Dilem

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dilem tignous khalid plantu

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InstalléeàParisdepuisdeuxans,RamizeErerestunedesfiguresdelacaricatureenTurquie.Féministeàsamanière,elleaunfaiblepourlesmauvaisesfillesetcroqueavecbonheurlesrelationsentrehommesetfemmes

IstanbullesurSeine

Surla table à nappe blanche, elle aposé tous les plats ensemble :beurek aux épinards, feuilles devigne, bouchées de lentilles, sansoublier le fin du fin, le fameuxhuntar begendi, un must de la

cuisine ottomane, qui marie viande deveauetauberginesaucebéchamel.RamizeErer, elle, nemangepas. Elle surveille d’unœil le téléphone-fax ; de l’autre, sesenfants: un garçon de 12ans – «très douépour le dessin» – et une fillette de 5ans,blonde et sauvage comme sa mère, quiviennent de rentrer de l’école, dans le15earrondissement deParis.

RamizeErer, elle aussi, prenddes cours.Des cours de français. Mais elle a dumal :exilée en France depuis bientôt deux ans,ladessinatriceturque,caricaturisteauquo-tidienRadikal, connuepour ses personna-ges de filles délurées et de gros machos àmoustache, estd’une timiditémaladive. Al’oral, elle cale. Pour s’exprimer, il lui fautdupapier. Etunebullementaleoù s’enfer-mer à triple tour.

« Je ne parlais pas beaucoup lorsquej’étais petite. Je rêvais tout le temps.»AinsicommencelerécitqueRamizeErer, impro-bable interviewée, a finalement rédigé (enturc) pour Le Monde. Elle y évoque sonenfance, passée «dans une balançoireentre la joie et la tristesse», les étés dans lamaison de ses grands-parents paternels, àKirklareli (Thrace orientale), la ville oùelleest née. Elle y raconte sa jeunesse àIstanbul, mouvante mégapole, où elle aétudié à l’Académie des beaux-arts et faitsespremièresarmesdanslemythiqueheb-domadaire d’humour Gir-Gir, dirigé par

OguzAral. Elle, dont les dessins sont expo-sés jusqu’à la fin octobre à Marseille, auxcôtés de ceux de Dilem (Algérie), de BahaBoukhari (Palestine), de Michel Kichka(Israël) et d’une demi-douzaine d’autrescélébrités internationales du dessin depresse, a fait un sacré chemin, depuis lapublication de ses premiers albums, par-mi lesquels«Mauvaise fille», éditéenTur-quie en 1999!

Au départ, rien ne prédisposait cettegamine silencieuse, quatrième d’une fra-trie de cinq enfants, père comptable etmère au foyer, à devenir une profession-nelle du croquis. C’est avec ses frères etsœurs,tousaccoudésàlafenêtre,dansl’ap-partement familial d’Istanbul, que la peti-te Ramize a découvert l’image animée. Decette fenêtre stratégique, il était possibledevoirlesfilmsprojetéssurl’écranduciné-ma enplein air voisin. «Pendant desmois,nousavonsregardédes filmssansentendreles voix», raconte-t-elle.

Demême,c’estaumilieudeses frèresetsœurs qu’elle a passé l’été, petite, dans lamaisondeKirklareli.Mais elle était la seu-le à essayer de copier les reproductions detableaux,de«trèsbeauxpaysages», accro-chés aux murs du salon. La seule aussi àapprécier,dansleslivresd’enfants, lesillus-trations accompagnant les textes. Les des-sins «excellents» qui illustraient son édi-tion d’Oliver Twist restent un de ses plusbeaux souvenirs. Plus tard, à l’Académiedes beaux-arts, elle affine ses goûts. EntreVan Gogh et Courbet, elle n’hésite pas.L’autoportraitBonjour,monsieurCourbet !l’enthousiasme.

Sa mère, une femme « coléreuse» etaimante, a-t-elledeviné la singularitéde saprogéniture? «Elle m’a donné ce que lesmèresontpeurdedonneràleurfille: laliber-té (…). Elle a étéma première héroïne fémi-niste», écrit aujourd’hui la dessinatrice.Les amies de sa mère, moins gâtées par lavie, réunies autour d’un thé en d’intermi-nables conclaves – «elles ne se parlaientpas, elles se lamentaient », se souvientRamizeErer–vontservirdemodèles,ouderepoussoirs, à la future caricaturiste. Com-me les manifestantes de la fin des années

1970, que la jeune lycéenne regardait défi-lerdans les rues d’Istanbul.Un slogan, sur-tout, lui a plu: «Les gentilles filles vont auparadis, lesmauvaises filles vont partout.»A l’évidence, elle préfère les secondes.Colette,dontellea illustré lacouverturedeChéri, version turque, aurait aimé la sen-sualitéde ses anti-héroïnes depapier. «Lesfemmes de Ramize sont très hédonistes.Elles portent sans complexe leurs kilos etleur féminité», dit la romancière turqueVivetKanetti, amiede ladessinatrice.

Lesmauvaises fillesdeRamizeErerpor-tent des petites culottes – qu’on aperçoitassez souvent – et s’expriment sans pren-dre de gants. «Unmélange d’école belge etde Reiser», résume le dessinateur MichelKichka. Entre le trait «sobre, précis, léger»et le contenu, nettement plus lourd, il y aune«totaledissonance»,ajoutelecaricatu-risteisraélien.Sesdessinsfontimmanqua-blement penser à «des sitcoms améri-cains», relèvesonconfrère turc IzelRozen-tal. Le décor ne change guère : un canapéouun lit, sur lequel les personnages, deuxoutroisaumaximum,bavardentousecha-maillent. Apropos dequoi?De sexe et desrapportsdesexes.Engros,enlargeetdetra-vers. Shocking? «On a l’habitude, ça faitvingt ans qu’on la connaît », s’amuseRozental, qui admet que certains dessinssontquandmême«choquants».

S’attaquant, à longueur d’albums (nontraduits en français), à la société turque eten particulier aux relations entre hom-mesetfemmes,l’impertinentecrayonneu-se dessine «des filles modernes qui mon-trent leur cul et se moquent des mecs»,admire Georges Wolinski, figure de Char-lie Hebdo. Ramize Erer, c’est «vraimentune frangine», insiste-t-il. Dans les paysmusulmans, rares sont les dessinateurs –et lesdessinatricesplusencore–quiontcegenred’audace,assurelecaricaturistefran-çais. «On brocarde la politique, l’armée, lareligion. Mais le sexe, pas trop», obser-ve-t-il.

«La Turquie, ce n’est pas l’Algérie. Cheznous, il en faut beaucoup pour choquer»,nuance Vivet Kanetti. A Istanbul, peut-être. Ou dans la Turquie citadine. Et enco-re! Les rigoristes de tout poil y sont nom-breux et véhéments. Le mari de RamizeErer, Tuncay Akgün, lui-même dessina-teur très connu en Turquie et patron dujournal Leman, en a fait l’expérience. Cer-tains dessins et articles, publiés dansLeman, lui ont valu une pluie inédite demenaces. Dont certaines «concernaientaussinotre famille entière», confieRamizeErer, volontairement sibylline sur le sujet.Installée à Paris avec ses deux enfants, lacorrespondante de Radikal fait contremauvaise fortune bon cœur, et son mari,lui, fait le voyage de Paris une fois parmois.Dans sonexil parisien, elleprend leschoses du bon côté : elle dit aimer les«vieux serveurs de café désagréables», lesescaliersdeMontmartre, lapluieet la«clo-charde blonde qui est devant la boulange-rie avec son chien» et à qui elle donne unpeud’argent chaque jour.

Gageons que le 15octobre, à Marseille,lors des rencontres organisées par Cartoo-ning forpeace (association crééeparnotrecollaborateur Jean Plantu), la «mauvaisefille» d’Istanbul, cette «Européenne avantl’heure», comme dit son confrère Kichka,saura sortir de sa coquille. Et mettre lepublic, sinon dans sa poche, au moinsdans sa bulle.p

Catherine SimonPhoto Lucie &Simon pour «LeMonde»

Distinctions

PeerBorkLe directeur de recherche à l’EuropeanMolecular Biology Laboratory (EMBL)d’Heidelberg (Allemagne), 46ans,est le lauréat 2009 du prixMicrosoftde la Royal Society de Londres et de l’Aca-démie des sciences de Paris pour sesrecherches novatrices en bio-informati-que. Ses recherches actuelles portentsur « la caractérisation de l’environne-mentmicrobien du corps humain et sonimpact sur la santé de l’hôte». Il partici-pe au programme européenMetaHIT(Metagenomics of the Human IntestinalTract). Le prix, doté de 250000 eurosparMicrosoft Research, lui sera remisle 17novembre à l’Académie des scien-ces.

EntreprisesJean-PaulDubreuil,présidentduconseild’administrationd’Air Caraïbes, est deve-nu, le 22septembre, président du conseilde surveillance de la compagnie aérien-ne.MarcRochet, fondateur et directeurde la compagnie L’Avion, rachetée en2008parOpenSkies, filiale de BritishAirways,membre du conseil d’adminis-trationd’Air Caraïbes, a été nomméprési-dent dudirectoire.ChristopheHioco, conseiller seniorau sein deMcKinsey&Company, a éténommé, le 18septembre, directeur géné-ral de Société générale Corporate&Invest-ment Banking etmembre du comité dedirectiondugroupe.XavierBersillon, 35ans,managerdeBain&Company, l’undes leadersmondiauxdu conseil en stratégie etmanagement, aété promu, le 22septembre, «partner» ausein despôles industrie et distribution enFrance – et «associé» auniveaumondial.Olivier Fleurot, président de Relationspubliques et communication corporate(PRCC) et de Publicis Events a été élu, le21septembre, président de l’Associationeuropéennedes agences de communica-tion (EACA), basée à Bruxelles.

E-commerceMarc Lolivier,déléguégénéral de la Fédé-rationdu e-commerce et de la venteà distance (Fevad), a rendupublic,le 22septembre, le baromètre Fevad-Médiamétrie-Net Ratings pour le deuxiè-me trimestre 2009. EBay, PriceMinister,les 3Suisses, Amazonet La Redoute figu-rent en tête d’un classement dans lequelles 3Suisses gagnent cinqplaces avec8347000visiteurs uniques durant lapériodeobservée.

Institutions

YvesAubindelaMessuzièreLe vice-président de l’Institut du mon-dearabe àParis, chercheur associé à l’Ins-titut d’études politiques de Paris, ancienambassadeurde France, a été élu, le 11sep-tembre, président de laMission laïquefrançaise. Jean-ChristopheDeberre,directeur adjoint AfriqueduprogrammedesNations unies pour le développe-ment, a été nommé lemême jour direc-teur général de cette association,dont le but est «la diffusion de la langueet de la culture françaises par lemoyende la scolarisation à l’étranger».Jean-Pierre Delaubier, inspecteur géné-ral de l’éducationnationale, a été nomméprésident du conseil d’administrationduCentrenational de documentationpédagogiquepar arrêté du8septembreparu au Journal officiel le 22septembre.

AssociationsGilles Le Bail, représentant de la Fédéra-tion française desmaisons de jeuneset de la culture (FFMJC) a été élu, le 10sep-tembre, président duComité pour lesrelationsnationales et internationalesdes associations de jeunesse et d’éduca-tionpopulaire (Cnajep).Mikael Garnier-Lavalley, représentant de l’Associationnationale des conseils d’enfants et de jeu-nes (Anacej), a été élu secrétaire général.

ReligionsMonseigneur Luigi Ventura, 64ans,archevêque titulaire d’Equilio (patriarcatdeVenise), a été nommé, le 22septembre,nonce apostolique en Francepar le papeBenoît XVI. Il succède àMonseigneur For-tunatoBaldelli, nomméen juin grandpénitencier de l’Eglise romaine.

Courriel : [email protected]

Parcours

1963Naissance àKirklareli (Turquie).

1981Entre à l’Académie des beaux-artsd’Istanbul.

1990Publication de «Sansmoustache»,premier de ses cinq albumsBD.

2007Arrivée à Paris, correspondante-caricaturiste du journal «Radikal».

2009Participe àMarseilleà l’exposition collective «Dessine-moila paix enMéditerranée».

Elles&ilsOlivierSchmitt

DécryptagesPortrait

«Jeneparlaispasbeaucouplorsquej’étaispetite.Je rêvaistout le temps»

24 0123Jeudi 24 septembre 2009

KHALID GUEDDAR Maroc Le Journal hebdomadaire (Casablanca) août 2009

Censure, tabous, interdits

Le dessinateur de presse doit ruser pour faire passer son message tout en résistant à la censure o!cielle, aux pres-sions économiques, et parfois même à l’autocensure. La censure, qui existe depuis l’Antiquité, se dé"nit par le pou-voir de contrôle, de surveillance et de sanction exercé par une autorité (étatique, religieuse…) sur les moyens publics d’expression, comme les médias et les œuvres artistiques. Par extension, elle désigne les di#érentes formes de pres-sion, "nancières, morales ou physiques.

Dans les pays démocratiques où il n’y a théoriquement pas de censure, les dessinateurs de presse peuvent être tentés de s’autocensurer pour éviter une polémique, un licenciement ou un procès. Le 19 janvier 2005, le dessi-nateur autrichien Gerhard Haderer a, par exemple, été condamné à six mois de prison par contumace par un tribunal grec pour avoir représenté Jésus en hippie, fumeur de cannabis.

Dans des pays peu respectueux de la liberté d’expression, les dessinateurs sont généralement sanctionnés lorsqu’ils violent des tabous ou des interdits. Au Maroc ou en Jorda-nie, il n’est par exemple pas permis de dessiner ou d’évo-quer le roi et son entourage. De même que représenter la "gure de Mahomet est interdit dans les pays musulmans. En septembre 2005, douze caricatures du prophète de l’Is-lam ont été publiées dans le quotidien danois «Jyllands-Posten». Cinq mois plus tard, leurs auteurs étaient condamnés à mort par la fatwa d’un tribunal islamiste. L’un d’eux, Kurt Westergaard, a été victime d’une deuxième tentative d’assassinat le 2 janvier 2010. En 2005, une ré$exion sur la liberté et la responsabilité des dessina-teurs de presse s’est alors engagée, à l’initiative de Ko" Annan, alors secrétaire général de l’ONU, et de Plantu. Elle est à l’origine de Cartooning for Peace, dont l’une des mis-sions est de défendre et soutenir la liberté d’opinion des dessinateurs du monde entier, qu’ils soient bouddhistes, chrétiens, juifs, musulmans, agnostiques ou athées.

La liberté d’expression n’est pas en danger. Ce sont les dessinateurs insolents qui le sont, de même que les directeurs

de journaux qui leur ouvrent leurs colonnes. Quelle idée !

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120 CENSURE, TABOUS, INTERDITS 121

HEUREUSEMENT QUE CE N’ÉTAIENT PAS DES TRIPLÉS !Voilà une version rigolote de «l’Origine du monde», le célèbre tableau de Gustave Courbet. Au lieu du broussailleux sexe de femme, un bébé ayant la tête de Nicolas Sarkozy. Clin d’œil à la politique répressive du chef de l’État et de son gouvernement envers les immigrés et les sans-papiers.

SCHVARTZ France

Charlie Hebdo (Paris)

17 octobre 2007

MIX & REMIX SuisseL’Hebdo (Genève) août 2008

DILEM Algérie

126 CENSURE, TABOUS, INTERDITS 127

En septembre 2009, Khalid Gueddar a publié dans le quotidien marocain Akhbar Al-Youm une caricature d’un cousin du roi Mohammed VI, dans une posture cocasse, faisant un signe de la main sur fond de drapeau national. Or, au Maroc, il est interdit de portraiturer le souverain et son entourage. Après avoir été interrogé par les services secrets, Khalid Gueddar a été convoqué au tribunal, en compagnie du directeur du journal «Akhbar Al-Youm». Tous deux ont été condamnés à quatre ans de prison avec sursis et 270 000 euros de dommages et intérêts à verser au prince. Le journal a été interdit et les locaux mis sous scellés. Le dessinateur a déclaré dans une interview : «La caricature, c’est un peu comme le thermomètre de la démocratie, et là, le niveau est bien bas.» Au moment du procès du dessinateur, deux numéros du quotidien «Le Monde»

KHALID GUEDDAR Maroc Le Journal hebdomadaire

(Casablanca) août 2009

LE CARICATURISTE MAROCAIN KHALID GUEDDAR, CONDAMNÉ POUR OFFENSE AU DRAPEAU ET À LA FAMILLE ROYALE

des 22 et 23 octobre, qui soutenaient le caricaturiste, ont été interdits au Maroc, ainsi que le journal «El Païs» du 26 octobre 2009.

KHALID GUEDDAR

Maroc Le Journal

hebdomadaire (Casablanca)

août 2009

PLANTU France Le Monde (Paris) 22 octobre 2009

KHALID GUEDDARMarocLe Journal Hebdomadaire (Casablanca) août 2009