Dissertation sur la politique des Romains dans la religion · Aujourd’hui on ne croit plus à de...

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MONTESQUIEU DISSERTATION SUR LA POLITIQUE DES ROMAINS DANS LA RELIGION

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  • MONTESQUIEU

    DISSERTATION SUR LAPOLITIQUE DES

    ROMAINS DANS LARELIGION

  • MONTESQUIEU

    DISSERTATION SUR LAPOLITIQUE DES

    ROMAINS DANS LARELIGION

    1716

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1120-1

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  • DISSERTATION SUR LAPOLITIQUE DES ROMAINS

    DANS LA RELIGION

    LUE A LACADMIE DE BORDEAUX LE 18 JUIN 1716 .

    . Cette dissertation ne fut imprime quaprs la mort de Montes-quieu.

    C ni la crainte ni la pit qui tablit la religion chez lesRomains; mais la ncessit o sont toutes les socits den avoirune. Les premiers rois ne furent pas moins attentifs rgler leculte et les crmonies qu donner des lois et btir des murailles .

    1. Dans cetteuvre de jeunesse, Montesquieu partage les erreurs de son temps. Il sima-gine que les religions ont t inventes par les fondateurs dempire. Romulus, runissantquelques bandits dans un bois, ou entourant dune muraille le Palatin pour y mettre labrison butin, est un sage et un prophte qui prpare lavance la foi et les destines du grandpeuple romain. Aujourdhui on ne croit plus de pareils miracles. Les religions ne sont pasluvre dun homme, cet homme fut-il roi ou empereur. Partout o lon trouve des peuples,

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  • Dissertation sur la politique des Romains dans la religion Chapitre

    Je trouve cette diffrence entre les lgislateurs romains et ceux desautres peuples, que les premiers firent la religion pour ltat, et les autresltat pour la religion . Romulus, Tatius et Numa asservirent les dieux la politique: le culte et les crmonies quils institurent furent trouvs sisages, que, lorsque les rois furent chasss, le joug de la religion fut le seuldont ce peuple, dans sa fureur pour la libert, nosa saffranchir .

    Quand les lgislateurs romains tablirent la religion, ils ne pensrentpoint la rformation des murs, ni donner des principes de morale ;ils ne voulurent point gner des gens quils ne connaissaient pas encore .Ils neurent donc dabord quune vue gnrale, qui tait dinspirer unpeuple, qui ne craignait rien, la crainte des dieux, et de se servir de cettecrainte pour le conduire leur fantaisie.

    Les successeurs de Numa nosrent point faire ce que ce prince navaitpoint fait: le peuple, qui avait beaucoup perdu de sa frocit et de sa ru-desse, tait devenu capable dune plus grande discipline. Il et t faciledajouter aux crmonies de la religion des principes et des rgles de mo-rale dont elle manquait; mais les lgislateurs des Romains taient tropclairvoyants pour ne point connatre combien une pareille rformationet t dangereuse: cet t convenir que la religion tait dfectueuse;ctait lui donner des ges , et affaiblir son autorit en voulant ltablir.

    ils ont une langue et une religion; choses qui nont rien de factice, mais qui sont le produitnaturel de lesprit humain. Cest Benjamin Constant que revient lhonneur davoir montrquil ny a rien de plus spontan et de moins artificiel que la religion.

    2. Il serait difficile de prouver cette assertion, au moins pour les Grecs. Ce quil est vraide dire, cest que partout o les prtres forment une caste sacre, il y a lutte entre ltat etlglise; partout, au contraire, o, comme Rome, la prtrise na pas de caractre divin, ounest quune fonction passagre, ltat est le matre de la religion, et na que bien rarementdes querelles avec les ministres du culte.

    3. Lide qu chaque rvolution un peuple pourrait changer de religion comme de gou-vernement parait trange aujourdhui; elle devait sembler toute naturelle Montesquieu,qui ne voyait dans la religion quune institution politique.

    4. Les religions antiques soccupaient surtout de plaire aux dieux ou de dsarmer leurcolre par des sacrifices. Le culte tait leur essence; ce qui ne veut pas dire que le coupablenet rien craindre du courroux des immortels.

    5. VAR. Qui ne connaissaient pas encore les engagements dune socit dans laquelleils venaient dentrer.

    6. Leres persanes,lettre LX.

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    La sagesse des Romains leur fit prendre un meilleur parti en tablissantde nouvelles lois. Les institutions humaines peuvent bien changer, maisles divines doivent tre immuables comme les dieux mmes.

    Ainsi le snat de Rome, ayant charg le prteur Ptilius dexaminerles crits du roi Numa, qui avaient t trouvs dans un coffre de pierre,quatre cents ans aprs la mort de ce roi, rsolut de les faire brler, sur lerapport que lui fit ce prteur que les crmonies qui taient ordonnesdans ces crits diffraient beaucoup de celles qui se pratiquaient alors; cequi pouvait jeter des scrupules dans lesprit des simples, et leur faire voirque le culte prescrit ntait pas le mme que celui qui avait t institupar les premiers lgislateurs, et inspir par la nymphe grie.

    On portait la prudence plus loin: on ne pouvait lire les livres sibyl-lins sans la permission du snat, qui ne la donnait mme que dans lesgrandes occasions, et lorsquil sagissait de consoler les peuples. Toutesles interprtations taient dfendues; ces livres mmes taient toujoursrenferms; et, par une prcaution si sage, on tait les armes des mainsdes fanatiques et des sditieux.

    Les devins ne pouvaient rien prononcer sur les affaires publiquessans la permission des magistrats; leur art tait absolument subordonn la volont du snat; et cela avait t ainsi ordonn par les livres despontifes, dont Cicron nous a conserv quelques fragments .

    Polybemet la superstition au rang des avantages que le peuple romainavait par-dessus les autres peuples: ce qui parat ridicule aux sages estncessaire pour les sots; et ce peuple, qui se met si facilement en colre,a besoin dtre arrt par une puissance invincible.

    Les augures et les aruspices taient proprement les grotesques du pa-ganisme ; mais on ne les trouvera point ridicules, si on fait rflexion

    7. Tite-Live, liv. XL, chap. XXIX. (M.)8. Les aruspices.9. De leg.,lib. II, p. 441, t. IV, d. de Denis Godefroy, 1587: Bella disceptanto: prodigia,

    portenta. ad Etruscos et aruspices, si senatus jusserit, deferunto.Et mme livre, p. 440: Sacer-dotum duo genera sunto: unum, quod prsit crimoniis et sacris; alterum, quod interpreteturfatidicorum et vatum effata incognita, cum senatus populusque adsciverit.(M.)10. Lide quon peut trouver un signe de la volont des dieux dans le vol des oiseaux

    ou dans les entrailles des animaux a t, comme lastrologie judiciaire, une des faiblessesde lesprit humain. Mais on se trompe du tout au tout en voyant dans cette crdulit une

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    que, dans une religion toute populaire comme celle-l, rien ne paraissaitextravagant: la crdulit du peuple rparait tout chez les Romains: plusune chose tait contraire la raison humaine, plus elle leur paraissait di-vine. Une vrit simple ne les aurait pas vivement touchs: il leur fallaitdes sujets dadmiration, il leur fallait des signes de la divinit; et ils ne lestrouvaient que dans le merveilleux et le ridicule.

    Ctait la vrit une chose trs-extravagante de faire dpendre le sa-lut de la rpublique de lapptit sacr dun poulet et de la disposition desentrailles des victimes; mais ceux qui introduisirent ces crmonies enconnaissaient bien le fort et le faible, et ce ne fut que par de bonnes raisonsquils pchrent contre la raison mme . Si ce culte avait t plus raison-nable, les gens desprit en auraient t la dupe aussi bien que le peuple,et par l on aurait perdu tout lavantage quon en pouvait attendre: il fal-lait donc des crmonies qui pussent entretenir la superstition des uns,et entrer dans la politique des autres : cest ce qui se trouvait dans lesdivinations. On y mettait les arrts du ciel dans la bouche des principauxsnateurs, gens clairs, et qui connaissaient galement le ridicule et luti-lit des divinations.

    Cicron dit que Fabius, tant augure, tenait pour rgle que ce quitait avantageux la rpublique se faisait toujours sous de bons auspices.Il pense, comme Marcellus , que, quoique la crdulit populaire et ta-bli au commencement les augures, on en avait retenu lusage pour lutilitde la rpublique; et il met cette diffrence entre les Romains et les tran-gers, que ceux-ci sen servaient indiffremment dans toutes les occasions,et ceux-l seulement dans les affaires qui regardaient lintrt public. Ci-cron nous apprend que la foudre tombe du ct gauche tait dunbon augure, except dans les assembles du peuple, prterquam ad comi-

    comdie politique.11. La croyance que raille Montesquieu remontait aux origines de la civilisation trusque,

    et nest aucunement linvention de quelques beaux esprits.12. La politiquenest venue qu la lin de la Rpublique; elle a suivi lincrdulit. Mais on

    ne peut juger de la religion romaine par ce quen pensaient Varron ou Cicron.13. Optimis auspiciis ea geri, qu pro reipublic salute gererentur; qu contra rempubli-

    cam fierent, contra auspicia fieri.De senectute, p. 542. (M.)14. De divinatione, lib.II, cap. XXXV. (M.)15. Ibid.,p. 395. (M.)

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    tia.Les rgles de lart cessaient dans cette occasion: les magistrats y ju-geaient leur fantaisie de la bont des auspices, et ces auspices taient unebride avec laquelle ils menaient le peuple. Cicron ajoute: Hoc institutumreipublic causa est, ut comitiorum, vel in jure legum, vel in judiciis po-puli, vel in creandis magistratibus, principes civitatis essent interpretes .Ilavait dit auparavant quon lisait dans les livres sacrs: Jove tonante etfulgurante, comitia populi habere nefas esse .Cela avait t introduit, dit-il, pour fournir aux magistrats un prtexte de rompre les assembles dupeuple . Au reste, il tait indiffrent que la victime quon immolait setrouvt de bon ou de mauvais augure; car lorsquon ntait pas content dela premire, on en immolait une seconde, une troisime, une quatrime,quon appelait hosti succedane.Paul mile voulant sacrifier fut obligdimmoler vingt victimes: les dieux ne furent apaiss qu la dernire,dans laquelle on trouva des signes qui promettaient la victoire. Cest pourcela quon avait coutume de dire que, dans les sacrifices, les dernires vic-times valaient toujours mieux que les premires. Csar ne fut pas si pa-tient que Paul mile: ayant gorg plusieurs victimes, dit Sutone , sansen trouver de favorables, il quitta les autels avec mpris, et entra dans lesnat.

    Comme les magistrats se trouvaient matres des prsages, ils avaientun moyen sur pour dtourner le peuple dune guerre qui aurait t fu-neste, ou pour lui en faire entreprendre une qui aurait pu tre utile. Lesdevins, qui suivaient toujours les armes, et qui taient plutt les inter-prtes du gnral que des dieux, inspiraient de la confiance aux soldats. Sipar hasard quelque mauvais prsage avait pouvant larme, un habilegnral en convertissait le sens et se le rendait favorable; ainsi Scipion,qui tomba en sautant de son vaisseau sur le rivage dAfrique, prit de laterre dans ses mains: Je te tiens, dit-il, terre dAfrique! Et par cesmots il rendit heureux un prsage qui avait paru si funeste.

    16. De divinatione,lib. II, p. 395. (M.)17. Ibid.,p. 338. (M.)18. Hoc reipublic causa constitutum: comitiorum enim non habendorum causas esse vo-

    luerunt.Ibid. (M.)19. Pluribus hostiis csis, cum litare non posset, introiit curiam, spreta religione.In Jul. Cs.,

    lib. I, cap. LXXX. (M.)

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    Les Siciliens, stant embarqus pour faire quelque expdition enAfrique, furent si pouvants dune clipse de soleil, quils taient sur lepoint dabandonner leur entreprise; mais le gnral leur reprsenta qula vrit cette clipse et t de mauvais augure si elle et paru avant leurembarquement, mais que, puisquelle navait paru quaprs, elle ne pou-vait menacer que les Africains. Par l il fit cesser leur frayeur, et trouva,dans un sujet de crainte, le moyen daugmenter leur courage.

    Csar fut averti plusieurs fois par les devins de ne point passer enAfrique avant lhiver. Il ne les couta pas, et prvint par l ses ennemis,qui, sans cette diligence, auraient eu le temps de runir leurs forces.

    Crassus, pendant un sacrifice, ayant laiss tomber son couteau desmains, on en prit un mauvais augure; mais il rassura le peuple en luidisant: Bon courage! au moins mon pe ne mest jamais tombe desmains.

    Lucullus tant prs de donner bataille Tigrane, on vint lui dire quectait un jour malheureux: Tant mieux, dit-il, nous le rendrons heureuxpar notre victoire.

    Tarquin le Superbe, voulant tablir des jeux en lhonneur de la desseMania, consulta loracle dApollon, qui rpondit obscurment, et dit quilfallait sacrifier ttes pour ttes, capitibus pro capitibus supplicandum.Ceprince, plus cruel encore que superstitieux, fit immoler des enfants; maisJunius Brutus changea ce sacrifice horrible; car il le fit faire avec des ttesdail et de pavot, et par l remplit ou luda loracle .

    On coupait le nud gordien quand on ne pouvait pas le dlier; ainsiClaudius Pulcher, voulant donner un combat naval, fit jeter les pouletssacrs la mer, afin de les faire boire, disait-il, puisquils ne voulaient pasmanger .

    Il est vrai quon punissait quelquefois un gnral de navoir pas suiviles prsages; et cela mme tait un nouvel effet de la politique des Ro-mains. On voulait faire voir au peuple que les mauvais succs, les villesprises, les batailles perdues, ntaient point leffet dune mauvaise consti-tution de ltat, ou de la faiblesse de la rpublique, mais de limpit dun

    20. Macrob., Saturnal.,lib. I, cap. VII. (M.)21. ia esse nolunt, bibant.Valerius Maximus, lib. I, cap. IV, art. 3. (M.)

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    citoyen, contre lequel les dieux taient irrits. Avec cette persuasion, ilntait pas difficile de rendre la confiance au peuple; il ne fallait pour celaque quelques crmonies et quelques sacrifices. Ainsi, lorsque la ville taitmenace ou afflige de quelque malheur, on ne manquait pas den cher-cher la cause, qui tait toujours la colre de quelque dieu dont on avaitnglig le culte: il suffisait, pour sen garantir, de faire des sacrifices et desprocessions, de purifier la ville avec des torches, du soufre et de leau sale.On faisait faire la victime le tour des remparts avant de lgorger, ce quisappelait sacrificium amburbium,et amburbiale.On allait mme quelque-fois jusqu purifier les armes et les flottes, aprs quoi chacun reprenaitcourage .

    Scvola, grand pontife, et Varron, un de leurs grands thologiens, di-saient quil tait ncessaire que le peuple ignort beaucoup de chosesvraies, et en crt beaucoup de fausses: saint Augustin dit que Varronavait dcouvert par l tout le secret des politiques et des ministres dtat.

    Le mme Scvola, au rapport de saint Augustin , divisait les dieux entrois classes: ceux qui avaient t tablis par les potes, ceux qui avaientt tablis par les philosophes, et ceux qui avaient t tablis par les ma-gistrats, principibus civitatis.

    Ceux qui lisent lhistoire romaine, et qui sont un peu clairvoyants,trouvent chaque pas des traits de la politique dont nous parlons. Ainsion voit Cicron qui, en particulier, et parmi ses amis, fait chaque mo-ment une confession dincrdulit , parler en public avec un zle extra-ordinaire contre limpit de Verrs. On voit un Clodius, qui avait inso-lemment profan les mystres de la bonne desse, et dont limpit avaitt marque par vingt arrts du snat, faire lui-mme une harangue rem-plie de zle ce snat qui lavait foudroy, contre le mpris des pratiquesanciennes et de la religion. On voit un Salluste, le plus corrompu de tous

    22. Invoquer la divinit dans les flaux et les malheurs est une croyance aussi vieille quele monde; il ny faut pas voir un calcul de la politique romaine, mais la pente naturelle delesprit humain.23. Totum consilium prodidit sapientum per quod civitates et populi regerentur.De civit.

    Dei, lib. IV, cap. XXXI. (M.)24. De civit. Dei,lib. IV, cap. XXXI. (M.)25. Adeone me delirare censes ut ista credam.(M.)

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    les citoyens, mettre la tte de ses ouvrages une prface digne de la gra-vit et de laustrit de Caton. Je naurais jamais fait, si je voulais puisertous les exemples.

    Quoique les magistrats ne donnassent pas dans la religion du peuple,il ne faut pas croire quils nen eussent point. M. Cudworth a fort bienprouv que ceux qui taient clairs parmi les paens adoraient une di-vinit suprme, dont les divinits du peuple ntaient quune participa-tion. Les paens, trs-peu scrupuleux dans le culte, croyaient quil taitindiffrent dadorer la divinit mme, ou les manifestations de la divinit;dadorer, par exemple, dans Vnus, la puissance passive de la nature, oula divinit suprme, en tant quelle est susceptible de toute gnration;de rendre un culte au soleil, ou ltre suprme, en tant quil anime lesplantes et rend la terre fconde par sa chaleur. Ainsi le stocien Balbusdit, dans Cicron , que Dieu participe, par sa nature, toutes les chosesdici-bas; quil est Crs sur la terre, Neptune sur les mers. Nous en sau-rions davantage si nous avions le livre quAsclpiade composa, intitullHarmonie de toutes les thologies.

    Comme le dogme de lme du monde tait presque universellementreu, et que lon regardait chaque partie de lunivers comme un membrevivant dans lequel cette me tait rpandue, il semblait quil tait per-mis dadorer indiffremment toutes ces parties, et que le culte devait trearbitraire comme tait le dogme.

    Voil do tait n cet esprit de tolrance et de douceur qui rgnaitdans le monde paen: on navait garde de se perscuter et de se dchi-rer les uns les autres; toutes les religions, toutes les thologies, y taientgalement bonnes: les hrsies, les guerres et les disputes de religion ytaient inconnues; pourvu quon allt adorer au temple, chaque citoyentait grand pontife dans sa famille.

    Les Romains taient encore plus tolrants que les Grecs, qui ont tou-

    26. Cudworth, philosophe anglais (1617-1688), a laiss un Trait sur le caractre ternel etimmuable de la morale.Cest sans doute cet ouvrage que Montesquieu fait allusion.27. Deus pertinens per naturam cujusque rei, per terras Ceres, per maria Neptunus, alii per

    alia, poterunt intelligi: qui qualesque sint, quoque eos nomine consuetudo nuncupaverit, hosdeos et venerari et colere debemus.De nat. deorum, lib. II, cap. XXVIII, p. 210. (M.)

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    jours gt tout : chacun sait la malheureuse destine de Socrate.Il est vrai que la religion gyptienne fut toujours proscrite Rome:

    cest quelle tait intolrante, quelle voulait rgner seule, et stablir surles dbris des autres; de manire que lesprit de douceur et de paix qui r-gnait chez les Romains fut la vritable cause de la guerre quils lui firentsans relche. Le snat ordonna dabattre les temples des divinits gyp-tiennes; et Valre Maxime rapporte, ce sujet, qumilius Paulus donnales premiers coups, afin dencourager par son exemple les ouvriers frap-ps dune crainte superstitieuse.

    Mais les prtres de Srapis et dIsis avaient encore plus de zlepour tablir ces crmonies quon nen avait Rome pour les proscrire.Quoique Auguste, au rapport de Dion , en et dfendu lexercice dansRome, Agrippa, qui commandait dans la ville en son absence, fut obligde le dfendre une seconde fois. On peut voir, dans Tacite et dans Su-tone, les frquents arrts que le snat fut oblig de rendre pour bannir ceculte de Rome.

    Il faut remarquer que les Romains confondirent les Juifs avec les gyp-tiens, comme on sait quils confondirent les chrtiens avec les juifs: cesdeux religions furent longtemps regardes comme deux branches de lapremire, et partagrent avec elle la haine, le mpris et la perscution desRomains. Les mmes arrts qui abolirent Rome les crmonies gyp-tiennes mettent toujours les crmonies juives avec celles-ci, comme ilparait par Tacite , et par Sutone, dans les vies de Tibre et de Claude. Ilest encore plus clair que les historiens nont jamais distingu le culte deschrtiens davec les autres. On ntait pas mme revenu de cette erreurdu temps dAdrien comme il parat par une lettre que cet empereur crivitdgypte au consul Servianus : Tous ceux qui, en gypte, adorent S-

    28. Cest un jugement bien svre. Montesquieu est revenu des ides plus justes sur lesGrecs.29. Liv. I, chap. III, art. 3. (M.)30. Dion Cassius, liv. XXXIV. (M.)31. Annales,liv. II, chap. LXXXV. (M.)32. Illic qui Serapin colunt, christiani sunt; et devoti sunt Serapi, qui se Christi episcopos

    dicunt. Nemo illic archisynagogus judrum, nemo samarites, nemo christianorum presbyter,non mathematicus, non aruspex, non aliptes, qui non Serapin colat. Ipse ille patriarcha (judo-rum scilicet) cum AEgyptum venerit. ab aliis Serapin adorare, ab aliis cogitur Christum. Unus

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    rapis, sont chrtiens, et ceux mme quon appelle vques sont attachsau culte de Srapis. Il ny a point de juif, de prince de synagogue, de sama-ritain, de prtre des chrtiens, de mathmaticien, de devin, de baigneur,qui nadore Srapis. Le patriarche mme des juifs adore indiffremmentSrapis et le Christ. Ces gens nont dautre dieu que Srapis; cest le dieudes chrtiens, des juifs et de tous les peuples. Peut-on avoir des idesplus confuses de ces trois religions, et les confondre plus grossirement?

    Chez les gyptiens, les prtres faisaient un corps part, qui tait en-tretenu aux dpens du public; de l naissaient plusieurs inconvnients:toutes les richesses de ltat se trouvaient englouties dans une socitde gens qui, recevant toujours et ne rendant jamais, attiraient insensi-blement tout eux. Les prtres dgypte, ainsi gags pour ne rien faire,languissaient tous dans une oisivet dont ils ne sortaient quavec les vicesquelle produit: ils taient brouillons, inquiets, entreprenants; et ces qua-lits les rendaient extrmement dangereux. Enfin, un corps dont les int-rts avaient t violemment spars de ceux de ltat tait un monstre; etceux qui lavaient tabli avaient jet dans la socit une semence de dis-corde et de guerres civiles. Il nen tait pas demme Rome: on y avait faitde la prtrise une charge civile; les dignits daugure, de grand pontife,taient des magistratures: ceux qui en taient revtus taient membresdu snat, et par consquent navaient pas des intrts diffrents de ceuxde ce corps. Bien loin de se servir de la superstition pour opprimer la r-publique, ils lemployaient utilement la soutenir. Dans notre ville, ditCicron , les rois et lesmagistrats qui leur ont succd ont toujours eu undouble caractre, et ont gouvern ltat sous les auspices de la religion.

    Les duumvirs avaient la direction des choses sacres; les quindcem-virs avaient soin des crmonies de la religion, gardaient les livres dessibylles; ce que faisaient auparavant les dcemvirs et les duumvirs. Ilsconsultaient les oracles lorsque le snat lavait ordonn, et en faisaient

    illis deus est Srapis: hunc judi, hunc christiani, hunc omnes venerantur et gentes.Flavius Vo-piscus, in Vita Saturnini.Vid. Histori august scriptores,in-fol., 1620, p. 245; et in-8, 1661,t. II, p. 719. (M.)33. Apud veteres, qui rerum potiebantur, iidem auguria tenebant, ut testis est nostra civitas,

    in qua et reges augures, et postea privati eodem sacerdotio prditi rempublicam religionumauctoritate rexerunt.De divinatione, lib. I, dit. de Denis Godeffroi, 1587, t. IV, p. 369. (M.)

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  • Dissertation sur la politique des Romains dans la religion Chapitre

    le rapport, y ajoutant leur avis; ils taient aussi commis pour excutertout ce qui tait prescrit dans les livres des sibylles, et pour faire cl-brer les jeux sculaires: de manire que toutes les crmonies religieusespassaient par les mains des magistrats.

    Les rois de Rome avaient une espce de sacerdoce: il y avait decertaines crmonies qui ne pouvaient tre faites que par eux. Lorsqueles Tarquins furent chasss, on craignait que le peuple ne sapert dequelque changement dans la religion; cela fit tablir un magistrat appelrex sacrorum,qui, dans les sacrifices, faisait les fonctions des anciens rois,et dont la femme tait appele regina sacrorum.Ce fut le seul vestige deroyaut que les Romains conservrent parmi eux .

    Les Romains avaient cet avantage, quils avaient pour lgislateurle plus sage prince dont lhistoire profane ait jamais parl : ce grandhomme ne chercha pendant tout son rgne qu faire fleurir la justice etlquit, et il ne fit pas moins sentir sa modration ses voisins qu sessujets. Il tablit les fcialiens, qui taient des prtres sans le ministre des-quels on ne pouvait faire ni la paix ni la guerre. Nous avons encore desformulaires de serments faits par ces fcialiens quand on concluait la paixavec quelque peuple. Dans celle que Rome conclut avec Albe, un fcialiendit dans Tite-Live : Si le peuple romain est le premier sen dpartir,publico consilio dolove malo,quil prie Jupiter de le frapper comme il vafrapper le cochon quil tenait dans ses mains; et aussitt il labattit duncoup de caillou.

    Avant de commencer la guerre, on envoyait un de ces fcialiens faireses plaintes au peuple qui avait port quelque dommage la rpublique.Il lui donnait un certain temps pour se consulter, et pour chercher lesmoyens de rtablir la bonne intelligence; mais, si on ngligeait de fairelaccommodement, le fcialien sen retournait et sortait des terres de cepeuple injuste, aprs avoir invoqu contre lui les dieux clestes et ceux desenfers: pour lors le snat ordonnait ce quil croyait juste et pieux. Ainsi

    34. Machiavel, Discorsi,I, 25.35. La question est de savoir si Numa a jamais vcu, ou, si ayant exist, il a t le fondateur

    de la religion romaine. On est aujourdhui moins dispos queMontesquieu croire Tite-Liveou Denys dHalicarnasse.36. Liv. I, chap. XXIV. (M.)

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    les guerres ne sentreprenaient jamais la hte, et elles ne pouvaient trequune suite dune longue et mre dlibration.

    La politique qui rgnait dans la religion des Romains se dveloppaencore mieux dans leurs victoires. Si la superstition avait t coute, onaurait port chez les vaincus les dieux des vainqueurs : on aurait renvers leurs temples; et, en tablissant un nouveau culte, on leur aurait imposune servitude plus rude que la premire. On fit mieux: Rome se soumitelle-mme aux divinits trangres, elle les reut dans son sein; et, parce lien, le plus fort qui soit parmi les hommes, elle sattacha des peuplesqui la regardrent plutt comme le sanctuaire de la religion que commela matresse du monde.

    Mais, pour ne point multiplier les tres, les Romains, lexemple desGrecs, confondirent adroitement les divinits trangres avec les leurs:sils trouvaient dans leurs conqutes un dieu qui et du rapport quel-quun de ceux quon adorait Rome, ils ladoptaient, pour ainsi dire, en luidonnant le nom de la divinit romaine, et lui accordaient, si jose me ser-vir de cette expression, le droit de bourgeoisie dans leur ville. Ainsi, lors-quils trouvaient quelque hros fameux qui et purg la terre de quelquemonstre, ou soumis quelque peuple barbare, ils lui donnaient aussitt lenom dHercule. Nous avons perc jusqu lOcan, dit Tacite , et nouay avons trouv les colonnes dHercule; soit quHercule y ait t, soit quenous ayons attribu ce hros tous les faits dignes de sa gloire.

    Varron a compt quarante-quatre de ces dompteurs de monstres; Ci-cron nen a compt que six, vingt-deuxMuses, cinq Soleils, quatre Vul-cains, cinq Mercures, quatre Apollons, trois Jupiters.

    Eusbe va plus loin : il compte presque autant de Jupiters que depeuples.

    Les Romains, qui navaient proprement dautre divinit que le gnie

    37. Non, car on aurait ainsi fait des dieux romains les protecteurs des vaincus.38. Ipsum quinetiam Oceanum illa tentavimus; et superesse adhuc Herculis columnas fama

    vulgavit, sive adiit Hercules, seu quidquid ubique magnificum est, in claritatem ejus referreconsensimus. De moribus Germanorum, cap. XXXIV. (M.)39. De natura Deorum,lib. III, cap. XVI, p. 332; cap. XXI, p. 340; cap. XXII, p. 341; cap.

    XXIII, ibid.(M.)40. Prparatio evangelica,lib. III. (M.)

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  • Dissertation sur la politique des Romains dans la religion Chapitre

    de la rpublique, ne faisaient point dattention au dsordre et la confu-sion quils jetaient dans la mythologie: la crdulit des peuples, qui esttoujours au-dessus du ridicule et de lextravagant, rparait tout.

    Cest la chimre du contrat social. Montesquieu suppose que ces pre-miers Romains auraient pu discuter, comme en concile, sur les dogmesquil leur convenait dadopter.

    n

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  • Une dition

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    Achev dimprimer en France le 5 novembre 2016.

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