La participation alternative à la vie et à la mort, cons entie par Pollux en faveur de son frère, a pris dans lalittérature grecque et romaine une signification toutemorale ; mais il est évident qu'à l'origine il n'y a là qu'unmythe naturaliste, qui remonte, en dernière analyse, àla succession de la lumière et des ténèbres . Nous avonsdonné plus haut la version de Pindare Il . Il est question dela même légende dans l'Odyssée 91 . Dans l'Iliade 92 il estdit qu'à l'époque de la guerre de Troie ils mènent uneexistence souterraine, Toûq ;ô ri xar :z x x s'v AxxeSa(µov~ .La tradition, avecle temps, devintplus précise : les

Dioseures sont à lafois mortels et immortels ; ils sontmorts et ils vivent °, ils sonttoujours séparés,puisqu'ils viventchacun alternativement un jour,ce qui semblefort ridicule à Lucien " . Pausanias" signale à

Sparte le tombeaude Castor et rapporte que les Tyndarides ne furent élevés au rang des dieuxque quarante ans après leur combat contre les fils d'Apharée .

La tradition plaça les Dioscures déifiés parmi les étoiles",mais ce n'est qu'à une époque postérieure qu'on les identi-fia à la constellation des gémeaux 07.En somme, il y a pourle moins trois légendes : 1° les Dioscures sont un couplechthonien ; 2° les Dioscures sont un couple lumineux alter

nant ; 3° ils forment un couple lumineux inséparable . Latradition la plus ancienne est celle à laquelle l'Iliade faitallusion : elle appartient peut-être à une mythologie prédorienne, que les conceptions aryennes, analogues au couplevédique des Açvins, ont modifiée dans la suite . Il faut encoreremarquer le caractère essentiellement dorien du coupledes Dioscures : non seulement leur culte se rencontre sur-tout dans les villes doriennes, comme Sparte et Tarente,mais la légende a fait d'eux les ennemis de Thésée, hérosattique et ionien qu'ils combattent . On les trouve mêlésaux traditions doriennes du nord de la Grèce, telles quela chasse de Calydon, l'expédition des Argonautes . Leurintroduction dans le culte attique, attribué à Ménesthée,n'appartient pas, semble-t-il, à une époque très ancienne .

Attributs, surnoms et symboles des Dioscures . - Lapoésie épique la plus ancienne a fait effort pour marquerla personnalité des deux frères : Castor est un dompteurde chevaux, Pollux excelle au pugilat

Les Dioscures sont l'un et l'autre des dieux cavaliers,et c'est surtout à cheval que la littérature et l'art lesreprésentent 703 . Leurs chevaux, qu'ils montent au pas

Le bonnet conique,

πιλος, est la coiffure caractéristique des Dioscures"selon une légende, il représente la moitié de l'oeuf d'où lesTyndarides sont nés 110 . On ne le voit pas sur les monu-ments archaïques, où les Dioscures sont généralementnus et sans attributs "' ; sur les vases, ils portent quel-quefois le pétase, et non le pileus . Le pneus est unecoiffure laconienne et macédonienne que l'on trouveégalement portée par des figurines de travail phénicien, il est, probable qu'elle caractérisait les Cabireset qu'elle fut donnée comme un attribut presque cons-tant aux Dioscures lors de la confusion, qui se produisit de bonne heure, entre ces deux couples de divinités . Pausanias "' signale à Brasiae trois petites sta-tues en bronze, portant des πιλοι, qu'il prend pour desDioscures ou des Corybantes . Comme il ne peut être question (le trois Dioscures, il s'agit sans doute, dans ce pas-sage de Pausanias, d'anciennes figures représentant lesCabires .

La plus ancienne représentation des Dioscures mentionnée par les textes est un symbole primitif de leur attachement fraternel :ce sont les δοκανα spartiates, objet forméde deux planches verticales réunies par deux traverseshorizontales"' . La même pensée parait être expriméesous une forme moins naïve dans un groupe archaïqueen terre cuite trouvé à Cyzique : on y voit deux hommesassis, coiffés

du pileus,

l'un passant le bras autour du cou deson compagnon 1 " .

On peut en rapprocher les terres cuites archaïques de Béotie qui représentent deux enfant coiffésdu

pileuset couchés ou assis dans le même lit"' . Un

autre symbole des Dioscures sont deux amphores, autour desquelles s'enroulent parfois deux serpents : ontrouve les amphores avec serpents sur les monnaies debronze spartiates qui présentent au droit les Dioscures(fig. 2437) 10 ; sur des monnaies d'argent de même prove

nance les

πιλοι

des Dioscures,surmontés chacun d'une étoile,figurent à côté d'une amphore . Tarente, colonie deSparte, grava sur ses monnaies deux amphores surmon

tées d'étoiles Les amphoresavec ou sans le serpent, et le serpent seul paraissent aussi sur les bas-reliefs laconiens.L'association du coq avec les Dioscures sur un bas-relief"' et la présence du coq avec l'étoile sur des monnaies de Tyndaris en Sicile, où paraissent aussi les Dioscures,semblent indiquer que cet oiseau

leur était consacré . Nous parlerons plus loin des étoiles,symboles des Dioscures identifiés ans Cabines . Le cygne et

l'aigle, sur quelques monuments, rappellent les amours deJupiter et de Léda. On trouve aussi la fleur de lotus, soitdans le champ du vase, soit dans la, main de Léda qui laprésente à l'un des Dioscures Il ' (fig . 2433) . Enfin, Castor etPollux sont parfois accompagnés de chiens"" . Une gemmede Berlin, portant l'inscription Διοσκοροι qui représente lesDioscures jouant aux osselets , est probablement la re-production d'un groupe de la statuaire qui fait penser,comme l'a remarqué M . Furlwaengler, aux pueri astragalizontes attribués par Pline à Polyclète .

Les Açvins védiques sont des guerriers, en lutte conti-nuelle avec les démons des ténèbres, protecteurs vieshommes et guérisseurs de leurs maux'''' . Ces caractèressont aussi ceux des Dioscures grecs ; divinités lumineuses,ils apparaissent à l'heure du péril et viennent au secoursde ceux qui les invoquent sur terre et sur ruer . La tra-dition, tant en Grèce qu'en Italic, les fait intervenir dansles combats, oïl ils assurent, la victoire à la bonne cause.Ils récompensent le poète Simonide, qui les a célébrés,en le faisant sortir à temps d'un palais qui s'écroule surle tyran Scopas . Protecteurs des navires dans la tem pête, ils sauvent les vaisseaux des Argonautes; en

qualité de dieux marins, ils se sont bientôt confondusavec les Cabires de Samothrace, auxquels cette puis-sance tutélaire appartenait en propre . Comme. les Açvinsdans les Védas, les Dioscures sont médecins'' . De mêmeque les Açvins rendent ii . Viçpéla le pied qui lui a été coupédans la bataille, les Dioscures guérissent merveilleusement Phormion, stratège des Crotoniates, de la blessurequ'il a reçue en combattant les Locriens . On a alléguéaussi qu'en Laconie et ailleurs le serpent, symbole desdieux guérisseurs, est parfois associé aux Dioscures'"`mais il faut observer que le serpent symbolise égalementles divinités chthoniennes, au nombre, desquelles étaientcertainement, à l'origine, les Dioscures laconiens

. Cependant les Dioscures paraissent aussi, sur un bas-reliefdu musée Pie-Clémentin, en compagnie d'Esculape etd'Hygie . M . Myriantheus pense que les deux Asclé

piades guerriers, Machaon et Podalire, ne sont autres, àl'origine, que les Dioscures Thessaliens'" .

Ainsi la qualité dominante des Dioscures, c'est d'êtreles protecteurs des hommes, des dieux sauveurs, σωτηρες, καλλιστοι σωτηρες, σωτηρες, επιχθονιων ανθρωπων ,αγαθοι, αγαθοι παρασταται ,et aussi ανακες, Mo, mot qui paraît

avoir été primitivement synonyme de σωτηρες. Le surnom de θεοι

μεγαλοι ne leur a été donné que plus tard, par suite de la confusion entre les Dioscures et les Cab ires. La piété populaire a fait d'eux des modèlesde justice et de courage , comme les légendes ont célébré leur amour fraternel . L'hospitalité est une desvertus chevaleresques dont ils ont la garde"' . Ils punis-sent le Spartiate Phormion, chez qui ils se sont présentéscomme des étrangers venant de Cyrène, parce qu'il arefusé de les recevoir dans la chambre qu'occupait safille : le lendemain la jeune fille avait disparu et l'ontrouva dans son lit les images des Dioscures avec unetable et un rameau de silphium 167 . Ils récompensèrentPamphaspour leuravoir donné l'hospitalité, et leurs bienfaits s'étendirent à ses descendants .

Au même ordre d'idées se rattache le rôle des Dioscures

dans les théoxénies.

Les Athéniensdressaient des tables au Prytanée pour les Dioscures,comme pour des hôtes publics- . On y servait du fromage, un gâteau de farine d'orge, une assiettée d'olivesmûres et une botte de poireaux ; ces lectisternes existentaussi dans le culte cabirique et, en général, dans lescultes des divinités chthoniennes .

Les Dioscures, en particulier Castor 18 ', sont des divinitésguerrières, dont les rois de Sparte, avant les guerresmédiques, emmenaient les images sacrées en campagne .Ils président également aux jeux, qui sont l'image descombats ou qui y préparent . Hercule, admis dans l'Olympe,leur a confié la surveillance des jeux olympiques .Dans les concours que le fils d'Alcmène avait institués àOlympie, c'est Castor qui a le premier vaincu à la courseet Pollua au pugilat 10. A Sparte les statues des Dioscuress'élèvent à l'entrée du stade ; à Olympie leur autel sedresse à l'entrée de l'Hippodrome "" ; les vainqueursaux jeux leur offrent des ex-voto 1 °' . Ils sont amis de lachasse, et le nom de Castor est resté à une race dechiens dits castorides . La musique , la danse, lapoésie, ont en eux des protecteurs . Ils ont apprisaux Spartiates, après l'avoir apprise eux-mêmes de Mi-nerve, la danse en armes ; c'est à eux aussi que l'onattribue la danse guerrière dite caryatis, et la marche

militaire des Spartiates, Καστορειος

νομος,

passait pour l'in-vention de Castor'"

En leur qualité de divinités agonistiques, les Dioscuresparaissent avec la couronne et la palme

Il a été question ailleurs de la confusion des Dioscuresavec les Cabires . Contentons-nous d'en rappelerici quelques traits essentiels . Comme les Cabires, θεοιμεγαλοι, les Dioscures deviennent les protecteurs des marinsen détresse 3 r', qui promettent de leur sacrifier des agneauxblancs Il' . Dans la tempête qui menace les Argonautes,lorsqu'Orphée invoque les dieux de Samothrace, le vent secalme soudain et deux étoiles brillent sur la tète desDioscures 2° ' . On croyait reconnaître les Dioscures-Cabiresdans les flammes phosphorescentes qui voltigent sur lamer par temps d'orage . Pendant la guerre du Pélopon-nèse, deux astres parurent à l'arrière du vaisseau deLysandre et furent pris pour les Dioscures C'est auxDioscures que l'on attribuait le phénomène connu sous lenom de feu Saint-Elme , nom qui est une corruption decelui d'Hélène, sous lequel on le désignait à l'époquebyzantine . La confusion entre les Dioscures et lesCabires devint complète à l'époque hellénistique etromaine, lorsque le culte des divinités de Samothrace pritune grande extension . A la fin du n° siècle av . J .-C ., lesCabires-Dioscures, θεοι μεγαλοι Διοσκοροι Καβειροι, ont untemple à Délos, oie ils sont associés à Neptune, PoseidonAisios. Pausanias signale l'analogie des Dioscuresavec les Corybantes d'une part, les Curètes et les Cabiresde l'autre ; dans le dernier passage , il s'agit de héros

.juvéniles appelés Ανακτες dont on célébrait la fête, τελετη,à Amphissa en Locride .Les étoiles qui paraissent au-dessus de la tète des

Dioscures ou de leurs pilei , en particulier sur de nom-

breusesmonnaies, symbolisent leur puissance

protectrice comme dieux marins ; la tempête s'apaise lorsqueles étoiles brillent au riel .

Sur les vases peints et lesmiroirs étrusques, les Dioscures paraissent associés à Léda

et à Tyndare, à Léda seule, à Hélène, à Médée,à Ménélas ou à Paris , à Prométhée, peut-être aussi àClytemnestre ; parmi les divinités, à Minerve , à Mercure , à la Victoire, à Vénus, à Losna (Luna) , à l'Au rore, au Soleil levant.Nous ne parlons pas ici des

autres personnages, tels qu'Amycus, Aethra, les Leucippides, les Apharides, etc., qui figurent dans les monuments

relatifs aux différents épisodes de l'histoire légendaire desDioscures que nous avons résumés plus haut .

Cette association n'a rien qui doive surprendre . En Grèce,on a vu que les Dioscures et les Cabires, communémentappelés 'Avaxeç, Emr peç, n_oi se partageaientl'honneur de protéger les marins pendant les orages ; ondonnait indistinctement les noms des uns et des autres auphénomène électrique du feu Saint-Elme . De même, cesgrands dieux se confondaient aussi comme divinitésastronomiques . Ils personnifiaient le feu céleste, les étoilesfixes qui brillent dans le ciel, comme ils personnifiaientle feu terrestre ou marin, les astres mobiles qui voltigentsur la mer . Cela est si vrai, que les Orphiques, que Nigidius,qu'Ampélus, attribuent indifféremment aux Dioscures etaux Cabires la constellation des Gémeaux . Si donc Castor

La première de toutes, c'est d'être dans les combatsles protecteurs de l'armée et plus particulièrement de lacavalerie romaine . C'est là leur premier caractère, leurcaractère officiel .

Mais en même temps que des dieux guerriers, Castor etPollux sont pour les Romains, comme pour les habitantsde la Grèce et de la Grande-Grèce, des divinités maritimes .

Comme c'est par mer surtout que l'Italie trafique, Castoret Pollux, par cela même qu'ils sont les dieux des naviga-teurs, deviennent ceux des commerçants et tes protecteursnaturels des vaisseaux qui exportent ou importent lesmarchandises . Bientôt même, grâce à irai présence surles deniers d'argent de la république (486) , grâce à laprotection toute particulière dont ils honorent les equites,cette classe qui en temps de paix se livrait surtout aucommerce et fournissait des banquiers, des publicains,des entrepreneurs de transports, de travaux publics, desfermiers des impôts , etc ., grace enfin à la situation deleur temple en plein forum, à l'endroit on se trouvait laBourse de Rome"', ils deviennent d'une façon généraleles dieux de toutes les transactions commerciales, indus-trielles et financières, les dieux de la bonne foi . Depuis lecinquième siècle de Rome jusqu'à la lin de l'empire, ils necessent de présider et de protéger les affaires d'argent . Cesont eux que tous prennent à témoin et veulent avoircomme garants de leur' intégrité . C'est au pied de leurtemple que s'établissent les banquiers et les changeurs"',que se font les ventes et les achats d'esclaves 387 , sur lesmurs qu'on affiche les lois financières, dans l'intérieur,sous la garde de ces très sûrs dépositaires, qu'on entasse lestraités, les testaments, les pactes de toute sorte, les objetsprécieux et l'argent monnayé .

les Dioscures figurent non plus commedieux païens, mais comme symboles poétiques de la des-tinée humaine, de la vie et de la mort'"