire et virale d’un moustique vecteurLe paludisme est principalement trans-mis par Anopheles gambiae sur le conti-nent africain. L’obtention du génome complet de ce moustique en 2002 [4] a permis de progresser dans la compréhen-sion de sa réponse immunitaire contre le parasite Plasmodium [5].Ce parasite infecte la femelle moustique lors d’un repas sanguin infectieux. La fécondation entre les gamètes matures du parasite se produit dans l’intestin du moustique et conduit à la formation d’une progéniture (ou zygote) qui se trans-forme rapidement en une forme mobile, l’ookinète. Ce stade parasitaire enva-hit l’épithélium digestif du moustique et s’insère entre les cellules épithéliales et la lame basale de l’intestin où l’ookinète se

transforme en oocyste. L’oocyste va alors se développer pendant 14 jours environ avant de relâcher dans l’hémolymphe - l’équivalent du sang chez les arthro-podes - qui baigne la cavité interne et tous les organes, des centaines de spo-rozoïtes (stade parasitaire infectant pour l’homme). Ces derniers peuvent ensuite envahir les glandes salivaires du mous-tique, et être transmis à un nouvel hôte lors du prochain repas sanguin du mous-tique. Trois barrières sont ainsi franchies : la barrière d’infection (épithélium intes-tinal) est traversée par l’ookinète, tandis que les sporozoïtes, en s’échappant de l’oocyste puis en envahissant les glandes salivaires, franchissent respectivement la barrière d’échappement intestinal puis la barrière de transmission (Figure 1). Lors de chacune de ces étapes, le parasite est confronté aux réponses immunitaires de l’hôte, et utilise différentes stratégies pour s’en protéger [5].Dans le cas d’une infection virale d’un moustique, il est primordial de prendre en compte - comme on le fait pour une infec-tion parasitaire -, le fait que le virus doit traverser plusieurs compartiments physio-logiques avant de pouvoir être transmis à un nouvel hôte (Figure 1) : il doit franchir la barrière d’infection intestinale, puis s’échapper de l’épithélium digestif pour entrer dans le compartiment systémique (la cavité interne baignée par l’hémo-lymphe) du moustique, enfin atteindre les glandes salivaires pour être transmis par la salive à un nouvel hôte. Il y a donc

Compartimentation de la réponse immunitaire chez le moustique Anopheles gambiaeConséquences pour une stratégie de lutte ciblant les vecteursGuillaume Carissimo1,2, Emmanuel Bischoff1,2, Ken Vernick1,2,3

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compartiment systémique, possiblement pour maintenir la réplication virale à des niveaux physiologiquement acceptables pour l’insecte. En fait, dans l’intestin du moustique, ce sont les voies Imd (immune deficiency) et JAK/STAT (Janus kinase/sig-nal transducers and activators of tran-scription) qui contrôlent la réponse anti-virale et déterminent donc si l’infection sera ou non productive, en empêchant - ou non - le virus de franchir la barrière intestinale pour avoir accès aux glandes salivaires. La compartimentation de la réponse immunitaire du moustique déter-mine donc les voies antivirales mises en jeu lors des différentes étapes d’infection.

Rôle de la flore intestinale du moustique dans l’immunitéIl est intéressant de noter que les voies Imd et JAK/STAT permettent aussi au moustique de contrôler l’homéosta-sie de sa flore bactérienne intestinale (ou microbiote). Récemment, plusieurs équipes de recherche différentes ont montré que le microbiote des Anopheles pouvait jouer un rôle dans la suscep-tibilité du moustique à l’infection par les parasites Plasmodium [10]. Quant à savoir si la flore intestinale agit direc-tement sur les parasites ou sur l’immu-nité de l’épithélium digestif, cela est encore débattu. De nombreuses études montrent que la réduction de la flore intestinale par un traitement antibio-tique augmente l’infection des Anopheles par Plasmodium, ce que nous avons véri-fié avec les moustiques de notre labo-ratoire [3]. Mais, lorsque nous avons effectué la même expérience dans le cas d’une infection virale, nous avons observé l’effet inverse : la réduction de la flore intestinale diminue l’infection virale. Ces travaux démontrent donc que l’effet de la flore intestinale sur la susceptibilité des moustiques à une infection donnée dépend du pathogène considéré. Nous avons également montré, par des expé-riences de complémentation, que la pré-sence de bactéries intestinales vivantes et en phase de croissance lors du repas infectieux était responsable de cet effet.

infectés et dans quel ordre ils le sont. Cela nous a permis de déterminer le moment adéquat pour évaluer la réponse antivirale intestinale, avant la dissémination du virus dans le reste de l’organisme. Lors des études précédentes sur l’immunité anti-virale des moustiques Anopheles, le virus était directement injecté dans le thorax des insectes, comme cela se fait pour l’organisme modèle qu’est la drosophile [7-9], court-circuitant ainsi la barrière physique et immune que forme l’épithé-lium intestinal.En comparant les réponses antivirales de l’intestin et du compartiment systé-mique (après injection du virus in vivo ou utilisation de lignées cellulaires), nous avons montré que, contrairement à ce qui était précédemment admis [7-9], l’ARN interférence (ARNi) ne joue pas de rôle antiviral dans l’intestin du moustique et n’intervient que secondairement dans le

une double composante, temporelle et spatiale, importante à considérer lors de l’étude des interactions du virus avec les réponses antivirales du moustique.

Enjeux des compartiments immunitairesLa réponse immunitaire intestinale, par sa précocité et sa localisation, est déter-minante pour le devenir de l’infection du vecteur (cette étape étant responsable de la plus importante réduction du nombre de parasites lors de son cycle biologique) [6], tandis que la réponse systémique inter-vient dans le contrôle des niveaux d’infec-tion pour la survie de l’insecte. Nous avons utilisé un virus fluorescent, génétiquement modifié pour produire la GFP (green fluo-rescent protein), pour établir la cinétique temporelle du cheminement du virus lors de l’infection du moustique Anopheles afin de déterminer quels sont les organes

Progression de l’infection (temps)

Intestin Circulation systémique Glandes salivaires

Imd (Rel2-F)JAK/STATMicrobiote

ARNi

Imd (Rel2-S)Microbiote

JAK/STAT

1 - Barrière d’infectionintestinale

2 - Barrière d’échappementintestinale

3 - Barrière de transmission

Plas

mod

ium

falc

ipar

umO'

nyon

g ny

ong

viru

s

Figure 1. Cinétique d’infection et composants immunitaires impliqués dans les différents com-partiments chez le moustique Anopheles gambiae. Infection par Plasmodium falciparum (cadre orange) et le virus O’nyong nyong (cadre vert) ; les flèches vertes indiquent la protection contre l’infection, les flèches rouges indiquent un effet facilitateur pour l’infection et les points d’interrogation indiquent les compartiments pour lesquels les composants immunitaires ne sont pas connus. Ce schéma illustre : (1) l’effet opposé du microbiote intestinal sur l’infection par deux pathogènes humains ; (2) les différents acteurs transcriptionnels de la voie Imd impliqués dans l’immunité intestinale contre un virus et un parasite ; (3) le rôle antiviral ou antiparasitaire de la voie JAK/STAT en fonction des différents compartiments ; et (4) la compartimentation de l’activité antivirale de l’ARN interférence.

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355m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104003

3. Carissimo G, Pondeville E, McFarlane M, et al. Antiviral immunity of Anopheles gambiae is highly compartmentalized, with distinct roles for RNA interference and gut microbiota. Proc Natl Acad Sci USA 2015 ; 112 : E176-85.

4. Holt RA, Subramanian GM, Halpern A, et al. The genome sequence of the malaria mosquito Anopheles gambiae. Science 2002 ; 298 : 129-49.

5. Cirimotich CM, Dong Y, Garver LS, et al. Mosquito immune defenses against Plasmodium infection. Dev Comp Immunol 2010 ; 34 : 387-95.

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7. Keene KM, Foy BD, Sanchez-Vargas I, et al. RNA interference acts as a natural antiviral response to O’nyong-nyong virus (Alphavirus; Togaviridae) infection of Anopheles gambiae. Proc Natl Acad Sci USA 2004 ; 101 : 17240-5.

8. Waldock J, Olson KE, Christophides GK. Anopheles gambiae antiviral immune response to systemic O’nyong-nyong infection. PLoS Negl Trop Dis 2012 ; 6 : e1565.

9. Myles KM, Wiley MR, Morazzani EM, Adelman ZN. Alphavirus-derived small RNAs modulate pathogenesis in disease vector mosquitoes. Proc Natl Acad Sci USA 2008 ; 105 : 19938-43.

10. Dennison NJ, Jupatanakul N, Dimopoulos G. The mosquito microbiota influences vector competence for human pathogens. Curr Opinion Insect Sci 2014 ; 3 : 6-13.

En effet, il serait dramatique que des moustiques censés être plus résistants à Plasmodium deviennent susceptibles à d’autres pathogènes. ‡Compartimentalization of immune responses in the mosquito Anopheles gambiae: consequences for insect vector immunity research

LIENS D’INTÉRÊTLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

REMERCIEMENTSMerci à Julie Reveillaud et Christelle Petit pour leur relecture critique.

RÉFÉRENCES

1. Wang S, Jacobs-Lorena M. Genetic approaches to interfere with malaria transmission by vector mosquitoes. Trends Biotechnol 2013 ; 31 : 185-93.

2. Powers AM, Brault AC, Shirako Y, et al. Evolutionary relationships and systematics of the alphaviruses. J Virol 2001 ; 75 : 10118-31.

Dans le futurNotre étude souligne que des biais expé-rimentaux, comme l’injection directe de virus court-circuitant la voie d’ingestion habituelle, ne donnent qu’une image partielle des voies immunitaires mises en jeu lors de la réponse à un patho-gène [3]. Dans le futur, il faudra égale-ment s’intéresser aux voies immunitaires contrôlant la barrière d’infection des glandes salivaires. En effet, modifier l’immunité pour produire des vecteurs résistant à une infection donnée pour-rait avoir des effets différents, voire opposés, selon les méthodes utilisées et selon les compartiments de l’organisme ciblés. Préalablement à l’utilisation sur le terrain de moustiques modifiés, ce qui constitue une stratégie de contrôle vectoriel, l’effet des modifications sur l’immunité vis-à-vis de divers patho-gènes devra être rigoureusement testé.

NOUVELLE

Le microbiote intestinal, un acteur de la réponse immunitaire adaptative antivirale ?Benoit Chassaing

Institute for biomedical sciences, center for inflammation, immunity, and infection, Georgia State University, 100 Piedmont ave SE, Petit Science Center, room 708, Atlanta, GA 30303, É[email protected]@yahoo.fr

Une étude récente a permis de mettre en évidence une relation inattendue entre le microbiote intestinal et la réponse immunitaire adaptative faisant suite à une vaccination. En effet, cette étude démontre que la population de bactéries que nous hébergeons dans notre intestin joue un rôle majeur dans la capacité de notre système immunitaire à se protéger contre une infection virale.

La grippe saisonnièreLe virus de la grippe (influenza) est responsable d’infections respiratoires aiguës très contagieuses chez l’homme. Dans les pays à climat tempéré, il est

responsable d’épidémies saisonnières qui surviennent au cours de l’hiver. Sou-vent considérée comme une maladie bénigne, la grippe est néanmoins à l’ori-gine d’environ 250 000 à 500 000 décès par an, surtout chez les jeunes enfants de moins de deux ans et les personnes de plus de 65 ans. Il existe, comme pour de nombreux agents infectieux, des vaccins disponibles qui protègent efficacement contre la grippe. Cependant, le virus influenza est en perpétuelle évolution et de nombreuses mutations affectent sa structure. Il faut donc se faire vac-ciner tous les ans, le vaccin proposé chaque année étant conçu pour com-

battre uniquement la souche de l’hiver à venir. L’efficacité du vaccin antigrippal dépend de plusieurs facteurs, dont la similitude entre la souche du vaccin et la souche infectieuse circulante, ainsi que l’âge et le statut immunologique de la personne vaccinée.

Immunité innée et microbiote intestinalAfin de se protéger des agents infectieux, notre organisme met en place deux types de réponses immunitaires, innée et adap-tative. La réponse immunitaire innée peut être immédiate et fait intervenir de nom-breux acteurs cellulaires, par exemple

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l’élimination des agents infectieux via les cellules phagocytaires. La réponse immunitaire adaptative nécessite, quant à elle, une reconnaissance spécifique de l’agent infectieux/étranger. Elle est donc considérée comme une réponse plus lente, mais instaure une protection spé-cifique et durable, via notamment la synthèse d’anticorps. Ces deux systèmes immunitaires interagissent et se régulent mutuellement. Le système immunitaire inné permet notamment l’activation du système immunitaire adaptatif via la présentation des antigènes par les cel-lules de l’immunité innée aux lympho-cytes responsables de la réponse adap-tative.Une étude de 2011, basée sur l’analyse de 56 personnes vaccinées contre la grippe, avait montré une corrélation positive ou négative entre l’expression de certains gènes et la réponse immu-nitaire antivirale lors de la vaccination antigrippale [1]. Il est très intéres-sant de noter que certains gènes ayant un rôle dans la réponse immunitaire adaptative sont également des acteurs importants de la réponse immunitaire innée : TLR5 (toll like receptor 5), CASP1 (caspase 1), PYCARD (apoptosis-asso-ciated speck-like protein containing a CARD) et NOD2 (nucleotide-binding oli-gomerization domain-containing pro-tein 2). Ainsi, cette étude avait permis de suggérer de nouveaux liens entre le système immunitaire inné et le système immunitaire adaptatif humoral dans la défense contre influenza [1]. Plus particulièrement, le gène TLR5 code pour le récepteur du même nom, qui est impliqué dans la reconnaissance spécifique de la flagelline bactérienne (la flagelline est le composé majoritaire des flagelles qui interviennent, entre autres, dans la mobilité et la virulence bactériennes) [2, 3]. Le récepteur TLR5 est fortement exprimé dans l’intestin, où il joue un rôle majeur dans l’ho-méostasie du microbiote intestinal. Ce dernier se définit par l’ensemble des microorganismes peuplant notre tube digestif. Ce microbiote intestinal joue un

rôle primordial pour l’hôte, notamment dans la digestion des nutriments et la maturation du système immunitaire. Cependant, ce mutualisme doit être finement régulé pour maintenir le micro-biote à une distance raisonnable de l’épithélium intestinal, et éviter qu’il ne soit à l’origine des réactions inflamma-toires et pathologiques [4]. Le récepteur TLR5 serait un acteur de cette régulation au niveau intestinal, et interviendrait dans la régulation de la localisation et de la composition du microbiote intes-tinal. Il a en effet était montré que chez les souris invalidées pour le gène correspondant (Tlr5-/-), le microbiote intestinal devient pro-inflammatoire, et sa composition comme sa localisation sont modifiées comparativement à des souris sauvages [5-7].

Implication du microbiote intestinal et du récepteur à la flagelline TLR5 dans la réponse humorale anti-influenzaSuite à l’identification de l’implication du gène TLR5 dans la réponse immunitaire adaptative antigrippale, des équipes de Emory University et Georgia State Uni-versity ont entrepris une étude colla-borative dans le but de comprendre le rôle conjoint joué par la protéine TLR5 et le microbiote intestinal lors de la réponse humorale anti-influenza [8]. Nous montrons que la vaccination anti-grippale induit, chez les souris Tlr5-/-, une réponse immunitaire adaptative réduite comparée à celle observée chez les souris sauvages, avec une diminu-tion du nombre de plasmocytes1 et de la synthèse d’anticorps spécifiques. Ces données suggèrent donc qu’une mau-vaise détection du microbiote intestinal, en l’absence du récepteur TLR5, serait à l’origine de l’altération de la réponse humorale anti-influenza. L’utilisation de souris axéniques2, et de souris traitées par une combinaison d’antibiotiques, a permis de confirmer cette hypothèse,

1 Cellules immunitaires spécialisées dans la production d’anticorps.2 Souris maintenues en isolateur stérile et dépourvues de toute bactérie.

puisque l’absence ou la modification du microbiote intestinal, respectivement, conduisent en effet à une diminution de la synthèse d’anticorps spécifiques anti-influenza chez ces animaux [8]. D’un point de vue mécanistique, la reconnais-sance de la flagelline par le récepteur TLR5 agit en favorisant la différenciation des lymphocytes B en plasmocytes de manière directe et indirecte, via notam-ment la sécrétion de facteurs de crois-sance actifs sur les plasmocytes par les cellules macrophagiques des ganglions lymphocytaires.

ConclusionCette étude, publiée dans la revue Immunity [8], identifie un nouveau rôle joué par le microbiote intestinal dans l’amplitude de la réponse immunitaire induite lors d’une vaccination antigrip-pale. Ainsi, on pourrait considérer la composition et la localisation du micro-biote intestinal comme des composantes clés de l’efficacité d’une vaccination ; et la prise d’antibiotiques précédant une vaccination pourrait, de ce fait, affecter négativement la réponse immunitaire associée à la vaccination. Un argument en faveur de cette hypothèse est l’ob-servation selon laquelle de nombreux vaccins sont moins efficaces dans les pays en voie de développement que dans les pays industrialisés, probablement en raison de multiples facteurs modifiant la composition du microbiote intestinal [9]. Par exemple, l’efficacité du vaccin anti-rotavirus3 de première génération est de 73 % dans les pays industrialisés, contre seulement 20 % dans les pays en voie de développement [10]. Cepen-dant, le mécanisme mis en évidence pour le virus de la grippe ne peut pas être généralisé, et l’efficacité d’autres vaccins, tels que celui contre la fièvre jaune, l’hépatite B, ou encore le vaccin antidiphtérique, tétanique et poliomyé-litique, ne semble pas être affectée [8].

3 Virus non enveloppé de la famille des Reoviridae ayant comme support de son information génétique une molécule d’ARN double brin.

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357m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104004

the microbiota promotes host-microbial symbiosis. Nat Immunol 2013 ; 14 : 668-75.

5. Vijay-Kumar M, Aitken JD, Carvalho FA, et al. Metabolic syndrome and altered gut microbiota in mice lacking Toll-like receptor 5. Science 2010 ; 328 : 228-31.

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10. Jiang V, Jiang B, Tate J, et al. Performance of rotavirus vaccines in developed and developing countries. Hum Vaccin 2010 ; 6 : 532-42.

11. Uchiyama R, Chassaing B, Zhang B, Gewirtz AT. Antibiotic treatment suppresses rotavirus infection and enhances specific humoral immunity. J Infect Dis 2014 ; 210 : 171-82.

The intestinal microbiota helps shapping the adaptive immune response against viruses

REMERCIEMENTSBenoit Chassaing reçoit un financement de la Crohn and Colitis foundation of America.

LIENS D’INTÉRÊTL’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concer-nant les données publiées dans cet article.

RÉFÉRENCES

1. Nakaya HI, Wrammert J, Lee EK, et al. Systems biology of vaccination for seasonal influenza in humans. Nat Immunol 2011 ; 12 : 786-95.

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4. Chu H, Mazmanian SK. Innate immune recognition of

Qui plus est, une seconde étude menée à Georgia State University a révélé que l’ablation du microbiote intestinal chez la souris conférait une protection vis-à-vis de l’infection virale à rotavirus et induisait une réponse immunitaire adaptative anti-rotavirus plus durable [11]. Ainsi, dans le cas du rotavirus (et contrairement à la vaccination grippale), l’utilisation d’antibiotiques avant la vaccination pourrait permettre d’augmenter l’efficacité vaccinale dans les pays en voie de développement [11].Pour conclure, l’ensemble de ces don-nées mettent en évidence le concept selon lequel la composition du micro-biote intestinal, sa localisation et sa reconnaissance par le système immu-nitaire innée de l’hôte jouent un rôle important dans l’immunité adaptative antivirale. ‡

Institut Cochin, Inserm U1016, CNRS UMR 8104, Université Paris-Descartes,24, rue du faubourg saint-Jacques, 75005 Paris, [email protected]

L’hépatocyte, le super-héros de la régénération du foie après hépatectomieL’imagination « homérique » des Grecs nous a longtemps laissé croire que la capacité régénérative du foie était connue depuis l’antiquité. Pourtant, il faudra plus de 2 500 ans pour voir démontrée l’extraordinaire capacité pro-liférative des cellules hépatiques qui avait forgé le mythe de Prométhée. Le foie est composé pour plus de 80 % de cellules parenchymateuses au premier rang desquelles l’hépatocyte assure l’es-sentiel des fonctions métaboliques et de détoxication. Bien que différenciés et quiescents dans un foie non stimulé, les hépatocytes peuvent, si besoin, prolifé-rer in situ, dotant le foie de ses extraor-

dinaires capacités régénératives. Chez le rongeur, après une hépatectomie par-tielle des 2/3, la division quasi synchrone des hépatocytes matures du tiers restant du foie permet à ce dernier de recou-vrer sa masse initiale en quelques jours. Dans ce contexte particulier, le foie est donc capable d’assurer son homéostasie grâce à ses seuls hépatocytes, sans avoir recours à une niche spécifique de cellules souches. Plus remarquable encore, la transplantation d’un petit nombre de ces cellules hautement différenciées dans un modèle de souris dont le foie est en destruction/renouvellement permanents permet une reconstitution quasi com-plète de la masse hépatique en quelques semaines en raison de l’avantage sélectif des cellules transplantées. Il est même

possible de réitérer l’expérience sur une série de sept animaux consécutifs sans atteindre l’épuisement de la capacité proliférative de ces « super cellules ».

La cellule ovale : une autre cellule progénitrice hépatique ?Pourtant, il y a peu encore, l’hépatocyte ne semblait pas être le seul garant de la régénération du foie. En effet, dans des circonstances différentes, telles qu’une agression massive aiguë chez l’homme ou l’induction d’un stimulus régénératif asso-cié à une inhibition de la division hépato-cytaire chez le rongeur, de petites cellules, dites ovales, avaient été observées dès le milieu du XXe siècle en périphérie de la veine porte, dans une région du foie appelée canal de Hering [1]. Ces cellules

Une seule cellule souche dans le foie : l’hépatocyte !Hélène Gilgenkrantz

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prolifèrent rapidement et expriment un programme à la fois cholangiocytaire et hépatocytaire. Elles sont considérées comme des cellules bipotentes intermé-diaires entre cellules souches et cellules épithéliales différenciées. Ainsi, chez le rongeur soumis à certains régimes ou trai-tements (régime dit CDE pour déficient en choline et supplémenté en éthionine ; DDC pour 3,5-dietoxycarbonyl-1,4-dihy-drocollidine ou AAF/HP associant 2-acé-tyl-aminofluorène à une hépatectomie partielle), la prolifération de ces petites cellules et leur différenciation en hépa-tocytes et en cholangiocytes permettent la régénération du foie. Chez l’homme, ces cellules sont également responsables de la réaction ductulaire observée au cours de nombreuses agressions chroniques du

foie, que celles-ci soient virales, métabo-liques ou toxiques [1]. L’intensité de cette réaction ductulaire est significativement corrélée à la sévérité de la fibrose hépa-tique [2]. Après de nombreuses années de recherches infructueuses, des marqueurs tels que Foxl1 (forkhead box L1), Sox9, Epcam (epithelial cell adhesion molecule) ou Lgr5 (leucine-rich-repeat-containing G-protein coupled receptor 5) ont per-mis de mieux les caractériser [3]. Le rôle de certains d’entre eux semble d’ailleurs déterminant au cours de la régénération hépatique induite par les régimes spé-cifiques susmentionnés (CDE, DDC, AAF/PHx). À titre d’exemple, l’ablation de cellules progénitrices Foxl1 empêche de recouvrer un foie normal après agression [4], et la transplantation de ce type de

cellules dans d’autres modèles d’insuffi-sance hépatique permet de régénérer un foie sain. Leur origine, en revanche, restait à ce jour très controversée.

L’hépatocyte : une cellule ovale en sommeil ?Des approches expérimentales de lignage, utilisant la recombinase Cre ou des vec-teurs viraux dédiés ont été utilisées pour définir l’origine et le destin de ces cellules ovales in vivo. À l’issue d’un débat intense et souvent contradictoire, il est d’abord apparu que la proportion d’hépatocytes nouvellement formés et réellement issus de ces cellules progénitrices était faible (de l’ordre de 1 à 3 % en fonction des modèles utilisés) [5, 6]. Trois récentes publications, qui utilisent les mêmes types

Hépatectomie partielleDDC/CDE

Division hépatocytaire Canal de Hering

CSP/CBP

Différenciation cholangiocytaire

Dédifférenciation

2AAF/PH

Induction voie Wnt

Hépatite virale

Différenciation hépatocytaire

Lésions chroniques à l’origine d’une réaction ductulaire

Hépatocyte

Hépatocyte léséHépatocyte dédifférenciéou réaction ductulaireMacrophage

Cholangiocyte

Cholangiocyte lésé

Cellule étoilée du foie

Réaction ductulaireInduction voie Notch

Figure 1. Les cellules progénitrices bipotentes de la réaction ductulaire proviennent d’hépatocytes matures. En cas d’hépatectomie partielle (HP) ou d’agression aiguë simple, l’hépatocyte quiescent non lésé entre en division, participant ainsi à la régénération hépatique. L’agression chronique du foie chez le rongeur soumis à un régime CDE ou DDC entraîne une réaction ductulaire périportale. Les résultats récents [7-9] montrent que ces cellules progénitrices proviennent d’hépatocytes matures qui acquièrent un nouveau phénotype et peuvent se différencier en hépatocytes ou en cholangio-cytes. D’après des résultats antérieurs [14], en fonction du type d’agression chronique lésant soit les hépatocytes (hépatite chronique virale), soit les cholangiocytes (CSP pour cholangite sclérosante primitive ou CBP pour cirrhose biliaire primitive), les macrophages induiront une voie de signalisation différente, orientant les cellules de la réaction ductulaire vers l’un ou l’autre des destins cellulaires. Dans certaines conditions (traitement par le 2AAF et HP chez le rat), les cellules étoilées pourraient également contribuer à la régénération du foie via la formation de cellules progénitrices [13].

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du membre amputé se dédifférencient. Désormais, il faudra ranger le foie plutôt dans cette deuxième catégorie. Saluons toutefois le caractère exceptionnel de cette cellule épithéliale qu’est l’hépato-cyte, capable à la fois de se diviser, quand différenciation et division cellulaires sont souvent antinomiques, mais aussi, si on l’en empêche, de marcher à rebours sur ses traces ontogéniques pour mieux se réengager, vers un destin hépatocytaire ou biliaire en fonction des besoins. ‡The hepatocyte is the only stem cell in the liver

LIENS D’INTÉRÊTL’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concer-nant les données publiées dans cet article.

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les myofibroblastes du foie, en cas de lésion biliaire (cholangite sclérosante ou cirrhose biliaire primitive), accumulent un ligand des récepteurs Notch orientant les cellules supposées progénitrices vers une voie cholangiocytaire ; à l’inverse, dans des foies soumis à une agression de type hépatocytaire (infection chronique par le virus de l’hépatite C par exemple), les macrophages avoisinant les hépatocytes infectés induisent l’expression de gènes cibles de la voie Wnt comme Numb, une ubiquitine ligase antagoniste de la voie Notch, et le destin hépatocytaire sera alors privilégié. On peut donc désormais supposer que les cellules cibles de ce microenvironnement labile sont en réalité les hépatocytes eux-mêmes (Figure 1).Tous les hépatocytes sont-ils capables d’une telle plasticité ? La question est légitime si l’on considère que la tétra-ploïdie, caractéristique physiologique d’une proportion importante d’hépa-tocytes chez le rongeur comme chez l’homme, bloque l’activation de Yap [12]. Existe-t-il une niche d’hépato-cytes plus performants que d’autres dans ce domaine ? Rappelons que les cellules dites progénitrices sont obser-vées de façon privilégiée dans la région périportale au niveau du canal de Hering. D’autres types cellulaires hépa-tiques ont-ils également cette capacité à se dédifférencier ? Des travaux récents semblent indiquer que les cellules étoi-lées du foie peuvent contribuer à la formation d’hépatocytes et de cellules biliaires dans un modèle associant 2AAF et HP chez le rat (Figure 1), dont nous avons rappelé qu’il induisait également une réaction ductulaire [13]. Enfin, une dernière question reste en suspens : ces publications signent-elles définiti-vement la fin de la quête de la cellule souche hépatique ?Dans le monde de la régénération, il était classique de considérer que le foie avait une place à part, faisant fi des deux grandes voies classiques, celle de l’hydre qui requiert au moins une cellule souche, et celle des urodèles, dont les cellules épi-théliales au niveau de la zone de section

de régimes inducteurs de cellules ovales (CDE ou DDC chez la souris ou le rat) et des approches similaires de transplanta-tion et de lignage, sont venues porter un coup fatal à l’essence même de ces cel-lules progénitrices [7-9]. La conclusion est unanime : ces cellules bipotentes sont issues d’hépatocytes matures (Figure 1). Il nous aura donc fallu pratiquement 50 ans de débats pour retourner aux fon-damentaux et aboutir au constat que, comme après une hépatectomie partielle, les hépatocytes sont également respon-sables de la réparation du foie après une agression chronique. Cette fois cepen-dant, la régénération passera par une dédifférenciation préalable de l’hépato-cyte en une cellule progénitrice. Comment comprendre a posteriori les discordances observées ? Tout d’abord, l’expression des marqueurs ayant servi à suivre ces cellules est labile, remettant en cause l’interpré-tation de certains des résultats obtenus. Ainsi, l’expression de Sox9 est induite transitoirement dans des hépatocytes après administration de tamoxifène [3]. Par ailleurs, la plasticité de l’hépatocyte est remarquable. Il a par exemple été montré que l’induction de Notch suffisait à reprogrammer l’hépatocyte vers une dif-férenciation biliaire [10], ou que l’acti-vation de YAP dans un hépatocyte adulte [11] suffisait à le dédifférencier en cel-lule progénitrice, celle-ci présentant alors des caractéristiques typiques de cellules souches telles que multipotence et auto-renouvellement [12]. Or, chez l’homme, l’importance de la réaction ductulaire est justement corrélée à l’accumulation nucléaire de Yap [12].

La fin d’un mythe ?Comment revisiter l’ensemble des résul-tats obtenus ? Plasticité, dédifférencia-tion et microenvironnement de l’hépato-cyte sont les maîtres-mots permettant de réconcilier l’ensemble des travaux anté-rieurs. Nous avions déjà rapporté dans ces colonnes que le type de lésion hépatique modifiait le compor-tement du microenvi-ronnement (�). Ainsi,

(�) Voir la Nouvelle de M. Anson et al., m/s n° 5, mai 2012, page 473

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360 m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104005

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Lymphome folliculaireUne histoire de perversion de la mémoire immunologiqueSandrine Roulland1-3, Bertrand Nadel1-3

1Centre d’immunologie de Marseille Luminy, Université Aix-Marseille, Parc scientifique et technologique de Luminy, Case 906, 13288 Marseille cedex 9, France ; 2Inserm U1104, Marseille, France ;3CNRS UMR7280, Marseille, [email protected]

> Le lymphome folliculaire est la 2e hémo-pathie lymphoïde de l’adulte en termes de fréquence, et, en dépit de l’introduc-tion d’immunothérapies ciblées (dont le Rituximab1) au cours des années 2000, reste un cancer incurable [1]. L’évolution préclinique est généralement indolente et insidieuse, progressant sans symptôme clinique manifeste pendant plusieurs dizaines d’années. Le diagnostic est de fait généralement tardif et le traitement instauré alors que le clone tumoral est déjà largement disséminé. Au cours des lignes successives du traitement actuel de référence (R-CHOP2 ou équivalent), les rechutes sont quasi-inéluctables, récur-rentes, et acquièrent une résistance crois-sante aux traitements. Grâce au fantas-tique essor de la génomique, il est apparu au cours de ces dernières années qu’à l’instar de nombreuses autres tumeurs, les rechutes sont rarement le résultat de l’évolution directe des clones tumoraux présents au moment du diagnostic, mais au contraire sont issues de clones ances-traux, prétumoraux, vraisemblablement présents plusieurs années avant même l’apparition de la tumeur [2-6]. Par ana-logie avec les leucémies myéloïdes, ces entités prétumorales sont souvent assi-milées au concept des cellules souches cancéreuses, bien que pour le lymphome folliculaire, la définition phénotypique et la démonstration fonctionnelle restent spéculatives à ce jour. La dissection de ces mécanismes est un défi majeur, qui

1 Le rituximab est un anticorps monoclonal humanisé dirigé contre le CD20, un antigène spécifique des lymphocytes B.2 Le R-CHOP inclut le rituximab (MabThéraTM), le cyclo-phosphamide (EndoxanTM), la doxorubicine (AdriblastineTM), l’oncovinTM (vincristine) et la prednisone (SolupredTM).

pourrait mener au développement d’ap-proches curatives basées sur l’éradication des précurseurs engagés.Au niveau biologique, le lymphome fol-liculaire est un lymphome B mature issu de la transformation maligne de lymphocytes B des centres germinatifs. L’acquisition précoce de la translocation BCL2/IGH3 t(14;18)(q32;q21) lors d’er-reurs de recombinaison V(D)J pendant la différenciation des cellules pré-B dans la moelle osseuse, en constitue l’événe-ment initiateur (via l’activation consti-tutive de l’oncogène BCL2). Paradoxa-lement, il est désormais bien établi que des cellules porteuses de la transloca-tion t(14;18) sont également retrouvées à faible fréquence (1 cellule/1 million) dans le sang d’individus sains, sans autre manifestation hématologique cli-nique (> 70 % de la population adulte) [7]. Comparé à l’incidence du lym-phome folliculaire (~3-4 cas/100 000/an), il est clair que cette translocation est nécessaire, mais non suffisante, pour le développement tumoral, et que d’autres altérations, acquises au fil du temps, devront complémenter l’activité oncogénique de BCL2 pour enclencher le développement tumoral.

Une hypothèse de travailQuels sont les mécanismes menant à l’engagement des cellules t(14;18) dans la transformation maligne ? La démonstration récente que les cel-lules B mémoires peuvent réintégrer les

3 La translocation de BCL2/IGH juxtapose le gène BCL2 (18q21) en amont des enhancers du locus de la chaîne lourde gamma des immunoglobulines en 14q32, ce qui entraîne la surexpression de ce gène anti-apoptotique.

centres germinatifs et y déclencher de nouveaux cycles de maturation lors de stimulations antigéniques secondaires [8] nous a suggéré l’idée suivante : l’accumulation d’évènements menant au développement du lymphome folli-culaire requiert des passages successifs dans les centres germinatifs, favorisant une instabilité génomique croissante via le « mutateur » AID4 (activation induced cytidine deaminase) ; et l’ex-pression constitutive de BCL2 jouerait un rôle moteur dans l’initiation et la maintenance de ce cercle vicieux [7]. Cette hypothèse permettrait d’expliquer à la fois la latence et l’indolence de cette pathologie de l’adulte (moyenne 65 ans), dont le développement pourrait alors nécessiter des années, voire une vie entière de stimulations antigéniques.Pour répondre à cette question, nous avons créé un modèle murin dont l’objectif était de récapituler le plus fidèlement possible les étapes précoces de progression du lymphome folliculaire, depuis l’expression

4 « AID est indispensable, aussi bien chez l’homme que chez la souris, aux deux événements majeurs qui surviennent au cours de la différenciation terminale des lymphocytes B, dans les centres germinatifs des organes lymphoïdes secondaires : la commu-tation isotypique et la création des mutations somatiques.Les immunoglobulines M (IgM) qui portent une chaîne lourde , représentent la première classe d’anticorps synthétisée par les lymphocytes B quand ils se différencient en plasmocytes. Dans le gène codant pour les immunoglobulines, les régions constantes (définissant les différents isotypes) sont organisées de telle façon que l’exon μ est le premier en 5’, suivi de l’exon , puis , , et finalement . La commutation isotypique consiste en la substitution de la chaîne lourde (H) de l’IgM par celle d’un autre isotype (IgG, IgA, IgE) sans que la spécificité antigénique (portée par la région variable [V] des immunoglobulines) soit modifiée. Cet événement nécessite la recombinaison somatique entre deux régions S (switch) situées en amont de chaque région constante CH (constant heavy) des chaînes lourdes des immunoglobulines […]. AID, par son activité de désamination des cytidines, entraînerait la formation de mésappariements nucléotidiques qui à leur tour déclencheraient une cascade d’événements de réparation de l’ADN. » (tiré de [11]).

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sporadique de la translocation t(14;18) chez l’individu sain (dans ~ 1 cellule sur 1 million) jusqu’aux formes les plus pré-coces, telles que le « lymphome follicu-laire in situ » (FLIS). Le FLIS est considéré comme l’entité clinique la plus précoce du lymphome folliculaire ; celle-ci se mani-

feste par une colonisation partielle des centres germinatifs (en général quelques foci BCL2+ au sein de centres germina-tifs normaux par ailleurs, BCL2-, sans dis-torsion architecturale), et progressant vers un lymphome folliculaire dans ~ 5 % des cas [9]. Dans notre modèle nommé

BCL2traceur (Figure 1A), un transgène BCL2 humain (qui peut être distingué par un anticorps spécifique du Bcl2 endogène murin) est activé via une inversion V(D)J, récapitulant le caractère sporadique de t(14;18). La séquence de jonction (unique pour chaque inversion) constitue alors

Module transgénique rétroviral

Infection rétrovirale, immunisation chronique et transfert adoptif

A

B

LTR

LTR

CJ

D

D

J

J

BCL2

BCL2

IRES - Marker1

IRES - Marker1

Inversion V(D)J

Infectionrétrovirale

AID-CRE/ROSA-EYFP

CSH

Greffe

Sauvage Sauvage

Fréq. BCL2inv

~10-6 - 10-5Immunisationchronique GRM

Toutes les 3 semainespendant 9 mois

Fréq. BCL2inv

> 100xTransfertadoptif

FACS-tri cellulaire• B mémoires• B du CG

StimulationGRM

1 semaine

« FLIS-like »

GCs

YFP GL7 IgD hBCL2 YFP GL7X40 IgD hBCL2

• Activation de BCL2 RAG-dépendante• Réarrangement et expression « sporadiques »

(~ 1 cellule B par million) préservant un microenvironnement normal

• Le joint codant (CJ) formé est unique, permettant le suivi moléculaire des clones BCL2+ dans le développement B et dans la progression prétumorale

Figure 1. Le modèle BCL2traceur. A. Représentation schématique du module transgénique rétroviral. Un BCL2 transcriptionnellement inactif (inversé et flanqué d’un marqueur cellulaire sous IRES) est bordé de séquences signal de recombinaison V(D)J arrangées en mode inversion (triangles). Sous l’action des recombinases RAG1/2 lors du développement pré-B, le module BCL2 est inversé et placé sous le contrôle transcriptionnel (consti-tutif) du LTR (long terminal repeat) rétroviral. La recombinaison par inversion est relativement inefficace et se produira dans ~ 1 cellule B sur un million. La séquence formant le joint codant (CJ) est imprécise, et forme une empreinte clonale traçable par PCR. B. Représentation schématique de la stratégie de stimulation antigénique. Les cellules souches hématopoïétiques (CSH) d’une souris [AID-Cre x ROSA-EYFP] sont infectées par les rétrovirus contenant le module BCL2traceur non réarrangé, et greffées dans une souris hôte sauvage irradiée. En absence d’immunisation, la fréquence des cellules ayant réarrangé/activé le transgène BCL2 reste de ~10-6/10-5 quel que soit l’âge des souris greffées. Une stimulation antigénique répétée (ici par un antigène complexe : les globules rouges de mouton [GRM]) provoque une expansion préférentielle des cellules B BCL2+ comparé aux autres cellules B non réarrangées (BCL2-) au sein des mêmes souris. Les sous-populations B BCL2+ et contrôles sont triées par cytométrie de flux et un transfert adoptif effectué dans une nouvelle souris hôte sauvage (pré-immunisée et stimulée avec des GRM). La forma-tion de clusters BCL2+ « FLIS-like » est observée au sein de centres germinatifs réactifs par ailleurs normaux. Marquages : EYFP (enhanced yellow fluorescent protein), cellules ayant transité par le centre germinatif et activé la EYFP via AID-Cre. GL7 : marqueur des cellules du centre germinatif. IgD : marqueur des cellules B du manteau entourant le centre germinatif ; hBCL2 : BCL2 transgénique humain.

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un marqueur spécifique de chaque clone (clonotypique) se substituant au point de cassure de t(14;18). L’étude des souris BCL2traceur montre que lors d’une immu-nisation courte (2 rappels), l’expression ectopique de BCL2 dans les lymphocytes B activés ne permet ni leur accumulation ni leur rétention dans les centres germinatifs, et génère, comme chez la souris sauvage, des B mémoires et des plasmocytes dif-férenciés. En revanche, une immunisation chronique (toutes les 3 semaines pendant 9 mois) incite à la réentrée préférentielle des B mémoires BCL2+ dans les centres ger-minatifs et à leur expansion clonale mas-sive, aux dépens des cellules B mémoires normales [10] (Figure 1B). Curieusement, en dépit de l’intense processus d’immu-nisation, la grande majorité des clones BCL2+ ne font pas de commutation de classe (voir note 4) et restent IgM+. Le transfert adoptif de ces cellules réactivées de façon répétée chez un hôte sauvage pré-immunisé démontre qu’une cellule B BCL2+ différenciée peut réintégrer un centre germinatif, s’y « dédifférencier » en cen-troblaste, et s’y accumuler en foci BCL2+ mimant une forme de précurseur humain de type FLIS. Il est intéressant de noter que seules les cellules B mémoires IgM+ BCL2+

ont cette propriété, ce qui pourrait expli-quer la prédominance de cet isotype dans les lymphomes folliculaires, en dépit d’une activité constitutive et fonctionnelle d’AID tant au niveau des mutations somatiques5 que de la commutation de classe [7].Ces passages répétés dans les centres germinatifs génèrent-ils une instabi-lité génomique particulièrement élevée dans les précurseurs BCL2+ ? Par une approche d’exome-seq6 sur les popula-tions B mémoires purifiées, nous montrons, dans notre modèle de souris BCL2traceur immunisées en mode chronique, que la fréquence de SNV (single nucleotide

5 « La création des mutations somatiques consiste en l’intro-duction de mutations somatiques dans la région V ; c’est un préalable nécessaire à la sélection positive des cellules B pré-sentant un récepteur de l’antigène (BCR) de forte affinité. Les cellules B exprimant un récepteur de faible affinité, ou bien reconnaissant un autoantigène, sont sélectionnées négative-ment et meurent par apoptose » (tiré de [11]).6 Exome-seq : séquençage de l’exome à haut débit.

variant) dans les fractions de cellules mémoire BCL2+ est significativement plus élevée que dans les fractions mémoires contrôles. Les transitions GA et CT sont les variations les plus fréquentes, en accord avec une activité faisant inter-venir AID. Nous avons validé ces obser-vations chez l’homme, grâce à l’analyse d’une collection unique de tissus appariés (rate, ganglions, moelle osseuse, sang) d’individus sains porteurs de la transloca-tion t(14;18)+, notamment des donneurs d’organes. Nous montrons que comparés aux clones mémoires normaux, les clones BCL2+ sont largement disséminés (y com-pris dans la moelle osseuse, un site de localisation préférentiel du lymphome folliculaire mais pas des B mémoires), ont subi une expansion clonale bien plus significative, et présentent une extraor-dinaire diversité sous-clonale tradui-sant une longue histoire généalogique. De façon remarquable, les formes FLIS-like murines miment la situation observée chez l’homme : en effet, l’analyse par CGH-array haute résolution montre dans les FLIS un nombre d’altérations bien supé-rieur aux contreparties non tumorales, touchant notamment certains oncogènes (par exemple EZH2 [enhancer of zeste homolog 2]7) et suppresseurs de tumeur (par ex. MLL2 [mixed-lineage leukemia protein 2], TNFRSF14 [tumor necrosis fac-tor receptor superfamily member 14]) observés de façon récurrente dans le lym-phome folliculaire [9]. De plus, une excel-lente correspondance existe entre le taux et la relevance/récurrence des altérations et les différents stades de progression vers le lymphome folliculaire (FLIS < lym-phome folliculaire bas grade < lymphome folliculaire haut grade).Ainsi, nous montrons que la lymphoma-genèse du lymphome folliculaire procède initialement d’une perversion de la dyna-mique et de la plasticité des lymphocytes B mémoires à la base de la maintenance de la mémoire humorale. À la suite de la t(14;18), le « 2e hit » n’est donc pas

7 Une histone méthyltransférase constitutive du complexe répresseur Polycomb.

génétique, mais immunologique (extrin-sèque à la cellule). Au cours du temps, la résidence prolongée et récurrente de cellules BCL2+ (et donc résistantes à l’apoptose) dans un environnement hautement mutagène (AID+) génèrerait alors une instabilité génomique propice à l’accumulation d’altérations oncogé-niques complémentaires (3e hit).L’identification de ces troisièmes évène-ments, et le décryptage de leurs fonc-tions dans l’engagement, le caractère « souche » et la transformation maligne, sont les principaux objectifs de nos pro-jets actuels. ‡Follicular lymphoma: a history of perversion of immunological memory

LIENS D’INTÉRÊTLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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363m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104006

La plasticité cérébrale au quotidienL’architecture de base de notre cerveau n’est pas complètement figée mais peut évoluer dans le temps, par exemple au cours du développement du système nerveux ou, chez l’adulte, pendant les phases d’apprentissage, en fonction du degré d’utilisation des différentes parties du corps. On appelle « plasticité cérébrale par l’usage » la capacité qu’a le cerveau à augmenter sélectivement le traitement de l’information associée à une partie du corps en réponse à une plus grande utilisation de celle-ci [1-3]. Jusqu’à présent, la plasticité cérébrale par l’usage a été mise en évidence dans des situations extrêmes, que ce soit chez des patients ayant perdu une partie du corps après un traumatisme (lésion de la moelle épi-nière, amputation, membre immobilisé) [4, 5], ou chez des sujets montrant des habiletés extraordinaires nécessitant une utilisation particulièrement inten-sive d’une partie du corps, comme les sportifs d’élite [6], les aveugles lisant le Braille [7] et les musiciens [8]. Chez les joueurs d’instruments à cordes [8] par exemple, la représentation corticale de la main gauche, occupée à raccourcir la longueur des cordes de l’instrument (ce qui requiert donc une grande dex-térité manuelle et une forte stimulation sensorielle), était non seulement plus étendue que celle de la main droite, qui manie si besoin l’archet, mais égale-ment plus étendue que celle de la main

gauche chez des sujets contrôles. Ces exemples de plasticité cérébrale chez des sujets hors du commun conduisent alors à se deman-der si ce phénomène intervient aussi dans notre vie quotidienne. Les tech-nologies digitales personnelles telles que les téléphones portables avec écran tactile ou smartphones, constituent des « supports » de choix pour répondre à cette question. Non seulement ces petits appareils occupent une place prépondérante dans nos vies, mais ils permettent également d’utiliser leur propre technologie pour en suivre l’uti-lisation faite par leur propriétaire.L’électroencéphalographie (EEG) offre la possibilité d’étudier de manière non invasive, et avec une grande résolution temporelle, l’activité électrique géné-rée par le cortex cérébral. L’étude rela-tée ici [9] a porté sur l’enregistrement de l’activité corticale par EEG de sur-face (62 électrodes sur le cuir chevelu) en réponse à des stimulations tactiles très focales (d’une durée de 2 ms, pro-voquant une légère déformation de la peau) appliquées sur la phalange distale du pouce, de l’index et du majeur droits chez 37 sujets droitiers : 26 possédaient un smartphone et 11 un téléphone por-table d’ancienne génération, sans écran tactile. Des potentiels évoqués soma-tosensoriels (PES) ont été obtenus par le moyennage de 1 250 stimulations par doigt stimulé.

Les technologies digitales personnelles façonnent le traitement de l’information tactile par le cerveauÀ notre plus grande surprise, alors que les utilisateurs de smartphones inter-agissaient avec l’écran tactile de leur appareil essentiellement par le pouce, l’amplitude de l’activité corticale en réponse aux stimulations tactiles des extrémités des trois doigts testés s’est avérée statistiquement plus grande chez les utilisateurs de smartphones que chez les utilisateurs de téléphones portables d’ancienne génération (Figure 1A). Cette différence s’observait spatialement au niveau des électrodes contralatérales pariétales pour les trois sites de sti-mulation, bien que plus faible suite à la stimulation du majeur (Figure 1B-C). Grâce à des stimulations tactiles simul-tanées des extrémités du pouce et de l’index, nous avons aussi démontré que l’augmentation de l’activité cérébrale chez les utilisateurs de smartphones ne s’était pas produite aux dépens des interactions inhibitrices [10] entre les doigts, phénomène qui permet d’aug-menter la capacité de discrimination tactile.Restait alors à expliquer l’activité cor-ticale des adeptes du smartphone. Pour ce faire, des analyses de régressions multiples ont été réalisées entre l’acti-vité cérébrale moyenne de la popula-

L’utilisation de smartphones façonne le traitement cortical de l’information sensorielle tactile provenant de l’extrémité des doigtsAnne-Dominique Gindrat1,*, Magali Chytiris1,2,*, Myriam Balerna1,2,*, Eric M. Rouiller1, Arko Ghosh2-4

NOUVELLE

1Domaine de physiologie, Fribourg cognition center, département de médecine, université de Fribourg, 5 chemin du Musée, CH-1700 Fribourg, Suisse ;2Institut de neuroinformatique, université de Zürich et ETH Zürich, Winterthurerstrasse 190, CH-8057 Zürich, Suisse ;3Neuroscience center Zürich, Université de Zürich et ETH Zürich, Winterthurerstrasse 190, CH-8057 Zürich, Suisse ;4Institut de neuroscience cognitive, university college London, 17 Queen Square, Londres, WC1N 3AR, [email protected]@[email protected]@[email protected]*Ces auteurs ont contribué de façon égale

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tion d’utilisateurs de smartphones d’une part, et trois variables liées à l’utili-sation de ces appareils d’autre part, à savoir l’âge du début de la pratique (inspiré par les résultats obtenus chez les joueurs d’instruments à cordes [8]), l’usage par heure et la durée comprise entre le pic d’utilisation du téléphone et l’acquisition EEG (Figure 2). Ces deux derniers paramètres ont été dérivés directement de l’historique de l’utilisa-tion de la batterie du smartphone pen-

dant les 10 jours précédant l’acquisition EEG (évolution de la décharge de la bat-terie au cours du temps suivie au moyen d’une application).Nous avons alors pu montrer que chez les utilisateurs de smartphones, l’activité corticale résultant de la stimulation tac-tile du pouce et celle liée à la stimulation tactile de l’index étaient directement pro-portionnelles à l’intensité de l’utilisation du téléphone (usage par heure). Deuxième fait marquant, la réponse à la stimulation

tactile du pouce était sensible aux fluc-tuations quotidiennes de l’utilisation du smartphone : en effet, plus l’intervalle de temps compris entre l’épisode d’utili-sation la plus intense du téléphone et la mesure de l’activité cérébrale en réponse à la stimulation du pouce était court, plus l’activité corticale associée était grande. Étant donné les grandes fluctuations de l’utilisation des smartphones au cours du temps en fonction de notre besoin, l’his-torique de l’utilisation de ces appareils

Figure 1. Modification du trai-tement de l’information tac-tile des doigts par l’usage de smartphones. A. Tracés moyen-nés (traits foncés) des poten-tiels évoqués somatosensoriels (PES) (référence moyenne) ± erreur type (zones plus claires) au niveau de chaque groupe de sujets, mesurés sur l’électrode (point rouge) montrant le plus grand PES positif en réponse à la stimulation tactile de la phalange distale du pouce droit (haut), de l’index droit (milieu) et du majeur droit (bas) chez les utilisateurs de smartphones (rouge) et chez les utilisateurs de téléphones portables sans écran tactile (bleu). Le rectangle gris correspond aux latences pour lesquelles il existe une dif-férence statistiquement signi-ficative entre les deux groupes de sujets (p < 0,05 et T > 1, test t à deux échantillons corrigé ensuite pour les comparaisons multiples par un clustering spa-tiotemporel en 2D basé sur 1 000 bootstraps). Le début de la sti-mulation (0 ms) est indiqué par une flèche pointant en direction des tracés. B. Cartes correspon-dantes de la distribution du vol-tage mesuré sur le cuir chevelu

55 ms après la stimulation chez les utilisateurs de téléphones portables sans écran tactile et chez les utilisateurs de smartphones. C. Cartes des valeurs T (p < 0,05, corrigées ensuite pour les comparaisons multiples par un clustering spatiotemporel en 2D basé sur 1 000 bootstraps) indiquant la distribution des électrodes mesurant un signal significativement différent entre les deux groupes de sujets 55 ms après la stimulation (figure et légende reproduites de [9] - © 2015, avec la permission d’Elsevier).

A B C

Téléphone portablesans écran tactile

Smartphone(écran tactile)

40 ms

40 ms

55 ms 55 ms 55 ms

55 ms 55 ms 55 ms

1 V

1 V

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55 ms 55 ms 55 ms

1 V

-2 2 0 4

Activité cérébrale moyenne ( V) Valeur T (p < 0,05)

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basé sur les 10 jours précédant la mesure de l’activité cérébrale reflète l’utilisation à court terme seulement. Malgré cela, la relation linéaire entre l’activité corticale

et les fluctuations journalières de l’uti-lisation des smartphones suggère qu’un remodelage du cortex a déjà pu se pro-duire pendant cette courte période.

L’augmentation de l’activité corticale chez les utilisateurs de smartphones diffère de celle démontrée précédem-ment chez les joueurs d’instruments à

F > 1p < 0,05

F > 1p < 0,05

F > 1p < 0,05

50 ms

50 ms

50 ms

50 ms

50 ms

50 ms

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Âge du début de la pratiqueUsage par heureDurée depuis le pic d’utilisation

Activité cérébrale moyenne ( V) Activité cérébrale moyenne ( V)

40 ms 50 ms 60 ms

40 ms 50 ms 60 ms

40 ms 50 ms 60 ms 40 ms 50 ms 60 ms

40 ms 50 ms 60 ms

40 ms 50 ms 60 ms

40 ms 50 ms 60 ms

40 ms 50 ms 60 ms

40 ms 50 ms 60 ms

40 ms 50 ms 60 ms

R2 global (p < 0,05, F > 1) R2 global (p < 0,05, F > 1)

2 V

- 2 V0,7

0

20

0

Usage par heure ( , V/std) Usage par heure ( , V/std)Durée depuis le pic d’utilisation ( , V/std)

Valeur F Usage par heure (p < 0,05) Valeur F Usage par heure (p < 0,05)Valeur F Durée depuis le pic d’utilisation (p < 0,05)

0,5 V/std

- 0,5 V/std

Figure 2. Relation entre les variations interindividuelles de l’activité corticale et l’utilisation des smartphones. A. Des analyses de régressions multiples ont été réalisées pour chaque site de stimulation entre les potentiels évoqués somatosensoriels (PES) (haut) et trois variables indé-pendantes (normalisées Z’) liées à l’utilisation des smartphones : l’âge du début de la pratique, l’usage par heure (aire sous la courbe) et la durée depuis le pic d’utilisation (ln(h)). Des coefficients de corrélation (bas) au cours du temps ont ainsi été obtenus pour chaque variable aux deux électrodes (point rouge) montrant le plus grand PES positif, respectivement négatif, en réponse à la stimulation tactile de chacun des trois doigts, mais seules les corrélations statistiquement significatives sont représentées ici. Les PES obtenus chez chaque utilisateur de smartphones (référence moyenne) sont représentés par les traits gris et la moyenne obtenue à l’intérieur de ce groupe est illustrée par le trait noir épais (haut). Le début de la stimulation (0 ms) est indiqué par une flèche pointant en direction des tracés. Les rectangles de couleur délimités par les traits pointillés correspondent aux latences auxquelles il existe une corrélation statistiquement significative (coefficients de corrélation significatifs, p < 0,05, régressions corrigées ensuite pour les comparaisons multiples par un clustering spatiotemporel en 2D basé sur 1000 bootstraps) entre les PES et la variable correspondante (bas). std : écart-type. B. Cartes correspondantes de la distribution du voltage mesuré sur le cuir chevelu 40 ms, 50 ms et 60 ms après la stimulation. C. Estimation de la validité de l’ajustement correspondant pour le modèle de régression global (R2) aux trois mêmes latences que B. D. Cartes de la distribution sur le cuir chevelu des coefficients de corrélation aux trois mêmes latences que B. E. Cartes de la distribution sur le cuir chevelu des valeurs F statistiquement significatives aux trois mêmes latences que B. L’usage par heure s’est avéré significativement corrélé aux PES suite à la stimulation tactile du pouce et de l’index sur certaines électrodes, alors que la durée depuis le pic d’utilisation s’est montrée significativement corrélée aux PES suite à la stimulation tactile du pouce sur certaines électrodes (figure et légende reproduites de [9], © 2015, avec la permission d’Elsevier).

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les autres membres de l’Institut de neuroin-formatique pour leur soutien, Cyril Pernet pour ses explications concernant LIMO EEG, Nobuhiro Hagura et Roland S. Johansson pour leurs commentaires, ainsi que les collègues de l’Université de Fribourg pour leur précieuse participation à l’étude.

LIENS D’INTÉRÊTLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’inté-rêt concernant les données publiées dans cet article.

RÉFÉRENCES

1. Dayan E and Cohen LG. Neuroplasticity subserving motor skill learning. Neuron 2011 ; 72 : 443-54.

2. Nudo RJ. Plasticity. NeuroRx 2006 ; 3 : 420-7. 3. Pascual-Leone A, Amedi A, Fregni F, et al. The plastic

human brain cortex. Annu Rev Neurosci 2005 ; 28 : 377-401.

4. Flor H, Nikolajsen L, Staehelin JT. Phantom limb pain: a case of maladaptive CNS plasticity? Nat Rev Neurosci 2006 ; 7 : 873-81.

5. Langer N, Hanggi J, Muller NA, et al. Effects of limb immobilization on brain plasticity. Neurology 2012 ; 78 : 182-8.

6. Pearce AJ, Thickbroom GW, Byrnes ML, et al. Functional reorganisation of the corticomotor projection to the hand in skilled racquet players. Exp Brain Res 2000 ; 130 : 238-43.

7. Pascual-Leone A, Torres F. Plasticity of the sensorimotor cortex representation of the reading finger in Braille readers. Brain 1993 ; 116 : 39-52.

8. Elbert T, Pantev C, Wienbruch C, et al. Increased cortical representation of the fingers of the left hand in string players. Science 1995 ; 270 : 305-7.

9. Gindrat AD, Chytiris M, Balerna M, et al. Use-dependent cortical processing from fingertips in touchscreen phone users. Curr Biol 2015 ; 25 : 109-16.

10. Von Békésy G. Sensory inhibition. Princeton : Princeton University Press, 1967 : 278 p.

cordes [8]. Chez ces derniers, il existait une relation linéaire entre l’âge auquel les sujets avaient débuté la pratique de leur instrument et l’activité céré-brale, phénomène que nous n’avons pas observé chez les utilisateurs de smart-phones. En revanche, nous avons pu mettre en évidence une relation linéaire entre l’utilisation récente (du smart-phone) et l’activité corticale, lien qui n’existait pas chez les musiciens. Le fait que ces derniers aient entamé la pratique de leur instrument beaucoup plus précocement que les utilisateurs de smartphones l’emploi de leur téléphone, laisse à penser que ces musiciens dispo-saient d’une représentation sensorielle corticale beaucoup plus stable que celle des utilisateurs de smartphones.Ces résultats suggèrent que les mouve-ments répétitifs opérés sur des écrans tactiles lisses réorganisent le traitement de l’information sensorielle à partir de la main, avec des ajustements quoti-diens de la représentation corticale de l’extrémité des doigts selon l’intensité de l’utilisation du smartphone.

ConclusionLoin de nous l’idée de faire sensation en nous prononçant sur un quelconque impact positif ou négatif de l’utilisation des smartphones sur notre vie quoti-

dienne ! L’originalité de notre travail repose tout d’abord sur le désir d’étu-dier la plasticité cérébrale chez M. et Mme Tout-le-monde, mais également sur la formidable opportunité offerte par les smartphones d’utiliser leur propre technologie pour en quantifier l’usage. Il nous reste néanmoins encore beaucoup de facettes à explorer pour interpréter nos résultats plus en détail et les appli-quer. Toutefois, il ressort de cette étude que l’utilisation de smartphones n’est pas anodine pour le cerveau, et qu’il faut rester attentif en cas d’utilisation très intensive. Notre approche pourrait per-mettre de disposer d’un outil adapté pour suivre, voire prévenir, des changements en cours (maladaptation) conduisant à un état pathologique (par exemple dys-fonctions motrices ou douleur chronique neurogène). Cela nécessiterait alors d’étendre nos investigations à des sujets présentant des signes d’addiction. ‡Smartphone use shapes cortical tactile sensory processing from the fingertips

REMERCIEMENTSCe projet a été financé par la Society in Science, The Branco Weiss Fellowship, OPO Stiftung et Vontobel Stiftung, Zürich (A. Ghosh) et le Fonds national suisse de la recherche scien-tifique (fonds n° 149643 (E.M. Rouiller). Nous remercions également Kevan Martin et

À retourner à EDK, 109, avenue Aristide Briand - 92541 Montrouge CedexTél. : 01 41 17 74 05 - Fax : 01 43 29 32 62 - E-mail : [email protected] : .......................................................................................................................... Prénom : ...................................................................................................................

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367m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104007

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Une horloge circannuelle sonne le réveil des hibernantsCristina Sáenz de Miera, André Malan, Valérie Simonneaux

Institut des neurosciences cellulaires et intégratives, UPR CNRS 3212, 5, rue Blaise Pascal, 67084 Strasbourg, [email protected]

> Quand les vertébrés primitifs ont envahi les milieux terrestres, ils y ont trouvé une production végétale abon-dante qui a permis l’explosion des espèces. Mais ils se sont également heurtés à d’importantes fluctuations saisonnières de cette production en fonction des variations de la durée du jour (photopériode), de la température et de l’humidité. Il leur a donc fallu développer des stratégies adaptatives pour survivre aux périodes de disette, et pour concentrer les coûts de la repro-duction sur les périodes de production primaire maximale (Figure 1).L’hibernation est l’une des stratégies utilisées pour survivre à des conditions environnementales difficiles. Elle s’est développée à partir de mécanismes ancestraux d’inhibition métabolique communs à tous les êtres vivants (dor-mance, cryptobiose, etc.). Les mam-mifères hibernants y ont ajouté la réduction de la température corporelle (torpeur), qui ralentit les réactions métaboliques et diminue les besoins [1]. Ils peuvent ainsi survivre jusqu’à 8 mois sur 12 sans apport alimentaire, en utilisant les réserves accumulées l’été précédent sous forme, soit de graines, soit le plus souvent de réserves intra-corporelles (lipides). Au cours de l’hi-vernage, les phases de torpeur sont interrompues par de brefs réveils, dont le dernier, l’émergence, marque le début de la reproduction printanière.La brièveté de la saison estivale laisse peu de temps pour la rencontre des sexes, l’allaitement, la croissance des jeunes et l’accumulation des réserves indispensables à la survie au cours de l’hiver suivant (Figure 1). Au Canada,

des spermophiles1 émergent un mois avant la fonte des neiges et se livrent à jeun aux activités de reproduction. Chez l’ours, la durée de la gestation oblige la femelle à mettre bas et à allaiter en pleine hibernation sur ses réserves. Pour tous, le succès reproducteur dépend de la qualité de la synchronisation entre l’émergence et l’activation printanière de la reproduction. Pour émerger de leur terrier au jour dit, en l’absence de toute information extérieure, les animaux doivent disposer d’un système endogène de mesure du temps qui sonne le signal du réveil interne. Ce système fait intervenir une horloge circannuelle (circa : environ ; annus : an) endogène qui contrôle la synthèse de protéines hépatiques impliquées dans le réveil métabolique [2], et des mécanismes neuroendocriniens qui activent la repro-duction [3].

L’horloge circannuelle, un calendrier interneDes transitions rythmiques endogènes entre les physiologies d’été et d’hiver, en l’absence de signaux externes, s’ob-servent chez de nombreuses espèces, des invertébrés aux mammifères. Cela suggère que le système endogène à l’ori-gine de l’horloge circannuelle est issu de mécanismes ancestraux communs [4, 5]. Nous avons ainsi montré que le hamster d’Europe (Cricetus cricetus), maintenu en conditions constantes de photopériode et de température, pré-sente un rythme circannuel de reproduc-tion et de masse corporelle [3, 6]. À ce

1 Ce sont des rongeurs de la famille des écureuils (susliks ou écureuils terrestres).

jour, la localisation et les mécanismes moléculaires de l’horloge circannuelle sont toujours inconnus. Néanmoins, des données expérimentales impliquent la pars tuberalis, une région de l’hypo-physe très riche en récepteurs de la mélatonine, une hormone de la glande pinéale essentielle pour la synchronisa-tion des fonctions saisonnières [7].Les animaux dans leur terrier ne per-çoivent pas les changements clima-tiques, ils doivent donc anticiper les variations saisonnières de l’environne-ment afin que leur système reproducteur soit prêt dès l’émergence. L’horloge cir-cannuelle endogène est donc indispen-sable, mais il faut également qu’elle soit synchronisée, c’est-à-dire que sa période endogène d’environ 10 mois doit être modifiée pour coïncider avec celle de l’alternance des saisons, qui est de 12 mois. La production saisonnière de mélatonine et les variations annuelles de la photopériode apparaissent comme les deux principaux facteurs capables de synchroniser l’activité de l’horloge circannuelle [8].

Mécanismes centraux de l’horloge circannuelleNous avons beaucoup progressé récem-ment dans la connaissance des méca-nismes d’action de la mélatonine pour le contrôle saisonnier de la reproduc-tion [9]. La synthèse de mélatonine par la glande pinéale est exclusivement nocturne, et sa durée est proportion-nelle à celle de la nuit. La mélatonine agit sur ses récepteurs localisés dans la pars tuberalis pour contrôler la pro-duction de l’hormone thyréostimuline (TSH). En hiver, la sécrétion prolongée

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avec une masse corporelle accrue). L’ex-pression du gène RFRP était également augmentée en été subjectif, démontrant que l’information circannuelle est inté-grée dans le système neuroendocrine contrôlant l’activité de reproduction.Ces résultats suggèrent que l’horloge circannuelle est localisée dans la pars tuberalis et utilise les mêmes voies de sortie neuroendocrines que celles qui assurent le contrôle saisonnier de la reproduction par la mélatonine. L’hor-loge circannuelle régule notamment l’expression de la TSH qui, via l’hormone T3 hypothalamique, transmet l’infor-mation circannuelle vers des struc-tures centrales contrôlant de grandes fonctions biologiques, incluant proba-blement l’hibernation. L’horloge de la pars tuberalis a également été impli-quée dans le contrôle circannuel de la

[3]. Des hamsters mâles ont été privés de repères saisonniers en les exposant à une photopériode fixe et en supprimant la synthèse de mélatonine par pinéa-lectomie. Ces animaux ont conservé des rythmes circannuels de température interne, de masse corporelle et d’activité testiculaire (Figure 2A). De façon remar-quable, même en l’absence du signal mélatoninergique, l’expression des gènes TSH dans la pars tuberalis, et Dio2 dans les tanycytes, présentait des rythmes circannuels en cohérence avec ceux des variables physiologiques (Figure 2B). Ainsi, l’expression de ces gènes était réprimée chez les animaux en hiver sub-jectif (caractérisé par des épisodes de torpeur fréquents, un amaigrissement et une inhibition de la reproduction), tandis qu’elle était maximale chez les animaux en été subjectif (sexuellement actifs et

de mélatonine inhibe la synthèse de TSH dans la pars tuberalis, tandis que son raccourcissement printanier permet au contraire la synthèse de TSH et sa libé-ration dans la partie basale de l’hypo-thalamus. La TSH active l’expression de l’enzyme déiodinase 2 (Dio2) dans les tanycytes, cellules spécialisées situées au contact du troisième ventricule. La Dio2 stimule la synthèse locale d’hor-mone thyroïdienne T3, qui joue un rôle fondamental dans la régulation de la physiologie saisonnière, en particulier la reproduction. En effet, la T3 stimule la production neuronale des neuropeptides kisspeptine et RFRP3 (RFamide-related peptide 3), régulateurs centraux de l’axe gonadotrope.Nous avons utilisé ces nouveaux acquis pour étudier les mécanismes de l’horloge circannuelle chez le hamster d’Europe

Figure 1. Schéma général de la distribution des processus physiologiques au cours des saisons chez les mammifères hibernants. Les fluctuations saisonnières de la disponibilité des ressources dans l’environnement (trait vert) et la durée journalière de la lumière (photopériode courte : bleu ; ou longue : jaune) sont les principaux facteurs externes qui synchronisent l’activité de l’horloge cir-cannuelle (au centre) avec les saisons. Ceci permet d’optimiser le début et la fin de l’hi-bernation (HIB), de l’activité reproductive (REP), de la croissance des petits (CR) et de l’accumulation de réserves (ACC) nécessaires à la phase d’hibernation suivante. Ce cycle se répète tout au long de la vie d’un individu, et ses caractéristiques dépendent de l’espèce.

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Figure 2. Rythmes circannuels chez l’hamster d’Europe. A. Rythmes circannuels de température (°C), masse corporelle (g) et taille testiculaire (mm) chez un hamster mâle privé de repères saisonniers. B. L’expression des gènes codant la TSH dans la pars tuberalis et Dio2 dans les tanycytes est inhibée quand les animaux se trouvent en phase d’hiver subjectif (hiver S) : phases de torpeur, diminution de la masse corporelle et régression testiculaire, tandis qu’elle augmente dans la phase d’été subjectif (été S) : augmentation de la température, de la masse corporelle et de la taille testiculaire. Barres d’échelle : TSH : 100 μm ; Dio2 : 50 μm.

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l’hibernation par de multiples aspects [10]. Or, le suivi sur plusieurs années d’un patient atteint de SAD a mis en évidence un décours temporel évoquant une horloge circannuelle fonctionnant en libre cours [11]. En nous offrant une fenêtre sur les mécanismes neuroen-docriniens de l’horloge circannuelle, les mammifères hibernants ouvrent des perspectives qui devraient tôt ou tard être applicables à l’homme. ‡A circannual clock wakes up hibernating mammals

LIENS D’INTÉRÊTLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

RÉFÉRENCES

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2. Kondo N, Sekijima T, Kondo J, et al. Circannual control of hibernation by HP complex in the brain. Cell 2006 ; 125 : 161-72.

sécrétion de prolactine par l’adénohy-pophyse, mais via des mécanismes indé-pendant de la TSH [7]. Dorénavant, les études sur le déterminisme des rythmes circannuels de l’hibernation et de la reproduction permettront de comprendre comment l’horloge circannuelle régule le début et l’émergence de l’hibernation et les coordonne aux autres fonctions sai-sonnières, notamment la reproduction.

PerspectivesCes nouvelles connaissances ouvrent elles des perspectives d’application à l’homme ? Le caractère ancestral de l’hi-bernation permet de penser que l’homme a pu garder certains des mécanismes génomiques et neuroendocriniens mis en jeu dans l’hibernation. Il en est ainsi de l’inhibition métabolique qui peut seule expliquer les cas de survie à des arrêts cardiaques prolongés. La dépres-sion saisonnière chez l’homme (seasonal affective disorder, SAD) s’apparente à

3. Sáenz de Miera C, Monecke S, Bartzen-Sprauer J, et al. A circannual clock drives expression of genes central for seasonal reproduction. Curr Biol 2014 ; 24 : 1500-6.

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11. Wirz-Justice A, Kräuchi K, Graw P. An underlying circannual rhythm in seasonal affective disorder? Chronobiol Int 2001 ; 18 : 309-13.

> L’existence de créatures extraterrestres est une question qui a toujours fasciné l’humanité. Des efforts considérables sont investis de nos jours dans la recherche de la vie, qu’elle soit dans notre système solaire ou dans notre galaxie. La recherche « directe » d’organismes vivants dans notre système solaire a débuté sur Mars en 1975 avec les sondes Viking et se poursuit actuellement sur la planète rouge avec le robot Curiosity. D’après plusieurs études récentes, de nombreux corps célestes du système solaire, comme Titan, Encelade (lunes de Saturne), Europe ou Callysto

(lunes de Jupiter) pourraient abriter des organismes vivants, et ces lunes seront très certainement la cible de prochaines missions spatiales. Les équipements embarqués pour détecter la vie reposent essentiellement sur l’examen de paramètres biochimiques similaires à ceux des organismes vivant sur Terre. Cependant, il n’est pas exclu que ces organismes puissent être très différents de tout ce que nous connaissons sur Terre.En travaillant sur un appareil initialement destiné à la détection de bactéries

résistantes aux antibiotiques, nous avons remarqué que cet équipement pourrait facilement être adapté pour détecter toutes formes de vie extraterrestre, indépendamment de leurs propriétés biochimiques. Notre appareil est une variante du microscope à force atomique (AFM) [1]. À l’origine, cet instrument a été conçu pour cartographier la surface d’échantillons électriquement isolants, mais rapidement, on s’aperçut qu’il pouvait être utilisé pour explorer les propriétés mécaniques d’échantillons

Détecter la vie grâce à la microscopie à force atomiqueSandor Kasas1,2, Petar Stupar1, Giovanni Longo1, Giovanni Dietler1

NOUVELLE

1 Laboratoire de physique de la matière vivante, école polytechnique fédérale de Lausanne, EPFL-IPSB-LPMV, BSP/Cubotron 414, CH-1015 Lausanne, Suisse ;2 Département de neurobiologie fondamentale, université de Lausanne, CH-1005 Lausanne, [email protected]

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une protéine qui change de conforma-tion en présence d’ATP [5] (topoiso-mérase II, Topo II). Lors de nos expé-riences, l’injection d’ATP induisait une augmentation des mouvements du levier lorsque la Topo II était présente sur sa surface. Les oscillations s’arrêtaient lors de l’injection d’analogues non hydro-lysables de l’ATP ainsi qu’en présence d’inhibiteurs spécifiques de la Topo II comme l’aclarubicine. Ces expériences démontrent la sensibilité extrême de ce dispositif et semblent indiquer que l’origine des oscillations serait due au transfert de moment cinétique entre la protéine et le levier. Ce type d’expérience a été répété avec d’autres protéines et divers organismes dont une dizaine d’espèces bactériennes différentes, des levures, des cellules végétales ainsi que de nombreuses cel-lules de mammifères (Figure 2B), avec toujours le même résultat : vivants, les organismes induisent des oscilla-tions du levier, et morts, ils les inhibent. Cette constatation nous a amenés à proposer ce type de dispositif pour la détection de vie extraterrestre [6]. On pourrait en effet envisager d’embarquer un dispositif similaire dans un vaisseau interplanétaire qui examinerait la pré-sence d’organismes « mobiles » dans les prélèvements. Il convient de souligner que ce genre d’appareillage est facile-ment mis en œuvre, léger, extrêmement sensible et surtout indépendant de la chimie de l’organisme étudié.Nous avons effectué ce type de mesures avec des échantillons de sol et d’eau prélevés à côté et dans une rivière cou-lant près de notre institut. Dans les deux cas, les organismes présents dans les prélèvements engendraient des oscilla-tions du levier qui cessaient après une fixation chimique des organismes.Une autre application potentielle de ce type d’instruments serait la détermi-nation rapide d’antibiogrammes. Les méthodes classiques, qui dépendent de la réplication bactérienne, sont malheu-reusement relativement lentes : envi-ron 24 h pour des germes à croissance

Nos premières expériences concernaient des bactéries possédant des flagelles (Escherichia coli). Ces derniers sont reliés à des moteurs moléculaires et assurent la motilité bactérienne. Fixées vivantes sur un levier AFM, les E. coli ont engendré des oscillations du levier d’une amplitude de plusieurs nanomètres. Ces oscillations ont cessé en l’espace de quelques minutes après l’injection d’un antibiotique auquel ces bactéries étaient sensibles. Le dérou-lement complet de l’expérience est visible sur la Figure 2A.Encouragés par ces résultats, nous avons élargi nos investigations à des bactéries démunies d’appareils locomoteurs (Sta-phylococcus aureus). À notre grande surprise, celles-ci aussi engendraient des oscillations du levier, d’amplitude moindre que celles obtenues avec les E. coli, mais bien au-dessus du niveau du bruit instrumental. Et de nouveau, les oscillations du levier ont cessé peu après l’injection d’antibiotique. Si, dans le cas des E. coli, le mouvement du levier pouvait être attribué au flagelle, l’expli-cation est plus complexe dans le cas du S. aureus. Parmi les diverses possibili-tés, nous privilégions l’hypothèse selon laquelle le changement de conformation de protéines présentes à la surface de la bactérie serait responsable des oscilla-tions du levier.Pour vérifier cette possibilité, nous avons effectué des tests similaires avec

microscopiques, mesurer les forces d’interactions entre les molécules, ou peser des masses infimes, de l’ordre du picogramme. L’instrument utilise un levier souple comme senseur de forces et les lecteurs intéressés par ces applications désormais classiques de l’instrument pourront se référer à des articles de revue [2, 3].Récemment, notre groupe de recherche a proposé une nouvelle application du microscope à force atomique dans laquelle ce dernier est utilisé pour détecter les mouvements infimes qui se produisent à la surface et dans les organismes vivants [4]. Dans le cadre de cette application, les échantillons sont attachés directement sur le levier de l’instrument et non plus sur un substrat, comme c’est le cas pour la microscopie AFM classique. Le levier, qui mesure une centaine de micromètres de long, peut accueillir plusieurs centaines de millions de protéines, des milliers de bactéries ou encore une dizaine de cellules de mammifères.Le principe de fonctionnement de ce type de dispositif est très simple : les mouvements de l’échantillon engendrent des oscillations du levier, celles-ci sont analysées et nous renseignent sur l’état métabolique des échantillons. Si l’acti-vité métabolique de l’échantillon aug-mente, l’amplitude des oscillations du levier augmente, si l’échantillon meurt, les oscillations s’arrêtent (Figure 1).

a

b c

d

e

f

Figure 1. Principe de l’utilisation des déformations du levier induites par des organismes vivants. L’organisme à examiner (en vert) est déposé sur un levier très souple. Les déformations du levier (a) sont mises en évidence grâce à un rayon laser (b) dont les déflections sont détectées par une photodiode à deux segments (c). La présence d’organismes vivants engendre des oscillations du levier (e). En l’absence d’organismes, ou en présence d’organismes morts, les oscillations du levier (d et f) disparaissent.

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RÉFÉRENCES

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matière vivante, nous sommes persua-dés que des applications de cette tech-nique verront bientôt le jour sur Terre, et avec un peu de chance, quelque part ailleurs, dans notre système solaire. ‡Detecting the life thanks to the atomic force microscope

LIENS D’INTÉRÊTLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

REMERCIEMENTSLes auteurs remercient le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique qui a financé cette recherche par l’intermédiaire de la demande no 200021-144321.

rapide, mais ce délai s’allonge et atteint plusieurs semaines pour les organismes à division lente comme les mycobacté-ries. Finalement, on pourrait également envisager l’utilisation de ce dispositif dans le cadre de recherches pharmaco-logiques. Comme mentionné précédem-ment, l’instrument permet de détec-ter les changements de conformation de protéines et pourrait donc faciliter la recherche de molécules inhibitrices spécifiques.Bien que nous ne comprenons pas complètement, pour l’instant du moins, les subtilités des mécanismes qui engendrent ces oscillations de la

A

B

AmpicillineMilieu de culture

DoxorubicineMilieu de culture

420

– 2– 4

20

– 2– 4– 6– 8Dé

flexi

on (n

m)

Défle

xion

(nm

)

20 s

20 s

Figure 2. Mesure de l’amplitude des oscillations du levier induites par les cellules. L’image du levier est représentée sous forme triangulaire avec des bactéries Escherichia coli (A) ou des cellules cancéreuses humaines (B) attachées sur sa surface. Dans les deux cas, l’injection de substances létales pour l’organisme concerné résulte en une diminution de l’amplitude des oscillations du levier.

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372 m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104009

NOUVELLE

Les approches écologiques et évolutives incontournables pour mieux comprendre les épidémies de grippe aviaireBernard Cazelles1,2, Huaiyu Tian3, Benjamin Roche1

1Unité de modélisation mathématique et informatique des systèmes complexes, IRD-UPMC, 15, rue de l’École de Médecine, 75270 Paris Cedex 06, France ;2Éco-évolution mathématique, Institut de biologie de l’École normale supérieure, Inserm-CNRS-ENS, 46, rue d’Ulm, 75230 Paris Cedex 05, France ;3College of global change and earth system science, Beijing normal university, Beijing, [email protected]

> En novembre 2014, des virus de grippe aviaire hautement pathogènes, de type H5N8, ont été détectés en Europe de l’Ouest (Pays-Bas, Allemagne, Royaume-Uni, Italie) dans des élevages de volailles, mais aussi chez des oiseaux sauvages [1, 2]. Ce virus H5N8 circule depuis trois ans dans l’est de l’Asie (Chine, Corée et Japon). Ces cas font suite aux épizooties de H5N1 apparues en 1996, qui avaient provoqué quelque 400 décès humains après 2003, et à celle de H7N9, responsable depuis 2013 de plus d’une centaine de morts essen-tiellement en Chine. Comme beaucoup de virus de grippe (aviaire), ces virus auraient voyagé avec des oiseaux migra-teurs, en particulier des cygnes sauvages migrant du nord au sud de l’Europe. Ces oiseaux seraient des porteurs sains du virus, et auraient été contaminés lors de contacts avec d’autres volatiles, prove-nant, eux, d’Asie.De façon concomitante, la plate-forme d’épidémio-surveillance santé ani-male [3] observe, en ce début 2015, une recrudescence de foyers de grippe aviaire due à des virus hautement pathogènes H5N1, en Europe, en Afrique mais aussi en Amérique du Nord. Même si le virus H5N8 ne semble pas dangereux pour l’homme pour l’instant, ces nombreuses réémergences de virus de grippe aviaire hautement pathogènes ne sont pas sans risque pour notre santé. Il n’est pas impossible qu’une muta-tion les rende dangereux pour l’homme, comme ce fut le cas pour H5N1 [11, 12]. Il est donc de première importance de mieux comprendre les mécanismes

qui expliquent l’histoire naturelle de ces virus, leur survie, leur diffusion sur de grandes échelles géographiques, et leur arrivée sous nos latitudes. Depuis le début des années 2000, un large champ d’études s’est ouvert qui tente de répondre à ces questions. Deux études publiées fin 2014 [4, 5] mettent en évidence le rôle des mécanismes écolo-giques et évolutifs dans la propagation des virus de grippe aviaire H5N1.

Épidémies de virus H5N1 et routes de migration des oiseaux d’eauDans la première étude - publiée dans les Proceedings of the National Academy of Sciences of USA [4] -, une équipe multidisciplinaire - à laquelle nous avons participé - souligne les liens forts entre les routes de migration des oiseaux d’eau et la diffusion des virus H5N1 en Chine. Pour les documenter, nous avons utilisé des données disponibles pour la période 2003-2012, ainsi qu’une batterie de méthodes quantitatives sophistiquées : analyses moléculaires, phylogénie bayé-sienne, analyses des données satellitaires sur le suivi des migrations de certains oiseaux sauvages, analyses de séries temporelles utilisant la décomposition en ondelettes et modèles mathématiques stochastiques.Cette étude a d’abord consisté en une analyse des routes de migrations d’oi-seaux d’eau et notamment de quatre espèces : le canard pilet (Anas acuta) ; l’oie cygnoïde (Anser cygnoides) ; l’oie à tête barrée (Anser indicus) et le tadorne casarca (Tadorna ferruginea). Les deux premiers suivent une route de

migration au nord de l’Asie (Mongolie-Corée-Japon), alors que les deux der-niers, qui se reproduisent dans l’ouest de la Mongolie, suivent une route de migration nord-sud en Asie centrale. Parallèlement, les chercheurs ont fait des analyses phylogéographiques por-tant sur les virus prélevés dans plusieurs villes chinoises. Ces analyses permettent de regrouper les virus dont les séquences sont similaires en tenant compte des dates de prélèvement ainsi que de la localisation des virus. Ces analyses phy-logénétiques ont distingué six clusters parmi les virus H5N1 présents dans les échantillons ; ces clusters formaient deux groupes qui se rattachaient parfai-tement aux routes de migrations d’Asie de l’Est ou d’Asie centrale. Les distances génétiques entre virus sont donc expli-quées par les routes de migration de certains oiseaux d’eau, tout comme les réseaux de diffusion du virus H5N1, qui sont extrêmement corrélés à ces axes de migration. Il a également été mon-tré que la cinétique d’émergence des épisodes épidémiques de H5N1 est, elle aussi, liée à ces routes de migrations. En effet, les délais observés dans la survenue d’épidémies qui se distribuent le long de ces axes de migration s’ex-pliquent par la durée de vol nécessaire pour parcourir ces distances. De même, la vitesse de propagation des épisodes épidémiques est, elle aussi, corrélée à la vitesse de migration des oiseaux. Ces résultats ont été confirmés par des analyses utilisant des modèles stochas-tiques de propagation sur réseaux. La prise en compte de réseaux compatibles

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donc crucial de surveiller les routes principales de migration des oiseaux afin de mieux anticiper leurs consé-quences aussi bien en termes de santé animale que de santé humaine.Ecological and evolutionary approaches are essential to understand better the epidemics of avian influenza

LIENS D’INTÉRÊTLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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survie des virus aviaires dans les envi-ronnements aquatiques fréquentés par les oiseaux. La grande résistance de ces virus aviaires implique des chaînes de transmission indirectes et plus longues qui, couplées à des hôtes dont la durée de vie est courte, permettent l’émer-gence et le maintien de niveaux très élevés de diversité génétique. Comme dans le précédent travail, l’utilisation de modèles de simulations permet de valider les hypothèses avancées pour expliquer les différences phylogéné-tiques observées. Ces modèles montrent qu’avec des organismes dont la durée de vie est courte, et lorsque les fréquences de transmission sont élevées en raison de virus résistants présents dans des environnements aquatiques, on obtient une forte diversité génétique. Ainsi peut s’expliquer la forte diversité génétique des virus de grippe aviaire observée au sein des populations d’oiseaux sau-vages. Ces résultats corroborent des tra-vaux antérieurs [9], qui avaient montré que le réservoir environnemental jouait un rôle important dans la récurrence des épisodes de grippe aviaire.

Quelle leçon à tirer pour la prévention des pandémies de virus aviaires ?Dans notre monde en pleine évolution soumis au changement global [10], ces deux études mettent clairement en évi-dence le rôle de l’environnement dans la circulation des virus de grippe aviaire. Elles permettent, une nouvelle fois, de souligner le rôle des facteurs écolo-giques et évolutifs qui apparaissent cruciaux dans la diffusion de ces virus, rôle d’autant plus important que les virus aviaires ont quasiment toujours été à l’origine des grandes pandémies humaines. La présence des virus aviaires hautement pathogènes chez les oiseaux migrateurs tout comme leur survie dans le milieu aquatique ne sont donc pas de bonnes nouvelles, ni pour la santé animale, ni pour la santé humaine. Il est vraisemblable que les épisodes épi-zootiques dans les élevages de volailles seront toujours plus nombreux. Il est

avec les réseaux formés par les routes de migration permet de retrouver les résultats des analyses phylogénétiques, ce qui n’est pas le cas si l’on considère des réseaux aléatoires.Bien sûr ces routes de migration n’ex-pliquent qu’une partie des épisodes épi-démiques de H5N1 en Chine, et le com-merce de volailles est une autre source importante [6, 7]. Cependant, ce travail démontre clairement comment l’histoire des migrations d’oiseaux d’eau peut être associée à la propagation du virus H5N1, expliquant ainsi les transmissions sur de longues distances et les réémergences du virus.

Diversité génétique des virus aviaires : une explication écologique La seconde étude, publiée dans la revue PLoS Biology [5], compare les analyses phylogénétiques des différents sous-types de virus de grippe aviaire et de virus de grippe humaine à partir de don-nées nord-américaines. Elle souligne la plus grande diversité des virus aviaires. Cette observation suggère qu’existe une « banque de souches » virales aviaires extrêmement diversifiée, dont certaines souches pourraient à tout moment être transférées vers les populations humaines. Ces analyses phylogéné-tiques révèlent également l’absence de marques d’un échappement immunitaire dans les arbres établis avec les virus aviaires, contrairement à ceux établis avec les virus humains. En effet, les formes très minces avec des branches très courtes des arbres phylogénétiques des virus humains s’expliquent par les pressions de sélection exercées par l’en-vironnement dans lequel ces virus évo-luent [8] (compétition entre souches, système immunitaire, etc.). Les auteurs de ce travail expliquent ces différences phylogénétiques impor-tantes par l’écologie différente de ces deux types de virus. Il est ainsi très vraisemblable que les mécanismes de transmission soient différents entre les populations virales humaines et aviaires, notamment en raison de la

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374 m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104010

> La prématurité est un facteur de risque dans plus de 50 % des complications néonatales, dont la sévérité augmente avec la diminution de l’âge gestationnel. Les naissances prématurées concernent plus de 10 % des naissances dans le monde [1, 11]. De plus, il n’y a pas de grande disparité entre l’incidence des naissances prématurées dans les pays en développement et celle qui est obser-vée en Amérique du Nord, démontrant que les progrès faits en médecine à cet égard n’ont pas été concluants. Quatre éléments l’expliquent en grande partie : (1) les agents pharmacologiques utilisés pour arrêter le travail (les tocolytiques1) sont administrés aux femmes symptoma-tiques déjà en travail, et ne prolongent généralement la durée de gestation que de 48 h au plus ; (2) l’administration préventive d’agents tocolytiques impli-querait d’identifier précocement les femmes à risque, et les tests mis au point dans ce but n’ont que de faibles valeurs prédictives ; (3) les tocolytiques sont des agents non sélectifs induisant des effets secondaires qui limitent leur usage pro-phylactique ; (4) les tests de dépistage ne sont pas utilisés en routine chez les femmes primé-gravides (première ges-tation) ou multi-gravides (plus d’une gestation) à faible risque [2]. Bien que les taux de mortalité associés à la pré-maturité soient en baisse ces dernières années en raison de l’amélioration des

1 Le traitement vise à arrêter ou diminuer les contractions utérines. La force et la fréquences des contractions sponta-nées sont controlées par les canaux calciques et potassiques, des neurotransmetteurs (système nerveux autonome), cer-taines hormones et métabolites locaux (ocytocine, prosta-glandines, progestérone, catécholamines, etc.).

soins postnatals, celle-ci demeure un grave problème en raison de la morbidité importante, et représente un coût social et économique énorme.Parmi les tocolytiques approuvés et utilisés en clinique (sympathicomimé-tiques, magnésium, anti-inflamma-toires non stéroidiens, antagonistes du récepteur de l’ocytocine, bloqueurs de canaux calciques, etc.), aucun ne s’est avéré plus efficace que le placebo pour améliorer les complications néonatales engendrées par la prématurité. La jus-tification essentielle d’une administra-tion de tocolytiques est qu’elle prolonge la période in utero suffisamment pour permettre l’administration de corticos-téroïdes. Ceux-ci accélèrent la matura-tion pulmonaire fœtale et diminuent la fréquence de la maladie des membranes hyalines et la mortalité périnatale chez les nouveau-nés prématurés [12].En revanche, l’utilisation de tocolytiques est associée à des effets secondaires en raison de leur mode d’action non sélec-tif. On en distingue plusieurs : (1) les sympathicomimétiques ont des effets secondaires majeurs, surtout s’ils sont utilisés en combinaison avec les corti-costéroïdes, puisqu’ils agissent sur les récepteurs adrénergiques d’expression ubiquitaire ; (2) le magnésium fait obs-tacle au calcium (qui est requis pour la contraction myométriale) de manière non spécifique, et il induit des effets secondaires musculaires ; (3) les anti-in-flammatoires non stéroïdiens agissent en inhibant l’enzyme prostaglandine-endo-peroxide synthase 2 (COX-2) de manière non spécifique, créant chez le fœtus des effets rénaux et cardiaques non désirés ;

(4) les antagonistes du récepteur de l’ocytocine pourraient agir également sur le récepteur de la vasopressine, entraî-nant hypotension et palpitations car-diaques ; (5) les inhibiteurs des canaux calciques provoquent une augmentation de la pression artérielle et des risques d’angor [2, 3]. On comprend donc qu’une administration de ces agents ne puisse pas constituer une thérapie préventive chez les femmes à risque d’accouche-ment prématuré. Elle est plutôt indiquée chez les femmes symptomatiques en phase de travail préterme, mais leur effi-cacité dans ce contexte est faible. Notre laboratoire – en concertation avec d’autres laboratoires qui identifient des biomarqueurs prédictifs d’un déclenche-ment prématuré du travail [4] – a pour objectif de développer une approche dépourvue d’effets secondaires majeurs ; elle devra donc être très sélective et cibler les mécanismes d’activation pré-coce de l’utérus pour diminuer les proba-bilités d’un travail précoce.

L’induction du travail utérinL’activation de l’utérus est la consé-quence de l’inflammation. Il est main-tenant globalement accepté que le déclenchement précoce de la cascade inflammatoire menant à l’induction du travail pourrait expliquer les naissances prématurées [5]. Dans ces situations, un stimulus inflammatoire (infection, stress, etc.) provoque l’activation de l’immu-nité innée dans les tissus reproducteurs maternels. Les cellules de la réponse immunitaire innée (macrophages, cel-lules dendritiques, etc.) s’activent et sécrètent des cytokines pro-inflamma-

Nouvelles perspectives pour prévenir le travail prétermeMathieu Nadeau-Vallée1, Julia Palacios2, Amarilys Boudreault2, Sylvain Chemtob1

NOUVELLE1 Département de pédiatrie, pharmacologie et ophtalmologie, CHU Sainte-Justine, centre de recherche, 3175 chemin Côte-Sainte-Catherine, Montréal, H3T 1C5 Canada ; 2 Département de médecine, université de Montréal, 2900 boulevard Édouard-Montpetit, Montréal, H3C 3J7 [email protected]@umontreal.ca

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ayant une sélectivité pharmacologique. C’est le cas des agents allostériques qui se lient sur un site autre que le site orthostérique, et modulent l’acti-vité du récepteur sans la bloquer com-plètement. Ces agents sont beaucoup plus sélectifs que les agents compéti-tifs puisqu’ils ciblent certaines voies de signalisation d’un récepteur plutôt que d’inhiber toutes les voies ; les effets indésirables en seraient réduits [8]. Un agent modulateur de récepteur de cyto-kine pourrait ainsi permettre d’atténuer le signal des cytokines et diminuer l’ac-tivation prématurée de l’utérus sans induire d’immunosuppression et sans nuire à l’accouchement normal à terme. Un peptide non compétitif bloquant le récepteur de la prostaglandine F2 a d’ailleurs été récemment caractérisé et s’est révélé très efficace pour prévenir le travail préterme induit par l’inflamma-tion chez la souris [9] ; l’efficacité a été confirmée dans des études cliniques de phase 1b chez l’homme [10]. En résumé, les tocolytiques actuellement disponibles en clinique sont inefficaces avant tout parce qu’ils sont adminis-trés trop tard, lorsque le travail a déjà commencé. Leur mode d’action non spé-cifique est associé à de multiples effets secondaires chez la mère et le fœtus, ce qui limite grandement leur usage

de l’utérus. Toutefois, cette approche demeure risquée pour deux raisons : (1) bien que la réaction inflammatoire joue un rôle dans la pathophysiologie du travail préterme, elle participe aussi au travail utérin lors de l’accouchement à terme ; par exemple, il a été démontré que l’inhibition de NF-B serait nuisible à la cytoprotection [7] ; (2) l’immu-nosuppression engendrée par un agent anti-inflammatoire trop puissant peut entraîner une susceptibilité aux infec-tions, qui serait délétère pour la mère et le fœtus. Il est donc peu probable que ces anti-NF-B soient un jour approuvés dans cette indication chez la femme enceinte.

Molécules inhibant l’activité des récepteurs de cytokinesLes molécules bloquant l’activation des récepteurs de cytokines disponibles sur le marché ont toutes un mode d’ac-tion compétitif, c’est-à-dire qu’elles se lient au site orthostérique du récepteur, ou empêchent complètement la liaison du ligand naturel. Cela provoque une inhibition complète de toutes les voies de signalisation du récepteur, qui est responsable des deux problèmes cités précédemment limitant leur usage en obstétrique. Une possibilité serait de développer un agent anti-inflammatoire

toires et des chimiokines qui provoquent l’induction d’une cascade inflammatoire locale et la production des protéines activatrices de l’utérus (UAP ; uterine activation proteins) [6]. Ces protéines comprennent des métalloprotéinases matricielles (MMP : matrix metallo-proteinases), les récepteurs des agents ocytociques (OXTR : oxytocin receptor, FP : prostaglandin F2 receptor) ainsi que la connexine-43 (CX-43). Les MMP sont impliquées dans le remodelage cervical qui permet la dilatation du col de l’utérus, et interviennent aussi dans la fragilisation des membranes fœtales. OXTR et FP répondent à l’ocytocine et à la prostaglandine F2 respectivement, et déclenchent la contraction via une mobilisation calcique. Finalement, CX-43 est une protéine constituante des jonctions de type GAP qui favorisent une contractilité uniforme des cellules mus-culaires lisses. La cascade inflamma-toire menant à l’induction des UAP et au commencement du travail est résumée dans la Figure 1. L’induction des UAP est favorisée par les cytokines, notamment les interleukines (IL)-1 et -6. Cibler les cytokines pro-inflammatoires, ou encore des médiateurs majeurs de l’in-flammation dont NF-B et les pros-taglandines, pourrait permettre d’in-terrompre cette activation prématurée

Figure 1. Cascade inflammatoire. A. La réaction inflammatoire provoque l’activation de l’utérus via les protéines d’activation de l’utérus (UAP) et mène ultime-ment au commencement du travail. B. Implica-tion spécifique des UAP dans les changements physiologique associés au travail. OXTR : récep-teur de l’ocytocine ; FP : récepteur de la pros-taglandine F2 ; MMP : m é t a l l o p r o t é i n a s e s matricielles.

Stimulus inflammatoire(infection, stress, etc.)

Réponse immunitaire innée(macrophages, cellules dendritiques…)

Production de cytokines pro-inflammatoires(IL-1, IL-6, etc.) et de chimiokines(IL-8, etc.)

Induction de l’expression des protéinesactivatrices de l’utérus (UAP)

Déclenchement du travail

Escalade de la cascade inflammatoire

Changements dans la contractilité myométrialeDilatation du col de l’utérus

Rupture des membranes fœtales

Rupturedes membranesfœtales : MMP

Augmentation dela réponse contractile

du myomètre : FP, OXTR, CX-43

Dilatation cervicale :MMP, COX-2, PGF

2a

Extravasationde leucocytes :

CCL2, IL-8

Artère utérine

BA

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Inflammation in preterm and term labour and delivery. Semin Fetal Neonatal Med 2006 ; 11 : 317-26.

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10. Böttcher B, Laterza RM, Wildt L, et al. A first-in-human study of PDC31 (prostaglandin F2alpha receptor inhibitor) in primary dysmenorrhea. Hum Reprod 2014 ; 29 : 2465-73.

11. Jarreau PH. La prématurité. Med Sci (Paris) 2013 ; 29 : 819-20.

12. Lopez E, Jarreau PH. Inflammation et dysplasie bronchopulmonaire. Med Sci (Paris) 2013 ; 29 : 823-5.

recherche translationnelle sur la dégénéres-cence maculaire liée à l’âge. Les projets en lien avec le travail préterme sont financés par les instituts de la recherche en santé du Canada (IRSC) conjointement avec la fondation Bill and Melinda Gates.

LIENS D’INTÉRÊTLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

RÉFÉRENCES

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4. Gomez-Lopez N, Tanaka S, Zaeem Z, et al. Maternal circulating leukocytes display early chemotactic responsiveness during late gestation. BMC Pregnancy Childbirth 2013 ; 13 (suppl 1) : S8.

5. Romero R, Espinoza J, Goncalves LF, et al.

préventif. Les agents non compétitifs allostériques en développement seraient plus sélectifs et exposeraient donc à moins d’effets secondaires majeurs. L’utilisation d’un modulateur de récep-teur(s) de cytokine (par exemple anti-IL-1R ou anti-IL-6R) pour prévenir l’ac-tivation prématurée de l’utérus induite par l’inflammation pourrait potentiel-lement être indiqué chez les femmes asymptomatiques à risque [9, 10]. ‡New insights to prevent preterm labor

REMERCIEMENTSM.N.V. est financé par une bourse du Réseau de recherche en santé de la vision (RRSV) et par l’université de Montréal. J.P. est financée par le National council for scientific and tech-nological development (CNPq) en collabora-tion avec le bureau canadien de l’éducation internationale (CBIE). S.C. détient une chaire canadienne de recherche translationnelle en vision et la chaire Leopoldine Wolfe en

Société de philosophie des sciences (SPS)

Conférences Duhem 2015Philosophie et médecine

Organisées en partenariat avec l'Académie nationale de médecineMercredi 10 juin 2015

9h30 - 17h30Académie nationale de médecine

Salle des séances16 rue Bonaparte - 75006 Paris

Conférenciers invités

Laurence Zitvogel (Inserm/Institut Gustave Roussy)Immuno-oncologie ou la révolution thérapeutique en cancérologie

Joël Coste (Université Paris Descartes/EPHE)Les maladies chroniques en médecine

Marina Cavazzana (Inserm/Université Paris-Descartes)Gene therapy for hereditary disorders

Paul Thagard (University of Waterloo)Explaining mental illness

Chaque conférence sera suivie d'un commentaire et d'une discussion

Programme détaillé : www.sps-philoscience.orgContact : Thomas Pradeu, IHPST, 13 rue du Four, 75006 ParisE-mail : [email protected]

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m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104011

médecine/sciences 2015 ; 31 : 377-82

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médecine/sciences Les IFITM, un obstacle commun à de nombreux virusKevin Tartour, Andrea Cimarelli

> Au cours de l’évolution, les organismes se sont adaptés à l’agression permanente de nombreux pathogènes et ont mis en place plusieurs lignes de défense. Un système de défense intracellulaire existe et fait l’objet d’un intérêt croissant : les IFITM (interferon induced transmembrane protein). Ainsi, parmi les nombreux facteurs cellulaires pouvant moduler la réplication virale, nous allons nous focaliser sur cette famille de protéines IFITM qui agissent sur un spectre relativement large de virus. Cette revue résume ce qui est connu de la fonction antivirale des IFITM, et particulièrement dans le contexte de l’infection par le VIH (virus de l’immunodéficience humaine). <

cellulo. Il est évident que d’autres facteurs participent à la res-triction de la propagation du VIH dans certaines conditions, et de nombreuses études ont identifié de tels facteurs sans pour autant qu’ils atteignent l’efficacité des protéines précédemment citées. Ce domaine de recherche est très actif, et outre le VIH, concerne aussi le virus de la grippe, ainsi que les virus émergents. C’est lors d’un vaste crible d’ARNi (ARN interférents) qu’en 2009, l’équipe du Dr Elledge a identifié une nouvelle famille de facteurs de restriction, les IFITM (interferon induced transmembrane proteins), actifs sur le virus de la grippe, mais aussi celui de la dengue, du Nile occidental et de la fièvre jaune [10]. Par la suite, plusieurs équipes ont cher-ché à déterminer le spectre d’activité antivirale de ces protéines, et il est apparu qu’un très grand nombre de virus étaient inhibés par les IFITM (Tableau I) [10-19]. Ainsi, les IFITM sont capables d’inhiber plusieurs virus à ARN, indépendamment de la polarité de leur génome1. De même, ils agissent sur des particules virales enveloppées ou non2, indépendamment du mécanisme utilisé par le virus pour entrer dans la cellule cible. Pour accéder à la cellule, les virus peuvent fusionner directement avec la membrane plasmique, ou bien ils sont internalisés dans des vésicules ou endosomes. Dans ce dernier cas, le faible H des endosomes entraîne alors un change-ment de conformation de l’enveloppe, qui est nécessaire à la fusion entre les membranes cellulaire et virale (l’entrée de ces virus est dans ce cas définie comme étant dépendante du pH).

1 La polarité du génome viral est définie comme positive ou négative selon que le brin d’ARN est codant ou bien complémentaire.2 Un virus est dit enveloppé lorsqu’il est entouré d’une membrane lipidique.

CIRI (centre international de recherche en infectiologie), 69364 Lyon, France ; Inserm U1111, 46, allée d’Italie, 69364 Lyon, France ;

École normale supérieure de Lyon, 46, allée d’Italie, 69364 Lyon, France ; CNRS, UMR5308, 46, allée d’Italie, 69364 Lyon, France ;Université de Lyon, Lyon I, UMS3444/US8 BioSciences Gerland, 69364 Lyon, [email protected]

Depuis la découverte du VIH (virus de l’immunodé-ficience humaine) en 1983, la compréhension de la réplication de ce virus et de ses interactions avec la cellule hôte n’a cessé de progresser. Si le VIH a besoin de la cellule pour se multiplier, en revanche, l’hôte est agressé et il a, au cours de l’évolution, mis en place différents mécanismes pour contrecarrer les infections, quel que soit le pathogène en cause (virus, bactérie ou parasite). Ainsi, dans le cas des virus, certaines protéines cellulaires sont nécessaires au virus (facteurs de dépendance), alors que d’autres en restreignent la réplication (facteurs de restric-tion). Le premier facteur de restriction de la réplica-tion du VIH décrit fut l’apolipoprotein B mRNA editing enzyme, catalytic polypeptide-like 3G (APOBEC3G) [1]. Par la suite, Trim5 (tripartite motif 5 protein), la tétherine/Bst2 (bone marrow stromal antigen 2), SAMHD1 (SAM domain and HD domain-containing protein 1) et Mx2 ont été identifiés comme autant de facteurs pouvant inhiber le VIH [2-9, 41, 42]. Néanmoins, ces quelques facteurs de restriction ne permettent pas, à eux seuls, d’expliquer l’ensemble des phénotypes, permissif ou restrictif, observés in

Vignette (Photo © Olivier Schwartz, Institut Pasteur, Paris, France).

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famille [20]. C’est ainsi que IFITM1, IFITM2 et IFITM3 ont émergé par duplication chez l’homme. Ces trois gènes IFITM étant apparus tardivement au cours de l’évolution, après la spéciation humaine, les protéines possèdent une très forte homologie de séquence : 91% entre IFITM2 et IFITM3 et 59 % entre IFITM2 et IFITM1, cette dernière étant amputée des 20 premiers acides aminés (Figure 1A). Seules IFITM1, IFITM2 et IFITM3

Que sont les IFITM ?

Les protéines IFITM sont codées chez l’homme par une famille de cinq gènes : IFITM1, IFITM2, IFITM3, IFITM5 et IFITM10, ainsi qu’un pseudo-gène IFITM4 ; tous sont situés sur le chromosome 11 [20]. Des études phylogénétiques ont mis en évidence trois gènes IFITM chez le dernier ancêtre commun des vertébrés, indiquant que des évènements de duplication indépendants (intra-espèce) ont contribué à élargir cette

Famille VirusGénome

(polarité)Dépendance

au pHEnveloppe Références

Restreints

Orthomyxoviridae Grippe A/B ARN (-) ** Oui [10]

FlaviviridaeNile occidentalDengueHépatite C

ARN (+)*

***

Oui [10]

RhabdoviridaeVSVRage

ARN (-)*

**Oui [12, 19]

Filoviridae Ébola, Marburg ARN (-) ** Oui [16]

Coronaviridae SARS ARN (+) ** Oui [16]

RetroviridaeVIH-1JSRV

ARN (+) rétrotranscritNon

*Oui [11, 34]

Alphaviridae Virus de la forêt de Semliki ARN (+) * Oui [34]

BunyaviridaeLa Crosse, Hantaan, Andes, fièvre de la vallée du rift

ARN (-)**

Oui [15]

Reoviridae Réovirus ARN double brin ** Non [13]

Non restreints

Retroviridae MLV ARN (+) rétrotranscrit Non Oui [10]

ArenavirusLassa, Machupo, chorioméningite lymphocytaire

ARN (-)*

Oui [10]

BunyaviridaeFièvre hémorragique de Crimea-Congo

ARN (-) ** Oui [15]

Papillomavirdae HPV16 ADN double brin ** Non [17]

Herpesviridae HCMV ADN double brinDépendant du type cellulaire

Oui [17]

Adenoviridae Adénovirus 5 ADN double brin ** Non [17]

Favorisés

Coronaviridae OC43 ARN (+) ** Oui [18]

Tableau I. Résumé de l’activité antivirale des IFITM. HCMV : human cytomegalovirus ; HPV16 : virus du papillome humain ; JSRV : Jaagsiekte sheep retrovirus ; MLV : virus de la leucémie murine ; OC43 : coronavirus ; SARS : severe acute respiratory syndrome ; VSV : virus de la stomatite vésiculaire ; * faible dépendance au pH ; ** forte dépendance au pH.

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(que nous désignerons collectivement par IFITM dans la suite du texte) ont une activité antivirale et constituent donc le centre d’intérêt de cette revue. Les protéines IFITM sont présentes dans la plupart des cellules de l’organisme à un niveau basal, mais leur expression peut être fortement induite après stimulation par l’IFN (interféron) grâce à un élément ISRE (interferon stimulated responsive element) présent dans le promoteur des gènes correspondants.Le modèle représentant la structure des IFITM n’est pas encore figé. L’analyse de la séquence primaire prédit deux domaines hydrophobes. Initialement, les IFITM étaient représentées avec deux domaines transmembranaires [10], puis avec deux domaines intramembra-naires [21]. Des données récentes suggèrent aujourd’hui qu’il existe un équilibre entre trois formes, avec la prédominance d’une topolo-gie de type 3 : un premier domaine intramembranaire et un second transmembranaire exposant le domaine carboxy-terminal à l’extérieur de la cellule (Figure 1B) [22, 23]. Il ne s’agit encore que de données indirectes, et la représentation correcte de la structure péri- ou trans-membranaire des IFITM ne sera établie qu’une fois les données struc-turales obtenues. Comme c’est le cas pour de nombreuses protéines, la séquence peptidique est en effet insuffisante pour correctement décrire les IFITM. Ces protéines peuvent former des oligomères (homo ou hétéro-oligomères), ce qui requiert la présence de deux phénylala-nines (F75 et F78 pour IFITM3, Figure 1) [24]. De plus, elles subissent différentes modifications posttraductionnelles : phosphorylation de la

tyrosine 20 [25], palmitoylation des cystéines 71, 72 et 104 [26], ubiquitination de la lysine 24 [21] et monométhylation de la lysine 88 [27]. Le rôle de toutes ces modifications n’est pas encore bien compris, et ne repose que sur des corrélations : la palmitoylation est importante pour la fonction antivirale [21, 26], tandis que la phosphorylation [25, 28] et l’ubiquitination [21] participent à la localisation cellulaire des IFITM.

La localisation et le trafic intracellulaire des IFITM

En raison de leurs deux domaines hydrophobes conservés, les IFITM sont des protéines essen-tiellement membranaires. Cependant, certaines différences existent entres elles : IFITM1 est plus enrichie à la membrane plasmique, tandis qu’IFITM2 et IFITM3 prédominent dans des com-partiments intracellulaires [11], suggérant une possible diversification du rôle des trois IFITM. Des expériences d’immunofluorescence confo-cale ont montré qu’IFITM2 et IFITM3 colocalisent avec les endosomes tardifs, voire avec les lyso-somes (colocalisation avec LAMP1 [lysosomal-associated membrane protein 1], Rab7 et LTRed [29], et avec CD63 [30]). De plus, en présence

des IFITM, ces études de microscopie confocale ont observé un accroissement des compartiments endoso-maux, une acidification excessive [29], ainsi que l’accu-mulation de cholestérol [30] dans ces compartiments. Les IFITM naissent dans le réticulum endoplasmique, puis transitent par l’appareil de Golgi pour atteindre la membrane plasmique. De là, la sous-unité 2 du com-plexe AP2 (adaptor complex 2) reconnaît le motif Yxx (YEML) présent dans la queue amino-terminale d’IFITM2 et IFITM3 (absente dans IFITM1) [31] ( Figure 2). Le recru-tement d’AP2 entraîne l’endocytose d’IFITM2 et IFITM3 (Figure 2). Afin de réguler finement la localisation des IFITM, l’enzyme Fyn peut phosphoryler la tyrosine 20 [28], ce qui empêche l’association du complexe AP2 à IFITM. De plus, l’ubiquitination de la lysine 24 semble empêcher la reconnaissance de la tyrosine 20 par Fyn, à moins que ce ne soit l’ubiquitination qui ne puisse se faire qu’en l’absence de phosphorylation ou après endocytose [28]. Des expériences supplémentaires seront nécessaires pour distinguer ces deux hypothèses. Pour l’instant, ces mécanismes ont été décrits pour IFITM3, mais comme les séquences et les localisations intracellulaires des IFITM2 et -3 sont similaires, il est probable qu’ils s’appliquent aussi à IFITM2. En revanche, IFITM1 possède un domaine

Figure 1. Organisation et topologie des IFITM. A. Représentation schématique des IFITM avec les acides aminés importants et leurs modifications. Seule IFITM3 a été étudiée en détails ; les acides aminés conservés sont représentés ; ils pourraient avoir un rôle équivalent dans les différentes IFITM. CIL : boucle cytosolique ; CTD : domaine carboxy-terminal ; NTD : domaine amino-terminal ; M1 : domaine hydrophobe 1 ; M2 : domaine hydrophobe 2. B. Représentation des trois topologies proposées pour les IFITM. Des résul-tats récents proposent que le modèle 3 est prédominant, pour IFITM1 et IFITM3.

A

B

YEML K K C

YEML K K C

K C C F F

C C F F

C C F F

K C

P Ub

iPalmitoyl

CH3

NTD M1 M2CIL CTD

IFITM1

IFITM2

IFITM3

Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3

Milieuextracellulaire

Cytosol

NTD CTD

Schéma de la séquence primaire des IFITM

Topologies possibles des IFITM

NTD CTD NTD

CTD

Cimarelli_Synthese.indd 379Cimarelli_Synthese.indd 379 22/04/2015 10:10:1822/04/2015 10:10:18

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et celles exprimant le (les) récepteur(s) [34]. L’étape de fusion se décompose elle-même en plusieurs processus (Figure 3). Dans un premier temps, l’enveloppe virale et son récepteur subissent des changements de conformation aboutissant à l’hémifusion ; les hémimem-branes externes fusionnent, tandis que les hémimembranes internes restent intactes. Vient ensuite l’étape d’ouverture d’un pore viral très étroit qui s’élargit, aboutissant à la fusion complète. Deux études ont cherché à déterminer quelle était l’étape bloquée par les IFITM. La première suggère que le processus d’hémifusion n’a pas lieu ; elle se fonde sur le fait qu’une drogue (chlorpromazine, Cpz), qui favorise le passage de l’état d’hémifusion à l’ouverture du pore, ne lève pas la restriction imposée par IFITM3 [34]. La seconde suggère que l’ouverture du pore est inhibée ; elle utilise des fluorophores différents pour la membrane virale et l’intérieur du virion, et observe la fusion des membranes cellulaire et virale, mais l’absence de libération du contenu des virus dans le cytoplasme cellulaire [35]. Cette

seconde étude, moins intrusive, propose que le processus d’hémifusion puisse avoir lieu et suggère que les IFITM bloquent probablement l’ouverture du pore, même en présence de Cpz (Figure 3). Une dernière hypothèse, potentiellement intéressante, n’a pas été explorée de manière exhaustive à ce jour. En effet, les IFITM sont capables d’interagir entre elles, et on peut imaginer que ces multimères puissent former un maillage sous-mem-branaire qui empêcherait la libération du contenu du virus dans le cytosol, tout en stabilisant le pore.

Mécanisme de l’action antivirale des IFITM

Le mécanisme bloquant le processus de fusion ne fait pas encore consensus et plusieurs équipes ont avancé différentes hypothèses fondées sur leurs résultats expérimentaux. D’une part, les IFITM participent à la rigidification des membranes et, en favorisant une courbure positive, conduiraient à une diminution du processus de fusion [34]. Une seconde équipe a mis en évidence une interaction entre VAPA (vesicle-asso-ciated membrane protein-associated protein A) et IFITM3, inhibant l’interaction VAPA-OSBP (oxysterol-binding protein) qui est primordiale pour l’homéosta-sie intracellulaire du cholestérol [30]. Cela entraîne une accumulation de cholestérol dans les endosomes portant IFITM3, bloquant par conséquent le processus de fusion.

amino-terminal raccourci, donc dépourvu du motif de signalisation Yxx, ce qui explique sa localisation essentiellement à la membrane plasmique [11]. Ces différences de localisation membranaire expliquent très probablement que les virus qui pénètrent dans la cellule cible en fusionnant directement avec la membrane plasmique ou en transitant dans les endosomes précoces (VIH, VSV [virus de la stomatite vésicu-laire]), soient mieux bloqués par IFITM1, tandis que ceux qui entrent dans les endosomes tardifs ou les lysosomes sont préférentiellement inhibés par IFITM2 et IFITM3 (Tableau I) [32].

Fonctions des IFITM

La plupart des facteurs de restriction décrits jusqu’à présent inhibent le virus après son entrée dans la cellule. La caractéristique des IFITM est de bloquer les virus avant même qu’ils n’aient commencé à envahir la pre-mière cellule. Pour autant, les récepteurs d’entrée sont toujours présents [10] et les virus peuvent s’attacher normalement à leur cellule cible [12, 29]. C’est lors du processus de fusion que les IFITM inhibent l’entrée du virus [11, 12, 29] ; le contenu des particules virales n’est en effet pas libéré dans le cytosol. Ceci a pu être déterminé grâce à l’utilisation de vecteurs lentiviraux portant la séquence codant l’enzyme -lactamase fusionnée avec celle codant la protéine accessoire Vpr (viral protein R). Celle-ci est activement recrutée dans les virions et, lors de la fusion entre les membranes cellulaire et virale, l’enzyme est libérée dans le cytosol où elle peut être détectée grâce à un test colorimétrique [33]. Une preuve additionnelle de l’inhibition de la fusion des membranes virale et cellulaire par les IFITM est la diminution - en présence des IFITM - des syncytia formés entre les cellules porteuses de l’enveloppe virale

Figure 2. Localisation dynamique d’IFITM3. IFITM3 néosynthétisée est ciblée vers la mem-brane plasmique. Le domaine YEML s’associe à la sous-unité μ2 du complexe AP2. K repré-sente la lysine 24 qui suit le motif YEML (YEMLK). Le recrutement d’AP2 entraîne l’endo-cytose d’IFITM3 qui est alors localisée majoritairement à la membrane des endosomes. La phosphorylation de la tyrosine masque le motif YEML ; IFITM3 n’est plus internalisée et se trouve alors à la membrane plasmique. Le rôle de l’ubiquitination est moins bien compris, mais cette étape pourrait empêcher la phosphorylation de la tyrosine et, donc, permettre la localisation endosomale d’IFITM3. Seule IFITM3 a été étudiée, mais les séquences importantes étant conservées avec IFITM2, ce dernier pourrait avoir la même localisation qu’IFITM3. En revanche, IFITM1, qui ne possède pas le domaine YEML, est localisée essen-tiellement à la membrane plasmique (non représenté ici).

μ2YEMLK

YEMLK

YEMLK?

Endosome

AP2

Fyn

Fyn

P

U b i

IFITM3

IFITM3 IFITM3

IFITM3

IFITM3

IFIT

M3

Milieu

extracellu

laire

Cytoso

l

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Néanmoins, ces deux modèles ont été récemment remis en cause. Contrairement à ce qui avait été observé précédemment, la modifi-cation de la courbure membranaire n’abroge pas la restriction impo-sée par IFITM3 [36], et l’augmentation importante de la quantité de cholestérol en présence d’IFITM3 n’est pas non plus observée [36]. De plus, la manipulation artificielle des taux de cholestérol est inef-ficace : son augmentation n’inhibe pas l’entrée des virus restreinte par IFITM3, et son extraction ne restaure pas l’infection des cellules exprimant IFITM3 [36]. Les travaux de cette équipe suggèrent que les IFITM, par leur capacité à former des multimères et en rigidifiant la membrane, bloquent physiquement la formation du pore après l’hé-mifusion, en stabilisant l’hémimembrane interne. Une modification concomitante de la composition membranaire, aussi bien lipidique que protéique, n’est toutefois pas exclue. L’essentiel des travaux ont été réalisés avec IFITM3 et le virus de la grippe ou le JRSV (Jaagsiekte sheep retrovirus) mais, étant donné les similitudes du mode d’inhibi-tion des autres virus, il est probable que le mécanisme d’action soit le même pour tous. Néanmoins, les résultats portant sur l’inhibition du VIH amènent à penser qu’IFITM1 pourrait agir différemment.

IFITM et VIH

Bien que l’étude identifiant les IFITM comme des facteurs de restriction n’ait pu mettre en évidence une inhibition du VIH, l’équipe du Dr Liang a montré que les trois IFITM inhibent la réplication du VIH [11]. IFITM1 est la plus efficace. IFITM2 et IFITM3 restreignent la réplication dès le processus d’entrée, de façon similaire à ce qui a été montré pour les autres virus, mais IFITM1 n’a aucun effet sur cette étape et n’inhibe par ailleurs aucune étape précoce de l’infection. Le rôle d’IFITM1 est donc autre, et il a été montré que ce facteur diminue la production de particules virales infectieuses [11]. En accord avec cette observation, l’équipe du Dr. Suzu a montré que les IFITM diminuent la production de ces particules en inhibant l’expression de plusieurs protéines virales (Gag [group-specific antigen protein], Nef [negative regulatory factor] et Vif [viral infectivity factor]) [37]. Il apparaît ainsi que les IFITM agissent à plusieurs étapes au cours de la réplication, en inhibant l’entrée du virus, mais possiblement aussi la synthèse des protéines virales. Pour mieux comprendre l’action d’IFITM1 sur le VIH,

le virus a été « adapté » à la surexpression d’IFITM1 dans des cellules lymphocytaires (SupT1) [38]. Deux virus mutants ont été obtenus qui sont capables de se répliquer de façon plus robuste en présence d’IFITM1. Ces virus contiennent des mutations dans l’enveloppe et la protéine Vpu, leur permettant de se répliquer plus efficacement. Puisque l’enveloppe et Vpu partagent une localisation membranaire avec les IFITM, ces données sont intéressantes. Cependant, dans ces études, l’aug-mentation de la réplication des virus mutants a lieu dans les cellules en absence ou en présence d’IFITM1, suggérant que ces mutations pourraient agir indépen-damment des IFITM.

Conclusion

Au cours des dernières années, les IFITM ont été carac-térisés comme des facteurs de restriction dotés d’un très large spectre antiviral. Contrairement aux facteurs décrits jusqu’alors, ces protéines inhibent l’entrée même du virus et empêchent l’infection avant de la combattre. Le mode d’action de ces protéines n’est pas encore totalement élucidé et de prochaines études permettront certainement de mieux comprendre com-ment elles peuvent bloquer un si grand nombre de virus. Au cours des différentes études cherchant à déterminer le mode d’action des IFITM, il est apparu que ces facteurs modifient les propriétés de la membrane. La question qui reste en suspens est comment ? Trois hypothèses sont possibles : (1) les IFITM modifient la fluidité membranaire, (2) elles altèrent la courbure de la membrane ou (3) elles changent la composition de la membrane. Puisque ces trois possibilités sont intimement liées, il est difficile de déterminer laquelle est responsable de l’effet antiviral des IFITM. Les IFITM agissent-elles directement pour inhiber le virus, ou sont-elles à l’origine d’une cascade d’évènements qui aboutissent à l’action antivirale ? De plus, la fonction

Figure 3. Modèle de l’action antivirale des IFITM. A. Reconnaissance du récepteur par l’enveloppe virale. B. Déclenchement du processus de fusion. C. Hémifusion : les hémimembranes externes fusionnent et les hémimembranes internes restent intactes. Les IFITM forment un réseau dans l’hémi-membrane interne ; celle-ci est rigidifiée et stabilisée, ce qui bloque le passage au stade pore viral. D. Ouverture du pore viral en l’absence des IFITM.

Attachement Préfusion Hémifusion Pore viral

Membrane virale

Membrane cellulaire

IFITM

Enveloppe virale/récepteur cellulaire

C DBA

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SUMMARYIFITM, a common barrier to many virusesDuring evolution, organisms developed adaptative mechanisms to survive continuous aggressions from a variety of pathogens. Among these lines of defence, many cellular proteins have been described to modulate viral replication and are the subject of intense study. This review will focus on IFITM (interferon induced transmembrane pro-tein), a family of proteins that act against a particularly wide range of viruses. We will summarize our knowledge of the antiviral mechanisms used by IFITM to interfere with the replication of several viruses, and more specifically HIV (human immunodeficiency virus). ‡

LIENS D’INTÉRÊTLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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médecine/sciences Vers une explication des effets mnémoniques des glucocorticoïdes ?Freddy Jeanneteau

> Certains événements sont mieux mémorisés dans un contexte de stress. En effet, les mécanismes engagés par le stress facilitent la formation de la mémoire, mais ils peuvent aussi la détruire. C’est une des difficultés auxquelles se heurtent les stratégies d’identification de cibles médicamenteuses favorisant ou inhibant les effets mnémoniques des glucocorticoïdes. L’imagerie in vivo offre une vision nouvelle des bases structurales de la mémoire pendant les phases d’apprentissage et de la consolidation. La survie des traces de la mémoire dépend de la dose et du rythme d’exposition aux glucocorticoïdes. Ainsi, des rythmes biologiques de glucocorticoïdes anormalement haut ou bas peuvent endommager la plasticité des réseaux neuronaux nécessaires à la formation et à la consolidation de la mémoire. Ces découvertes offrent de nouvelles perspectives de travail pour mieux comprendre le développement de troubles mnésiques et de maladies neuropsychiatriques, telles que la dépression, qui se développent dans un contexte de stress. <

glucocorticoïdes, dont la sécrétion est sensible au stress, causent un réarrangement réversible des réseaux de connectivité neuronale dans les régions du cerveau impliquées dans l’apprentissage de la récom-pense, de la cognition, des émotions, de la perception sensorielle [6, 7]. Une hypothèse est que les glucocorticoïdes, bien qu’accessibles à tous les neurones du cerveau, modifieraient les réseaux neuronaux sensibles au contexte environnemental tout en préservant les autres [8, 9]. Rares sont les preuves physiologiques directes d’une telle spé-cificité d’action. L’imagerie fonctionnelle in vivo, grâce au suivi lon-gitudinal de la dynamique structurale des mêmes neurones au cours des changements de contextes qu’elle permet, valide l’hypothèse d’une coïncidence de détection entre les signalisations induites par les glucocorticoïdes et l’activité neuronale. Reste à déterminer si les traces de la mémoire (engrammes) (voir Glossaire)1 s’établissent par l’intermédiaire de ce type de mécanisme.

Les glucocorticoïdes augmentent le renouvellement des épines dendritiques

Des études classiques de comportement et d’électrophysiologie indiquent que les glucocorticoïdes ont des effets robustes, mais complexes, sur la plasticité synaptique, l’apprentissage et la mémoire [9]. Ces effets sont exprimés sous la forme caractéristique de courbe inversée, car seule une concentration optimale de glucocorticoïde, introduite au bon moment, produit une plasticité maximale. Des

1 Plusieurs définitions d’usage sont consultables dans le Glossaire.

Institut de génomique fonctionnelle, département de physiologie, Inserm U661, CNRS UMR 5203, équipe Avenir, 141, rue de la Cardonille, 34070 Montpellier, [email protected]

Le cerveau est capable d’une plasticité structurale et fonctionnelle considérable pendant le développe-ment, et cette propriété persiste chez l’adulte [1]. Comme interfaces fonctionnelles entre les neurones, les synapses sont impliquées dans l’assemblage des réseaux neuronaux et l’intégration de l’information. C’est par le contact avec l’axone d’un neurone pré-synaptique que les épines dendritiques des neurones post-synaptiques filtrent et transforment l’informa-tion. Une fois établies, les synapses peuvent persister pendant de très longues périodes. Mais elles peuvent aussi être éliminées en fonction du contexte [2]. L’ex-périence, par exemple, peut modifier l’organisation des réseaux neuronaux [1, 3]. L’étude du rôle des hormones dans le cerveau a contribué à notre compréhension de ce phénomène important [4, 5]. En particulier, les

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sont ubiquitaires [8, 31]. Au contraire, les récepteurs de type MR, aussi impliqués dans le processus d’élimi-nation des épines, sont peu exprimés dans le cortex. La forte affinité des récepteurs MR pour les glucocorti-coïdes, comparée à la faible affinité des récepteurs GR, pourrait compenser cette différence d’expression sans remettre en question un modèle à deux récepteurs.S’ils sont présents en excès, les glucocorticoïdes causent une perte nette d’épines, non seulement des épines nouvelles, mais aussi des épines anciennes, formées au cours du développement. Au contraire, un déficit de glucocorticoïdes, par exemple secondaire à une surrénalectomie, fige la dynamique des épines dendritiques, empêchant le renouvellement de celles-ci (Tableau I). Se pose donc la question de l’utilité phy-siologique de cette plasticité structurale apparemment non spécifique. L’idée est que l’augmentation de la dynamique des épines dendritiques offre une fenêtre de plasticité pour le réarrangement des réseaux de neurones. En principe, seuls les réseaux neuronaux recrutés par le contexte seraient capables d’exploiter cette fenêtre de plasticité. Des changements d’environ-nement (par exemple lors d’enrichissement, de stress, d’apprentissage, etc.) pourraient se traduire en réar-rangements des réseaux neuronaux s’il y a coïncidence de détection entre l’activité des glucocorticoïdes et l’activité neuronale.

Les bases structurales de la mémoire

C’est pour explorer cette hypothèse de coïncidence que nous avons récemment évalué [13] le rôle des oscilla-tions physiologiques circadiennes des taux de glucocor-ticoïdes sur la dynamique des épines dendritiques dans plusieurs régions du cortex au cours de l’acquisition et de la consolidation d’une tâche motrice. L’apprentissage moteur n’a pas d’effet sur la plasticité dendritique dans le cortex sensoriel et le cortex frontal. En revanche, dans le cortex moteur, les pics circadiens des taux de gluco-corticoïdes facilitent le réarrangement des épines après un apprentissage. Les creux de ces taux circadiens sont, eux, nécessaires à la stabilisation des nouvelles épines qui sont importantes pour la mémoire. Ce réarrangement des épines dendritiques est durable, puisqu’une propor-tion significative des nouvelles épines formées pendant l’apprentissage survit à long terme. Enfin, la persistance de ces épines est proportionnelle à la performance com-portementale évaluée longtemps après l’apprentissage [13]. En principe, c’est parce qu’elles sont stabilisées par l’apprentissage que les épines dendritiques constituent ce que l’on pourrait désigner comme une « unité de stoc-kage de l’information » [14].

concentrations trop faibles ou trop fortes, voire hors contexte, produisent des effets délétères [9-11]. L’imagerie in vivo de la dynamique des épines dendritiques offre une vision complémentaire de celle qu’offre l’électrophysiologie. En effet, une seule injection de glucocorticoïdes permet d’augmenter, en fonction de la dose, la formation et l’élimination des épines den-dritiques du cortex sensoriel murin [12]. Pour arriver à ce résultat, les glucocorticoïdes empruntent des voies mécanistiques distinctes. Ainsi, la formation des épines est un phénomène rapide (de l’ordre de quelques minutes) alors que l’élimination est un processus beau-coup plus lent (de l’ordre de quelques heures) qui fait intervenir la transcription de nouveaux gènes. Sur la durée, ces phénomènes s’équilibrent, c’est-à-dire qu’il y a autant d’épines formées que d’épines éliminées. Cette forme de plasticité est d’autant plus robuste que l’animal est jeune, mais elle persiste aussi chez l’adulte (Tableau I). L’augmentation du renouvellement des épines dendritiques par l’administration de glucocorticoïdes exogènes n’est pas spécifique d’une région du cortex, elle est détectée dans toutes les structures corticales étudiées (les cortex moteur, sensoriel et frontal). Rien d’étonnant puisque les récepteurs des glucocorticoïdes de type GR2

2 Les récepteurs des hormones stéroïdiennes regroupent les récepteurs GR des glucocorticoïdes (dont il existe deux isoformes a et b), les récepteurs MR des minérolocorcicoïdes (aldostérone) qui lient aussi le cortisol et les glucococorticoïdes, et les récepteurs AR des androgènes.

GLOSSAIRE

Glucocorticoïde : hormone (cortisol chez l’homme et corticostérone chez la souris ) sécrétée en réponse au stress, à un nouvel environne-ment (nouveauté) et aux rythmes circadiens.Stress : conditions environnementales qui nécessitent une adaptation physiologique de l’organisme. Le stress est intimement lié à l’appren-tissage. Engramme : traces de la mémoire (anatomiques ou fonctionnelles).Épine dendritique : compartiment post-synaptique dynamique composé du cytosquelette d’actine et de récepteurs et d’effecteurs des neuro-transmetteurs. Code d’épines : le résultat des processus de formation, de survie et d’élimination des épines dendritiques.GR : glucocorticoid receptor ; récepteur ubiquitaire de basse affinité pour les glucocorticoïdes. Récepteur nucléaire. Facteur de transcription aussi capable de signalisation synaptique rapide. MR : mineralocorticoid receptor ; récepteur limbique de haute affinité pour les glucocorticoïdes. Facteur de transcription aussi capable de signalisation synaptique rapide.BDNF : brain-derived neurotrophic factor ; neurotrophine sécrétée de façon dépendante de l’activité neuronale. Coïncidence de détection : deux signaux se manifestant ensemble créent une réponse distincte de la somme des deux réponses individuelles.Phosphorylation : modification protéique post-traductionnelle. La phosphorylation de GR interprète la coïncidence des voies du BDNF et des glucocorticoïdes.

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Si les traces anatomiques de la mémoire sont codées par des réarran-gements entre neurones, ceux-ci devraient, a priori, persister long-temps après l’apprentissage, être spécifiques des neurones activés par l’apprentissage et sensibles au type de tâche apprise. La coïncidence du pic de glucocorticoïdes et de l’apprentissage façonne la connectivité des neurones spécifiquement activés par la tâche comportementale. En revanche, l’absence de coïncidence entre le pic de glucocorticoïdes et l’apprentissage est sans effet (Figure 1). Pendant la semaine consécutive à l’apprentissage, une dérégulation des oscillations des taux de glucocorticoïdes empêche la consolidation

de la mémoire et la survie des épines nouvelles formées au moment de l’apprentissage. Ces nouvelles données associent donc les processus de formation des épines dendritiques à l’apprentissage, tandis que la survie et l’élimination des épines dendritiques serviraient à la consolidation et à la rétention de la mémoire. Elles confirment les précédentes observations collectées par des méthodes comportementales et électrophysiolo-giques [8, 9]. D’ailleurs la rapidité du processus de la formation des épines, comparée à la lenteur des méca-nismes de leur survie et de leur élimination, explique pourquoi des variations de l’activité des glucocorticoïdes pendant ces périodes critiques facilitent ou détruisent la mémoire [8]. En effet, la survie des nouvelles épines dendritiques et l’élimination d’épines préexistantes dans le cortex moteur sont deux processus essentiels à l’acquisition et la consolidation d’une nouvelle tâche motrice. Si un ensemble d’épines est façonné au cours d’un apprentissage, la rétention de cet apprentissage devrait dépendre de la survie de cet ensemble d’épines.Ce modèle a été testé aux limites de la physiologie en évaluant, par exemple, les effets d’une absence ou d’un excès chronique de glucocorticoïdes sur la dynamique des épines dans le cortex moteur pendant l’acquisition et la consolidation d’une tâche motrice [13]. Tout d’abord, une exposition prolongée à des glucocorticoïdes après une tâche d’apprentissage perturbe la rétention de la mémoire et cause une perte des épines formées pendant, et même avant, l’apprentissage. Ainsi, la rétention de la mémoire serait perturbée, car trop de glucocorticoïdes empêcherait la formation de nouvelles épines et exagèrerait l’élimina-tion d’épines préexistantes. Cette situation rappelle les déficits anatomiques, cognitifs et physiologiques détectés chez les patients atteints de dépression majeure [15, 16]. Un déficit en glucocorticoïdes prévient, non seulement la formation, mais aussi l’élimination, d’épines dendritiques ; ce défaut de plasticité structurale se traduirait par un déficit d’apprentissage (Figure 2). Cette situation rappelle les symptômes de patients souffrant de stress post-trau-matique [17].

Figure 1. Le pic circadien de glucocorticoïdes facilite l’apprentissage alors que le creux circadien est nécessaire à la consolidation de la mémoire. Cette phase critique de consolidation dure approximativement une semaine, pendant laquelle toute perturbation des oscillations de glucocorticoïdes a des consé-quences néfastes sur la mémoire. En pointillé est illustré l’effet d’une injection de glucocorticoïdes exogènes sur les oscillations des taux de glucocorticoïdes endogènes. Pour limiter les effets du stress, les souris ont préalablement été habituées trois jours de suite sur un rotaRod non motorisé à la procédure qui sera utilisée lors de l’induction du pic de glucocorticoïdes. C’est l’accélération du rotaRod pendant 20 essais/jour à la même heure qui permet aux souris d’apprendre des stratégies de coordination et d’équilibre pour ne pas chuter. L’imagerie in vivo des neurones du cortex moteur lors du rappel de cette tâche après la phase de consolidation de la mémoire indique que la performance comportementale est proportionnelle à la survie des épines dendritiques for-mées au moment de l’apprentissage et à l’élimination d’épines formées avant l’apprentissage. Contrairement à l’apprentissage, qui est sensible au pic de glucocorticoïdes, la performance lors du rappel ne l’est pas.

Apprentissagejour 1, 2

Rappeljour 7

Rappeljour 14 Performance/

survie d’épines

Basal EnrichissementApprentissage moteur

Administration de glucocorticoïdes

Surrénalectomie

Adolescents ~ 8 % ~ 14 % ~ 13 % ~ 15 % ~ 2 %

Adultes ~ 3 % ~ 6 % ~ 6 % ~ 6 %

Tableau I. Taux de renouvellement (mesuré sur trois jours) des épines dendritiques dans le cortex murin en réponse à différents changements de l’environnement. Le renouvellement des épines dendritiques augmente lorsque les souris sont maintenues dans un environnement enrichi (large cage + jouets) par rapport a un environnement basal (petite cage standard sans jouets). Les mêmes observations ont été constatées dans le cortex moteur lorsque les souris doivent acquérir des stratégies de coordination motrice pour ne pas chuter d’un Rotarod (3 séances d’apprentissage de 20 essais chacune). Souris adolescentes : âgées de 2 semaines à 1 mois maximum ; souris adultes : âgées de 4 mois au moins.

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après traitement avec un glucocorticoïde synthétique (Cort:BSA) qui ne peut pas accéder aux récepteurs cytoplasmiques3 (voire synaptiques). On peut donc en conclure que le pic de glucocorticoïdes facilite la formation d’épines par un mécanisme rapide non génomique qui dépend de GR (Figure 3).Les effets rapides et promnésiques des glucocorticoïdes et la formation de nouvelles épines dépendent de la polymérisation du cytosquelette d’actine par la voie de signalisation LIMK1/cofiline [13]. Le gène LIMK1 (lim domain kinase 1), qui est situé sur le locus q11.23 du chromosome 7 chez l’homme est supprimé, entre autres, par une microdélétion qui touche cette région du chro-mosome 7 dans le syndrome neurodéveloppemental de Williams, caractérisé par des déficits sévères de plasticité synaptique et des capacités cognitives. Plus spécifiquement, l’invalidation génétique du gène limk1 chez la souris confirme, en partie, la symptomatologie du syndrome de Williams ; elle empêche notamment l’augmentation du taux de renouvellement des épines dendritiques induite normalement par une applica-tion de glucocorticoïdes directement sur le cortex par craniotomie [13].

Des mécanismes lents qui facilitent l’élimination et la survie des épines dendritiques associées à l’apprentissage

Les glucocorticoïdes agissent aussi au niveau géno-mique pour établir le lien entre plasticité synaptique et apprentissage et exercer leurs effets mnémoniques [8]. Puisque seule une petite fraction des épines den-dritiques formées pendant l’apprentissage survit au détriment des épines formées avant l’apprentissage,

3 Ce glucococorticoïde de synthèse - corticosterone–bovine serum albumin conju-gate - ne peut pas traverser la membrane cytoplasmique en raison de son poids moléculaire élevé.

Quelques règles de la plasticité d’un engramme cortical induite par des glucocorticoïdes

L’étude des effets mnémoniques des glucocorticoïdes sur la plasticité des épines dendritiques dans un contexte d’apprentissage a donc per-mis d’établir des règles de la plasticité de l’engramme : (1) La formation et l’élimination des épines sont des processus disso-ciés dans le temps, mais équilibrés pour atténuer l’impact de l’appren-tissage sur le nombre net d’épines. (2) La survie des nouvelles épines est corrélée à l’élimination d’épines préexistantes. (3) La capacité mnésique est proportionnelle à la survie d’un ensemble d’épines. On observe une exception à ces règles lorsque les rythmes circadiens de la sécrétion de glucocorticoïdes sont perturbés. C’est le cas dans de nombreuses maladies psychiatriques et neurodégénératives qui agissent comme des facteurs aggravants des troubles cognitifs [17-20].

Des mécanismes rapides facilitent la formation des épines dendritiques associées à l’apprentissage

Pour produire cette plasticité des épines dendritiques, les glucocor-ticoïdes utilisent des mécanismes génomiques et non génomiques qui coïncident avec l’activité neuronale contrôlée par les neuro-transmetteurs excitateurs, des facteurs neurotrophiques et des neuropeptides [21, 22]. Des efforts considérables ont été dévolus à la compréhension des mécanismes de plasticité morphologique dans les contextes d’apprentissage et de rétention [23]. Ainsi, la plasticité structurale à court terme dépendrait de modifications post-traductionnelles de protéines associées au cytosquelette, alors que des changements persistants dépendraient également de processus transcriptionnels [24, 25]. Si l’application locale in vivo de glucocorticoïdes par le biais d’une craniotomie augmente rapi-dement (< 20 minutes) la formation d’épines dendritiques, celle d’antagonistes du récepteur de glucocorticoïdes (GR) empêche cette formation. En revanche, la forte augmentation de la formation d’épines induite par une seule injection de glucocorticoïdes persiste en présence d’actinomycine D, un inhibiteur de la transcription, et

Figure 2. Conséquences d’une perturbation des rythmes circadiens de la sécrétion de glucocor-ticoïdes sur l’apprentissage et les bases structu-rales de la mémoire. L’apprentissage au moment du pic de glucocorticoïdes facilite l’acquisition et la consolidation de la mémoire et est corrélé à la formation d’un motif d’épines qui pourrait coder pour les bases structurales de l’engramme. L’absence chronique des pics de glucocorticoïdes empêche l’apprentissage et la consolidation de la

mémoire qui est corrélé à un déficit des processus de formation et d’élimination des épines dendritiques. Au contraire, l’absence de creux circa-diens due à un excès chronique de glucocorticoïdes produit des carences cognitives qui sont corrélées avec l’élimination accrue d’anciennes épines dendritiques et un taux de formation quasiment nul.

Oscillationscircadienne desglucocorticoïdes

Code d’épines

Performancecomportementale

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se pose la question de savoir si le choix des épines à éliminer et des épines à maintenir est le résultat d’un mécanisme stochastique ou prédéterminé. Grâce à une approche de criblage génétique, nous avons déterminé que le niveau de BDNF (brain derived neurotrophic factor) influence dramatiquement l’expression du répertoire de gènes sensibles aux glucocorticoïdes, en favorisant le recrutement de cofacteurs spécifiques du récepteur de type GR [26]. Pour cibler certains gènes du répertoire sensibles au récepteur nucléaire, la signalisation du BDNF induit rapidement (de l’ordre de la minute) la phosphorylation du GR sur des sites spécifiques de la liaison de GR à des cofacteurs comme CREB1 (CAMP responsive element binding protein 1) [26] (Figure 3). Parmi les protéines intermédiaires mises en jeu par la convergence des voies de signalisation du BDNF et des glucocorticoïdes, la phosphatase MKP-1 (mitogen-activated protein [MAP] kinase phos-phatase-1), qui désactive la voie de MAP-kinase, facilite le réar-rangement structural des neurones. La persistance d’une expression trop élevée du gène correspondant peut, chez l’homme comme chez la souris, conduire à des troubles du comportement cognitif [27]. Au contraire, l’ablation du gène mkp-1 empêche le réarrangement structural des neurones et protège des effets délétères du stress sur l’apprentissage [28, 29]. En outre, manipuler l’expression d’un seul

des gènes cibles impliqués dans ces deux voies est suffisant pour induire - ou empêcher - des dysfonc-tionnements synaptiques engendrés par un déséqui-libre des rythmes de sécrétion des glucocorticoïdes.

Conclusions et perspectives

Performance comportementale et réarrangement des épines dendritiques sont des processus optimaux lorsqu’ils coïncident avec le pic du taux de glucocor-ticoïdes dans le milieu hormonal, et quand les creux oscillatoires sont respectés. Ainsi, la mémoire pourrait être codée par des ensembles d’épines qui résultent des processus de formation et d’élimination. À la suite d’un stress sévère, le nombre d’épines éliminées est supérieur au nombre d’épines formées, le résultat pouvant conduire à des déficits cognitifs, des mala-dies psychiatriques et à un vieillissement prématuré. En effet, les perturbations du rythme circadien de la sécrétion de glucocorticoïdes dans le milieu hormonal sont très fréquentes dans les maladies psychiatriques, et s’aggravent au cours du vieillissement [27, 30]. Si le

Synapse formée

Glucocorticoïdes

BDNF

MAPK CREB

TrkB

GR

Synapse stable

Synapse éliminée

Heure de la journée

Formation Apprentissage

Stabilisation+ Élimination

Consolidationde la mémoire

1 : Signalisation

non génomique

2 : Signalisationgénomique

Produitsde gènes

Cort

icos

téro

ne

Figure 3. Interférence des voies de signalisation des glu-cocorticoïdes et du BDNF via la phosphorylation des GR. Les glucocorticoïdes utilisent des mécanismes lents et rapides dépendants du GR pour augmenter le renouvelle-ment d’épines dendritiques. La signalisation rapide des GR influence le remodelage du cytosquelette d’actine par la voie LIMK1-cofiline, alors que la signalisation lente des GR phosphorylés cible la transcription de certains gènes, dont celui qui code pour MKP1, une phosphatase influençant le remodelage du cytosquelette de microtubules. Ce méca-nisme de signalisation est complexe et dépend du creux circadien du taux de glucocorticoïdes, et des récepteurs GR et MR. Il en résulterait un engramme permettant l’adapta-tion physiologique de ces réseaux neuronaux aux variations contextuelles.

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concept est clair, il reste cependant de nombreuses questions à éluci-der. Par exemple, comment une seule hormone, conservée, peut-elle produire des effets aussi complexes, spécifiques et sensibles au déve-loppement ? Est-ce qu’empêcher la dynamique des épines dendritiques suffit à protéger les réseaux neuronaux des effets nocifs du stress chronique ? Si c’est le cas, est-ce au détriment de l’apprentissage ? Enfin, la phosphorylation du récepteur des glucocorticoïdes par le BDNF peut-elle représenter un outil mnémonique qui serait exploitable pour lutter contre les effets délétères du stress ? ‡

SUMMARYToward an explanation for the mnemonic effects of glucocorticoids?If the engram of long-term memory is encoded by structural changes of neuronal circuits, they are expected to be present at distant time points after learning, to be specific of circuits activated by learning, and sensitive to behavioral contingencies. In this review we present new concepts that emerged from in vivo imaging studies that trac-ked the structural bases of the memory trace. A fine balance of spine formation and spine elimination needed for behavioral adaptation to new experience is regulated by glucocorticoids, which are secreted in synchrony with circadian rhythms and in response to stress. Disruption of glucocorticoid oscillations frequently observed in psychiatric disor-ders like depression and post-traumatic stress produces spine turnover defects and learning disabilities. These new findings provide a new framework for explaining the potent but complex mnemonic effects of glucocorticoids. ‡

LIENS D’INTÉRÊTL’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104013

médecine/sciences 2015 ; 31 : 389-96

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médecine/sciences Progrès récents dans la génétique de l’hyper-aldostéronisme primaireMaria-Christina Zennaro1,2,3, Fabio Fernandes-Rosa1,2,3, Sheerazed Boulkroun1,2

> L’hyperaldostéronisme primaire est la forme la plus fréquente d’hypertension artérielle secondaire. Les principales causes en sont les adénomes produisant de l’aldostérone et les hyperplasies bilatérales des surrénales. Des avancées technologiques récentes ont permis d’identifier certaines des anomalies génétiques sous-jacentes au développement de ces adénomes et aux formes familiales d’hyperaldostéronisme. Dans cette revue, nous décrivons les différentes anomalies génétiques associées à l’hyperaldostéronisme primaire et discutons les mécanismes par lesquels celles-ci conduisent à une augmentation de la production d’aldostérone et à la prolifération cellulaire, ainsi que les conséquences de ces connaissances sur le diagnostic et la prise en charge des patients. <

HTA essentielle. Ainsi, une large étude transversale comparant ces deux types de patients appariés individuellement selon le sexe, l’âge et la pression artérielle systolique, a montré, chez les patients avec HAP, une augmentation de la survenue d’événements cardiovasculaires tels que hypertrophie ventriculaire gauche, maladies coronariennes, infarctus du myocarde ou encore fibrillation auriculaire [2]. Cette augmentation de la morbidité cardiovasculaire pourrait être liée à un remodelage cardiaque [3] et une fibrose myocardique [4], se déve-loppant de façon indépendante du niveau de pression artérielle. À long terme, le traitement de l’hyperaldostéronisme primaire permet une réversibilité de l’hypertrophie ventriculaire gauche [5]. Le remodelage vasculaire dû à l’excès d’aldostérone ainsi que la durée de l’hyperten-sion constituent des indicateurs de la réponse de la pression artérielle à la surrénalectomie, soulignant ainsi l’importance d’un diagnostic précoce de la maladie [6].La production d’aldostérone par la zone glomérulée du cortex surréna-lien est finement régulée afin d’assurer le maintien de l’homéostasie hydrosodée au niveau rénal (Figure 1). Le principal mécanisme intra-cellulaire mis en jeu est la signalisation calcique, laquelle est induite à la fois par l’angiotensine II (AngII) et le potassium, les principaux régulateurs de la biosynthèse d’aldostérone [7]. L’augmentation de la signalisation calcique affecte toute une série d’étapes impliquées dans la biosynthèse d’aldostérone, et en particulier l’expression de CYP11B2 (cytochrome P450, family 11, subfamily B, polypeptide 2) qui code pour l’aldostérone synthase (AS), enzyme qui catalyse les dernières étapes de la biosynthèse d’aldostérone. L’AngII agit via le récepteur de l’AngII de type 1 (AT1R) et induit, par la voie de l’inositol triphosphate,

1Inserm, UMRS 970, Paris-centre de recherche cardiovasculaire, 56, rue Leblanc, 75015 Paris, France ;2Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, Paris, France ;3Assistance publique-hôpitaux de Paris, service de génétique, hôpital européen Georges Pompidou, Paris, [email protected]

L’hyperaldostéronisme primaire (HAP) est la forme la plus commune d’hypertension artérielle (HTA) secon-daire. La prévalence de l’hyperaldostéronisme primaire est estimée à environ 10 % des patients vus dans les centres spécialisés et atteint jusqu’à 20 % chez les patients ayant une HTA résistante aux traitements [1]. Cette maladie résulte d’une production autonome d’al-dostérone1 par le cortex de la surrénale, qui est souvent associée à une hypokaliémie. Les deux principales causes en sont les adénomes produisant de l’aldosté-rone (APA) et les hyperplasies bilatérales des surrénales (HBS). L’augmentation des taux d’aldostérone chez les patients ayant un hyperaldostéronisme primaire est associée à une augmentation du risque cardiovascu-laire quand on les compare à des patients ayant une

Vignette (Photo © Inserm-Rafael Oriol). 1 L’aldostérone est une hormone stéroïde d’origine corticosurrénalienne (hormone minéralocorticoïde, synthèse dans la zone glomérulée) dont l’organe cible est le rein. Elle agit dans le néphron distal (tube contourné distal), où elle assure le contrôle de la réabsorption rénale de sodium, en induisant la réabsorption active de l’ion sodium contre l’élimination de l’ion potassium et de l’ion H+. Cette réten-tion sodée est directement responsable de l’augmentation de la volémie, et de la pression artérielle. Sa sécrétion est contrôlée par le système rénine-angiotensine et le potassium.

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glomérulée. Le potentiel de membrane de ces cellules suit de près le potentiel d’équilibre du K+ dans une large gamme de concentrations extracellulaires de ce cation, faisant des cellules de la zone glomérulée du cortex des senseurs des concentrations extracellulaires en K+. Le gradient de concentration de K+ entre les espaces intra- et extracellulaires nécessaire à l’établissement du

un relargage de Ca2+ depuis le réticulum endoplasmique. De plus, l’AngII, tout comme le K+, agissent en dépolarisant la membrane de la zone glomérulée du cortex, conduisant ainsi à l’ouverture de canaux Ca2+ dépendants du voltage. En effet, les cellules de la zone gloméru-lée ont la capacité intrinsèque de se conduire comme des oscillateurs électriques. L’expression de différents types de canaux potassiques fait du K+ la principale conductance ionique des cellules de cette zone

Figure 1. Biosynthèse de l’aldostérone en conditions normales et pathologiques. A. Les cellules de la zone glomérulée (ZG) présentent une conductance élevée pour le K+ leur conférant un potentiel de membrane très négatif en condition basale (−80 mV en présence d’une concentration plasmatique normale en K+), dû à l’expression d’un grand nombre de canaux potassiques. Le gradient de concentration en K+ entre l’espace intracellulaire et extra-cellulaire nécessaire au maintien du potentiel de membrane est généré par l’activité de la pompe Na+,K+-ATPase. B. L’AngII agit en se liant au récepteur de l’AngII de type 1 (AT1R), et stimule ainsi, via l’augmentation d’inositol triphosphate, le relargage de Ca2+ par le réticulum endoplasmique (non présenté). De plus, l’AngII et le K+ induisent tous les deux une dépolarisation de la membrane plasmique, conduisant à une ouverture de canaux Ca2+ dépendants du voltage qui induit une augmentation du Ca2+ intracellulaire. L’effet de l’AngII sur la dépolarisation de la membrane plasmique passe par une inhibition de canaux potassiques et de la pompe Na+,K+-ATPase. L’augmentation des concentrations extracellulaires, ou la diminution des concentrations intracellulaires en K+, conduisent à une inhibition de canaux potassiques de fuite, aboutissant aussi à une dépolarisation de la mem-brane plasmique. Celle-ci active l’ouverture de canaux Ca2+ dépendants du voltage. L’augmentation de la concentration intracellulaire en Ca2+ résulte en une activation de la voie de signalisation calcique induisant une augmentation de la biosynthèse d’aldostérone par l’activation de facteurs de transcription spécifiques et la transcription du gène CYP11B2 codant l’aldostérone synthase. C. Les mutations gain de fonction de KCNJ5, qui affectent le canal GIRK4, ainsi que les mutations de la pompe Na+,K+-ATPase (par mutation du gène ATP1A1), modifient les concentrations intracellulaires en Na+, conduisant à la dépolarisation de la membrane plasmique et ainsi à l’ouverture des canaux Ca2+ dépendants du voltage. D. Les mutations du gène ATP2B3 qui code la pompe Ca2+ membranaire PMCA3, et les mutations du gène CACNA1D qui affectent la sous-unité Cav1.3 du canal Ca2+ de type L, ont des conséquences directes sur les concentrations intracellulaires en Ca2+ en affectant directement l’influx et le recyclage du Ca2+. Toutes ces anoma-lies génétiques conduisent finalement à l’activation de la signalisation calcique et à l’augmentation de la biosynthèse d’aldostérone. Flèche pleine, activation directe ; flèche hachurée, activation indirecte nécessitant des étapes intermédiaires.

Na+,K+-ATPase

Na+,K+-ATPasemuté (ATP1A1) Na+,K+-ATPase

Na+,K+-ATPaseAT1R

AT1R AT1R

AT1R

ÉchangeurNa+, Ca2+

ÉchangeurNa+, Ca2+

ÉchangeurNa+, Ca2+

ÉchangeurNa+, Ca2+

Canal K+

Canal K+

muté(KCNJ5)

Canal K+

Canal K+

Hyperpolarisation

CYP11B2

CYP11B2

CYP11B2

CYP11B2

K+

K+ K+

K+

K+

Na+

Na+

Na+

Na+

Na+

Na+Na+

Na+

Ca2+

Ca2+

Ca2+

Ca2+

Ca2+

Ca2+

Ca2+

Canal Ca2+

dépendantdu voltage

Canal Ca2+

dépendantdu voltage

Canal Ca2+

dépendantdu voltage t

Canal Ca2+

dépendantdu voltage muté

(CACNA1D)

Ca2+-ATPase

Ca2+-ATPase

Ca2+-ATPase

Ca2+-ATPase PMCA3mutée

(ATP2B3)

K+

Angll

Dépolarisation

Dépolarisation

[Ca2+]i

[Ca2+]i

[Ca2+]i

Aldostérone

Aldostérone Aldostérone

A B

DC

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potentiel de membrane est généré par l’activité de la Na+,K+-ATPase. Ainsi, l’augmentation de la concentration extracellulaire en K+, la diminution de sa concentration intracellulaire ou encore l’inhibition de la Na+,K+-ATPase ou de canaux potassiques, conduisent tous à une dépolarisation de la membrane plasmique, qui induit l’ouverture de canaux Ca2+ dépendants du voltage. L’importance pour la production physiologique d’aldostérone du maintien du potentiel de repos de la membrane des cellules de la zone glomérulée (−80 mV) ainsi que des concentrations intracellulaires en Ca2+, a récemment été soulignée par la découverte, dans des formes sporadiques et familiales d’HAP, d’al-térations génétiques touchant à des séquences codant des protéines impliquées dans la régulation du potentiel de membrane des cellules de la ZG et dans l’homéostasie ionique intracellulaire.

L’équilibre ionique au centre de la pathogenèse des adénomes produisant de l’aldostérone

Mutations du gène codant le canal ionique KCNJ5La comparaison, chez un même patient, des séquences d’exomes de l’ADN constitutionnel et de l’ADN (ADN somatique) extrait d’adénomes produisant de l’aldostérone a permis d’identifier des mutations soma-tiques récurrentes dans des gènes codant des canaux ioniques (KCNJ52 [8] et CACNA1D3 [9, 10]) et des ATPases (ATP1A1 et ATP2B3 [11]) impliqués dans la régulation de l’homéostasie ionique intracellulaire et du potentiel de membrane (Figure 1). Il est à noter qu’aucune mutation germinale n’a été identifiée chez des patients ayant un adé-nome porteur de mutations somatiques. KCNJ5 code le canal potas-sique GIRK4 (G protein-activated inward rectifier potassium channel 4). Toutes les mutations KCNJ5 identifiées dans l’APA, de même que les différentes mutations germinales identifiées dans l’hyperaldosté-ronisme familial de type III (FH-III, voir ci-dessous), sont localisées au niveau de l’exon 2. Les deux mutations les plus fréquentes sont la p.Gly151Arg et la p.Leu168Arg, mais d’autres mutations localisées à proximité ont également été décrites. Toutes ces mutations sont localisées dans, ou à proximité du, filtre de sélectivité de GIRK4 et affectent la sélectivité ionique du canal. Le filtre permet le passage sélectif du K+ à travers le pore du canal. Les mutations induisent une augmentation de la conductance Na+ du canal qui conduit à un influx de cet ion dans la cellule et, par conséquent, à une dépolarisation chronique de la membrane plasmique. Cela déclenche l’ouverture de canaux Ca2+ dépendants du voltage et l’activation de la voie de signalisation calcique, stimulant la production d’aldostérone. La surexpression de différents canaux mutés dans une lignée cellulaire de cortex surrénalien induit une augmentation de l’expression de CYP11B2 et de la production d’aldostérone, ainsi que de celle de deux des régulateurs transcriptionnels de CYP11B2, NURR1 (nuclear receptor related 1 protein, codé par NR4A2 [nuclear receptor subfamily 4, group A, member]) et NOR-1 (neuron-derived orphan receptor 1, codé par NR4A3 [nuclear receptor subfamily 4, group A, member 3]) [12, 13].

2 Potassium inwardly-rectifying channel, subfamily J, member 5.3 Calcium channel, voltage-dependent, L type, alpha 1D subunit.

Mutations de ATP1A1, ATP2B3 et CACNA1DPlus récemment, des mutations somatiques récur-rentes dans deux autres gènes, ATP1A1 et ATP2B3, codant des membres de la famille des ATPases de type-P ont été identifiées dans les adénomes produi-sant de l’aldostérone [11] (Tableau I). ATP1A1 code la sous-unité 1 de la Na+,K+-ATPase et ATP2B3 code la pompe PMCA3 (plasma membrane calcium-transpor-ting ATPase 3). Des mutations dans le gène CACNA1D, codant la sous-unité 1 (Cav1.3) du canal Ca2+ du type L (voltage-dependent L-type calcium channel subunit alpha-1D), ont également été identifiées. [9, 10]. Les mutations de la sous-unité 1 de la Na+,K+-ATPase affectent des résidus particuliers localisés au niveau des hélices transmembranaires M1 et M4 de la protéine, et impliqués dans l’interaction avec le Na+ et/ou le K+. Elles conduisent à une perte de l’activité de la pompe et une réduction importante de l’affinité pour le K+, ainsi qu’à une fuite entrante de protons ou de Na+. Il en résulte une augmentation de la production d’aldostérone consécutive à une dépolarisation de la membrane plasmique, et une augmentation de l’influx calcique ; ce mécanisme est similaire à celui observé pour les mutations KCNJ5 [9, 11]. Des mesures électro-physiologiques réalisées sur des cultures primaires de cellules issues d’adénomes produisant de l’aldostérone révèlent une dépolarisation inappropriée des cellules porteuses de mutations ATP1A1 [11]. Les mutations PMCA3 et Cav1.3, quant à elles, affectent directement l’homéostasie intracellulaire du calcium. Les mutations de PMCA3 touchent des résidus hautement conservés, localisés au niveau de l’hélice transmembranaire M4 qui serait impliquée dans l’interaction avec le Ca2+. Elles entraînent une distorsion du site de liaison du Ca2+, ce qui affecte la clairance intracellulaire de ce cation. Les mutations somatiques affectant Cav1.3 sont localisées au niveau de domaines impliqués dans l’activation du canal calcique et la sensibilité au potentiel de mem-brane, ainsi qu’au niveau du domaine cytoplasmique couplant le domaine de sensibilité au potentiel et le pore du canal. Les mutations modifient la sensibilité du canal au potentiel de membrane, décalant son activa-tion pour des potentiels de membrane plus négatifs ou retardant son inactivation. Elles conduisent, comme les mutations ATP2B3, à une altération de l’homéostasie du calcium intracellulaire.

Épidémiologie et corrélations génotype-phénotypeDifférentes études sur des cohortes de patients assez larges ont établi la fréquence des mutations soma-tiques dans les adénomes produisant de l’aldostérone.

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Anomalies de KCNJ5 dans l’hyperaldostéronisme primaire familial

Alors que la majorité des cas d’hyperaldostéronisme primaire sont sporadiques, 1 à 5 % des cas sont des formes familiales. Trois formes de transmission mendé-lienne ont été décrites : l’hyperaldostéronisme familial de type I (FH-I), de type II (FH-II) et de type III (FH-III). À la différence du FH-I, dont la base génétique, notam-ment la présence d’un gène chimérique CYP11B1/B2, a été établie il y a environ vingt ans déjà [19, 20] (et qui ne sera pas discuté dans cette revue), la compréhen-sion des causes génétiques du FH-III et de certains cas de FH-II est en relation directe avec les découvertes récentes de génétique somatique dans les adénomes produisant de l’aldostérone (Tableau I).Le FH-II est une forme familiale d’hyperaldostéro-nisme qui n’est pas sensible aux glucocorticoïdes5 [21], et se transmet sur un mode autosomique domi-nant [20, 22]. La prévalence du FH-II est estimée autour de 1,2 % à 6 % dans des populations adultes avec hyperaldostéronisme primaire [23, 24]. Le phénotype est variable et des adénomes produisant de l’aldostérone et/ou des hyperplasies bilatérales des surrénales peuvent être présents dans la même famille. Sur les plans clinique et biochimique, le FH-II ne se distingue pas des formes sporadiques et n’est diagnostiqué que lorsque deux membres au moins

5 La sécrétion d’aldostérone n’est pas normalisable par l’administration de gluco-corticoïdes (comme c’est le cas dans le FH-I).

Ainsi, deux études multicentriques consécutives réalisées au sein du réseau européen d’étude des tumeurs de la surrénales4 ont éva-lué l’éventail génétique et les corrélations cliniques des mutations somatiques chez les patients porteurs d’adénomes produisant de l’aldostérone [14, 15]. L’analyse de 474 patients issus de sept centres différents a identifié des mutations somatiques chez 54 % des patients porteurs d’adénomes ; cette prévalence varie de 27,2 % à 56,8 % selon les centres. Les mutations KCNJ5 sont les anomalies génétiques les plus fréquentes (prévalence de 38 %) ; les muta-tions ATP1A1 et ATP2B3 sont présentes respectivement dans 5,3 % et 1,7 % des adénomes produisant de l’aldostérone. La fréquence de ces mutations concorde avec celle rapportée à partir d’autres cohortes [9, 11, 16], bien que les mutations KCNJ5 soient plus ou moins fréquentes dans certaines populations et selon les procédures diagnostiques utilisées [14, 17, 18]. Les mutations du gène CACNA1D sont les secondes mutations les plus fréquentes après les mutations KCNJ5 et leur prévalence est de 9,3 % [15]. L’analyse de la corrélation entre les données génétiques et les paramètres cliniques et biolo-giques a montré que les mutations KCNJ5 étaient plus fréquentes chez les femmes, et diagnostiquées plus précocement que les mutations CACNA1D [15] ; les mutations CACNA1D sont, quant à elles, présentes dans des adénomes plus petits. Il n’y a pas d’association entre le sta-tut mutationnel et les taux plasmatiques d’aldostérone, de rénine, ni avec le rapport aldostérone sur rénine en préopératoire, ou le nombre de médicaments pris avant la chirurgie. Il n’y a pas de corrélation non plus avec la valeur de la tension artérielle postopératoire. Dans une autre étude multicentrique, les mutations ATP1A1 et ATP2B3 étaient plus fréquentes chez les hommes, et associées à une aldostéronémie plus élevée et une kaliémie plus basse [11].

4 ENS@T, European network for the study of adrenal tumors, www.ensat.org

Gène ProtéineFréquence des mutations somatiques dans l’APA

Présence des mutations dans l’HAP familial

KCNJ5 Canal potassique GIRK4 38 %FH3 (sévérité selon le type de mutation)

CACNA1DSous-unité 1 (Cav1.3) du canal Ca2+ de type L

9,3 %Mutations constitutionnelles de novo dans l’HAP avec syndrome neu-rologique complexe

ATP1A1 Sous-unité 1 de la Na+, K+-ATPase 5,3 % Non

ATP2B3 Pompe calcique PMCA3 1,7 % Non

CYP11B1/B2*11 hydroxylase et aldostérone synthase

FH1

Tableau I. Mutations somatiques et constitutionnelles dans les adénomes produisant de l’aldostérone et l’hyperaldostéronisme familial. *Bien que le FH-I n’ait pas été discuté dans le texte, cette forme d’hyperaldostéronisme familial a été ajoutée au tableau pour des raisons d’exhaustivité. Le FH-I est dû à la formation d’un gène chimérique entre CYP11B1 (codant la 11 hydroxylase) et CYP11B2 (codant l’adostérone synthase). Ainsi l’activité de l’aldostérone synthase est placé sous le contrôle des régions régulatrice de la 11 hydroxylase et la production d’aldostérone est donc contrôlée par l’ACTH (adrenocorticotrophic hormone) et non pas par le système rénine-angiotensine et le potassium.

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sont atteints dans la même famille. L’origine génétique du FH-II n’est pas connue ; une liaison entre le FH-II et la région chromoso-mique 7p22 a été établie chez certaines familles [25], sans qu’au-cune mutation n’ait cependant été identifiée dans cette région. Récemment, des mutations germinales particulières de KCNJ5 ont été trouvées chez des patients atteints d’un hyper-aldostéronisme primaire considéré comme FH-II en raison d’une méconnaissance de l’hétérogénéité phénotypique du FH-III (voir plus loin) [26]. De plus, des mutations somatiques de KCNJ5 ont été rapportées dans des adénomes produisant de l’aldostérone chez des sujets FH-II [26]. Compte tenu de la fréquence élevée d’un hyperaldostéronisme primaire chez les sujets hypertendus, il pourrait s’agir de l’associa-tion fortuite, dans la même famille, de patients atteints d’hype-raldostéronisme sporadique. Une autre hypothèse est la présence d’un déterminant polygénique de l’hyperaldostéronisme sur un fond génétique prédisposant à un hyperaldostéronisme familial, qui se manifesterait sous la forme d’un adénome uniquement chez les patients porteurs de mutations KCNJ5.Le FH-III a été décrit pour la première fois en 2008 chez un père et ses deux filles présentant une HTA sévère précoce, résistante au traite-ment et associée à une hypokaliémie profonde [27]. Les trois sujets atteints présentaient un hyperaldostéronisme primaire non suppres-sible par les glucocorticoïdes, des niveaux élevés de stéroïdes hybrides 18-oxocortisol et 18-hydroxycortisol, et une hyperplasie massive du cortex surrénalien, nécessitant une surrénalectomie bilatérale afin de contrôler la pression artérielle [27]. Récemment, l’origine génétique du FH-III dans cette famille a été attribuée à la mutation p.Thr158Ala du gène KCNJ5 [8]. Comme c’est le cas pour les mutations somatiques décrites dans les adénomes produisant de l’aldostérone, cette muta-tion est localisée à proximité du motif GYG qui confère à GIRK4 sa sélectivité pour le K+. Comme les autres mutations, celle-ci entraîne une perte de sélectivité pour le K+ et un influx de Na+ dans la cellule résultant en une dépolarisation de la membrane plasmique et une activation de canaux Ca2+ dépendants du voltage, conduisant à une accumulation de Ca2+ intracellulaire [13].Différentes autres mutations germinales de KCNJ5 ont été décrites dans des familles de type FH-III. La sévérité de l’hyperaldos-téronisme primaire dépend du type de mutation. Les mutations p.Gly151Arg (mutation identique à l’une des mutations récurrentes décrites dans l’APA), p.Thr158Ala et p.Ile157Ser entraînent toutes un phénotype sévère avec une HTA précoce résistante au traitement [8, 28], alors que le phénotype associé aux mutations KCNJ5 p.Gly151Glu et p.Tyr152Cys est plus modéré, similaire à celui qui prévaut dans le FH-II [26, 29, 30]. Des études in vitro ont démontré que, comme le font d’autres mutations, la mutation p.Gly151Glu altère la sélecti-vité du canal GIRK4. Cependant, cette mutation confère une conduc-tance Na+ plus élevée que les autres mutations, induisant une mort cellulaire rapide dépendante du Na+ ; celle-ci pourrait, in vivo, limi-ter la prolifération des cellules du cortex surrénalien et la sévérité de l’hyperaldostéronisme, expliquant le phénotype plus modéré des familles porteuses de la mutation p.Gly151Glu ainsi que l’absence d’hyperplasie de la surrénale [26, 30]. L’existence d’une corrélation

stricte entre le génotype et le phénotype a été récem-ment nuancée par la description d’un patient porteur d’une mutation hétérozygote germinale p.Gly151Arg, qui avait développé une polyurie à l’âge de 18 mois et une hypertension avec hypokaliémie à 4 ans. Par la suite, son hyper aldostéronisme a été traité avec succès durant sept ans avec de la spironolactone6 sans que soit observé un élargissement de la surrénale [31]. Dans tous les cas, la recherche de mutations dans le gène KCNJ5 doit être considérée même dans les formes familiales modérées d’HAP.

Des mutations constitutionnelles de KCNJ5 et CACNA1D dans l’hyperaldostéronisme primaire sporadique

Récemment, la région codante du gène KCNJ5 a été séquencée à partir de l’ADN leucocytaire de 251 patients atteints d’hyperaldostéronisme primaire spo-radique [32]. Trois mutations hétérozygotes faux-sens (p.Arg52His, p.Glu246Lys et p.Gly247Arg), situées hors du filtre de sélectivité de GIRK4, ont été identifiées. De plus, 5 % des patients étaient porteurs de polymor-phismes rares (rs7102584, p.Glu282Gln). Les études fonctionnelles ont montré que, bien que localisées à l’extérieur du filtre de sélectivité, les mutations p.Arg52His et p.Glu246Lys altèrent les propriétés du canal dans l’oocyte de xénope ainsi que dans les cel-lules de cortex surrénalien H295R, induisant une dépo-larisation de la membrane cellulaire et potentialisant l’effet stimulant de l’AngII sur la biosynthèse d’aldos-térone [32]. Dans la même étude, la surexpression, dans les cellules H295R, d’un canal GIRK4 porteur du polymorphisme rs7102584 altère la viabilité cellulaire. Les auteurs suggèrent que des variations constitution-nelles du gène KCNJ5 pourraient jouer un rôle dans les formes communes sporadiques d’hyperaldostéronisme primaire [32].Des mutations constitutionnelles de novo du gène CACNA1D ont été décrites chez des sujets ayant une HTA précoce, un hyperaldostéronisme primaire et un tableau neurologique complexe [10]. Chez le premier patient, l’HTA était présente dès la naissance ainsi qu’une hypertrophie biventriculaire, et les signes d’hyperaldostéronisme primaire à l’âge d’un mois. Ces signes s’associaient à un tableau neurologique comprenant des convulsions, une paralysie cérébrale apparente, une cécité corticale et des anomalies neu-romusculaires. L’utilisation d’un inhibiteur calcique, l’amlodipine, normalisait la pression artérielle. Une

6 Diurétique antagoniste compétitif de l’aldostérone.

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une autre étude ne retrouve aucun impact clinique du statut mutationnel sur les gradients de stéroïdes lors du cathétérisme des veines surrénaliennes [34]. Les complications cardiovasculaires dues à l’excès d’aldostérone dans les adénomes produisant de l’aldos-térone ont été corrélées au profil des mutations dans deux larges études incluant plus de 100 patients [17, 18]. Bien que la fréquence des mutations diffère de façon significative (26 % [18] contre 69,4 % [17]), des taux plus élevés d’aldostérone plasmatique étaient associés à des mutations KCNJ5 dans les deux études. Rossi et al. ont également observé des anomalies car-diovasculaires plus sévères, avec un index de masse ventriculaire gauche plus élevé, chez les sujets porteurs de mutations KCNJ5 par rapport aux patients non por-teurs de mutations. Cependant, une régression similaire de l’hypertrophie ventriculaire gauche était observée dans les deux groupes après surrénalectomie [17, 18]. Dans les deux études, l’amélioration de l’index de masse ventriculaire gauche était indépendamment associée aux mutations KCNJ5. Ces résultats soulignent qu’il est important d’identifier très tôt les patients porteurs de mutations KCNJ5, car ces patients pourraient être à risque de complications cardiovasculaires plus sévères. La connaissance de la pharmacologie des canaux et pompes mutés est utile à l’interprétation des données expérimentales et cliniques, et pourrait également se révéler importante pour le développement de nouveaux traitements dans l’APA. Il a été montré que les mutations somatiques KCNJ5 confèrent une perméabilité patholo-gique au Na+ aux canaux GIRK4 mutés [8], conduisant à une augmentation de la production d’aldostérone via des mécanismes dépendants du Ca2+ [12, 13]. L’aug-mentation des concentrations intracellulaires en Ca2+ est supposée être due à l’ouverture de canaux Ca2+ dépendants du voltage. De façon intéressante, dans les cellules corticosurrénaliennes NCI-H295R, des concen-trations élevées de Na+ intracellulaire empêcheraient également l’export de Ca2+ via l’échangeur Na+/Ca2+ (NCX), résultant en un influx de Ca2+ au travers de NCX qui fonctionnerait alors en mode de transport inversé [35]. Alors que le canal GIRK4 sauvage est inhibé par la Tertiapin-Q [36], les canaux mutés ne le sont que fai-blement [35]. Des études in vitro ont même montré que le canal GIRK4 porteur de la mutation p.Leu168Arg était inhibé par l’amiloride, et de façon encore plus puissante par le vérapamil, antagoniste des canaux Ca2+ de type-L. Les mutants p.Gly151Arg et p.Thr158Ala sont également bloqués par le vérapamil, mais de façon moins puissante [35]. Le vérapamil n’agirait donc pas uniquement sur la production d’aldostérone en inhibant les canaux Ca2+ dépendants du voltage activés par la dépolarisation,

mutation germinale a été identifiée dans l’exon 8B du gène CACNA1D sous la forme de la substitution d’une glycine par une asparagine en position 403 (p.Gly403Asp). Des mutations somatiques du même résidu du gène CACNA1D (p.Gly403Arg) ont été identifiées dans les adénomes produisant de l’aldostérone [9, 10, 15]. L’analyse fonc-tionnelle du canal porteur de cette mutation a montré une activa-tion à des potentiels plus bas que le canal sauvage [10]. Le second patient, qui présentait dès la naissance une paralysie cérébrale et des convulsions complexes, a développé une HTA et un hyperal-dostéronisme primaire à l’âge de 5 ans, en l’absence d’anomalies des surrénales et d’histoire familiale d’HTA précoce. Une mutation germinale de novo, p.Ile770Met, a été identifiée ; elle est également retrouvée dans des adénomes produisant de l’aldostérone. L’étude des caractéristiques fonctionnelles des canaux portant ces muta-tions dans les cellules H295R a montré une activation des courants calciques à des potentiels plus bas que le canal non muté [10]. Ces mutations germinales induiraient, à nouveau, une augmentation des concentrations intracellulaires en Ca2+, résultant en une activation de la voie de signalisation calcique et une augmentation de la pro-duction d’aldostérone.

Perspectives pour le diagnostic et la prise en charge de l’hyperaldostéronisme primaire

Les formes familiales d’hyperaldostéronisme primaire représentent environ 5 % des cas, et les anomalies génétiques n’ont été identifiées que dans le FH-I (gène chimérique CYP11B1/CYP11B2) et le FH-III (KCNJ5). Des mutations somatiques récurrentes des gènes KCNJ5, ATP1A1, ATP2B3 et CACNA1D sont présentes dans plus de la moitié des adénomes produisant de l’aldostérone. Alors que le diagnostic géné-tique des mutations récurrentes de KCNJ5, ATP1A1 et ATP2B3 est rela-tivement simple et peut facilement être transféré en routine hospita-lière, le nombre important de mutations différentes localisées dans différentes régions du canal Cav1.3 implique un séquençage génétique large de CACNA1D dans les adénomes produisant de l’aldostérone.Les corrélations génotype-phénotype ont montré que les patients porteurs de mutations KCNJ5 sont plus fréquemment des femmes, sont diagnostiqués plus jeunes, et ont des concentrations plasma-tiques minimales en potassium plus élevées ; la mutation de CAC-NA1D est, quant à elle, associée à des adénomes plus petits [15]. Une question dont les conséquences cliniques sont importantes est celle de l’influence des mutations sur le diagnostic final d’hyperal-dostéronisme primaire, les options et/ou le suivi thérapeutiques. La présence de mutations KCNJ5 a été associée à un index de latéra-lisation7 plus élevé lors du cathétérisme des veines surrénaliennes [33]. Il est donc probable que les patients porteurs de mutations KCNJ5 soient plus facilement identifiés au moment du cathétérisme des veines surrénaliennes et, ainsi, bénéficient plus tôt d’une sur-rénalectomie. Néanmoins, ces résultats n’ont pas été confirmés, et

7 Le dosage séparé de l’aldostérone au niveau des veines surrénaliennes après cathétérisme est un moyen performant de diagnostic d’une forme latéralisée et de localisation des adénomes.

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mais également en bloquant le canal muté. Les antagonistes calciques sont utilisés dans le traitement des patients avec hyperaldostéronisme primaire ; ils diminuent non seulement la pression artérielle, mais également les taux plasmatiques d’aldostérone [37, 38]. Chez l’un des deux patients porteurs d’une mutation germinale de CACNA1D (voir ci-dessus), l’utilisation de l’amlodipine a permis la normalisation de la pression artérielle [10]. Ces données suggèrent qu’un traitement spécifique serait possible chez les patients porteurs de mutations KCNJ5 et CACNA1D. Il serait particulièrement pertinent d’identifier des biomarqueurs associés au statut mutationnel, ce qui permettrait de stratifier les patients et de leur administrer un traitement ciblé avant la chirurgie. Dans le futur, il devrait être possible de détecter la pré-sence de mutations somatiques dans l’ADN libre circulant libéré lors du renouvellement des cellules des adénomes produisant de l’aldostérone. Cela constituerait une méthode de dépistage sensible et non invasive de cette maladie, particulièrement précieuse pour les mutations KCNJ5 qui sont présentes dans la majorité des cas.

Conclusion

Des avancées majeures ont été réalisées récemment dans l’analyse des bases génétiques et mécanistiques des formes sporadiques et familiales d’hyperaldostéronisme primaire. L’analyse, dans le futur, d’un grand nombre d’échantillons apportera certainement des infor-mations précieuses permettant d’expliquer l’origine des 50 % restants d’adénomes produisant de l’aldostérone sporadiques, ainsi que celle des formes familiales pour lesquelles les anomalies génétiques ne sont pas encore identifiées. D’autres questions restent en suspens ; elles concernent notamment l’existence de gènes de susceptibilité impliqués dans le développement des formes bilatérales d’hyperal-dostéronisme primaire, ou encore les mécanismes communs de proli-fération du cortex surrénalien et/ou de production d’aldostérone qui pourraient être impliqués à la fois dans la formation des adénomes produisant de l’aldostérone et des hyperplasies bilatérales. ‡

SUMMARYGenetic alterations in primary aldosteronismPrimary aldostéronism (PA) is the most frequent form of arterial hypertension. It is caused in the majority of cases by an aldosterone producing adenoma (APA) of the adrenal cortex or by bilateral adre-nal hyperplasia. Recent advances have allowed to identify a certain number of genetic abnormalities involved in the development of APA or responsible for familial forms of PA. These findings have highlighted the central role of calcium signaling in this process. In this review we will discuss the genetic defects associated with PA and discuss the mecha-nisms whereby they lead to increased aldosterone production and cell proliferation. The possible consequences that this knowledge will have on the diagnosis and management of PA will be addressed. ‡

LIENS D’INTÉRÊTLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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TIRÉS À PARTM.C. Zennaro

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m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104014

médecine/sciences 2015 ; 31 : 397-403

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médecine/sciences Rôle de la détection centrale des lipides dans le contrôle nerveux de la balance énergétiqueValentine S. Moullé1,2, Alexandre Picard1,2, Céline Cansell1,2, Serge Luquet1,2, Christophe Magnan1,2

> Il existe, dans l’hypothalamus et dans d’autres structures cérébrales comme l’hippocampe ou le striatum, des neurones spécialisés capables de détecter les variations quotidiennes des acides gras circulants. Ces neurones participent au maintien à l’équilibre de la balance énergétique en contrôlant la prise alimentaire, la sécrétion d’insuline ou la production hépatique de glucose. Les mécanismes moléculaires relayant l’effet des acides gras impliquent des récepteurs d’acides gras comme FAT (fatty acid transporter)/CD36. Toute dérégulation de cette détection centrale des acides gras peut contribuer à la mise en place des maladies métaboliques, telles que l’obésité ou le diabète de type 2. <

conditionnée par un manque ou un excès de calories (« j’ai faim » ou « je n’ai plus faim »), il existe aussi des régions centrales impliquées dans la réponse « non homéostatique » de la prise alimentaire (celle conditionnée par la motivation et la préférence alimentaire). Des données récentes suggèrent que, dans ces régions également, les acides gras peuvent être considérés comme des molécules informa-tives. Selon le concept de l’origine « centrale » des maladies méta-boliques, un dysfonctionnement de ces mécanismes de détection, et notamment la détection des lipides, peut être en partie responsable d’une dérégulation de la balance énergétique et contribuer à l’appa-rition de l’obésité ou du diabète de type 2.On a longtemps pensé que les acides gras, qui ne sont pas des molé-cules énergétiques pour les neurones, ne pouvaient pas (ou peu) fran-chir la barrière hémato-encéphalique et, de ce fait, ne pouvaient pas agir comme « molécule signal ». Cependant, depuis quelques dizaines d’années et, notamment, depuis les travaux d’Oomura en 1975 [3], de plus en plus de données suggèrent qu’il existe, dans l’hypothalamus, des neurones sensibles aux acides gras, et que ces derniers ont un rôle important dans la régulation de la balance énergétique, depuis la régulation de la production hépatique de glucose jusqu’au com-portement alimentaire [4]. Cette revue a pour but de faire un état de l’art et de présenter les principaux mécanismes moléculaires identifiés comme des relais d’action des acides gras dans le contrôle nerveux de la balance énergétique, et leur implication éventuelle dans la déré-gulation de la balance énergétique dans des situations d’apport lipi-dique excessif [4]. Une meilleure compréhension de ces mécanismes

1 CNRS UMR 8251, biologie fonctionnelle et adaptative, Paris, France ;2 Université Paris Diderot, 4, rue Marie-Andrée Lagroua Weill-Halle, 75205 Paris Cedex 13, [email protected]@gmail.com

Le système nerveux central (SNC) joue un rôle majeur dans le contrôle de la balance énergétique [1, 47]. Des structures situées notamment dans notre « cer-veau reptilien », comme l’hypothalamus ou le tronc cérébral, sont en effet en permanence informées du statut énergétique de l’organisme (à jeun ou nourri, autrement dit pénurie ou pléthore de calories), grâce à des signaux circulants comme des hormones (leptine, insuline, ghréline, etc.) et des nutriments (glucose, acides aminés, acides gras) (Figure 1). Ces signaux, ou plutôt la variation de leur taux sanguin, sont détectés par des neurones spécialisés [2]. Une fois les informations périphériques intégrées par le SNC, l’organisme peut s’adapter au statut énergétique en régulant les flux métaboliques (production hépa-tique de glucose, lipolyse, etc.) et le comportement alimentaire (début ou arrêt de la prise alimentaire), en fonction des besoins en énergie. À côté de cette régulation homéostatique (pour rappel, l’homéos-tasie est un ensemble de processus physiologiques permettant de maintenir certaines constantes du milieu intérieur de l’organisme nécessaires à son bon fonctionnement) de la prise alimentaire, uniquement

Vignette (Photo © Inserm-Ariane Sharif).

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téine lipase (LPL) a été récemment identifiée dans les neurones (le transcrit et l’activité enzymatique) chez les rongeurs et peut aussi participer à cette signalisation [9, 10]. En effet, en permettant l’hydrolyse des lipoprotéines riches en triglycérides, comme les VLDL (very low density lipoprotein) ou les chylomicrons, cette enzyme entraîne un apport local d’acides gras vers les neurones « sen-sibles » [11]. En dehors de l’hypothalamus, la LPL inter-viendrait aussi dans l’hippocampe [9] et dans le noyau accumbens, comme régulateur de la balance énergétique [12], ces structures jouant respectivement un rôle dans les processus d’apprentissage et de motivation. Ainsi, ces données mettent en lumière un effet éventuel de la détection des lipides dans des processus « non homéos-tatiques » de régulation de la prise alimentaire et de la balance énergétique [11].

Caractérisation de neurones sensibles aux acides gras dans l’hypothalamus

Depuis une quinzaine d’années environ, beaucoup de données ont mis en évidence que la détection hypotha-lamique des lipides, et plus particulièrement des acides gras, participait de façon significative à la régulation de la balance énergétique, allant de la prise alimentaire jusqu’à la sécrétion d’insuline, en passant par la lipo-genèse ou la production hépatique de glucose [13]. Par exemple, une perfusion intracérébroventriculaire (Icv) d’acide oléique (un acide gras mono-insaturé) pendant 6 h induit, chez la souris, une diminution de la prise alimentaire et de la production hépatique de glucose [14]. Des effets similaires sont obtenus en inhibant

pourrait, par ailleurs, déboucher sur de nouvelles perspectives thérapeutiques dans le traitement des maladies métaboliques.

Des neurones sensibles aux acides gras dans le cerveau

Les lipides cérébraux sont des composants essentiels des membranes et de nombreuses voies de signalisation intracellulaires. Ils représentent 50 % du poids sec du cerveau, ce qui fait de ce dernier l’organe le plus riche en lipides après le tissu adipeux [5]. Des données de plus en plus nombreuses indiquent que les lipides cérébraux proviennent à la fois d’une synthèse locale et de la capture d’acides gras de la circulation sanguine, certains acides gras ayant la capacité de traverser la barrière hémato-encéphalique (BHE), notamment dans des régions où elle est plus perméable, comme l’hypothalamus. Les mécanismes par lesquels les acides gras franchissent la BHE sont encore mal connus ; cela dépend de leur nature (longueur de la chaîne carbonée, degré d’insaturation, etc.). On peut cependant noter qu’ils impliquent vraisemblablement des transporteurs d’acides gras (FATP, fatty acid transporter protein). Les ARNm codant des transporteurs tels que FATP1, FATP4, ou le transpor-teur/récepteur FAT/CD36, ont ainsi été identifiés au niveau de neurones isolés de l’hypothalamus ventromédian, ce qui suggère la possibilité pour ces neurones de lier les acides gras à leur surface [6, 7]. Il a été aussi identifié dans ces neurones des ARNm codant des enzymes du métabolisme intracellulaire des acides gras comme l’acyl-CoA synthase (ACS), la carnitine palmitoyltransférase 1a et -1c (CPT1a et 1c) ou la uncoupling protein 2 (UCP2) [7]. L’ARNm codant l’enzyme de synthèse des acides gras (FAS) est aussi exprimé dans ces neurones [7]. Il faut aussi noter que les astrocytes sont les utilisateurs principaux des acides gras, notamment le palmitate, tandis que d’autres, comme l’arachido-nate, sont incorporés dans les phospholipides [8]. Ainsi, il faut intégrer dans ce réseau de communication au moins deux types cellulaires, neurones et astrocytes. Enfin, pour ajouter à la complexité, la lipopro-

Figure 1. Modèle neuroanatomique des circuits cérébraux de régulation de la balance énergétique. Les signaux péri-phériques, hormones et nutriments, sont principalement détectés par le noyau arqué, tandis que les signaux du tractus digestif sont détectés au niveau du noyau du tractus solitaire. Les noyaux centraux communiquent entre eux et les informations sont finalement transmises vers le système limbique et le cortex. ARC : noyau arqué ; DMN : noyau dorsomédian ; DMX : noyau dorsal du vague ; LH : noyau latéral ; NTS : noyau du tractus solitaire ; PVN : noyau paraventricu-laire ; SCN : noyau suprachiasmatique ; VMN : noyau ventromédian.

Hippocampe, striatum, cortex

Hypothalamus

PVN LH

DMN VMNSCN

ARC

HormonesNutriments

Tronc cérébralNTS

DMX

Neurotransmetteurs(tractus digestif)

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l’activité de la CPT1 dans l’hypothalamus, suggérant que l’oxydation des acides gras n’est pas nécessaire pour relayer les effets de ces der-niers, mais que ce sont plutôt des métabolites en amont, comme les acyl-CoA, qui semblent importants [13].Des approches plus physiologiques consistent à perfuser directement des lipides (émulsion de triglycérides ou acides gras spécifiques rendu solubles en les liant à l’albumine) dans la circulation sanguine, en introduisant à demeure un cathéter dans la carotide dont le flux est dirigé vers le cerveau, ou dans la circulation systémique (cathéter introduit dans la veine jugulaire). Ainsi, nous avons montré, chez le rat, qu’une perfusion de 48 h d’une émulsion de triglycérides dans la veine jugulaire induit un doublement de la concentration plasmatique d’acides gras associé à une diminution du tonus sympathique et une augmentation consécutive de la sécrétion d’insuline induite par le glu-cose [17]. Dans cette étude, nous avons montré que la dérégulation de la sécrétion d’insuline pouvait directement être liée à la baisse de l’activité nerveuse sympathique, car l’injection d’un agoniste phar-macologique des récepteurs adrénergiques 2a exprimés à la surface des cellules pancréatiques permettait de restaurer une réponse insulino-sécrétoire normale [17]. Ce même type de réponse (baisse du tonus sympathique et réponse insulino-sécrétoire augmentée) a été également mis en évidence chez des humains perfusés avec la même émulsion de triglycérides pendant 48 h [18]. Enfin, une perfusion de triglycérides dans la carotide, sans modification de la concentration plasmatique de triglycérides ou d’acides gras, conduit aussi au même résultat [19]. Dans cette dernière expérience, on notait également une diminution de la prise alimentaire.L’effet inhibiteur des acides gras sur la prise alimentaire observé expé-rimentalement [14] est cependant « contre-intuitif » puisque, pendant un repas, la concentration circulante des acides gras n’augmente pas, mais, au contraire, diminue [20]. À l’inverse, la prise alimentaire est fortement stimulée dans une période de reprise alimentaire après un jeûne, malgré l’augmentation du taux des acides gras libres plasma-tiques. Ainsi, si l’effet « satiétogène » des acides gras est bien réel et n’est pas un biais expérimental, il nous faut admettre qu’il ne s’agit pas d’acides gras plasmatiques, mais d’acides gras d’une autre source. On peut penser aux lipoprotéines, telles que les chylomicrons, les VLDL ou même les triglycérides, dont la concentration plasmatique s’élève à la suite d’un repas [20]. Dans ce cas, il faut donc envisager une hydro-lyse locale de ces lipoprotéines qui fournirait alors des acides gras aux neurones sensés les détecter. Les découvertes récentes montrant que la LPL pouvait jouer ce rôle dans le SNC suggèrent fortement qu’une telle hydrolyse locale peut effectivement se produire, et que les lipoprotéines pourraient finalement être considérées comme des molécules de signa-lisation ou, au moins, comme des pourvoyeuses d’acides gras aux neu-rones spécialisés régulant la balance énergétique [9, 10, 12].Ainsi, s’il est maintenant clairement établi qu’il existe des neurones sensibles aux acides gras dans le SNC (que l’on peut définir comme des neurones dont l’activité électrique est modulée [inhibée ou activée] en réponse à une variation de la concentration en acides gras), les méca-nismes moléculaires relayant leurs effets font encore débat. Il faut aussi avoir présent à l’esprit que les astrocytes pourraient également jouer un

rôle dans cette régulation de la balance énergétique en hydrolysant les acides gras et en fournissant aux neu-rones des intermédiaires biochimiquement actifs, comme les corps cétoniques par exemple.

Mécanismes moléculaires relayant l’effet des acides gras

Dans les neurones sensibles aux acides gras, plusieurs études ont permis d’identifier des canaux ioniques pou-vant relayer leur action. On peut citer des canaux Cl-, GABAA (-aminobutyric acid-receptor A) [21], K+, K+-Ca2+ ou encore Ca2+ [13]. Par exemple, l’acide oléique active une population importante de neurones du noyau arqué hypothalamique, les neurones exprimant le neurotrans-metteur mélanocortine (un inhibiteur de la prise alimen-taire), en inhibant l’activité des canaux K+ dépendants de l’ATP (KATP) [24]. Par ailleurs, sur la base d’études d’électrophysiologie menées in vivo et in vitro, la propor-tion de neurones sensibles à l’acide oléique dans le noyau arqué a pu être quantifiée [25]. Ainsi, 13 % des neurones sont excités en présence d’acide oléique, tandis que 30 % environ sont inhibés chez le rat [25]. L’excitation des neurones est en partie due à la fermeture de canaux, tandis que l’inhibition implique l’ouverture de canaux KATP [25]. Par une technique d’imagerie calcique, des neurones sensibles aux acides gras ont pu également être identifiés dans une autre région importante de l’hypo-thalamus, le noyau ventromédian. Dans cette région, ce sont respectivement 43 % et 29 % des neurones qui sont excités ou inhibés par l’acide oléique chez le rat [7]. Dans cette population neuronale, il ne semble pas que les canaux KATP jouent un rôle important pour expliquer l’effet des acides gras. Il faut là encore relever aussi des différences dans les protocoles expérimentaux : en ima-gerie calcique, on travaille sur neurones isolés, donc en l’absence d’astrocytes, alors que les mesures électropy-siologiques sont bien souvent réalisées sur des tranches de cerveau où les connexions entre les différents types cellulaires sont conservées. De plus, l’environnement en glucose semble être aussi un facteur important à prendre en considération. Ainsi, in vivo, la réponse hypothala-mique des neurones « détecteurs » sera bien évidemment différente selon l’environnement hormonal et nutrition-nel (à jeun ou nourri) [6].

Effets des acides gras sur le contrôle nerveux de la balance énergétique via leur métabolisme intracellulaire

La Figure 2 résume les principaux mécanismes relayant les effets des acides gras sur les neurones qui y sont

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et augmente la prise alimentaire [28]. Ces effets sont étroitement corrélés à l’inactivation de l’ACC consécutive à sa phosphorylation par l’AMPK. Ainsi, l’ensemble de ces données suggèrent que l’effet des acides gras sur la diminution de la prise alimentaire et la régulation de la balance énergétique nécessite leur métabolisme. Cepen-dant, il faut avoir présent à l’esprit que ces approches pharmacologiques ont des limites. Le C75, par exemple, active également CPT1 in vitro et n’agit peut-être pas uniquement via l’inhibition de la FA. L’activation de l’AMPK par l’AICAR conduit aussi à une augmentation de la synthèse des corps cétoniques par les astrocytes [32], ce qui peut aussi induire une baisse de la prise ali-mentaire. Ainsi, même si le métabolisme des acides gras peut être nécessaire pour relayer leur effet, on peut aussi envisager des mécanismes d’action indépendants.On peut également signaler l’importance que pourrait jouer les espèces actives de l’oxygène dans la sensibi-lité centrale aux lipides, comme l’ont montré Benani et al. [33]. Il serait également intéressant de parler de ces espèces actives de l’oxygène dans les effets délétères d’un apport excessif de lipides.

Effets des acides gras sur le contrôle nerveux de la balance énergétique indépendamment de leur métabolisme intracellulaire

Les effets des acides gras sur l’activité des neurones, indépendamment de leur métabolisme, ont été notam-ment étudiés in vitro sur des neurones dissociés de l’hypothalamus ventromédian et exposés à de l’acide oléique [6, 7]. Parmi les neurones « répondeurs » à l’acide gras, seuls 20 % perdaient cette sensibilité lorsqu’on inhibait CPT1 ou ACS [7]. Ainsi, 80 % des neurones restaient sensibles, malgré le blocage de leur métabolisme intracellulaire. En revanche, l’inhibition du récepteur membranaire FAT/CD36 diminuait de près de 77 % la réponse des neurones « répondeurs » à l’ajout d’acide oléique au milieu de culture [6, 7]. Dans cette étude, il semble que FAT/CD36 agisse principale-ment comme un récepteur, comme cela a été également montré au niveau des cellules de détection du goût gras localisées dans les papilles gustatives, et dans lesquelles FAT/CD36 est couplé à des canaux calcium (SOCC, store-operated calcium channel) dont l’activa-tion induit un relargage de sérotonine [34]. Les acides gras peuvent également se comporter comme des molé-cules de signalisation, indépendamment de leur méta-bolisme intracellulaire, via des mécanismes d’acylation de protéines membranaires, qui vont ensuite induire une réponse intracellulaire. Par exemple, la palmitoy-lation facilite l’ancrage de protéines à la membrane

sensibles. Comme indiqué plus haut, la machinerie enzymatique (CPT1, ACS, acétyl-CoA carboxylase [ACC], FAS) nécessaire au métabolisme des acides gras s’exprime dans certains neurones et cellules gliales hypo-thalamiques [7]. Parmi les métabolites d’intérêt, le malonyl-CoA (qui est synthétisé par l’ACC) semble ainsi être un des acteurs importants capable de relayer l’effet des acides gras dans les neurones sensibles. Le malonyl-CoA est un métabolite clé qui se trouve au carrefour des voies de la glycolyse et de la -oxydation, et il agit ainsi comme un senseur de l’état énergétique des cellules. Ainsi, quand la disponibilité en glucose augmente dans une cellule, les niveaux intracellulaires de malonyl-CoA et d’acyl-CoA augmentent en accord avec une diminution de la mobili-sation des acides gras dans la voie de la -oxydation [27]. Cette aug-mentation est associée à une diminution de la prise alimentaire [27]. On peut ainsi supposer qu’une augmentation du contenu intracellulaire en acyl-CoA dans les neurones peut être interprétée comme un signal de pléthore calorique et, donc, induire une baisse de la prise alimentaire. L’administration intrahypothalamique de C75, un inhibiteur de FAS, qui induit également une augmentation de la concentration en acyl-CoA, diminue la prise alimentaire et induit une baisse du poids corporel [28]. Ceci pourrait être lié à une diminution de synthèse d’un peptide oréxigène, le NPY (neuropeptide Y). À l’inverse, l’administration par voie intracérébroventriculaire de 5-amino-imidazole-4-carboxamide ribonucléoside (AICAR), un activateur de la 5’-AMP kinase (AMPK) [48], diminue rapidement la concentration hypothalamique en malonyl-CoA

Figure 2. Modèle du neurone sensible aux acides gras. Les acides gras à chaîne longue peuvent traverser la barrière hémato-encéphalique et se lier à CD36, ou entrer dans le neurone et être métabolisés. Les triglycérides ou les VLDL peuvent être aussi localement hydrolysés dans la lumière du capillaire sanguin. ACS : acyl-CoA synthase ; CPT1 : carnitine palmitoyl transférase ; FATP : fatty acid transport protein ; LCFA : long chain fatty acid ; LCFA-CoA : long chain fatty acyl-CoA ; ROS : reactive oxygen species ; SOCC : store-operated calcium channel ; TG : triglycéride ; VDCC : voltage-dependent calcium channel ; VLDL : very-low density lipoprotein.

Capillaire sanguin

VLDL, TG

LCFA

LPL

TG

LCFACD36 FATP

Canal KATP

Ca2+

Ca2+

Ca2+ Ca2+

VDCC

ACS

SOCCLCFACoA

Neurone

-oxydation

CPT1

CycleTCA

ATP

ROS

?

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plasmique et, en induisant un changement de leur configuration tri-dimensionnelle, peut activer une réaction enzymatique [35]. Des pro-téines membranaires, comme le TGF (une protéine impliquée dans les processus d’exocytose) ou des récepteurs membranaires, comme les récepteurs adrénergiques 2a et 2, sont des molécules palmitoylées [35]. De tels mécanismes d’acylation peuvent donc ainsi expliquer certains effets des acides gras, indépendamment de leur métabolisme intracellulaire.D’autres protéines cytoplasmiques peuvent être aussi activées en pré-sence d’acides gras. Il en est ainsi de la protéine kinase C (PKC), qui s’exprime dans certaines populations neuronales des noyaux arqué et ventromédian [36]. Lorsqu’on perfuse in vivo du palmitate par voie intracérébroventriculaire chez le rat, on provoque un ancrage de la PKC dans la membrane plasmique, ce qui a pour conséquence de l’activer et, consécutivement, de perturber la voie de signalisation hypothalamique de l’insuline [36]. On induit ainsi une résistance hypothalamique et, en conséquence, l’apparition d’une résistance à l’insuline hépatique, démontrant que l’apport excessif de lipides au niveau central perturbe le contrôle nerveux de la production hépatique de glucose, rendant l’insu-line moins efficace. L’effet délétère du palmitate peut-être atténué lorsqu’on diminue l’expression de la PKC par une approche génétique spécifiquement dans le noyau arqué [36].Enfin, un travail tout à fait intéressant montre que les acides gras pourraient également jouer un rôle dans la plasticité neuronale hypo-thalamique comme décrit par Benani et al. [37].

Quels neurotransmetteurs sont exprimés par les neurones sensibles aux acides gras ?

La conséquence ultime de l’activation (ou de l’inactivation) d’un neu-rone sera la libération d’un neurotransmetteur. Puisque la majorité des études montrent que les acides gras diminuent la prise alimentaire, on peut s’attendre à un effet sur l’activité des neurones impliqués dans ce comportement. En accord avec cette hypothèse, l’acide oléique induit effectivement l’activation (mesurée par enregistrement électrique) des neurones « anorexigènes » à mélanocortine du noyau arqué, vraisembla-blement via son oxydation et l’inactivation des canaux K+ dépendants de l’ATP [24]. Dans une étude déjà citée, Obici et al. [15] ont montré que l’administration intracérébroventriculaire d’acide oléique inhibe forte-ment la production hépatique de glucose et la prise alimentaire, et s’ac-compagne d’une diminution de l’expression hypothalamique du NPY, un neuropeptide « orexigène ». Dans d’autres études, la diminution de l’ex-pression de CD36 dans l’hypothalamus ventromédian induit une baisse de l’expression de mélanocortine, se traduisant par une redistribution de la masse grasse depuis le dépôt viscéral vers la couche sous-cutanée, et l’apparition d’une résistance à l’insuline [6, 7]. Enfin, un apport en acides gras oméga-3 augmente la prise alimentaire dans un modèle de rat rendu anorexique à la suite de l’apparition de tumeurs [38]. Chez ces animaux, on observe une augmentation de l’expression de NPY (environ 40 %) et une diminution de l’expression de mélanocortine (environ 60 %) dans le noyau arqué, ce qui est cohérent avec l’augmentation de la prise alimentaire [38]. Cette dernière expérience souligne aussi un point

important : la nature des acides gras (saturés, mono- ou poly-insaturés) peut avoir des effets différents sur le contrôle de la balance énergétique, ajoutant encore un niveau de complexité supplémentaire [39]. Ces effets peuvent s’expliquer par la production de métabolites différents en fonction de la nature des acides gras, ainsi que par une liaison à différentes protéines membranaires (CD36, GPR40 [G protein-coupled receptor 40] ou 120, par exemple). Il est à noter que la sécrétion des neuro-transmetteurs (NPY ou mélanocortine) n’a jamais été étudiée dans ces différentes études.

Conséquences pathologiques d’une dérégulation de la détection centrale des acides gras

Il est maintenant bien établi, au moins dans les modèles précliniques, qu’une altération du fonctionnement de l’hypothalamus participe à l’étiologie de l’obésité [40], et que la détection centrale des lipides est altérée dans des souches de rats prédisposés à développer une obésité [7]. Ainsi, à côté des effets physiologiques des acides gras sur la régulation de la balance énergétique, on peut émettre l’hypothèse qu’un apport excessif de lipides concomitant lors de la mise en place de l’obésité peut concourir à une dérégulation de l’ensemble de la balance énergétique, via des perturbations de son contrôle nerveux [9]. Ainsi, une surcharge en lipides dans l’hypothalamus induit des modifications du tonus sympathique et une intolérance au glucose [15, 41], une situation caractéristique du diabète de type 2. Un régime riche en lipides induit chez le rat une augmen-tation du turnover des monoamines [42] et de l’activité nerveuse sympathique. Enfin, un lien entre surcharge central en lipides et dysfonctionnement des activités neuronales peut être l’apparition d’une inflammation, comme cela a été récemment montré [43]. Parmi les métabolites des acides gras potentiellement délétères, on peut aussi mentionner les céramides [9]. Nous avons montré chez le rat qu’une augmentation de la synthèse de novo des céramides dans l’hippocampe était res-ponsable d’une baisse de l’activité parasympathique et de l’activité locomotrice, conduisant à une obésité [9]. Chez l’homme, on a montré une augmentation de la capture des acides gras par le cerveau chez les patients atteints de syndrome métabolique [44].

Conclusion

De plus en plus de données indiquent que des neu-rones spécialisés sont capables de détecter les varia-tions de concentrations circulantes de lipides dans l’hypothalamus, ainsi que dans d’autres régions comme

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SUMMARYRole of brain lipid sensing in nervous regulation of energy balanceFatty acid sensitive neurons located in hypothalamus, hippocampus or striatum are able to detect daily variations of plasma fatty acid levels. Thus, these neurons play a role to regulate energy balance by controling food intake, insulin secretion or hepatic glucose production. Molecular mechanisms that mediate fatty acid effects include receptor FAT (fatty acid transporter)/CD36. Deregulation of this brain lipid sensing may be an early event leading to further dysfunction of energy balance leading to obesity and type 2 diabetes. ‡

REMERCIEMENTSLes auteurs ont bénéficié de plusieurs sources de financement : Agence nationale pour la recherche (ANR) (Lipobrain : 11-BSV1-021 01), CORDDIM Ile-de-France, European foundation for the study of diabetes (EFSD), et Société francophone du diabète (SFD).

LIENS D’INTÉRÊTLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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ISBN : 978-2-8425-4136-1 128 pages

L a jaunisse est un symptôme facilement identifiable ; il paraissait bien naturel que l’homme, confronté à une modification de la couleur de ses yeux et de sa peau ait de tous temps recherché les causes de cette transformation.

Il n’est donc pas surprenant que le premier traité de médecine, écrit 3 000 ans avant J.C. par un médecin sumérien, décrive déjà la jaunisse. À chaque époque de l’histoire de la médecine, les praticiens, influencés par les concepts médicaux de leur temps, attribuèrent une ou plusieurs explications particulières à ce symptôme. Ainsi, du démon Ahhâzu des Sumériens à la sophistication des biotechnologies qui permirent la découverte du virus de l’hépatite C, le lecteur cheminera sur une période de 5 000 ans au travers des différents continents.

Ici encore, l’histoire se révèle une formidable source de réflexion : le foie souvent impliqué dans l’apparition des jaunisses est-il le siège de l’âme ?

Les expérimentations humaines chez des volontaires ou chez des enfants handicapés mentaux étaient-elles justifiées pour permettre la découverte des virus des hépatites ?

Le formidable développement de la transfusion sanguine, des vaccinations, mais aussi de la toxicomanie explique-t-il les épidémies d’hépatites du XXe siècle ?

Autant de questions qui sont abordées dans ce livre passionnant et accessible à tous.�

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médecine/sciences

404 m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104015

médecine/sciences 2015 ; 31 : 404-16

médecine/sciences Potentiel thérapeutique de la neuro-modulation optogénétiqueMarie Vandecasteele1,*, Yann-Suhan Senova2-4,*, Stéphane Palfi2-4, Guillaume P. Dugué5

> Apparues dans le courant des années 2000, les techniques de neuromodulation optogénétique ont considérablement accru notre pouvoir d’ana-lyse du fonctionnement des systèmes nerveux en permettant l’utilisation d’impulsions lumineuses pour l’excitation et l’inhibition de populations neuronales ciblées génétiquement. Après avoir été adoptées de manière fulgurante par la com-munauté des neurosciences fondamentales, ces techniques sont aujourd’hui en passe d’ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques. La neuro-modulation optogénétique est un outil de choix pour l’étude de la physiopathologie de maladies neurologiques et neuropsychiatriques dans un certain nombre de modèles animaux. Elle pourrait ainsi accélérer la découverte de nouvelles stra-tégies thérapeutiques. De nouveaux traitements employant des protocoles de neuromodulation optogénétique pourraient également voir le jour à moyen terme, dans le but de traiter des mala-dies telles que l’épilepsie pharmaco- résistante et certains types de dégénérescences rétiniennes héréditaires, pour lesquelles il n’existe pas de solution thérapeutique satisfaisante. <

Le contrôle optogénétique de l’ac-tivité neuronale ( neuromodulation optogénétique) implique que le potentiel transmembranaire des neu-rones cibles soit rendu photosensible par l’introduction d’un gène artificiel (Figure 1A). Ce gène code le plus sou-vent une protéine transmembranaire appartenant à la superfamille des opsines, dont l’association avec une molécule de rétinal (l’une des formes de la vitamine A) permet la formation d’une molécule photo-réceptrice nommée rhodopsine. La rhodopsine la plus utilisée est la channelrhodopsine, un canal cationique sensible à la lumière bleue et provenant d’une famille d’algues unicellulaires. La photoactivation de ce canal par la lumière bleue produit l’apparition quasi instantanée d’un courant transmembranaire dépolarisant. Exprimée en quantité suffisante dans une cellule nerveuse, la channelrhodopsine permet de déclencher l’émission de potentiels d’action à l’aide d’impulsions lumineuses avec une précision temporelle de l’ordre de la milliseconde [2] (�).D’autres rhodopsines microbiennes qui jouent le rôle de pompes ioniques activées par la lumière verte ou jaune (halorhodopsines, archéorhodopsines et bactériorhodopsines) sont au contraire utilisées pour inhiber l’activité neuronale par hyperpolarisa-tion de la membrane plasmique.Les techniques actuelles de ciblage génétique permettent d’exprimer ces rhodopsines dans des catégories très spécifiques de neurones,

1 Équipe dynamique et pathophysiologie des réseaux neuronaux, centre interdisciplinaire de recherche en biologie, CNRS UMR 7241, Inserm U1050, Collège de France, 11, place Marcelin Berthelot, 75005 Paris, France ;2 AP-HP, hôpital Henri Mondor, service de neurochirurgie, 94000 Créteil, France ;3 Inserm, U955, équipe 14, 94000 Créteil, France ;4 Université Paris Est, faculté de médecine, 94000 Créteil, France.5 CNRS UMR 8197, Inserm U1024, institut de biologie de l’école normale supérieure, 46, rue d’Ulm, 75005 Paris, France.*Les auteurs ont contribué également à l’[email protected]@ens.fr

Principes et avantages de la neuromodulation optogénétique

L’optogénétique regroupe un ensemble d’approches utili-sant la lumière pour observer ou interagir avec des struc-tures ou fonctions biologiques ciblées génétiquement [1]. Dans le domaine des neurosciences expérimentales, cette technologie est principalement utilisée pour obser-ver et contrôler (exciter ou inhiber) l’activité de populations neuronales spécifiques [2] (�).

(�) Voir la Synthèse de G.P. Dugué et L. Tricoire, m/s n°3, mars 2015, page 291

(�) Voir la Synthèse de G.P. Dugué et L. Tricoire, m/s n°3, mars 2015, page 291

Vignette (Photo © Nir Grossman, Imperial College London) http://www.imperial.ac.uk/people/nir.grossman06Cet article est le second d’une série de deux. Le premier correspond à la référence [2] et a été publié dans le numéro de mars 2015 de m/s.

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entière. Certaines maladies neurologiques ou neuropsy-chiatriques sont en effet clairement liées au dysfonction-nement de sous-circuits neuronaux particuliers, comme en témoignent un certain nombre d’études ayant employé des stimulations électriques profondes chez l’homme [5-8]. Cependant, les possibilités d’interventions ciblées à l’aide des techniques actuelles de neuromodulation sont forte-ment limitées. D’une part, les méthodes de stimulation par application d’un courant électrique ou d’un champ magnétique agissent de manière non sélective sur les différents types et compartiments neuronaux, et sont donc susceptibles de produire des effets indésirables par la stimulation de portions de circuits non patho-logiques [9]. D’autre part, les méthodes de neuro-modulation pharmacologique agissent à des échelles de temps largement supérieures à celles auxquelles opèrent les réseaux neuronaux (plusieurs minutes à plusieurs heures, contre quelques millisecondes). La neuromodulation optogénétique pourrait en principe se substituer à ces méthodes en offrant des voies d’intervention thérapeutiques hautement ciblées, rapides et réversibles.

Des obstacles à surmonter pour une utilisation de la neuromodulation optogénétique chez l’homme

La thérapie génique est habituellement définie comme l’introduction permanente d’un « gène médi-cament » chez un patient. Comme l’a souligné le Comité consultatif national d’éthique dans son avis numéro 36 du 22 juin 1993, cette modification ne doit en aucun cas modifier l’hérédité du malade. C’est la raison pour laquelle seule une thérapie génique dite « somatique » (n’affectant pas la lignée ger-minale) est envisageable chez l’homme. L’utilisation de la neuromodulation optogénétique nécessitera la validation d’un nouveau type de thérapie génique somatique pour au moins deux raisons : d’une part, le gène introduit ne sera pas à proprement parler un gène médicament, car le produit de son expression ne suffira pas, à lui seul, à fournir un effet théra-peutique (il faudra pour cela illuminer la portion de tissu génétiquement modifiée) ; d’autre part, le gène en question ne sera pas d’origine humaine, comme c’est le cas dans la plupart des essais cli-niques actuels de thérapie génique, mais proviendra vraisemblablement d’une espèce microbienne (algue unicellulaire, bactérie ou archée). Afin d’introduire un ou plusieurs transgènes chez un patient, les essais récents de thérapie génique ont le plus souvent fait appel à des vecteurs viraux, dont l’efficacité demeure

qui deviennent ainsi sensibles à une longueur d’onde particulière (Figure 1C). La neuromodulation optogénétique permet d’atteindre des degrés de spécificité cellulaire et de précision spatiotemporelle iné-dits, bien supérieurs à la résolution des techniques utilisées jusque-là (pharmacologie, stimulations électriques ou magnétiques). Elle est ainsi devenue un outil incontournable pour l’analyse détaillée du fonction-nement des circuits neuronaux dans des modèles animaux aussi divers que le nématode, la drosophile, la souris et le primate non humain [3].Le contrôle de l’activité de populations neuronales spécifiques au sein d’un parenchyme cérébral dense et hétérogène représente un enjeu méthodologique non seulement pour les neurosciences fonda-mentales, mais aussi pour l’étude et le traitement de certaines mala-dies du système nerveux. La neuromodulation optogénétique offre en effet la possibilité d’affiner la dissection des mécanismes physio-pathologiques à l’œuvre dans les modèles animaux de certaines de ces maladies [4], dans le but d’identifier de nouvelles cibles thé-rapeutiques accessibles à des techniques de neuromodulation déjà validées en pratique clinique (pharmacologie, chirurgie lésionnelle, stimulations électriques en profondeur ou stimulation magnétique transcrânienne). La neuromodulation optogénétique pourrait éga-lement trouver sa place en tant que solution thérapeutique à part

Figure 1. Photosensibilisation de cellules nerveuses par transduction virale. A. Un transgène (ici codant la channelrhodopsine-2) est encapsidé dans des particules virales qui sont ensuite introduites dans une région cérébrale don-née par injection stéréotaxique. B. Pour des expériences de neuromodulation optogénétique sur des animaux en situation comportementale, un segment de fibre optique fixé dans un connecteur miniature peut être implanté sur la tête de l’animal. Lors de l’expérience, ce connecteur est relié à une source de lumière par l’intermédiaire d’un câble optique. C. La lumière délivrée par la fibre optique n’agit que sur les neurones photosensibilisés (ici en vert), c’est-à-dire ceux exprimant la protéine codée par le transgène.

A

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CTransgène5' 3'ChR2

Promoteur Vecteur viral

Fibre optique

Na+

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supérieure à celle des supports inertes (liposomes et polymères cationiques). Dans la pratique, l’utilisation de la neuromodulation optogénétique comme stratégie thérapeutique suppose de maî-triser trois types de risques : les risques inhérents à l’injection de vecteurs viraux (immunogénicité, possible recombinaison avec des virus sauvages, risques de diffusion dans l’entourage et potentiel effet délétère d’une insertion aléatoire dans le génome), les éven-tuels effets cytotoxiques de l’expression du transgène, ainsi que la phototoxicité de la longueur d’onde utilisée [10].

Les vecteurs virauxLes vecteurs viraux utilisés en clinique sont essentiellement les adénovirus, les virus adéno-associés (AAV, pour adeno-associated virus) et certaines classes de rétrovirus (en particulier les lentivi-rus). Tous sont capables de s’insérer dans des cellules quiescentes (à l’exception des rétrovirus non lentiviraux) et peuvent donc être utili-sés pour transduire des cellules nerveuses différenciées. Les adéno-virus permettent de délivrer des transgènes de grande taille (jusqu’à 30 kb), mais leur utilisation est grandement limitée par les réactions inflammatoires et immunitaires induites par l’injection de particules adénovirales. Cette forte immunogénicité s’explique notamment par le fait qu’une grande partie de la population (environ 80 %) possède des anticorps spécifiques issus d’une infection préalable par des souches sauvages d’adénovirus. Elle serait responsable de la perte rapide d’expression du transgène et de la faible efficacité des ré-administrations [11]. Les adénovirus ont également le désavantage de présenter un tropisme pour les cellules gliales, ce qui limite leur utilité dans le cadre de manipulations visant des populations neu-ronales [12]. Les AAV induisent une réponse immunitaire beaucoup plus faible que les adénovirus et ont l’avantage de présenter un tropisme neuronal satisfaisant. Leur petite taille (20 nm) leur per-met de diffuser plus aisément que les autres vecteurs viraux et ainsi de transduire des volumes plus étendus de tissu nerveux. Plusieurs essais thérapeutiques de phase I ont permis d’établir l’innocuité de l’injection d’AAV dans le système nerveux central [13-15]. Le principal désavantage des AAV réside dans leur faible capacité de transport (jusqu’à 5 kb). Contrairement aux adénovirus et aux AAV, le transgène véhiculé par un lentivirus s’insère de manière stable dans le génome. Toutefois ce processus d’intégration, souvent aléa-toire, peut en théorie engendrer des mutations insertionnelles, ce qui explique pourquoi les lentivirus ont jusqu’à présent été délaissés dans la plupart des essais cliniques [16]. Comparés aux AAV, les len-tivirus présentent pourtant l’avantage d’assurer le transfert d’une plus grande quantité d’ADN (jusqu’à 8 kb). Ils induisent également une réaction immunitaire minime qui les rend compatibles avec des injections répétées [17]. Enfin, compte tenu de leur diffusion plus réduite que celle des AAV, ils sont adaptés au ciblage de petits volumes cérébraux. En 2014, un essai thérapeutique de phase I/II pour une thérapie génique dopaminergique dans la maladie de Parkin-son a établi pour la première fois l’innocuité d’un lentivirus, l’EIAV (equine infectious anemia virus), directement administré dans le système nerveux central [18].

Risques associés à la surexpression des rhodopsinesLes rhodopsines microbiennes utilisées dans la plupart des protocoles de neuromodulation optogénétique produisent des courants unitaires de petite taille. L’efficacité de ces approches réside donc en grande partie dans l’utilisation de méthodes de transgenèse pouvant assurer de forts niveaux d’expression, telles que la transduction virale. Cependant, les effets d’une surexpression de ce type de protéine sont encore lar-gement inexplorés à l’échelle cellulaire [10]. On peut ainsi imaginer que les propriétés d’un neurone soient modifiées au-delà d’un seuil d’expression critique, par accumulation de la rhodopsine dans des compartiments intracellulaires, ou par modification des propriétés de la membrane plasmique. Une étude chez le rongeur a montré qu’une surexpression massive, prolongée et intentionnelle de la channelrhodopsine-2 (ChR2) de l’algue Chlamydomonas reinhardtii, induite dès le stade embryonnaire par électroporation in utero, pouvait entraîner des anomalies dans la morphologie de neu-rones corticaux au stade adulte [19]. En revanche, des études employant un lentivirus pour l’expression de la ChR2 chez le primate non humain se sont montrées ras-surantes plus d’un an après l’injection du vecteur viral en termes de réaction inflammatoire, et de morphologie et densité des neurones transduits [20]. Notons que des effets potentiellement délétères pourraient également survenir non pas par surexpression des rhodopsines, mais par un influx excessif d’un type d’ion particulier au cours de stimulations lumineuses chroniques. On peut se demander, par exemple, si l’activation répétée de la ChR2, dont on connaît la perméabilité non négligeable au calcium, pourrait être susceptible de recruter des voies de signalisation pro-apoptotiques dépendantes du calcium.

Risques associés à l’illumination du tissu nerveuxL’illumination de zones profondes du cerveau (au-delà de plusieurs millimètres sous la surface) ne peut se faire qu’au moyen de guides de lumière tels que des fibres optiques. Le diamètre de ces fibres ne mesure typiquement que quelques centaines de micromètres (200-400 μm) afin de minimiser les dommages pro-voqués par leur insertion dans le tissu nerveux. Pour illuminer des volumes suffisamment étendus, il est nécessaire de concentrer une intensité lumineuse rela-tivement forte dans ces fibres optiques (l’irradiance en sortie de fibre est typiquement de plusieurs centaines de milliwatts par millimètre carré). Le fait de concen-trer ainsi la lumière expose au danger d’induire un échauffement local du parenchyme cérébral à proximité de l’extrémité de la fibre optique [10]. Ainsi, pour la

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par des études comportementales [21, 30]. Le bénéfice thérapeutique de protocoles utilisant la neuromodula-tion optogénétique n’a en revanche été évalué que dans un petit nombre de modèles de maladies neurologiques chez le rongeur.

Approches optogénétiques dans la maladie de Parkinson

La maladie de Parkinson est une maladie neurodégéné-rative qui touche près de 150 000 personnes en France (plus de six millions de personnes dans le monde). Elle est causée par la perte progressive des neurones dopaminer-giques d’un noyau mésencéphalique appelé « substance noire ». Ces neurones projettent vers un ensemble de structures sous-corticales regroupées sous l’appellation « ganglions de la base » (Figure 3), impliquées dans des fonctions cognitivo-motrices telles que le contrôle et l’exécution de mouvements volontaires, la sélection de programmes moteurs, émotionnels et cognitifs adaptés au contexte environnemental, l’apprentissage procédu-ral et la formation d’habitudes comportementales. La dénervation dopaminergique des ganglions de la base entraîne des modifications pathologiques de leur activité à l’origine d’une triade de symptômes moteurs gravement handicapants (akinésie, rigidité et tremblements), ainsi que d’une série de désordres cognitifs pouvant aller de symptômes légers (troubles de l’attention, de la mémoire ou de fonctions exécutives telles que la planification des actions du sujet) jusqu’à la démence [31, 32].La principale cible des neurones dopaminergiques de la substance noire est le striatum (noyau caudé et

lumière bleue, il n’est pas rare d’observer une modulation artéfactuelle de l’activité neuronale (en l’absence de photosensibilisation préa-lable) au-delà d’un certain seuil d’irradiance (300-500 mW/mm2). La quantité de lumière nécessaire est d’autant plus faible que le niveau d’expression de la rhodopsine est élevé, de sorte que les véritables conditions optimales pour une expérience de neuromodulation opto-génétique résultent d’un compromis entre niveau d’expression du transgène, intensité lumineuse et volume photomodulé. Le jeu idéal de paramètres doit ainsi être choisi de manière à maximiser l’effet désiré (la modulation d’une population particulière de neurones) tout en minimisant les risques liés à l’expression du transgène et à l’illumi-nation du tissu.Malgré ces contraintes, il existe de bonnes raisons de penser que la neuromodulation optogénétique offre des perspectives thérapeutiques crédibles. Les outils neurochirurgicaux pour pratiquer des injections stéréotaxiques intracrâniennes chez l’homme existent déjà (Figure 2A). Ils pourront permettre la transduction de cellules nerveuses dans des régions cérébrales précisément délimitées, à l’aide de vecteurs viraux ayant déjà démontré leur innocuité chez le patient [21]. Les éventuels problèmes de phototoxicité pourraient être grandement atténués par l’utilisation de rhodopsines dont le spectre d’activation est décalé vers le rouge (permettant d’utiliser un rayonnement lumineux plus pénétrant et moins porteur d’énergie) [22-24], et/ou présentant une sensibilité à la lumière accrue [25, 26]. La mise au point de dispositifs d’illumi-nation du tissu nerveux, qu’il s’agisse de fibres optiques implantées de manière prolongée ou de tapis de diodes électroluminescentes déposés sur la dure-mère, pourra bénéficier de l’expérience acquise avec des dispositifs déjà validés en clinique pour la stimulation électrique en profondeur et l’électrocorticographie (Figure 2B). Enfin, l’efficacité de la neuromodulation optogénétique a déjà été évaluée avec succès chez le primate non humain, et ce de plusieurs manières : par électrophysiologie [27-29], par imagerie par résonance magnétique fonctionnelle [21] et

Figure 2. Exemples de dispositifs cliniques utilisés actuellement pour les injections et stimulations intracrâniennes. A. Dispositif d’injection sté-réotaxique de vecteurs viraux. B. Électrodes de stimulation implantées dans le noyau sous-thalamique d’un patient parkinsonien et révélées par radiographie.

A B

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putamen chez l’homme), point d’entrée des afférences corticales dans les circuits des ganglions de la base. Le striatum contient deux populations de neurones de projection exprimant des récepteurs dopaminergiques de sous-types différents (D1 et D2). Selon le modèle classique, les neurones exprimant le récepteur D1 sont responsables de l’activation d’une voie cortico-nigrale dite directe, dont l’effet est de faciliter l’exécution des mouvements (effet prokinétique), et sont activés par la dopamine. Les neurones exprimant le récepteur D2 activent une voie cortico-pallido-nigrale indirecte, qui tend à inhiber le mouvement (effet anti-kinétique), et sont inhibés par la dopamine (Figure 3B). Ainsi, la dénervation dopaminergique diminuerait l’acti-vité de la voie directe prokinétique, et activerait, par désinhibition, l’activité de la voie indirecte antikinétique, l’ensemble concourant à l’inhibition des mouvements. Ce modèle est régulièrement remis en cause par des données contredisant la ségrégation anatomique des voies directe et indirecte. La modulation optogénétique a permis de dépasser ce débat en testant directement chez la souris les effets de l’activation des neurones striataux exprimant les récepteurs D1 ou D2 [33]. Ce type de manipulation est inenvisageable par le biais de sti-mulations électriques, car les deux populations de neurones striataux sont mêlées dans la plus grande partie du striatum. Les résultats, tant sur l’activité locomotrice des animaux que sur l’activité des structures de sortie des ganglions de la base (où les voies directe et indirecte se

rejoignent), ont permis d’établir la validité fonction-nelle du modèle « classique », indépendamment des controverses anatomiques.À l’heure actuelle, la principale approche thérapeu-tique pour lutter contre le déficit en dopamine dans la maladie de Parkinson consiste à administrer son précurseur naturel direct, la lévodopa (L-DOPA), par voie orale. La L-DOPA est capable de franchir la bar-rière hémato-céphalique et peut ainsi être métaboli-sée en dopamine et sécrétée par les terminaisons des neurones dopaminergiques résiduels. Ce traitement parvient à corriger l’activité pathologique des gan-glions de la base et à alléger les symptômes moteurs, mais il devient inefficace à moyen terme en entraînant des fluctuations motrices ainsi que des mouvements anormaux involontaires appelés dyskinésies, tout aussi invalidants que la maladie elle-même [34]. C’est à ce stade que l’on propose à certains patients (seuls 15 % sont éligibles) un traitement neurochirurgical alterna-tif mis au point dans les années 1990 : la stimulation cérébrale profonde (SCP) électrique à haute fréquence de l’un des constituants des ganglions de la base, le noyau sous-thalamique (NST) [35]. Bien que les effets thérapeutiques de la SCP sur les symptômes moteurs se soient révélés spectaculaires dès les premiers essais cliniques, les mécanismes par lesquels ce protocole de stimulation normalise les activités pathologiques n’ont été élucidés que partiellement [36].L’utilisation de la neuromodulation optogénétique dans un modèle murin de la maladie de Parkinson a

Figure 3. Implication du faisceau cortico-sous-thalamique dans le mécanisme d’action de la stimulation du noyau sous-thalamique chez le patient parkinsonien. A. Photographie (à gauche) et schéma (à droite) représentant une coupe coro-nale de cerveau humain. Une partie des ganglions de la base sont représentés en couleur sur le schéma. Le code couleur des différents noyaux est identique à celui du diagramme en B. Le faisceau cortico-sous-thalamique (voie hyperdirecte) est représenté en vert. B. Diagramme de connectivité simplifié des ganglions de la base représentant la voie directe, la voie indirecte, ainsi que la voie hyperdirecte. Chez la souris, la pho-tostimulation (flèche bleue) sélective des afférences de la voie hyperdirecte dans le noyau sous-thalamique suffit à reproduire les effets antiparkinsoniens de la stimulation électrique du noyau sous-thalamique [37]. D1 et D2 : neurones striataux exprimant les récepteurs dopaminergiques D1 et D2 respecti-vement ; GPe : globus pallidus externe ; GPi : globus pallidus interne ; NST : noyau sous-thalamique ; SNc : substance noire pars compacta ; SNr : substance noire pars reticulata (adapté de [84]).

A

BCortex moteur

Noyau caudéPutamen Thalamus

GPe

NST

SNc GPi SNrLumière

Glutamate

GABA

Dopamine

Voie

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Voie

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D1 D2

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permis récemment d’identifier la voie neuronale dont la stimulation est vraisemblablement responsable de l’effet thérapeutique de la SCP du NST [37]. En utilisant une lignée de souris transgéniques dans laquelle la ChR2 est exprimée dans les neurones de projection du néocortex, mais pas dans les neurones du NST, des chercheurs de l’université Stanford ont pu montrer que la photostimulation du faisceau moteur cortico-sous-thalamique (appelé faisceau « hyper-direct » ; voir Figure 3) suffit à reproduire les effets de la SCP du NST. Ce résultat permet d’établir un lien crucial entre les effets de la SCP et ceux observés au moyen de stimulations corticales électriques chez le primate non humain [38], ou lors d’essais de stimulation magnétique transcrânienne du cortex moteur chez des patients par-kinsoniens [39]. La stimulation optogénétique pourrait offrir une alternative thérapeutique intéressante aux stimulations électriques, car elle permettrait de ne cibler que la composante motrice du fais-ceau cortico-sous-thalamique (celle émanant du cortex moteur), contrairement à la SCP du NST, qui affecte potentiellement les com-posantes associatives et limbiques des afférences corticales dans le NST, pouvant engendrer des dépressions, hypomanies, et syndromes confusionnels [9]. Il est important de noter qu’une stratégie de stimulation optogénétique qui nécessiterait l’implantation de fibres optiques afin de guider la lumière jusqu’au NST se heurterait aux mêmes complications que celles qui sont associées dans certains cas à l’implantation d’électrodes pour la SCP (trajectoire désaxée de l’électrode, hématomes intracérébraux et infections [40]). C’est pourquoi la possibilité de ne cibler l’expression de la ChR2 que dans les neurones corticaux à l’origine du faisceau hyperdirect (par exemple par infection rétrograde depuis le NST [20]) permettrait de traiter les patients par simple illumination du cortex moteur, à l’aide d’outils beaucoup moins invasifs tels que des tapis de diodes électroluminescentes disposés en position épidurale.

Approches optogénétiques dans le traitement de l’épilepsie

Options thérapeutiques actuellement disponibles pour le traitement de l'épilepsieL’épilepsie est une maladie neurologique chronique affectant environ 1 % de la population mondiale. Elle se caractérise par l’apparition intermittente de crises, ou « ictus épileptiques », au cours desquelles l’activité de portions plus ou moins larges de tissu nerveux devient anormalement intense (paroxystique) et/ou hypersynchrone. De nombreux agents pharmacologiques visant à diminuer l’excitabilité des réseaux neuronaux sont utilisés dans le traitement de l’épilepsie. Ces traitements antiépileptiques présentent toutefois au moins deux inconvénients majeurs. D’une part, leur effet prolongé ne permet pas de limiter leur action à la durée d’une crise, de sorte que la prise d’antiépileptiques affecte le fonctionnement normal du cerveau entre les ictus, donnant lieu à des effets secondaires indésirables (vertiges, somnolence, troubles de la vision). D’autre part, ces médicaments ont une action limitée face à la diversité des types cliniques d’épi-lepsie, dont on considère classiquement qu’au moins 20 à 30 % sont - ou deviennent - réfractaires au traitement (on parle d’épilepsie

pharmaco-résistante) [41]. La neurochirurgie résective constitue actuellement la principale option alternative pour les patients pharmaco-résistants. Elle consiste à pratiquer soit l’ablation du foyer épileptique (cortec-tomie) ou de la lésion responsable de l’épilepsie (lésio-nectomie), soit à sectionner les voies de propagation préférentielles de l’activité épileptique (comme par exemple dans le cas de la callosotomie, qui vise à empê-cher la bilatéralisation de la décharge épileptique par le corps calleux). Ce type de traitement revêt un caractère définitif, se traduisant au mieux par la diminution ou l’arrêt des crises, mais pouvant également s’accompa-gner d’un certain nombre de déficits post-opératoires persistants.L’utilisation de la SCP pour le traitement de l’épilepsie pharmaco-résistante a fait l’objet de plusieurs dizaines d’études chez l’homme au cours des dix dernières années [42], mais seule l’efficacité de la stimulation du noyau antérieur du thalamus pour le traitement des épilepsies focales a véritablement été démon-trée jusqu’à présent [43]. Bien que les mécanismes d’action de la SCP soient encore mal connus, ce type de traitement est susceptible de diminuer la sévérité et la fréquence des crises de plusieurs manières : en normalisant directement l’activité du foyer épileptique, en agissant au niveau des voies et nœuds de propa-gation de l’activité épileptique, ou enfin en activant des mécanismes de plasticité ayant pour effet de diminuer l’excitabilité des circuits épileptogènes. Les stimulations électriques peuvent être administrées sous la forme de protocoles continus, mais pourront très prochainement être déclenchées par un système d’enre-gistrement électrophysiologique chargé de détecter l’arrivée des crises (on parle de système en « boucle fermée »). Les systèmes en boucle fermée représentent un réel progrès puisqu’ils permettent de ne pas affec-ter l’activité du cerveau entre les ictus, et idéalement de stopper les crises avant l’expression de symp-tômes moteurs dangereux pour le patient (tels que des convulsions ou une perte de conscience). Un premier système de stimulation en boucle fermée pour le trai-tement de l’épilepsie a récemment reçu l’approbation de la Food and drug administration pour une mise sur le marché aux États-Unis.

Perspectives thérapeutiques offertes par les outils optogénétiquesComme dans le cas du traitement de la maladie de Parkinson par la SCP à haute fréquence, la neuromo-dulation optogénétique pourrait se substituer avan-tageusement à la SCP dans le traitement de l’épilepsie pharmaco-résistante. En permettant de contrôler

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contrecarrer l’hyperactivité des neurones excitateurs durant les crises d’épilepsie en recrutant le plus lar-gement possible les réseaux d’interneurones inhibi-teurs locaux (Figure 4B). Une étude récente a montré que dans des tranches de tissu hippocampique, la fréquence moyenne des bouffées d’activité épilepti-forme induites par un traitement pharmacologique est réduite de moitié pendant des phases de photostimu-lation de 10 secondes des interneurones inhibiteurs [48]. Le mécanisme par lequel la stimulation de ces neurones conduit à une normalisation de l’activité du tissu n’a cependant pas été clairement établi. En effet les auteurs suggèrent que le neurotransmetteur relargué par ces interneurones, le GABA, a un effet excitateur plutôt qu’inhibiteur au sein du tissu épilep-tique (suite à un déséquilibre dans la répartition des ions chlorure de part et d’autre de la membrane plas-mique), mais cette question reste débattue [49, 50].Les résultats les plus encourageants ont été obte-nus récemment chez des animaux vigiles à l’aide de systèmes de neuromodulation optogénétique en

sélectivement neurones excitateurs ou inhibiteurs, les techniques de stimulation ou d’inhibition optogénétiques seraient en effet plus à même de corriger le déséquilibre de la balance excitation/inhibition caractéristique de l’état épileptique.Une première stratégie consiste à utiliser des outils optogénétiques hyperpolarisants pour inhiber directement les cellules excitatrices dont l’hyperactivité est responsable de l’apparition et de la propa-gation de l’activité ictale (Figure 4A). Dès 2009, une première étude a démontré que l’expression ciblée de l’halorhodopsine de l’archée Natronomonas pharaonis (NpHR) pouvait être utilisée pour réduire ou inhiber des bouffées d’activité épileptiforme induites par sti-mulation électrique dans des cultures organotypiques de tranches d’hippocampe [44]. Cette approche a par la suite été validée in vivo dans différents modèles murins, obtenus par injection de substances épileptogènes. Dans ces expériences, différentes versions de la NpHR ont été utilisées pour inhiber de manière prolongée l’activité des neurones excitateurs dans le foyer épileptique (cortical ou hippocampique), aboutissant à une réduction de 20 à 50 % de la fréquence des bouffées épileptiformes [45, 46], ou une augmen-tation de la latence de leur apparition de l’ordre de 30 % [47] durant les phases d’illumination. Une deuxième stratégie consiste à

Figure 4. Stratégies optogé-nétiques pour le traitement de l’épilepsie. A-B. Deux options sont possibles : inhiber les neurones exci-tateurs impliqués dans la genèse ou la propagation de l’activité ictale (A), ou exciter les interneurones inhibiteurs locaux (B), par expression spécifique de pompes hyperpolarisantes (telles que la NpHR) ou d’outils dépolarisants (tels que la ChR2) respective-ment. C. Principe de la neuromodulation optogé-nétique en boucle fermée, qui permet de n’illuminer le tissu nerveux que lorsqu’une crise est détectée. EEG : électro-encéphalogramme. D. Exemples de tracés é l e c t r o p h y s i o l o g i q u e s démontrant l’efficacité de l’inhibition optogénétique en boucle fermée dans un modèle d’épilepsie du lobe

temporal chez la souris. La ligne verte pointillée indique le moment où l’algorithme détecte l’arrivée d’une crise. L’activité épileptiforme peut être stoppée lorsque cet algorithme déclenche l’illumination du tissu. Reproduit d’après [52].

Inhibition des neurones excitateurs Excitation des interneurones inhibiteurs

Inhibition des bouffées épileptiformesPhotostimulation en boucle fermée

NpHR

590 nm

590 nm

Cl-

ChR2

Na+

470 nm

5 s

Analyseen ligne

Sourcede lumière

Digitalisation

Fibreoptique

EEG

Amplification

C D

A B

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Stratégies thérapeutiques pour le traitement des rétinopathies pigmentairesLa recherche de stratégies thérapeutiques pour ce type de rétinopathie s’est orientée vers différentes possibilités. La stimulation électrique des cellules ganglionnaires à l’aide d’une « prothèse rétinienne » est une première possibilité. Ces cellules, situées en aval du circuit rétinien, donnent naissance au nerf optique (Figure 5B) et sont épargnées par le pro-cessus de dégénérescence. Les prothèses rétiniennes sont constituées d’une couche de microélectrodes implantées à proximité de la fovéa et reliées, soit directement à une couche de microphotodiodes, soit à une caméra vidéo via un module chargé d’analyser l’image et de définir les patrons de stimulation en temps réel [56]. Ce concept a donné des résultats encourageants lors d’essais cliniques qui ont abouti à la mise sur le marché de la prothèse Argus II. Mais l’acuité visuelle obtenue à l’aide de ce type d’appa-reil reste en deçà du seuil de cécité défini par l’Orga-nisation mondiale de la santé [57]. Une deuxième possibilité est l’utilisation d’une thérapie cellulaire consistant à transplanter des cellules pouvant se différencier en cellules photoréceptrices (cellules souches ou cellules progénitrices de la rétine) et remplacer les cellules endommagées [58]. Un autre type de thérapie cellulaire consiste à combattre le processus de dégénérescence grâce à la greffe sous-rétinienne de cellules pouvant libérer des facteurs de survie [59]. Enfin une dernière possibilité consiste à concevoir des stratégies de thérapie génique à caractère correctif (visant à insérer dans les cellules atteintes une version saine du ou des gènes défec-tueux), ou simplement à visée symptomatique (neu-roprotection par expression de facteurs améliorant la survie des photorécepteurs) [60-63]. Cet axe de recherche a été exploré de manière intense, notam-ment parce que l’œil est un organe facile d’accès et qui semble bien tolérer les infections par les AAV [64]. Le protocole de thérapie génique corrective le plus prometteur à l’heure actuelle est celui visant à lutter contre l’amaurose congénitale de Leber par remplacement du gène RPE65. Ce type d’approche ne fonctionne cependant que pour des mutations récessives (dans le cas d’une mutation dominante, la présence de l’allèle muté suffit à tuer la cellule). La thérapie génique corrective se heurte également à la diversité des gènes dont la mutation peut être à l’origine de la maladie (le gène défectueux doit être identifié au cas par cas, et sa version saine doit être suffisamment petite pour pouvoir être encapsidée dans un vecteur viral).

boucle fermée. Ces systèmes fonctionnent en réalisant une ana-lyse spectrale en temps réel du signal électroencéphalographique intracrânien, et ne déclenchent le protocole d’illumination que lorsqu’un épisode d’activité ictale est détecté (Figure 4C-D). Dans une première étude, le laboratoire du Dr John Huguenard à l’uni-versité Stanford s’est intéressé au lien fonctionnel entre ischémie corticale focale (provoquée classiquement par un accident vas-culaire cérébral) et apparition de crises épileptiques (l’épilepsie chronique étant l’une des complications connues de l’accident vasculaire cérébral ischémique, en particulier chez les patients âgés). Le but de cette étude était d’évaluer le rôle des connexions réciproques cortico-thalamiques dans la propagation de l’activité ictale, et de tester l’efficacité d’une inactivation optogénétique du thalamus pour le traitement de ce type d’épilepsie. Dans cette étude, une ischémie focale permanente était obtenue chez des rats par photothrombose corticale. Plusieurs semaines plus tard, ces animaux développaient une épilepsie chronique caractérisée par l’apparition de crises spontanées. Une large fraction des neurones thalamocorticaux (excitateurs) interconnectés avec la région corticale lésée étaient ensuite photosensibilisés par expression de la NpHR à l’aide d’un vecteur viral. Le protocole d’illumination de ces neurones en boucle fermée s’est révélé capable de stopper les crises d’épilepsie moins d’une seconde après leur apparition, et ce jusqu’à un an après implantation du système chez les animaux [51]. Dans une deuxième étude, un modèle d’épilepsie du lobe temporal était obtenu chez la souris par lésion pharmacologique focale de l’hippocampe à l’acide kaïnique. Les neurones de l’hippo-campe étaient ensuite photosensibilisés de manière sélective, par expression soit de la NpHR dans les neurones excitateurs, soit de la ChR2 dans une catégorie spécifique d’interneurones inhibiteurs. L’illumination de ces neurones au tout début des épisodes d’acti-vité ictale a permis de stopper plus de la moitié des crises dans les deux cas (en une seconde seulement par inhibition des neurones excitateurs exprimant la NpHR et en cinq secondes par excitation des interneurones inhibiteurs exprimant la ChR2) [52].

Traitement optogénétique des rétinopathies pigmentaires

Les rétinopathies pigmentaires forment un ensemble hétérogène de maladies héréditaires de la rétine caractérisées par la dégénéres-cence progressive des cellules photoréceptrices situées au contact de l’épithélium pigmentaire (Figure 5B) [53]. Ce type de maladie touche environ une personne sur 4 000 dans le monde et peut être causé par la mutation de plus de 50 gènes différents [54, 55]. Les premiers symptômes visuels apparaissent classiquement entre 10 et 30 ans avec la perte des photorécepteurs à bâtonnets (responsables de la vision en très faible luminance, appelée vision scotopique). Ils s’aggravent ensuite progressivement avec la dégénérescence des photorécepteurs à cônes (responsables de la vision diurne, appelée vision photopique), jusqu’à aboutir le plus souvent à une cécité bilatérale complète.

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trophysiologiques en réponse à des flashs de lumière bleue jusque dans le cortex visuel [65, 66], les résultats disponibles à ce jour n’ont pas révélé d’amélioration significative dans des tâches comportementales de discrimination visuelle [66, 67]. Dans une autre série d’expériences en revanche, l’expression ectopique de la mélanopsine dans une large fraction des cellules ganglionnaires de souris rd1 a permis de restaurer une sensibilité comportementale à des différences de lumi-nance [68]. Ce résultat est probablement dû au fait que la mélanopsine confère aux cellules ganglionnaires une photosensibilité très supérieure à celle résultant

La neuromodulation optogénétique : une option thérapeutique prometteuse ?L’essor de la neuromodulation optogénétique a permis l’émergence d’une nouvelle voie thérapeutique visant à restaurer la photosensi-bilité du circuit rétinien altéré. Les premières études ont cherché à évaluer le bénéfice d’une photosensibilisation des cellules ganglion-naires, dont seule une petite minorité exprimant la mélanopsine est naturellement photosensible (ces cellules sont impliquées dans des fonctions non visuelles telles que le réflexe pupillaire et la régulation du rythme circadien). Bien que l’expression de la ChR2 dans les cel-lules ganglionnaires de souris rd1 (le modèle murin de dégénérescence rétinienne le plus utilisé) ait permis de restaurer des réponses élec-

Figure 5. Différentes options pour le traitement optogénétique des rétinopathies pigmentaires. A. Schéma anatomique de l’œil humain. Les vecteurs viraux peuvent être injectés dans l’humeur vitrée (injection intra-vitréenne) ou sous la rétine. Les injections sous-rétiniennes présentent l’incon-vénient d’endommager mécaniquement un tissu déjà fragilisé par le processus de dégénérescence, et de ne pouvoir atteindre que des surfaces restreintes de rétine. B. Schéma simplifié du circuit rétinien, montrant les deux principaux types de circuits (ON et OFF) en aval des photorécep-teurs à cônes. Plusieurs types neuronaux ne sont pas représentés (cellules amacrines et cellules horizontales). C. Stade avancé de dégénérescence rétinienne dans lequel seuls certains photorécepteurs à cônes subsistent sous la forme de cellules atrophiées (cônes dormants). La rephotosensi-bilisation du circuit peut s’appuyer sur l’expression de la ChR2 dans les cellules ganglionnaires (accessibles par voie intra-vitréenne à l’aide d’AAV uniquement), par expression de la ChR2 dans les cellules bipolaires de type ON ou de NpHR dans les cônes dormants (types cellulaires accessibles par injection sous-rétinienne de plusieurs classes de virus, et par injection intra-vitréenne d’AAV présentant un fort pouvoir de diffusion).

Voies d'administration des vecteurs viraux Circuit rétinien simplifié

Injection sous-rétinienne

Injection intra-vitréenne

Humeur vitrée

Fovéa

Nerf optique

Vers le nerfoptique

Cône Épithéliumpigmentaire

Cellulesganglionnaires

Cellulesbipolaires

Photorécepteurs

Bâtonnet

Cellule ONCellule OFF

Stratégies optogénétiques de (re)photosensibilisation

ChR2 dans lescellules bipolaires ON

ChR2 dans les cellulesganglionnaires

NpHR dans lescônes dormants

Injection intra-vitréenne

Injection sous-rétinienne

A

C

B

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parvenu à transduire spécifiquement plus de la moitié des cellules bipolaires de type ON par injection intra-vitréenne (une voie d’administration moins trau-matique que l’injection sous-rétinienne, qui tend à détacher les photorécepteurs de l’épithélium pigmen-taire sous-jacent ; Figure 5A) [72]. Cette procédure a permis de restaurer non seulement des réponses de type ON dans les cellules ganglionnaires et les neu-rones du cortex visuel des souris rd1 traitées, mais aussi des réponses de type OFF (il est connu que les circuits ON et OFF fonctionnent en interaction). Elle a également permis aux animaux traités de recouvrer un comportement d’évitement face à une source de lumière intense.Il est envisageable d’intervenir encore plus en amont, au niveau des cônes résiduels observés dans de nom-breux cas de rétinopathie pigmentaire. Ces cônes « dor-mants » subsistent dans la région fovéale jusqu’à des stades avancés de la maladie, sous la forme de corps cellulaires ayant perdu leur segment photosensible (Figure 5C). L’équipe du Dr Botond Roska a démontré qu’il était possible de réactiver ces cônes dormants par injection sous-rétinienne d’un AAV codant la NpHR sous le contrôle d’un promoteur spécifique des cônes (l’utili-sation de la NpHR permet de reproduire l’hyperpolarisa-tion induite normalement dans les cônes par la lumière ; la NpHR doit être exprimée de manière très spécifique afin de ne pas inhiber le transfert de l’information dans le reste du réseau) [74]. Des enregistrements électrophysiologiques ont montré que cette technique permet de restaurer les patrons de décharge naturels des cellules ganglionnaires en réponse à des stimulus visuels, avec toutefois une sensibilité très significative-ment inférieure (trois ordres de grandeur) à celle d’une rétine saine. Des tests comportementaux ont révélé que les souris traitées étaient capables de détecter des changements de luminosité et pouvaient recouvrer une réponse optomotrice.

Des obstacles à surmonter pour une rephotosensibilisation efficace de la rétine par des outils optogénétiquesL’ensemble des études réalisées ces huit dernières années montrent que la neuromodulation optogé-nétique est une option thérapeutique prometteuse pour le traitement d’un certain nombre de dégéné-rescences rétiniennes. Des obstacles restent cepen-dant à surmonter avant de pouvoir envisager des traitements offrant un réel bénéfice thérapeutique chez l’homme. Les outils optogénétiques disponibles à l’heure actuelle offrent des seuils de photosensibilité très nettement inférieurs à ceux d’une rétine saine,

de l’expression de la ChR2. À la différence de la ChR2, une seule molé-cule de mélanopsine est en effet capable de moduler de nombreuses conductances membranaires par l’intermédiaire d’une cascade de signalisation intracellulaire faisant office de système amplificateur. Les réponses électrophysiologiques induites par photoactivation de la mélanopsine sont cependant trop lentes pour pouvoir espérer la restauration de fonctions visuelles fines. Plus récemment, l’expression d’un outil photochimique (le canal contrôlé par la lumière LiGluR) dans les cellules ganglionnaires a également donné des résultats positifs dans un test d’évitement d’une source de lumière [69]. Cette approche nécessite cependant l’injection d’un ligand photochromique, chaque injection permettant d’obtenir un effet comportemental pendant seu-lement deux jours.Malgré ces résultats encourageants, la photosensibilisation indis-criminée des cellules ganglionnaires comporte un inconvénient de taille. Cette population de cellules contient en effet trois sous-populations fonctionnellement distinctes, l’une déchargeant en réponse à des incréments de lumière (cellules « ON »), l’autre en réponse à des décréments de lumière (cellules « OFF ») et la dernière réagissant aux deux situations (cellules « ON-OFF »). Dans les stra-tégies présentées ci-dessus, l’ensemble des cellules ganglionnaires sont reprogrammées en cellules « ON », et le message transmis au reste du cerveau diffère donc fortement de celui transmis par une information rétinienne normale. Plus généralement, il est important de noter que la rétine ne transmet pas l’information brute issue des photorécepteurs, mais en extrait des éléments saillants (forme, couleur, mouvement) grâce à des capacités de traitement élaborées. Afin de préserver au maximum la qualité du signal transmis au cer-veau, il est donc souhaitable d’intervenir le plus en amont possible dans le circuit. Le groupe du Dr Botond Roska a montré qu’il était possible de photosensibiliser sélectivement les cellules bipolaires de type ON, situées entre les cônes et les cellules ganglionnaires de type ON (Figure 5C), par électroporation d’un plasmide contenant la séquence de la ChR2 sous le contrôle du promoteur d’un gène spé-cifiquement exprimé par ces cellules [70]. Bien que l’efficacité de cette stratégie se soit révélée faible (seules 7 % des cellules cibles exprimaient la ChR2 dans les zones électroporées), les souris rd1 traitées ont cependant recouvré la capacité de suivre le mouvement de rayures lumineuses verticales par des mouvements de la tête (réponse optomotrice). Des études ultérieures ont montré qu’il était possible d’exprimer la ChR2 plus efficacement dans les cellules bipo-laires de type ON à l’aide d’AAV dont la capside a été modifiée afin d’améliorer leur diffusion au sein du tissu rétinien [71-73]. Deux d’entre elles ont validé cette stratégie à l’aide d’enregistrements in vivo et/ou de tests comportementaux. Dans la première étude, conduite par le groupe du Dr Alan Horsager, des injections sous-rétiniennes d’AAV ont permis de restaurer des réponses ON dans les cellules ganglionnaires ainsi que des scores proches de ceux de sou-ris saines dans un test d’orientation guidé par une source lumineuse (pour des fortes intensités lumineuses) [73]. Dans la deuxième étude, le groupe du Dr Deniz Dalkara (voir le Dossier technique qui sera publié le prochain numéro de m/s (n° 5, mai 2015) [85], est

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possible que le champ des applications thérapeutiques basées sur l’optogénétique s’élargisse dans le futur, dans le sillage des stratégies de stimulation cérébrale profonde qui sont aujourd’hui testées dans un nombre croissant de maladies neuropsychiatriques (troubles obsessionnels compulsifs sévères [86], dépressions pharmaco-résistantes ou encore syndrome de Gilles de la Tourette), pour la prise en charge de certains types de céphalées (algie vasculaire de la face) ou encore pour lutter contre l’hyperphagie dans le syndrome de Prader-Willi. Dans tous les cas, la neuromodulation optogénétique constitue déjà un atout majeur pour la recherche préclinique, dans le cadre de travaux visant à affiner notre compréhension des mécanismes phy-sio-pathologiques d’un certain nombre de maladies du système nerveux [4, 80].Malgré des difficultés méthodologiques et des ques-tions d’ordre éthique (fondamentalement similaires à celles déjà soulevées par la thérapie génique), la trans-position des techniques de neuromodulation optogéné-tique à la clinique est déjà sérieusement envisagée. Au cours des sept dernières années, plusieurs start-ups ont été créées dans le but de développer et commercialiser des protocoles de transduction virale et des dispo-sitifs de photostimulation utilisables chez l’homme. Citons par exemple LucCell, qui envisage une stratégie optogénétique pour traiter l’incontinence urinaire, Eos Neuroscience [81], RetroSense Therapeutics [79] et GenSight Biologics [82], dont le but est de traiter des pathologies rétiniennes et enfin Circuit Therapeutics [83], qui compte utiliser la neuromodulation optogéné-tique pour l’identification de nouvelles cibles thérapeu-tiques dans une série de maladies neuropsychiatriques. Sur le plan institutionnel, un groupe de chercheurs dans le domaine a été auditionné en juin 2010 par le groupe d’experts sur les dispositifs médicaux de la Commission européenne, signe qu’une réflexion est amorcée sur l’encadrement législatif d’une transposition clinique de cette technique. ‡

SUMMARYTherapeutic potential of optogenetic neuromodulationOptogenetic neuromodulation techniques, which have emerged during the last 15 years, have considerably enhanced our ability to probe the functioning of neu-ral circuits by allowing the excitation and inhibition of genetically-defined neuronal populations using light. Having gained tremendous popularity in the field of fundamental neuroscience, these techniques are now opening new therapeutic avenues. Optogenetic neu-romodulation is a method of choice for studying the

ainsi qu’une gamme de sensibilité spectrale réduite. Ces inconvé-nients orientent une partie des efforts actuels de bio-ingénierie des rhodopsines microbiennes, dans le but de maximiser leurs photocou-rants et de diversifier leurs propriétés spectrales. Ils soulignent éga-lement l’importance d’obtenir des forts niveaux d’expression et donc d’optimiser les techniques de transduction virale des cellules réti-niennes. À l’heure actuelle, les bénéfices tirés de l’utilisation d’AAV dans des modèles murins (en particulier la possibilité d’obtenir de bons niveaux d’expression par injection intra-vitréenne) sont diffi-ciles à reproduire chez le primate [63]. Notons enfin que les outils optogénétiques ne permettent pas de reproduire les fantastiques capacités d’adaptation des photorécepteurs à une très large gamme d’intensités lumineuses (assurées par des mécanismes moléculaires de régulation des cascades de phototransduction en aval des rho-dopsines) qui permettent d’adapter la vision aux fortes variations de luminance rencontrées en conditions naturelles.L’un des principaux défis à surmonter réside dans la complexité du cir-cuit rétinien. Afin d’intervenir de manière réellement spécifique, il fau-dra affiner et peut-être combiner les stratégies permettant de cibler des sous-populations neuronales fonctionnellement distinctes (par exemple pour exprimer des outils dépolarisants et hyperpolarisants dans les cellules ON et OFF respectivement). Afin de pallier la faible sensibilité des rhodopsines microbiennes et de prendre en compte la complexité du traitement de l’information visuelle par la rétine, cer-tains laboratoires envisagent l’utilisation de systèmes portatifs char-gés de convertir un flux vidéo en une série de stimulations lumineuses de forte intensité destinées à recréer un patron de décharge physiolo-gique dans le sous-circuit photosensibilisé. L’holographie digitale ou des matrices de micro-miroirs par exemple pourraient être utilisées pour stimuler de manière adéquate des cellules ganglionnaires expri-mant la ChR2 [75-77].Il est difficile à l’heure actuelle d’anticiper les progrès à venir dans cette voie de recherche tant ils dépendent de nombreux facteurs. Il est clair en revanche que les tests précliniques devront se faire sur des modèles animaux plus proches de l’homme sur le plan visuel que les rongeurs. Des tests sont actuellement en cours chez le chien et le primate non humain afin d’évaluer le bénéfice thérapeutique d’une stratégie basée sur un outil photochimique codé génétiquement. Une discussion sur les critères d’inclusion dans des protocoles de recherche clinique utilisant des techniques optogénétiques a récemment émergé [78], et un premier essai thérapeutique chez l’homme mené par la société RetroSense Therapeutics [79] pourrait démarrer très prochai-nement aux États-Unis.

Perspectives

La neuromodulation optogénétique offre des perspectives thérapeu-tiques à moyen terme pour un certain nombre de pathologies du sys-tème nerveux clairement identifiées. Dans chacune de ces pathologies, elle est susceptible de se substituer avantageusement aux stimula-tions électriques en intervenant sur les circuits neuronaux dysfonc-tionnels avec un degré de spécificité inégalé jusqu’à maintenant. Il est

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LIENS D’INTÉRÊTLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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TIRÉS À PARTG.P. Dugué

First European Meeting on Bone Marrow Adiposity(1re réunion européenne sur l’adiposité médullaire)

28-29 août 2015

Faculté dentaire, Lille, France

Adiposité médullaire et son environnement

Caractérisation et imagerie, physiopathologie et perspectives thérapeutiques

Site : http://bma2015.sciencesconf.org/

Contacts : Pierre Hardouin, M.D., Ph.D.Physiopathologie des Maladies OsseusesInflammatoires, Lille 2, ULCO, IFR 114 E-mail : [email protected]

Pierre J. Marie, Ph.D., D.Sc.UMR-1132 Inserm et Université Paris Diderot,Sorbonne Paris CitéE-mail : [email protected]

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médecine/sciences Chémobiologie (9)Chimiothèque NationaleAvancées et perspectivesFlorence Mahuteau-Betzer

> La Chimiothèque Nationale (CN) est une fédé-ration de chimiothèques académiques locales, une chimiothèque étant une collection de petites molécules de synthèse ou isolées de produits naturels. Une « extractothèque » contenant des extraits naturels est aussi proposée. La force de la Chimiothèque Nationale réside dans la diversité de sa collection et la possibilité de proposer des interlocuteurs chimistes aux biolo-gistes cribleurs. Les collaborations post-criblage permettent, à travers la synthèse d’analogues et d’outils chimiques, d’identifier de nouvelles sondes chimiques pour comprendre le vivant et, dans certains cas, d’envisager des applications dans le domaine thérapeutique. Dans cet article, nous montrerons les avancées et les perspectives que cette fédération a permis d’engendrer. >

tion. S’il peut faciliter dans certains cas la découverte de molécules susceptibles d’avoir des applications thérapeutiques, il vise surtout à l’identification de sondes précieuses pour étudier le vivant en modu-lant ou contrôlant une activité biologique. En effet, la petite molécule identifiée par criblage, nommée « touche », facilite l’étude de la nouvelle cible. Lorsque le criblage est enzymatique, la petite molécule permet de valider la fonction biologique de cette enzyme. Lorsque le criblage est phénotypique, elle peut permettre d’identifier la cible [3].

Naissance des chimiothèques académiques françaises

Ce formidable potentiel d’innovations et de collaborations acadé-miques entre biologistes et chimistes a conduit, dès la fin des années 1990, quelques laboratoires de pharmacochimie français à organiser les composés de synthèse obtenus au fil du temps en chimiothèques, pour faciliter le criblage virtuel et/ou expérimental. Rapidement, en 2003, ces initiatives locales ont été fédérées en Chimiothèque natio-nale (CN) [4]. Le premier succès de la Chimiothèque nationale est venu du recensement du patrimoine des laboratoires. En effet, une fois que les composés synthétisés dans le cadre de programme de recherche étaient publiés dans des articles scientifiques, des brevets ou des thèses, ils étaient voués à l’oubli. Heureusement, la plupart de ces « trésors » ont été conservés dans les laboratoires, et la consti-tution de chimiothèques académiques a permis leur exhumation. Ce patrimoine recensé par la Chimiothèque Nationale est très important puisqu’il comprend plus de 56 000 composés en octobre 2014, et

1 La synthèse parallèle consiste à préparer dans des réacteurs différents des composés analogues en changeant uniquement une des entités chimiques engagées. Elle est souvent automatisée et conduit à la préparation de chimiothèques focalisées offrant peu de diversités structurales.

Institut Curie, UMR 9187-U1196,bâtiment 110,Centre Universitaire,Chimie, modélisation moléculaire et imagerie pour la biologie, 91405 Orsay, [email protected]

m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104016

Achevé en 2003, le séquençage du génome humain a permis l’identification d’un grand nombre de cibles bio-logiques. Un énorme besoin en sondes chimiques utiles pour étudier ces nouvelles cibles a donc émergé. Paral-lèlement, les avancées en termes de robotisation et de miniaturisation ont permis d’envisager le criblage d’un grand nombre de molécules pour identifier des ligands à ces nouvelles cibles. Afin d’accéder à de grandes collections de petites molécules, deux stratégies com-plémentaires ont été adoptées : la préparation de chimiothèques par synthèse parallèle1 (cas des chimio-thèques commerciales et d’autres initiatives acadé-miques comme le NIH molecular libraries program) [1], l’exhumation des composés synthétisés au cours du temps. Les « big pharma » ont souvent eu recours aux deux stratégies. Le criblage de chimiothèques est largement utilisé dans l’industrie pharmaceutique dans le but d’accélérer la découverte de drogues [2, 9] (�)Dans le monde académique, le criblage n’a pas la même voca-

Cet article fait partie de la série « Chémobiologie » dont la parution a débuté dans le n° 12, vol. 30, décembre 2014 (www.medecinesciences.org).

(�) voir la Synthèse de D. Rognan et P. Bonnet, m/s n° 12, décembre 2014, p. 1152

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besoins du GIS CN. Dans les laboratoires, des personnels nommés « chimiothécaires » organisent la collection localement, en gérant les collectes de composés et les conditionnements en plaques (voir ci-dessous). Ils sont les interlocuteurs de l’UGCN et font le lien entre les chimistes de synthèse, pourvoyeurs des collections, et leurs utilisateurs. La Chimiothèque Nationale forme tout nouveau chimiothécaire aux bonnes pratiques grâce au réseau déjà existant.La collection de molécules est vivante. Si certaines molécules peuvent disparaître, la Chimiothèque natio-nale a aussi vocation à s’agrandir. Pour ce faire, le GIS CN accompagne les laboratoires de chimie intéressés par cette initiative en proposant des aides logis-tiques et matérielles. En 2013, certaines plates-formes chimiothèques équipées d’automates ont été sollicitées pour mettre en plaques les collections de laboratoires non équipés et ainsi permettre d’accroître la taille de la collection nationale en plaques. De plus, le GIS s’occupe de promouvoir la constitution de chimiothèques par des actions de communication (présence à des congrès, prise de contacts ciblés avec des laboratoires) et de formation. Une autre voie encore peu explorée consiste à créer des chimiothèques ciblées autour de structures originales synthétisées dans certains laboratoires.

La collectionLa Chimiothèque Nationale regroupe à l’heure actuelle plus de 56 000 molécules de synthèse et produits naturels issus des laboratoires académiques français, dont 48 000 sont accessibles sous forme de plaques 96 puits. Cette collec-tion est répertoriée dans une base de données et possède plusieurs modes de stockage physique : des solutions dans le DMSO (diméthylsulfoxyde) au format microplaque et des poudres dans des piluliers (Figure 1). Ces poudres servent à une nouvelle fourniture du produit pour confirmer l’activité des touches. Ceci permet de réévaluer le produit en s’affranchissant d’une éventuelle dégradation en solu-tion. Il est souvent réalisé un criblage secondaire sur ces touches, ce criblage, différent du premier, permet de valider l’activité biologique par un autre test. La communauté des chimiothécaires, organisée en ateliers, a permis d’adopter des protocoles communs de gestion et de préparation des microplaques destinées au criblage. Les plaques livrées sont des plaques 96 puits comportant 80 substances à des concentrations massiques de 10 mg/mL dans le DMSO. L’ate-lier des chimiothécaires permet une réflexion constante sur tous les aspects de la gestion physique et informatique des collections de substances, la préparation des plaques, mais aussi sur les procédures d’envois de poudres ou de plaques. L’atelier chémo-informatique a notamment permis de créer un nouveau logiciel de base de données chimiques adapté

peut être évalué à 1 000 € le produit, soit 55 millions d’euros pour la Chimiothèque Nationale. Enfin, cette constitution de chimiothèque offre « une seconde vie » à ces molécules oubliées qui peuvent être testées sur de nouvelles cibles ou de nouvelles fonctions biologiques.Cette initiative française n’est pas isolée. À partir de 2004, les Natio-nal institutes of health aux États-Unis ont identifié neuf laboratoires constituant le « Molecular libraries probe production center » capables de produire de nouvelles molécules par synthèse parallèle. Cette initia-tive a permis de préparer 350 000 molécules criblées à travers un réseau de plates-formes de criblage académique. Des initiatives de constitu-tion de collections pour le criblage ont été menées dans d’autres pays, mais les collections sont restées modestes et peu organisées.Devant l’essor du criblage en milieu industriel et académique, un certain nombre de sociétés se sont dédiées à la préparation et la commerciali-sation de chimiothèques. Celles-ci contiennent des molécules difficile-ment brevetables. En effet, ces molécules peuvent être brevetées pour leur application sur une cible biologique, mais leurs structures ne sont pas brevetables en tant que telles. De plus, leurs propriétés ADMETox2 ne sont pas optimisées, ce qui empêche leur développement comme candi-dat médicament ou sonde chimique. Il est donc admis que les touches identifiées par criblage ne sont pour la plupart pas utilisables en l’état, et qu’un travail d’optimisation de structure est nécessaire.Les chimiothèques académiques présentent les mêmes limites (breve-tabilité, propriétés ADMETox). En revanche, elles permettent d’établir des collaborations entre chimistes et biologistes, et donc d’envisager l’optimisation des touches. En effet, les chimistes qui déposent leurs produits dans la Chimiothèque Nationale sont intéressés par les résul-tats de criblage et sont capables de produire des analogues des touches. Cette possibilité d’optimisation des touches identifiées par criblage représente un atout très fort pour le biologiste. Enfin, la Chimiothèque Nationale, parce qu’elle regroupe une collection de molécules issues de laboratoires qui développent des familles chimiques très différentes, comporte donc une grande diversité de structures [5]. Bien que plus petites que les collections commerciales ou industrielles, les collections académiques possèdent des structures originales et très diverses, encore peu criblées au regard des autres collections.

La Chimiothèque Nationale : missions, fonctionnement, utilisateurs

Rôle du groupement d’intérêt scientifique – Chimiothèque Nationale (GIS CN)Depuis 2007, la Chimiothèque Nationale repose sur deux structures : un groupement d’intérêt scientifique (GIS CN : fédération des éta-blissements universitaires et organismes de recherche adhérents du projet) et l’unité de gestion de la Chimiothèque Nationale (UGCN : unité support du GIS CN). Le GIS compte à l’heure actuelle 42 établis-sements publics de recherche. Un comité de pilotage est chargé des décisions stratégiques. Des ateliers thématiques sont créés selon les

2 Ce sont les critères de cribage in vitro de cinétique et de métabolisme : absorption, distribution, métabolisme, excrétion, toxicité.

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L’accord régit aussi les modalités de la collaboration et notamment :– la copropriété des résultats entre l’utilisateur et les membres du GIS CN concernés, uniquement pour les produits dont ils sont propriétaires ;– des retours financiers aux membres du GIS CN concer-nés en cas d’exploitation commerciale desdits résultats ;– la transmission des résultats par le tiers utilisateur à l’UGCN qui se chargera de les transmettre aux labora-toires du GIS CN concernés, uniquement pour les pro-duits dont ils sont propriétaires ;– un droit de priorité pour le(s) laboratoire(s) du GIS CN concerné(s) de participer à un programme de recherche entrepris par l’utilisateur sur les éventuelles touches ;– un droit d’utilisation libre et gratuit des résultats pour les copropriétaires, uniquement dans le cadre de projet de recherche interne.Une participation financière est demandée aux utili-sateurs de la Chimiothèque Nationale, elle ne couvre évidemment pas les frais de synthèse (ce qui la diffé-rencie des chimiothèques commerciales), mais permet de partager le coût des envois et des consommables.Il est à noter que le criblage peut être réel ou virtuel. Dans le cas d’un criblage virtuel initial, seuls quelques composés sont testés expérimentalement. Ces deux approches sont souvent complémentaires et parfois utilisées dans un même programme.

à la gestion des chimiothèques de laboratoires multi-équipes : LgChimio. Enfin, l’atelier « descripteurs moléculaires » a défini les standards internes pour la représentation des structures et l’échange de données chimiques et biologiques. Cet atelier a également permis d’enrichir le système d’infor-mation par de nouveaux champs, donnant ainsi la possibilité d’explorer de manière plus fine les collections de substances.

Accès à la collectionDepuis 2005, le fichier SDF3 des structures présentes dans la collection est accessible sur internet (http://chimiotheque-nationale.enscm.fr/) après un enregistrement préalable de l’utilisateur (Figure 2). Une requête peut ensuite être faite, soit pour l’accès à quelques composés (en poudre) sélectionnés par sous-structure ou par criblage virtuel, soit pour des plaques multipuits. L’UGCN transmet cette demande aux laboratoires détenteurs des molécules demandées. Après réponse de ces derniers, l’UGCN engage les procédures juridiques nécessaires à l’accord de transfert de matériel (MTA en anglais). Si les tutelles du laboratoire demandeur sont signataires du GIS, alors une simple lettre d’intention signée par l’UGCN et le laboratoire demandeur est requise. Si une des tutelles du laboratoire n’est pas membre du GIS, alors un accord de transfert de matériel est nécessaire et requiert la signature des tutelles du laboratoire concerné par l’accord. Cette procédure mise en place depuis 2009 a considérablement facilité la mise à dis-position de la collection.

3 Fichier extension (standard database format) optimisé pour des ensembles de données d’informations très larges.

Exhumation du patrimoine

Réserves (poudres)

Bases de données

Plaques pour criblageSolution 10 mg/ml DMSO

Figure 1. Constitution des chimiothèques locales.

Mahuteau_Chemobiologie.indd 419Mahuteau_Chemobiologie.indd 419 22/04/2015 11:57:5822/04/2015 11:57:58

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recherche (GDR) chémoinfor-matique, et, d’autre part, les responsables de plates-formes de criblage regroupés dans le GDR ChemBioScreen. Un cer-tain nombre d’actions ont été menées : la constitution d’une chimiothèque essen-tielle, le dépôt de copies de la Chimiothèque Nationale sur des plates-formes de service identifiées, et la mise en place d’un centre de gestion et de distribution unique.

Chimiothèque essentielle

Le criblage à haut ou moyen débit d’une grande collection

de composés requiert la miniaturisation des tests et peut entraîner des coûts importants. Le criblage est évalué à 1 € le puits pour les tests les moins onéreux. Pour faciliter le criblage manuel de la collection et rendre la chimiothèque accessible à un plus grand nombre d’utilisateurs, une chimiothèque essentielle (CNE) a été constituée en 2009. Elle constitue un sous-ensemble représentant la diversité moléculaire de la Chimiothèque Nationale (640 substances sur les 40 000 présentes dans la base en 2009). Cette sélection a été réalisée grâce à l’aide de chémoinformaticiens. Outre l’annotation biologique de ce sous-ensemble, des pro-priétés physicochimiques comme la solubilité, le pKa, ont été évaluées expérimentalement et confrontées à des modèles prédictifs [6]. Cette première expérience de constitution de chimiothèque essentielle a révélé aussi quelques difficultés. En effet, un certain nombre de composés sélectionnés n’ont pas pu faire partie de ce sous-ensemble pour des raisons de disponibilité de poudre ou pour des raisons de pureté insuffisante. Ceci n’a pas pour autant entaché le bilan positif de cette initiative. Tout d’abord, un programme interdiscipli-naire de recherche (PIR) innovation thérapeutique a été lancé pour financer le criblage de cette collection. Douze projets ont été soutenus. Depuis, la chimio-thèque essentielle a été criblée à treize autres reprises. Les résultats connus à ce jour montrent que 90 % des criblages ont conduit à l’identification de touches et ce malgré la taille relativement petite de la collection. Une seconde version de cette chimiothèque essentielle est envisagée en élargissant cette chimiothèque existante à 640 autres composés.

Développements post-criblageUne fois le criblage effectué, le cribleur et le chimiothécaire doivent valider la touche en confirmant la pureté et l’activité biologique à partir de poudres (Figure 3). Une fois la touche confirmée, les chimistes et biologistes concernés par les molécules touches et par la cible ou la fonction biologique testée décident ou non de conti-nuer l’aventure à travers une collaboration de recherche. Celle-ci peut contribuer à identifier la cible biologique (la touche est une sonde permettant la compréhension de fonctions biologiques), et/ou à améliorer l’activité biologique (dans un contexte thérapeutique). Ces développements post-criblage sont pluridisciplinaires, et le cri-blage virtuel peut apporter une aide importante à la constitution de chimiothèques ciblées d’analogues de touches (Figure 4). Si la cible biologique est bien identifiée et caractérisée, des approches basées sur le récepteur comme le docking4 sont utilisées. Sinon, des approches basées sur le ligand peuvent être adoptées. Dans tous les cas, des chimiothèques ciblées d’analogues sont générées. Quand la cible n’est pas connue, son identification peut être entreprise avec notamment l’aide d’outils chimiques (colonne d’affinité, photocrosslinker, etc.). Enfin, la sonde ou le lead obtenu doivent avoir des propriétés de sélec-tivité et d’activité améliorées.

Promouvoir le criblage de la Chimiothèque Nationale

Un des rôles du GIS CN est de promouvoir l’outil que constituent les chimiothèques et donc le criblage. Depuis sa création, la Chimiothèque Nationale a toujours travaillé en étroite collaboration avec d’une part la communauté des chémoinformaticiens à travers le groupement de

4 Le docking (ou ancrage ) à haut débit consiste à prédire à la fois la conformation active et l’orientation relative de chacune des molécules de la chimiothèque sélectionnée par rapport à la cible d’intérêt. (Didier Rognan).

Création de laChimiothèque Nationale

Création de la ChimiothèqueNationale essentielle

2003 2005 2007 2009 2010 2013 2014 2015

Site webfichier molécules

Création du groupementd’intérêt scientifique

Chimiothèque Nationaleet de l’unité

support du GIS CN(UGCN)

Convention GISet MTA « simplifié »

Dépôt sur 4 centresde criblage

Mise en plaques globale48 000 composés

Centre de conditionnement

et de distributionunique

Figure 2. Avancées de la Chimiothèque Nationale. CN : Chimiothèque Nationale ; UGCN : unité support du GIS CN ; GIS CN : groupement d’intérêt scientifique Chimiothèque Nationale.

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Copies mises à disposition sur quelques plates-formes de criblageRécemment, des copies de la Chimiothèque Nationale ont été mises à disposition sur quatre plates-formes de criblage de service de manière à faciliter leur accès aux utilisateurs potentiels. Ces plates-formes ont été identifiées et sélectionnées comme plates-formes de service pouvant répondre à des sollicitations extérieures et réaliser des criblages de l’ordre de 50 000 composés. Les centres concernés sont : la plate-forme PCBIS (platform of integrative che-mical biology de Strasbourg), la plate-forme de l’Institut Pasteur à Paris, la plate-forme de l’USR3388 Pierre Fabre à Toulouse et la plate-forme du CMBA (criblage de molécules bioactives) à Grenoble (�). Cette initiative est née de plusieurs constats. Tout d’abord, ce dépôt permet de favoriser le criblage de la Chimiothèque Nationale dans son ensemble. Il réduit les coûts en termes d’envoi de plaques puisque les plates-formes géreront les jeux de plaques. Enfin, le fait que ces plates-formes disposent de copies intégrales des collections Chimio-thèque Nationale ouvre aux laboratoires qui possèdent de petites collections la possibilité de voir leurs substances participer à de grandes campagnes de criblage, ce qui, à terme, devrait permettre d’attirer de nouveaux contributeurs à la Chimiothèque Nationale (cercle vertueux).

Centre unique de gestion et de distribution de la Chimiothèque NationaleIl apparaît déjà depuis un certain temps que la Chimiothèque Nationale serait plus efficace si elle était regroupée et distribuée de manière unique et homogène. Si la distribution sur certains centres

de criblage représente déjà une avancée remar-quable dans ce sens, un centre unique de gestion et de distribution de plaques permettrait de la distribuer à d’autres cribleurs intéressés et de pouvoir aussi distribuer la chimiothèque essen-tielle. Des demandes de financement ayant échoué à plusieurs reprises, de nouvelles options sont envisa-gées comme le recours à un prestataire de ser-vice pour l’hébergement et la distribution de la Chimiothèque Nationale.

Actions de fédération des communautésDans un souci de promouvoir le criblage à l’échelle européenne, les communautés de chimiothécaires, chémoinformaticiens et cribleurs ont participé active-ment à l’ESFRI (European strategy forum on research infrastructures) EU-Openscreen [7]. Cette ESFRI arrive bientôt au terme de sa phase préparatoire et a voca-tion à proposer le criblage à travers des plates-formes à très haut débit d’une chimiothèque européenne (composée de collections académiques et de com-posés commerciaux sélectionnés par les chémoinfor-maticiens) [8]. Si ce projet aboutit, la Chimiothèque Nationale deviendra le point d’entrée national pour cette infrastructure européenne. Il faut noter que la Chimiothèque Nationale est la seule chimiothèque européenne composée de molécules collectées dans

Chimiothèque

Validation de la touche(pureté et activité biologique)

Envois de poudres pour criblage secondaireResynthèse de composés si nécessaire

MTA

240 publications, 49 demandes de brevet

Si la touche n’est pas développable (point de vuedu chimiste) ou le mode d’action peu intéressant

Programmes de chimie conduits par le chimiste expert dans cette famille de composés

150 réponses aux appels d'offre, 7 start-ups en lien avec l'activité8 start-ups créées en réponse à des résultats de criblage

Rech

erch

e

STOP

Projets de recherche

PublicationsBrevets

Touche

Criblage

Plat

e-fo

rme

Cible connueCriblage

Criblage

Cible non connue

Synthèseparallèle

Synthèseparallèle

Optimisation

Chimiothèque

Touches

Criblage virtuel(cible)

Criblage virtuel(ligand)

Chimiothèqueciblée

~ 100 analogues

Sondes ou leads• Activité améliorée

• Sélectivité améliorée

Identificationde la cible

Figure 3. Fonctionnement et bilan de la Chimiothèque Nationale.

Figure 4. Stratégies post-criblage.

(�) voir la Synthèse de F. Chevalier et E. Maréchal, m/s n° 3, mars 2015, page 320

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SUMMARYThe French National Compound Library: advances and future prospectsThe French National Compound Library (Chimiothèque Nationale) has been created in 2003 and is the federation of local collections. It contains more than 56 000 small molecules and natural compounds synthesised or isolated in different laboratories over the past years. This explains the diversity of the collection. The strength of this initia-tive is the ability to connect chemists and biologists for the development of hits. This development involves the synthesis of analogues or/and chemical tools to find new targets. These collaborations lead to the identification of new chemical probes. These probes able to modulate a biological function are essential to study biological pathways. They can also be useful for therapeutic appli-cations. This article will describe the major achievements and perspectives of the French Chemical Library. ‡

LIENS D’INTÉRÊTL’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

RÉFÉRENCES

1. McCarthy A. The NIH molecular libraries program: identifying chemical probes for new medicines. Chem Biol 2010 ; 17 : 549-50.

2. Macarron R, Banks MN, Bojanic D, et al. Impact of high-throughput screening in biomedical research. Nat Rev Drug Discov 2011 ; 10 : 188-95.

3. Prudent R, Soleilhac E, Barette C, et al. Les criblages phénotypiques ou comment faire d’une pierre deux coups : découvrir la cible et la molécule pharmacologique capable de la réguler. Med Sci (Paris) 2013 ; 29 : 897-905.

4. Hibert MF. French/European academic compound library initiative. Drug Discov Today 2009 ; 14 : 723-5.

5. Krier M, Bret G, Rognan D. Assessing the scaffold diversity of screening libraries. J Chem Inf Model 2006 ; 46 : 512-24.

6. Ruggiu F, Gizzi P, Galzi JL, et al. Quantitative structure-property relationship modeling: a valuable support in high-throughput screening quality control. Anal Chem 2014 ; 86 : 2510-20.

7. Frank R. EU-OPENSCREEN : a European infrastructure of open screening platforms for chemical biology. ACS Chem Biol 2014 ; 9 : 853-4.

8. Horvath D, Lisurek M, Rupp B, et al. Design of a general-purpose European compound screening library for EU-OPENSCREEN. ChemMedChem 2014 ; 9 : 2309-26.

9. Rognan D, Bonnet P. Les chimiothèques et le criblage virtuel. Med Sci (Paris) 2014 ; 30 : 1152-60.

des laboratoires académiques de taille importante et organisée. En effet, d’autres pays possèdent des collections organisées commer-ciales et quelques chimiothèques collectées en milieu académique mais de tailles beaucoup plus faibles.

Bilan et perspectives

La Chimiothèque Nationale a permis de fédérer les initiatives locales et présente un bilan très positif concernant son criblage en milieu aca-démique. Les nombreuses collaborations générées par le criblage ont débouché sur des projets très fructueux. Plus de 240 publications ont été recensées ainsi que 49 demandes de brevets. Enfin, 14 start-ups ont été créées à partir de résultats de criblage ou d’activités associées aux chimiothèques.Ces succès reposent sur des criblages partiels de la Chimiothèque Nationale. On peut donc s’attendre à l’augmentation de ces succès. En effet, la mise en plaques des petites collections réalisée en 2013 a permis d’accroître la taille de la collection. Enfin, les actions récentes de mise à disposition de la Chimiothèque Nationale sur des plates-formes de criblage, ainsi que la constitution d’un centre unique de gestion de la Chimiothèque Nationale, devraient accentuer le criblage total de la collection et augmenter le nombre de touches, et donc, à terme, de succès.Les plates-formes de criblage peuvent sans difficulté cribler la totalité de la collection (environ 50 000 molécules) puisque celle-ci est dorénavant disponible sur un certain nombre de plates-formes et que la constitution d’un centre unique de gestion et de distribution semble imminente. Sachant que le taux moyen de touches sur un criblage avoisine les 1 %, il est nécessaire d’avoir une collection importante et très diverse pour trouver des touches intéressantes. Le criblage total et régulier de la Chimiothèque Nationale permettrait aussi de pouvoir annoter un large panel de résultats biologiques de manière à mieux prédire ou comprendre l’activité des petites molécules.Le seul frein à ces criblages totaux reste leur coût, même si ce coût n’est finalement pas exorbitant (de 1 à 10 € par composé criblé, selon la complexité du test). Le problème réside notamment dans la difficulté à trouver des appels d’offres qui permettent de financer le criblage ainsi que les premiers travaux de post-criblage. Des finan-cements sont nécessaires pour transformer le potentiel que repré-sente le criblage de la Chimiothèque Nationale en termes à la fois de compréhension des mécanismes du vivant et de valorisation. ‡

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TIRÉS À PARTF. Mahuteau-Betzer

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médecine/sciences Chémobiologie (10)Force et spécificité du criblage pour des molécules bioactives au CMBA-GrenobleUne plate-forme dédiée à la découverte et à l’analyse de molécules bioactives et candidats médicamentsCaroline Barette1, Emmanuelle Soleilhac1, Céline Charavay1, Claude Cochet2, Marie-Odile Fauvarque1

> Utilisées comme sondes chimiques, les molécules bioactives possèdent un champ d’application qui inclut et dépasse leur valorisation comme médicaments et met en exergue l’art d’utiliser des molécules pour découvrir de nouvelles infor-mations sur le vivant. La plate-forme de criblage CMBA localisée à Grenoble effectue des cribles robotisés sur cellules vivantes ou sur protéines purifiées, et caractérise l’activité de molécules chimiques par imagerie automatisée. Tous les domaines d’application en biologie, santé ou environnement sont concernés, avec d’ores et déjà des molécules sélectionnées pour leur poten-tiel dans les domaines de la santé (cancer, mala-dies infectieuses) ou des bioénergies. >

raison des risques élevés d’échecs et des coûts toujours croissants de la valorisation clinique de nouvelles molécules thérapeutiques, il semble légitime de se poser la question des chances de réussite des labo-ratoires de recherche académiques dans la découverte de molécules bioactives ou de nouveaux médicaments [1]. La réponse réside au sein même de ces laboratoires, où les meilleurs experts internatio-naux - forts de nombreuses années de recherche dans leur domaine de spécialité - ont élaboré une panoplie de tests biologiques ingénieux et pertinents. Or, le développement d’un test biologique pertinent est la clé de la réussite des cribles automatisés à haut-débit (high throughput screening ou HTS) ou par imagerie automatisée (high content screening ou HCS). À défaut d’interroger un très grand nombre de molécules, les plates-formes académiques mettent en place des stratégies de criblage moléculaire (sur protéines purifiées) ou phé-notypiques (sur cellules vivantes) de collections représentatives d’un espace chimique diversifié ou, au contraire, de collections focalisées

1 Université Grenoble Alpes ; CEA-Direction des sciences du vivant, Institut de recherches en technologies et sciences pour le vivant, iRTSV-BGE-CMBA, CEA-Grenoble ; Inserm UMRS_1038, 17, rue des Martyrs, 38054 Grenoble Cedex 9, France ;2 Université Grenoble Alpes ; CEA-Direction des sciences du vivant, Institut de recherches en technologies et sciences pour le vivant, BCI ; Inserm UMRS_1036, iRTSV-BCI-KIN, CEA-Grenoble, 17 rue des Martyrs, 38054 Grenoble Cedex 9,[email protected]@cea.fr

m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104017

En tant que composés chimiques interférant avec le vivant, les molécules bioactives représentent des enjeux majeurs pour la santé et l’environnement. Iso-lées à partir d’extraits naturels de divers organismes vivants (plantes, bactéries, champignons, organismes marins, etc.), les molécules bioactives peuvent ensuite être purifiées ou synthétisées au bénéfice de notre pharmacopée moderne (par ex. aspirine, paclitaxel, antibiotiques, etc.). Une autre stratégie de découverte consiste à sélectionner des molécules bioactives à par-tir de collections de molécules fabriquées par synthèse chimique (par exemple Glivec1). Dans la plupart des cas, la découverte de molécules bioactives repose sur la capacité à cribler de manière automatisée plusieurs milliers à centaines de milliers de composés stockés en microplaques - les chimiothèques - dans des tests biologiques adaptés à ce format et utilisant des pro-téines purifiées ou des cellules mises en culture. En

1 Le Glivec ou Imatinib est un inhibiteur de tyrosine kinase utilisé dans le traitement des leucémies myéloïdes chroniques ; il inhibe l’activité kinase de la protéine de fusion BCR-ABL.

Cet article fait partie de la série « Chémobiologie » dont la parution a débuté dans le n° 12, vol. 30, décembre 2014 (www.medecinesciences.org).

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cules synthétisées et collectées par les laboratoires de chimie français au sein de la Chimiothèque nationale (CN, http://www.chimiotheque-nationale.org/) [10, 38] (�). Le crible pilote apporte la preuve de concept de la pertinence bio-logique du test, de sa robustesse statistique et de sa portabilité sur une plate-forme automatisée. Le CMBA-Grenoble est ensuite en mesure de réaliser un crible primaire de tout ou partie de ses collec-tions commerciales ou académiques totalisant plus de 60 000 entités moléculaires [11] (Figure 1). Les molécules candidates issues du crible primaire d’une ou plusieurs chimiothèques sont testées à nouveau dans un crible de validation pour sélectionner des « touches » (hits en anglais) confirmées. Grâce à l’accès à des bases de données de molécules dispo-nibles sur le marché, le porteur de projet sera aidé par les ingénieurs de la plate-forme pour le choix d’une série d’analogues à tester afin de déterminer les fonctions chimiques strictement nécessaires à l’activité biologique de chaque molécule touche (SAR pour structure activity relationship), ainsi que pour la mise en œuvre de tests biologiques complémentaires qui conduiront à la sélection d’une « sonde chimique » ou « tête de série » (lead). Cette sonde a toutes les chances de constituer un outil puissant et original pour la poursuite d’une recherche de pointe dans le domaine étudié par le scientifique qui dirige le projet [3, 12-14], et, selon l’objectif visé, elle entrera, ou non, dans un processus d’optimisation et de valorisa-tion pharmacologique ou industrielle (Figure 1).

Des molécules pour modifier la fonction d’une cible thérapeutique : l’exemple de la protéine kinase CK2

Jusqu’à ces dernières années, les efforts de la commu-nauté scientifique, aussi bien dans le monde acadé-mique qu’industriel, se sont essentiellement concentrés sur la recherche de molécules capables d’interférer avec des protéines, autrement dit, des cibles thérapeutiques, dans l’espoir de contrer leur pouvoir pathogénique (on parle d’approche target-based) [15]. Le CMBA-Grenoble dispose des méthodologies néces-saires à la mise en œuvre de tests réalisés in vitro sur des protéines d’intérêt en biologie. En recherche, les molécules sélectionnées par ce type d’approche sont en tout premier lieu utilisées pour bloquer tout ou partie des fonctions d’une protéine, à l’image des mutations en génétique [16, 17]. Les sondes chimiques utilisées dans ces essais permettent cependant de s’affranchir

en fonction de l’effet recherché. Cette tendance se retrouve également dans les industries pharmaceutiques : ces dernières années ont vu une réduction du criblage à très grande échelle (> 100 000 molécules) au profit d’une stratégie qui fait appel à des chimiothèques plus réduites, avec un ensemble de composés parfois sélectionnés in silico sur des critères prédictifs (comme la biocompatibilité, la capacité à cibler des interfaces protéine-protéine, ou encore la capacité à s’insérer dans un site catalytique dont la structure est connue). Les criblages phénotypiques qui s’effectuent sur cellules vivantes, voire sur des organismes vivants uni- ou pluricellulaires (algues, amibes, vers nématodes, poissons zèbre, mouches drosophiles) offrent quant à eux une pertinence accrue vis-à-vis de la maladie ciblée et/ou de la physiologie du système biolo-gique étudié, puisqu’ils permettent l’intégration d’un phénotype à l’échelle d’un organisme entier [2, 37] (�). Utilisés quotidiennement en laboratoire, les tests et le savoir-faire des chercheurs constituent une ressource largement sous exploitée pour le criblage et la découverte de molécules bioactives. Le champ d’appli-cation de ces molécules ne se limite pas au secteur du médicament : les molécules chimiques découvertes au centre de criblage pour des molécules bioactives du CEA-Grenoble (CMBA-Grenoble) se révèlent des outils prometteurs tant en recherche fondamentale [3-9] que pour des applications dans les domaines de la santé2, de l’environne-ment ou des bioénergies3.

Stratégie de criblage du CMBA

Les plates-formes de criblage académiques ouvertes à la commu-nauté scientifique, telles que le groupe de chimie combinatoire, criblage cellulaire et chémogénomique (G5C, labélisé IBiSA, http://www.ibisa.net/), qui regroupe le CMBA-Grenoble et le CCHD (chimie combinatoire et criblages à haut débit du CEA-Saclay), jouent un rôle essentiel pour inciter et aider les chercheurs à utiliser « l’or » qu’ils ont entre les mains, en d’autres termes, pour transposer un savoir-faire et des essais expérimentaux imaginés par les chercheurs, en tests automatisables adaptés au criblage robotisé. Concrètement, les membres du CMBA-Grenoble accompagnent les scientifiques dans l’évaluation de la faisabilité de leur projet de criblage, et les assistent dans les étapes de miniaturisation et d’optimisation d’un test biologique « de paillasse » en microplaques (96 ou 384 puits) (Figure 1). Ils procèdent ensuite à l’automatisation du test avant sa mise en œuvre dans un crible pilote d’une banque de molécules chimiques de petite ou moyenne envergure, typiquement la collec-tion Prestwick Chemical Library® - constituée de 1 280 molécules majoritairement approuvées pour une utilisation en clinique -, ou la CNE (Chimiothèque nationale essentielle) qui comprend 640 molé-cules de structures variées représentatives de près de 35 000 molé-

2 Feige et al., demande prioritaire PCT/IB2012/050452 ; Lafanechère et al., demande prioritaire PCT/IB2010/000538 ; Soleilhac et al., demande prioritaire FR/2013/0054925 ; Djeneb et al., demande prioritaire PCT/IB2012/052246.3 Conté et al., demande prioritaire EP/2014/0305111.

(�) Voir la Synthèse de Florence Mahuteau-Betzer, page 417 de ce numéro

(�) Voir la Synthèse de C. Voisset et M. Blondel, m/s n° 12, décembre 2014, page 1161

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ESlus extérieurs (sans interférer avec l’état physiologique de cette cellule préalablement à l’expérience, ce qui n’est pas possible dans le cas d’une mutation perma-nente de la protéine). Finalement, les sondes chimiques peuvent interférer de façon partielle avec la fonc-tion d’une protéine. Ainsi, un inhibiteur enzymatique permet de différencier la fonction catalytique d’une enzyme de son rôle structurel dans la formation de complexes multi-protéiques. A contrario, un inhibiteur

d’éventuels problèmes de létalité causés par la perte d’une pro-téine induite par les mutations. En outre, elles évitent des problèmes de redondance fonctionnelle en ciblant l’ensemble des protéines similaires. Les sondes chimiques représentent aussi des outils d’inves-tigation irremplaçables pour aborder des questions sous un angle dynamique : l’expérimentateur peut évaluer les effets biologiques d’une molécule dans les minutes qui suivent son addition au milieu de culture cellulaire, afin de comprendre le rôle de sa cible biologique dans des processus d’adaptation ou de réponse cellulaire à des stimu-

Figure 1. Stratégies de criblage et de valorisation. À partir d’un test biologique « de paillasse » imaginé par un chercheur, les ingénieurs du CMBA définissent des contrôles pour la validation statistique du test et élaborent les conditions optimales d’automatisation en termes de débit et de pertinence pour l’identification des molécules bioactives recherchées. Une fois validé, ce test est mis en œuvre lors d’un crible « preuve de concept » sur des banques de molécules de taille restreinte, avant le crible d’une plus grande collection de molécules. Les molécules candi-dates issues du crible primaire (hits primaires) sont repiquées parmi les stocks (hit-picking) et regroupées en microplaques pour être testées à nouveau lors d’un crible de validation. À l’issue du crible secondaire, les molécules touches validées (ou confirmed hits) sont optimisées par étude de la relation structure-activité (SAR) à partir d’analogues struc-turaux présentant des fonctions chimiques modifiées. Au cours de la SAR, toute une batterie de tests biologiques sont proposés, dont des tests phénotypiques par imagerie à haut contenu (voir Figure 3), afin de caractériser l’activité biologique des composés (profilage pharmaceutique). Au

terme de ce processus, les molécules présentant une bioactivité maximale et une bonne sélectivité sont sélectionnées comme sondes pour des stratégies de génétique chimique en recherche fondamentale. Les molécules présentant un potentiel thérapeutique sont valorisées via un dépôt d’invention, la création de start-up et/ou le transfert à un partenaire industriel. La méthodologie de criblage est l’étape souvent la plus longue et la plus délicate du processus de criblage à haut-débit. Une fois validée par un crible « preuve de concept », elle représente un savoir-faire à haute valeur ajoutée qui peut être transféré directement à un partenaire industriel.

Test biologique « de paillasse »Étude de faisabilité

Validation statistique

MiniaturisationOptimisation

Automatisation

Crible « preuve de concept »(640 à 1 280 composés)

Crible primaire(10 à > 60 000 composés)

Molécules touches

Touches confirmées (hits)

Hit-picking

Crible secondairePlate-forme robotique,

CMBA, CEA-Grenoble

Relation structure-activité (SAR)Tests biologiques des hits et d’analogues-HCS/HCA

Sondes chimiques ou candidats médicaments

Outils de recherchefondamentale

Start-up et/outransfert vers

un partenaire industriel

Synthèse chimique(CCCHD, CEA-Saclay)

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l’acide 2,8-difurandicarboxylique sont également de puissants inhibiteurs compétitifs de l’ATP, à la fois pour CK2 et la kinase PIM, une autre sérine/thréonine kinase oncogénique. Les structures cris-tallographiques des complexes réalisés avec CK2 (ou PIM) montrent comment ces inhibiteurs chimiques se logent dans le site catalytique en prenant la place du substrat de l’enzyme (Figure 2B). CK2 et PIM sont des protéine kinases constitutivement actives, dont la fonction est altérée conjointement dans les leucé-mies et le cancer de la prostate. La faculté de bloquer

simultanément CK2 et PIM dans ce type de cancers est donc particulièrement intéressante [6]. Des dérivés des azonaphatalènes, qui induisent un changement de conformation de type allostérique après leur fixation sur CK2, se montrent efficaces dans un modèle de xénogreffes de glioblastome [4]. Les polyoxométalates (POM), quant à eux, sont des agrégats nanométriques anioniques de métaux de transition (vanadium, molybdène, tungstène). Ces molécules ciblent un segment régulateur de CK2 avec une forte affinité, et l’inhibent par un mécanisme de type allostérique, en bloquant l’interaction entre le segment d’activation et la région amino-terminale de la kinase [7, 8]. Bien que n’ayant pas les propriétés requises pour une utilisation sur des cellules vivantes, ces molé-cules représentent néanmoins des sondes moléculaires intéressantes pour la détermination d’un site d’inhibition allostérique et la compréhension du mode de régulation de l’enzyme. L’association réversible des sous-unités catalytiques et régulatrices de CK2 est un paramètre essentiel à la régulation de l’activité cellulaire de cette kinase

d’interaction protéine-protéine empêchera spécifiquement l’interac-tion d’une protéine avec un de ses partenaires tout en laissant libres d’autres interfaces fonctionnelles. Finalement, la détermination de la structure d’une protéine peut être facilitée par sa co-cristallisation avec une sonde chimique déterminée dans ces essais, qui favorise sa stabilisation dans un état actif ou inactif [18]. La démonstration du potentiel oncogénique de la protéine kinase CK2 et sa validation comme biomarqueur dans différentes pathologies cancéreuses font de cette kinase une cible attractive pour la recherche de petites molécules d’intérêt thérapeutique [19, 20]. Cette sérine/thréonine kinase est une holoenzyme formée de l’association réversible de deux sous-unités catalytiques ou ’ avec un dimère de deux sous-unités régulatrices (Figure 2A). La multiplicité de ses cibles et de ses fonctions biologiques nécessite des outils d’investigation dynamique impliquant de nouvelles sondes chimiques [21]. La mise au point d’un test enzymatique simple et robuste a permis d’identifier des inhibiteurs présentant des propriétés anticancéreuses prometteuses (Tableau I). Ainsi, des dérivés des pyridocarbazoles et des benzopyridoindoles ont été caractérisés comme des inhibiteurs de CK2, agissant comme com-pétiteurs de l’ATP et présentant des propriétés antiprolifératives dans un modèle de xénogreffe de glioblastome humain [5]. Trois dérivés de

Figure 2. Structure de l’holoenzyme CK2. A. CK2 est un com-plexe moléculaire formé par l’association réversible de deux sous-unités catalytiques ’ avec un dimère de sous-uni-tés régulatrices . Le criblage de diverses chimiothèques a permis d’identifier plusieurs familles d’inhibiteurs ciblant le site catalytique sur ’ (ATP compétitifs) ou l’inter-face entre les 2 sous-unités (voir Tableau I). Les deux types d’inhibiteurs devraient avoir des effets différents sur l’activité de CK2 : les inhibiteurs ATP compétitifs affectent la phosphorylation de tous les substrats de la kinase, alors que les antagonistes de l’interaction entre ses sous-unités perturbent spécifiquement les substrats dont la phospho-rylation dépend de cette interaction protéine-protéine. B. Structure du site catalytique de CK2 en présence d’un inhibiteur ATP compétitif (l’acide 2,8-difurandicarboxy-lique). La structure plane et le groupement carboxyle de cette molécule lui permettent de s’insérer dans le site de liaison de l’ATP pour y former une liaison forte avec la lysine catalytique (K68).

Sous-unités catalytiques ( , ’)

Inhibiteurd’interaction

protéine-protéine

InhibiteurATP compétitif

Sous-unités régulatrices ( )

H115

N118

M163 I95

I174

W176

I45V66

V53

F113

K68E81

D175

A

B

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[22]. Une approche peptidique ainsi qu’une stratégie de criblage in silico ont permis d’identifier les premières molécules qui, en ciblant cette interface, inhibent cette interaction protéine-protéine de haute affinité [23]. Ces molécules originales sont à l’origine d’une stratégie non conventionnelle destinée à manipuler l’activité catalytique de CK2 dans les cellules normales ou cancéreuses [9, 24].

Les promesses du criblage phénotypique et du criblage à haut contenu en information : des stratégies à haut potentiel développées au CMBA

La possibilité d’interférer chimiquement avec une cible biologique purifiée a largement incité la recherche de nouvelles cibles pertinentes par des approches génétiques, génomiques ou protéomiques et vice versa. Cependant, l’inhibition d’une seule cible ne suffit pas toujours à enrayer des maladies d’origine multifactorielle ; ce constat est parti-culièrement vrai pour le cancer, où l’apparition de cellules résistantes à la chimiothérapie provoque rechutes et métastases. D’où parfois un sentiment mitigé de réussite des approches pharmacologiques de criblage target-based au cours de ces deux dernières décennies. Le criblage phénotypique aborde différemment la question de l’effica-

cité d’une molécule : il s’agit de trouver un composé chimique capable d’altérer une fonction cellulaire sans avoir d’indication préalable sur la nature moléculaire de sa (ou de ses) cible(s) biologique(s) (approche phenotype-based) [25]. Ainsi, un test phénotypique permet, par exemple, de sélectionner des molécules qui exercent une toxicité différentielle vis-à-vis de cellules cancéreuses et de cellules saines. Dans cette approche, on pourra également rechercher la perte, ou l’appa-rition, d’un biomarqueur cellulaire caractéristique du cancer, de l’inflammation, d’une infection virale ou bactérienne, ou de tout autre processus biologique d’intérêt, notamment grâce aux techniques de mar-quage en fluorescence [11, 26, 27].Dans le cadre de travaux de recherche fondamentale sur le vivant, le processus d’identification de la (ou des) cible(s) des composés sélectionnés sur des modèles cellulaires sera motivé par les informations précieuses qu’il peut apporter, puisqu’à partir d’un phénotype altéré, le chercheur identifiera la protéine responsable du phénotype normal, à l’image du généticien qui

Molécule Cible IC50Structure chimique

Mécanisme d’action

Champ d’application

Ellipticines et analogues (pyridocarbazoles et benzopyridoindoles)

CK2 300-500 nMATP compétitif, ciblent le site catalytique

Glioblastomes (tests précliniques sur xénogreffes de glioblastomes) [5]

Acide 2,8-difurandicarboxylique (et dérivés)

CK2PIM

50-100 nMATP compétitif, ciblent le site catalytique

Leucémies, cancer de la prostate [6]

Azonaphtalènes (Quinobène)

CK2 400 nM

Inhibiteurs allostériques (induisent un changement de conformation du site catalytique)

Propriétés antitumorales (sur cellules cancéreuses en culture et régression tumorale [xénogreffes de glioblastomes]) [4]

Composés inorganiques de la famille des Polyoxométalates (POM)*

CK2 1-5 nMNon ATP compétitifs, Ciblent un segment régulateur de CK2[8]

Mécanisme d’inhibition de l’activité kinaseActifs in vitro uniquement

Tableau I. Inhibiteurs de CK2 : mécanismes d’action et champs d’application. *Les POM sont des complexes de métaux de transition et de ligands oxo de formule : MO4

n- où M = molybdate, vanadate, ou tungstène. Leur structure repose sur la connexion de polyhèdres de métaux de transi-tion (M) avec des atomes d’oxygène (O). Leur composition et leur structure sont donc fondamentalement différentes de celles des inhibiteurs organiques qui, eux, ont un squelette en carbone. Les trois familles principales de POM sont les structures de type : Anderson (XM6O24

n-), Keggin (XM12O40

n-), et Dawson (X2M18O62n-). La structure représentée ici est de type Dawson.

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et de l’analyse automatiques de multiples images de cellules traitées ou non par des molécules chimiques (méthodologie de high content screening (HCS)/high content analysis (HCA)) [26, 28-30, 39] (�). Le CMBA- Grenoble poursuit ainsi un effort de recherche et déve-loppement dans la mise au point d’une panoplie de tests phénoty-piques qui peuvent être directement utilisés, soit pour la phase de criblage primaire de petites collections de molécules, soit pour la caractérisation du profil d’activité biologique de molécules d’intérêt [31]. Les essais disponibles, ou en cours de développement, au CMBA-Grenoble incluent notamment des tests de mesure de la viabilité cellulaire, de la dynamique du cytosquelette microtubulaire, de l’autophagie,

enrichit les connaissances sur le génome en identifiant le gène associé à un phénotype mutant ou à une maladie génétique. Ainsi, un crible réalisé au CMBA-Grenoble sur plus de 30 000 molécules (Chimiothèque nationale, ChemBridge) par le Dr Laurence Lafanechère a conduit à la sélection de molécules capables de bloquer la dynamique du réseau de microtubules. Certaines des molécules ainsi caractérisées sont sus-ceptibles d’être développées comme agents thérapeutiques en raison de leur capacité à bloquer la prolifération in vivo de lignées cellulaires cancéreuses. En outre, l’identification de la LIM kinase comme cible directe d’une de ces molécules (nommée Liminib) a permis la mise en évidence du rôle de cette enzyme dans la régulation du réseau de microtubules via la phosphorylation de la cofiline [3, 11].Ces dernières années, le criblage phénotypique connaît une expan-sion considérable avec l’apparition de microscopes entièrement automatisés. Ceux-ci offrent la possibilité de visualiser et de quan-tifier des phénotypes cellulaires complexes à partir de l’acquisition

428

Figure 3. Développement des tests phénotypiques adaptés au HCS/HCA. Différents tests phénotypiques en plaque multipuits ont été développés pour analyser le réseau microtubulaire et les plaques d’adhésion focales, quantifier le nombre d’autophagosomes ou la translocation nucléaire de facteurs de transcription. Pour chaque test, des protocoles spécifiques d’acquisition et d’analyse automatiques d’images sont mis en place en vue d’une utilisation en routine. Certains de ces essais sont développés en collaboration avec des chercheurs de l’iRTSV (Dr E. Faudry pour le test d’infection de cellules humaines par des bactéries ; Dr O. Filhol pour le test de toxicité sur sphéroïdes, etc). Ces tests peuvent être utilisés dans le cadre de criblage de petites collections de molécules ou pour accélérer et approfondir la caractérisation des molécules touches (hits) préalablement sélectionnées par criblage robotisé. Dans ce dernier cas, la puissance de cette technologie réside dans la possibilité d’étudier les molécules bioactives en plusieurs réplicats, dose-réponse, cinétique ou encore sur cellules vivantes, dans un délai relativement court (quelques jours à quelques semaines).

Analyse du réseaude microtubules

Quantificationdes autophagosomes

Évaluation de l’infectionde cellules humaines

par des bactéries

HCS/HCA

Quantification des plaquesd’adhésion focales

Analyse de la toxicité sur des

cultures cellulairesen 3-dimensions

(sphéroïdes)

Études réalisées en réplicats,dose-réponse, cinétique pour une

caractérisation poussée des moléculesbioactives isolées par criblage automatisé

1,51,41,31,21,1

10,001 0,01 0,1 1 10

Concentration ( M)

Ratio

Nuc

/Cel

lIn

tens

ity

0 60 120 180 240Time (min)

Nuc/

Cell

Inte

nsity

0,600,700,800,901,001,101,20

Quantification de la translocationnucléaire de NF- B

(�) Voir la Synthèse de P.O. Vidalain et al., m/s n° 1, janvier 2015, page 98

Fauvarque_Chemobiologie.indd 428Fauvarque_Chemobiologie.indd 428 22/04/2015 11:21:3422/04/2015 11:21:34

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de nouvelles molécules bioactives. Dans cette optique, et afin de s’inscrire dans une démarche qualité, le logiciel TAMIS (Tool to analyse and manage information of screening) a été développé en étroite collaboration avec des informaticiens du GIPSE4 (iRTSV, CEA-Gre-noble). Ce logiciel assure une gestion optimale des collections de molécules ainsi que l’analyse statistique des résultats de criblage (Figure 4). TAMIS permet d’une part de gérer les collections de molécules selon des concepts à la fois chimiques (structure, formule, etc.) et pratiques (généalogie des solutions de molécules) et, d’autre part, de sécuriser les données brutes issues des criblages dans une base de données à partir de laquelle sera effectuée l’analyse statistique permet-tant de sélectionner les molécules bioactives d’intérêt. TAMIS évolue continuellement, notamment pour l’inté-gration de méthodes d’analyses statistiques innovantes dédiées à l’analyse des résultats de HTS et HCS ; ces méthodes ont été développées en collaboration avec le Pr R. Nadon de l’Université de Montréal [32-35].

4 Groupe informatique pour le sud-est.

de quantification de plaques d’adhésion focales, de localisation subcellulaire de facteurs de transcription, etc. (Figure 3). L’ouver-ture de cette activité à des équipes de recherche donne lieu à des collaborations dans divers domaines de recherches fondamentale et appliquée. Par exemple, le Dr E. Faudry (iRTSV, CEA-Grenoble) a développé un test en microplaques permettant l’évaluation de l’infection de cellules humaines par différentes souches de bactéries (Figure 3). Outre les microscopes et les logiciels d’analyse, toujours plus performants, les techniques de culture cellulaire évoluent vers des systèmes en 3-dimensions reconstituant autant que possible le microenvironnement cellulaire existant dans un organe, en reprodui-sant partiellement les contraintes mécaniques. Dans cette optique, le CMBA-Grenoble développe, en collaboration avec le Dr O. Filhol (iRTSV, CEA-Grenoble), l’acquisition et l’analyse automatisées de sphéroïdes par HCS/HCA pour l’évaluation de la toxicité de composés bioactifs (Figure 3).

Gestion et analyse des données de criblage : le logiciel TAMIS

La notion de haut débit, et a fortiori de haut contenu, suggère la pro-duction de grandes quantités de données qu’il faut pouvoir conserver et analyser avec toute la traçabilité nécessaire à l’identification fiable

Figure 4. Le logiciel TAMIS. Le logiciel TAMIS a été développé dès la mise en place de la plate-forme CMBA pour gérer les collections de molécules, analyser les données issues des criblages et sécuriser le lien entre bioactivité détectée et identité de la molécule. Ce logiciel intègre également différentes méthodes de normalisation statistique et assure un contrôle qualité des données (facteurs Z/Z’, détection de singularité, stacking function, etc.).

Visualisationdes touches

Paramètresstatistiques

• Gestion des chimiothèques• Analyses des données de criblage• Normalisations statistiques (Pr R. Nadon, Université McGill, Montréal)• Analyse comparative des cribles• Démarche qualité ( labellisation IBiSA)

Cribles secondairesRelation structure-activité (SAR)

Test d’analogues

Repiquage des touchesparmi les stocks

Sélection des touches

Seuillage

TAMIS

« Tool to analyze and manage information of screening »Développé en collaboration avec le GIPSE (C. Charavay, iRTSV)

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Le criblage moléculaire, une stratégie plus que jamais pertinente dans le monde académique

Les résultats de cette dernière décennie montrent que les activi-tés de criblage moléculaire dans le monde académique offrent un véritable potentiel pour la recherche fondamentale, la recherche translationnelle et le rayonnement scientifique des laboratoires. Cette activité est en plein essor dans les universités américaines [28, 36]. En recherche, les stratégies de génétique chimique constituent un formidable potentiel pour l’étude de toutes sortes de processus physiologiques ou pathologiques avec des contraintes de biodispo-nibilité et de toxicité bien moindres - et largement surmontables - quand il est question de traiter des cellules en culture avec des sondes chimiques, que lorsqu’il s’agit d’administrer des médica-ments à des patients. La valorisation de molécules bioactives en médicaments relève aussi en grande partie de la puissance publique puisqu’ils sont destinés à combattre des fléaux sociétaux ou envi-ronnementaux, dans un contexte où certains de ces secteurs sont délaissés par le monde industriel, soumis à une contrainte de ren-tabilité immédiate. Le véritable défi actuel pour le développement de molécules à visée thérapeutique est de réduire le taux d’attri-tion observé lors de la transition préclinique-clinique. Celui-ci est essentiellement dû à la toxicité ou à la médiocre biodisponibilité des molécules caractérisées. On peut espérer que le développement de tests phénotypiques sur des cellules vivantes permette d’anticiper la toxicité et l’efficacité des molécules dès le statut de touche, et ceci tout au long des programmes de développement conduisant à des molécules thérapeutiques. ‡

SUMMARY Strength and specificity of the CMBA screening platform for bioactive molecules discoveryUsed as powerful chemical probes in Life science fundamental research, the application potential of new bioactive molecular entities includes but extends beyond their development as therapeutic drugs in pharma-cology. In this review, we wish to point out the methodology of chemical libraries screening on living cells or purified proteins at the CMBA aca-demic platform of Grenoble Alpes University, and strategies employed to further characterize the selected bioactive molecules by phenotypic profiling on human cells. Multiple application fields are concerned by the screening activity developed at CMBA with bioactive molecules pre-viously selected for their potential as tools for fundamental research purpose therapeutic candidates to treat cancer or infection, or promi-sing compounds for production of bioenergy. ‡

LIENS D’INTÉRÊTLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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ISBN : 978-2-7598-1138-0 180 pages

L a violence s’étend. Comme une mauvaise herbe, elle s’enracine dans nos sociétés européennes avec une sauvagerie nouvelle qui engendre la peur au point de sembler moins l’effet d’une politique locale que d’une civilisation, peut-être même de l’abandon de toute idée de civilisation.

Parce que ce livre est composé à plusieurs voix, il jette un éclairage bref mais précis sur les différentes causes de la violence. Des auteurs de plusieurs pays et de différents corps de métiers analysent la singularité de la violence selon l’angle où chacun l’observe. On découvre ainsi que la violence n’est pas monolithique, anonyme, mais qu’elle procède de l’histoire des pays, parfois de l’oubli de leur histoire. Architecte-urbaniste, avocat, journaliste, psychanalystes - psychiatres, psychologues - mais aussi ados d’une de ces banlieues oubliées, aident à préciser les conditions des manifestations de la violence dans la ville, dans la société, dans la clinique et les différentes fonctions qu’elle peut prendre. Ainsi, ces ados des cités témoignent ici que, convertie, la violence peut aussi devenir vie, énergie et régénérer pour créer, comme ce « polar » qu’ils ont publié alors que brûlaient des autobus…

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médecine/sciences 2015 ; 31 : 432-8

m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104018

médecine/sciences Addictions (1)Les addictions sous l’angle de la génétiqueNicolas Ramoz1, Philip Gorwood1,2

> La génétique des addictions se convertit aux études pangénomiques réalisées par GWAS (genome-wide association study) et, sous l’impulsion de consortiums nationaux et internationaux, de grandes cohortes de patients ont été constituées. Cela a permis d’identifier les premiers gènes de prédisposition aux addictions dans le tabagisme. Les gènes CHRNA5 (neuronal acetylcholine receptor subunit 5), CHRNA3 et CHRNB4, qui codent pour les sous-unités 5, 3 et 4 participant à la constitution des récepteurs nicotiniques, expliqueraient 14 % du risque attribuable pour la dépendance au tabac. Des variants des gènes ADH1B (alcohol dehydrogenase 1B) et ADH1C, codant pour les enzymes alcool-déshydrogénases, ont été associés à la dépendance à l’alcool. Enfin, les gènes ANKK1 (ankyrin repeat and kinase domain containing 1) et DRD2 (dopamine receptor D2), impliqués dans la voie dopaminergique et initialement associés à la dépendance à l’alcool, seraient en fait associés à un processus plus global de dépendance à des substances psychotropes, dont l’héroïne. <

d’une ou plusieurs substances, est largement décrite [1-3]. Ces fac-teurs peuvent s’exprimer différemment au cours de la vie des individus pour conférer une vulnérabilité qui, durant le développement des per-sonnes, conduira au trouble psychiatrique. De plus, les dépendances entraînent, au-delà de la perte de contrôle sur la substance ou le comportement addictif, une souffrance physique et psychique qu’il convient de bien évaluer. Le but premier chez le patient dépendant est la consommation d’une substance, psychotrope ou non, afin d’obtenir du plaisir. Néanmoins, cette consommation peut aussi permettre à la personne d’atténuer une douleur, un stress ou une souffrance. Lorsque la dépendance est installée, la tolérance à la substance fait que le patient aura toujours besoin de consommer plus pour ressentir du plaisir, mais aussi pour réduire la souffrance que cette consommation produit en écho. Ainsi, la diversité des origines des addictions – le plaisir apporté par une substance ou l’effet analgésique lorsqu’on est en souffrance –, comme de leur devenir – rechercher de nouveaux plaisirs par l’augmentation des consommations ou l’instauration de polyconsommations –, peut résulter de l’implication de différentes voies neurobiologiques.Les études épidémiologiques, les évaluations cliniques, les connais-sances en neurobiologie et les progrès de la biologie moléculaire se sont multipliés et affinés ces dernières années, permettant d’identifier et caractériser de nombreux facteurs étiologiques relatifs aux addic-tions. Les études épidémiologiques ont permis de préciser les parts respectives des composantes génétique et environnementale. Les analyses d’agrégation familiale, de familles recomposées et d’enfants adoptés, ainsi que les comparaisons des taux de concordance chez les jumeaux monozygotes et dizygotes, ont permis d’estimer l’héritabilité, qui représente la proportion de la variance phénotypique attribuable aux facteurs génétiques dans les addictions. Ces travaux rapportent

1Inserm unité 894, centre de psychiatrie et neurosciences, 2ter, rue d’Alésia, 75014 Paris, France ;2Clinique des maladies mentales et de l’encéphale (CMME), hôpital Sainte-Anne, université Paris Descartes, 100, rue de la santé, 75674 Paris Cedex 14, [email protected]

Il existe de grandes différences inter-individuelles dans les modalités d’expression des dépendances aux diffé-rents toxiques, ainsi que dans le type et la sévérité des conséquences vécues par les personnes présentant une addiction, ce qui rend difficile l’identification de fac-teurs étiologiques communs aux pathologies addictives. Cependant, l’influence des facteurs génétiques dans le début d’une consommation ou d’un comportement addictif, ainsi que dans la capacité à développer un « trouble de l’usage » (nouvelle appellation du DSM-51 se substituant aux anciens concepts d’abus et de dépen-dance).

Vignette © Inserm/Éric Dehausse, Yasmina Saoudi/Vingt mille lieues sous les mers. Jules Verne - Musée Jules Verne - Ville de Nantes.1 Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM). Le chiffre 5 désigne la 5e édition.

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des sujets contrôles, ou des cohortes familiales (trios, fratries et familles multiplex).Les stratégies d’analyse génétique mises en place dans les addictions sont les mêmes que celles qui ont été développées pour les autres pathologies, à savoir : (1) la génétique classique ; elle s’appuie sur une hypothèse biologique de l’addiction ou un phéno-type, et recherche des mutations ou crible des variants dans un (ou des) gène(s) sélectionné(s) selon cette hypothèse ; et (2) la génétique inverse ; en l’absence d’une hypothèse biologique de l’addiction, elle consiste à cribler des polymorphismes génétiques dans tout le génome, afin de découvrir la (ou les) région(s) chromosomique(s), puis le (ou les) gène(s) associé(s) au phénotype, c’est-à-dire à la dépendance étudiée. Ces deux méthodologies complémentaires ont porté leurs fruits puisque plusieurs gènes associés à des addictions ont été identifiés. Par ailleurs, le génotypage des variants bialléliques, comme les polymorphismes nucléotidiques ou SNP (single nucleotide polymor-phism), a permis des avancées importantes grâce aux criblages à haut débit pangénomiques ou GWAS (genome-wide association study), réalisés sur des cohortes de plusieurs milliers de patients, contrôles ou familles, issues de consortiums internationaux [5]. De

des héritabilités moyennes d’environ 70 % pour la dépendance à la cocaïne et aux opioïdes, 60 % pour la dépendance à l’alcool ou au tabac, et 40 % pour celle aux hallucinogènes [2]. Ces études suggèrent donc qu’il est possible d’identifier des facteurs génétiques à partir de populations de patients dépendants ou de cohortes de familles dont un individu au moins présente une addiction. L’évaluation clinique standardisée, qui renseigne sur la présence et l’intensité de la dépen-dance, s’est dotée d’une nouvelle version du « manuel diagnostique et statistique pour les troubles mentaux, psychiatrie et addictions », le DSM-5, qui se veut plus dimensionnel et quantitatif que les versions précédentes [4]. Le DSM-5 s’appuie, notamment, sur les observations mesurables, mais il essaie d’intégrer aussi des données de neuros-cience et de génétique. Pour les addictions, les notions d’abus et de dépendance disparaissent au profit du concept de « trouble de l’usage », ou mésusage, d’une substance. Ainsi, le diagnostic est établi dès lors qu’il y a une utilisation inadaptée d’une substance, condui-sant à une dégradation ou à une détresse cliniquement significatives ; deux critères sur 11 doivent être présents au cours des 12 derniers mois, quelle que soit la substance en question (Tableau I). La sévérité des troubles est évaluée sur le nombre de critères rencontrés : deux ou trois critères indiquent un trouble léger ; quatre ou cinq critères, un trouble modéré ; et six ou plus, un trouble sévère. L’utilisation des pré-cédentes classifications DSM avait unifié les évaluations cliniques des addictions à travers le monde, et facilité la recherche en génétique en rendant possible la constitution de cohortes de patients à comparer à

1Tolérance, définie par l’un ou l’autre des signes suivants :- besoin d’augmenter notablement les quantités de substance pour atteindre l’intoxication ou les effets désirés - effet diminué lors de l’usage continu des mêmes quantités de substance

2Sevrage se manifestant par :- syndrome de sevrage caractéristique de la substance- la substance, ou une substance étroitement apparentée, est consommée pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage

3 Substance souvent prise en quantité plus importante et pendant une période plus longue que prévue

4 Désir persistant ou des effets infructueux pour arrêter ou contrôler l’usage de la substance

5 Beaucoup de temps passé à se procurer la substance, à la consommer ou à récupérer de ses effets

6Usage de la substance poursuivi malgré l’existence de problèmes physiques ou psychologiques persistants ou récurrents vraisemblablement provoqués ou aggravés par la substance

7 Activités sociales, professionnelles ou loisirs sont arrêtés ou réduits au profit de la consommation

8Incapacité à remplir des obligations majeures au travail, à l’école ou à la maison (exemple, absences répétées, mauvaises performances, négligence des enfants ou du foyer)

9Consommation répétée de la substance dans des situations dans lesquelles celle-ci est physiquement dangereuse (exemple, conduite automobile malgré l’altération des capacités par la substance)

10 Usage poursuivi, en dépit des problèmes interpersonnels ou sociaux que la substance génère

11 Existence d’un « craving » ou d’un désir irrépressible ou d’une pulsion à consommer une substance

Tableau I. Critères diagnostiques d’une addiction selon le DSM-5 « trouble de l’usage d’une substance ». Deux critères au moins sont nécessaires.

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nombreuses études de type GWAS sont maintenant publiées, dont des études concernant le tabagisme et, plus spécifiquement, la nicotine, la dépendance à l’alcool, et des addictions aux drogues, dont le can-nabis et l’héroïne (Tableau II).

Variants génétiques associés au tabagisme

Le nombre de consommateurs de tabac à travers le monde s’élève à 1,3 milliard d’individus, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les conséquences du tabagisme représentent la seconde cause de mortalité dans le monde avec quelque cinq millions de décès par an, après les maladies cardiovasculaires (> 17 millions de décès par an). Sur les plans clinique et pharmacologique, le tabac confère peu d’effets psychotropes ressentis, mais il est très « accrocheur », et les patients deviennent vite et durablement dépendants. En 2007, la première ana-lyse génétique à grande échelle chez les patients tabagiques fut réalisée sur 348 gènes candidats : 3 713 SNP furent génotypés chez 1 050 patients dépendants au tabac et 879 sujets fumeurs non dépendants [6]. Ce travail identifia des variants associés à la dépendance nicotinique dans les gènes CHRNA5 (neuronal acetylcholine receptor subunit a5), CHRNA3 et CHRNB4, situés dans la région chromosomique 15q25 et codant, res-pectivement, pour les sous-unités 5, 3 et 4, qui participent à la for-mation des récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine. L’année suivante, une étude pangénomique réalisée chez plusieurs milliers de patients atteints d’un cancer du poumon, a également identifié une association génétique avec des SNP de ces trois gènes. L’analyse exhaustive des données cliniques a montré une association bien plus importante entre des variants de ces gènes, la quantité de cigarettes fumées et la dépen-dance au tabac [7]. En 2010, les analyses pangénomiques de dizaines

de milliers de fumeurs par trois consortiums ont confirmé l’implication de ces gènes dans la dépendance au tabac [8]. L’analyse fonctionnelle du variant rs16969968 de CHRNA5, dont l’allèle majeur G est changé en A, a révélé que la substitution de l’acide aminé aspartate en posi-tion 398 par une asparagine dans le récepteur nicotinique 5 entraînait une activité réduite de moitié du produit de cet allèle A associé à la dépendance [9]. Enfin, les gènes CHRNA5, CHRNA3 et CHRNB4 sont exprimés dans le cerveau, mais également dans le poumon, ce qui expliquerait leur implication dans le cancer du poumon. Une récente métaanalyse, portant sur 94 000 fumeurs, observe que le variant rs16969968 du gène CHRNA5 est aussi associé à un début plus précoce du tabagisme et à une consommation plus importante [10]. Ainsi, les individus porteurs d’une copie de ce variant ont un risque de dépendance au tabac multiplié par deux, et ce risque est multiplié par trois chez ceux qui possèdent les deux copies de ce variant.Un cluster de gènes, qui code pour les sous-unités 5, 3 et 4 du récepteur nicotinique, a donc été associé à la dépendance au tabac. C’est surtout un variant génétique particulier qui porte l’essentiel de cette association (le SNP rs16969968 du gène CHRNA5), ce variant conférant à lui seul un risque (risque « attribuable ») de 14 % [7-12], ce qui est particulièrement élevé pour une pathologie comportementale. Ce résultat est remarquable pour une pathologie aussi complexe et multifactorielle que la dépendance au tabac, et il n’a aucun équivalent dans les

Addiction Gène Fonction de la protéine Références

Tabac

BDNFCHRNA5CHRNA3CHRNB4CYP2D6

Facteur neurotrophiqueSous-unité 5 des récepteurs nicotiniquesSous-unité 3 des récepteurs nicotiniquesSous-unité 4 des récepteurs nicotiniquesEnzyme catabolisant la nicotine en cotinine

[6-12]

Alcool

ANKK1AUTS2DRD2GABRA2ADH1BADH1C

X-kinase régulant le récepteur D2Régulateur transcriptionel neuronalRécepteur dopaminergique D2Sous-unité 2 du récepteur GABAAAlcool déshydrogénaseAlcool déshydrogénase

[13-15][18]

[13-15][17]

[19, 20][19, 20]

Cannabis ANKFN1 Fonction inconnue [23]

Opioïdes KCNC1, KCNG2 Sous-unités de canaux potassium dépendants du voltage [26]

Cocaïne FAM53B Régulateur de la prolifération cellulaire [27]

HéroïneANKK1DRD2

X-kinase régulant le récepteur D2Récepteur dopaminergique D2

[28]

Tableau II. Addictions et GWAS. Liste des gènes identifiés par GWAS et associés à une addiction et fonction de leurs protéines.

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débute chez un adulte sans antécédent psychiatrique ou de criminalité, ni d’alcoolisme familial ; le type II se caractérise par une forte concentration familiale de cas, un début avant 25 ans, des troubles neuropsy-chologiques précoces, des comportements délictueux et des conséquences somatiques ou sociales graves [13]. La dépendance à l’alcool de type II est sous-tendue par une vulnérabilité biologique et génétique, et son héritabilité est estimée à 88 % ; elle est de 20 % seulement pour le type I. Les premières études de génétique de la dépendance à l’alcool se sont concen-trées sur l’étude de gènes candidats. Mais, grâce à la constitution de grandes cohortes, dont la cohorte de familles multiplex de patients dépendants à l’alcool (cohorte COGA, collaborative study on the genetics of alcoholism), des études GWAS ont été réalisées [1, 2].Sur le plan neurobiologique, l’alcool augmente le taux de dopamine dans les synapses au niveau de la voie dopaminergique mésolimbique de l’aire tégmentale ventrale (ATV) et du noyau accumbens (NAc) [2, 14]. Le gène candidat le plus étudié intervenant dans cette voie dopaminergique code pour le récepteur D2 de la dopa-mine, DRD2 (dopamine receptor D2). Les récepteurs D2 sont localisés aux synapses de l’aire tégmentale ventrale et du noyau accumbens ; ils existent sous deux isoformes, D2L et D2S, respectivement distribuées sur les éléments présynaptiques et postsynaptiques. Ils jouent un rôle dans la régulation de la synthèse et de la sécrétion de la dopamine dans la fente synaptique [14]. Le polymor-phisme le plus étudié dans le gène DRD2 est le TaqIA (SNP rs1800497) avec ses allèles A1 et A2 [14, 15]. Chez les patients porteurs de l’allèle A1, existe une hyposensibilité des récepteurs à la dopamine et une vulnérabilité accrue à la dépendance à l’alcool. Cependant, les différentes études génétiques de ce variant rapportent une grande hétérogénéité que l’on peut attribuer aux populations étudiées en fonction de leur structure génétique, de l’hé-térogénéité phénotypique de la dépendance à l’alcool ou de biais de stratification. En fait, le variant A1 du poly-morphisme TaqIA du gène DRD2 constituerait un facteur de risque favorisant la recherche d’expérience avec l’al-cool et d’autres psychotropes, et prédisposant aux com-portements impulsifs ou compulsifs [14, 15]. Enfin, le polymorphisme TaqIA est localisé à l’extrémité 3’ du gène DRD2 dans un gène ANKK1 (ankyrin repeat and kinase domain containing 1) récemment identifié, qui code pour une X-kinase qui régule potentiellement le récepteur D2, et est aussi associé à la dépendance à l’alcool [16]. D’autres variants du gène DRD2 sont également associés à la dépendance à l’alcool, mais aussi à d’autres subs-tances addictives [1, 16]. Ainsi, le SNP rs6277, qui est en déséquilibre de liaison avec le rs1800497 du gène ANKK1

autres addictions, ni même dans les différents troubles psychiatriques. Il amène toutefois à quelques commentaires sur les approches géné-tiques des pathologies comportementales, telles que les addictions en général. Tout d’abord, les premières études de gènes candidats dans cette addiction que représente la dépendance au tabac n’avaient pas réussi à révéler le rôle de ce cluster de gènes, probablement par manque de puissance (nombre de sujets) et d’homogénéité des cohortes (ces études associaient sujets tabagiques et souffrant d’un cancer du pou-mon, ces derniers étant potentiellement plus sévèrement dépendants). Ensuite, cette découverte doit aussi beaucoup à la qualité des groupes contrôles, qui permet de mieux cibler le phénotype analysé, qui est plus simple à définir pour le tabac (les sujets sont soit non-fumeurs, soit fumeurs mais n’ayant jamais développé de dépendance). Enfin, c’est le recrutement de patients ayant développé des complications (cancer du poumon ou cardiopathie ischémique) qui a probablement facilité l’identification de ce cluster. Outre leur localisation cérébrale, notam-ment dans le striatum ventral (région clé dans l’ « effet récompense » et donc dans l’appétence addictive), les récepteurs cholinergiques sont aussi exprimés dans le poumon (ils interviennent fonctionnellement dans la contraction des bronchioles) et le cœur. Ces effets pléiotropes participent vraisemblablement à la forte homogénéité phénotypique des sujets recrutés dans les études (sujets dépendants, mais ayant aussi des complications cardiaques ou pulmonaires).Plusieurs autres associations ont été décrites dans ces études pan-génomqiues : entre un autre variant fonctionnel, rs6265, du gène BDNF (brain-derived neurotrophic factor), codant pour un facteur neurotrophique, et le début de la consommation de tabac ; entre le SNP rs3733829 du gène CYP2A6 (cytochrome P450, family 2, sub-family A, polypeptide 6), dont le produit métabolise la nicotine en cotinine, et la consommation de tabac, mais aussi le développement du cancer du poumon [11, 12] ; entre le variant rs3025343 en amont du gène DBH, qui code pour la dopamine -hydroxylase (l’enzyme qui convertit la dopamine en noradrénaline), et la fréquence de l’arrêt du tabagisme [11, 12].Ainsi, ces travaux de génétique portant sur l’ensemble du génome de dizaines de milliers de sujets et impliquant de nombreux consortiums à travers le monde, ont permis de disséquer les interactions entre la neurobiologie, l’environnement et la génétique des sujets ayant une addiction au tabac, et d’identifier les facteurs génétiques jouant un rôle dans l’initiation, la dépendance ou le maintien du tabagisme.

Gènes associés à la dépendance à l’alcool

Il y aurait deux milliards de consommateurs d’alcool dans le monde, dont 140 millions de patients dépendants à l’alcool, et 2,5 millions de décès seraient imputables à l’alcool chaque année. L’héritabilité de la dépendance à l’alcool, estimée entre 40 et 60 %, est plus élevée dans certains sous-groupes que caractérisent : la précocité de l’âge de début de la consommation, une forte sévérité de la dépendance, une tolérance initiale plus élevée à l’alcool ou encore une asso-ciation à des traits psychopathiques [1-3]. Il a ainsi été proposé de distinguer deux sous-types de dépendance à l’alcool : le type I

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et qui correspond à la mutation synonyme2 de l’acide aminé proline 290 du DRD2, a été associé à la dépendance à l’alcool. Or, la présence de cette mutation et d’autres mutations synonymes du gène DRD2, affecte la stabilité de l’ARNm et la synthèse du récepteur DRD2 [17]. Dans le cas d’un autre gène de la voie dopaminergique, SLC6A3 (solute carrier family 6, member 3)/DAT1 (dopamine active transporter 1), qui code pour le transporteur de recapture de la dopamine, c’est un allèle porteur de neuf répétitions (le polymorphisme de ce gène est dû à un nombre variable de répétitions des tandems [VNTR] 9 et 10 dans le 15e exon) en 3’ qui est associé aux patients dépendants à l’alcool ayant des com-plications sévères de sevrage [18]. Enfin, plusieurs polymorphismes des gènes codant pour des enzymes du métabolisme, dont les alcool déshy-drogénases (gène ADH1B/ADH2) et les acétaldéhyde déshydrogénases (ALDH2), protègent de la dépendance à l’alcool. Les variants génétiques impliqués ont en effet la particularité de provoquer une accumulation d’acétaldéhyde à la moindre prise d’alcool (par excès de métabolisme ou déficit de catabolisme), ce qui provoque des effets « flush » (rou-geur, chaleur, nausée, malaise, perte de connaissance) extrêmement aversifs [1].Une première grande étude pangénomique, parue en 2010, qui travaille sur la génétique et l’environnement des addictions (consortium SAGE, study of addiction: genetics and environment) porte sur 1 897 patients dépendants (dont certains sont issus de la cohorte COGA) et 1 932 sujets non dépen-dants contrôles, afro-américains et caucasien-américains. Cette étude a montré une association de la dépendance à l’alcool avec des marqueurs couvrant le gène GABRA2 (GABAA receptor, a2), qui code pour le récepteur 2 du GABA (g-aminobutyric acid), en accord avec l’hypothèse neurobio-logique des effets de l’alcool [19]. L’année suivante, l’analyse GWAS de 26 316 personnes a identifié une association entre le variant rs6943555 du gène AUTS2 (autism susceptibility candidate 2), un possible régula-teur transcriptionnel neuronal exprimé dans plusieurs régions du cerveau, initialement identifié comme un gène de susceptibilité à l’autisme, et la consommation d’alcool, observation qui a été confirmée par l’ana-lyse d’une deuxième cohorte de 21 185 individus [20]. L’allèle mineur A du rs6943555 est associé à une réduction de 5,5 % de la consommation d’alcool. Cet allèle a un effet biologique, puisqu’il diminue la production de l’ARN messager AUTS2 de 20 à 50 % selon qu’il est présent à l’état hété-rozygote ou homozygote. Enfin, l’invalidation de ce gène dans un modèle animal réduit la sensibilité à l’alcool de ces animaux [20]. Un consortium allemand a montré, par des analyses pangénomiques, une association entre la dépendance à l’alcool et des polymorphismes dans le cluster de gènes codant pour les enzymes alcool déshydrogé-nases, dont ADH1B et ADH1C, chez 487 patients dépendants comparés à 1 358 sujets contrôles. Cette observation a été répliquée dans une cohorte indépendante de 1 024 patients dépendants et 996 sujets contrôles appariés selon l’âge [21, 22]. L’analyse récente de cohortes américaines confirme l’association de la dépendance à l’alcool avec des variants qui changent des acides aminés des produits des gènes ADH1B et ADH1C [23]. D’autres métaanalyses de GWAS déjà publiées

2 Substitution d’un codon par un autre codon qui code pour le même acide aminé (reflète la dégénéres-cence du code génétique).

confirment l’implication des gènes que nous venons de décrire, et en identifient de nouveaux ainsi que de nou-velles voies neurobiologiques intervenant dans l’addic-tion à l’alcool et dans diverses pathologies qui lui sont associées [23, 24].

Gènes et drogues psychotropes

La première étude pangénomique de la dépendance au cannabis comparait 708 patients dépendants et 2 346 sujets exposés au cannabis, mais non dépen-dants ; elle n’avait pas permis d’identifier de variant dont l’association à la dépendance au cannabis était statistiquement validée après correction pour les tests multiples [25]. Des variants du gène ANKFN1 (anky-rin repeat and fibronectin type-III domain-containing protein 1), codant pour une protéine de fonction peu connue, avaient été impliqués dans des associations nominales avec la dépendance au cannabis. Une récente métaanalyse de deux études GWAS, portant sur l’initia-tion au cannabis et incluant près de 10 000 sujets, n’a pas identifié d’association [26]. Cette étude exploitait plus de 4 500 familles indépendantes, dont la descen-dance de la moitié d’entre elles comportait des jumeaux. Cela a donc permis d’estimer l’héritabilité de l’initiation de la consommation de cannabis à environ 6 %, bien loin des 40 % jusqu’alors observés [26]. Enfin, les résultats de l’analyse pangénomique dans la dépendance à plusieurs drogues, dont le cannabis, la cocaïne et les opioïdes, à partir de 2 322 sujets de la cohorte COGA viennent d’être publiés. Ils identifient trois gènes potentiellement impliqués dans le phénotype de dépendance, sans qu’une association spécifique entre un gène et une substance puisse être définie [27].Une étude GWAS sur la dépendance aux opioïdes, réalisée sur deux cohortes indépendantes de plus de 5 000 sujets chacune, a permis d’observer une associa-tion avec des variants dans les gènes KCNC1 (potas-sium voltage-gated channel, member 1) et KCNG2, qui codent pour des sous-unités de canaux potassiques dépendants du voltage [28]. Et les analyses in silico des voies biologiques associées à cette dépendance aux opioïdes mettent en évidence l’implication de la voie de signalisation du calcium dans la potentialisation à long terme [28]. La première étude de GWAS sur la dépen-dance à la cocaïne a été réalisée par le même consor-tium et sur les mêmes cohortes que l’étude précédente [29]. Elle révèle une association avec le gène FAM53B (family with sequence similarity 53, member B), dont le produit est impliqué dans la régulation de la proliféra-tion cellulaire ; son rôle biologique dans la dépendance à la cocaïne reste à explorer [28].

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( addiction to psychoactive substances) including opi-ates. Future directions in molecular study of addiction are gene x environment interactions though the epi-genetic approach. Numerous studies already investi-gated the methylome in addiction, including histone and microRNA modifications. ‡

LIENS D’INTÉRÊTLes auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les don-nées publiées dans cet article.

RÉFÉRENCES

1. Le Strat Y, Ramoz N, Schumann G, Gorwood P. Molecular genetics of alcohol dependence and related endophenotypes. Curr Genomics 2008 ; 9 : 444-51.

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Enfin, dans le cas de la dépendance à l’héroïne, le génotypage de 1 430 SNP dans des gènes candidats a été réalisé chez 1 459 patients dépendants, 1 495 sujets contrôles, mais aussi 531 sujets contrôles habitant au voisinage des patients dépendants et, donc, potentielle-ment tout aussi exposés aux drogues de par leur environnement [30]. Une association entre la dépendance à l’héroïne et des variants dans la région des gènes ANKK1 et DRD2 a été identifée, et l’étude démontre combien il est important de prendre en compte l’historique d’une exposition aux drogues pour le groupe de sujets contrôles [30]. Ces mêmes gènes ANKK1 et DRD2, dont l’association à la dépendance à des substances psychotropes a été identifiée dans cette étude, avaient été précédemment impliqués dans la dépendance à l’alcool (voir ci-dessus).

Conclusion

Les études pangénomiques appliquées aux pathologies addictives permettent d’identifier deux types de gènes : (1) des gènes spéci-fiquement impliqués dans la vulnérabilité à une substance psycho-trope, et ce via les voies biologiques ou métaboliques d’action (par ex. récepteurs nicotiniques pour le tabac) ou de dégradation (par ex. alcool déshydrogénases pour l’alcool) de la substance ; (2) des gènes impliqués dans un processus plus global de la récompense et de la motivation, tels que les gènes ANKK1 et DRD2. Afin d’identifier des mutations ou des variants de novo ou rares, la nouvelle stratégie en génétique consiste à séquencer l’ensemble des exons d’un individu, son « exome », par GWES (genome-wide exome sequencing). Cette approche est en cours d’application dans les addictions. L’interaction gène-environnement dans les addictions est par ailleurs étudiée sous l’angle de l’analyse épigénétique, qui s’intéresse aux modifications chimiques et environnementales de l’ADN, lequel peut être méthylé et/ou compacté par différentes protéines de type histone, elles-mêmes modifiées, ou encore en interaction avec des petits ARN, ces modifi-cations contrôlant l’expression ou la répression des gènes. Plusieurs études ont été récemment publiées montrant que la prise de drogues modifie bien l’épigénétique, au niveau des histones notamment [31], et ce durablement mais pas forcément de façon irréversible, ce qui laisse la place à de nombreuses intervention thérapeutiques. ‡

SUMMARYA genetic view of addictionThe genetic analyses of addictions recently converted to genome-wide association studies (GWAS) and thanks to national and international consortia, allowed to recruit large cohorts of patients. This approach allowed the identification of the first susceptibility gene in addiction (tobacco), with genes CHRNA5, CHRNA3 and CHRNB4 encoding the 5, 3 and 4 subunits involved in the formation of nicotinic recep-tors, explaining 14% of the attributable risk for tobacco dependence. Variants of ADH1B and ADH1C genes encoding alcohol dehydroge-nases enzymes have also been consistently associated, this time with alcohol dependence (AD). Finally, DRD2 and ANKK1 genes, involved in the dopaminergic pathway, and which were initially associated with AD, are now considered to be involved in a broader phenotype

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28. Gelernter J, Kranzler HR, Sherva R, et al. Genome-wide association study of opioid dependence: multiple associations mapped to calcium and potassium pathways. Biol Psychiatry 2014 ; 76 : 66-74.

29. Gelernter J, Sherva R, Koesterer R, et al. Genome-wide association study of cocaine dependence and related traits: FAM53B identified as a risk gene. Mol Psychiatry 2014 ; 19 : 717-23.

30. Nelson EC, Lynskey MT, Heath AC, et al. ANKK1, TTC12, and NCAM1 polymorphisms and heroin dependence: importance of considering drug exposure. JAMA Psychiatry 2013 ; 70 : 325-33.

31. Hervé D. La drogue : une histoire d’histone ? Med Sci (Paris) 2010 ; 26 : 568-71.

RÉFÉRENCES

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26. Verweij KJ, Vinkhuyzen AA, Benyamin B, et al. The genetic aetiology of cannabis use initiation: a meta-analysis of genome-wide association studies and a SNP-based heritability estimation. Addict Biol 2013 ; 18 : 846-50.

27. Wetherill L, Agrawal A, Kapoor M, et al. Association of substance dependence phenotypes in the COGA sample. Addict Biol 2014 ; doi : 10.1111/adb.12153.

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ANTICORPSMONOCLONAUXEN THÉRAPEUTIQUEDe la conception à la productionLa réalité cliniqueUn futur en développement

Coordinateurs : Alain Beck, Jean-Luc Teillaud, Hervé Watier

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les anticorps monoclonaux

en thérapeutique…dans M/S

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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les anticorps monoclonaux en thérapeutique... dans Médecine/Sciences. Pourquoi un numéro spécial de Médecine/Sciences sur les anticorps monoclonaux thérapeutiques ? Il nous a semblé que le moment était venu de dresser un état des lieux de ces biomédicaments qui prennent désormais une place considérable - et croissante - dans les traitements de maladies souvent lourdes et désespérantes. Ce voyage que nous vous proposons à la découverte du monde des anticorps thérapeutiques nous a appris, ou plutôt rappelé, une évidence : les compétences en France sont fortes et nombreuses, qu’elles soient académiques ou industrielles, biotechnologiques ou cliniques. Le paysage français, trop longtemps discret, bruisse désormais de mille initiatives balayant de multiples aspects des anticorps thérapeutiques : études précliniques et cliniques menées avec de nouveaux anticorps dirigés contre des cibles originales, développement de nouveaux formats d’anticorps ou d’anticorps optimisés reposant sur des études structurales et fonctionnelles sophistiquées, recherche active de cibles pertinentes, mise au point de méthodologies de bioproduction, de couplage, etc. L’expansion industrielle rapide de ce champ est un défi que peut et doit relever notre pays, défi tant scientifique qu’économique, avec ses combats pour la propriété intellectuelle et pour l’emploi de nos jeunes scientifiques.

Alain Beck, Jean-Luc Teillaud, Hervé Watier

Toujours d’actualité

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m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104019

médecine/sciences Addictions (2)Addiction et régulations épigénétiquesImplications de MeCP2 et de l’acétylation des histonesJean Zwiller

> L’administration répétée de drogues entraîne, dans certaines structures cérébrales, une importante plasticité synaptique dont la mise en place et le maintien nécessitent l’expression de nombreux gènes. L’hypothèse proposée ici est que des régulations épigénétiques participent à l’installation de ces adaptations persistantes. Le point est fait sur la question de la méthylation de l’ADN en réponse aux drogues, et l’accent sera mis sur la protéine MeCP2 (methyl-CpG-binding protein 2), qui se lie à l’ADN méthylé. L’implication de l’acétylation des histones dans le mode d’action des drogues est discutée. Ces régulations représentent potentiellement de nouvelles cibles thérapeutiques pour le traitement de la dépendance aux drogues. <

Bien qu’un grand nombre d’individus consomment régulièrement des drogues, seule une minorité de consommateurs réguliers passent dans une phase de consommation compulsive. Le passage dans cette phase est largement influencé par des facteurs de susceptibilité génétique, et par le contexte social et psychologique de l’individu. Alors que le risque d’ordre génétique de développement d’une addiction est estimé à envi-ron 50 %, les gènes responsables ne sont pas bien connus [5, 53] (�).Une part importante de la recherche se concentre donc sur la compo-sante environnementale. L’hypothèse privilégiée dans ce domaine veut que la transition vers un état de dépendance résulte de processus adaptatifs qui se mettent en place dans certaines structures cérébrales en réponse à des prises répétées de la substance [6]. Les mécanismes d’adaptation ont souvent été décrits comme des réponses compensatrices servant à faire revenir le système à son état basal. Ce mécanisme, défini comme une rétroac-tion négative, peut expliquer l’apparition du phénomène de tolérance (correspondant au fait que des doses croissantes sont nécessaires pour maintenir des effets comparables), voire de certains symptômes appa-raissant lors du sevrage. D’autres mécanismes d’adaptation semblent produire une rétroaction positive, qui pourrait rendre compte du phéno-mène de sensibilisation comportementale (voir Encadré page suivante). On peut aussi envisager des changements qualitatifs, qui altéreraient la réponse à des stimulus autres que le seul stimulus initiateur. Parmi les bouleversements se produisant dans le cerveau lors de prises répétées

Laboratoire de neurosciences cognitives et adaptatives, UMR 7364, CNRS, université de Strasbourg, faculté de psychologie, 12 rue Goethe, 67000 Strasbourg, [email protected]@unistra.fr

La dépendance aux drogues

La dépendance aux drogues désigne un état psycho-logique et/ou physique qui se manifeste par un besoin irrépressible et répété, jamais réellement assouvi, de consommation d’une drogue. Elle est caractérisée par un comportement compulsif de prise de la substance, malgré les lourdes conséquences que ce comportement entraîne sur un plan familial, social, professionnel, ce dont le sujet est conscient [1, 2]. Dans une pers-pective aussi bien psychologique que neurologique, la dépendance peut être considérée comme un trouble de la cognition [3]. En effet, les régions du cerveau et les processus sous-jacents à la dépendance sont aussi ceux qui sont impliqués dans les fonctions cognitives essentielles. Les patients toxicomanes présentent des altérations dans des régions incluant le striatum, le cortex préfrontal, l’amygdale et l’hippocampe, des structures clés dans la gestion des processus émo-tionnels et motivationnels, ainsi que dans la mémoire déclarative, qui définit précisément l’individu et main-tient le concept du soi [4].

(�) Voir la Synthèse de N. Ramoz et P. Gorwood, page 432 de ce numéro

Vignette © Inserm/Éric Dehausse, Yasmina Saoudi/Vingt mille lieues sous les mers. Jules Verne - Musée Jules Verne - Ville de Nantes.

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empaqueté dans le noyau [8]. À l’origine, les méca-nismes épigénétiques étaient considérés comme des éléments de transmission héréditaire, et étudiés dans les champs du développement et de la cancérologie [8]. Il apparaît que ces mécanismes s’exercent aussi dans les neurones, mais comme ces derniers ne se divisent pas, en général, les modifications durables de la chro-matine sont confinées dans des cellules individuelles. Il conviendrait sans doute de désigner les mécanismes se déroulant dans les neurones comme « neuroépi-génétiques », en accord avec J.J. Day et J.D. Sweatt [9]. Cela permettrait de les distinguer des marqueurs impliqués dans le développement et la division cellu-laire, et rendrait compte de certaines adaptations qui n’ont pas lieu dans d’autres types cellulaires. Puisque les modifications épigénétiques se placent en aval de l’activité synaptique, elles ont la capacité d’intégrer un ensemble de signaux et de moduler la réponse à long terme d’un neurone en contrôlant l’expression des gènes, donc le degré de plasticité. Par ce contrôle, elles seraient en mesure d’imposer au neurone une réponse

de drogue figurent à l’évidence des mécanismes de plasticité neuronale [6], qui concernent la modification de l’efficacité synaptique, mais aussi des changements de la morphologie des épines dendritiques, par exemple. D’un autre côté, vu les très nombreux mécanismes de plas-ticité sollicités en permanence durant le fonctionnement normal du cerveau, on peut se demander si la dépendance, qui implique une fixité du comportement, ne résulte pas plutôt d’un déficit de plasticité, voire d’une plasticité qui deviendrait figée en réponse aux drogues, au sein de structures cérébrales précises.

La neuroépigénétique

Décrire les interactions entre les gènes et l’environnement qui abou-tissent à des modifications du phénotype est précisément l’objet de l’épigénétique. Le terme épigénétique a été utilisé en 1957 par C. Wad-dington pour décrire le « paysage » dans lequel des génotypes iden-tiques généraient de grandes variations phénotypiques lors du déve-loppement [7, 54]. Ce concept a depuis largement évolué. Aujourd’hui, on considère les mécanismes épigénétiques comme des processus qui contrôlent l’expression des gènes en remodelant la structure de la chromatine, c’est-à-dire en modifiant la manière dont l’ADN est

Modèles animaux des effets comportementaux des drogues

Activité locomotrice et sensibilisation comportementale L’injection aiguë de drogues à des rongeurs entraîne une hyperlocomotion transitoire. Cette hyperactivité locomotrice augmente au fil des injections quotidiennes de la même dose de drogue, un phénomène appelé sensibilisation comportementale. Celle-ci dépend du contexte dans lequel la drogue a été administrée et peut persister pendant des mois suivant la dernière injection. Certains chercheurs pensent qu’en reflétant la sensibilisation des circuits neuronaux dopaminergiques, elle modélise la sensibilisation de la motivation pour la drogue rencontrée chez les individus dépendants.

Préférence/aversion de place conditionnée Fondé sur un conditionnement dans lequel l’animal associe de manière passive un environnement donné à une drogue (par rapport à un deuxième environnement associé à une solution saline), le test de conditionnement de préférence de place est très utilisé pour évaluer les propriétés renforçantes intrinsèques de la drogue, ainsi que ses propriétés appétitives ou aversives. Il reflète aussi l’intensité de la trace mnésique persistant suite à l’apprentissage. L’ensemble des composés toxicomanogènes chez l’homme (amphétamine, cocaïne, ecstasy, éthanol, héroïne, nicotine, THC [tétrahydrocannabinol], etc.) induisent chez le rongeur une importante préférence de place. Pourtant, ce test ne peut pas être considéré comme modélisant la toxicomanie, dans le sens où les injections de drogue sont imposées par l’expérimen-tateur. Le conditionnement étant passif, il ne peut pas résulter d’une mise en place de réseaux neuronaux semblable à celle sous-jacente à l’addiction chez l’homme.

Auto-administration intraveineuse Contrairement aux tests décrits plus haut, l’auto-administration intraveineuse de drogue chez le rat est basée sur un conditionnement opérant, qui modélise la prise volontaire de drogue, ce qui permet de mesurer ses propriétés renforçantes. Dans certaines conditions, le test s’approche au plus près de la prise compulsive de drogue chez le toxicomane. La procédure consiste à implanter un cathéter dans la veine jugulaire du rat, permettant à l’animal de déclencher lui-même les injections de drogue, soit par pression sur un levier, soit par l’introduction de son museau dans un orifice. Un second levier ou orifice, dit inactif, est présent dans la cage, dont la mise en action n’a pas de conséquence programmée. Différents protocoles ont été établis dans le but de modéliser les divers aspects de la prise de drogue. En « ratio fixe », le rat doit effectuer un nombre fixe prédéterminé de réponses pour obtenir chaque infusion de drogue. Dans le protocole de « ratio progressif », le nombre de réponses requis pour obtenir chaque infusion successive augmente progressivement, en suivant en général une courbe exponentielle. On considère, dans ce cas, que le nombre d’infusions de drogue est un indice de l’effort consenti et reflète la motivation de l’animal pour la drogue. Le test permet également de modéliser la rechute, qui fait référence au phénomène de réinstallation du comportement de recherche de drogue après une période de sevrage ou d’extinction. La réinstallation est induite, soit par l’exposition à un stress, soit par une injection de drogue, soit par la présentation d’indices environnementaux préalablement associés à la prise de drogue. À travers ces protocoles, l’auto-administration intraveineuse chez le rat permet de modéliser au mieux la diversité des aspects de l’addiction aux drogues chez l’homme.

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contrainte, qui établirait une plasticité plus ou moins dynamique, ou abolirait une plasticité antérieure, en accord avec la notion de plas-ticité figée énoncée ci-dessus. Les modifications neuroépigénétiques représenteraient, par ailleurs, d’excellents candidats pour expliquer des régulations qui se produisent sur des temps très longs, voire sur la vie entière. Or, une des questions essentielles dans le domaine des addictions est justement de comprendre pourquoi des comportements de rechute surviennent après des mois, voire des années d’abstinence.

Les mécanismes épigénétiques

Dans les cellules eucaryotes, l’essentiel de l’ADN est empaqueté dans la chromatine. L’unité fondamentale de la chromatine est le nucléo-some, composé de quatre homodimères des histones H2A, H2B, H3 et H4, et d’approximativement deux tours de super-hélice d’ADN, soit 147 paires de bases. La conformation de la chromatine varie entre des états permettant une transcription plus ou moins active. La Figure 1 présente divers processus régulant le degré de compaction de la chromatine. Un des facteurs, qualifié de variant d’histone, concerne la nature même des isoformes d’histones présentes dans les nucléosomes [10]. D’autres facteurs utilisent l’énergie de l’ATP pour générer divers degrés de compaction de la chromatine. Au sein de la vaste famille des ARN interférents, les microARN ou (miARN) sont les mieux caractérisés de ceux qui interviennent dans les pro-cessus épigénétiques. Ce sont des ARN non codants comprenant approximativement 22 nucléotides, qui régulent l’expression génique en se liant à des séquences complémentaires de certains ARN mes-sagers. Mais ils interviennent aussi dans le noyau pour réguler la

transcription, en interagissant avec des enzymes responsables du remodelage chromatinien [11].Dans cette revue sont présentés les mécanismes de remodelage de la chromatine en réponse à la méthylation de l’ADN et, plus particulièrement, le rôle de la protéine de liaison à l’ADN méthylé, MeCP2 (methyl-CpG-binding protein 2). La régulation, par les drogues, de certaines modifications post- traductionnelles des histones, dont l’acétylation, est également discutée.

La méthylation/déméthylation de l’ADN

La méthylation de l’ADN concerne la position 5 de la cytosine. Chez les mammifères, cette méthylation a lieu majoritairement sur la séquence CpG, même si d’autres dinucléotides, appelés CpH (H = A/C/T), sont également susceptibles d’être méthylés. Une étude globale indique même que la méthylation mCpH serait prépondérante dans les neurones matures du cortex frontal [12]. La 5-méthylcytosine (5mC) constitue à peu près 1 % des bases totales du génome humain [13]. Les séquences CpG sont concentrées dans des

régions appelées îlots CpG que l’on retrouve, dans plus de 50 % des cas, dans les régions promotrices des gènes. Contrairement à une idée répandue, ces îlots sont beau-coup moins méthylés que les dinucléotides CpG situés en dehors des îlots [14]. La méthylation est catalysée par des enzymes nommées DNA méthyltransférases (DNMT) qui sont responsables, soit de la maintenance de la méthylation pendant la réplication (DNMT1), soit d’une méthylation de novo (DNMT3A et B). La méthylation d’un gène est généralement suivie par sa répression, consécu-tive au recrutement d’un complexe répresseur qui peut, soit empêcher la liaison de la machinerie transcription-nelle à l’ADN, soit entraîner la chromatine vers un état fermé. Notons que l’administration répétée de cocaïne régule l’expression de la DNMT3A dans le striatum de rongeurs [15-17]. À l’opposé, la réduction de l’activité de la DNMT3A, soit par inhibition pharmacologique, soit par invalidation du gène correspondant, a pour effet d’ac-croître les réponses comportementales à la cocaïne [15].Les recherches concernant les mécanismes de déméthy-lation de l’ADN ont fait l’objet d’âpres débats. Pourtant, un consensus émerge actuellement qui fait intervenir d’abord l’oxydation de la 5mC, catalysée par des méthyl-cytosine dioxygénases de la famille TET (ten-eleven translocation) [55] (�) puis des mécanismes de répa-ration de l’ADN [18]. La découverte de ce processus de déméthylation implique l’existence d’une base supplémentaire dans l’ADN, la 5-hydroxymé-

Figure 1. Divers processus régulent le remodelage de la chromatine entre un état ouvert et un état plus ou moins compact. La chromatine se présente, soit dans un état ouvert qui permet la transcription, soit dans un état plus condensé qui est transcrip-tionnellement moins actif. De nombreuses études suggèrent que la méthylation de l’ADN et les modifications post-traductionnelles des histones sont capables d’agir sur la compaction de la chromatine en réponse à diverses drogues. Les modifications des histones concernent essentiellement l’acétylation, la méthylation ou encore la phosphorylation, et ont lieu à leur extrémité amino-terminale. NuRD : nucleosome remodeling deacetylase ; Swi/SNF : switch/sucrose nonfermentable.

Méthylation de l’ADN

Variants d’histones Facteurs dépendants de l’ATP (NuRD, Swi/SNF)

ARN interférents (miARN)

Modifications des histonesAcétylation, méthylation, phosphorylation, etc.

ADN

Chromatineétat ouvert

Transcription active

Chromatineétat condenséTranscription

inactive

Nucléosome

(�) Voir la Synthèse de E. Mahfoudi et al., m/s n° 3, mars 2015, page 268

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souris dans lesquelles le gène MeCP2 avait été invalidé pour constituer un modèle murin du syndrome de Rett [21]. En fait, les données obtenues à partir de ces sou-ris, ou directement de tissus de patientes atteintes du syndrome de Rett, indiquent que la fonction de MeCP2 serait confinée à la répression d’un nombre limité de gènes dans des structures précises du cerveau. Cette répression résulte du recrutement du corépresseur Sin3A (Swi-independent 3A) et d’une histone désacétylase (HDAC) de classe I [22]. En plus de son activité de répresseur transcriptionnel, des don-nées plus récentes indiquent que MeCP2 pourrait participer à l’activation de la transcription, en relation avec le facteur de transcription CREB (cAMP response element-binding protein), ou même être impliquée dans l’épissage alternatif [23]. La protéine a été retrouvée dans divers complexes répresseurs de la trans-cription, qui, outre Sin3A, comprennent c-Ski, N-CoR (nuclear receptor corepres-sor 1)/SMRT (silencing mediator of reti-noic acid and thyroid hormone receptor), YB1 (Y box-binding protein) ou encore la

DNMT1 ou des histones méthyltransférases [23, 24]. Sa capacité de liaison à tant de facteurs explique que sa structure tridimensionnelle native soit très relâchée ; elle n’adopte une structure déterminée qu’à la suite de l’interaction de certaines de ses régions avec d’autres macromolécules. La régulation de MeCP2 est assurée aussi par des mécanismes de phosphorylation. L’activa-tion neuronale diminue la phosphorylation de la sérine 80 et augmente celle de la sérine 421 [23]. L’activation ou la surexpression de la protéine kinase dépendant du GMP cyclique dans le striatum ont pour effet de réduire considérablement le taux de MeCP2, mais on ignore si MeCP2 est directement phosphorylée par cette kinase [25]. On retrouve aussi des résidus acétylés, ubiquiti-nés ou encore sumoylés dans la protéine MeCP2 [26]. Ces modifications post-traductionnelles sont sans doute impliquées dans la reconnaissance des multiples partenaires protéiques.Parmi les gènes cibles de MeCP2, on peut citer ceux codant une kinase induite par les glucocorticoïdes, un régulateur de l’ATPase Na+/K+, la FK506-binding pro-tein 5, le CRH (corticotropin-releasing hormone), la protocadhérine β1, le BDNF (brain-derived neurotrophic factor), l’IGFBP3 (insulin-like growth factor binding protein 3), CDKL5 (cyclin-dependent kinase-like 5) et

thylcytosine (5hmC), ce qui ajoute une nouvelle dimension au rôle de la méthylation dans l’épigénétique. Les 5mC et 5hmC jouent sans doute des rôles différents, dans la mesure où elles sont en partie localisées dans des régions distinctes du génome, et que l’activité transcriptionnelle est associée à un enrichissement en 5hmC intragénique [12].

Le facteur MeCP2L’information portée par la méthylation de l’ADN est relayée, entre autres, par des protéines possédant un domaine MBD (methylated DNA-binding domain). MeCP2 est à ce jour la protéine la mieux carac-térisée pour se lier aux 5mC (ainsi qu’aux 5hmC et aux mCpH) [19]. La Figure 2 présente la structure et les principales caractéristiques des protéines liant l’ADN méthylé par l’intermédiaire d’un domaine MBD. La découverte, faite en 1999 par le groupe de H. Zoghbi, de mutations du gène MeCP2, situé sur le chromosome X, associées à une pathologie neurodéveloppementale, le syndrome de Rett [20], a eu pour consé-quence d’accroître l’intérêt de nombreux chercheurs pour la fonction de la protéine MeCP2. Ce syndrome, rencontré principalement chez les filles, est caractérisé par un développement normal jusqu’à l’âge de six à 18 mois, puis une période autistique s’installe progressivement, accompagnée par la perte de fonctions motrices et cognitives.

Les gènes cibles de MeCP2La surprise fut de taille lorsque les premières études de transcriptome ne révélèrent que des modifications très subtiles dans le cerveau des

Figure 2. Structure et caractéristiques principales des protéines liant l’ADN méthylé par l’inter-médiaire d’un domaine MBD. Les domaines représentés sont : CxxC : motif de liaison aux ions Zn2+ ; GR : motif comportant 11 répétitions de résidus glycine et arginine ; MBD : methylated DNA binding domain ; TRD : transcriptional repression domain. La protéine MBD3 n’est pas incluse, car bien que présentant une forte homologie de séquence avec cette famille, son domaine MBD n’est pas fonctionnel. On la retrouve dans le complexe NuRD. Il n’est pas fait état ici des protéines Kaiso, car elles ne possèdent pas de domaine MBD, mais lient l’ADN méthylé par l’intermédiaire d’un domaine dit « doigt de zinc ».

MeCP2 TRDMBD

- Gène situé sur le chromosome X- Capable de se lier à un seul CpG méthylé- Se trouve dans un complexe avec Sin3A et une HDAC- Son expression est corrélée avec la maturation du cerveau- Les mutations sont associées au syndrome de Rett

MBD1 TRDMBD CxxCCxxCCxxC

- Nécessite la reconnaissance de plusieurs méthyl-CpG pour la liaison- Peut s’associer avec l’histone méthyltransférase SetB1, reliant ainsi la méthylation de l’ADN à la méthylation des histones (H3K9)

MBD2 TRDMBDGR

- Recrute le complexe NuRD à l’ADN méthylé

MBD4 MBD N-Glycosylase

- Possède un domaine N-glycosylase, impliqué dans la réparation de l’ADN, mais sans doute aussi dans la répression de la transcription

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la sous-unité catalytique β de la protéine phosphatase de type 1 [16, 27-29]. Notons que le petit nombre de gènes cibles directs découverts à ce jour met à mal l’hypothèse d’un rôle de répresseur global du génome pour MeCP2, qui servirait à réduire le bruit de fond transcrip-tionnel général [30]. Si, au contraire, le rôle de MeCP2 était de répri-mer quelques gènes parfaitement ciblés, ce phénomène reviendrait à réinterpréter la méthylation de l’ADN. Cet effet dépendrait bien sûr de la quantité de protéine disponible à un instant donné, ce que certaines drogues sont précisément capables de modifier.

MeCP2 et droguesEn 2006, dans un article qui figure parmi les tout premiers à décrire l’implication de mécanismes épigénétiques dans le mode d’action des drogues, nous avons montré que des injections répétées de cocaïne à des rats augmentaient fortement l’expression de protéines liant l’ADN méthylé dans les aires de projection dopaminergique [31]. La Figure 3 illustre ce phénomène, en montrant l’induction de MeCP2 et de MBD1, ainsi que la diminution concomitante du niveau d’acétylation de l’his-tone H3. Des résultats analogues ont été obtenus lorsque les rats s’ad-ministraient eux-mêmes la drogue (Encadré 1) [32]. Ils ont été éten-dus, puisque la diminution de MeCP2 dans le striatum dorsal a pour

conséquence de tempérer la prise de cocaïne par les rats, suggérant que MeCP2 est nécessaire pour relayer les effets de ce psychostimulant [33]. En revanche, la diminution de MeCP2 dans le noyau accumbens entraîne une préférence de place accrue pour l’amphétamine (Encadré 1) [34]. Clairement, des études supplémen-taires sont nécessaires pour déterminer le rôle exact de la protéine dans le mode d’action des drogues.

Les modifications post-traductionnelles des histones, l’acétylation

Les extrémités amino-terminales des histones ren-ferment un ensemble de résidus susceptibles d’être modifiés de manière covalente. Ces modifications concernent l’acétylation ou la méthylation [53] ; en général, l’acétylation de résidus lysine entraîne un état ouvert de la chromatine, donc une transcription activée. La situation est moins tranchée en ce qui concerne la méthylation de résidus lysine et arginine, même si celle-ci est souvent associée à un état fermé. D’autres modifications comprennent la phosphoryla-tion, l’ubiquitination ou encore la sumoylation des histones. Un grand nombre d’enzymes sont nécessaires pour établir ces marques épigénétiques, puis pour les effacer, car nous sommes en présence de méca-nismes hautement réversibles. Une complexité inouïe se dégage de l’ensemble de ces mécanismes. Puisque chaque modification est susceptible d’influencer les autres [35] et que cette régulation varie selon le gène considéré, il semble difficile d’invoquer un « code des histones », comme cela est parfois proposé [6, 10, 35]. Acétyler des histones revient à éliminer les charges positives des résidus lysine, donc à diminuer les interactions des histones avec l’ADN. Le processus est contrôlé, d’une part par les histones acétyltrans-férases (HAT) qui catalysent l’acétylation, et d’autre part par les histones déacétylases (HDAC) [54] qui hydrolysent les groupements acétyles. Les HAT sont regroupées en au moins quatre familles, d’après leur divergence de séquence du domaine HAT. On les retrouve dans de multiples complexes protéiques, ce qui leur permet sans doute de cibler un grand nombre de substrats. La composition des cinq classes d’HDAC décrites à ce jour est présentée dans la Figure 4.

Acétylation des histones et droguesDe nombreuses publications décrivent des modifi-cations de l’acétylation des histones en réponse aux drogues [56]. Ainsi, le niveau global de l’acétylation des histones H3 et H4 dans le noyau accumbens est augmenté en réponse au traitement par la cocaïne

Figure 3. Immunoréactivité des protéines MeCP2 et MBD1, ainsi que de la forme acétylée de l’histone H3, en réponse à la cocaïne. Les rats ont été traités pen-dant 10 jours à raison d’une injection de 20 mg/kg de cocaïne par jour. Ils ont été mis à mort 15 heures après la dernière injection, et des coupes coronales du cerveau ont été réalisées. Les protéines ont été révélées dans le striatum dorsal à l’aide d’anticorps primaires polyclonaux dirigés contre MeCP2, MBD1 ou contre les formes acétylées des résidus lysine-9 et -14 de l’histone H3 (Ac-H3 K9/14). On distingue les noyaux marqués, suite à la révélation de l’activité peroxydase. Le nombre de noyaux immunoréactifs pour les protéines de liaison à l’ADN méthylé est augmenté d’un facteur d’environ 2,7 chez les animaux traités, alors que les noyaux exprimant les formes acétylées de l’histone H3 sont diminués d’un facteur 2,3 (d’après Cassel et al. [31]).

MeCP2

Contrôle Cocaïne

MBD1

Ac-H3K9/14

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inhibiteurs a conduit à : (1) augmenter la consom-mation de cocaïne pendant la phase de maintenance de l’autoadministration [48] ; (2) accroître la sen-sibilisation comportementale et la préférence de place induites par la morphine [49] ; (3) potentia-liser la sensibilisation comportementale et l’activité locomotrice induites par l’amphétamine [50] ; et (4) augmenter l’activation locomotrice produite par la cocaïne [36, 39]. Diverses explications ont été avancées pour tenter d’expliquer ces observations parfois contradictoires. Elles concernent : la durée du traitement ; les protocoles d’injection des drogues et des inhibiteurs d’HDAC susceptibles d’entraîner des adaptations différentielles, voire opposées ; la phase du conditionnement (acquisition versus maintenance) pendant laquelle le traitement est effectué ; et la nature de la drogue utilisée ainsi que le type de test comportemental employé. Il convient d’ajouter la stabilité de ces marqueurs épigénétiques. Même si le remodelage de la chromatine a été observé parfois en réponse à une simple stimulation neuronale, un traitement répété est souvent requis pour mettre en évidence ce remodelage et les changements compor-tementaux qui en découlent. La persistance des marques épigénétiques est illustrée par des expériences de séparation mère-enfant chez le rat. Dans ce modèle, la séparation des nouveau-nés de la mère pendant trois heures par jour durant les 14 premiers jours de vie entraîne une augmentation importante de l’expression du complexe MeCP2/HDAC2, accompagnée d’une baisse de l’acétylation des histones [51]. Ces modifications subsistent jusqu’à l’âge adulte, âge auquel les animaux présentent une vulnérabilité accrue aux drogues. Il est probable que les régulations qui font intervenir le complexe MeCP2/HDAC2 jouent un rôle dans cette vulnérabilité, puisque la surconsomma-tion de drogue, de même que l’acétylation de l’histone H4, sont abolies par un inhibiteur d’HDAC. Ces données suggèrent que des régulations épigénétiques, qui sub-

[36]. L’acétylation de l’histone H3 est augmentée également dans le cortex préfrontal de souris soumises au test de préférence de place induite par la méthamphétamine [37]. Mais les cascades de signalisation mises en jeu par les psychostimulants pour aboutir à cette acétylation ne sont pas connues. D’autre part, le sevrage de l’alcool est accompagné par une augmentation de l’activité HDAC globale et par une diminution de l’acétylation des histones dans l’amygdale de souris [38]. D’autres études ont montré l’importance de la régulation d’HDAC5, un membre de la classe IIa des HDAC, en réponse à la cocaïne [39]. Ce type de régulation entraîne l’expres-sion du facteur de transcription MEF2C (myocyte enhancer factor 2C) [40]. La technique d’immunoprécipitation de la chromatine associée à une analyse par microarray (ChIP-chip) a permis de caractériser les modifications des histones sur l’ensemble du génome. Ce type d’investigation a permis de montrer que très peu de gènes portaient des histones hyperacétylées à la fois sur H3 et H4, en réponse à la cocaïne, suggérant que les deux marqueurs avaient des rôles dis-tincts. [41].

Effets comportementaux des inhibiteurs des HDACEn utilisant des inhibiteurs pharmacologiques des HDAC, il est relativement aisé d’agir sur le niveau d’acétylation des histones. Les principaux inhibiteurs d’HDAC, ainsi que leurs sélectivités, sont présentés dans la Figure 5. Chez les rongeurs, cette approche sug-gère que le développement des comportements liés à l’addiction était sans doute relié à des modifications épigénétiques, même si les résultats ne sont pas toujours concordants. C’est ainsi que des inhibiteurs non sélectifs des HDAC : (1) réduisent la consommation de cocaïne pendant la phase d’acquisition de l’autoadministration, ainsi que la motivation des rats à s’autoadministrer la drogue [42] ; (2) réduisent la consommation d’éthanol par des souris et la moti-vation des rats à s’administrer de l’éthanol [43] ; (3) facilitent l’extinction de la préférence de place induite par la cocaïne [44] ; (4) réduisent la préférence de place induite par la nicotine, mais pas l’aversion de place provoquée par des doses plus élevées [45] ; (5) inhibent la sensibilisation comportementale provoquée par l’éthanol [46] ; et (6) réduisent le comportement de recherche de cocaïne après une période de sevrage de trois semaines (rechute) [47]. D’autre part, un traitement similaire avec souvent les mêmes

Figure 4. Les différentes classes de HDAC. On distingue quatre classes d’his-tones désacétylases (HDAC) suivant la nature de leurs cofacteurs (soit l’ion Zn2+, soit le nicotinamide adénine dinucléotide NAD+) et suivant leurs loca-lisations subcellulaires. Les membres des classes I et IV sont retrouvés prin-cipalement dans le noyau, alors que ceux de la classe II sont présents dans le noyau et le cytoplasme. Leur migration entre les deux compartiments est assurée par des mécanismes de phosphorylation. Certaines sirtuines (Sirt) sont également localisées dans le noyau et le cytoplasme, alors que l’on retrouve Sirt3, 4 et 5 exclusivement dans les mitochondries.

Dépendantes du Zn2+

Dépendantes du NAD+

Classe I

Classe IIa

Classe IIb

Classe IV

Classe III

HDAC 1, 2, 3 et 8

HDAC 4, 5, 7 et 9

HDAC 6 et 10

HDAC 11

Sirtuines(Sirt 1 à 7)

Les HDAC

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SUMMARYEpigenetics and drug addiction: a focus on MeCP2 and on histone acetylation Chronic drug exposure alters gene expression in the brain, which is believed to underlie compulsive drug see-king and drug taking behavior. Recent evidence shows that drug-induced long-term neuroadaptations in the brain are mediated in part by epigenetic mechanisms. By remodeling chromatin, this type of regulation contri-butes to drug-induced synaptic plasticity that trans-lates into behavioral modifications. How drug-induced alterations in DNA methylation regulate gene expres-sion is reviewed here, with a focus on MeCP2, a protein binding methylated DNA. The importance of histone modifications, especially acetylation is also discussed, with an emphasis on the effects of inhibitors of histone deacetylases on drug-induced behavioral changes. The precise identification of the epigenetic mechanisms that are under the control of drugs of abuse may help to uncover novel targets for the treatment of drug seeking and relapse. ‡

REMERCIEMENTSJe remercie le Dr K. Béfort et le Dr P. Anglard pour leur lecture critique du manuscrit.

LIENS D’INTÉRÊTL’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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sistent pendant une bonne partie de la vie, sous-tendraient la trace d’évènements traumatisants se produisant durant les tout premiers jours de vie.

Conclusion et perspectives

Des progrès remarquables ont été réalisés ces dernières années dans la description des modifications de l’état de la chromatine en réponse aux drogues. L’acétylation de résidus lysine des his-tones a été particulièrement bien renseignée. Mais de nombreuses questions essentielles restent en suspens, auxquelles il faudra répondre si l’on veut comprendre l’impact et la persistance des marqueurs épigénétiques dans la mise en place de la dépendance aux drogues. Il s’agira de caractériser précisément les événements moléculaires qui régulent le remodelage de la chromatine et, par là même, les gènes différentiellement exprimés en réponse à un trai-tement chronique par les drogues. Ces analyses devront concerner les modifications se produisant sur l’ensemble du génome, dans les principaux types de cellules des structures clés du circuit de la récompense. Ces analyses sont aujourd’hui possibles du fait de l’introduction des techniques de ChIP-Seq ou de MeDIP-Seq, qui combinent l’immunoprécipitation de la chromatine ou de l’ADN méthylé au séquençage massif du génome. Ces approches globales nous renseigneront sur la nature des gènes incriminés, et nous indiqueront dans quelle mesure les mécanismes neurobio-logiques responsables de la mise en place, puis de la persistance du comportement compulsif, sont sous le contrôle de régulations épigénétiques. Cette approche servira sans doute aussi à identifier de nouvelles cibles pharmacologiques pour contenir la recherche effrénée de drogue, ainsi que la rechute. ‡

Figure 5. Les principaux inhibiteurs d’HDAC. Les inhibiteurs sont regroupés selon leur structure chimique en quatre familles représentées ici par un ou plusieurs membres. Leur sélectivité, souvent très large, est indiquée (d’après Anne et al. [52]).

Acides gras àcourte chaînealiphatique

Classes I et IIa - Butyrate- Phénylbutyrate- Valproate

Les inhibiteurs d’HDAC

Hydroxamates

Benzamides

Tétrapeptidescycliques

Cibles

- Trichostatine A- SAHA (Vorinostat)- LBH-589 (Panobinostat)- PXD-101 (Belinostat)

- MS-275 (Entinostat)- MGCD-0103 (Mocétinostat)

- Depsipeptide(Romidepsine)

Classes I, IIa, IIbet IV

HDAC 1, 2 et 3HDAC 1, 2, 3 et 11

HDAC 1 et 2

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induced plasticity in striatum. Neuron 2005 ; 48 : 303-14. 37. Shibasaki M, Mizuno K, Kurokawa K, Ohkuma S. L-type voltage-dependent calcium channels

facilitate acetylation of histone H3 through PKCgamma phosphorylation in mice with methamphetamine-induced place preference. J Neurochem 2011 ; 118 : 1056-66.

38. Pandey SC, Ugale R, Zhang H, et al. Brain chromatin remodeling: a novel mechanism of alcoholism. J Neurosci 2008 ; 28 : 3729-37.

39. Renthal W, Maze I, Krishnan V, et al. Histone deacetylase 5 epigenetically controls behavioral adaptations to chronic emotional stimuli. Neuron 2007 ; 56 : 517-29.

TIRÉS À PARTJ. Zwiller

LA FONDATION PREMUP : UN OPÉRATEUR DE TERRAIN EN PÉRINATALITÉ RECONNU POUR SON EXCELLENCE ET SON INTERDISCIPLINARITÉ

La Fondation de coopération scientifique PremUp, unique en Europe, intervient sur la prévention du handicap à la naissance, par la protection de la santé de la femme enceinte et du nouveau-né.

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L’entreprise californienne 23andMe est une habituée de ces Chroniques génomiques. Je l’ai déjà évoquée plu-sieurs fois [1-3], souvent pour mettre en doute la soli-dité des informations à prétention médicale qu’elle four-nissait à ses clients avant que la FDA ne le lui interdise fin novembre 2013 [4]. Elle gardait certes la possibilité de fournir des indications sur l’ascendance, l’origine géographique, données dont les Nord-Américains sont très friands, comme en témoigne le fait que près de trois millions d’entre eux aient déjà eu recours aux entreprises de ce secteur (Genographic Project, 23andMe, Ancestry. com, et Gene by Gene) [5] mais à 99$1 l’analyse, sa rentabilité ne semblait pas assurée. Dès alors, des voix s’élevaient pour suggérer que le véritable business model de 23andMe était tout autre [6, 7]. J’étais assez scep-tique sur ce point, mais l’annonce récente d’un juteux contrat entre 23andMe et Genentech confirme cette hypothèse de manière éclatante, d’autant plus que l’on apprend qu’en fait il existe déjà treize accords plus ou moins similaires avec d’autres entreprises.

La « vente » de trois mille patients à Genentech, partie émergée de l’iceberg

Le contrat conclu avec Genentech va permettre à cette entreprise d’utiliser les données de trois mille patients atteints de la maladie de Parkinson (23andMe conserve en tout les données de onze mille patients) pour identi-fier des cibles contre lesquelles développer de nouveaux médicaments. Pour chacune de ces personnes, 23andMe dispose déjà des informations cliniques fournies par ses clients, de leur profil de snip (qu’ils ont payé, selon la date, 299 ou 99 dollars) et, bien sûr, de leur ADN. Ce dernier sera intégralement séquencé, et l’ensemble des résultats partagés entre les deux entreprises. L’intérêt, du point de vue de Genentech, est que les échantillons

1 Prix cassé, au départ 995$ puis 299$. Comme l’analyse suppose la mise en œuvre d’un microarray complexe, on pouvait vraiment se demander si le tarif de 99$ laissait une marge à l’entreprise.

sont déjà rassemblés, génotypés et pourvus d’annotations cli-niques, et que le choix des trois mille à séquencer pourra donc être fait de manière rationnelle et pointue : comme le dit un respon-sable de 23andMe, « Ils [les patients] seront choisis de manière très astucieuse (smart) en tenant compte des facteurs génétiques connus, de leur profil de symptômes, de leur histoire familiale et ainsi de suite » [8]. C’est effectivement une approche intéressante qui pourrait autoriser la découverte d’associations génétiques, de cibles utiles et l’établissement de protocoles d’essais cliniques ciblés sur des catégories précises de patients et susceptibles de donner des réponses rapides. Genentech est prêt à payer le prix fort : selon plusieurs indiscré-tions, de l’ordre de 60 millions de dollars en tout, soit environ vingt mille dollars par échantillon. Et, apparem-ment, 23andMe se fait fort d’obtenir le consentement de ses clients (re-consent), s’appuyant sur son expé-rience passée et la volonté de ceux-ci de participer à la recherche. En fait, ceux-ci ont déjà donné leur accord (comme 600 000 des 820 000 clients de 23andMe) pour que leurs données soient utilisées pour la recherche, sous condition d’anonymat. Mais, comme Genentech aura besoin d’informations cliniques détaillées, d’indi-cations sur l’histoire familiale, et devra rattacher ces renseignements à des données de séquence individuelle, il faudra un accord supplémentaire pour lequel l’entre-prise ne semble pas avoir d’inquiétudes, ni d’ailleurs envisager un quelconque dédommagement.

23andMe ou comment (très bien) valoriser ses clientsBertrand Jordan

Chroniquesgénomiques

médecine/sciences

UMR 7268 ADÉS, Aix-Marseille, Université/EFS/CNRS, Espace éthique méditerranéen, hôpital d’adultes la Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille Cedex 05, France ; CoReBio PACA, case 901, parc scientifique de Luminy, 13288 Marseille Cedex 09, France. [email protected]@orange.fr

m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104020

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Ce n’est pas la première fois que 23andMe s’implique dans la recherche : une analyse GWAS (genome-wide association study), publiée en 2011 en collaboration avec le Parkinsons’s Institute (Sun-nyvale, États-Unis) [9], avait montré que l’analyse des profils de snip emmagasinés par l’entreprise permettait de retrouver les associations génétiques déjà connues pour cette affection et d’en détecter deux nouvelles. Cette étude, qui renforçait la crédibilité scientifique de la firme, ne lui avait pas rapporté d’argent ; mais elle a sans doute grandement facilité l’attraction de partenaires industriels. Ce sont en effet pas moins de quatorze accords de partenariat qui ont été passés avec des entreprises pharmaceutiques et des universités. La plupart restent aujourd’hui secrets, mais on peut penser qu’ils comportent des contreparties financières substantielles. Au-delà du cas de Genentech, on a quelques détails sur un contrat conclu avec Pfizer, qui ouvre à cette entreprise la base de données de 23andMe et ses 650 000 patients « consentants » pour mener plusieurs études GWAS à la recherche de cibles : un projet sur les maladies inflamma-toires de l’intestin conclu en août 2014, un autre sur le lupus en jan-vier 2015. Tout ceci donne raison à ceux qui affirmaient que l’objectif de 23andMe n’est pas de vivre en vendant des tests génétiques à 99$, mais de monnayer très cher l’accès à des données rassemblées, en quelque sorte, à l’insu de ses clients [6, 7]. Cela vous rappelle-t-il le modèle commercial de Facebook ou de Google ? Google fonde son chiffre d’affaires annuel de cinquante milliards de dollars sur la vente d’informations permettant à la publicité de mieux vous cibler, et il n’est pas sans intérêt dans ce contexte de mentionner qu’Anne Woj-cicki, cofondatrice de 23andMe, a été l’épouse de Serguei Brin, cofon-dateur de Google, et que Google Ventures a investi cent cinquante millions de dollars dans 23andMe.

Un modèle viable ?

L’engouement que manifeste à l’heure actuelle l’indus-trie pharmaceutique ne doit pas empêcher un regard critique sur les limites de ce modèle. Notons d’abord que l’entreprise islandaise deCODE Genetics, créée en 1994 et qui comptait fonder le développement de médicaments innovants sur une étude génétique très exhaustive de la population islandaise, a connu une existence chaotique, a accumulé plus d’un demi-mil-liard de dollars de dettes, et, de faillites en rachats, a fini récemment dans le giron d’une entreprise chinoise qui l’a achetée pour 65 millions de dollars seulement. Aucun médicament n’a jusqu’ici découlé de tous ces travaux. La tentative était sans doute prématurée, mais cet échec donne à réfléchir.On peut aussi se poser des questions sur la qualité des informations cliniques détenues par 23andMe. Celles-ci ont été fournies directement par les clients lorsqu’ils ont commandé leur analyse à la firme2, elles n’ont pas été filtrées par un praticien, leur qualité et leur homogénéité ne sont donc pas assurées. C’est sans doute à ce niveau qu’intervient le consentement sup-plémentaire (re-consent) autorisant la transmission de données individuelles (et non plus agrégées), étape qui doit permettre une collecte plus systématique de don-nées cliniques, mais peut aussi fournir aux patients une occasion de réclamer une part des sommes engrangées par l’entreprise ! Il est d’ailleurs étonnant de consta-ter que, à ma connaissance, aucun des commentaires parus sur ce contrat n’aborde cette question. Comme on peut le voir sur l’un d’eux (Figure 1), on y parle d’of-frir des données aux chercheurs, et non de les vendre à une entreprise.En somme, on peut considérer que 23andMe a réussi son coup, a accumulé un ensemble de données géné-tiques et cliniques auxquelles l’industrie pharmaceu-tique accorde aujourd’hui une grande valeur - tout en faisant financer cette collecte par les patients eux-mêmes3. L’entreprise tire donc brillamment son épingle du jeu. Quant à savoir si cette approche donnera les résultats qu’espèrent ceux qui achètent ces jeux de patients, seul l’avenir nous le dira. Cela dit, Pfizer ne doit pas être trop déçu, puisqu’un deuxième contrat a été conclu six mois après le premier.

2 Par exemple, dans l’article sur la maladie de Parkinson [9] « Most cases (approx-imately 84 %) also provided detailed information about their disease progression, other diagnoses, symptoms, response to medication, and family history. »3 Selon certains échos, nombre de patients du projet Parkinson auraient bénéficié d’une analyse gratuite, ce qui montre bien où se situe l’intérêt de l’entreprise.

Figure 1. Une présentation assez biaisée du contrat entre 23andMe et Genentech (par John Fingas sur le site Engadget, http://www.engadget.com). En réalité, 23andMe vend (assez cher) vos données génétiques (et médicales) à des entreprises pharmaceutiques. Quant au consentement, vous l’avez déjà donné en achetant votre profil auprès de l’entreprise, il vous sera éventuellement demandé de le re-confirmer (voir texte).

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Le summum de la nouvelle économie marchande

Dès avant la révélation de ces accords, la tactique de 23andMe avait été dénoncée d’une manière qui, rétrospectivement, ne manque pas de clairvoyance. Dans une longue lettre à Nature Biotechnology, Ruslan Dorfman [6], concurrent de l’entreprise pour la vente de tests DTC (Direct To Consumer), l’avait accusée de vendre à perte pour se constituer une base de données et privatiser, à l’instar de Myriad Genetics [10], les associations génome/maladie. Il terminait sa missive en exhortant les clients à ne pas fournir d’informations médicales à 23andMe4. Un peu plus tard, Charles Seife, dans Scientific American [7] analysait plus en détail le vrai modèle de l’entreprise, concluant que son Personal Genome Service n’était pas un dispositif médical5, mais « un mécanisme constituant une façade pour une opé-ration massive de récupération d’information menée envers un public non averti » (a mechanism meant to be a front end for a massive information-gathering operation against an unwitting public). Il terminait son article en formulant de sérieuses inquiétudes sur le respect des conditions de confidentialité, insistant sur la manière dont ces dernières ont évolué dans le mauvais sens pour Google, tant dans leur formulation que dans la pratique effective.Au-delà de la frustration que l’on peut éprouver en voyant une firme vendre très cher (20 000 dollars par personne, rappelons-le) les informations médicales qu’on lui avait fournies gracieusement et le profil de snip qu’on lui avait acheté, il faut effectivement envisager ce que devient notre intimité génétique dans cette affaire. Profil de snip, informations médicales, et bientôt séquence d’ADN (obtenue dans le cadre des contrats passés avec Genentech, Pfizer ou d’autres), tout cela intéresse beaucoup de monde, assurances, marketing pharmaceutique, qui peuvent, au vu de ces informations, vous cibler pour vous vendre tel ou tel produit, ou éventuellement pour vous refuser telle ou telle assurance. Les garanties que donne l’entre-prise ne peuvent être totalement rassurantes : on a vu avec Google et Facebook comment ces promesses pouvaient se diluer au fil du temps, ou même être carrément oubliées, et on sait aussi qu’une séquence d’ADN « anonyme » peut assez facilement être rat-tachée à une personne précise [11]. Notre « intimité génétique » est en danger, et ce n’est pas pour rien que la revue Science a consacré une bonne partie de son

4 Feel free to buy 23andMe’s test. But whatever you do, do not provide them with your health data. In doing so, you risk giving away your data into the hands of a monopolistic corporation.5 Comme le soutenait la FDA pour lui en interdire la commercialisation.

numéro du 30 janvier 2015 à « La fin de l’intimité » [12] : le problème est général, mais particulièrement aigu pour ce qui concerne notre santé et notre génome. Les moyens de limiter ces intrusions peuvent être d’ordre législatif - mais la laborieuse mise en œuvre du « droit à l’oubli » imposé à Google par la Cour européenne de justice [13] montre la difficulté d’imposer concrètement de telles mesures. On peut aussi faire appel au sens critique et à la prudence des clients d’entreprises d’analyse génétique, tout en sachant que ces firmes ont plus d’un tour dans leur sac pour nous soutirer des informations. Oui, décidément, nous risquons bien d’assister à la fin de la vie privée, ou tout au moins d’une certaine idée de l’intimité... ‡

SUMMARY23andMe: how to make (a lot of) money out of your customersThe announcement of several deals between the DTC genetics firm 23andMe and Genentech, Pfizer and other corporations reveals the real business model of the company: selling access to sets of characterized patients for targeted drug development. This may be a useful stra-tegy, but it raises a number of questions concerning the privacy of the company’s customers and also of adequate compensation when they become valuable currency. ‡

LIENS D’INTÉRÊTL’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet articl

RÉFÉRENCES

1. Jordan B. Les tests génétiques grand public ont-ils une utilité clinique ? Med Sci (Paris) 2012 ; 28 : 325-8.

2. Jordan B. Un triomphe commercial surprenant. Med Sci (Paris) 2013 ; 29 : 1167-70. 3. Jordan B. Grandes manœuvres autour des profils génétiques en libre accès. Med

Sci (Paris) 2014 ; 30 : 227-8. 4. Jordan B. Le réveil de la Food and Drug Administration. Med Sci (Paris) 2014 ;

30 : 43. 5. Justin Petrone. Consumer genomics market should pass tipping point of 3 million

samples tested in 2015. GenomeWeb January 13, 2015. 6. Dorfman R. Falling prices and unfair competition in consumer genomics. Nat

Biotechnol 2013 ; 31 : 785-6. 7. Seife C. 23andMe is terrifying, but not for the reasons the FDA thinks.

Scientific American November 27, 2013. http://www.scientificamerican.com/article/23andme-is-terrifying-but-not-for-reasons-fda/

8. Turna Ray. With large Parkinson’s sequencing project, 23andMe hopes to prove value of consumer-driven research. GenomeWeb January 7, 2015.

9. Do CB Tung JY Dorfman E, et al. Web-based genome-wide association study identifies two novel loci and a substantial genetic component for Parkinson’s disease. PLoS Genet 2011 ; 7 : e1002141.

10. Jordan B. Myriad Genetics, l’arme du secret. Med Sci (Paris) 2013 ; 29 : 101-3. 11. Gymrek M, McGuire AL, Golan D, et al. Identifying personal genomes by surname

inference. Science 2013 ; 339 : 321-4. 12. Enserink M, Chin G. The end of privacy. Science 2015 ; 347 : 490-1. 13. Droit à l’oubli : la justice française condamne Google. Le Monde/AFP 16 janvier

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médecine/sciences

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médecine/sciences 2015 ; 31 : 450-1

m/s n° 4, vol. 31, avril 2015DOI : 10.1051/medsci/20153104021

Bureau de développement de l’éthique, Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke, 3001, 12e avenue nord, Sherbrooke (Québec), [email protected]

Du tragique en médecineJacques Quintin

médecine/sciences

contrario, que fait-on malgré la futilité des soins, si la vie continue d’avoir un sens pour le malade ? Est-ce que survivre est une valeur en soi ? La ligne de démarcation entre avantages et inconvénients d’un soin est brouillée du fait que « ce que les patients valorisent dans la qualité de vie diffèrent de ce que les médecins valorisent ». Il existe ainsi un écart important entre des critères médicaux ou pragmatiques et des critères existentiels. Si la médecine du tri a pris son essor dans un contexte d’urgence, principa-lement celui du champ de bataille propre à la Première Guerre mondiale, on assiste aujourd’hui à une extension de cette pratique du triage, de sorte

que les enjeux ne sont pas identiques. Il existe une différence entre exercer une médecine d’urgence envers des blessés graves selon des critères médi-caux, dont celui de la survie, et une médecine de catastrophe où on assiste à un renversement des priorités de sorte qu’on tentera de sauver le plus grand nombre de malades possible en privilégiant les plus aptes à survivre, donc les moins malades, selon des critères utilitaristes. Dans le premier contexte, on se demande qui est le plus gravement atteint, tandis que dans le second contexte, on s’interroge sur « qui sauver quand on ne peut pas sauver tout le monde ». Bref, les enjeux éthiques ne sont pas les mêmes. Les médecins sont pris entre appliquer des critères médicaux et des critères qui relèvent de l’égalitarisme ou de l’uti-litarisme. Peu importe les critères, le médecin est confronté au fait de choisir entre la vie et la mort : plus exactement de donner la vie ou la mort. Ce

rôle de souverain, le médecin l’assume difficilement. De plus, en situation de catastrophe, le triage implique « le passage, pour le meilleur et le pire, d’une norme de justice distributive à une autre ». Nous voyons que l’exercice de la médecine est un geste social et politique qui engage d’autres critères que les critères médicaux et d’autres experts que les médecins et les autorités morales. Dans un tel contexte, où sont

Il tombe sous le sens qu’une pratique de triage fait partie inhérente de la médecine pour offrir de meilleurs soins. Ce qui se montre avec moins d’évidence, ce sont tous les enjeux médicaux, sociaux, économiques et éthiques qui se rattachent à une médecine du tri. Au début du XIXe

siècle s’est établi un mécanisme de tri afin d’orienter les malades, soit vers les hôpitaux, soit vers les hospices. Le critère principal pour départager les malades fut celui de la curabilité. Pour avoir un accès à l’hôpital, donc à des soins médicaux, il ne fallait pas être trop malade. Dans ce nouveau contexte hospitalier, les malades recevaient des soins afin de pouvoir retrouver leur capacité à travail-ler. Nous voyons que le concept de rétablissement, aujourd’hui comme hier, se situe entre la pensée médi-cale et la raison administrative. Ces deux ordres du discours ne sont pas si étanches qu’on pourrait le laisser croire. Le livre de Guillaume Lachenal, Céline Lefève et Vinh-Kim Nguyen montre qu’il existe une col-lusion entre les critères médicaux, sociaux, économiques et moraux [1]. Le triage requiert de définir des prio-rités dans l’utilisation des ressources limitées. Cette définition des priorités ne va pas sans une prise en compte des moyens médicaux à notre disposition, et sans un jugement de valeur sur la vie des malades. La question consiste à savoir s’il est « futile de produire des formes de vie diminuée ». Autrement dit, que signifie une vie sauvée physiologiquement si cette même vie ne revêt plus de sens pour le malade ? Ou, a

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vers l’établissement de critères ou d’un système de normes, c’est de répondre de manière créative à des situations d’exception. Pour cette raison, il convient d’introduire un peu - ou beaucoup - de subjectivité pour interpréter et transgresser ces critères sur lesquels pourtant on s’entend. C’est tout l’art médical ou l’art du discernement, comme quoi la médecine ne peut pas se permettre une économie de la réflexion philosophique sur ce que l’on est en train de faire et sur ce que l’on pense être le mieux. Le pire scénario serait, pour des médecins et des admi-nistrateurs, de ne jamais remettre en question les critères sur lesquels ils se reposent pour justifier leur choix. Le second scénario inacceptable serait de croire que la remise en question relèverait du seul apanage des dominants, c’est-à-dire les instances médico-scientifiques et admi-nistratives. La médecine du tri est devenue plus complexe que celle qui s’exerçait sur le champ de bataille. Cela implique aussi une résolution de problèmes plus complexes en incluant la prise en compte de la voix des malades, des proches et du public, et en n’oubliant pas la visée du triage : sauver des vies sans savoir avec certitude lesquelles. Nous sommes en pleine tragédie : accomplir l’horreur pour parti-ciper à un peu de bonheur pour quelques-uns. Encore faut-il être de bonne volonté, ce qui, dans un autre contexte, par exemple celui des camps d’extermination nazis, n’était sûrement pas le cas. En revanche, l’un dans l’autre, comme le proposent les directeurs de ce collectif, on doit exercer une critique du tri : comment se fait-il que nous sommes pris à exercer une médecine du tri ? Ou encore : ne sommes-nous pas tous responsables des conditions qui rendent la médecine du tri nécessaire ? Que nous adoptions une perspective médicale, utilitariste ou égalitariste, cela ne change pas la question de fond : la question des conditions de possibilité pragmatiques ou des présupposés, question philosophique par excellence. Ce faisant, devant des pra-tiques et des critères, même éthiques, s’ils heurtent notre sensibilité, il y a tout lieu de les interpréter au lieu de se dissoudre dans un ramassis de connaissances en forme de mosaïque atomique. Pour cela, il convient de déplacer notre attention pour comprendre autrement. ‡The tragic side of medicine

LIENS D’INTÉRÊTL’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

RÉFÉRENCES

1. Lachenal G, Levève C, Nguyen VK. La médecine du tri. Histoire, éthique, anthropologie. Paris : PUF, 2014 : 312 p.

2. Hume D. La morale. Traité de la nature humaine III. Paris : GF-Flammarion, 1993 : 65.

interpellés des enjeux éthiques, il est de mise que la réflexion ne soit pas réservée qu’aux seuls médecins ; d’autant plus que l’impartialité des médecins et des humanitaires n’est pas si étanche qu’on le croit. La com-plexité des situations rencontrées exigent certes des prises de décisions qui reposent sur des raisons médicales. Mais elles engagent aussi d’autres logiques, d’autres valeurs et d’autres idéologies, de sorte que, parfois, les émotions peuvent jouer un rôle crucial dans les prises de décisions. Il y a des malades qui recevront plus de soins parce que les professionnels de la santé se sentent davantage touchés par la situation. Les médecins sont aussi mus par l’émotion « sauver à tout prix », qui n’est pas toujours très efficace d’un point de vue administratif. Si nous appliquons la distinction établie par Weber entre les éthiques de la conviction et de la responsabi-lité, nous constatons que les médecins sont écartelés entre le respect de leur devoir ou de leur conviction et le souci d’être efficace selon les consé-quences de leur geste ou de leur pronostic. Il y a donc aussi les différentes logiques administratives. Par exemple : « Faut-il soigner les touristes ? », question qui remet en cause le « principe de l’accès inconditionnel aux soins », de sorte qu’il n’est plus « possible de penser le soin sans sa prise en charge financière ». Cela implique la mise en place de critères d’exclusion qui compromettent les principes de solidarité. Ce collectif d’auteurs a le mérite de présenter une approche multidisci-plinaire qui donne une excellente description des différentes pratiques de triage. Comme il est écrit majoritairement par des médecins, des historiens et des anthropologues, le contraire aurait été surprenant. Mais si nous ne voulons pas reproduire le raisonnement fallacieux dénoncé par Hume [2]1, à savoir prescrire le cours de l’action en rai-son de ce qui existe déjà, il conviendrait de reprendre ce sujet du tri à l’aide de concepts prescriptifs. Ce qui devrait être ne relève pas de ce qui est, mais de notre manière d’imaginer la vie selon nos souhaits. Si le rationnement est inévitable, il n’en demeure pas moins qu’une réflexion élargie sur les enjeux entourant la médecine du tri est aussi nécessaire. Cette réflexion ne peut se faire sans l’implication des différents acteurs que sont les médecins, les patients, les proches et les institutions, pour parvenir à un accord sur les « bonnes » raisons d’agir. Reste maintenant à entendre la voix du public. Il ne s’agit pas de dialoguer parce qu’on penserait que le dialogue est le meilleur outil pour la résolution de pro-blème complexe. Il convient de s’exercer au dialogue pour faire ressortir nos propres présupposés qui guident nos choix et nos réflexions. C’est un enjeu éthique, mais surtout philosophique, dans la mesure où il s’agit de justifier nos choix. Cela engage deux questions fondamentales : dans quel type de société désirons-nous vivre ? Et quel sens accordons-nous à l’existence humaine ? Il existe une autre menace que celle de notre survie, c’est celle qui découle des pratiques qui ignorent le poids du sens des choses vécu par le public. Peu importe le choix des critères ou du système de normes qui nous per-mettrait de s’entendre sur les pratiques du triage en médecine, il n’en demeure pas moins, si ces critères sont utilisés comme des fin en soi et non comme des moyens, que nous oublierons qu’une personne malade, c’est une personne vivante portée par une histoire de vie singulière, et non pas une simple histoire de cas ou un dossier. Ce que l’on vise idéalement à tra-

1 David Hume (7 mai 1711 - 25 août 1776) est un philosophe, économiste et historien britannique.

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médecine/sciences est une revue internatio-nale mensuelle francophone d’information dans tous les domaines de la recherche bio-logique, médicale et en santé.Les articles sont référencés dans PubMed depuis 2003, à l’exception des Brèves.En écrivant dans m/s, les auteurs ont le plai-sir de faire partager aux lecteurs, dans leur langue, leur intérêt et même leur enthou-siasme pour le sujet traité, en y apportant leur touche d’humour et de culture, surtout dans la partie Forum, où la plus grande liberté d’expression est autorisée.Toutefois, la revue s’adressant à un lecto-rat très varié de chercheurs, d’enseignants, d’hospitalo-universitaires, de médecins, d’étu-diants, elle exige de la part des auteurs de développer leurs sujets en allant jusqu’au bout des connaissances scientifiques, quelle qu’en soit la difficulté dans un style clair et intelligible pour les non-spécialistes.

La rédaction de la revue demande à tout auteur de se conformer aux quelques règles de base suivantes : • toujours défi-nir les sigles et acronymes ; • rassembler en tableaux et glossaires, les précisions tech-niques, méthodologiques et les compléments d’information qui surchargeraient le texte.

Les 3 rubriques de m/s1. Des Synthèses qui font le point sur un sujet par un (des) auteur(s) spécialiste(s) du domaine. Au-delà du catalogue des faits collectés, elles doivent permettre une vraie discussion des résultats scientifiques. Des Dossiers techniques (qui font le point sur une technique ou un ensemble de techniques récemment développées dans le domaine biomédical).

2. Le Forum propose des articles de réflexion, c’est-à-dire, des Perspectives et des Chroniques sur des sujets faisant l’objet de débats dans la communauté scientifique, ainsi que des revues sur l’histoire bio-médicale, les sciences sociales et la santé, la santé et l’environnement, etc. Les Faits et Chiffres traitent de sujets dans les champs de l’épidémiologie, de la démographie, de l’économie de la santé…, avec des données chiffrées sous forme de tableaux.

3. Le Magazine est le reflet de l’actualité scientifique, faisant état, dans des textes courts, de résultats originaux importants

récemment publiés. Il est constitué de Nouvelles, spontanées ou sollicitées, et de Brèves, courtes notes de lecture.

Normes générales de présentation des articlesTous les articles doivent être soumis par voie électronique via le système Fontisworks (http://msc.fontismedia.com). La procédure est indiquée sur le site.

Attention : veiller à ce que les courriels pro-venant du site de gestion fontismedia ne soient pas reconnus comme spams par votre serveur et éliminés. Autoriser l’adresse msc.fontismedia.com

Tous les articles doivent être accompagnés des coordonnées de tous les auteurs :• nom et prénom,• institution,• adresse professionnelle,• téléphone, télécopie, courriel.Les Synthèses et les textes de la partie Forum doivent comporter entre 15 000 et 18 000 caractères (espaces compris, réfé-rences exclues), 30 références et 3 à 5 illus-trations (figures et tableaux), avec un titre en français et en anglais. Ils doivent être accompagnés d’un résumé d’environ 700 caractères destiné à offrir un aperçu rapide du sujet, et d’un résumé en anglais d’environ 1 000 caractères, qui apparaîtra dans PubMed. Il est demandé aux auteurs de mentionner les articles parus dans m/s sur le sujet traité dans les dernières années (rechercher dans Pubmed).

Les Nouvelles6 à 8 000 caractères au maximum (espaces compris, références exclues), 10 références au plus et 1 à 2 figures. Titre en français et en anglais.

Les Brèves2 000 caractères au maximum (espaces compris), maximum de 5 références ne men-tionnant que le premier auteur et les réfé-rences du journal. Ex : Dupont T, et al. Science 2010 ; 352 : 458-9.

Textes et tableaux en fichiers Word (enre-gistrements en .doc, formats PDF exclus) - illustrations en fichiers séparés. Tableaux et illustrations appelés dans le texte. Les références citées dans les tableaux doivent apparaître sous forme de [n°] et être incluses en fin de liste des références.

Illustrations : schémas en format Illustrator ou PowerPoint, photos en format jpeg ou tif. Lorsque nécessaire, l’échelle de l’image doit

figurer dans l’illustration et sa valeur indi-quée dans la légende. Légendes complètes et détaillées des figures et tableaux intégrées en fin de texte. Illustrations numérotées avec des chiffres arabes (ex : Figure 1) et tableaux avec des chiffres romains (ex : Tableau II). Les illustrations doivent faire l’objet d’une demande d’autorisation de reproduction, si nécessaire.

Présentation des référencesAppelées dans le texte par leurs numéros entre crochets ([1], [2], [3-5]) et clas-sées par ordre d’apparition dans l’article. Mentionner tous les noms des auteurs, sui-vis des initiales de leurs prénoms, jusqu’au nombre de 4. Au-delà, ne mentionner que les 3 premiers, suivis de et al. (en italique).

Le fichier Endnote contenant le style méde-cine/sciences peut être téléchargé sur le site de Endnote : rubrique downloads, sous-rubrique styles, journal médecine/sciences. Le lien direct est : http://endnote.com/down-loads/styles/medecinesciences. Il fonctionne avec la version endnoteX4 et plus (Mac et Pc).

Pour les articles de revues scientifiquesExemple : Sivori S, Falco M, Della Chiesa M, et al. CpG and double-stranded RNA trigger human NK cells by Toll-like receptors: induc-tion of cytokine release and cytotoxicity against tumors and dendritic cells. Proc Natl Acad Sci USA 2004 ; 101 : 10116-21.

Pour les ouvragesExemple : Kupiec JJ, Sonigo P. Ni Dieu ni gène. Paris : Seuil, 2004 : 230 p.

Pour les chapitres d’ouvragesExemple : Ménard D, Beaulieu JF, Boudreau F, et al. Gastrointestinal tract. In: Unsicker K, Krieglstein K, eds. Cell signaling and growth factors. New York: Wiley, 2005 : 755-90.

Très important : les auteurs sont priés de mentionner tout conflit d’intérêt potentiel concernant le manuscrit soumis à publi-cation dans m/s, en particulier de nature financière. Cette information sera gar-dée confidentielle par la rédaction de m/s jusqu’à la publication de l’article.

Rédaction :[email protected]@inserm.fr

INSTRUCTIONS AUX AUTEURSmédecine/sciences

452m/s n° 4, vol. 31, avril 2015

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� Des synthèses, éditoriaux, dossiers techniques et analyses toujoursreplacés dans leur contexte pour que l’information soit la plus exacte,intelligible et objective.

� La dimension humaine privilégiée, avec l’analyse des retombéesdiagnostiques, thérapeutiques, la prévention et l’éthique liées auxnouvelles avancées.

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