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DIOCESE DE TOURS

Actes de l'Université d'été 20131

La responsabilité politique des chrétiens

L’aujourd’hui de Gaudium et Spes

Sommaire

Introduction

Père Jean-Marie ONFRAY ………………………………………………………………..page 3

La responsabilité politique des chrétiens à travers l'histoire

Mr Alain CABANTOUS ……………………………………………………………………..page 5

Bible, société et engagement des chrétiens Père Christophe RAIMBAULT …………………………………………………………page 19

Gaudium et Spes. L'Église dans le monde de ce temps Mgr Gérard DEFOIS ………………………………………………………………………. page 33

Repères pour l'engagement des chrétiens Père Jean-Marie ONFRAY ………………………………………………………………. page 51

1 Transcription ad litteram, réalisée par Ghislaine CWIDAK, des interventions de Mr Alain CABANTOUS et des pères Jean-Marie ONFRAY et Christophe RAIMBAULT. L'intervention de Mgr Gérard DEFOIS est rapportée sous forme d'un document de travail remis par lui, complété par quelques reprises de sa présentation orale et remis en page par Bernard SAUVEUR.

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Introduction

Père Jean-Marie ONFRAY

L’intitulé de cette université d’été est un domaine vaste et complexe, nous allons essayer de baliser certaines choses en essayant de ne pas tomber dans l’idéologie et de se donner des repères.

Dans son livre « main basse sur la ville » Emmanuel Faber (numéro deux de chez Danone et qui vient d’écrire « Chemin de traverse » montrant la pertinence de son regard éthique) écrit : « ce livre voudrait chasser les marchands du temple pour la dignité des marchands et pour celle du temple car nous sommes tous à la fois marchands par existence et temple par essence ». Chasser les marchands du temple cela nous renvoie à notre propre contradiction. Cette schizophrénie (contradiction) est encore plus forte en politique qu’en économie puisque derrière la politique il y a le pouvoir. Comment penser chrétiennement la politique ? C’est possible en chambre dans une réflexion intellectuelle sur le bien commun mais le vivre ensemble n’est pas évident et la politique est le vivre ensemble. Comment accueillir la diversité ? Comment l’intégrer dans un projet commun, comment gérer les conflits d’intérêts car l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers ? Faut-il s’en remettre à des hommes providentiels ? Péguy avait sans doute raison de dire : « à force de vouloir avoir les mains propres, les chrétiens n’ont plus de main ». Avoir de belles intentions c’est une chose, avoir des pratiques justes est beaucoup plus difficile !

Pour nous chrétiens, le fils de Dieu, Jésus de Nazareth est né dans un contexte politique bien complexe et il s’est positionné face aux Hérodiens, aux Pharisiens et aux Zélotes, Christophe Raimbault aidera à dénouer le fil d’être dans le monde sans en être. L’épître à Diognète (IIe S.) nous rappelle que les chrétiens sont dans le monde ce que l’âme est dans le corps : « les chrétiens habitent leur cité comme étrangers, ils prennent part à tout comme citoyens, ils souffrent tout comme voyageurs, pour eux toute région étrangère est cité et toute patrie ici- bas est une région étrangère ». L’enjeu spirituel d’une telle affirmation !! Un siècle après Diognète, le christianisme n’a plus été persécuté avec l’Edit de Milan en 313 puis en 380 il est devenu religion d’état avec Théodose. A partir de ce moment-là, les chrétiens étaient ‘tout’, ils avaient même du mal à ce qu’il y ait autre chose qu’eux ! Cela a duré un certain nombre de siècles au long desquels les conflits entre les pouvoirs se sont multipliés avec la théorie des deux glaives que St Augustin a repris et que Boniface VIII a imposée :

L’attentat d’Ananie où l’empereur d’Allemagne a dû se mettre à genoux devant le pape pour montrer que le pouvoir temporel était bien en dessous du pouvoir spirituel et qu’il recevait du pouvoir spirituel son autorité.

Souvenons-nous de la paire de claques que Philippe le Bel a faite au légat du Pape, par l’intermédiaire de ses envoyés.

Il était clair que le glaive temporel était sous la responsabilité du glaive spirituel. Pendant longtemps, sous la plume du magistère, il y avait une autorité morale qui laissait entendre que le spirituel avait à juger le tout temporel et non l’inverse. Le spirituel avait pouvoir d’interroger le temporel sur sa légitimité.

Petit à petit cette interrogation sur la légitimité a disparu puisque la légitimité du roi de droit divin est devenue, avec le siècle des philosophes, la légitimité du peuple. Celui-ci a une légitimité naturelle c’est-à-dire qu’il ne la reçoit de personne. La question apparue avec la Révolution est la suivante : le pouvoir politique, la vie de la cité ne dépend pas du spirituel, il dépend de la volonté du peuple. Ce qui, dans l’Eglise catholique, a eu du mal à être « digéré » !

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Le texte Gaudium et Spes ne comporte à aucun endroit le mot démocratie parce que si l’on dit la valeur de la souveraineté populaire pour les affaires de ce monde que va-t-on dire de la souveraineté populaire dans l’Eglise ? Que peut-on dire du sensus fidelium ou du sensus fidei ? Si l’on reconnaît une autorité pour des choses, pourquoi la renierait-t-on pour d’autres ? Le texte sur la liberté religieuse a été voulu par Jean-Paul II pour dire que les pouvoirs marxistes ne pouvaient pas porter atteinte à la liberté religieuse : celle-ci est une affaire de conscience, l’Eglise ne peut rien imposer. Si l’on reconnait la liberté de conscience vis-à-vis du pouvoir politique il faut la reconnaître vis-à-vis du pouvoir religieux. Par exemple c’est la condamnation du Syllabus de 1864. Par la suite même si l’Eglise, de façon indirecte nous a invités à nous convertir à la République, il faut savoir qu’en 1940 la plupart des évêques étaient ‘action française’ !

Regardons le réel et posons-nous la question : comment nous positionner comme chrétiens ?

Le 1ier jour : Alain Cabantous nous situe dans une perspective historique en 2 temps : 1) mise en perspective des 17ième et 18ième S., 2) actuellement.

Le 2ième jour : P.Christophe Raimbault développera le verset de St Paul en Romains 13 « que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, il n’y a d’autorité que par Dieu… »

Le 3ième jour : Mgr Gérard Defois nous fait regarder d’un œil nouveau Gaudium et Spes , texte de référence sur les rapports de l’Eglise et du monde avec les glissements théologiques dans l’élaboration de ce texte.

Le 4ième jour : P. Jean-Marie Onfray exposera le champ éthique du chrétien dans le monde politique. Quel discernement, comment ne pas se contenter d’être une Eglise contre le pouvoir? Comment penser la diversité des engagements chrétiens ? ( Cf Paul VI en 1971, la lettre au cardinal Roy qui a conduit au rapport Matagrin de 1972 intitulé : Pour une pratique chrétienne de la politique, qui disait qu’on peut avoir des opinions différentes. Comment faire une Eglise avec des opinions différentes, comment faire qu’il y ait une saine gestion avec des opinions différentes? 40 ans après les choses ont-elles avancé ?

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La responsabilité politique des chrétiens à travers l’histoire

Mr Alain Cabantous

Professeur émérite d'histoire moderne à l'Institut Catholique de Paris et à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Tout d’abord il est bon d’éclaircir ces termes

1) La responsabilité politique s’entendra ici au sens de l’engagement pour le bien commun. Essentiellement à travers la manifestation d’actions qui pourraient être collectives ou individuelles : c’est le service de la police, de la cité qui dépasse la dimension politique telle qu’on l’entend habituellement, qui dépasse une action décisionnelle émanant d’une autorité publique reconnue soit législativement soit symboliquement. Elle englobera donc dans mon exposé des initiatives sociales de tout ordre puisque l’engagement politique pour le bien commun intègre cette dimension.

2) Des chrétiens entendus ici dans une approche pluri confessionnelle et pas seulement catholique…et pas seulement française parce que cela autorise à des comparaisons entre différents pays. Et ceci dans la mesure où la variété des éléments qui sont apportés par les grandes confessions chrétiennes en Europe dans la réflexion qu’elles ont pu ou tenté de mener dans le rapport société et politique

a dépendu et dépend encore de leur approfondissement théologique sur la notion de pouvoir.

A dépendu et dépend aussi de l’objectif que se donnent les Eglises dans la responsabilité pour définir leur position sur la morale publique et privée.

On peut citer en exemple ce qui se passe en Allemagne en 1933 quand Hitler prend le pouvoir et la division qui s’en suit en 1934 au sein de l’Eglise évangélique allemande. Parce-que , dans cette Eglise luthérienne, certains pensent qu’il faut reprendre la position de Luther qui a été de se soumettre au pouvoir du prince et garder sa propre liberté individuelle , et d’autres de combattre le pouvoir politique (celui d’Hitler) parce qu’il est reconnu comme intrinsèquement étranger aux idéaux chrétiens.

Autres variables possibles: le statut des œuvres à la fois dans le monde catholique et dans le monde protestant est-il le même ? ou encore celui des confessions minoritaires : les minorités religieuses dans un pays donné ont-elles le même type d’engagement politique que la religion majoritaire ? (les Protestants en France, les Catholiques en Angleterre). Un régime multiconfessionnel induit-il des engagements politiques différents ? Ce sont des questions intéressantes dans la mesure où elles montrent qu’au-delà de la complexité de la situation, la réalité européenne dans laquelle nous sommes, qu’il faut prendre en compte encore plus aujourd’hui que précédemment, pose les questions différemment d’un pays à l’autre, d’une confession à une autre.

Ces quelques exemples conduisent à s’interroger sur l’explication du 3ième terme le plus vague, le plus « vertigineux »

3) A travers l’histoire en partant des Réformes pour arriver jusqu’à aujourd’hui. La césure des Réformes est quelque chose de matriciel dans la question sur le politique.

1ère partie : des formes d’engagement ou les contradictions de la responsabilité Pourquoi mettre en valeur cette notion de contradiction ? Parce que, pour cette longue période qui va du XVIe S. à 1815 environ, c’est la puissance publique c’est-à-dire l’état, c’est-à-dire le prince qui détermine la responsabilité des chrétiens et fixe les priorités politiques du bien commun.

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Parce- qu’il y a un encadrement du régime chrétien dans ces périodes, le rôle essentiel du politique vient du prince chrétien, le pouvoir du prince vient de Dieu. Dieu lègue directement son pouvoir au prince, le prince est un élu de Dieu et l’exercice du pouvoir est le règne de l’ordre et de la justice où la loi royale se confond ou souhaite se confondre à la loi divine. Confusion telle que parfois le prince est comparé au Christ, surtout lorsque le prince est un prince sacrifié : cf. Charles 1ier d’Angleterre qui se fait décapiter en 1649 au moment de la révolution européenne ; à partir de cette exécution beaucoup d’ouvrages sont publiés qui comparent le supplice de Charles 1ier aux épisodes équivalents de la passion du Christ. Autrement dit le prince sert l’image de Dieu et de ce fait tous les désordres au sein du royaume, c’est-à-dire toutes prises de position à l’encontre du souverain, sont une atteinte tant au souverain qu’à la volonté de Dieu. En outre, Les sujets ne peuvent avoir que la religion du prince ; la grande devise de l’époque est : un roi, une foi, une loi. Le loyalisme à l’égard du souverain passe d’abord par la même confession que le souverain, les dissidents sont nécessairement de mauvais sujets. Exemples : mauvais sujets catholiques en Angleterre, mauvais sujets protestants en France sauf que cela est moins simple quand on sait qu’entre l’Edit de Nantes et sa révocation (entre 1589 et 1685) les protestants sont reconnus comme sujets loyaux. Lors de la Fronde, les sujets les plus loyaux seront les protestants car le prince est le garant de leur propre existence. De même en Pologne au XVIe S., il y a une grande tolérance, les chrétiens orthodoxes, luthériens, calvinistes et catholiques vivent en bonne intelligence et n’ont pas forcément la religion du prince. On peut citer aussi la Hongrie, l’empire de Joseph II à la fin du XVIIIe S ave le statut en faveur des Juifs. En histoire il y a toujours des complexifications qui empêchent de réduire à une règle stricte des particularités qui construiraient une totalité univoque. Cette unité autour du prince s’appuyait sur le pouvoir absolu de droit divin. Pas de contresens sur l’expression ! Marcel Gaucher précise à ce sujet : « c’est une notion laïque et pas du tout religieuse puisque cela veut dire que le prince qui est de droit divin n’a de compte à rendre qu’à Dieu, au pape » le spirituel reste à Rome et cette tendance séparatrice est assez forte y compris dans les pays catholiques : la France (gallicanisme), l’Espagne (régalisme), l’Italie où des princes marquent leur autonomie à l’égard du pouvoir spirituel. Cette supériorité du pouvoir de droit divin sur le spirituel s’illustre en ce sens que les rois de France et d’Angleterre, une fois sacrés, font des miracles : ils guérissent les écrouelles. Ceci montre à la fois l’autonomie et l’indépendance forte du pouvoir politique et en même temps la confusion totale, pendant cette période, entre le politique et le religieux. Si elle n’existe plus tout à fait au sein de l’institution ecclésiale, elle est très présente au sein de l’institution politique, au cœur même de l’état. En 1609, Jacques 1ier roi d’Angleterre dit : « les rois sont à juste titre appelés Dieu car ils exercent sur terre, un pouvoir semblable au pouvoir divin ». A propos de Louis XIV et des monarques, Bossuet, référé au psaume écrit : « vous êtes comme des dieux ». La dimension de l’engagement politique des chrétiens, à ce moment-là, est complètement circonscrite par ce cadre et pourtant un certain nombre de mouvements essayent de sortir de l’épure imposée: il y a une conscience minoritaire qui fait de l’engagement autre chose que la soumission au pouvoir du roi.

Les mouvements millénaristes qui se démultiplient au XVIe et XVIIe s et qui essayent d’établir d’autres valeurs socio-politiques, voir même d’établir d’autres valeurs théocratiques : l’établissement d’un pouvoir venant de Dieu mais partagé par un ensemble. Etablir cet autre système est pour eux établir cet autre paradis terrestre retrouvé et en même temps préparer la venue du Christ sur terre qui doit venir pour un règne de 1000 ans (Joachim de Flore, Nicolas de Cusse…) Il y a une prise de responsabilité politique d’individus et de groupes face

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au pouvoir établi d’état et de l’Eglise avec une tentative chrétienne de fonder, de concrétiser une utopie.

Les anabaptistes de Munster qui se référaient de manière très précise aux Actes des Apôtres avec le partage des biens, la remise de dettes. L’instauration de la polygamie puis les actions violentes devenant une dérive…

La découverte du Nouveau Monde est aussi un terrain expérimental d’un autre engagement politique, de la création d’une nouvelle société : les ordres religieux (Franciscains, Dominicains) installés en Nouvelle Espagne. L’Amérique du Nord est aussi comme une nouvelle terre de Canaan : en 1648 un des fondateurs d’une communauté dans le Massachusetts dit : « nos Eglises et le gouvernement civil ont été implantés ici et se sont développés ensemble comme ceux d’Israël dans le désert ». Il y a une référence permanente à la parole biblique pour construire une autre forme de cité, de relations des hommes entre eux et des hommes à Dieu. Ces communautés fonctionnent selon un système de contrat : contrat entre les nouveaux habitants, entre Dieu et la cité.

A travers ce phénomène on arrive à une autre prise de position, une autre forme d’engagement, différente de ce qui existe en Europe à ce moment-là. Même si on prend bien soin de séparer les Eglises et l’état, il y a une référence, un substrat biblique fondamental qui mène à cette action. D’ailleurs au cours de la guerre d’indépendance (fin XVIIIe S.) les soldats américains tombés sous les balles anglaises sont comparés aux Hébreux qui sont conduits par Josué, c’est la construction d’un nouvel Israël. Ces exemples sont limités à quelques milliers de personnes, ceci montre cependant qu’il y a en germe des systèmes de réflexion, voire même des formes de concrétisation qui montrent un engagement différent. Pour le reste des chrétiens qui restent sous la domination du prince, qu’est-ce que l’engagement en régime chrétien à ce moment-là ? On a affaire à un engagement de deux types et il est capital de tenir compte de l’importance du contexte.

1) La Réforme, les guerres religieuses et la Contre-réforme : tout ceci est un engagement combattant et violent qui est nécessairement politique puisqu’il est aussi contre le pouvoir politique. En Europe: la guerre des paysans, le pèlerinage de la grâce en 1536 en Angleterre qui s’oppose à la décision d’Henri VIII de se séparer de Rome. En France la cristallisation des extrêmes se montre dans les guerres de religion pendant le dernier 1/3 du XVIIe S. On a une minorité catholique qui s’engage contre le prince, Charles IX puis Henri III, qui essaie de continuer à être garant de l’unité de son royaume. La revendication de ces catholiques appelés catholiques de la Ligue s’appuie sur une théorie appelée la théorie du tyrannicide. On manipule Thomas d’Aquin (qui distinguait deux sortes de tyran) et un certain nombre de théologiens du XVIe S, souvent jésuites (Mariana, Sâ). disent : « lorsque le prince chrétien a failli, qu’il devient un tyran, parce qu’il ne reconnaît pas l’unité essentielle autour du religieux (c’est à dire de l’exclusivité du catholicisme), il ne mérite plus d’assumer le pouvoir et peut être éliminé». A ce moment-là l’engagement politique c’est se débarrasser du tyran par la violence. Par la suite l’assassinat d’Henri III est conforme à cette pensée. Henri IV a échappé à une douzaine attentats avant de succomber en mai 1610 s’inscrit dans cette culture politique. On a là un engagement politique de violence mais en même temps cette ligue (la Sainte Union des Catholiques) est une union qui fonctionne comme un parti : les membres prêtent serment de refuser un roi huguenot sur le trône. Elle a aussi une dimension démocratique car

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elle instaure une égalité entre chacun de ses membres. C’est un recrutement très large et une défense du catholicisme qui est placé au-dessus de tout ordre politique, de toute hiérarchie sociale. Cette première forme d’engagement due au contexte politique n’est pas spécifique à la France ; on le voit aussi aux Pays-Bas actuels, dans le Saint Empire...

2) L’engagement social. Puisque l’engagement politique est confisqué par les princes, comment agir habituellement pour le bien commun ? On tente d’agir sur le terrain social soit à travers des structures anciennes comme les confréries, soit avec le développement d’organisations nées de la Contre-réforme et initiées par de nouveaux ordres religieux : Lazaristes, Jésuites (sodalités, Aa), voire de sociétés particulières (compagnies du Saint Sacrement), à travers des engagements très forts qu’on appelle les engagements des dévots. Ces engagements s’inscrivent dans le terrain social avec un objectif politique : quand on visite les prisonniers, les malades à l’hôpital on a un engagement social mais on les visite aussi pour savoir si la messe est bien célébrée à l’heure prescrite, si l’aumônier fait son travail. Il y a toujours derrière la dimension spirituelle. Cet engagement des Messieurs et des Dames est complémentaire, la dimension charitable est incontestable (soulager la misère par l’aumône, la présence), la dimension religieuse (favoriser les nouvelles dévotions, essayer d’expliquer la présence réelle), et en même temps il y a une volonté de modifier la société, de réformer les mœurs, de construire la société sur de nouvelles valeurs comme celle du travail. Toutes ces congrégations, ces groupes font la chasse à la pauvreté avec un renversement éthique important : le pauvre n’est plus l’image du Christ, il est l’oisif, celui qui ne travaille pas et vit aux crochets de la société et en oblitère le bon fonctionnement. Tous ces mouvements catholiques ou protestants vont insister sur la valeur du travail. Ce sont eux qui vont initier la construction des grands hôpitaux pour regrouper les pauvres afin de leur montrer l’importance du travail. Petite anecdote : il y a à Amsterdam une maison semblable à la Salpêtrière à Paris appelée « Rapshuis ou maison de la râpe ». C’est un lieu où des hommes devaient râper le bois brasil (du Brésil) pour en faire de la teinture. Lorsqu’ils refusaient, on les enfermait dans une pièce où il y avait un seul objet : une pompe à eau. On commençait à faire monter l’eau par infiltration et ils devaient alors pomper pour éviter la noyade. On infligeait cette punition pour leur montrer que les Provinces-unies (Pays-Bas) s’étaient formés en luttant contre la mer, en asséchant la mer, en créant des polders. Pour leur montrer tous les efforts que les Pays-Bas avaient consentis, on leur montrait les difficultés que cela représentait et auxquelles ils avaient refusé de collaborer en quelque sorte. A travers cet exemple, on voit qu’il y a toujours un système d’exemplarité. Tous ces groupes ont cependant souvent une vision très négative du monde. Leur vision du monde est le contemptus mundi ou mépris du monde, le prince n’est pas forcément bon, il faut une minorité agissante qui puisse modifier la construction du social. Face au monde attaché au péché, comment agir? Prier, avertir les chrétiens des dangers qu’ils encourent et le dévot catholique comme le puritain anglais sont des prophètes de Dieu qui alertent les populations sur la nécessité de changer le monde. Ce changement n’est plus le combat les armes à la main, c’est le combat spirituel. Cf. la citation d’un confrère de la Compagnie du Saint Sacrement : « Pour bâtir Jérusalem au milieu de Babylone ». Cette société active se recrute d’abord dans la noblesse et la bourgeoisie urbaine avec malgré tout une démocratisation progressive par l’entrée de l’artisanat même si au XVIIIe S. cette volonté s’édulcore quelque peu.

En Europe : à la fin du XVIIIe S. à Munich la noblesse de cour qui représentait plus de 45% à la fin du XVIIe ne représente plus que 31%. Les professions libérales de l’ordre de 18% au XVIIe sont à 23% au XVIIIe, les commerçants à 0% au XVIIe sont à 15% au XVIIIe. Malgré tout cet engagement du social

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avec un objectif précis a toujours été minoritaire : c’est une sorte d’avant-garde militante qui s’est donné un but précis à l’intérieur du cadre où le prince chrétien est tout. Dans cette forme d’engagement qui va contester le prince chrétien, une place particulière à donner au Jansénisme. Pour l’Europe, les mouvements jansénistes ont eu un rôle fondamental dans cette contestation de la domination du prince chrétien et dans la construction d’outils politiques nouveaux qui vont avoir une influence essentielle en particulier sur la Révolution française. Dès le départ ce mouvement déplace les paradigmes car le Jansénisme est dans une posture d’opposition : Mazarin fait condamner en mai 1653 l’Augustinus œuvre posthume de Jansen (évêque d’Ypres, opposant à la politique étrangère de Richelieu avec son Mars gallicus) La bulle papale condamne 5 propositions contraires à la doctrine catholique. Face à cette décision, un des grands juristes de « la cause », Antoine Arnault, fait une distinction fondamentale entre le droit et le fait. En substance : « Vous avez raison de condamner ces 5 propositions si elles sont contraires à la doctrine catholique mais en fait vous avez tort car elles ne sont pas inscrites dans l’ouvrage incriminé». Cette distinction du droit et du fait n’est pas une simple argutie de juriste. C’est par là la valorisation de la conscience individuelle exprimée d’une autre manière par les Réformés face aux pouvoirs établis, celui de Rome et celui de l’état. Engagement politique fondamental pour la suite où les mouvements jansénistes seront toujours perçus comme des mouvements d’opposition. Au cours du XVIIIe S. le journal clandestin « les Nouvelles Ecclésiastiques » publiait des bulletins pour dénoncer l’autoritarisme du roi , insister sur les martyrs de la cause, inciter à la résistance face à ces formes de pouvoir. Les pamphlets de ces hommes de justice, cette contestation de la monarchie, cet appel à un retour à une Eglise primitive où le pouvoir ne serait pas détenu par les seuls évêques, vont construire une nouvelle culture politique qui va favoriser la création d’espaces pour le débat public. La contribution des jansénismes à la position « politique » des catholiques vis-à-vis du pouvoir est tout à fait fondamental car le mouvement se développe aux Pays-Bas, dans les Etats rhénans, les Etats italiens en particulier la Toscane. Il y a donc là une construction d’instruments de réflexion concernant l’ordre institutionnel, élaborant une culture d’opposition , permettant à un certain nombre de gens de s’emparer d’un langage politique dénonçant le despotisme, l’arbitraire, valorisant la nation avant le roi, valorisant l’Eglise avant Rome, estimant que la nation est supérieure au roi comme l’Eglise universelle (en tant que réunion des baptisés) est supérieure au pape. La Révolution pourtant va diviser le Jansénisme ; elle lui doit cependant une autre approche de la perception du sentiment politique, une autre forme d’engagement en faisant éclater le cadre de la chrétienté et la soumission aux pouvoirs qu’elle instaura. Elle lui doit une autre pratique de la loi. Certaines décisions de l’Assemblée Constituante dont la Constitution civile du clergé sont directement inspirées de la réflexion janséniste : l’abbé Grégoire est janséniste dans sa formation politique : on a encore l’association entre le politique et le religieux. Grégoire plaide pour une autre forme d’Eglise mais aussi pour l’abolition des privilèges, la défense des noirs, l’émancipation des juifs. On a là deux volets complémentaires dans ses formes d’engagement. Le rappel de cette figure nous conduit à la Révolution. 2ième partie : les Révolutions, continuité et rupture

1) Continuité. Il s’agit essentiellement de la Révolution française qui s’exportera aux Pays-Bas, en

Suisse, en Allemagne. La Révolution française réorganise les relations des chrétiens et de la société : à l’Etat comme à l’Eglise et va entraîner d’autres formes de militances. Contrairement aux fantasmes de l’abbé Barruel qui réduite la Révolution à un complot franc-maçon contre le catholicisme, la

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Révolution française, au moins dans un premier temps, s’inscrit dans une relation ancienne Eglise- Etat, dans une continuité avant de s’inscrire dans des ruptures.

La première de ces continuités est la domination de l’Etat sur l’Eglise et la seconde est une sorte de désengagement de l’Etat à l’Eglise. Déjà la monarchie française avait renoncé à soutenir l’Eglise dans sa prétention à contrôler l’ensemble du système éducatif après l’expulsion des Jésuites. Une partie de l’enseignement, entre 1763-1766, sera contrôlée par les municipalités. L’exemple le plus significatif est la Constitution civile du clergé adoptée en décembre 1790 et suivie par un serment. C’est une continuité parce qu’une mise en harmonie de l’organisation ecclésiale avec le nouvel ordre social et politique : il faut conformer l’institution ecclésiastique aux principes généraux de la Révolution ; les maires sont élus, les curés aussi, il y aura des départements et on va réorganiser les diocèses. Les constituants s’inscrivent aussi dans une continuité monarchique, depuis 1516 c’est le roi de France qui nomme les évêques même si l’investiture canonique vient de Rome, là c’est le peuple souverain (en fait les citoyens actifs) qui va élire les clercs. Les constituants n’ont pas l’impression d’être en rupture, il leur faut réorganiser d’une autre manière avec d’autres références l’Eglise de France. Avant la Révolution française, Joseph II dans les états autrichiens a fait bien plus radicalement car il avait aussi des prétentions liturgiques : réorganisation des prières, du calendrier des saints etc. Le pape est même venu à Vienne et a entériné. Pourquoi Pie VI se raidit il et n’entérine pas dans ce cas de la Constitution Civile? Il faut revenir au contexte, c’est aussi parce-que la France vient d’occuper le Comtat Venaissin et Avignon, états du pape qui est aussi un souverain temporel.

2) Ruptures. Il y a rupture au moment du serment, lorsque l’on demande aux prêtres de prêter

serment à la Constitution civile du clergé. Il y aura des prêtres jureurs d’autres réfractaires….Progressivement être contre le serment équivaut à être contre révolutionnaire. Et par extension, la communauté qui soutient le prêtre devient contre révolutionnaire. En réalité cela est moins simple ; des prêtres deviennent jureurs ou réfractaires aussi parce que leurs ouailles les ont poussés à jurer ou à résister et l’on rencontre alors tous les cas de figure.

C’est une rupture fondamentale par rapport aux cadres sociaux anciens. La Révolution va contraindre un certain nombre de gens à se positionner politiquement par rapport à elle. Mais la césure forte était déjà contenue à travers l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (août 1789) : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions même religieuses ». Le mot ‘même’ ne doit pas être pris dans un sens restrictif mais replacé dans son contexte parce qu’il opère une double rupture :

* Rupture avec la continuité historique et rupture dans la relation Eglise-Etat En faisant des convictions religieuses, une variété d’opinions et en étendant aux autres confessions le bénéfice de la liberté de choix, la Révolution fait une rupture essentielle du lien entre catholicisme et société politique. Désormais il n’est nécessaire d’appartenir au catholicisme pour jouir de tous les droits civiques. Tous les Français sont égaux, la citoyenneté se trouve découplée de la religion. Le lien traditionnel entre les catholiques et l’Etat est distendu. Avec cet article l’Eglise catholique ne peut plus prétendre à personnifier la France. Aucun régime, ni le Concordat de 1801, ni la Charte de 1814 ne reviendront sur cette affirmation. Rien ne fait obstacle à ce que des non catholiques accèdent à des responsabilités politiques, c’est la reconnaissance laïque d’un engagement pluriel des chrétiens vis-à-vis du politique. Guizot protestant deviendra chef du gouvernement sous Louis-Philippe en 1879, le premier gouvernement dirigé par Waddington a une majorité de ministres protestants.

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* Une autre rupture est en marche dans l’accentuation de la laïcisation des œuvres. Du temps des princes, l’engagement des chrétiens était souvent placé sur le terrain du social. Là encore, suivant le cours des mouvements philanthropiques, la Révolution va accentuer la prise en charge de l’Etat par les municipalités du domaine où hier pouvait s’exercer l’engagement des chrétiens : l’enseignement, les bureaux de bienfaisance, les droits des pauvres, les hôpitaux. Ces mesures n’ont pas toujours été correctement appliquées faute de structures, de personnel et d’argent, en lien avec cette conjoncture de guerre dans laquelle vivra la France entre avril 1792 et 1815. Dès le Directoire la charité privée va revenir et avec elle la dimension de l’engagement d’un certain nombre de chrétiens va, à nouveau, se trouver valorisée. En réalité le contexte politico-religieux qui se modifie à partir de 1792 (laïcisation de l’état civil, instauration du divorce etc…) va s’accélérer avec la politique de déchristianisation des années 93-94 et transformer radicalement l’engagement des chrétiens et ceci plus fortement que le serment à la constitution civile du clergé. Se développe alors une culture d’opposition à la Révolution : les soulèvements de l’Ouest, du Massif Central, le soutien aux prêtres réfractaires etc. Il y a là un déchirement de la conscience nationale partagée en deux camps complètement irréconciliables qui vont se trouver pendant très longtemps dans l’histoire de la France. Par conséquent l’engagement politique des catholiques en France et à partir de ce moment-là sera un engagement anti républicain, contre –révolutionnaire, opposé à la liberté de conscience et dont le discours sera celui d’un retour à l’âge d’or quand le souverain était chrétien.

Il y a donc là une contre société chrétienne qui se met en place et qui en appelle à un retour à la monarchie. Aujourd’hui quand on lit un certain nombre de discours de la mouvance intégriste, on est dans cette optique. Il y a là un certain nombre de références, dont la majeure partie d’ordre religieux a été prise en général, face aux circonstances d’une continuité d’abord et puis d’une rupture délibérée et de déchristianisation incontestable.

3ème partie : les enjeux contemporains du XIXe au XXe S.

Cette partie est un parcours thématique afin de repérer les éléments permanents qui continuent d’exister et aboutissent à la constitution de plusieurs types de responsabilités des chrétiens en politique. Il s’agit des conditions et formes d’engagement des chrétiens liées à la fois à des référents évangéliques et à leur interprétation sociale, liées à la position des chrétiens dans la cité et confrontés à des conjonctures qui redessinent le paysage politique et social en permanence avec des contextes référentiels différents suivant les périodes et le poids que représente le discours du magistère face à la position politique des catholiques. Pour chacun de ces éléments il y a des ruptures, des permanences et des variables. Contrairement au protestantisme, depuis la Révolution, le catholicisme s’est arc-bouté dans une résistance à l’esprit libéral et dans la dénonciation des méfaits de l’individualisme qui est un fil rouge poursuivi jusqu’à aujourd’hui. Même si les évènements du XIXe s. et des prises de position de l’Eglise-hiérarchie ont pu apparaître comme le soutien de l’ordre politique bourgeois dénoncé par Proudhon dans « la révolution sociale »: « la bourgeoisie vise que la religion peut être utile à ses intérêts aussitôt elle demande de la religion, beaucoup de religion, encore de la religion. Le communiqué s’est organisé en son sein pour restaurer les idées religieuses. Le Christ n’a pas répondu mais l’Eglise orthodoxe, elle, s’est empressée d’applaudir », il faut nuancer ce propos. C’est-à-dire la dénonciation de cette collusion entre le pouvoir de la bourgeoisie au XIXe S. et l’Église.

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En fait, cela est beaucoup moins simple En réalité on s’aperçoit que l’Eglise catholique, plus que les Eglises réformées, a fait de la lutte contre le libéralisme dans le sens large du terme, une constante et pas simplement sur le plan économique ( Cf. Emile Poulat : l’Église contre la bourgeoisie ). C’est par rapport à ces éléments que s’esquissent et s’affermissent les engagements des chrétiens selon des modalités très variables.

a) La mouvance des contextes dans lesquels les catholiques vont devoir se positionner politiquement.

b) Le rôle des acteurs institutionnels qui vont à leur tour instrumentaliser les formes d’engagement du politique

c) La pluralité des engagements que tout ceci a générés.

a) La mouvance des engagements ou l’affrontement des contextes Les contextes de crise parmi lesquels il y a des guerres. Elles ont joué un rôle important dans la prise de conscience ou dans le positionnement, la responsabilité politique des chrétiens. Entre les conflits qui ont préludé à l’unité italienne et les guerres coloniales (guerre d’Algérie en France qui a conduit des chrétiens à prendre position face à cette situation et face à la politique menée). Les guerres contraignent les situations. Par exemple, l’unité italienne s’est faite non seulement avec et sans la France et surtout contre le pape. A partir de septembre 1870 les troupes italiennes entrent à Rome ; Pie IX s’enferme dans le Vatican et s’estime prisonnier du royaume d’Italie en refusant en 1871 la loi des garanties que le roi lui proposait pour garantir l’intégrité du territoire du Vatican. Pour les catholiques, et de plus en plus, il faut se positionner vis-à-vis du pouvoir pontifical et ceci est tout à fait nouveau. Que ce soit pour la France, l’Italie, l’Allemagne ou l’Espagne, il y a toujours chez les catholiques, la question de savoir si l’engagement politique participe à la défense de la papauté (voire le cas des zouaves pontificaux, sorte de « Brigades internationales » inversées et avant la lettre), c’est un élément essentiel au moins jusqu’à 1940. La guerre de 1914-1918 est au contraire celle d’une réconciliation alors que celle de 1939 est une nouvelle rupture puisqu’en 1940 l’épiscopat français n’est pas particulièrement résistant voire adhère ouvertement à l’idéologie de Vichy. Il y aura là un hiatus important et rapide entre les chrétiens qui s’engagent très vite dans la Résistance et un épiscopat qui suivra Pétain à quelques exceptions près. A l’occasion de l’expansion des régimes socialistes européens, des guerres coloniales ou encore de la chute de l’empire soviétique en 1989, il y a comme une prise de conscience au nom du christianisme de chrétiens engagés ou qui vont s’engager. A partir de 1985-90, vf. le rôle important joué par les chrétiens en Allemagne de l’Est, autour de l’Eglise évangélique ou en Pologne avec le syndicat Solidarnosc pour déstabiliser, ébranler voire même éliminer ces régimes. Cela n’exclut ni les disparités ni les engagements totalement opposés, ni la neutralité ou l’indifférence que l’on retrouve à travers tous les mouvements révolutionnaires du XIXe S. et XXe S. Que ce soit de 1830-1848 en France, 1919-1920 en Allemagne, la guerre d’Espagne, il y a des évènements qui sont internationaux, ce qui est nouveau et qui interroge les chrétiens dans leur engagement. En 1830 la Révolution en France a été très anti religieuse, en 1848 toutes les révolutions qui ont lieu en Europe et que l’on appelle « le printemps des peuples » rétablissent une sorte d’unité entre le christianisme et les aspirations démocratiques, à travers la question sociale et celle des nationalités. Des choses nouvelles arrivent aussi dans le champ du politique. Les/des chrétiens prennent conscience que la nation ne participe plus de la représentation du prince mais d’un bien

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commun et dans un autre sens, se rendent compte que la question sociale n’est plus à traiter à l’ancienne manière, celle de la charité individuelle. La naissance de la grande industrie, le développement du prolétariat interrogent les chrétiens sur l’organisation de la société à laquelle ils participent. En réalité ces grandes césures sont liées, soit à des affaires internationales, soit à des affaires particulières et nationales. Dans ce second cas, en France l’affaire Dreyfus où l’engagement des catholiques a été massivement anti- dreyfusard. Dans le premier, et plus proches de nous les évènements de mai 1968 en Europe où les engagements chrétiens sont différents, interrogent l’organisation de l’Eglise, de l’Etat comme la remise en cause d’un certain nombre de structures anciennes. L’évènement, cette rupture avec l’attendu, contraint ainsi à se déterminer pour savoir comment se situer par rapport à sa foi, par rapport à l’orientation que donne le magistère, par rapport à l’objectif que chacun assigne à sa pratique chrétienne. Ce sont des éléments nouveaux qui émergent sous l’influence de ces contextes. En même temps il y a à partir des années 1850, cette question récurrente : quand on s’engage en politique chez les chrétiens, s’engage-t-on pour ou contre le catholicisme ? Quel type et quelle forme d’engagement avoir pour « mettre sa foi en pratique » et pour ne pas contester le catholicisme en tant que phénomène institutionnel? Question récurrente qui traverse le XIXe S. Qui se modifie singulièrement dans la seconde moitié du XXe S. et début du XXIe S. Ceci grâce à une émancipation des catholiques à l’endroit des prescriptions magistérielles, l’individualisation des pratiques, et en même temps à une laïcisation de la norme législative qui n’est plus la traduction juridique de la norme de l’Eglise. Lorsque l’on a dépénalisé l’adultère ou l’homosexualité ou autorisé l’avortement, on est visiblement dans une société où le légal ne correspond plus à la morale habituelle de l’Eglise. Il est indéniable que ces ruptures ont interrogé la foi des chrétiens engagés et la responsabilité de ceux-ci avec des effets sur les comportements politiques, sur les choix électoraux, sur les transformations des structures sociales. Ces évènements déstabilisateurs où le national et l’international s’entremêlent doivent tenir compte des acteurs dans le jeu social.

b) les acteurs institutionnels qui sont aux sources de la responsabilité Parmi eux : l’Etat et le Magistère. Premier acteur : l'État Au cours des XIXe S. et XXe S. il y a trois grands types d’attitude des appareils d’Etat et qui peuvent déterminer des attitudes et des choix politiques.

1- La neutralité absolue de l’Etat en matière religieuse qui peut être le résultat d’une politique plus vigoureuse. Les pays scandinaves où, pendant longtemps le luthéranisme a été religion d’Etat jusqu’au début du XXIe S., ont décidé de séparer Eglise et Etat. L’Angleterre où la reine est le chef de l’Eglise mais sans véritable pouvoir.

2- Les Etats autoritaires qui ont le soutien des Eglises puisque se réclamant de valeurs chrétiennes (parfois d’ailleurs l’anticommunisme et ses conséquences avérées o non suffisent au soutien) : le Portugal de Salazar après 1925, l’Espagne de Franco à partir de 1936, Vichy avec l’engagement des évêques soutenant cette trilogie : travail, famille, patrie. Cependant l’alliance entre l’Etat et l’Eglise catholique doit être nuancée car cela tourne court au bout d’un moment dans la mesure où ces Etats ont aussi, par leur structure, la même prétention que les Eglises : de contrôler la jeunesse.

3- Les Etats qui ont une véritable politique anti religieuse, et ici anticatholique. Pour cela 3 exemples : la politique de l’Italie au moment de l’unité italienne entre 1866-77 ; les différents gouvernements prennent des lois qui heurtent l’Eglise de plein fouet avec la fermeture des maisons religieuses, l’exclusion de l’instruction religieuse des matières obligatoires et les relations entre le Vatican et l’Etat italien se sont dégradées .Le Kulturkampf en Allemagne

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entre 1872 et 1878 où Bismark souhaite limiter l’influence de l’Eglise catholique et de son parti politique qui avait atteint 20% des voix en 1872 ; pour cela instauration du mariage civil, poursuite des clercs qui sont favorables à une alliance avec l’Autriche-Hongrie et considérés comme des ennemis de l’Empire, interdiction aux prêtres de prendre des positions politiques, contrôle de l’école. Le même mouvement existe en Suisse où il y a une volonté de limiter tout ce qui fait la culture catholique. Les catholiques prennent donc position par rapport à cela de façon politique. La France de la 3ième République radicale des années 1902-1906 avec la séparation des Eglises et de l’Etat. Pour les chrétiens et plus particulièrement les catholiques, il y a nécessité de se positionner vis-à-vis des gouvernements et des déclarations du magistère et cela est relativement nouveau. On pourrait aussi évoquer pour le second Xxe siècle, les pays du bloc communiste et les lois antireligieuses. Deuxième acteur : Le Magistère (chez les catholiques) Sous l’Ancien Régime, le pape était loin et les papes ne brillaient ni par leurs initiatives ni par leur personnalité (Benoit XiV excepté). Cf aussi la soumission de Pie VII. Il y avait donc une forme de césure. Ce qui change surtout à partir de Pie IX jusqu’à Jean-Paul II ce sont les interventions de plus en plus nombreuses des papes dans le domaine de la vie sociale : déclarations, discours, encycliques, où il y a des condamnations et des encouragements. Mais quand on met le tout dans la balance, le plateau ‘condamnations’ pèse plus lourd que celui des ‘encouragements’ par cette volonté du pape, qui est désormais libéré de sa puissance temporelle et qui accentue la puissance spirituelle (Concile Vatican I qui se tient au moment de la conclusion de l’unité italienne 1869-70 et où l’infaillibilité dogmatique du pape est proclamée). En forme de bilan, les prises de position du magistère pour l ‘orientation sociale et politique des fidèles est plus du domaine de la condamnation du monde dans lequel ils sont que des encouragements. Pour exemple le Syllabus de 1864 : « contre toutes les erreurs et les doctrines pernicieuses condamnées de tous temps » ; on est toujours dans la condamnation du courant libéral c’est-à-dire dans l’intransigeantisme contre l’individualisme, l’autonomie de la personne. Ce qui est nouveau c’est le contexte car à travers ce Syllabus c’est aussi la condamnation des chrétiens libéraux : ceux qui cherchent à comprendre la société nouvelle et la démocratie et à s’engager sur ces bases. En 1871, c’est dans ce même sens que Pie IX interdit aux catholiques italiens de participer aux élections législatives. Cet interdit ne sera levé qu’en 1904, les papes s’estimant lésés de leur pouvoir temporel. Léon XIII, en 1901, met en garde contre le terme de démocratie chrétienne en disant : « cette expression n’est à employer qu’en lui ôtant tout sens politique, en ne lui attachant aucune autre signification que celle d’une bienfaisante action parmi le peuple ». Pourtant, en Allemagne, en France depuis 1901, en Suisse, se développent des mouvements libéraux qui se disent catholiques où l’engagement politique existe et qui tendent à former des partis. On se rend bien compte qu’il y a une sorte de volonté de la part du magistère de ne pas entrer dans ce genre de construction dans la mesure où le catholicisme social est considéré comme une sorte de perversion. C’est ce qui est reproché au Sillon avec 3 reproches fondamentaux : la volonté d’engager des catholiques dans les constructions politiques qui de la part du pouvoir pontifical ne pourrait faire que le jeu du libéralisme, accepter dans cette formation politique des gens d’autres confessions et être passé de l’anti libéralisme à un socialisme latent autrement dit de repousser cette constante à laquelle s’est tenu le magistère : la lutte contre le libéralisme.

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Quelques années après, en 1926, c’est la condamnation de l’Action française de Maurras, lui-même agnostique, qui a un grand retentissement chez les catholiques parce que les militants se rendent compte qu’alors qu’ils se croyaient d’accord pour lutter contre la perversité du monde, ils vont se trouver divisés car certains ont accepté la condamnation de Rome, d’autres l’ont refusée. On peut aussi évoquer les condamnations de la part de Pie XI du communisme et du nazisme. A travers ces phénomènes on trouve là une espèce de réitération pour essayer de conduire les catholiques dans leur engagement politique et à l’intérieur d’un sillon que seul le magistère peut tracer, en dehors de toute considération nationale. En juillet 1949, sont frappés d’ex communication tous les catholiques qui prêtent leur concours au parti communiste. Décision surtout à usage interne à l’Italie. A l’inverse il y a des encouragements à l’engagement, à la responsabilité politique avec l’encyclique Rerum Novarum (1891). Face à la question sociale, cette encyclique propose des réponses de l’Eglise catholique et incite les catholiques à investir le terrain. La base de l’encyclique, c’’est bien sûr la dénonciation de certaines situations mais aussi une manière de tenir compte d’une société de façon à ce qu’elle devienne chrétienne, lutter contre les injustices à l’intérieur d’un référent proprement chrétien. La seule véritable nouveauté du texte est d’avoir encouragé des syndicats chrétiens autonomes. Dans la première version de Léon XIII, il prévoyait un syndicat chrétien où seraient mêlés les patrons et les ouvriers et c’est sous l’influence surtout du cardinal Manning qu’il a accepté que les ouvriers puissent former un syndicat autonome. C’est donc un texte de compromis qui cherche à réconcilier riches et pauvres, capital et travail, à limiter l’intervention de l’Etat. C’est une avancée dans la responsabilité et le rôle des catholiques face à la question sociale. On pourrait dire la même chose de l’appel au ralliement qui se fait en 2 temps : à Alger avec le cardinal Lavigerie qui reçoit le ‘gratin’ des officiers de marine française en Méditerranée : ceux-ci sont déboussolés par ses propos lors du toast à la République et en réfèrent à leur hiérarchie. En février 1892, le pape Léon XIII déclare que les Français doivent loyalement accepter la République, c’est-à-dire ne plus se positionner contre parce- qu’elle est fille de la Révolution. Il y a une forte résistance, autre manière de s’engager ! Le discours du magistère n’est pas forcément relayé par le collège épiscopal : seuls 18 évêques sur 90 l’évoquent dans leur bulletin diocésain. La responsabilité des chrétiens nécessite donc un relais, à la fin du XIXe S. Mais toujours selon une hiérarchie, du centre vers la périphérie. On n’est pas dans un système de diffusion sans réel contrôle que l’on connaît aujourd’hui, ce n’est donc que très lentement que l’on va apprendre que le pape permet aux catholiques de se rallier à la République. Pour sa part Pie XI encourage le développement de l’Action Catholique et longtemps cela a du mal à trouver un relai épiscopal. Autre exemple positif, jusqu’à 1971 la lettre au cardinal Roy de Paul VI qui reconnaît la possibilité de la pluralité des opinions donc des engagements dans le monde catholique. Matagrin va relayer l’année d’après et écrit au nom de l’épiscopat français Politique, Eglise et foi, reconnaissant la pluralité des choix politiques lorsqu’ils ne sont pas en contradiction avec les valeurs chrétiennes. A travers ces quelques jalons on voit se manifester le lien étroit parfois conflictuel qui existe entre discours magistériel, engagement politique, réalité sociale et qui suscite la naissance d’un autre élément que l’engagement des chrétiens devait désormais prendre en compte: la doctrine sociale de l’Eglise qui va jouer un rôle important au XIXe S. et au XXe S.

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Ce terme de doctrine sociale de l’Eglise qui sert de référent à bien des engagements chrétiens n’est employé qu’à la fin du XIXe S. En 1957 un évêque : Mgr Guerry en donne la définition suivante : « l’ensemble des conceptions faites des vérités, des principes et des valeurs que le magistère vivant puise dans la loi naturelle et dans la Révélation et qu’il adopte et applique aux problèmes sociaux de notre temps pour aider les peuples et les gouvernants à organiser une société plus humaine et plus conforme au dessein de Dieu sur notre monde ». C’est la difficulté de définir une ‘sédimentation’ d’éléments de façon à, une fois de plus, donner aux chrétiens un cadre pour guider, « contrôler », permettre de discerner leur propre engagement. Mais pour d’autres, la doctrine sociale est une espèce d’évidence, consubstantielle au christianisme : « Le christianisme est le christianisme, il est donc social, à ce titre sans qu’il soit besoin de la dire et qu’on le qualifie expressément de ce nom je crains que ce ne soit donné à entendre que le christianisme pourrait ne pas être social et tout de même être le christianisme » (Ferd. Brunetière, Congrès des Œuvres de Lille, 1900, soit plus de 50 ans avant Mgr Guerry !). Noter ici une évolution sensible entre un christianisme social qui jusque dans les années 50 se rapporte à l’intransigeantisme donc antilibéral et un christianisme plus proche de l’Encyclique de Jean XXIII : Pacem in Terris(1963) Le changement se décline en 3 points :

La promotion économique et sociale des classes laborieuses

L’entrée de la femme dans la vie publique

Une nouvelle organisation des nations en communauté politique On est alors en 1963 époque de la décolonisation. Il ne faut donc jamais prendre ces textes dans leur absolu et toujours les rapporter au contexte dans lequel ils ont été rédigés. Au total c’est la diversité, la multiplication des tensions, leur dimension internationale et l’importance prise par l’enseignement et les décisions du magistère. Cela entraîne dans l’autonomie que les chrétiens se sont donnés, un éclatement des engagements et des responsabilités.

c) Pluralité des engagements Avec 3 formes d’engagements, même si les initiatives personnelles participent à l’engagement, la part de l’évènement alimente aussi la prise de responsabilité des chrétiens dans la politique.

1- La tentation d’une autre société en lien avec l’intransigeantisme et le refus frontal de l’évolution sociale, les chrétiens qui sont en exil sur la terre. En Allemagne, en Italie, en France, beaucoup de chrétiens entre 1870 et 1914 sont des combattants de la défensive pour s’opposer à la ‘conjuration antichrétienne, franc-maçonne et républicaine’. Cet activisme investit des pans entiers de la société pour créer des activités en référence au confessionnel : école, presse, assistance avec dispensaire, loisirs, sport, patronage, bibliothèque, cinéma, charité davantage orientée vers l’atelier que vers l’usine, vers le pauvre que vers l’ouvrier, vers les petites et moyennes villes que vers les grades agglomérations. Il y a là une démultiplication des œuvres paroissiales aux environs de 1860, par exemple la Société St Vincent de Paul. Cet engagement est aussi le portrait social d’une contre société, portrait déséquilibré car c’est surtout l’engagement issu de la noblesse ou des notables. Ce sont des hommes d’œuvres, grands chrétiens avec affirmation des convictions au parlement, dans la presse, le monde scientifique et diplomatique. Ce qui est important c’est la participation active des femmes-qui sont des mineures en politique puisqu’elles ne votent pas pendant bien longtemps- jusqu’à la caricature de la dame patronnesse ! C’est dans cette société frontale qu’il faut inscrire la tentative de créer des paris catholiques comme le Zentrum en

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Allemagne avec ses 20% de voix en 1872, le parti démocrate en Belgique, le parti populaire italien en 1918 de don Sturzo. En France les partis catholiques ont du mal à trouver leur place jusqu’à la création du MRP. Ce même parti sera même assez étranger au rêve d’une contre société mais plutôt en faveur d’une société autre dans la mesure il a été crée au lendemain de la Résistance avec l’union des démocrates chrétiens et des communistes. Devenu un parti comme les autres affronté aux questions scolaires et coloniales, Il disparaîtra avec la 4ème République. Bien des déclarations de Jean-Paul II et Benoît XVI vont dans ce sens de cette contre société, du refus du monde tel qu’il est, soulignant l’idée selon laquelle les chrétiens doivent s’engager en politique pour changer le monde et « sa culture de mort », inciter à la formation de jeunes pour qu’ils entrent dans ce modèle (Opus Dei en Espagne). La formation précède l’engagement (actuellement lors des derniers évènements de la Manif pour tous, des jeunes de l’Emmanuel en particulier se sont manifestés) mêlant avec rapidité – voire précipitation – conscience, formation, action et engagement.

2- S’engager en affirmant des spécificités ouvertes

Il s’agit dans ce cas de figure de proposer des mouvements qui ne soient pas d’opposition. Comme les mouvements d’action catholique à partir de 1924 en Belgique , 1926 en France et qui se développent dans les différentes branches économiques et vont jouer un rôle très important dans la formation des militants et des responsables politiques. On est bien sous une autre forme, dans l’action , la formation et pour certains l’engagement mais sans pour autant qu’il se traduise sous une étiquette chrétienne (cf. ceux qui passés par l’A.C. deviennent responsables de syndicats ou partis politiques sans aucune référence chrétienne). Avec l’A.C.ne nouvelle méthode se met en place, on passe des œuvres au mouvement, des notables aux militants et en même temps on utilise le même type de moyens : la presse (Jésuites et Dominicains) qui construit idéologiquement et intellectuellement. La formation des mouvements d’Action Catholique en 1919, la CFTC qui est dans la poursuite de Rerum Novarum : c’est le même objectif militant : christianiser à nouveau la profession, le milieu voire l’Etat mais avec une autre ouverture et une spiritualité liée à l’engagement différent du modèle précédent. Il y a une recherche d’une forme de sainteté laïque : l’apostolat des laïcs et une modification du regard de la théologie sur le travail. Cette réflexion sur la théologie du travail aboutit à des engagements essentiels. Les militants créent une forte association entre cet engagement politique et social et leur propre engagement : témoignage de Fr. Krumnow, devenu responsable CFDT, décrivant une réunion Joc « la réunion suivante, lorsque nous avons fit le point, les gars étaient contents de ce qu’ils avaient réalisé et chacun avait quelque chose à raconter. La parabole du Samaritain a illustré cette action sans trop tomber comme un cheveu sur la soupe comme on entend habituellement à la messe » L’image du Christ se transforme quelque peu, le Jésus ouvrier c’est le charpentier de Nazareth pour les Jocistes et pour les gens de la JAC, le Christ est le gars qui a vécu 30 ans dans son village. L’engagement se fait aussi à partir de l’interprétation très personnelle de la figure du Christ. On pourrait plus près de nous évoquer les mouvements Caritas ou en France, le CCFD, l’ACAT la CIMADE et bien d’autres.

3- Engagés et catholiques L’engagement politique, syndical, social se fait d’abord ici en fonction des objectifs politiques, syndicaux et sociaux. Le christianisme n’est pas premier. On n’agit plus « en tant que chrétien mais en chrétien » (Jacques Maritain) C’est ce que Denis Pelletier appelle le positionnement

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des catholiques de gauche. Il est impossible en France de créer un parti catholique de gauche comme il a été impossible de créer une démocratie chrétienne durable. A partir d’une genèse militante, c’est s’inscrire dans une autre démarche, le référent chrétien est avant tout personnel mais se répercute sur l’engagement collectif. C’est l’exemple des prêtres ouvriers, des prêtres de ‘présence et de dialogue » de 1968, c’est la 2de gauche du PS en France après le Congrès d’Epinay investie par des chrétiens qui s’engagent en tant que militants socialistes mais aussi chrétiens. Contrairement à ces courants identitaires qui traversent le catholicisme aujourd’hui et qui ont une vie de groupe, cette forme d’engagement ne nie pas sa dimension spirituelle mais sa « stratégie » même ne permet pas de voir clairement l’importance de ce type d’engagement et de l’importance que cela représente même si cela joue un rôle dans la transformation de la société. Les enquêtes d’opinions montrent que ces chrétiens engagés le sont aussi dans leur paroisse ou leur communauté et si le vote catholique en France est globalement de droite à 75%- 80%, plus les catholiques sont engagés plus ils votent à gauche (thèse de Jean-Marie Donegani). On ne vote plus pour un parti, on a un déplacement du phénomène, de la forme d’engagement.

Conclusion Il y a un lien fort et essentiel entre politique et christianisme qui implique un engagement et des responsabilités nécessaires même si les contextes sont différents entre le XVIe S. et le XXIe S.. Il y a toujours des questions récurrentes.

S’engager pour concrétiser une foi

S’engager pour prendre des responsabilités qui peuvent être aux antipodes les unes des autres avec une extrême variabilité des objectifs à travers sa propre histoire et des contextes particuliers mais déterminants qui reposent les interrogations : Comment être dans le monde sans être du monde ? Comment vivre du Christ en étant engagé ? Quel type d’engagement cela implique-t-il ? Comment concilier le cours des vies d’engagement et d’eschatologie annoncée ? Comment concilier l’universel et le particulier ? Que mettre d’abord en avant ? Chrétien ou citoyen ? Les réponses appartiennent à chacun mais La responsabilité des chrétiens comme citoyens aujourd’hui reste à la fois indispensable et contradictoire.

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Bible, société et engagement des chrétiens Père Christophe RAIMBAULT Bibliste, enseignant à l'Institut Catholique de Paris, doyen de Tours-sud

Introduction Cette intervention est un partage de textes sur lesquels, dans l’histoire de l’Eglise, beaucoup de positions se sont appuyées en prenant argument sur tel ou tel passage, de façon souvent absolue sans aucun lien, sans aucune prudence, sans prendre le temps de laisser parler le texte par lui-même. Le but de cette démarche est de donner la parole à la Parole, au texte biblique afin qu’il soit parlant par lui-même et que nous n’entrions pas trop vite dans la manière qui consiste à faire des citations parce que tel ou tel passage vient appuyer notre propre argumentation. C’est l’éternel débat entre la lecture de la Bible et l’élaboration de la pensée dans l’Eglise à laquelle nous contribuons tous d’une manière ou d’une autre en interprétant aussi les textes. Voyons comment le texte évoque les questions qui sont les nôtres, à savoir la place des chrétiens dans l’engagement public, dans la politique au risque d’un titre qui ne soit pas toujours ajusté puisque je commence par l’Ancien Testament. Mais les chrétiens sont héritiers de l’Ancien Testament. Je remets la prudence en premier lieu : attention la Bible ne donne pas de recettes toutes faites, que ce soit dans quelque domaine que nous cherchions. La Bible donne des chemins au cours desquels nous nous laissons nourrir par un message, par une révélation, récit après récit, les récits n’étant pas d’un seul tenant, loin s’en faut ! Il est intéressant de voir comment chacun de ces textes a été élaboré dans un contexte particulier ; il fait référence à une situation antérieure qui, elle-même, est à découvrir dans son contexte propre. Nous avons à plusieurs niveaux : la prise en compte du contexte, l’épisode rapporté et la manière dont il a été écrit et nous ne pouvons donc pas prendre le texte au pied de la lettre. Rares sont les textes qui se donnent à comprendre d’une seule manière, ils ont souvent plusieurs messages à transmettre : il faut rappeler que l’activité principale de l’Eglise vis-à-vis de la Bible, est une activité d’interprétation, autrement dit d’herméneutique. Souvenez-vous : quand le Ressuscité chemine avec les Pèlerins d’Emmaüs, ils portent cette déception, cet échec que celui qu’ils imaginaient être victorieux en tout n’était plus là et voilà que Jésus les rejoint, prend le temps d’abord de les écouter, ensuite prenant les Ecritures, il leur fait l’exégèse (le mot précis est l’interprétation, l’herméneutique) de toutes les Ecritures en commençant par l’Ancien Testament. Nous n’avons pas le droit de faire dire n’importe quoi aux textes, il est important de se laisser guider ensemble par le texte lui-même et de repérer ce que l’histoire de la réception nous en donne. (Distribution de la feuille « éclairages bibliques »)

1. Dans l’Ancien Testament : la place des croyants dans la « société », dans le peuple, c’est-à-dire l’univers créé.

1.1 Dieu crée l’histoire et s’engage dans l’histoire

Dieu crée l’homme et s’engage dès le début

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Dieu créateur donne un projet aux hommes : celui de cultiver le sol. Il leur donne l’accès à l’arbre de vie et cela commence mal (Gn 2,3) car l’homme se montre incapable de tenir sa parole. Dieu protège la vie en permettant à l’homme d’aller et de cheminer. Au cours de son chemin, l’homme est invité à se ressaisir de ce projet de Dieu : le projet étant de bénéficier de l’arbre de vie ; c’est sur le ce critère de l’arbre de la connaissance du bien et du mal que l’homme faillit et se fait avoir par le serpent. Le projet de Dieu est bel et bien de faire bénéficier l’homme dans toute son humanité (Adam étant à lire aussi comme un terme universel) de son projet qui consiste à prendre soin de la création, cultiver le jardin. Et l’homme est chassé du jardin délimité qui est la Mésopotamie (et non du « paradis »). L’homme doit donc cheminer sur la terre avec ce projet qui consiste à lutter contre les tentations qui éloignent du projet de Dieu. A partir de là, l’homme est invité à découvrir cette parole de Dieu, à s’en saisir, à avancer, c’est un projet que Dieu lui donne pour qu’il bénéficie totalement de la vie et ne pas se laisser avoir par la mort qui passe par la tentation. On se rend compte, alors, que c’est une confiance qui est donnée à l’homme. A la fin de l’Apocalypse , il y a une inclusion entre la Genèse et l’Apocalypse : l’homme est sensé bénéficier de cet arbre de vie qu’il n’a pas su préserver, dans un lieu qui , cette fois, n’est plus sauvage mais habitable par tous : la Jérusalem céleste où il y a de la place pour tous et l’homme peut avoir accès à l’arbre de vie : « heureux qui lave son vêtement dans le sang de l’Agneau, il aura droit à l’arbre de la vie ». Si nous avons en tête ce projet de Dieu pour l’humanité qui se donne du début à la fin de la Bible, alors nous comprenons pourquoi Dieu s’engage dans l’histoire. La création est toujours en devenir, une fois que Dieu a créé, il ne se retire pas, Dieu est présent dans sa création. St Paul dire en Rm 8 : « la création qui gémit dans les douleurs de l’enfantement ». La création n’est jamais finie et l’homme aujourd’hui est en situation de compléter e de prendre part à cette création. Dieu ne tarde pas à intervenir dans l’histoire des hommes : dès le début de la Genèse (Gn 2 et 3), l’homme est confronté à l’irruption de ce serpent qui parle , qui va détourner la parole de Dieu. Dieu ne reste pas insensible, il va dans le jardin à la quête de l’homme : « Homme où es-tu ? » : dès le récit de la création Dieu entre dans l’histoire des hommes. Dieu est créateur mais aussi maître de l’histoire, il donne à l’homme de gérer cette création, il est là pour le soutenir et lui permettre de réorienter son chemin.

Dieu a un projet pour l’homme et prend les moyens de sa réussite Exode 3. Dieu n’est pas insensible à la souffrance des hommes. Le peuple hébreu est en esclavage en Egypte, Dieu n’est pas loin. Du fond du buisson ardent, Il s’adresse à Moïse et lui demande de prendre les moyens de libérer le peuple. C’est-à-dire que l’histoire soit un lieu de libération, un lieu où l’homme peut apprendre à se laisser libérer pour un jour bénéficier de cet arbre de vie. Dieu crée l’univers pour que l’homme puisse découvrir, dans l’histoire, la présence de Dieu qui l’accompagne (Dieu avec nous deviendra Emmanuel). Pour montrer ce projet et le rendre accessible à tous, il va établir une relation privilégiée avec un peuple : le peuple élu (l’histoire du peuple élu relue à la lumière de la foi en Dieu maître de l’histoire). Avec ce peuple Dieu va établir une relation toute particulière pour manifester ce projet d’amour, d’implication de lui-même auprès des hommes. Ce peuple va le délaisser de temps en temps mais Dieu continuera de lui donner sa confiance. L’histoire du peuple élu démarre à ce peuple libéré et Dieu va lui montrer jusqu’où cette libération peut aller c’est-à-dire jusqu’au bout. De fait, Dieu va s’impliquer et même s’opposer contre les opposants à son projet de libération : c’est le fameux passage des 10 plaies d’Egypte avec Pharaon. Lorsque le peuple traverse la mer ( Ex14) il a déjà vécu l’épisode de la Pâque (Ex12), pendant 6 chapitres, il y a cette lutte entre Dieu et pharaon comme un duel pour bien montrer que Dieu ira au bout de son projet de libérer les

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hommes, , prendre les moyens pour que les hommes ne soient pas asservis par un tyran. Quand on lit les plaies d’Egypte, on les lit souvent de manière négative : ce n’est pas Dieu qui prend plaisir à envoyer des épreuves, c’est le cœur de pharaon qui s’endurcit. Personne ne peut aller contre le projet de Dieu : Dieu est obstiné dans son projet parce que ce qui prime c’est la libération des hommes, il ne baisse pas sa garde devant le premier tyran venu ! Dieu est maître de l’histoire quitte à ce qu’il donne l’impression de prendre des moyens violents. Dans ce passage de la mer, on a l’impression que c’est Dieu qui engloutit et prend plaisir à ce que les armées de pharaon périssent. Or, c’est l’endurcissement de pharaon qui va jusque-là : le peuple hébreu est confronté soit à la mort dans la mer, soit à la mort par l’armée qui est à ses trousses. Dieu montre que la mort s’écarte devant le projet de vie et de fait les deux forces de mort s’auto détruisent. C’est donc la non réception du projet de Dieu qui provoque la mort.

L’histoire du peuple élu relue à la lumière de la foi en Dieu maître de l’histoire Quand il arrive des épisodes heureux, des victoires du peuple, on relit toujours de cette façon : « Dieu nous récompense par la victoire militaire car nous avons été fidèles », inversement, à chaque défaite militaire la relecture donne : « on nous l’avait bien dit, nous avons été infidèles, Dieu nous a châtiés ». Toute l’histoire de l’Ancien Testament est relue à la lumière de ce critère de la fidélité ou de l’infidélité du peuple vis-à-vis de Dieu. Il y a nécessité de mettre dans le contexte, c’est-à-dire à chaque fois que nous avons un récit où nous avons l’impression de violence, (un Dieu des armées qui va écraser la tête des enfants des ennemis, par exemple) cela nous gêne. Il faut alors revoir le contexte de ce type de lecture : ceux qui écrivent la Bible plusieurs centaines voire un millier d’années après les évènements, prennent du recul en disant : quand nous avons eu la victoire Dieu a pris notre parti, il a tué, il est intervenu en notre faveur. Evidemment l’accès à la Terre Promise est relu avec ce critère-là : quand le peuple est sur la Terre de Canaan c’est la récompense à la fidélité donnée par Dieu. Mais quand le peuple est en exil, c’est le châtiment.

1.2 Les Institutions « humaines » : une théocratie, la figure du Roi-Messie

Les patriarches, les juges Dans l’Ancien Testament, la théocratie se met en place petit à petit à partir du moment où le peuple est créé par cette intervention de Dieu. Dieu donne sa parole à ce peuple, agit dans son histoire et prend le parti du peuple, lui donne une Loi, une règle (Décalogue). Le peule est constitué et il n’y aura plus de distinction entre loi civile et loi religieuse. La loi de Moïse a des préceptes civils et religieux. Avec les patriarches et les Juges, la figure des responsables a évolué. A la mise en place de ce peuple, se pose la question de qui est à la tête du peuple avec une distinction qui commence à poindre avec l’instauration de Moïse et Aaron.

Moïse /Aaron Moïse est chef du peuple, c’est lui qui va être en lien avec Dieu, il va sur la montagne recueillir les tables de la loi, c’est lui qui va commander le peuple, qui prend le bâton pour traverser la mer etc… mais, à côté, un pouvoir religieux se met en place : Aaron va être le chef des Lévites. Au sein du peuple, il y a mise en place de plusieurs missions. Ce qui n’empêche pas la loi d’être à la fois civile et religieuse. Il y a déjà un début de répartition des missions.

Le Roi-Messie, les Rois pas toujours fidèles…. Ce qui apparaît important pour nous est l’émergence de cette figure du Roi-Messie. Le roi est, de fait, la figure par excellence de Dieu pour le peuple. Il est aussi l’interface dans l’autre sens : il devient le représentant du peuple vis-à-vis de Dieu. On a là un grand changement dans l’histoire

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du peuple hébreu. Le roi choisi par Dieu (choix de David) est oint par Dieu via le prophète. Ce processus de désignation nous montre que c’est une élection divine, un roi de droit divin. Aux yeux du peuple, il va prendre les traits du représentant de Dieu, le passage obligé entre le peuple et Dieu et inversement. Lorsque le peuple sera fidèle c’est par le roi que l’on rend grâce à Dieu, lorsqu’il sera infidèle c’est par le roi qu’on reconnaîtra les erreurs et les châtiments. Petit à petit le roi assume des rôles nouveaux. Il est celui qui donne le droit et la justice, il possède les droits régaliens, le rôle religieux et il est le chef des armées. Progressivement il prend la figure du Messie, celui qui est l’envoyé de Dieu, celui qui reviendra un jour, celui qui symbolise que Dieu donnera un jour la victoire totale et définitive pour le peuple. Ce glissement est intéressant, au point que lorsque Jésus posera la question à ses disciples : « Pour vous qui suis-je ? », Simon Pierre répond : « tu es le Christ » traduction en grec du mot hébreu : Messie. Pierre est en train de lui dire : « tu es la récapitulation, la réactualisation de toutes ces figures dans l’histoire du peuple » Cela relativise beaucoup cette la réponse de Pierre. Les rois ne sont pas toujours fidèles : David et Bethsabée avec Uri le Hittite, Salomon et son harem etc…. Après ces déviations, la royauté a perdu de son aura, le royaume a été divisé en deux. C’est un drame dans l’histoire du peuple : Dieu aurait-il rejeté son peuple ? Dieu donne un châtiment, la séparation entre Royaume du Nord et Royaume du Sud. On voit là l’importance du rôle du roi dans la mesure où il n’est pas à la hauteur de ce que Dieu demande. De fait, il y a remise en question de la royauté, de la figure du roi et en même temps il faut défendre cette figure. On a la nostalgie de ce royaume unique et la splendeur du royaume de David devient emblématique. C’est pour cela que nous repérons souvent la e référence à David. La lignée davidique restera comme le prototype du projet de Dieu fidèle à son peuple. Le peuple aura toujours la nostalgie qui consiste à dire : « Quand nous étions fidèles nous avions la splendeur d’un royaume unique » et c’est pour cela que dans le Nouveau Testament il sera important que l’on précise que Jésus est issu de la lignée davidique : on va alors hériter de cette représentation telle que le peuple l’avait vécu et perdu ensuite.

1.3 Alliance, loi universelle ? Déjà des règles sociales

Une alliance singulière avec le peuple hébreu L’Alliance est une notion importante car le peuple vit cette relation privilégiée avec Dieu qui voulait faire de son peuple « la lumière des nations » (Lumen Gentium) qui deviendra le Christ dans le la Nouveau Testament et sera repris à Vatican II. Dans l’Ancien Testament, Dieu crée une alliance singulière avec ce peuple pour montrer comment Dieu veut établir son alliance avec tous les hommes de façon universelle. Dans l’Ancien Testament, il y a déjà cette dialectique du singulier, du particulier et de l’universel, pour dire que cette relation particulière est la révélation totale du projet de Dieu pour tous les hommes. Cette notion d’alliance avec le peuple commence déjà avec Abraham, avant la loi de Moïse. Cela fera dire à Jésus et St Paul que cette alliance est pour tous les hommes. En Galates., St Paul ira plus loin : « Abraham a été justifié sur le critère de sa foi en Christ » en écrasant le temps et voulant dire dans ce passage que, avec le peuple hébreu, ce qui prévaut c’est l’alliance avec Abraham pour tous les hommes. Il est intéressant de voir dans quelle mesure cette alliance avec le peuple est révélatrice d’une alliance que Dieu veut établir avec tous les hommes.

A dimension universelle : le Décalogue…

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Le Décalogue que nous connaissons bien est composé de règles universelles c’est-à-dire pour tous. Mais rappelons-nous que ces 10 paroles nous sont données dans un contexte particulier (Exode 20 et Deutéronome 5). C’est après être intervenu dans l’histoire du peuple, après avoir manifesté par le passage de la mer que Dieu ira jusqu’au bout de son projet de libération, qu’alors il lui donne une règle, des paroles pour que le peuple puisse se structurer, s’organiser et avancer dans la vie. N’oublions pas que, dans la Bible, la «Torah » est plus qu’une loi : elle est un chemin de vie et non une règle enfermante. Le Décalogue commence par une partie que l’on oublie souvent et qui est le rapport avec Dieu, donc une loi donnée dans un contexte particulier et pas si universelle que ce qui suit : « tu ne tueras pas, etc. ». Elle doit toujours également être remise dans une perspective, celle de Dieu pour son peuple. Qu’après cette loi ait une valeur universelle, soit, mais il ne faut pas oublier que ce sont des paroles qui lient l’émetteur, Dieu au récepteur, le peuple (et nous à travers lui). De fait c’est un dialogue qui s’engage. A ce moment-là les lois peuvent tirer leur universalité dans la mesure où elles sont d’abord remises dans ce contexte d’une parole.

Déjà l’esquisse d’une doctrine sociale Les institutions sont présentes dans l’Ancien Testament mais vivent une tension. Le roi, le code de sainteté, les règles alimentaires, des lois civiles sont mises en place amis au fur et à mesure que l’histoire du peuple se déroule. Il faut aussi à prendre en compte la spiritualisation du culte. Le culte se donne à vivre de plus en plus avec le cœur : Os 6,6 : « C’est la miséricorde que je veux et non pas tant de sacrifices ». A partir de là nous voyons se relativiser toutes ces lois qui régissent le culte. Mais elles sont aussi civiles, d’où une tension qui se met en place. On est invité à intérioriser la relation à Dieu, à prier et dans son intériorité à rendre un culte à Dieu. Le culte extérieur régi par les lois change de positionnement et, à partir de là, apparaît une tension entre les lois civiles et religieuses et le culte personnel. On voit ce développement avec les livres de Sagesse, les livres tardifs de l’Ancien Testament qui vont insister sur l’intériorité, le rapport intime avec Dieu. Là nous repérons une jonction entre l’Ancien et le Nouveau Testament extrêmement importante. Coexistent un corpus de règles civiles et religieuses et une relation plus personnelle avec Dieu de plus en plus affirmée. C’est dans ce contexte que Jésus va intervenir, va pouvoir hériter de toute cette loi juive et annoncer l’inouï de Dieu en lui-même. On peut parler de l’esquisse d’une doctrine sociale. Il ne serait pas juste de passer trop vite au Nouveau Testament sans reconnaître que dans la loi mosaïque, il y a déjà des règles sociales qui viennent éclairer certains discours de Jésus. Par exemple on insiste beaucoup dans le code deutéronomique sur le respect de l’étranger, l’accueil de l’immigré, le respect de la veuve et de l’orphelin qui sont les prototypes des plus pauvres. La veuve est celle qui n’a aucune reconnaissance sociale et, d’ailleurs, Jésus guérira le fils de la veuve de Naïm. La règle du Talion vient mettre une proportion dans la vengeance : œil pour œil, dent pour dent. Cette mise en contexte c’ est déjà une avancée pour apprendre à mesurer son geste de vengeance. Il y avait aussi quelques règles sociales comme l’importance du salaire journalier (Dt 24,15). Nous avons déjà l’esquisse l’affirmation de prendre soin de l’autre qui va jusqu’au commandement de l’amour du prochain comme soi-même (Lv 19,18). Jésus va le reprendre et mener plus loin ce commandement. La gratuité de l’amour de Dieu se révèle r (Is 55,1). On repère donc déjà la mise en place d’une articulation entre la relation à Dieu et les relations interhumaines.

2. La nouveauté de Jésus

2.1 Jésus-Christ et la venue du Royaume

- les deux Royaumes

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Le Roi-Messie était David ou Salomon. Jésus va parler du Royaume, non pas le Royaume sur terre, mais le Royaume de Dieu. Jésus annonce la venue de ce du Royaume : « convertissez-vous, croyez à la Bonne Nouvelle ». Il vient révéler le fait que le Royaume de Dieu s’est approché de nous, ce n’est pas à nous de courir après et donc nous avons à percevoir cette venue comme une opportunité pour nous convertir dès maintenant. A partir de ce moment Jésus annonce une nouveauté : le Royaume comporte et instaure une justice nouvelle : c’est le message des Béatitudes. Heureux, c’est-à-dire en marche ! Motivez-vous ! Malheureux dans la version de Luc ne signifie pas une condamnation, c’est de la compassion (Hélas !). Le message du Royaume qui vient jusqu’à nous, nous invite à repérer cette justice nouvelle et à orienter notre vie selon cette Bonne Nouvelle : Rm 14,17 : « le Royaume de Dieu est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint ». - Jésus-Roi ? De fait Jésus est donc Roi, c’est lui qui vient révéler le Royaume nouveau, mais c’est un titre piégé ! Lorsqu’au moment des Rameaux on acclame Jésus : « Hosanna au plus haut des cieux », le peuple l’accueille comme roi à l’image du roi David. S’agit-il de faire une restauration davidique à l’identique ou vient-il instaurer un autre royaume ? Quelques petits rappels. 1- Jn6, la multiplication des pains et le début du discours sur le pain de vie : la multiplication des pains se termine très mal car Jésus fuit le peuple qui veut le prendre et faire de lui un roi à l’image de ce que le peuple avait connu avant. 2-Lorsque Bartimée interpelle Jésus : « Aie pitié de moi Fils de David », à travers cette interpellation on voit le grand drame du peuple juif de l’époque. Il voit en Jésus la réplique du roi David et est sûr que Jésus va combattre l’oppresseur (les Romains) et restaurer cette royauté perdue. Voilà la grande contradiction de l’attente du peuple juif et c’est pour cela que Jésus entre à Jérusalem sur un ânon et non sur un cheval. Il montre ainsi que le Royaume de Dieu est un royaume de paix. 3-Il le dira à Pilate dans la passion selon St Jean : « ma royauté n’est pas de ce monde ». Il n’y a pas de théocratie à restaurer avec Jésus. -La Question : pour vous qui suis-je ? Lorsque Jésus pose cette question à ses disciples la réponse est « tu es Elie » le prophète qu’on attendait, autre figure messianique, le peuple pensait que celui qui allait sauver le monde serait Elie. D’autres répondent : « Jean-Baptiste », encore un prophète ! Mais tout de suite après cela tourne mal : il faut que le Fils de l’Homme aille à Jérusalem, qu’il souffre et qu’il meure. C’est l’annonce de la passion et, là, Pierre ne suit plus. C’est là que réside le drame qui nous intéresse : si Pierre en reste à cette figure déjà connue du Messie, il nous faut, avec Jésus, prendre cette route qui va vers la croix. Jésus est en train de révéler ici une autre fonction et ne se laisse pas enfermer dans la déclaration de Pierre. C’est un mystère qui se révèle, dans la deuxième annonce de la passion en Marc. C’est là que nous avons l’image du serviteur, du diaconos, « le Fils de l’Homme est venu pour servir et non pour être servi ». Ici se révèle la messianité de Jésus, sa royauté. A partir de là tout change, il lave les pieds des disciples (Jn 13 : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert et qui vient pour donner sa vie en rançon pour la multitude »). Et il invite à l’imiter et à faire de même. Il instaure un Royaume nouveau, un mode de relations nouvelles. Jésus était-il un roi, un prophète, un maître de sagesse, un révolutionnaire ? On essaie toujours de lui donner bien vite un titre, une fonction en combinant plus ou moins bien avec la notion de service. En fait, nous sommes plutôt renvoyés à la question du mystère de son identité. Ainsi, dans l’épisode de la tempête apaisée, le récit se termine par : « Mais qui est-il donc celui-ci pour que même les vents et la mer lui obéissent ? ». C’est une question, n’allons pas trop vite à enfermer Jésus dans une fonction ou un titre !

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2.2 L’épisode de l’impôt à César : fondement de séparation des pouvoirs ? Passage central qui mérite d’être étudié.

Le contexte Après l’instauration d’un Royaume nouveau, comment Jésus se positionne-t-il vis-à-vis de l’autorité, c’est-à-dire César ? En Marc 12,13-17, repérons les différents moments de l’épisode. Les Pharisiens et les Hérodiens l’appellent « maître » c’est- à-dire quelqu’un qui dispense un enseignement et rien d’autre. Puis ils lui posent la question : « est-il permis oui ou non de payer l’impôt à César ? » C’est une question fermée. Mais il sait leur hypocrisie (l’hypocrite est celui qui porte un masque). Nous sommes ici dans un contexte polémique et il ne faut pas tirer la phrase hors de son contexte. Les scribes et les grands prêtres cherchent à arrêter Jésus, c’est un piège : ils l’enferment dans un rôle de rabbi alors que Jésus refuse de se laisser enfermer dans une fonction, un titre. Ce passage se situe dans le parallèle chez Matthieu qui précède l’échange chez les pharisiens quand il leur dit : « engeance de vipère, sépulcres blanchis ». Même si les pharisiens ne sont pas les ennemis de Jésus (il est allé manger chez certains d’entre eux et Jésus n’a jamais qualifié quelqu’un d’ennemi), il les provoque à la conversion.

Le piège Le piège consiste en cela que : 1- si Jésus répond non, il va être accusé de sédition contre le pouvoir impérial, 2- s’il répond oui, c’est le pouvoir religieux qui prend le dessus et lui reproche de prêter allégeance au divin empereur : c’est un blasphème. Ce texte montre que Jésus est pris au piège entre la loi civile et la loi religieuse.

Une leçon de politique ? Lorsque Jésus leur demande d’apporter une pièce, il veut leur faire prendre conscience que lui n’en n’a pas sur lui, contrairement à eux. Par là, ils prêtent allégeance au pouvoir en place. Puis il leur fait reconnaître que la pièce porte l’effigie de César. Alors ils doivent admettre l’inscription qui affirme la prétendue divinité de César. C’est ce que dénonce Jésus. Jésus ne fait pas d’exposé de théologie politique Il est dans un contexte particulier de confrontation avec les Pharisiens et les Hérodiens qui cherchent à le piéger sur son identité. Jésus invite à distinguer entre le temporel et le divin. Jésus invite à raisonner, à remettre chaque chose à sa place : Dieu est Dieu, César est César. Il faut se rappeler que Dieu est créateur et maître de l’histoire, l’empereur aurait donc dû reconnaître cette supériorité du divin et accepter cette distinction. Rappelons-nous les paroles de Jésus à Pilate en Jn 19,11 : » tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en-haut » et en Ac 5, 29 « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ». Ce qui revient à César est temporel. Jésus est subtil dans sa réponse pour ne pas se laisser piéger. Il amène à distinguer l’attribution de Dieu et l’attribution impériale. Ce n’est pas une séparation des pouvoirs, mais une distinction. Depuis Gn1, on sait que pour faire coexister plusieurs choses il faut apprendre à les co-ordonner, Dieu crée par séparation pour une bonne co-ordination et une entrée en dialogue. Peut-être pouvons-nous voir un contact avec la séparation du pouvoir temporel et du pouvoir divin.

2.3 De la Loi (civile et religieuse) à la révolution de l’agapè.

- le « commandement » de l’amour et la Règle d’or Jésus vient annoncer quelque chose de neuf à travers le commandement nouveau de l’amour et de la Règle d’or. C’est le cœur de son message. Il invite à quitter une sorte de légalisme (loi civile et religieuse) pour entrer dans une parole qui est d’agapè. Le mot « commandement » sonne mal en français, Jésus vient annoncer une Parole, incarner une Parole d’agapè. Nous ne sommes

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plus dans le registre du légalisme mais : ce n’est pas la loi de l’amour qui remplacerait la loi de Moïse. C’est une Parole et à partir de là nous devons changer notre manière de percevoir le rapport au religieux. Ce n’est plus une loi à appliquer, c’est une Parole à accueillir. À à nous de en nourrir et de la à mettre en œuvre. Jésus vient accomplir la loi, il vient articuler deux paroles : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu … et ton prochain comme toi-même » en disant que ces deux paroles sont identiques. L’amour de Dieu passe par l’amour du prochain, l’amour du prochain passe par et rejoint l’amour de Dieu. C’est la nouveauté de Jésus, le Royaume qui s’approche de nous consiste à accueillir cette nouveauté, l’articulation des deux paroles d’amour. A partir de là nous avons à dépasser tout le légalisme. Par exemple dans l’épisode du légiste (ou « jeune » homme riche) qui vient voir Jésus et lit demande : « Comment faire pour avoir la vie éternelle ? », Jésus lui annonce que la foi n’est plus de l’ordre du législatif, mais qu’elle invite à la conversion active. Autre exemple : Paul aura le souci, dans toutes ses lettres, de se défendre contre un faux légalisme. Le message de Jésus est une parole d’amour. Cet accomplissement de la loi est la redécouverte de l’esprit de la loi : mieux entendre la Parole de Dieu qui se disait déjà à travers la loi. Ainsi, réentendons les paroles d’accomplissement de Jésus : « Il a été dit œil pour œil, dent pour dent et bien moi je vous dis tendez la joue, aimez même jusqu’à vous ennemis ». Nous sommes invités à découvrir l’esprit et non la lettre de la loi et ce, jusqu’au bout car il n’y a pas à limiter cet amour, ce qui est inédit dans l’histoire de la pensée des hommes. Aimer ses ennemis est possible car Jésus parle d’agapè, amour divin, et non d’amour humain (philia). Nietzsche a rejeté tout l’enseignement de Jésus à cause de ce commandement le prenant pour inapplicable et disqualifiant tout l’enseignement de Jésus : il a mal lu le texte. Jésus n’a jamais dit qu’il fallait aimer ses ennemis avec des sentiments humains mais en essayant de mettre de la paix au fond de soi, d’éviter de dire du mal ou en rajouter, de ruminer une vengeance, une rancune : ce serait donner prise au mal. Qui sait si cette paix ne pourrait pas amener un jour à tendre la main à son ennemi ? Jésus articule l’amour avec la Règle d’or (Mt 7,12 et Lc 6,31) que l’on sous-estime trop. Jésus est le seul à la présenter en positif, une invitation à l’action. On connaissait Confucius, Hillel, le livre de Tobie et, bien plus tard, l’impératif catégorique de Kant. Mais tous ceux-là présentent la Règle d’or au négatif. Si l’on veut suivre Jésus, il faut faire à autrui ce que l’on voudrait qu’il fasse pour nous. C’est une parole qui engage à aller plus loin, et cela a des implications sociales et politiques. Ce n’est pas uniquement « normer » mes relations avec l’autre, je dois les impulser, les créer.

L’accomplissement de la loi Qui est accomplissement dans la mesure où la loi est parole d’amour pour tous les hommes. Le champ d’action de l’amour est complètement ouvert et c’est évidemment la parabole du « bon » Samaritain qui nous vient en tête. Dans la loi de Moïse, l’attention que je dois porter à l’autre est délimitée par son identité : je ne dois pas me commettre avec ceux qui sont impurs. Jésus fait éclater cette délimitation. C’est un changement complet de la mise en œuvre de l’amour qui devient un appel ; il y a une universalité de l’action à laquelle les croyants sont invités vis-à-vis des hommes.

Un déplacement des « institutions » Il ne s’agit pas de s’enfermer dans un légalisme. Même dans l’Ancien Testament il y avait des ouvertures, en Exode : « si tu vois que l’âne ou le bœuf de ton voisin est tombé au fond du puits pendant le sabbat, tu iras quand même le secourir ». Pour Jésus la vie est première : « le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat ». L’institution est relativisée devant le critère de l’homme et de la vie et les règles de l’institution sont à leur service. Les Juifs avaient surinvesti dans le culte matériel au point que certains avaient fait du temple une maison de trafic. Jn 2,19 « Détruisez ce sanctuaire et en 3 jours je le relèverai » : ce temple, c’était son

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corps. Le temple et sa symbolique sont développés par St Paul : « Le temple de l’Esprit c’est nous ». Le lieu de résidence de Dieu c’est l’homme. Le lieu où se situer pour être en relation avec Dieu c’est la personne. Jésus va inviter à relativiser d’autres institutions comme les tribunaux païens : « lorsque qu’avec un de tes frères tu as un conflit, ne vous en remettez pas tout de suite aux tribunaux païens, essayez une concertation, le pardon, la correction fraternelle et si cela ne marche pas, convoquez l’Eglise ». Cela ne veut pas dire que l’on n’a pas besoin de tribunaux, de justice humaine, mais avant même de recourir à eux encore faut-il essayer de vivre du pardon. Cela a des conséquences dans notre actualité quand, avant même qu’il y ait des problèmes sérieux, on prend un avocat sans envisager une relation humaine courte. Ce Royaume d’agapè passe par les relations humaines au milieu desquelles l’agapè devient un projet à construire sans passer nécessairement par des institutions extérieures.

3. Quelques conséquences pour aujourd’hui ?

3.1 Le primat de « tout homme et tout l’homme »

- Non plus seulement le « corporate » Le christianisme, la nouveauté de Jésus, vient affirmer l’importance de l’humain. Dans l’Ancien Testament il y avait une dimension collective importante du groupe ; l’homme était automatiquement dans un peuple et solidaire de ce peuple avec deux conséquences : 1- tout va bien quand on est dans le groupe mais que devient-on quand on est en dehors ? 2- la responsabilité personnelle n’est pas toujours prise en compte, la preuve en est dans l’histoire du peuple hébreu lorsqu’elle est relue comme des châtiments ou des récompenses de Dieu sans responsabilité individuelle. C’est aussi une manière de ne pas s’engager à titre personnel. Avec Jésus, l’homme est interpellé de façon personnelle et responsable, au sens de : appelé à donner une réponse à la proposition que Dieu lui fait.

Tout homme, sans délimitation Toute personne a droit à sa dignité et cela est important. Rappelons quelques récits. Jésus ne condamne pas la femme adultère, mais lui dit face à face : « va et ne pêche plus ». Bartimée aveugle, en dehors de la ville, fait la quête et, après avoir rencontré Jésus, intègre le groupe des disciples. Zachée isolé et rejeté par la foule par sa faute, retrouve sa dignité auprès de Jésus. Le pardon est toujours possible. Encore, lorsque Jésus guérit, c’est une manière de dire que ceux qui étaient mis à part par la maladie peuvent réintégrer le groupe. Par exemple, la belle-mère de Pierre que Jésus guérit. Malade, elle ne pouvait plus assumer sa charge de maîtresse de maison, charge qui consistait à gérer toute la maisonnée et donc une grande responsabilité. La guérison lui permet de recouvrer sa fonction. « Elle les servait » : cela signifie qu’elle avait retrouvé sa dignité de maîtresse de maison, bien loin d’une lecture misogyne. Rappelons encore le « bon » Samaritain ou Mt 25 avec la question : « quand t’avons-nous vu, visité ou donné à boire ? ». Dans le prisonnier inconnu, celui qui a faim à la porte, il est plus difficile de reconnaître le Christ. C’est bien l’affirmation qu’il n’y a pas de délimitation et, cela, spontanément, sans calcul.

De nouvelles relations humaines Jésus instaure la fraternité nouvelle. Comme écrit Paul en Rm 8 : « Jésus Christ premier né d’une multitude de frères…, nous crions tous avec Jésus : ‘Abba, Père’ ». Pour un juif, ce cri était inaudible, il était inacceptable de s’adresser à Dieu comme à un papa ; il fallait prendre de la distance, on ne peut nommer Dieu. Les chrétiens vont à l’encontre de cela sans pour autant

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renier la transcendance de Dieu. Mais nous avons un lien d’intimité comme l’exprime la prière du Notre Père (notons qu’en Exode, le rédacteur se hasarde une fois à dire que le peuple élu est comme un fils pour Dieu). Nous sommes des frères en Christ, il n’y a plus ni homme ni femme, ni esclave ni maître en Christ. Jésus instaure un nouveau type de relations. Ainsi, en Lc 8 : « qui sont mes frères, mes sœurs, ma mère ? Toute personne qui écoute la Parole de Dieu et la met en pratique ». C’est un nouveau type de relation fondé sur la paternité, la filiation commune à Dieu. Par conséquent nous sommes tous « mère » du Christ à chaque fois que nous annonçons l’évangile. Nous donnons à voir le Christ, nous le mettons au monde, d’une certaine manière. C’est là que se dit la dignité de tout homme et même des ennemis.

Un homme appelé, aimé, responsable, doué de conscience et de discernement L’homme est appelé à accueillir cet amour de Dieu et à faire des choix pour se conformer, se laisser former par cet amour. En Mt 6,24, Jésus demande de choisir entre Dieu et Mammon, c’est-à-dire toute l’illusion que provoque la séduction de l’argent. Ce n’est pas l’argent en soi, qui est nécessaire, mais ce que l’appât du gain provoque. Si nous avons des richesses, dit le psaume, n’y mettez pas votre cœur. La manière dont nous nous comportons vis-à-vis de l’argent doit être discernée en conscience. L’homme est capable de discernement.

3.2 Un renversement des valeurs

Justice et/ou agapè Jésus invite à découvrir la nouvelle justice qui est de l’ordre de l’agapè. Les encycliques de Benoît XVI nous permettent de bien mesurer les enjeux de cette articulation entre justice et agapè. Bien sûr il faut prôner la justice mais de quelle justice parlons-nous ? L’agapè ne va-t-elle pas plus loin ? Elle a une dimension de gratuité qui nous permet d’aller au-delà. Une autre dimension sociale à découvrir : c’est l’enseignement du Magnificat : « il élève les humbles et renvoie les riches les mains vides ». C’est au nom de l’agapè qu’il faut dépasser, mettre en place une certaine justice. Jésus aura d’autres expressions : « les premiers seront les derniers ». Il nous invite par-là à dépasser la justice pour elle-même. Dans la parabole des ouvriers de la onzième heure, qui choque ceux qui voudraient prendre à la lettre les enseignements de Jésus, Jésus propose un raisonnement qui va au-delà de toute justice humaine et de toute équité. L’agapè est cet échange de paroles entre celui qui est appelé à la vigne et celui qui a répondu à cet appel même pour une heure ! L’agapè va plus loin et ne se laisse pas conter selon les critères qui sont les nôtres et cela peut surprendre.

Le soin particulier au plus pauvre Rappelons encore une fois Mt 25 et le Magnificat, Lc 10 : le Samaritain, la parabole des invités au festin etc…

L’urgence, le maintenant Ce sont les fameuses béatitudes de Luc : maintenant il faut le faire, l’urgence c’est maintenant ! En Mt 25, la question est : quand, où ? La réponse est : à chaque fois que vous avez vu quelqu’un dans le besoin.

3.3 Transformer le monde et le conformer au Royaume

Un nouveau rapport au monde Avec cette annonce du primat de tout homme et de tout l’homme, du renversement des valeurs, il va s’agir de transformer le monde pour le conformer au Royaume qui vient jusqu’à nous. Il ne s’agit pas de fuir le monde car il serait mauvais. C’est parce que « Dieu a tant aimé le monde » qu’il est « aimable », que nous sommes invités à l’aimer, ne pas le condamner, ne pas le mépriser. Jésus n’a pas fui le monde. S’il se mettait à l’écart c’était pour prier, pour enseigner et

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aussitôt après il allait à la rencontre des hommes. C’est là que l’agapè doit être mise en œuvre. S’il s’agit d’une annonce « à temps et à contre temps », comme le dit St Paul, il faut s’attendre à ce que cela n’aille pas tout seul ! Pour annoncer l’Évangile, il faut accepter de prendre des risques et de se confronter à des réactions hostiles. Il faut malgré tout être des révélateurs de ce qui va bien dans ce monde.

Quelle attitude avoir vis-à-vis des autorités civiles ? Étude de Rm 13, 1-7 (Traduction liturgique). Ce passage a fait couler beaucoup d’encre. Ne retenir que le premier verset, sans en voir l’articulation avec le reste du texte, a pu mener dans l’histoire à des horreurs d’interprétations.

St Augustin, puis St Thomas d’Aquin ont bien vue ce danger d’une lecture partielle. « que tout homme soit soumis aux autorités car toute autorité viens de Dieu ». Dans son commentaire sur la lettre aux Romains (Rm 13, 1-5), St Augustin dit : « il ne faut pas obéir aux princes qui auraient perdu le sens de la justice ». Dans La Cité de Dieu, il dit : « les princes qui auraient perdu le sens de la justice font de leur royaume un royaume de brigandage ». St Thomas d’Aquin cite Rm 13,2 : « en se dressant contre l’autorité on est contre l’ordre des choses établi par Dieu », il faut respecter l’obéissance aux supérieurs car le supérieur civil ou religieux est un intermédiaire entre Dieu et le sujet. Il faut donc obéir aux puissances séculières. »

Bossuet, dans un ouvrage intitulé La politique tirée des paroles de l’Ecriture Sainte, prend exemple sur Rm 13, 1-2 et fait le parallèle avec la monarchie davidique pour s’adresser à Louis XIV : « vous avez de quoi asseoir votre autorité. Ecoutez donc Monseigneur le Dauphin, les leçons que Dieu donne dans son Ecriture, apprenez de Lui, les règles et les exemples sur lesquels les rois doivent former leur conduite » Autrement dit, personne ne peut s’opposer à vous ! Lecture absolue d’un texte mutilé !

Rousseau dans son « Contrat social » évoque l’obéissance aux puissants « si cela veut dire céder à la force, le précepte est bon mais superflu et ne sera jamais violé »

Des gens comme Hitler et Mussolini se sont appuyés sur Rm 13, 1-2 pour se faire obéir. De façon plus récente le 11 septembre 1981, le vicaire général aux armées chiliennes proclamait : « tous doivent se soumettre à l’autorité établie parce qu’il n’y a aucune autorité qui ne vienne de Dieu ».

Si ce texte a été coupé pour donner argument d’autorité qui soutienne sans aucune discussion les autorités établies, il est pourtant structuré :

* V. 3-4 : l’argumentation où Paul explique le rôle de l’autorité. Les représailles ne sont pas à craindre quand on agit bien, Paul explique que l’autorité l’est pour le bien : « si tu ne veux pas craindre l’autorité, agit bien

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et l’autorité reconnaîtra tes mérites car elle est diakonos » c’est le point fort : elle est serviteur de Dieu pour promouvoir le bien. Paul ne donne pas un exposé théorique sur la politique et le rôle des autorités puisqu’il s’adresse aux chrétiens de la ville de Rome qui essaient de trouver leur place dans l’Empire romain. Il dit le sens et la raison d’être de l’autorité dans la mesure où elle fait le bien : l’autorité est aussi de l’ordre de la diaconie de Dieu pour faire le bien et. Si tu as fait le mal, alors vit vis dans la crainte car ce n’est pas pour rien que l’autorité tient le glaive au service de Dieu. * V.3 : « l’autorité reconnaîtra tes mérites ». L’autorité fera pour toi des éloges : c’est une invitation à soutenir ce qui est bien. Une société qui ne soulignerait pas les actions bonnes et valeureuses ne pourrait pas être dans le projet de Dieu.

* V.5 : reprise de la thèse avec un motif nouveau : la conscience. Il est donc nécessaire d’être soumis pour éviter la colère de l’autorité qui traduit l’autorité de Dieu mais Paul en profite pour donner un critère nouveau : la conscience. Paul met en dialectique le respect de l’autorité et la conscience. Dans le texte il y a déjà les

éléments de dialectique et ce ne sont pas des éléments au sens servile, c’est une soumission dans la mesure où l’autorité respecte la mission donnée par Dieu, à savoir : faire le bien. En même temps, on doit faire fonctionner sa conscience. Le motif de conscience est très paulinien, nouveau dans le Nouveau Testament avec l’évolution de la personne telle que le Christ la présente, et l’interpellation individuelle de chacun. La conscience est le lieu de discernement des appels donnés par Dieu mais aussi qui peuvent passer par l’autorité. Voir dans Gaudium et Spes 16 : « la conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre ». Il faut une conscience qui sa se laisse éclairer par Dieu, par la rencontre des autres, par la réflexion… Ce serait un contresens de dire que ce texte est un argument pour une soumission servile et absolue.

¤ V. 6-7 : « c’est bien pour cela que vous devez payer des impôts, ceux qui les perçoivent sont les ministres de Dieu ». Cela signifie que c’est pour rendre culte à Dieu. Tous ceux qui s’attachent à cette mission sont liturges, ministres de Dieu, les collecteurs comme les payeurs. La question est : les impôts sont-ils utilisés à bon escient ? On voit ici l’intérêt d’une mise en commun

par l’impôt pour le bien des uns et des autres. « Rendez à chacun ce qui lui est dû », c’est là que St Paul voulait en venir, c’est une question de dette. À qui vous devez l’impôt, payez l’impôt, à qui vous devez l’honneur, rendez l’honneur car dans l’Empire romain tout était système d’honneur, une véritable course à l’honneur. Il n’y avait pas de liberté dans ce genre de relation et Paul est en train de remettre en question les valeurs dont cette course à l’honneur.

Aux chrétiens, Paul dit : « soyez irrépro-chables, prenez votre place dans la vie civile. Une fois cela fait, il reste une dette à jamais ouverte : celle de l’agapè ». L’amour est le parfait accomplissement de la loi.

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Ce texte sur la soumission aux autorités civiles est un texte qui exprime les relations dans la société civile en disant d’une part qu’il faut être loyal et accueillir l’autorité civile comme serviteur de Dieu parce qu’ elle est là pour le bien de tous, qu’elle a droit de glaive pour soutenir les actions positives et nous devons la respecter et l’écouter comme autorité mais qu’il y a la conscience à faire fonctionner. Certains ont vu dans ce texte une incitation à la désobéissance civile : interprétation qui va trop loin. Si Paul développe tout ce passage, c’est en rapport avec les autorités et pour en venir à dire aux chrétiens de Rome : soyez quittes sur le plan social mais vous avez toujours un devoir à faire en plus : mettre de l’agapè là où il y en a besoin, elle englobe la loi civile et la dépasse. Ce texte est cité dans la Doctrine sociale de l’Eglise, dans Rerum Novarum (1891) où on cite le verset 1b de façon implicite, dans Quadragesimo Anno (1931) au N° 128, dans Pacem in Terris (1963) dans laquelle on commence à voir la dialectique car l’exégèse travaille depuis peu de temps les lettres de Paul de cette façon, les N° 47 à 52 soulignent l’importance du respect de l’ordre établi par Dieu et cite les versets 1 à 5, dans Dignitatis Humanae (1965) il y a une citation du verset 1 à 3 avec en parallèle 1P.2,13-17, dans Gaudium et Spes N° 74 & 3 et 4, citation de Rm 13,1-5 sur la communauté politique. Cependant dans toutes ces références vous n’avez pas les versets 5 à 10 avec la dette d’agapè. Les successeurs de Paul sont allés plus loin (Cf. fin de la feuille sur les références bibliques). 1 Th : « j’insiste pour que l’on fasse des prières de demande d’intercession et d’action de grâce pour tous les hommes, les chefs d’État et tous ceux qui ont des responsabilités afin que nous puissions mener notre vie dans le calme et la sécurité d’hommes religieux et sérieux ». La lettre à Tite rappelle à tous qu’ils doivent être soumis aux gouvernants et à leur autorité, qu’ils doivent leur obéir et être prêts à faire tout ce qui est bien, qu’ils n’insultent personne mais soient pleins de sérénité faisant preuve d’une douceur constante à l’égard de tous les hommes.

Le cas de l’esclavage : lettre à Philémon Paul appelle Philémon à libérer l’esclave Onésime et qu’il le prenne avec lui. On a reproché à Paul de ne pas s’opposer à l’institution de l’esclavage. Il prône l’agapè mais n’a pas dénoncé l’esclavage et semble ne pas aller jusqu’au bout de sa révolution sociale. La question est : est-ce que l’agapè consiste à dénoncer des situations inacceptables ? Dans cette lettre, la plus courtes de toutes, Paul appelle en revanche à transformer complètement le type de relation instaurée au sein de l’esclavage. C’est au cœur même de l’institution que la révolution de l’agapè doit se mettre en œuvre. Le chrétien n’est pas appelé pour détruire les institutions, il est appelé dans l’institution à mettre en œuvre l’agapè. À la limite, on pourrait parler de révolution par l’agapè.

L’Eglise fondée sur l’agapè, appelée à la répandre à tout l’univers C’est bel et bien de mettre en œuvre l’agapè dans nos vies que l’Eglise reçoit sa mission. Elle est appelée à répandre cette agapè dans tout l’univers au point que les chrétiens sont invités à vivre dès maintenant les pieds sur terre et le cœur au ciel. Paul le dit dans la lettre aux Philippiens 3,20 et ce n’est pas loin de ce que Jésus dit en Jn 13,35.

Conclusion Au total il s’agit de découvrir la révolution de l’agapè comme une tâche à accueillir et à mettre en œuvre. C’est sans aucun doute le rôle du baptisé, sa dimension royale. Tous baptisés, nous avons reçu d’être prêtre, prophète et aussi ROI. La dimension royale du baptême a une dimension éminemment politique. Nous sommes invités à mettre en œuvre, à faire de nos relations, des relations régies par l’agapè.

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Gaudium et Spes. L'Église dans le monde de ce temps

Monseigneur Gérard DEFOIS

Archevêque émérite des diocèses de Sens, Reims et Lille, sociologue.

Le texte qui suit a été donné par Mgr Defois comme document de travail et non comme article élaboré. La mise en page en a été partiellement modifiée et des commentaires, repris de l’enregistrement, y ont été ajoutés (sous forme d'encadrés) lorsqu'ils peuvent faciliter les liens ou la compréhension.

Ce propos est fait en tant que sociologue avec l'objectif d'aider à comprendre ce qui s’est passé.

1- L’histoire du texte

2- Les questions que les gens se sont posés et qui sont peu éloignées de celles que nous nous posons actuellement.

3- Exposé à deux niveaux : celui de l’historien qui raconte ce qui s’est passé et pourquoi on s’est posé ces questions. Le Concile Vatican II a duré 3 ans ½ et du 1er jour à la fin. Le texte de Gaudium et Spes est celui dont l'examen a duré le plus longtemps. Il y a donc eu une évolution de la mentalité des évêques.

Première partie : élaboration et problématique de Gaudium et Spes

Il me semble intéressant de suivre les débats des évêques à deux niveaux ;

- celui des faits et des débats,

- mais surtout celui de la problématique : au nom de quoi l’Église se prononce-t-elle sur des questions

profanes de société ? En dehors de ses compétences techniques, il nous faut comprendre les stratégies

en matière d’économie et de politique pour placer des propos éthiques qui ont une charge théologale et

modifient le sens et la fonction du politique, par la foi et la grâce.

Nous verrons ici comment le texte a été produit, discuté, négocié pour une présentation commune du

rôle et des relations de l’Église dans la société moderne

« De tous les textes du deuxième concile du Vatican, la constitution pastorale L’Église dans le monde

de ce temps « Gaudium et spes » a été incontestablement le plus difficile et aussi, à côté de la

constitution sur la liturgie et du décret sur l’œcuménisme, le plus riche de conséquences.

Par sa forme et la direction de ses déclarations, il s’écarte dans une large mesure de la ligne de

l’histoire des conciles et permet, par le fait même, plus que tous les autres textes, de percevoir la

physionomie spéciale du dernier concile. C’est pourquoi il a été considéré de plus en plus après le

Concile comme le véritable testament de celui-ci. »

Père Joseph Ratzinger (1965),

(Au moment où il arrivait préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi)

Principes de la Théologie catholique 1982, Téqui : ouverture au monde, p.37.

Ouverture du Concile le 11 octobre 1962, clôture le 8 décembre 1965.

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Situation du Concile dans le monde de la fin des années '50

C’est le début des 30 glorieuses. En France il y avait 300.000 chômeurs, on était dans une période de

progrès social et économique. Se manifestent les ruptures sociales, grèves industrielles de 1963,

L’apogée de la démocratie chrétienne en Italie. Les reconstructions et les trente glorieuses, les conflits

coloniaux, la guerre froide qui devait mener en 1968 à l’affaire de Prague. Indépendances en Algérie et

en Afrique. Lancement de l’Europe, le développement mondial. Le mur et le système communiste,

agriculture industrielle, le développement de l’instruction dans toutes les classes sociales. Le monde

bouge, changer est incertain mais avec beaucoup d’espérance avec l’accès à la richesse : les catégories

sociales les plus démunies pourront accéder à un logement avec le confort contemporain.

L'initiative vient de Jean XXIII : Déjà en novembre 1962 le Pape appela Mgr Montini (archevêque

de Milan) et Mgr Suenens (archevêque de Bruxelles-Malines) et leur demanda de prévoir un

programme nouveau dans lequel se trouvait l'étude des relations entre l'Église et le monde actuel. Les

Pères, venus de tous les pays du monde, portaient en eux de nombreuses inquiétudes et maintenaient

les mêmes idéaux, ils entendaient voir les choses en pasteurs, de façon concrète, dans un esprit de

dialogue après les considérations théologiques du De Ecclesia : les schémas ne concernant que le

peuple de Dieu et cela avait été contesté.

Par prudence (!) la curie avait préparé 81 schémas et comptait les faire passer par des votes en

quelques semaines, tout était joué d'avance afin de ne pas laisser des prises de parole non contrôlées

s'emparer de la situation. Le Concile devait se terminer à Noël. Ces schémas furent ramenés à 21, puis

17 et Gaudium et spes est devenu le schéma 13.

I. La volonté chez Jean XXIII de sortir du regard (craintif ou normatif) des chrétiens sur le

monde, regardé comme lieu de perdition ou de refus de la foi de l’Église. (Cf. bulle d’indiction). Mais

comment et en quels termes ?

Il y a eu le 19ième siècle qui a été pour l’Eglise un moment difficile parce qu’à la fois des pays comme la France, avaient été troublés par la Révolution, l’athéisme mais il y avait une propension à ce que les chefs d’état veuillent créer leur Eglise nationale, c’est-à-dire dans la main de l’état.

La tradition catholique a longtemps perçu le monde comme menace, menace de la destruction de la foi

et de l'Église après la destruction des états pontificaux, lieu de la tentation et "vallée de larmes".

Tronson dans ses examens particuliers : "Adorons N.S. ayant une extrême horreur du monde. Elle va

jusqu'à l'excommunier et le maudire en l'excluant de ses prières: "non pro mundo"rogo". (Jean 17,) Les

religieux quittaient le monde pour entrer dans une communauté protégée et apprenaient le mépris des

choses du monde pour n'être qu'à Dieu et au service de leurs frères, souvent le sens du costume aligné

sur celui des femmes du monde pauvre et populaire.

La culture laïque depuis la Révolution en Europe avait persécuté l'Église qui s'éprouvait marginalisée

par la laïcité et la sécularisation (cf. 1905). Les 4 sens de la laïcité : anticléricalisme, rationalisme,

indifférence religieuse (privatisation dans l’intime), pluralisme des familles religieuses. Léon XIII,

encyclique "Depuis le jour" (8 septembre 1899) : "Les temps actuels sont tristes, l'avenir est encore

plus sombre et plus menaçant; il semble annoncer l'approche d'une crise redoutable de

bouleversements sociaux… les populations, absorbées par les intérêts terrestres, vivent dans l'oubli de

Dieu et de sa sainte religion.".

La mémoire des guerres récentes (sécularisation avant l’heure), l'anticléricalisme européen, le laïcisme

et la déchristianisation révèlent l'impuissance de l'Église, elle ne fait plus corps avec la société, elle

en est marginalisée. Tout le monde nouveau ouvrier et urbain est étranger à l’Église : « Mais pourquoi

le peuple nous délaisse-t-il?" avait dit Mgr Dupanloup. La « foi ne va plus de soi », dit-on, elle devient

une affaire de l’intime et du privé. Le temps de l'autorité spirituelle et morale du temps de la chrétienté,

plaçant l’Eglise aux faîtes de l’organisation sociale, n'est plus d'actualité. Sa volonté précédente de

régir le monde pour assurer les droits de Dieu, de définir les devoirs sociaux de l'homme et de rappeler

les interdits reçus de la Révélation et des droits de l'homme ne rencontre plus l'assentiment général.

Amertume et pessimisme l’Eglise est vue comme marginale dans l’ordre public.

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Pour les esprits pastoraux, le marxisme est une variante de l’athéisme, du libéralisme. Il est regardé comme une menace pour l’Eglise.

II. Mais néanmoins aujourd’hui, pense le Pape Jean XXIII, demeurent les nécessités pour

l’Eglise de parler face au libéralisme économique et philosophique et au marxisme totalitaire.

- Elle se doit de régir moralement le monde, sinon il n’y a plus de repères moraux.

- Elle se doit de prêcher l'évangile et la Révélation en ce monde par devoir évangélique.

- Avec le sentiment permanent que le monde, consciemment ou non, attend la parole de l'Église,

alors celle-ci ne peut se dérober dans la complexité de ce temps de changement, et de croissance du

début des 30 glorieuses après la reconstruction : la richesse matérielle semble à portée de toutes les

mains.

- Avec la forte conviction que la foi catholique est la vérité de l'homme et la garantie du droit de

gouverner la terre.

Bulle d’indiction « Humanae salutis » du pape Jean XXIII du 25 décembre 1961 convoquant le

Concile Vatican II :

« L’Église aujourd’hui, assiste à une grave crise de la société humaine qui va vers d’importants

changements. Tandis que l’humanité est au tournant d’une ère nouvelle, de vastes tâches attendent

l’Église, comme ce fut le cas à chaque époque difficile. Ce qui lui est demandé maintenant, c’est

d’infuser les énergies éternelles, vivifiantes et divines de l’Évangile dans les veines du monde

moderne ; ce monde si fier de ses dernières conquêtes techniques et scientifiques, mais que certains

ont voulu réorganiser en faisant abstraction de Dieu (sécularisation). C’est pourquoi nous constatons

que les hommes d’aujourd’hui ne font pas autant de progrès dans le domaine spirituel que dans le

domaine matériel. D’où un affaiblissement de l’aspiration aux valeurs qui ne périssent pas et, par

contre, une attirance chez la plupart vers les plaisirs faciles de ce monde que le progrès met si

aisément à la portée de tous. D’où aussi cette chose nouvelle et déconcertante qu’est la constitution

d’organisations athées militantes qui envahissent de nombreux pays.

(ex : Franc maçonnerie) Si l’aspect de la société humaine apparaît comme profondément changé, l’Église catholique elle aussi

nous apparaît comme transformée et renouvelée ; elle connaît une unité interne plus ferme, une plus

grande vigueur intellectuelle, un plus grand rayonnement de sainteté. Elle apparaît ainsi

actuellement comme parfaitement prête à mener les saints combats de la foi. Devant ce double

spectacle, d’une part un monde souffrant d’une grande indigence spirituelle, d’autre part l’Église du

Christ resplendissante de vitalité, nous avons pensé que c’était un grave devoir de notre charge

d’appeler tous nos fils à unir leurs efforts pour que l’Église se montre de plus en plus apte à résoudre

les problèmes de notre époque..» (D.C. 1368, p. 9)

Il faut aussi situer cela dans l'expérience des encycliques depuis Léon XIII : Rerum Novarum (sur le repos dominical, le travail des enfants, la place des femmes et le droit du travail), puis de Pie

XI (Quadragesimo anno) qui, comme le feront les semaines sociales en France, abordent la question

sociale par la "promulgation d'un droit" dans un monde libéral sans règles, (cf. Albert de Mun : la

liberté du renard dans le poulailler ; voir les universités catholiques et les semaines sociales qui

entrent dans cette perspective), droit qu'ils souhaitent international, se placer au-dessus des

concurrences d'intérêt des entreprises pour inscrire le travailleur comme sujet de droits et non

seulement "moyen de production capitaliste". Le libéralisme, avant le communisme, a été le point

fort de la dénonciation de l'injustice chez les catholiques dès le 19ème

siècle, avant le socialisme et

le marxisme qui eux professaient un athéisme systématique. Néanmoins ces encycliques avaient fait

l'objet de consultations des laïcs avant leur publication par le Pape. (Cf. l'Allemagne et la France, y

compris à la catho d'Angers).

Ceci est la conscience de l’Eglise de son droit à parler. Elle a un capital moral et spirituel qui fait

qu’elle doit s’exprimer sur les sujets économiques, politiques et sociaux, car il y avait , à ce moment-

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là, une conscience de devoir être la boussole du monde. (Ces jours-ci Benoît XVI a vivement critiqué

le libéralisme économique dans ses allocutions).

III. Quand l’Eglise doit faire son deuil de sa place en chrétienté.

Ce document "Gaudium et spes" a été discuté tout au long du Concile de novembre 1962 à

décembre 1965 : il témoigne d'un travail de déplacement des mentalités et des représentations du

rapport entre l'institution Église catholique et la société moderne. Le point de vue de Jean XXIII

ne sera pas celui de Paul VI, pas plus que le point de vue terminal.

La croissance est alors en pleine expansion, les difficultés de l'emploi et des finances n'interviendront

qu'en 1974, dix ans après. Cette constitution est un "travail de deuil " par rapport aux images de

puissance, d'influence ecclésiastique et de rassemblement précédentes, la position dominante de

l’Eglise dans la société qui se construit apparaît dépassée, la conscience symbolique de parler au nom

des droits de Dieu ne s’impose plus d’emblée. Comme le relevait Mgr. Minnerath à Paray-le-Monial

en octobre dernier : « la liberté religieuse » selon les droits de l’homme devient un droit individuel, de

pensée, de conscience, de religion, de conviction. Pour en finir avec l'idée d'utilité sociale de la

religion comme lien social, on promeut la tolérance des minorités croyantes. Il est utile pour la société

que les gens aient une religion. Voltaire disait : « Je ne vais pas à l’église mais je tiens à ce que ma

femme et mes domestiques y aillent, j’en serai d'autant moins cocufié et volé ». Alors que la chrétienté

était comme une seule Église globale avec une multitude de royaumes civils, la sécularisation promeut

un État gouvernant une multitude de communautés et de convictions, dont les convictions religieuses

deviennent des options particulières, privées, marginales. L'État est alors l'élément englobant,

rappelons Napoléon et les articles organiques ; ce qui conduit à gérer les religions par rapport au lien

social. (cf. l'article X, de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen). Ce travail du Concile en

Gaudium et spes représente donc un renversement radical des perspectives de la chrétienté pour

beaucoup d'évêques, ce que j’appelle un travail de deuil de leur position de chrétienté, y compris en

quelques prolongements contemporains.

Depuis 1905 l’état paie toujours les aumôniers militaires pour assurer le pluralisme et non le rôle primordial de la religion.

En 1965 le Père Ratzinger, expert au Concile Vatican II écrivait dans ses carnets : « Le débat sur la

liberté religieuse, comptera certainement parmi les évènements les plus importants d’un Concile qui

en est déjà assez riche au point de rendre difficile leur hiérarchisation …il s’agissait, par ce débat, de

sortir du Moyen-Âge, de mettre un terme, dans la basilique Saint Pierre, à l’ère constantinienne. Peu

de choses ont été aussi dommageables à l’Eglise, au cours des cent cinquante dernières années, que la

défense obstinée de son statut de religion d’Etat là où il survivait. Les tentatives pour défendre une foi

menacée par la science moderne grâce aux moyens de protection de l’Etat n’ont réussi qu’à vider la

foi de l’intérieur et à l’empêcher souvent de procéder à sa nécessaire régénération spirituelle et

intellectuelle. Elles ont favorisé l’idée que l’Eglise est l’ennemie de la liberté, qu’elle doit se méfier de

la science et du progrès, des produits de la liberté intellectuelle de l’homme. Elles sont devenues l’une

des causes les plus puissantes de l’anticléricalisme. » (Le sens du bon, du beau, du vrai.)

Mais Mgr Ratzinger avait déjà observé en théologien informé d’histoire : « la confusion produite par

les invasions barbares a profondément distendu les liens qui unissaient l’Orient à l’Occident. Rome,

qui par delà sa signification purement spirituelle et ecclésiale s’est trouvée investie pour les régions

occidentales de compétence administratives considérables, à l’instar d’un patriarcat, se retrouva seule

face aux peuples nouveaux et à leurs Eglises en gestation et elle se vit d’une manière presque

automatique élevée au rang de centrale. L’idée de continuation de l’imperium romanum dans un

imperium sacrum fit le reste pour renforcer cette situation et l’enrichir, politiquement parlant. »2

2 Joseph RATZINGER, Mon Concile Vatican II, éd. Artège, mars 2011, P. 160 et 153.

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L’Eglise va-t-elle continuer à vouloir gérer la société ou bien se trouver dans une situation minoritaire

de courants d’idées ?

A ce sujet, voir les critiques actuelles des positions de l'épiscopat sur les questions éthiques.

Question posée actuellement avec la position de l’Eglise sur le mariage pour tous.

Je noterai in fine dix apports nouveaux à la réflexion ecclésiale par rapport aux premiers schémas, du

schéma XXI, de janvier 1963, travail de commission, schéma XIX, Malines, mai 1963, XVII, Zurich

(février 1963), XIII Ariccia (Haubtmann, février 1965). Le déplacement des représentations du rôle

de l'Église dans la société est à mon sens l'élément dynamique et novateur du Concile, y compris dans

son enracinement ou fondement théologique.

IV. Reprenons brièvement les cinq étapes d'élaboration du document, de mai 1963 à décembre

1965 en suivant pas à pas le chemin de la pensée des pères conciliaires.

1. Premier schéma et premiers débats 1962

Le 3 décembre 1962 le Cardinal Suenens présenta un schéma où il préconisait que l'on traite de

l'Église "ad intra" en tant que corps mystique, mais aussi de l'Église "ad extra ", la mission de

l'Église est de prêcher l'évangile à toutes les nations, à toute l'humanité et pas seulement pour les

catholiques. Et de pratiquer le dialogue de l'Église avec le monde contemporain, "car, dit le

cardinal, le monde attend que l'Église résolve les grandes questions de ce temps : On garde

néanmoins la perspective au nom de notre vérité transcendante de régir moralement le monde et la

société dans le sentiment que nous sommes, bon gré, malgré, implicitement attendus par tous au

nom de notre devoir de dire la vérité."

Il faut que l’Eglise parle sinon le monde s’écroule !

Des objections et des limites sont rappelées : d'abord faut-il que l'Église parle à partir d'une

théologie des réalités terrestres de la Création ? Ou des valeurs humaines de l'homme moderne. La

confrontation avec le donné révélé (la foi): parle-t-on pour les chrétiens ou pour tous, y compris

ceux qui n'ont pas la foi ? Chrétien implicite ou chrétien explicite ? ce qui veut dire que la

référence croyante est ressentie par beaucoup comme un obstacle possible à la communication,

Donc, dans un esprit de dialogue, elle ne parlera plus d'autorité, mais elle cherchera à convaincre

à partir de sa mission divine et de la Révélation. Conformément à sa nature et à sa mission, dans

une perspective religieuse et morale. Qu'elle considère les problèmes du monde dans une

perspective religieuse et morale :

la dignité de la personne humaine (problème de l'explosion démographique)

la justice sociale (on parle trop du 6ème

commandement) et pas de la propriété privée (les

pauvres)

l'évangélisation des pauvres de l'Europe autant que des missions étrangères,

paix internationale et les dangers de la guerre. La guerre est finie seulement depuis 15 années !

et nous sommes dans le cadre des conflits de la guerre froide.

2. le schéma de mai 1963 : Mgr Garrone, un premier élargissement

Fil rouge : la théologie patristique de l'homme image de Dieu., Congar et Daniélou.

Parler de l'homme, mais à partir de la foi :

la vocation de l'homme

la personne humaine dans la société.

le mariage et la famille.

le progrès de la culture.

le progrès économique et social. La justice.

la communauté internationale et la paix.

38

Nouvelle insistance sur les questions de société.

Fallait-il parler de Dieu et de la morale de l’Eglise ou des problèmes de société, comment faire le lien entre les deux, cela crée un malaise.

Jean XXIII meurt et Paul VI est élu pape le 21 juin 1963

3. le schéma de Malines, septembre 1963

Groupe de Louvain : Rahner, Congar, Tucci, Delhaye (schéma 17)

Le concile change radicalement d’orientation :

la mission propre de l'Église : évangéliser, la liberté de la foi, l'évangélisation des pauvres,

l'homme image du Christ, la présence de l'Église dans la construction du monde, son apport au

monde, pour le bien, la dignité de l'homme, le témoignage de l'Écriture.

la construction du monde : concerne l'Église dans le respect de l’autonomie du temporel, mais

aussi le service spirituel de l’unification et de l'unité sociale. (en mémoire de Lumen Gentium

1.) le sacrement de l'unité de l'humanité.

le service de l'Église au monde: son témoignage : la vérité, le sens, la vocation sublime de

l'homme, la rédemption du péché, l'ordre moral et la conscience. Puis le service de la justice et

de la charité envers Dieu, le prochain et la communion entre tous.

4. le schéma de Zurich ou le schéma XIII, 1964

Progression des travaux sur Lumen Gentium. Février 1964.

Encyclique de Paul VI : 6 août 64 : Ecclesiam Suam, l'Église, c'est Dieu qui dialogue avec le

monde. Ce n’est plus le surplomb d’une Église qui indique le droit à la société; c’est une Église

dans un état de partage, de partenariat, comme attitude profonde d’évangélisation, humilité et

témoignage.

La spiritualité pastorale du dialogue dans le monde et avec le monde :

[80] Il est clair que les rapports entre l'Eglise et le monde peuvent prendre de multiples aspects,

différents les uns des autres. Théoriquement parlant, l'Eglise pourrait se proposer de réduire ces

rapports au minimum, en cherchant à se retrancher du commerce avec la société profane ;

comme elle pourrait se proposer de relever les maux qui peuvent s'y rencontrer, prononcer contre

eux des anathèmes et susciter contre eux des croisades ; elle pourrait, au contraire, se rapprocher

de la société profane au point de chercher à prendre sur elle une influence prépondérante, ou

même à y exercer un pouvoir théocratique, et ainsi de suite. Il Nous semble, au contraire, que le

rapport de l'Eglise avec le monde, sans se fermer à d'autres formes légitimes, peut mieux s'exprimer

sous la forme d'un dialogue, et d'un dialogue non pas toujours le même, mais adapté au caractère

de l'interlocuteur et aux circonstances de fait (autre est en effet le dialogue avec un enfant et autre

avec un adulte ; autre avec un croyant et autre avec un non-croyant). Ceci est suggéré par

l'habitude désormais répandue de concevoir ainsi les relations entre le sacré et le profane, par le

dynamisme qui transforme la société moderne, par le pluralisme de ses manifestations, ainsi que

par la maturité de l'homme, religieux ou non, rendu apte par l'éducation et la culture à penser, à

parler, à soutenir dignement un dialogue.

Le dialogue de l'Église et du monde (thème fondamental qui marque le groupe qui se met au

travail), nouveaux évêques, venue de laïcs de l'action catholique : NNSS. Ancel, Ménager pour

la France. Mgr Glorieux nonce apostolique.

Souligner le double déplacement, une autre manière de situer la référence théologique dans le

dialogue pastoral. On ne part plus des principes théologiques par déduction théologique comme

dans le texte de Malines, mais par induction à partir des faits observés.(évocation des signes des

temps), il s'adresse aux fils de l'Église, aux chrétiens, à ceux qui admettent l'existence de Dieu, et à

39

tous les hommes de bonne volonté. C’est la nouveauté de la démarche qui prend corps : l’Eglise,

dans sa foi, parle à tous. Il faut rappeler :

1. la vocation intégrale de l'homme, entre l'athéisme et le mépris du monde. Inclure les valeurs

humaines, en moralisant le monde, le chrétien rend ce monde plus humain, meilleur.

2. les pasteurs n'ont pas à dominer le monde, mais à éclairer les consciences en respectant

l'autonomie des réalités terrestres et les responsabilités des hommes de ce temps. (Noter la

montée de la formation culturelle des jeunes, les nouvelles cultures, le développement des

idéologies politiques marxisantes dans le tiers monde).

L’Église ne pense à la place des hommes, elle fait prendre conscience des réalités spirituelles du monde de ce temps et ce dans un contexte de pleine expansion culturelle.

3. évocation des grandes questions actuelles : "dignité de la personne humaine, dignité du

mariage et de la famille", la culture et sa promotion, la vie économique et sociale, la solidarité

entre les peuples, (les indépendances, la guerre et la paix; les armements, nous sommes en pleine

course à la dissuasion nucléaire).

Cependant on est en pleine incertitude. Il y a eu la semaine noire sur l’autorité du pape et des évêques et ses controverses.

La prise en considération : 20 octobre / 23 octobre 1964. Le débat est difficile, certains refusent

la démarche elle-même et l'on propose un compendium des discours de Pie XII sur ces questions.

Mais le même 20 octobre, le cardinal Cento rappela que ce texte avait suscité plus d'attention et

d'espérance dans le monde qu'aucun de ceux dont l'assemblée s'était occupée jusque-là. L'entreprise

était d'ailleurs difficile puisqu'il s'agissait de scruter le cœur des hommes d'aujourd'hui, d'y déceler

les attentes et d'y répondre…Les 2/3 de l’humanité étaient marquées par des thèses communistes

"L'Église, déclara l'évêque de Livourne, ne doit pas maintenir une politique de la porte close

comme si elle était une citadelle, séparée des autres, et occupée à rien d'autre que de défendre ses

propres valeurs et ses propres membres". (Delhaye p. 248).

Grand débat : faut-il faire un vote ? Le vendredi 23, le cardinal Doepner, modérateur, pose la

question et les pères votent par debout-assis : 1579 oui contre 296 non. Dans un climat lourd par

rapport à beaucoup d'autres schémas en particulier celui sur l’Église.

5. Le texte d'Ariccia : février 1965.

Garrone + Ancel, Maximos, Zoa (Africain), K.Wotyla. Arrivée du chanoine Haubtman (Français).

Le choix entre le schéma français (qui reprenait les choses de façon plus globale) et le schéma

polonais (dépendant de la situation du pays), les allemands n’ont rien préparé.

Une idée directrice, non pas seulement l'intégration des amendements ou suggestions mais une

synthèse nouvelle, l'ouverture d'une réflexion d'anthropologie chrétienne, construite d'emblée

autour de quatre idées essentielles : la dignité de la personne, son aspect social, son dynamisme

d'activité humaine (de progrès et de créateur), son épanouissement dans la vie chrétienne et

ecclésiale. C’est un cursus et toute autre chose que d’avoir des commandements à appliquer.

Répondre aux appels de l’Esprit en regardant positivement le monde et la vie. G &S 11 et 22.

1. Mû par la foi, se sachant conduit par l’Esprit du Seigneur qui remplit l’univers, le Peuple de

Dieu (et pas seulement la hiérarchie) s’efforce de discerner dans les événements, les

exigences et les requêtes de notre temps, auxquels il participe avec les autres hommes, quels

sont les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu. La foi, en effet, éclaire toutes

choses d’une lumière nouvelle et nous fait connaître la volonté divine sur la vocation intégrale de

l’homme, orientant ainsi l’esprit vers des solutions pleinement humaines.

(Le but de la foi est d’épanouir l’homme).

40

2. Le Concile se propose avant tout de juger à cette lumière les valeurs les plus prisées par

nos contemporains et de les relier à leur source divine. (Le bien de l’homme est un cadeau de

Dieu). Car ces valeurs, dans la mesure où elles procèdent du génie humain, qui est un don de

Dieu, sont fort bonnes ; mais il n’est pas rare que la corruption du cœur humain les détourne de

l’ordre requis : c’est pourquoi elles ont besoin d’être purifiées.

(Différent de la bulle d’indiction où l’Eglise apporte le salut pour l’homme. Là Dieu est dans le monde, le dessein de Dieu est en marche dans la marche de l’homme.)

3. Que pense l’Église de l’homme ? Quelles orientations semblent devoir être proposées pour

construire la société contemporaine ? Quelle signification dernière donner à l’activité de

l’homme dans l’univers ? Ces questions réclament une réponse.

Cette démarche inductive en éthique est pour la première fois ainsi illustrée : après Pacem in

terris, elle sera l'âme de Gaudium et spes et sera prolongée en 1971 avec ampleur dans sa lettre sur

la Justice au cardinal ROY, ainsi qu'en de nombreux synodes, mais souvent de façon moins

probante dans les exhortations apostoliques qui en sortent. Cette démarche a été souvent reprise en

catéchèse française.

Mais en Gaudium et spes, il ne s'agit pas seulement d'une technique pédagogique, il y va de la

foi en l'incarnation :

[21.7] Car l’Église sait parfaitement que son message est en accord avec le fond secret du cœur

humain quand elle défend la dignité de la vocation de l’homme et rend ainsi l’espoir à ceux qui

n’osent plus croire à la grandeur de leur destin. Ce message loin de diminuer l’homme, sert à son

progrès en répandant lumière, vie et liberté et, en dehors de lui, rien ne peut combler le cœur

humain : « tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre cœur ne connaît aucun répit jusqu’à ce

qu’il trouve son repos en Toi. »

On est en plein dans la Diaconia ! Avec une finale plus près de St Augustin que de St Thomas.

[22] Chrétiens témoins de l'humanisme de Dieu au milieu de ce monde, à une heure où les

religions deviennent les seuls défenseurs de la qualité humaine de la vie, de l’amour et de la mort.

Le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement

l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. …Et cela ne vaut pas seulement

pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur

desquels, invisiblement, agit la grâce [38]. Image du Dieu invisible.(Col.1,15) le Christ est

l'homme parfait qui a restauré dans la descendance d'Adam la ressemblance divine, altérée par le

premier péché. Démarche inclusive

L’hérétique, le schismatique etc. porte en lui la traçabilité de l’image de Dieu. Evangéliser c’est retrouver et faire purifier la vérité qu’il y a en l’autre. C’est un regard sur l’homme qui est un regard de salut, ce n’est plus « hors de l’Église, pas de salut », c’est « hors de l’Église, le salut est à l’œuvre ».

En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné.

Adam, en effet, le premier homme, était la figure de celui qui devait venir [27], le Christ Seigneur.

Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste

pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation. …Et cela ne vaut pas

seulement

Telle est la qualité et la grandeur du mystère de l’homme, ce mystère que la Révélation chrétienne

fait briller aux yeux des croyants. C’est donc par le Christ et dans le Christ que s’éclaire l’énigme

de la douleur et de la mort qui, hors de son Évangile, nous écrase. (n°22)

[41] L'Église manifeste le mystère de Dieu… (et) révèle en même temps à l'homme le sens de sa

propre existence, c'est-à-dire sa vérité essentielle…Quiconque suit le Christ, homme parfait,

41

devient lui-même plus homme. Ainsi l'Église sympathise avec les aspirations humaines, elle leur

permet de se dépasser. Il s'agit de faire apparaître la connexion entre le caractère religieux et le

caractère humain de la mission de l'Église.

C'est par l'humanité du Christ que nous apprécions et découvrons l'humanité de l'homme. Ce qui

conduit à concevoir une vérité universelle de la foi en matière d'humanisme et

d'anthropologie.

[45] Le Christ, alpha et oméga G &S 45

1. Qu’elle aide le monde ou qu’elle reçoive de lui, l’Église tend vers un but unique : que vienne le

règne de Dieu et que s'établisse le salut du genre humain. D’ailleurs, tout le bien que le Peuple de

Dieu, au temps de son pèlerinage terrestre, peut procurer à la famille humaine, découle de cette

réalité que l’Église est « le sacrement universel du salut [103] » manifestant et actualisant tout à la

fois le mystère de l’amour de Dieu pour l’homme.

Tout cela a été vécu très profondément par le Concile. On est passé d’une extériorité établissant le droit, à une intériorité pour que la société découvre l’image du Christ comme réussite de l’homme.

[41] L'Église manifeste le mystère de Dieu…révèle en même temps à l'homme le sens de sa propre

existence, c'est-à-dire sa vérité essentielle… Ainsi l'Église sympathise avec les aspirations

humaines, elle leur permet de se dépasser. Il s'agit de faire apparaître la connexion entre le

caractère religieux et le caractère humain de la mission de l'Église.

Quiconque suit le Christ, homme parfait, devient lui-même plus homme.

Au cours de la 4ème

session du Concile, le 4 octobre 1965, le Pape Paul VI déclare à la tribune de

l'O.N.U. : "Notre message veut être tout d'abord une ratification morale et solennelle de cette haute

Institution. Ce message vient de Notre expérience historique. C'est comme « expert en humanité »

que Nous apportons à cette Organisation le suffrage de Nos derniers prédécesseurs, celui de tout

l'Épiscopat Catholique et le Nôtre, convaincu comme Nous le sommes que cette Organisation

représente le chemin obligé de la civilisation moderne et de la paix mondiale."

Il est notable ici que le Pape ne s'appuie pas d'abord et seulement sur la Révélation chrétienne mais

sur l'expérience humaine de l'Église depuis 20 siècles et il soutient officiellement une organisation

non structurellement catholique en soutenant en elle les deux finalités, la civilisation moderne et la

paix mondiale. Et c'est ce jour-là que Paul VI s'écriera : Plus jamais la guerre. C’est au titre de sa foi

qu’il reconnaît les perspectives humaines de l’ONU. C’est une attitude méditative pour retrouver le

Christ total présent dans le monde. C’est le cœur théologique de Gaudium et Spes.

C'est la méthode inductive en morale qui fait, selon la démarche augustinienne, du désir, du sens et

du cœur la quête de la vérité et la rencontre de l'homme dans son complexe d'humanité. Elle ouvre

à une prise en compte du temps et de l’histoire : "les signes des temps". Précédemment l'Église

"Mater et magistra" proposait des principes et des éléments de droit du travail, par exemple en le

fondant sur la Révélation et à ce titre imposait symboliquement des références législatives. D'une

certaine façon le Pape ici se situe en créateur d'éthique humaniste, ce qui le conduit à regarder le

monde où émergent les "signes des temps", expression de Jean XXIII en "Pacem in Terris", pour

relier en ce monde les jalons d'une marche humaine en accord avec l'évangile et l'œuvre de l'Esprit.

Il est capital de souligner le déplacement théologique qui est le cœur de la foi dans l’anthropologie.

42

Seconde partie : le contenu de Gaudium et spes

Il est capital d’insister sur la pédagogie nouvelle que représente Gaudium et Spes. C’est un chemin que l’épiscopat mondial a franchi difficilement et il n’est pas terminé. Cette constitution n’est pas du doctrinalisme ou de l’application morale, c’est une attitude d’accompagnement et d’interprétation des temps à la lumière de la Révélation, en ayant comme référence fondamentale la personnalité du Christ dans son humanité.

Dans le débat entre les évêques allemands et les évêques français, est en cause un type de rapport à la société et qui peut engendrer aussi bien des doctrinalismes du changement que du conservatisme. C’est un appel à la rupture d’une intelligence où l’on maîtrise tout,où on accepte l’ouverture spirituelle et intellectuelle d’accueillir le dessein de Dieu comme le terme même de notre marche. Ce qui est neuf dans Gaudium et Spes c’est l’humanisme de cette démarche parce qu’ elle se veut historique, un accompagnement de l’homme et non une conception figée de la Révélation. C’est ce que l’on appelle la tradition vivante. Il y a donc beaucoup de choses à découvrir dans la rencontre du monde moderne d’aujourd’hui et de la foi chrétienne mais il y a aussi la tendance de refuser cette démarche d’accompagnement en stratifiant d’autres positions. Ce que le concile a initié demande une conversion, non seulement spirituelle mais intellectuelle dans la manière d’aborder les questions de la foi.

Le problème du 19ème siècle c’est que c’était une dérive intellectuelle et Léon XIII, en renouvelant le thomisme a donné des amarres, comme toujours quand on a des amarres parce que l’on a eu peur, on risque de les durcir et de faire du thomisme une sorte de blocage. Paul VI et Jean-Paul II ont eu une conception plus itinérante de l’intelligence chrétienne. En faisant découvrir comment s’est élaborée Gaudium et Spes, cela doit nous inviter à avoir une foi intelligente. On rencontre trop de gens qui, en regard des fragilités du monde d’aujourd’hui se crispent sur un langage. Or la tradition de l’expérience est normative de la foi. L’Eglise est itinérante, vie, transhumance et donc le meilleur reste à découvrir autrement nous nous enfermons dans une logique du « tout fout le camp » ce qui est refuser l’Esprit Saint, c’est le contraire de la foi.

On peut dire que cette méthode de lecture des signes des temps (qu’il ne faut pas durcir) montre que l’Eglise se situe dans une démarche de création d’éthique et d’humanisme au nom de la foi chrétienne.

Constitution pastorale, votée le 7 décembre 1965 : 2309 oui, 75 non.

« La religion du Dieu fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui

se fait Dieu. Qu’est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? Cela n’a pas eu lieu. La vieille

histoire du Samaritain a été le modèle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes l’a

envahi tout entier. La découverte des besoins humains (et ils sont d’autant plus grands que le fils de la

terre se fait plus grand), a absorbé l’attention de notre Synode.

Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des

choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que

quiconque, nous avons le culte de l’homme » Paul VI, le 8 décembre 1965

Parcourons maintenant le plan de la constitution

43

CONSTITUTION PASTORALE

SUR L'ÉGLISE DANS LE MONDE DE CE TEMPS

GAUDIUM ET SPES

AVANT-PROPOS

1. Étroite solidarité de l’Église avec l’ensemble de la famille humaine

2. À qui s’adresse le Concile

3. Le service de l’homme

EXPOSÉ PRÉLIMINAIRE :

La condition humaine dans le monde d’aujourd’hui

4. Espoirs et angoisses

5. Une mutation profonde

6. Changements dans l’ordre social

7. Changements psychologiques, moraux, religieux

8. Les déséquilibres du monde moderne

9. Les aspirations de plus en plus universelles du genre humain

10. Les interrogations profondes du genre humain

C’est en l’homme lui-même, en effet, que de nombreux éléments se combattent. D’une part, comme créature,

il fait l’expérience de ses multiples limites ; d’autre part, il se sent illimité dans ses désirs et appelé à une vie

supérieure. Sollicité de tant de façons, il est sans cesse contraint de choisir et de renoncer. Pire : faible et

pécheur, il accomplit souvent ce qu’il ne veut pas et n’accomplit point ce qu’il voudrait [3]. En somme, c’est en

lui-même qu’il souffre division, et c’est de là que naissent au sein de la société tant et de si grandes discordes.

Beaucoup, il est vrai, dont la vie est imprégnée de matérialisme pratique, sont détournés par là d’une claire

perception de cette situation dramatique ; ou bien, accablés par la misère, ils se trouvent empêchés d’y prêter

attention. D’autres, en grand nombre, pensent trouver leur tranquillité dans les diverses explications du monde

qui leur sont proposées. Certains attendent du seul effort de l’homme la libération véritable et plénière du genre

humain et ils se persuadent que le règne à venir de l’homme sur la terre comblera tous les vœux de son cœur. Il

en est d’autres qui, désespérant du sens de la vie, exaltent les audacieux qui, jugeant l’existence humaine

dénuée par elle-même de toute signification, tentent de lui donner, par leur seule inspiration, toute sa

signification. Néanmoins, le nombre croît de ceux qui, face à l’évolution présente du monde, se posent les

questions les plus fondamentales ou les perçoivent avec une acuité nouvelle. Qu’est-ce que l’homme ? Que

signifient la souffrance, le mal, la mort, qui subsistent malgré tant de progrès ? À quoi bon ces victoires payées

d’un si grand prix ? Que peut apporter l’homme à la société ? Que peut-il en attendre ? Qu’adviendra-t-il après

cette vie ?

2. L’Église, quant à elle, croit que le Christ, mort et ressuscité pour tous [4], offre à l’homme, par son Esprit,

lumière et forces pour lui permettre de répondre à sa très haute vocation. Elle croit qu’il n’est pas sous le ciel

d’autre nom donné aux hommes par lequel ils doivent être sauvés [5]. Elle croit aussi que la clé, le centre et la

fin de toute histoire humaine se trouve en son Seigneur et Maître. Elle affirme en outre que, sous tous les

changements, bien des choses demeurent qui ont leur fondement ultime dans le Christ, le même hier,

aujourd’hui et à jamais [6]. C’est pourquoi, sous la lumière du Christ, image du Dieu invisible, premier-né de

toute créature [7], le Concile se propose de s’adresser à tous, pour éclairer le mystère de l’homme et pour aider

le genre humain à découvrir la solution des problèmes majeurs de notre temps.

44

Première partie :

L’Église et la vocation humaine

11. Répondre aux appels de l’Esprit

(Voir texte cité plus haut)

CHAPITRE PREMIER

La dignité de la personne humaine

12. L’homme à l’image de Dieu

13. Le péché

14. Constitution de l’homme

15. Dignité de l’intelligence, vérité et sagesse

16. Dignité de la conscience morale

(on base le lieu de la Révélation dans la conscience de l’homme)

17. Grandeur de la liberté

18. Le mystère de la mort

19. Formes et racines de l’athéisme

.20. L’athéisme systématique

21. L’attitude de l'Église en face de l'athéisme

(comment donner place intellectuellement à l’athéisme dans notre vision du monde quand nous sommes chrétiens ?)

22. Le Christ, homme nouveau

CHAPITRE II

La communauté humaine

23. But poursuivi par le Concile

24. Caractère communautaire de la vocation humaine dans le plan de Dieu

25. Interdépendance de la personne et de la société

26. Promouvoir le bien commun

(qui n’est pas seulement un devoir moral mais une compréhension de l’homme qui est lui-même inscrit dans une communauté)

27. Respect de la personne humaine

28. Respect et amour des adversaires

29. Égalité essentielle de tous les hommes entre eux et justice sociale

30. Nécessité de dépasser une éthique individualiste

31. Responsabilité et participation

32. Le Verbe incarné et la solidarité humaine

45

CHAPITRE III :

L’activité humaine dans l’univers

33. Position du problème

34. Valeur de l’activité humaine

35. Normes de l’activité humaine

36. Juste autonomie des réalités terrestres

37. L’activité humaine détériorée par le péché

38. L’activité humaine et son achèvement dans le mystère pascal

39. Terre nouvelle et cieux nouveaux.

CHAPITRE IV :

Le rôle de l’Église dans le monde de ce temps

40. Rapports mutuels de l’Église et du monde

41. Aide que l’Église veut offrir à tout homme

42. Aide que l’Église cherche à apporter à la société humaine

43. Aide que l’Église, par les chrétiens, cherche à apporter à l’activité humaine

44. Aide que l’Église reçoit du monde d’aujourd’hui

L’Eglise reconnaît qu’elle n’a pas toute la vérité, qu’il y a des parts de vérité chez les autres

La vérité est don de Dieu et non construction de l’esprit humain

45. Le Christ, alpha et oméga

Les points 22 et 45 sont centraux : ils montrent que le christianisme est une expérience de la rencontre du Christ

et qu’à partir du Christ homme nouveau on peut se renouveler. La cohésion entre une volonté d’humanisation et

une volonté d’incarnation est profondément signifiée là, c’est en ce sens que la foi nourrit notre humanité. Ce

n’est pas en multipliant les croyants que l’on remplit notre tâche d’évangélisation mais en découvrant à tous,

combien le Christ est humanisant. Le problème fondamental n’est pas de faire croire, c’est d’humaniser

l’homme pour qu’allant jusqu’au bout de son humanisation, il trouve, dans le Christ, un visage qui lui parle.

Deuxième partie :

De quelques problèmes plus urgents

46. Introduction

CHAPITRE PREMIER :

Dignité du mariage et de la famille

47. Le mariage et la famille dans le monde d’aujourd’hui

48. Sainteté du mariage et de la famille

49. L’amour conjugal

50. Fécondité du mariage

51. L’amour conjugal et le respect de la vie humaine

52. La promotion du mariage et de la famille est le fait de tous

46

CHAPITRE II :

L’essor de la culture

53. Introduction

Section 1. Situation de la culture dans le monde actuel

54. Nouveaux styles de vie

55. L’homme, promoteur de la culture

56. Difficultés et devoirs

Section 2. Quelques principes relatifs à la promotion culturelle

57. Foi et culture

58. Nombreux rapports entre la Bonne Nouvelle du Christ et la culture

59. Réaliser l’harmonie des différentes valeurs au sein des cultures

Section 3. Quelques devoirs plus urgents des chrétiens par rapport à la culture

60. La reconnaissance du droit de tous à la culture et sa réalisation pratique

61. Formation à une culture intégrale

62. Harmonie entre culture et christianisme

CHAPITRE III

La vie économico-sociale

63. Quelques traits de la vie économique

Section 1. Le développement économique

64. Le développement économique au service de l’homme

65. Contrôle de l’homme sur le développement économique

66. Il faut mettre un terme aux immenses disparités économico-sociales

Section 2. Principes directeurs de l’ensemble de la vie économico-sociale

67. Travail, conditions de travail, loisirs

68. Participation dans l’entreprise et dans l’organisation économique globale.

Conflits du travail

69. Les biens de la terre sont destinés à tous les hommes

70. Investissements et question monétaire

71. Accès à la propriété et au pouvoir privé sur les biens. Problème des latifundia

72. L’activité économico-sociale et le Royaume du Christ

CHAPITRE IV :

La vie de la communauté économique

73. La vie publique aujourd’hui

74. Nature et fin de la communauté politique

75. Collaboration de tous à la vie publique

76. La communauté politique et l’Église.

47

CHAPITRE V :

La sauvegarde de la paix et la construction de la communauté des nations

77. Introduction

78. La nature de la paix

Section 1. Éviter la guerre

79. Mettre un frein à l’inhumanité des guerres

80. La guerre totale

81. La course aux armements

82. Vers l’absolue proscription de la guerre.

L’action internationale pour éviter la guerre

Section 2. La construction de la communauté internationale

83. Les causes de discorde et leurs remèdes

84. La communauté des nations et les institutions internationales

85. La coopération internationale dans le domaine économique

86. Quelques règles opportunes

87. La coopération internationale et la croissance démographique

88. Le rôle des chrétiens dans l’entraide internationale

89. Présence active de l’Église dans la communauté internationale.

90. Rôle des chrétiens dans les institutions internationales

CONCLUSION

91. Rôle de chaque fidèle et des Églises particulières

92. Le dialogue entre tous les hommes

93. Un monde à construire et à conduire à sa fin

48

Les apports de la Constitution "l'Église dans le monde de ce temps".

(Ce passage a fait l'objet d'une feuille distribuée sur place)

1. On m'avait appris à regarder le monde comme mauvais et menaçant; avec Gaudium et spes, il

apparaît ici riche de valeurs et d'apports positifs pour l'évangélisation.

2. On m'avait mis en garde contre les idées modernes, perverses et rationalistes, ces erreurs

modernistes; depuis Gaudium et spes, je sais que l'Église peut être aidée dans sa mission d'évangile

par le monde d'aujourd'hui, par ses créations de valeurs et de comportements, ses sentiers

insoupçonnés vers la vérité de Dieu.

3. Selon nos anciens, les droits de l'homme rappelaient la Révolution et le mépris des droits de Dieu,

je lis en Gaudium et spes : "l'Église reconnaît et tient en grande estime le dynamisme de notre temps

qui, partout, donne un nouvel élan à ces droits".

4. On nous avait prévenus : depuis les origines, l'homme n'est que péché; selon Gaudium et spes le

triomphe de l'homme sur notre mal nous est garanti dans le Christ (n°22 et 45), malgré nos faiblesses

et nos tares qu'il nous faut toujours combattre, la force et le salut nous sont offerts en Jésus. Tel est le

puits de nos espérances.

5. Ici, citoyens du Royaume du Christ nous reconnaissons la valeur de l'action humaine, la valeur de la

culture, de la civilisation qui part de la dignité de la personne humaine, c'est un message fort de

Gaudium et spes. Et le règne du Christ se dessine dans les signes de ce temps.

6. L'athée n'est pas que de mauvaise foi : selon Gaudium et spes, il semble qu'un certain athéisme soit

une réaction saine contre la façon dont les chrétiens ont présenté le visage de leur Seigneur. Il faut y

réfléchir et non condamner a priori. Mais il demeure une anomalie ou une maladie qui demande de

trouver des "remèdes à l'athéisme."

7. Le témoignage du chrétien est aussi un engagement pour l'égalité entre les hommes, ce n'est pas du

politique d'abord, (L’action française de Charles Maurras est condamnée par Pie XI), c'est au nom de

la foi que l'on veut cette égalité en dignité personnelle et collective, car tous sont rachetés par Dieu, et

ont la même vocation, la même destinée. La justice sociale est le cœur de l'engagement du Concile en

Gaudium et spes. n°29.

Au titre de notre foi, de ce Dieu qui est agissant au cœur de l’homme quel qu’il soit

Tous les hommes, doués d’une âme raisonnable et créés à l’image de Dieu, ont même nature et même

origine ; tous, rachetés par le Christ, jouissent d’une même vocation et d’une même destinée divine :

on doit donc, et toujours davantage, reconnaître leur égalité fondamentale.

Assurément, tous les hommes ne sont pas égaux quant à leur capacité physique qui est variée, ni quant

à leurs forces intellectuelles et morales qui sont diverses. Mais toute forme de discrimination touchant

les droits fondamentaux de la personne, qu’elle soit sociale ou culturelle, qu’elle soit fondée sur le

sexe, la race, la couleur de la peau, la condition sociale, la langue ou la religion, doit être dépassée et

éliminée, comme contraire au dessein de Dieu.

8. Contrairement à certaines idéologies religieuses (les fondamentalismes actuels) Gaudium et Spes

souligne l'importance d'une claire distinction entre les responsabilités temporelles et spirituelles,

reconnaissant une juste autonomie des réalités terrestres, cette différence d'engagements permet la

diversité de choix qui traduisent la liberté d'action pour actualiser le salut. Et la liberté reconnue d'un

engagement terrestre (43-45.) sans la prétention de le justifier un totalitarisme religieux.

Il est important que le pluralisme soit affirmé comme un moyen d’expression de la liberté

9. Les laïcs baptisés ont une mission propre pour ces réalités, ce ne sont pas des "mineurs". La

responsabilité de l'engagement pour la vérité, la justice et la paix est du ressort du peuple de Dieu,

d'abord selon Gaudium et spes, et non d'un pouvoir religieux qui imposerait des choix politiques et

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sociaux, préconiserait sa Loi. Selon Gaudium et spes, c'est le corps tout entier qui est concerné en

premier pour l'action et la promotion d’un droit dans le monde de ce temps.

Lumen Gentium, apostolicam actuositatem, appellent les hommes à prendre leurs responsabilités.

Le rôle de la hiérarchie ecclésiale est d’aider les laïcs c’est-à-dire le peuple de Dieu à assumer sa

responsabilité de prêtre, prophète te roi et de permettre à l’Esprit Saint de rassembler les

communautés.

10. la démarche inductive : on avait défini la morale en surplomb comme mise en application des

commandements et des principes juridiques doctrinaux, on présente en Gaudium et Spes, une éthique

du sens, éclairée par la grâce et la foi, une démarche de responsabilité qui s'adresse à la conscience

et à la liberté, conscience toujours à purifier dans la lumière de la grâce et de la parole.

_____________________

Pour moi trois passages essentiels dans la manière de traiter les questions de la vie en Église :

1. De l'exclusif à l'inclusif, pour les valeurs humaines et la "foi" des non-croyants. L'ouverture à la

part de vérité des autres.

De « hors de l’Église pas de salut » à une prise en compte de la présence de Dieu dans le monde

2. Du déductif à l'inductif, pour le rapport à la Révélation. Cf. implicite et explicite.

D’une doctrine pensée comme un « en soi » à un accompagnement de la quête spirituelle

3. D'une réflexion essentialiste des valeurs à une interprétation qui évolue dans l'histoire et le

progrès.

Fondée sur une marche dans l’histoire et c’est dans ce sens que le dessein de Dieu se déroule dans le temps

« La question de la primauté avait tellement été placée au premier plan qu’elle faisait apparaître

l’Église comme une institution articulée de façon essentiellement centraliste, que nous défendions

énergiquement mais qui s’offrait à nous, en un certain sens, de l’extérieur. Il est redevenu manifeste

que l’Église est quelque chose d’autre. Nous la portons en avant dans la foi vivante, de la même

manière qu’elle nous porte…». Ratzinger p. 13

« Nous voici en présence d’une ecclésiologie pour laquelle le fait d’être catholique, c’est-à-dire

d’appartenir à la communion des croyants de tous lieux et de tous temps, n’est pas un élément

extérieur de type organisationnel, mais une grâce qui provient de l’intérieur, et, en même temps, un

signe visible de la puissance du Seigneur, seul à pouvoir conférer l’unité en dépassant d’aussi

nombreuses frontières ». Ratzinger p. 22

Néanmoins, il convient de remarquer quatre remises en cause de l’action de l’Église telle qu’elle

était pensée en 1962 :

1. Il est clair que le monde n’attend plus l’Église pour répondre à ses questions essentielles,

contrairement à ce que Jean XXIII pensait ainsi que les cardinaux Suenens et Montini, et indiquer la

solution à ses problèmes en termes de droits et de devoirs.

2. Il apparaîtra de plus en plus que les prescriptions morales ne peuvent être universelles et appellent à

être repensées à la base, compte tenu des données locales, culturelles ou sociales. On ne peut légiférer

au niveau mondial. (Lettre de Paul VI au cardinal Roy,1971).

3. C’était une sorte d’illusion que de croire qu’il suffisait que l’Église soit plus transparente à

l’Évangile pour que les païens se convertissent et que les chrétiens non catholiques se retrouvent

d’eux-mêmes dans l’unique pasteur de l’Église de Rome.

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4. Le rêve que "lorsque les prêtres seront des saints, le monde sera évangélisé par là même et qu’ils

referont chrétiens leurs frères" est remis en question devant les divergences spirituelles du temps.

Conclusion

En souhaitant que cet apport vous permette de travailler ensemble sur des finalités humaines qui

ouvrent à des finalités religieuses dans une fraternité intellectuelle de la recherche de la Vérité.

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Repères pour l’engagement des chrétiens

Père Jean-Marie Onfray

Prêtre du diocèse de Tours : Délégué à la culture, Coordinateur des Mouvements et de la Pastorale de la santé.

Le but de cet exposé est de donner des repères, trop souvent nous sommes dans l’affectif. Si l’histoire a été marquée par des affects, elle a été aussi marquée par la nécessité d’en sortir. L’histoire récente a été, également, marquée par des affects! L’enjeu de la réflexion politique est de prendre du recul, la gestion du vivre ensemble est à ce prix.

Avant-propos

* Une référence aux deux sujets du bac 2013 : série ES : « Que devons-nous à l’Etat ? » et série S : « Peut-on agir moralement sans s’intéresser à la politique ? ». Ces sujets sont des sujets essentiels au cœur de la réflexion philosophique : y-a-t’ il un lien entre la moralité et la politique ?

* Volonté de faire une distinction lorsque l’on pense la réalité politique. Elle est le plus souvent pensée au travers de 2 catégories hellénistes.

* Due à Platon dans son ouvrage « La République »: il cherche à savoir quel est le gouvernement idéal des hommes: il pose une idée puis il voit comment la mettre en œuvre. Cette tradition a eu de grandes filiations comme Thomas Moore et une grande part des Pères de l’Eglise.

* Due à Aristote dans son ouvrage « la politique »: il part de la réalité et observe ce qui se passe. Thomas d’Aquin réintroduit Aristote pour que l’on quitte l’unique référence à Platon.

La lecture de l’Evangile ne se situe pas dans l’idéalisme; Jésus n’est pas de l’ordre des idées mais dans le réel le plus concret et c’est tout l’enjeu de l’incarnation.

Introduction

Présentation de quelques textes de la Tradition catholique...

Gaudium et Spes (§ 32) : le Verbe incarné et la solidarité humaine

« De même que Dieu a créé les hommes non pour vivre en solitaires, mais pour qu’ils s’unissent en société, de même il lui a plu aussi « de sanctifier et de sauver les hommes non pas isolément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu au contraire en faire un peuple qui le connaît selon la vérité et le servirait dans la sainteté ». Aussi , dès le début de l’histoire du salut, a-t-il choisi des hommes non seulement à titre individuel, mais en tant que membres d’une communauté….Ce caractère communautaire se parfait et s’achève dans l’œuvre de Jésus-Christ….Dans sa prédication , il a clairement affirmé que des fils de Dieu ont l’obligation de se comporter entre eux comme des frères…Cette solidarité devra sans cesse croître, jusqu’au jour où elle trouvera son couronnement : ce jour-là , les hommes, sauvés par la grâce, famille bien-aimée de Dieu et du Christ leur frère, rendront à Dieu une gloire parfaite ».

Commentaire: Dans la première partie de Gaudium et Spes, quatre chapitres se terminent par une référence au Christ : contempler le Christ comme seul herméneute des Ecritures est un passage indispensable. Ce n’est pas avoir une certaine idée de l’homme en essayant de la ramener à la foi, c’est notre idée de l’homme et de l’homme en société à partir de notre foi. L’homme dans le dessein de Dieu est fait pour vivre en communauté et solidairement. C’est une affirmation théologique qui dit que l’homme n’existe que dans cette solidarité humaine au cœur du mystère de la foi. L’Evangile ne s’adresse pas à une personne en tant qu’individu mais bien à une personne en communauté. C’est

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la raison pour laquelle la catéchèse n’est pas la transmission d’un savoir à un enfant mais l’initiation de l’enfant pour entrer dans une communauté célébrante.

Verbum Domini 2010 (§ 99 et 100) : Parole de Dieu et engagement dans le monde

« C’est donc la Parole de Dieu elle-même qui nous rappelle la nécessité de notre engagement dans le monde et notre responsabilité face au Christ, Seigneur de l’histoire. En annonçant l’Evangile, encourageons-nous les uns les autres à accomplir le bien et à agir pour la justice, la réconciliation et la paix… Le synode a rappelé que s’engager pour la justice et la transformation du monde est une exigence constitutive de l’évangélisation. Comme le disait le pape Paul VI, il s’agit « d’atteindre et comme de bouleverser par la force de l’Evangile, les critères de jugement, les valeurs déterminantes, les points d’intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de l’humanité, qui sont en opposition avec la Parole de Dieu et le dessein du salut »….C’est surtout la tâche des fidèles laïcs, formés à l’école de l’Evangile, d’intervenir directement dans l’action sociale et politique. C’est pourquoi le synode recommande une formation adéquate selon les principes de la Doctrine sociale de l’Eglise. De plus, je désire attirer à nouveau l’attention de tous sur l’importance de défendre et de promouvoir les droits humains de toutes les personnes, qui comme tels sont « universels, inviolables, inaliénables ». L’Eglise saisit l’occasion extraordinaire que notre époque offre afin qu’à travers l’affirmation de ces droits, la dignité humaine soit plus efficacement reconnue et universellement promue, comme un trait imprimé par Dieu créateur sur sa créature que Jésus-Christ a élevée et rachetée par son incarnation, sa mort et sa résurrection. C’est pourquoi la diffusion de la Parole de Dieu ne peut que renforcer l’affirmation et le respect des droits humains de toutes les personnes ».

Commentaire : Je ne peux pas lire la Parole de Dieu sans entrer dans l’histoire. Cette Parole est opérante, à condition que nous soyons opérateurs. Dans la mesure où je me mets à l’écoute de la Parole, qu’elle me donne la parole, j’entre dans une démarche de conversion de mes pratiques et de conversion du monde. L’enjeu de la lecture de la Parole de Dieu est de nous responsabiliser et non de nous inviter à fuir ce monde.

Caritas in veritate (§ 41)

« L’autorité politique a, elle aussi, une signification plurivalente qui ne peut être négligée, dans la mise en place d’un nouvel ordre économico-productif, socialement responsable et à dimension humaine. De même qu’on entend cultiver un entrepreneuriat différencié sur le plan mondial, ainsi doit-on promouvoir une autorité politique répartie et active sur plusieurs plans. L’économie intégrée de notre époque n’élimine pas le rôle des États, elle engage plutôt les gouvernements à une plus forte collaboration réciproque. La sagesse et la prudence nous suggèrent de ne pas proclamer trop hâtivement la fin de l’État. Lié à la solution de la crise actuelle, son rôle semble destiné à croître, tandis qu’il récupère nombre de ses compétences. Il y a aussi des nations pour lesquelles la construction ou la reconstruction de l’État continue d’être un élément clé de leur développement. L’aide internationale à l’intérieur d’un projet de solidarité ciblé en vue de la solution des problèmes économiques actuels, devrait en premier lieu soutenir la consolidation de systèmes constitutionnels, juridiques, administratifs dans les pays qui ne jouissent pas encore pleinement de ces biens. À côté des aides économiques, il doit y avoir celles qui ont pour but de renforcer les garanties propres de l’État de droit, un système d’ordre public et de détention efficace dans le respect des droits humains, des institutions vraiment démocratiques. Il n’est pas nécessaire que l’État ait partout les mêmes caractéristiques: le soutien aux systèmes constitutionnels faibles en vue de leur renforcement peut très bien s’accompagner du développement d’autres sujets politiques, de nature culturelle, sociale, territoriale ou religieuse, à côté de l’État. L’articulation de l’autorité politique au niveau local, national et international est, entre autres, une des voies maîtresses pour parvenir à orienter la mondialisation économique. C’est aussi le moyen pour éviter qu’elle ne mine dans les faits les fondements de la démocratie ».

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Commentaire : Est-ce l’économie qui est déterminant en dernière instance ? Les libéraux prônent le moins d’Etat possible comme régulateur. Dans ce cas y-a-t’il une place pour la politique ? Le libéralisme rend les gens consommateurs. Le mot démocratie n’apparaît pas dans GS, il faudra attendre la lettre au cardinal Roy (1971) qui reconnaît que l’Evangile nourrit des engagements politiques divers. En France, cela donnera le rapport Matagrin (l’évêque de Grenoble) : "Pour une pratique chrétienne de la politique". Ce texte ouvre les yeux sur une réalité évidente : le même Evangile peut conduire des hommes à des engagements divers dans la société. Dialoguer, c’est admettre la légitimité d’une autre position.

Texte des évêques de France en vue des élections 2012 : Elections, un vote pour quelle société ?

Commentaire: Ce texte a une annexe proposant treize éléments de discernement pour réfléchir notre vote : La vie naissante, la famille, l’éducation, la jeunesse, les banlieues et cités, l’environnement, l’économie et la justice, la coopération internationale et l’immigration, le handicap, la fin de vie, le patrimoine, la culture, l’Europe, la laïcité et le vie en société. Tout cela suppose le débat et le dialogue… Mais les treize sont importants!

Document de Justice et Paix de 2013 : Posture chrétienne face à la finance

Commentaire : C’est au nom de la foi chrétienne que nous réfléchissons et au nom d’un Christ qui est venu appeler un peuple et nous appelle à nous constituer en peuple et à agir en ce monde. Nous ne sommes pas "la citadelle qui se protège du monde"; nous sommes "le sacrement de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain" (Lumen Gentium).

Avec ce cadre nous avons des éléments de réflexion. Nous sommes tous chargés du devenir de ce vivre ensemble familial, national, mondial. A chaque fois que nous célébrons l’eucharistie c’est "pour la gloire de Dieu et le salut du monde" et pas seulement pour celui des chrétiens.

1- De la chose publique

La « res publica », la chose publique, fait de nous des républicains, dans la mesure où nous sommes concernés par la chose publique. Nous parlons de l’Etat de droit (expression datant de Richelieu) qui est la légalité. Pendant longtemps l’Etat a été synonyme de puissance et d'arbitraire; beaucoup de pays peuvent se poser encore la question : parce qu’une révolution militaire n’est pas un Etat de droit. On ne peut pas se comporter devant un Etat de droit comme devant une dictature.

Un état de droit est un état qui exerce le monopole de la violence légitime. Il n’y avait pas d’Etat de droit lorsque le seigneur levait une armée pour envahir le seigneur voisin, quand des gens peuvent à tout moment attenter à l'existence des autres… Le propre de l’Etat de droit est la sécurité intérieure et extérieure. La question de la légitimité de cet Etat est donc posée. Pendant longtemps, c’est l’Eglise qui discernait et décernait cette légitimité. En démocratie la légitimité est une reconnaissance qui ne se discute pas.

Un Etat de droit est un Etat où tous les pouvoirs ne sont pas dans la même main nous dit Montesquieu. L’Etat de droit va instituer la séparation des pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). Cette distinction des pouvoirs est essentielle, on parlera de "contre pouvoirs". Depuis la distinction de Montesquieu, deux autres pouvoirs ont émergé : le pouvoir économique et celui des médias.

Les droits et les devoirs civiques. Le propre d’un Etat de droit est de donner des droits et de permettre de les revendiquer. L’un des devoirs civiques est l’impôt, l’autre la conscription qui a subsisté jusqu'il y a peu. Les impôts sont notre participation à l’Etat, notre manière d’être solidaires par obligation. Logiquement, y compris au nom de ma foi, je dois reconnaître l’importance de payer des impôts dans la vie publique : quelle perception avons-nous d’une solidarité obligatoire ?

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2- Du contrat social, de la démocratie

La souveraineté populaire. Avec Richelieu, la réflexion sur l’Etat de droit donnera l’absolutisme royal, le contrat social est postérieur à cet absolutisme. Entre 1660 et 1760, trois hommes Hobbes, Locke et Rousseau ont mené une réflexion qui a commencé en Angleterre avec la tradition protestante de la conscience individuelle. Face à la souveraineté des rois chrétiens qui se faisaient sacrer, la question qui se pose est de savoir si la légitimité vient de Dieu ou du peuple (de Dieu) C’est l’avènement du « je », du sujet avec Descartes. En régime chrétien, la légitimité tient à ceux qui portent en eux quelque chose du mystère de Dieu, la souveraineté populaire est très récente dans l’histoire humaine. La souveraineté populaire pose la question du caractère sacré du pouvoir. Elle porte en germe la nuit du 4 août et l’abolition des privilèges. Auparavant, il y avait des classes sociales: certains étaient dignes par nature et d'autres ne l’étaient pas. La dignité était un moyen de discriminer entre les hommes. La souveraineté populaire va introduire la société des égaux. Je voudrais citer Spinoza (Traité politique, ch XI, trad. Charles Appuhn, Œuvres IV, GF 1966, p. 113-115)

§ 4. — Peut-être demandera-t-on si les femmes sont par nature ou par institution sous l’autorité des hommes ? Si c’est par institution, nulle raison ne nous obligeait à exclure les femmes du gouvernement. Si toutefois nous faisons appel à l’expérience, nous verrons que cela vient de leur faiblesse. Nulle part sur la terre hommes et femmes n’ont régné de concert, mais partout où il se trouve des hommes et des femmes, nous voyons que les hommes règnent et que les femmes sont régies, et que, de cette façon, les deux sexes vivent en bonne harmonie ; les Amazones au contraire qui, suivant une tradition, ont régné jadis, ne souffraient pas que des hommes demeurassent sur leur territoire, ne nourrissaient que les individus du sexe féminin et tuaient les mâles qu’elles avaient engendrés. Si les femmes étaient par nature les égales des hommes, si elles avaient au même degré la force d’âme, et les qualités d’esprit qui sont, dans l’espèce humaine, les éléments de la puissance et conséquemment du droit, certes, parmi tant de nations différentes, il ne pourrait ne pas s’en trouver où les deux sexes règnent également, et d’autres où les hommes seraient régis par les femmes et recevraient une éducation propre à restreindre leurs qualités d’esprit. Mais cela ne s’est vu nulle part et l’on peut affirmer en conséquence que la femme n’est pas par nature l’égale de l’homme, et aussi qu’il est impossible que les deux sexes règnent également, encore bien moins que les hommes soient régis par les femmes. Que si en outre on considère les affections humaines, si l’on reconnaît que la plupart du temps l’amour des hommes pour les femmes n’a pas d’autre origine que l’appétit sensuel, qu’ils n’apprécient en elles les qualités d’esprit et la sagesse qu’autant qu’elles ont de la beauté, qu’ils ne souffrent pas que les femmes aimées aient des préférences pour d’autres qu’eux, et autres faits du même genre, on verra sans peine qu’on ne pourrait instituer le règne égal des hommes et des femmes sans grand dommage pour la paix.

Nous voyons bien que la question de l'égalité de l'homme et de la femme fut difficile à prendre en compte (pensons à Olympe de Gouges). Il y eu aussi le système fondé par Bismark qui a laissé des traces avec les trois fonctions de la femmes - les 3K : Küche, Kinder, Kirchen (la cuisine, les enfants et l’Église)... C’est encore très présent dans les mentalités!

Aliénation des libertés individuelles. La démocratie n’est pas simple. C’est un contrat qui fait que je cède certaines de mes libertés à l’Etat pour que l’Etat me protège. Dans le contrat social j’aliène mes libertés pour déléguer à l’Etat et établir le lien entre droits et devoirs qui est essentiel.

Cette démocratie ne s’exerce pas directement. Elle est représentative. Nous déléguons à des hommes (ou des femmes), la responsabilité de nous représenter. Nous faisons donc confiance. La démocratie suppose la confiance, c’est en ce sens qu’elle est représentative. Or nous ne pouvons pas parler de l’Eglise comme d’une démocratie, elle se reçoit de son Seigneur et par une succession d’effets de grâce (sacrements), nous ne choisissons pas nos représentants : le prêtre n’est pas le

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représentant des baptisés. De quelle manière faisons-nous confiance à nos représentants? Le doute mis sur le personnel politique n’aide pas à faire confiance et favorise la critique systématique. Ernest Renan écrit dans « Qu’est-ce qu’une nation ? » en 1882: " Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis… »

La nation suppose ce devoir de mémoire, nous nous inscrivons dans une histoire et avons le désir de partager le vivre ensemble.

3- De la démocratie sociale, Les conditions du vivre ensemble

L’enjeu de la démocratie est qu’il y ait des égaux ; mais qu’est-ce qu’être égaux ? C’est toute la question de la justice sociale. L’enjeu du lien social n’est pas ce qu’Adam Smith (économiste écossais) appelait ‘la main invisible’ dans son ouvrage "La richesse des nations" (1776) : « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher et du marchand de bière que nous attendons notre diner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts, nous ne nous adressons pas à leur humanité mais à leur égoïsme et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons , c’est toujours de leur avantage. Il n’y a qu’un mendiant qui puisse se résigner à dépendre de la bienveillance de tous…l’individu ne pense qu’à son propre gain en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui ne rentre nullement dans ses intentions et ce n’est pas ce qu’il y a de plus mal pour la société que cette fin qui ne rentre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent de manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société…Je n’ai jamais vu que ceux qui aspiraient dans leurs entreprises de commerce à travailler pour le bien général aient fait beaucoup de bonnes choses. Il est vrai que cette passion n’est pas très connue parmi les marchands et qu’il ne faudrait pas de longs discours pour les en guérir ».

Nous voyons que dans ce libéralisme, ce n’est pas le vivre ensemble qui compte, mais l’intérêt de chacun : si chacun travaille à son intérêt la société va s’y retrouver ! Au 19ième siècle, les bourgeois se sont battus pour la démocratie et pour l’abolition des corporations qui bloquaient le commerce. On sent toujours cette difficulté de développer le « JE » au risque de distendre le « NOUS ». Il faut donc que ce « NOUS » soit sans cesse réactivé ; c’est l’introduction de l’impôt, de cette obligation pour les riches de participer à la vie des pauvres. Et ce n’est pas évident même aujourd’hui de dire que pour qu’il y ait cohésion, paix sociale, il faut en prendre les moyens. Ce n’est pas seulement dire : « vous avez droit de vote » mais faire que le lien social existe. Celui-ci est aujourd'hui plus difficile car plus il y a de mobilité, plus il y a d'individualisme.

La justice sociale. Cet enjeu de la justice sociale a amené tout doucement à poser la question de la responsabilité étatique pour veiller à une bonne redistribution. Comment faire pour qu’il y ait plus d’égalité entre les hommes ? Ce sera l’impôt, les assurances et mutuelles (cette idée est partie de la Bretagne et de la Vendée catholiques). Puis, on a créé l’Etat providence : c’est alors à l’Etat de veiller sur la vieillesse (retraite), sur les malades et sur ceux qui n’ont pas de travail. Petit à petit l’Etat a porté le souci de ces trois dimensions, c’est le Conseil National de la Résistance qui en 1945 a voulu cette protection sociale généralisée. Cette question de l’état providence est remise en cause aujourd’hui pour deux raisons :

- Cela suppose qu’il y ait des rentrées et donc un état de croissance

- Cela suppose une volonté politique et nous devons faire le constat que chacun s’enferme dans l’égoïsme. Les inégalités augmentent en France et entre les pays.

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Je vous propose un texte de Denis Kessler (vice-président du MEDEF) : « le monde social français est le pur produit du Conseil National de la Résistance, un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork tant elles paraissent variées, d’importance inégale et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraites, refonte de la sécurité sociale, paritatisme… A y regarder de près on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux, la liste des réformes ? C’est simple prenez tout ce qui a été mis en place entre 1945 et 1952, sans exception. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du conseil national de la Résistance. »

Je peux aussi citer Michel Houellebecq : « Je ne suis pas un citoyen et je n’ai pas envie de le devenir, on n’a pas de devoir par rapport à son pays, cela n’existe pas. On est des individus, pas des citoyens, des sujets. La France est un hôtel pas plus ». Nous voyons toute une mentalité qui dit que cela coûte trop cher et remet en question cette égalité !

Face à l’individualisme, quel souci de la démocratie sociale ? Au titre de notre foi, nous sommes directement impliqués.

4- Du Bien commun

Le Bien commun est ce qui vient de Dieu. Dans la tradition biblique ce n’est pas à l’homme de le déterminer (l’arbre de la connaissance du bien et du mal, la parabole du bon grain et de l’ivraie). L’Eglise et les souverains catholiques l’ont souvent utilisé pour montrer leur légitimité. Le Bien commun exprime le désir de Dieu pour tous les hommes, il ne peut pas être gardé ou réservé pour quelques-uns. Or nous vivons dans une société où le marché est premier, où est le Bien commun quand il y a un jeu de concurrences qui fait que le petit est écrasé par le gros, quand on cherche à maximiser le profit ? La société de consommation fonctionne dans le désir de maximiser les désirs.

On passe du Bien commun à l’intérêt général. Peut-on le définir avec des critères ? En effet la somme des intérêts particuliers ne fait pas toujours l'intérêt général. Cet intérêt général ne nous dit pas encore le Bien commun qui va plus loin, tout ne se résume pas dans le politique, le politique n’est pas le tout de l’homme. Nous avons, y compris dans le vote et la délégation de la démocratie, à nous poser la question de comment, en Eglise, disons-nous les signes du Royaume pour aujourd’hui ?

C’est la question des signes des temps. Jésus dit : « le Royaume de Dieu s’est fait proche » et Jésus montre les signes du Royaume. Le Concile nous invite à lire les signes des temps. Qu’est-ce qui, dans les temps contemporains, est signe de ce Royaume qui est à l’œuvre ? François Flahault , dans son ouvrage « Où est passé le bien commun ? » écrit: « les services généraux touchent dans une économie de marché, à la question centrale, à savoir , d’une part , veiller au bon fonctionnement du marché et au respect des règles du jeu par tous les acteurs et d’autre part, à garantir l’intérêt général notamment la satisfaction des besoins essentiels des citoyens et la préservation des biens publics lorsque le pays n’y parvient pas ».

Question mondiale. Avec la mondialisation c’est encore moins simple ! L’Eglise universelle nous pose la question de notre solidarité à l’échelle mondiale, de notre participation au Bien commun pour toute l’humanité.

5- De l’opinion publique

Une longue histoire. Comment les citoyens vont-ils se forger des idées ? Cette question arrive au 18ème siècle, dans le monde des élites avec les salons littéraires. (C’est dans ce cadre qu’a démarré la

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Franc maçonnerie). Il faut pouvoir avoir une autonomie de pensée alors que la tradition chrétienne invitait à une hétéronomie de la pensée. L’opinion publique a d’abord été une manière de se démarquer de l’évidence. C’est dans ces salons littéraires que vont se forger les idées révolutionnaires nourrissant la pensée d’une élite et ensuite l’opinion publique va passer dans les faubourgs à travers la distribution des journaux. Napoléon III n’aura qu’un seul désir ; contrôler cette opinion publique (c’est pour cela qu’il va rémunérer les curés). L’Eglise, dans sa structure est devenue régulatrice d’opinion. L’opinion publique était à la fois une affaire d’intellectuels contre le pouvoir régulée par l’Eglise : cela s’est développé au moment de l’affaire Dreyfus puis s’est forgé dans la question de 1905 avec les ‘pour’ et les ‘contre’. La question a évolué dans les années 30 avec ce qui a commencé à se mettre en place aux USA : les sondages.

La "sondomanie". Petit à petit l’opinion publique a été sondée pour savoir ce qu’elle pensait. Avec la radio on a mis en œuvre les micros-trottoirs ce qui a construit et géré une opinion (en 1968 la radio a joué un rôle très important pour véhiculer une opinion). Avec la télévision, on est dans la manipulation de l’opinion. Au lieu que la vie publique soit un lieu de pensées différentes qui débattent, on structure les pensées par les sondages. Le but de l’opinion publique est d’emporter la conviction, les suffrages et avec les sondages on instrumentalise les autres. La foi se joue aussi à ce niveau-là, elle n’est pas une opinion. La foi de l’Eglise se reçoit, ce n’est pas la mienne, j’essaie d’être croyant dans cette foi de l’Eglise. Nous nous battons pour que le Bien commun voulu par Dieu s’applique, nous avons à nous méfier d’autant plus de l’opinion publique qui n’est que manipulation pour faire passer des messages. L’opinion publique est proche de la manipulation et on ne réagit plus que par rapport à ces sondages, on confond la volonté populaire qui s’exprime dans les urnes et les sondages ! L’opinion publique n’est pas la volonté nationale.

La démagogie, les lobbies. Avec l’opinion publique il va y avoir une manière de construire des réactions, et alors interviennent la démagogie et les lobbies. La démagogie va dans le sens de ce qui plaît, du populisme : on n’est pas alors dans le débat mais dans les ébats de l’homme politique ! La démagogie sera de "peopoliser" les questions. On veut agir sur l’opinion publique en flattant les réactions de peurs, de xénophobie. Certains sondages laissent entendre une évolution de l’opinion publique avec l’idée de « l’homme providentiel », qu’est-ce que cela veut dire ? La grande question des hommes politiques est de tenir compte des lobbies car il y a une mise sous influence. Par ailleurs, ce n’est pas facile de se défaire des idées fabriquées par les sondages.

Quid de la vérité et du mensonge? Qu'en est-il du parler vrai (Cf. Machiavel) ? Nous en voyons toutes les conséquences sur la méfiance et la défiance à l'égard des politiques.

l’Eglise doit-elle craindre l’opinion publique ? Le sensus Fidei exprime quelque chose de très fort dans la foi chrétienne, mais ce n’est pas l’opinion des chrétiens. Le sensus Fidei suppose de longues méditations de la Parole de Dieu, des liturgies où on se laisse façonner par l’amour de Dieu pour qu’il nous donne une foi. Se faire une conscience politique est différent de se forger une opinion publique. Prenons les moyens de forger des consciences politiques, des consciences chrétiennes.

6- De la responsabilité

Les deux éthiques. Si la chose publique appelle la responsabilité, celle-ci invite à répondre dans la durée. Le problème n’est pas d’avoir une conviction; il faut, dans la durée, répondre des conséquences de cette conviction ? De même que le Verbe s’est fait chair, nos convictions doivent s’incarner. C’est cette distinction que fait Max Weber (cf. feuille du dossier) entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité. Il n’y a pas d’un côté les convictions et de l’autre la responsabilité, c’est une dialectique des deux qu'il faut penser. Comment prendre des responsabilités si on n’a pas de convictions? Faire quelque chose sans conviction est une vraie

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question pour chacun d’entre nous. Il est question de responsabilité et non de culpabilité : un maire est responsable, il n’est pas forcément coupable car être coupable, c’est faire une faute. Nous n’existons que responsables. Plus on se démarque de sa responsabilité plus on cherche des responsables. Pensons au psaume 50 : « Tu es toujours devant moi, contre toi et toi seul j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux je l’ai fait ». C’est ce « je » qui es indispensable, car le "je" assume. Il y a un lien intrinsèque entre la conviction et la responsabilité, il faut sans cesse vérifier si ce que l’on fait est ce que l’on croit. Il faut travailler cette conviction, s’informer en se disant qu’une conviction qui ne s’incarne pas est une belle idée (à l’image du beau texte du Petit Prince). Le propre d’une conviction est de s’engager et de se responsabiliser.

Distinguer fins et moyens dans la mise en actes des convictions. « La fin justifie les moyens ! » expression perverse ! Ce lien entre fins et moyens est essentiel dans la responsabilité. La mise en œuvre de la conviction pose la même question à la fin et aux moyens. Ce qui est merveilleux, c'est le moyen que prend Dieu pour sauver le monde : la kénose ; il se vide. Voilà une réflexion sur la fin et les moyens : dans l’évangélisation que veut-on mettre en route ?

Le compromis dans la gestion des conflits. Le nécessaire compromis et non la compromission. C’est la gestion du conflit de valeurs. Même individuellement il y a des conflits, travailler à se réconcilier avec soi-même est compliqué. Si on ne veut pas entrer dans la violence, il faut entrer dans le compromis. La négociation est la plus belle manière de vivre. Dans la négociation il faut toujours du gagnant/gagnant où chacun perd un peu parce que chacun pense que ce qui va advenir est plus important que sa propre conviction. Notre responsabilité est de mettre un peu de notre conviction dans notre poche parce que ce qui est fondamental est l’intérêt général.

Quelques citations de Paul Ricoeur : « le problème du compromis est qu’on ne peut pas atteindre le bien commun par une justification unitaire….le compromis loin d’être une idée faible, est une idée au contraire extrêmement forte » Il faut du courage pour être dans le compromis, c’est un travail fatigant. « Il n’y a pas de confusion dans le compromis comme dans la compromission. Dans le compromis, chacun reste à sa place, personne n’est dépouillé de son ordre de justification….le compromis est toujours faible et révocable » Il n’est pas dans la force mais c’est le seul moyen de viser le bien commun. « L’intransigeance rend malheureusement impossible toute recherche de compromis….la non-violence occultée par les religions, je pense que cela vient de la permanence de ce que j’appellerai ’le principe hégémonique’ Il y a toujours eu de la part des religions, la tentation de vouloir être tout. La prétention à totaliser va de pair avec l’exclusion, la violence ». C’est toute la différence avec Gaudium et Spes qui va parler du dialogue. « Apprendre à faire de bons compromis grâce à une éducation qui fait droit à la sagesse pratique, vous faites allusion à mon livre ‘ soi-même comme un autre’, où j’ai lié la sagesse pratique à la résolution des conflits. Les conflits ne sont pas tous chargés de violence mais tous ont besoin, pour être résolus, de sagesse pratique. Dans mon ouvrage, je montre que le conflit est une structure de l’action humaine ». Le propre de la sagesse n’est pas de rester dans le conflit car ce n’est pas un échec alors que souvent nous déplorons le conflit. « Pour le dire autrement, il me semble que le bien commun se définit par le compromis entre des règles rivales qui couvrent des secteurs d’activités, des modes d’action ». Ce compromis est au cœur de la responsabilité. Il n’y a pas de vivre ensemble sana la rencontre d’autres convictions, c’est aussi cela la laïcité.

Le courage, car il en faut pour être dans cette dynamique de responsabilité, pour vivre les conflits, pour entrer dans le compromis.

7. De la pensée sociale

Je dis pensée sociale et non "doctrine" qui suppose un système clos. Comment l’Eglise, au fil des temps, nous a donné des points de repère pour vivre selon l’Evangile. Dans le catéchisme de l’Eglise

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Catholique cela se nomme ‘ la vie selon l’Esprit’. L’Evangile nous oblige à passer par certains giratoires avec priorité : sept au total.

La dignité des plus petits. Nous sommes encore loin de penser que la dignité est l’affaire de tous. Le péché de l’homme ne supprime pas la dignité puisque la dignité est la présence de Dieu en tout homme. La dignité tient à ‘l’être’. Nous mettons souvent le verbe avoir plus que le verbe être avec le mot de dignité.

Le développement de tout l’homme et de tous les hommes c’est-à-dire pour toute l’humanité de l’homme et cette question traverse la politique, la vie associative.

L’exercice de la conscience qui n’est pas optionnel. St Thomas disait : « si ta conscience t’amène à aller contre la loi, il vaut mieux aller dans le sens de ta conscience que dans le sens de la loi ». De même Gaudium et Spes § 16, la réflexion peut être commune mais la décision sera toujours personnelle.

La propriété. Elle n’a jamais été un absolu pour l’Eglise et est toujours en référence à la destination universelle des biens. La Nature n’est pas à l’homme, elle est à Dieu et l’homme en est le gérant. Toute appropriation doit aussi faire se poser la question de la destination universelle des biens (ex : la gestion de l’eau…)

Le travail. Jean-Paul II dans Laborem Exercens dit que le travail est une "réalité pour et avec les autres". Nous ne travaillons pas pour nous mais nous participons à la création avec les autres. Par rapport à cela, le système économique n’est pas simple : il faut entendre les exigences écono-miques et en même temps se positionner par rapport à cette priorité.

La subsidiarité pour valoriser l’autre. Je dois permettre à celui qui travaille sous ma responsabilité d’exister, je dois toujours donner à l’autre ce qu’il peut faire, ne pas faire à la place. C’est toute la question dans les structures de l’Etat (ex : les communes…tout ne descend pas d’en haut).

Le don signe ultime de la solidarité (cf. Caritas in Veritate de Benoît XVI). Le don fait éclater la loi du marché. C’est la forme ultime de la relation interhumaine et le don ultime c’est la Croix. C’est une structure fondamentale de l’être ensemble des chrétiens.

7- Du dialogue

Dans le compromis et la négociation, tout le monde ne pense pas de la même manière, de plus il y a aussi des compromis à l’intérieur de soi donc dialogue intérieur. La gestion du "vivre ensemble" c’est la prise en compte que nous ne sommes pas seuls au monde.

A l’écoute des dynamismes du monde. Le dialogue c’est d’abord écouter. Comment sommes-nous à l’écoute de ce qui se vit dans le monde ? Nous sommes tous témoins de choses extraordinaires à condition d’ouvrir les yeux et les oreilles.

L’Eglise est engagée dans les débats de société car il faut y être présent : à l’ONU, à l’UNESCO, dans les grands organismes internationaux. L’engagement politique pour nous chrétiens est d’être présents dans les lieux de débat. Si je suis à l’écoute j’aurai, le moment venu, à dire ma conviction à condition d’être prêt à la mettre en acte. Le dialogue n’est pas l’absence d’affirmation de soi, je vais à l’écoute pour apporter le moment venu une conviction.

Témoigner de l’Evangile : la Bonne Nouvelle. Paul VI dans "Ecclesiam suam" parle de l’Église qui entre en "conversation" avec le monde.

8- De la transcendance

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La politique n’est pas le tout de l’homme. Les utopies (ex : le Marxisme) nous font croire que le bonheur vient de la politique, le Bien n’est pas un problème politique (l’intérêt général, lui, est un problème politique). Le Bien commun transcende ces réalités.

Le Royaume n’est pas au bout de nos efforts de nos responsabilités. En même temps nous devons reconnaître que Dieu est à l’œuvre dans ce monde. Quels que soient mes efforts, c’est le désir de Dieu qui est en jeu dans l’avènement du Royaume. Dieu est à l’œuvre en ce temps, c’est la dialectique l’Eglise - Royaume - monde. L’Eglise est le Corps du Christ, le sacrement du Salut, les chrétiens font advenir le Royaume. L’Eglise n’est pas le Royaume, elle doit le signifier dans son avènement et le Royaume est ce monde transformé par Dieu.

L’Agapé par-delà la justice. Dans le travail de la justice, pour nous chrétiens, il y a quelque chose qui va jusqu’au don de soi-même, jusqu’au sacrifice. Dieu seul mérite le sacrifice, c’est la démarche de l’Agapè dans son absolu. L’Agapè est la manière dont Dieu, en Jésus-Christ, nous dit qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.

Acceptation de la limite. C’est l’acceptation par l’homme de sa finitude. En démissionnant Benoît XVI a signifié cette acceptation. La grande question, en éthique actuellement, est l’acceptation de la limite par rapport à la toute-puissance de l’homme.

Conclusion

Je vous propose (avec humour) les dix commandements de l’homme politique proposés avant les élections dans le journal La Vie :

Tu serviras le bien commun

Tu porteras attention aux plus faibles

Tu respecteras ton adversaire

Tu te méfieras de l’argent

Tu ne mentiras pas à tes électeurs

Tu repousseras la vanité

Tu cultiveras l’amitié

Tu feras preuve de vigilance

Tu assureras les compromis

Tu n’idolâtreras pas la politique