DIFFÉREND ENTRE LA BOLIVIE ET LE PARAGUAY

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[Communiqué au Conseil et aux Membres de la Société.] N° officiel: C. 186. M .7 5 . 1934. VII. Genève, le 14 mai 1934. SOCIÉTÉ DES NATIONS DIFFÉREND ENTRE LA BOLIVIE ET LE PARAGUAY COMMUNICATION DE LA DELEGATION PARAGUAYENNE Note du Secrétaire général. Le Secrétaire général a l'honneur de communiquer au Conseil et aux Membres de la Société une note accompagnée d’un mémorandum qui lui a été transmise le 7 mai par la délégation paraguayenne auprès de la Société des Nations. [Traduction de l’espagnol.^ Paris,le 7 mai 1934. J ’ai l'honneur de vous adresser ci-joint le mémorandum sur le rôle de la Société des Nations et de la Commission du Chaco dans le conflit entre la Bolivie et le Paraguay, en vous priant de bien vouloir en donner communication aux Membres du Conseil et de la Société des Nations, après l’avoir fait traduire en reproduisant dans leur forme originale les passages ou citations traduits dans le mémorandum en question. (Signé) R. V. Caballero de B edoya , Ministre du Paraguay en France, Délégué du Paraguay à la Société des Nations. MÉMORANDUM SUR LE RÔLE DE LA SOCIÉTÉ DES NATIONS, ET NOTAMMENT DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE DU CHACO, DANS LE CONFLIT ENTRE LA BOLIVIE ET LE PARAGUAY. Le présent mémorandum concerne l’intervention de la Société des Nations dans le conflit entre le Paraguay et la Bolivie. En juin 1932, date à laquelle ont commencé les hostilités, les deux pays négociaient à Washington, devant la Commission des Neutres, un pacte de non-agression. Cette Commission, profitant de la présence des deux délégations, chercha immédiatement une formule de conciliation pour éviter la guerre. Les efforts des neutres ne furent pas couronnés de succès ; ils échouèrent définitivement vers le milieu de décembre 1932. La Société des Nations entra en contact avec la Commission, dont elle appuya l’action en faisant usage de son autorité en tant qu’institution internationale permanente. Dès que la Commission des Neutres eut cessé d’intervenir, les Etats limitrophes des deux pays belligérants entamèrent de nouvelles démarches conciliatrices qui reçurent également l’appui de la Société des Nations. Ces nouveaux efforts ne donnèrent pas non plus de résultat satisfaisant. Lorsque la Bolivie eut repoussé les bases dites de « Mendoza », proposées par les quatre pays — Argentine, Brésil, Chili et Pérou —, la médiation fut considérée comme terminée. Jusqu’à ce moment, le rôle de la Société des Nations consiste exclusivement à prêter son assistance morale aux deux actions médiatrices exposées ci-dessus. Après l’échec de la formule de Mendoza, le Paraguay, comprenant qu’il y avait peu de chances immédiates d’aboutir à une solution pacifique du conflit et considérant de son devoir de donner une forme juridique à un conflit qui durait depuis près d’un an, déclara l’état de guerre le 10 mai 1933. Cette décla- ration fut portée à la connaissance des divers gouvernements et de la Société des Nations. La Bolivie voulut faire valoir cette déclaration de l’état de guerre pour demander l'application de sanctions. Le ministre des Affaires étrangères de Bolivie adressa au Président du Conseil de la Société des Nations la dépêche suivante: « Le Paraguay, en déclarant la guerre à la Bolivie au moment où commencent de nouvelles démarches en faveur de la paix, comme le montrent les récents actes de la Commission des S.d.N. 975 (F.) 865 (A.) 5/34. Imp. Kundig. Série de Publications de la Société des Nations VII. QUESTIONS POLITIQUES 1934. VII. 2.

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[Communiqué au Conseil et aux Membres de la Société.] N° officiel: C. 186. M .75 .1934. VII.

Genève, le 14 mai 1934.

SOCIÉTÉ DES NATIONS

DIFFÉREND ENTRE LA BOLIVIE ET LE PARAGUAY

COMMUNICATION DE LA DELEGATION PARAGUAYENNE

Note du Secrétaire général.

Le Secrétaire général a l'honneur de communiquer au Conseil et aux Membres de la Société une note accompagnée d ’un mémorandum qui lui a été transmise le 7 mai par la délégation paraguayenne auprès de la Société des Nations.

[Traduction de l’espagnol.^ Paris, le 7 mai 1934.

J ’ai l'honneur de vous adresser ci-joint le mémorandum sur le rôle de la Société des Nations et de la Commission du Chaco dans le conflit entre la Bolivie et le Paraguay, en vous priant de bien vouloir en donner communication aux Membres du Conseil et de la Société des Nations, après l ’avoir fait traduire en reproduisant dans leur forme originale les passages ou citations traduits dans le mémorandum en question.

(Signé) R. V. Ca ba llero d e B e d o y a ,

Ministre du Paraguay en France, Délégué du Paraguay à la Société des Nations.

MÉMORANDUM SUR LE RÔLE D E LA SOCIÉTÉ DES NATIONS, ET NOTAMMENT DE

LA COMMISSION D ’EN QUÊTE DU CHACO, DANS LE CONFLIT EN TRE LA BOLIVIE

ET LE PARAGUAY.

Le présent mémorandum concerne l ’intervention de la Société des Nations dans le conflit entre le Paraguay et la Bolivie. En juin 1932, date à laquelle ont commencé les hostilités, les deux pays négociaient à Washington, devant la Commission des Neutres, un pacte de non-agression. Cette Commission, profitant de la présence des deux délégations, chercha immédiatement une formule de conciliation pour éviter la guerre. Les efforts des neutres ne furent pas couronnés de succès ; ils échouèrent définitivement vers le milieu de décembre 1932. La Société des Nations entra en contact avec la Commission, dont elle appuya l ’action en faisant usage de son autorité en tan t qu’institution internationale permanente. Dès que la Commission des Neutres eut cessé d’intervenir, les E ta ts limitrophes des deux pays belligérants entamèrent de nouvelles démarches conciliatrices qui reçurent également l’appui de la Société des Nations. Ces nouveaux efforts ne donnèrent pas non plus de résultat satisfaisant. Lorsque la Bolivie eut repoussé les bases dites de « Mendoza », proposées par les quatre pays — Argentine, Brésil, Chili et Pérou —, la médiation fut considérée comme terminée.

Jusqu’à ce moment, le rôle de la Société des Nations consiste exclusivement à prêter son assistance morale aux deux actions médiatrices exposées ci-dessus. Après l ’échec de la formule de Mendoza, le Paraguay, comprenant qu’il y avait peu de chances immédiates d ’aboutir à une solution pacifique du conflit et considérant de son devoir de donner une forme juridique à un conflit qui durait depuis près d ’un an, déclara l ’é ta t de guerre le 10 mai 1933. Cette décla­ration fut portée à la connaissance des divers gouvernements e t de la Société des Nations.

La Bolivie voulut faire valoir cette déclaration de l’é ta t de guerre pour demander l'application de sanctions. Le ministre des Affaires étrangères de Bolivie adressa au Président du Conseil de la Société des Nations la dépêche suivante:

« Le Paraguay, en déclarant la guerre à la Bolivie au moment où commencent de nouvelles démarches en faveur de la paix, comme le m ontrent les récents actes de la Commission des

S . d . N . 9 7 5 ( F . ) 8 6 5 ( A . ) 5 / 3 4 . I m p . K u n d i g . Série de P ublications de la Société des N ations

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Neutres de W ashington et des pays voisins auxquels la Bolivie a demandé de prêter à nouveau leurs bons offices, se met hors du Pacte et encourt les sanctions prévues par son article 16. La Bolivie accuse le Paraguay d ’avoir déchaîné le conflit le premier et d ’obstruer aujourd’hui les voies de sa solution pacifique. »

Ce télégramme contient deux assertions fausses. Au moment de la déclaration de l ’état de guerre, il n ’y avait aucune médiation en cours, pas plus des neutres que des pays voisins. Le Paraguay, du fait d ’avoir déclaré l ’é ta t de guerre, n ’empêchait aucune solution, car le décret promulgué à cette occasion stipulait clairement que le Paraguay m aintenait son intention de procéder à un règlement équitable. Le dessein du Gouvernement bolivien éta it simplement d ’utiliser le Pacte contre le Paraguay, afin d ’obtenir que ce pays fût déclaré agresseur et justifier ainsi le fait indéniable de son agression de P itian tu ta , qui provoqua le casus belli.

Entre temps, le Conseil se rendit compte que le Gouvernement paraguayen éta it disposé à accepter l ’arbitrage pour résoudre le conflit, et, laissant de côté la demande du Gouvernement bolivien relative à l ’application de l ’article 16, il adressa au ministre des Affaires étrangères le télégramme suivant :

« Le Président du Conseil accuse réception de votre télégramme qui est communiqué au Conseil, lequel se réunira dans les prochains jours pour examiner l ’ensemble de la situation. Afin d ’être à même d ’informer le Conseil d ’une façon complète, le Comité (du Chaco) désire savoir si le Gouvernement bolivien est prêt à se soumettre à une décision arbitrale ta n t en ce qui concerne la détermination des questions à arbitrer que sur ces questions elles-mêmes, la procédure de l ’arbitrage devant être déterminée par le Conseil de la Société des Nations. Le Paraguay s’est déclaré prêt à accepter l ’arbitrage sur ces deux points, e t le Comité demande au Paraguay confirmation de son attitude antérieure à cet égard. Au reçu des réponses des deux gouvernements, le Comité sera en mesure de faire immédiatement des propositions au Conseil sur le différend. »

Le 13 mai, le Gouvernement bolivien répondit dans les termes suivants:

« E n réponse à votre câblogramme d ’hier, j ’ai l’honneur de vous faire connaître que la Bolivie a déjà manifesté et réitère m aintenant sa disposition de soumettre à l’arbitrage le différend territorial avec le Paraguay. La procédure de cet arbitrage a été proposée par la Bolivie dans son mémorandum du 28 février adressé aux nations limitrophes. La Bolivie ne considère ni viable ni acceptable un arbitrage préalable sur la m atière en litige parce que sa détermination proviendrait des prétentions de chaque partie. Le meilleur moyen pour arriver à un arbitrage effectif serait que le Paraguay signalât pour sa part ce qu’il croit être sa propriété dans le Chaco, puisque la Bolivie en a déjà fait au tan t et fixé comme base de discussion le territoire arbitrable dans la clause cinquième dudit mémorandum. L’appréciation des points de vue de chaque adversaire perm ettrait de trouver, sous l ’influence des bons offices, une formule qui faciliterait un règlement pacifique du litige. La Bolivie a l ’honneur d ’a ttirer votre attention sur son point de vue parce qu’elle désire trouver une solution de fond au problème et éviter des palliatifs momentanés qui pourraient se traduire, à courte échéance, par un nouveau conflit. »

La réponse du Paraguay, en date du 12 mai, est ainsi conçue :

« Le Paraguay a déclaré l ’état de guerre avec la Bolivie après que les E ta ts limitrophes eurent renoncé, en raison de l’attitude de la Bolivie, à prêter leurs bons offices. Mon gouver­nement renouvelle son acceptation de l’arbitrage comme moyen de régler le différend, mais insiste pour que les bases et les modalités de l ’arbitrage soient examinées après que l’on aura obtenu la cessation des hostilités avec la certitude qu’elles ne seront pas reprises. »

Comme on le voit, la Bolivie a repoussé le plan du Comité de la Société des Nations, se re fusan t à soumettre à la procédure arbitrale la déterm ination de la m atière en litige. Il est évident que la méthode proposée, tendant à arriver à une définition de cette matière par voie d ’accord entre les parties, n ’offrait aucune chance de succès, comme l ’avaient prouvé à diverses reprises les événements antérieurs. Il s’agit de deux thèses inconciliables par voie d ’accord entre les parties.

Le Gouvernement de La Paz s’opposa également à la cessation des hostilités, en considérant qu’il y aurait lieu de rechercher une prompte solution de la question de fond. Tout cela signifie simplement que la Bolivie voulait exercer une pression sur le Paraguay en vue d ’un règlement, faisant jouer à cet effet la menace de poursuivre le conflit. La réponse du Paraguay confirmait pleinement l'acceptation de l'arbitrage sur les questions ne pouvant faire l ’objet d ’un règlement direct.

Le Conseil de la Société, dans sa séance du 20 mai 1933, prit connaissance du rapport présenté par le Comité spécial du Chaco. Ce rapport, après avoir rappelé les antécédents de l’action conciliatrice du Comité, s’exprime comme suit:

« Aux termes du Pacte, les deux pays ont l’obligation de régler leur conflit par des moyens pacifiques. Pour l ’exécution de cette obligation, le Conseil recommande la procédure suivante: les deux gouvernements confieraient le règlement définitif du différend à une autorité impartiale, qui tire ses pouvoirs d ’un tra ité lian t les deux E tats, à savoir le Pacte de la Société des Nations. Une telle autorité, après une étude approfondie, fixerait la frontière entre les deux pays. Une pareille procédure implique : i° que les hostilités cessen t e t que le Paraguay rapporte la disposition par laquelle il s’est déclaré en é ta t de guerre avec la Bolivie ; 2° qu’un compromis d ’arbitrage soit établi. Afin de m ettre effectivement sur pied la procédure de règlement exposée au précédent

alinéa, le Conseil estime essentiel d ’envoyer sur place une Commission qui aurait pour tâche: i° de négocier, s’il y a lieu, toute disposition utile en vue de l’exécution de l ’obligation de cesser les hostilités ; 2° de préparer, en consultation avec les deux gouvernements intéressés, un compromis d’arbitrage. Si le compromis d’arbitrage n ’indique pas les arbitres ou la procédure pour arriver à leur nomination, le Conseil assurera cette nomination et réglera, s’il y a lieu, la procédure arbitrale ; 3° la Commission sera à la disposition du Conseil et le tiendra au courant de la marche de ses travaux. Elle procédera, à la demande du Conseil, à une enquête sur toutes les circonstances du différend, y compris l ’action des deux parties au litige, et fera un rapport au Conseil en vue de lui permettre de remplir les devoirs que lui impose le Pacte de la Société des Nations.

« Telle est la solution que le Conseil propose aux parties. Ce conflit dure depuis des dizaines d’années. De très nombreuses instance? de conciliation se sont efforcées sans succès d ’arriver à un règlement. Les deux pays se b a tten t depuis 1932 et même avant. Le Pacte offre aux deux parties, Membres de la Société des Nations, un moyen honorable de régler leur différend. En conséquence, le Conseil invite les deux gouvernements à accepter la procédure de règlement ci-dessus exposée et notam m ent à s’engager à donner à la Commission que le Conseil se propose d’envoyer sur place toutes les facilités nécessaires.

« Comme il a déjà été indiqué, les hostilités se sont poursuivies parfois par intermittence; mais, depuis juin de l’année dernière (1932), elles continuent sans interruption de part et d ’autre. Au cours des quatre dernières années, un Comité, composé de représentants de pays neutres, a étudié le différend. Des E ta ts limitrophes ont aussi fait des efforts en vue de la conciliation. Récemment, une des parties a déclaré l ’existence d ’un éta t de guerre. Le Conseil estime que, vu toutes ces circonstances, son premier devoir est de s’efforcer d ’obtenir la cessation des hostilités et un règlement du différend. Il n ’estime pas qu’il soit actuellement nécessaire ou opportun d ’entrer dans des considérations d ’un autre ordre. Il a le ferme espoir de ne jamais être obligé de le faire, car il est convaincu que si les parties désirent vraiment la paix et les bonnes relations, elles accepteront cette procédure et, en attendant qu’elle se développe, elles arrêteront les hostilités, qui durent déjà depuis trop longtemps. »

•Les bases ainsi proposées par le Conseil aux belligérants ont été acceptées par le délégué du

Paraguay, avec quelques modifications qu’il retira plus tard, à la suite des éclaircissements qui lui furent fournis. Il proposa que l ’enquête sur les circonstances du conflit, c’est-à-dire sur les responsabilités de la guerre, en vue des sanctions à infliger au pays reconnu coupable, fût menée par la Commission d ’enquête sans qu’une nouvelle demande du Conseil fût nécessaire. M. de Madariaga, délégué de l’Espagne et membre au Comité du Chaco, exprima l ’avis que, si le Paraguay et la Bolivie tombaient d ’accord sur un arbitrage, «il serait plus prudent, plus sage, de ne pas rechercher la paternité de l’agression », ajoutant que cette recherche n ’est opportune « que dans les cas qu’on ne peut pas résoudre autrem ent ». Il déclara un peu plus loin : « Si nous n ’aboutissons pas à la cessation des hostilités, il faudra déterminer l’agresseur. Alors, nous entrerons dans l’application du Pacte, et il sera temps d ’invoquer tous les articles que vous voudrez, y compris l'article 16 ». De son côté, M. Lester, délégué de l’Irlande et président du Comité des Trois, déclara également que « si l’effort de solution pacifique échoue, il restera alors à déterminer quel est l’agresseur ». A la suite de ces explications, le délégué du Paraguay déclara qu’il n ’insistait pas sur son projet d ’amendement, et que le rapport était accepté tel quel par son pays.

Le délégué de la Bolivie, évitant de donner une réponse catégorique, se livra à de nombreuses considérations, insistant sur la demande que faisait son gouvernement d’appliquer l’article 16 contre le Paraguay. Les délégués de l’Espagne, de la France, de l’Italie, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne, de la Tchécoslovaquie et de la Pologne prirent la parole pour souligner combien la demande bolivienne était injustifiée. « Dans un différend, dit le représentant anglais, il fau t tout d’abord déterminer l’agresseur, et, é tan t donné la longue durée de cette affaire, il n’est aucunement certain qu’une déclaration de guerre détermine nécessairement, en elle-même, l’agresseur. Loin de là. »

La séance s’acheva sur ces paroles du comte Piola-Caselli, président du Conseil : « Je constate que le rapport présenté par le Comité a été accepté par le Paraguay. Je constate aussi que le représentant de la Bolivie a réservé, pour le moment, la décision de son gouvernement. »

La procédure proposée par le Conseil concordait entièrement avec la thèse paraguayenne, qui peut se résumer comme suit: i° cessation immédiate des hostilités ; 20 négociation d ’un compromis d’arbitrage.

Les prétentions boliviennes furent totalem ent rejetées. Elles étaient les suivantes : i° appli­cation au Paraguay des sanctions de l’article 16 du Pacte pour avoir déclaré 1 é ta t de guerre ; 2° règlement préalable du différend comme moyen de m ettre un terme a la guerre ; 30 indication par les parties de leurs revendications territoriales.

La décision du Conseil s’explique. La Société des Nations se trouvait en présence d un conflit armé. Accepter les exigences boliviennes tendant à rechercher d ’abord la solution du conflit revenait à adm ettre la légalité de la guerre, qui se justifierait par son objectif, admis et reconnu par la Société des Nations elle-même. La procédure suggérée par le Paraguay en vue d ’arriver à la solution était donc la seule qui fût compatible avec la logique et les précédents.

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Quant aux sanctions de l’article 16, il était évident que la prétention bolivienne de les faire jouer contre le Paraguay parce que ce pays avait déclaré l ’é ta t de guerre, constituait une manœuvre destinée à déplacer la question du seul terrain où elle pouvait se poser, afin de perm ettre à la Bolivie de fuir ses responsabilités. Le Paraguay n ’avait fait que déclarer officiellement un état d ’hostilités déjà existant. Seule une enquête pouvait perm ettre de déterminer le responsable. Tel fut l ’avis exprimé à l ’unanimité par les membres du Conseil, et c ’est dans cet esprit que fut rédigé le rapport du 20 mai, bien qu’il ait été décidé, dans un esprit de conciliation, que cette enquête n ’aurait lieu que s’il était impossible d 'am ener la cessation du conflit et un accord sur la question de fond.

Le 27 mai, le Ministre des Affaires étrangères de Bolivie fit connaître la décision de son gouvernement sur le rapport du 20 mai. Il confirma entièrement l ’a ttitude de son gouvernement concernant la nécessité d ’établir d 'abord un compromis d ’arbitrage et de délimiter le terrain de la discussion ; il déclara que son gouvernement estimait que « le plan conçu par le Comité des Trois ne réussirait pas à établir la paix à bref délai » et que « la Commission chargée de négocier un armistice préliminaire ferait un effort stérile ». La Bolivie demandait de procéder à un nouvel examen de la question et accompagnait sa demande de la menace suivante: « Il convient encore de déclarer que le Gouvernement bolivien estime que la Bolivie occupe un siège à la Société des Nations en qualité de pays associé, avec le droit d'exposer librement son cas. Si ce droit se trouvait restreint de quelque manière, la Bolivie se considérerait comme invitée à rompre toute discussion. »

Dans une communication en date du 6 juin, le représentant du Paraguay énuméra les condi­tions qui, de l ’avis de son gouvernement, pourraient conduire à la paix. Cette note affirmait à nouveau la nécessité de la cessation immédiate des hostilités, accompagnée de mesures de sécurité, d ’une démobilisation, d ’une enquête, d ’une solution du différend par voie de conciliation ou d ’arbitrage. Il é tait d it également que le Paraguay désirait, pour la paix et la tranquillité des deux pays, l’institution d ’un régime stable et approprié de communications et d ’accès à la mer, confor­mément aux suggestions formulées à la Conférence de Mendoza. En même temps, le représentant du Paraguay déclarait que son pays n ’avait jamais m anqué d ’exprimer son point de vue quant ay fond du litige, précisant que, selon la thèse paraguayenne, les limites naturelles du Chaco coïncident avec les limites historiques de l’ancienne province du Paraguay. Il énuméra ces limites, mais uniquement « à titre d ’indication et non, par conséquent, avec un caractère sine qua non », comme il le déclara dans une note postérieure en date du 16 juin.

Le 8 juin, le Comité des Trois communiqua aux parties une proposition tendant à la mise en application du rapport du 20 mai. A son tour, cette proposition fut repoussée par la Bolivie, dont la délégation déclara, dans un mémorandum en date du 13 juin, que « l’opinion bolivienne pourrait commencer à concevoir de sérieuses inquiétudes du fait de l ’incompréhension qui semble avoir accueilli à Genève l ’énoncé de ses points de vue ». A cette occasion, la Bolivie confirmait intégralement tous les points de sa réponse à l ’Acte de Mendoza, y compris sa proposition tendant à ce que le tribunal d ’arbitrage se composât de tous les présidents de cours suprêmes de justice d ’Amérique.

Le Comité des Trois entam a directement des négociations avec la délégation bolivienne. Le 20 juin, il invita la Bolivie à donner son assentiment immédiat à l ’envoi de la Commission, avec le m andat défini le 20 mai. Il é ta it entendu que cette acceptation ne privait pas la Bolivie du droit de soumettre au Comité du Conseil ses vues sur le reste dudit rapport. La Commission s ’acquitterait de son m andat « considéré dans son ensemble, de la meilleure manière possible, d'après la situation qu’elle trouverait sur place et en vue d ’assurer un règlement rapide et per­m anent du différend ».

La délégation bolivienne répondit le 26 ju in en acceptant l ’envoi de la Commission « comme il est prévu dans le rapport soumis au Conseil le 20 mai dernier ». En même temps, elle déclarait que son gouvernement adm ettait « que le compromis arbitral et la suspension des hostilités soient négociés simultanément afin d ’aboutir à une solution conjointe ».

Le même jour, le président du Comité des Trois fit savoir à la délégation bolivienne que le Comité adm ettait que « l ’acceptation par le Gouvernement bolivien de l’envoi d ’une commission, comme il est prévu dans le rapport soumis au Conseil le 20 mai dernier, n ’implique pas que ce gouvernement renonce à ses points de vue... ».

C'est sur la base de ces négociations que fut élaboré le rapport du 3 juillet où, après un histo­rique des négociations du 8 juin, il est dit:

« Les deux parties avaient des vues entièrement divergentes sur un point d ’une grande impor­tance. Sans doute, l’une et l ’autre écartaient-elles un simple armistice et souhaitaient-elles une cessation définitive des hostilités, mais, tandis que, pour le Paraguay, cette cessation, accompagnée de mesures de sécurité efficaces, évitant la reprise des hostilités, devait précéder les négociations en vue de l'établissement d ’un compromis d ’arbitrage, la Bolivie soutenait que l’établissement du compromis devait précéder la cessation des hostilités.

« En présence de cette divergence de vues, le Comité des Trois est arrivé à la conclusionque la seule solution pratique serait que la Commission accomplît son m andat, considéré dans son ensemble, de la meilleure manière possible, d 'après la situation qu'elle trouverait sur place, et en vue d 'assurer un règlement rapide et perm anent du différend, ce qui, de l'avis du Comité, est entièrement com patible avec les termes du rapport du 20 mai.

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« C’est aussi, semble-t-il, d’après la situation qu’elle trouverait sur place que la Commission serait en mesure d ’apprécier l’opportunité de l’enquête sur les circonstances du différend, y compris l’action des deux parties au litige, enquête que, d ’après le rapport du 20 mai, le Conseil s’est réservé la faculté de lui demander. L’une et l’autre partie ont déclaré souhaiter cette enquête. Il appar­tiendrait à la Commission, qui doit tenir le Conseil au courant de la marche de ses travaux, de lui donner, dès qu’elle Je jugera possible, son avis à ce sujet.

« En vue de l’établissement du compromis d ’arbitrage, la délégation bolivienne avait, d ’autre part, proposé de substituer à la procédure prévue au rapport du 20 mai, des négociations directes à Genève entre les parties, sous les auspices du Conseil. Le Comité des Trois a estimé qu’une pareille procédure ne pouvait pas être envisagée avant que le Gouvernement bolivien eût accepté l’envoi de la Commission avec le m andat prévu dans le rapport. Si le Gouvernement bolivien acceptait l’envoi de la Commission, il serait, semble-t-il, possible, en attendant l’arrivée de celle-ci sur les lieux, d ’envisager des conversations à Genève touchant l’établissement du compromis.

« Pendant le mois de juin, le Comité a ainsi continué son examen des points de vue présentés par les deux parties, afin d ’aboutir à l’envoi sur place, dans les meilleures conditions possibles, de la Commission prévue dans le rapport du 20 mai. Le Comité a été encouragé à poursuivre ses efforts par les assurances qu’il a reçues des représentants des deux gouvernements ; l’un et l’autre souhaitent la fin des hostilités et un règlement définitif du conflit qui a déjà coûté tan t de vies humaines.

« Le 26 juin, la délégation bolivienne, se référant à la correspondance qu’elle avait échangée avec le Comité, a fait savoir qu’elle acceptait, au nom de son gouvernement, l’envoi d ’une commis­sion, comme il est prévu dans le rapport. Elle a tenu, en même temps, à faire une déclaration.

« La correspondance échangée entre le Comité et la délégation bolivienne, y compris notam­ment la communication du 26 juin contenant la déclaration faite par cette délégation en acceptant l’envoi de la Commission, et la réponse du Comité à cette communication, est annexée au présent rapport. Il résulte de ces textes que le Gouvernement bolivien admet que le compromis d ’arbitrage et la suspension des hostilités soient négociés simultanément afin d ’aboutir à une solution conjointe.

« Il semble donc que le Conseil soit aujourd’hui en mesure de nommer la Commission prévue dans le rapport du 20 mai. Pour gagner du temps, le Comité a cru utile de recueillir les points de vue des délégations des deux parties touchant la composition de cette commission.

« Quant à la proposition relative à des négociations directes à Genève, un laps de temps appréciable devant nécessairement s’écouler avant l’arrivée de la Commission sur place, le Comité est prêt, dans l’intervalle, à poursuivre des conversations avec les deux parties, touchant la préparation d ’un compromis d ’arbitrage. Si, comme le Comité l'espère, ces conversations aboutis­saient, le m andat de la Commission se trouverait allégé d ’autant. Dans le cas, toutefois, où le compromis ne pourrait être établi avant l’arrivée de la Commission sur place, c’est naturellement la Commission elle-même qui devrait, conformément au point 2 de son mandat, « préparer, en consultation avec les deux gouvernements intéressés, un compromis d ’arbitrage ». »

Ce document m ontre que le Conseil, dans l’impossibilité d ’obtenir l’adoption formelle d ’une procédure régulière, en raison de l’attitude de la Bolivie, décida de renvoyer la question tout entière à la Commission spéciale qui devait se rendre en Amérique du Sud. Toutefois, aucune dérogation n ’a été apportée au contenu du rapport du 20 mai.

Il ne ressort ni du texte ni des antécédents du rapport du 3 juillet que le Conseil ait adopté la thèse de la simultanéité des négociations. La seule référence qui y soit faite est celle d ’une simple déclaration unilatérale de la Bolivie. Ce pays accepta, à la fin, le rapport du 20 mai, et se réserva seulement le droit d ’exposer ses points de vue sur la procédure de négociation qui y était adoptée.

Le rapport du 20 mai garda toute sa valeur, bien que la Commission fût autorisée à exécuter son mandat « considéré dans son ensemble, de la meilleure manière possible, d ’après la situation qu’elle trouverait sur place ». La Bolivie voulait limiter les pouvoirs accordés le 20 mai à la Com­mission, mais n ’y réussit pas. Le nouveau rapport, au contraire, accrut ces pouvoirs en donnant à la Commission la plus grande latitude dans ses attributions. Dès lors, c’est à la Commission qu’appartenait le choix de la procédure qu’elle jugerait la plus propre à réaliser la paix, sans toutefois s’écarter pour cela des principes directeurs du rapport du 20 mai, qui ne furent jamais enfreints ni modifiés.

L’unique simultanéité qui y fût consentie était celle des négociations à entamer à Genève, en attendant que la Commission se constituât sur les lieux. C’est ainsi que l’a toujours entendu le Paraguay, comme il ressort de la déclaration formelle que fit son représentant devant le Conseil en acceptant le rapport du 3 juillet. « Il est bien entendu, déclara M. Caballero de Bedoya, que ces pourparlers n’auront qu ’un caractère essentiellement provisoire, et ne sauraient, en aucun cas, être envisagés comme un acquiescement anticipé à la priorité du compromis arbitral par rapport à la cessation des hostilités, ou encore comme l ’acceptation de la thèse de la simultanéité des deux procédures. »

Il y a lieu de noter que l’attitude de la délégation bolivienne fut à tout moment une attitude d obstruction ouverte, poussée jusqu’au point de manquer à la considération due au Conseil. C est ainsi que le dernier paragraphe de la note du 26 juin faisant savoir que le Gouvernement bolivien acceptait l’envoi d ’une Commission, est ainsi conçu :

« Considérant qu’il est d ’une grave importance d ’éviter que le Gouvernement de Boliviene puisse, à un moment donné, se trouver dans la nécessité d ’avoir à repousser une proposition

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du Conseil, la délégation de Bolivie se croit en droit d ’espérer que le Gouvernement bolivien ne sera pas invité, comme conséquence de son acceptation de l’envoi de la Commission, à accorder un arbitrage autre que celui qui est envisagé ci-dessus, pas plus que la cessation des hostilités avant que, faute d ’un accord direct entre les parties, soit établi un compromis d ’arbitrage. »

Cette déclaration constitue une menace voilée. Elle prévient le Conseil qu’il ne doit rien proposer qui puisse être repoussé par la Bolivie, car ce rejet aurait « une grave importance ».

D ’autre part, les délégués boliviens répandaient à Genève la version que leur pays se retirerait de la Société des Nations dans le cas qui vient d ’être indiqué. Naturellement, dans de telles conditions, il était difficile de négocier. L ’attitude de la Bolivie contrastait avec celle du Paraguay, qui s’est toujours montré respectueux et conciliant. Ce qu ’il faut faire ressortir dans l’attitude de la Bolivie, c’est que ce pays n ’a jamais accepté d ’autre procédure que celle de la négociation directe pour définir le compromis arbitral. L ’arbitrage préliminaire préconisé lorsque les parties ne peuvent arriver à définir la litis contestatio, é tait catégoriquement exclu par le Gouvernement bolivien.

La proposition de la Société des Nations se réduisait aux termes suivants: i° envoi d ’une commission chargée d’étudier la question sur place, avec les attributions et les buts exposés dans le rapport du 20 mai; 2° négociations directes entre les parties à Genève, en a ttendant que la commission parvînt à destination.

Telles étaient les circonstances lorsque le Gouvernement du Brésil offrit ses bons offices. Les deux E ta ts belligérants demandèrent au Conseil d ’accorder un m andat spécial aux quatre pays limitrophes afin que leurs représentants, constitués en commission, pussent tenir lieu de commission de la Société des Nations. Nous n ’allons pas examiner les raisons qui déterminèrent le Gouvernement paraguayen à accepter cette suggestion ; en revanche, il convient de signaler que ce gouvernement m it un très grand espoir dans l'intervention des pays voisins, pour diverses causes, parmi lesquelles on peut mentionner les suivantes : i° la Bolivie, renonçant à son attitude fuyante, acceptait la nouvelle intervention de l ’A.B.C.P. e t demandait que l ’on accordât à cette dernière « un mandat ample avec toute liberté d ’initiative et d ’action, pour que l’A.B.C.P. puisse suggérer et obtenir une formule de paix » (note du 29 juillet adressée au Conseil par les délégués de la Bolivie) ; 20 la circonstance que les bons offices, d ’après les déclarations du chancelier de Mello Franco, devaient avoir pour base l ’Acte de Mendoza, précédemment rejeté par la Bolivie. Il y avait lieu de supposer que c’était là un grand pas perm ettant d ’aboutir au résultat désiré.

Le 3 août, le Conseil invita les Puissances limitrophes à rechercher une formule de paix, leur donnant à cet effet un m andat très large, tou t en m aintenant en vigueur le rapport du 3 juillet. En attendant la réponse, le Conseil suspendit son action.

On sait comment se déroula l’intervention de l’A.B.C.P., sous les auspices de la Société des Nations. Les Puissances en question, avant d’accepter le m andat du Conseil, voulurent examiner la situation afin de proposer aux parties les bases d ’une conciliation. Le 25 août 1933, les pays limitrophes envoyèrent une formule de règlement, qui fut acceptée par le Paraguay et que la Bolivie éluda.

Entre temps venait à expiration le délai que les quatre pays avaient fixé pour donner une réponse définitive au Conseil, et, la Bolivie ne leur ayant pas répondu de façon catégorique, ils déclarèrent, le I er octobre, qu ’ils se voyaient dans la nécessité de ne pas accepter le m andat de la Société des Nations.

Le 3 octobre, le Comité des Trois décida d ’inviter les membres de la Commission d ’enquête à se rendre en Amérique pour remplir leur mission.

Après l ’échec de la nouvelle démarche du groupe de l ’A.B.C.P., on en revint à la situation antérieure, c’est-à-dire que la Commission spéciale se disposa à se rendre sur place avec le mandat que l’on sait. Le Gouvernement du Paraguay n ’y fit nullement obstacle ; au contraire, il exprima sa satisfaction ainsi que son désir de recevoir la Commission et de faciliter sa tâche autant qu’il serait nécessaire. L ’a ttitude du Gouvernement bolivien fut fort différente. Contre toute attente, la Bolivie refusa de reconnaître le m andat de la Commission qu ’elle avait elle-même approuvé et exigea que le Conseil examinât la question à nouveau.

La délégation de la Bolivie à Genève annonçait le 12 octobre que, si le Comité des Trois ne procédait pas à une nouvelle définition du m andat de la Commission d ’enquête, le Gouvernement de La Paz « aurait le très grand regret de considérer le déplacement de la Commission comme un nouvel effort stérile ».

Cette définition devait se faire selon la méthode que la Bolivie elle-même indiquait dans ladite note. Les conditions comportaient les trois points suivants : « i° Considérant que la résolution du 3 juillet garde toute sa force, comme il appert de la résolution du 3 août, l’action de la Commission en exécution du m andat qu’elle a reçu ne pourra que se développer sur la base de la s i m u l t a n é i t é

de l'établissement du compromis d ’arbitrage et de la suspension des hostilités. Ceci posé, il est logique que la Commission s’emploie à rechercher et à proposer, au tan t qu’il est possible, les bases d ’un arbitrage ou un règlement de fond entre les belligérants ; 20 dans le cas, improbable, croyons- nous, où ces efforts n ’atteindraient pas le but proposé, il serait hautem ent souhaitable qu’après une étude approfondie, la Commission pût présenter au Conseil un rapport sur la détermination du

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territoire arbitrable. Ce rapport constituerait un avis consultatif qui faciliterait, en parfaite connaissance de cause, la détermination et la délimitation de la matière arbitrable, sous les bons auspices du Conseil; 30 quant à l’enquête sur les responsabilités de la guerre, mon gouvernement, loin de s’y dérober, est convaincu qu'elle sera rendue nécessaire à un moment donné. Il considère toutefois, dans les circonstances actuelles, qu’elle desservirait la recherche d ’une solution pacifique. »

La Bolivie s’efforçait donc d ’empêcher l’envoi de la Commission ou tout au moins de l’obliger à limiter son action d ’une façon qui marquerait le triomphe des points de vue boliviens. En effet, le premier point avait pour objet de rectifier l’acceptation par la Bolivie du principe de la simul­tanéité, en exigeant que la Commission recherchât avant tout un compromis arbitral. Le deuxième point était destiné à faire prévaloir la thèse bolivienne sur la nature du litige. Enfin, le troisième point cherchait à ajourner l’enquête sur les responsabilités.

Le Comité des Trois, qui fut saisi de ces considérations, s’étant borné à les transmettre à la Commission d ’enquête, le Gouvernement bolivien déclara le 19 octobre, par l’intermédiaire de sa délégation, que « tan t que les attributions de la Commission n ’auront pas été définies comme il sied, il se verra contraint d ’ignorer ses travaux ».

Cette grave déclaration fut formulée alors que la Commission était déjà en voyage, et la Bolivie la réaffirma, malgré toutes les instances du Comité des Trois. Le 27 octobre, ce Comité lui rappela que les termes du m andat de la Commission d’enquête avaient été adoptés par le Conseil à l ’unani­mité, y compris la voix de la Bolivie, sans qu ’il ait été apporté ni proposé aucun changement audit mandat. Le président du Comité term inait son message sur ces paroles énergiques: «Le Comité a de la peine à croire que le Gouvernement bolivien se proposerait m aintenant d ’agir d ’une manière complètement contraire à la procédure à laquelle il a donné son adhésion formelle et réitérée ».

Une attitude aussi décidée ne désarma pas la Bolivie. Le jour même où la Commission arrivait à Rio de Janeiro (31 octobre), le Gouvernement de La Paz, répondant à l’invitation du Comité de Genève de s’y faire représenter par un assesseur, déclarait que « la Bolivie maintiendra à Montevideo un observateur sans relations officielles avec la Commission ». Le I er novembre, son délégué à Genève confirma que, tan t que les conditions de son pays ne seraient pas adoptées, celui-ci se verrait « empêché de collaborer aux travaux de la Commission ». Le jour de l ’arrivée de la Commis­sion à Montevideo, ville choisie pour les premiers travaux, la légation fit devant elle, au nom de son gouvernement, les déclarations suivantes:

« Premièrement : La Bolivie a déclaré et déclare à nouveau qu'elle est pleinement disposée à soumettre son différend actuel avec le Paraguay à l ’autorité de la Société des Nations, à condition que celle-ci vise uniquement à rétablir la paix, soit par un règlement transactionnel honorable, soit par voie d ’arbitrage, en adoptant, en tout cas, une procédure compatible avec le respect dû au principe de la souveraineté nationale;

« Deuxièmement : La Bolivie a fait parvenir au Conseil, à plusieurs reprises, des propo­sitions en ce sens, depuis le début de l ’intervention de la Société au mois de mai dernier. La dernière fois, le 12 octobre, nous avons proposé que la Commission s’occupe des deux points suivants:

« i° Chercher une solution directe du différend, et« 20 Au cas où un tel règlement ne serait pas possible, étudier la délimitation possible

de la zone à soumettre à l ’arbitrage.

« Troisièmement : A la condition que les fonctions de la Commission s’exercent dans les limites définies plus haut, le Gouvernement de la Bolivie acceptera d ’y participer en désignant à cet effet ses représentants.

« Quatrièmement : La Bolivie n ’admet ni n ’adm ettra aucune fonction de caractère judiciaire que la Commission essayerait d ’exercer, soit de sa propre initiative, soit en vertu d ’un m andat de la Société des Nations. Une fonction de ce genre, non seulement porterait atteinte à la souveraineté et à l’indépendance des nations, mais encore ne ferait que compliquer la situation internationale et envenimer encore davantage le conflit actuel;

« Cinquièmement : La Bolivie ne pourra participer qu’à des négociations de paix fondées sur le principe du respect de la liberté de chaque peuple sous l ’autorité amicale de la Société des Nations. E n vue de déterminer son attitude, la Bolivie désire connaître le m andat dont est investie la Commission ainsi que le programme immédiat de travail de cette dernière. »

Désormais, la Bolivie posait des conditions non plus à la reconnaissance de la Commission d’enquête, mais à l’intervention même de la Société des Nations dans le conflit du Chaco.

Par contre, le Paraguay observa une conduite franche. Il insista dès le premier moment pour que la Commission reçût les attributions les plus larges, et, sitôt invité à désigner un repré­sentant, il le fit en déléguant en qualité d ’assesseur M. Venancia B. Galeano, député, qui se tin t à la disposition des membres de la Commission dès le jour de l ’arrivée de cette dernière à Montevideo.

En exécution des instructions qu’il avait reçues, l'assesseur paraguyen exposa à la Commission, à titre d ’information, les points de vue du Paraguay, insistant notam m ent sur l’idée de sécurité et sur la nécessité d ’une enquête pour déterminer les responsabilités de la guerre. M. Galeano invita officiellement la Commission à se rendre au Paraguay, lui offrant les commodités nécessaires.

La Commission d ’enquête, au moment d ’entrer en fonction, indiqua dans un communiqué les sentiments de haute im partialité qui l ’animaient:

« Pour la Commission, les deux pays belligérants, Membres de la Société des Nations, ont des droits identiques à être entendus: à leurs inquiétudes et à leurs sacrifices répondra, de la part de la Commission, un effort constant de compréhension. Le grand esprit national qui anime ces deux pays suscite, au sein de la Commission, des sentiments profonds d ’estime et de respect. Elle voit dans les deux peuples, non de froides entités juridiques, mais desgroupements humains soumis à une dure épreuve de douleur et de sang. »

Le 6 novembre, elle s’adressa au Ministre de Bolivie à Montevideo, lui annonçant qu’elle pouvait désormais « donner au Gouvernement bolivien l ’assurance qu’elle se propose de remplir le m andat dont l ’a investie le Conseil de la Société des Nations en respectant scrupuleusement le principe de la souveraineté nationale de la Bolivie et du Paraguay, dans le cadre du Pacte dede la Société. Elle n ’a pas besoin de rappeler les termes de ce m andat ».

Depuis l’arrivée de la Commission à Montevideo, les négociations furent presque exclusive­m ent employées à vaincre la résistance de la Bolivie; c’est à peine si l ’assesseur paraguayen fut convoqué deux fois.

Le 9 novembre, la légation de Bolivie avisa enfin la Commission que « la Bolivie désignera son représentant auprès de la Commission afin qu’il prenne part à ses travaux conformément à la communication qui a été adressée au Comité des Trois le 31 octobre » e t qui subordonnait la désignation du délégué bolivien à l’acceptation des points de vue exprimés le 12 octobre.

La Commission annonça immédiatement qu’elle entreprendrait ses visites aux pays belligérants en commençant par le Paraguay, dont l ’invitation avait précédé celle de la Bolivie.

Du texte de la note bolivienne du 9 novembre, on pouvait inférer que les conditions que la Bolivie avait imposées le 12 octobre pour sa reconnaissance de la Commission avaient été acceptées. Le Paraguay se refusa à adm ettre une telle supposition, bien que tou t accord relatif à l ’extension du m andat de la Commission dût, pour être valable, recevoir son agrément. Notre pays n 'a été informé ni alors ni plus tard d ’aucune résolution ou proposition de la Commission dans ce sens. Il n ’y a donc pas lieu d ’adm ettre que de telles conditions aient été acceptées.

Il convient cependant de signaler cette coïncidence que ta n t le plan adopté par la Commission pour ses travaux que ses deux propositions concrètes paraissent s’inspirer de la méthode indiquée par la Bolivie le 12 octobre 1933.

Le 14 novembre, la Commission, après s’être entretenue avec le Gouvernement argentin à Buenos-Ayres, s’embarqua à destination d ’Asuncion, où elle arriva le 18 du même mois.

Au Paraguay, le gouvernement prodigua toutes sortes de facilités aux membres de la Commission, qui eurent diverses entrevues avec le Président de la République, le Chancelier, la Com­mission nationale des frontières, les Commissions parlementaires, etc. Le Président de la République, dans son discours de réception, insista sur l ’idée suivante : « Nous savons, par une expérience douloureuse, que la sécurité est pour nous une question capitale, et nul ne sera surpris de voir que nous sommes irréductibles lorsqu’il s’agit de notre avenir, bien plus, de notre existence en ta n t qu’E ta t. » Dans les trois réunions qui eurent lieu en cette première période et auxquelles assistèrent le Président de la République, le ministre des Affaires étrangères, M. Justo Pastor Benitez, et le président de la Commission des frontières, M. Zubizarreta, la Commission fut saisie de données et renseignements complets sur les droits du Paraguay, la position juridique du pays concernant la guerre, l’historique des négociations diplomatiques, notam m ent depuis 1928, et elle fut mise au courant de la thèse essentielle sur la question des frontières. L'exposé fait en français par le Président de la République a été sténographié. La Commission put également examiner les cartes de géographie relatives à cette question.

La Commission séjourna deux jours dans la capitale. Le 20, elle commença à visiter le littoral ainsi que les établissements civils et militaires du Chaco.

Du 20 au 28, elle s’acquitta de cette partie de sa tâche. Voici ce que dit au sujet de ce voyage le communiqué qu’elle donna à la presse, une fois de retour à Asuncion :

« Profitant des facilités qui lui ont été aimablement offertes par le Gouvernement para­guayen, la Commission s’est rendue jusqu’à Coïmbra par le fleuve Paraguay. Diverses escales dans les ports principaux lui ont permis de visiter les établissements industriels et agricoles et de pénétrer, par chemin de fer ou par la route, dans l’intérieur du Chaco. La Commission a également rendu visite au général en chef, le général Estigarribia. Le commandant Rivera Flandes, profitant des facilités que lui accordaient les Gouvernements brésilien et bolivien, a voyagé dans un hydravion paraguayen de Bahia Negra à Corumbâ et de là à Puerto Suarez. A son retour, il rejoignit les autres membres de la Commission à Puerto Casado pour visiter le quartier général de l ’armée. De là, les membres militaires de la Commission partirent en direction du front, tandis que les autres retournaient à Puerto Casado et s’embarquaient pour Asuncion. La Commission exprime sa vive satisfaction d ’avoir eu la possibilité de voir ainsi personnellement une partie im portante du Chaco. »

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En effet, la Commission a pu inspecter sans la moindre restriction non seulement les établis­sements civils, mais encore les divers services militaires, et elle a pu se rendre compte de l ’état de notre armée.

Le président de la Commission, dans une interview qu’il accorda à La Naciôn de Buenos-Ayres, exprima son enthousiasme au sujet de l’œuvre civilisatrice que le Paraguay avait accomplie au Chaco. « Le Chaco, dit-il, n ’est plus pour la Commission cet enfer vert, uniforme, monotone et inhospitalier, décrit dans certaines relations de voyage. Il y a là des gens qui travaillent, des établis­sements industriels modernes, on y voit le résultat des efforts tentés, et les perspectives d'avenir y sont clairement perceptibles. »

Après de nouvelles entrevues à Asuncion, les membres de la Commission partirent pour La Paz, où ils arrivèrent le 5 décembre et séjournèrent plusieurs semaines. Pour des raisons que nous ignorons, ils n ’inspectèrent pas le front d ’opérations bolivien, se bornant à tenir des conférences et à visiter des établissements bancaires, miniers et industriels. Aussi, ne leur fut-il pas possible d’apprécier personnellement un des aspects capitaux soumis à leurs investigations: la réalité de la possession bolivienne au Chaco. En même temps, ils eurent pu apprécier l’é ta t de l’armée bolivienne.

Pendant son séjour à La Paz, deux jours après la reddition de deux divisions boliviennes à Campo Via, la Commission formula sa première proposition concrète, qui fut transmise le 13 dé­cembre par l'intermédiaire de la légation britannique. La formule contenait les points suivants: « i° la Bolivie accepterait la juridiction de la Cour de La Haye que le Paraguay avait déjà acceptée en adhérant sans réserve à la clause facultative ; 20 la Cour serait, après la ratification de l’Accord, saisie de requêtes séparées dans lesquelles chaque gouvernement indiquerait unilatéralement l’objet du litige et formulerait ses demandes. Les deux requêtes seraient transmises à la Cour le même jour; 30 les deux gouvernements manifesteraient leur adhésion entière à la déclaration des républiques américaines du 3 août 1932 ; 40 les hostilités cesseraient définitivement avec la mise en vigueur de l'Accord, qui, outre les clauses d ’arbitrage, contiendrait des clauses de sécurité actuellement à l’étude ; 50 la Commission a l’impression que la Bolivie ne pourra accepter la propo­sition ci-dessus que si le Paraguay confirme qu’il ne demandera à la Cour de La Haye que les limites du Chaco qu’il a indiquées à plusieurs reprises, notam m ent dans la lettre de son représentant à Genève, datée du 6 juin 1933 et publiée dans le Journal Officiel de la Société des Nations, page 780. La Commission serait reconnaissante de recevoir une confirmation télégraphique, puis écrite, de ces limites, destinée à être annexée à l ’Accord. »

Le 16 décembre, toujours de La Paz, la Commission fit savoir, par la même entremise, que, « après avoir été en communication avec le Gouvernement et les autorités militaires de Bolivie, elle était en mesure de déclarer que si le Paraguay acceptait l’arbitrage intégral de la Cour, comme il avait été exposé dans le récent télégramme de la Commission, la Bolivie ne ferait pas obstacle à l’acceptation de mesures étendues de sécurité, à savoir : i° retrait total de toutes les troupes du Chaco à bref délai; 20 démobilisation rapide; 30 forte réduction des effectifs; 40 contrôle inter­national des mesures susindiquées ». Elle ajoutait que les détails pourraient être étudiés dans une conférence de délégués que la Commission convoquerait sous ses auspices dans une ville neutre du nord de l'Argentine, « si le Paraguay donnait une réponse satisfaisante sur la question de l’arbitrage ».

Le 17 décembre, la Commission faisait connaître, toujours de La Paz et par la même entremise, que « l’arbitrage intégral décrit dans le message précédent de la Commission, a été approuvé par la Bolivie ».

Comme l’a déclaré le Gouvernement bolivien dans des documents postérieurs, l'arbitrage intégral proposé et accepté avait pour objet « de définir la souveraineté des deux pays en litige sur le territoire faisant l’objet des revendications les plus fortes déjà exprimées par les belligérants ». Cela revient à dire que la Commission adoptait la thèse bolivienne et résolvait, en première instance, l’aspect peut-être le plus im portant du problème, à l ’encontre des allégations du Paraguay. Cette idée d ’intégralité, qui n ’était certainement pas celle que le Paraguay avait précédemment acceptée, impliquait, en outre, une contradictio in adjecto restreignant à l’avance l’étendue des revendications de notre pays sans en faire autant pour celles de la Bolivie, qui étaient admises intégralement.

En ce qui concerne les conditions de sécurité, le message du 16 décembre déclarait qu’elles avaient été formulées par la Bolivie, dont les autorités militaires avaient été consultées précisément au moment où les débris épars de son armée vaincue commençaient, sous la poursuite des troupes victorieuses du Paraguay, à opérer cette même évacuation qui avait été suggérée avec, pour contre-partie, un retrait semblable de l’armée paraguayenne.

Quant à la cessation des hostilités, elle se produirait, selon la formule, «lors de l’entrée en vigueur de l’accord », et non pas au moment où serait établi le compromis. La Commission adoptait le point de vue bolivien bien connu, d’après lequel l’accord arbitral doit précéder la cessation des hostilités, et elle allait jusqu’à abandonner la formule de la simultanéité.

Le Gouvernement du Paraguay se borna à signaler l’irrégularité de la procédure que la Commission avait adoptée et qui consistait à engager, de la capitale de la Bolivie, des négociations urgentes. Pour cette raison, le Président de la République proposa, le 18 décembre, que la Com­mission se réunît à bref délai dans une capitale du Rio de la Plata, pour inviter immédiatement les belligérants à comparaître devant elle afin de négocier les conditions de sécurité et de paix. En même temps, il proposa un armistice, qui commencerait le 19 décembre à minuit, pour prendre fin le 30 à la même heure. Cette proposition s’inspirait de motifs humanitaires et avait pour objet exclusif de perm ettre que l’on s’occupât de l’énorme masse de prisonniers boliviens capturés lors de la dernière rencontre.

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La Bolivie accepta l’armistice, et la Commission informa le Gouvernement du Paraguay qu’à partir du samedi 24 décembre, elle serait à la disposition des plénipotentiaires des deux pays dans la ville de Montevideo.

M. Gerônimo Zubizarreta, sénateur, fut nommé plénipotentiaire du Paraguay. Le 25 décembre, il fit sa première déclaration devant la Commission.

A cette occasion, M. Zubizarreta exposa que le Paraguay insistait sur ses revendications concernant la sécurité et que, pour la question de fond, il ne pouvait accepter aucune procédure qui n ’impliquerait pas l’exclusion de la zone Hayes et du littoral avec l’« hinterland » correspondant, car telle était la thèse traditionnellement soutenue par le Paraguay, et que ces conditions étaient nécessaires à sa sécurité présente et future.

La Commission consacra la période de l’armistice et de sa prorogation jusqu’au 9 janvier, à exercer une pression sur notre pays pour obtenir la prolongation indéfinie et sans condition de la cessation des hostilités. La Bolivie appuya la Commission dans ses efforts, ce qui ne l’empêcha pas, à trois reprises, d ’accuser le Paraguay d ’avoir violé l’armistice dont elle désirait la prolon­gation afin de reprendre ses préparatifs belliqueux. E n même temps, elle faisait en Europe de fortes commandes d ’armes.

Notre pays, qui avait accordé l ’armistice pour des fins humanitaires, jugea menaçante pour sa sécurité une prolongation sans garantie effective contre un retour quelconque à l’é ta t de guerre.

La Commission, qui, dans sa première formule, avait proposé la cessation des hostilités après l ’entrée en vigueur de la sentence arbitrale, c’est-à-dire après la ratification du traité par les parlements des deux pays, fit alors du maintien de la trêve une condition de la continuation de son action en faveur de la paix. Le 6 janvier, elle fit savoir aux deux gouvernements que « si les hostilités sont reprises, ses travaux de conciliation prendront fin et toute perspective de rétablisse­ment de la paix sera définitivement éloignée ».

Le Gouvernement du Paraguay n ’a pas consenti à la deuxième prolongation de l’armistice, parce que cette prolongation aurait servi plutôt à couvrir les préparatifs militaires de la Bolivie et à faire durer la guerre encore plus longtemps.

La Commission suspendit alors totalem ent ses démarches, et, le 12 janvier, elle adressa au Conseil un exposé de la situation qui se term inait par la déclaration suivante:

« La Commission qui, dans l’atmosphère créée par l ’armistice pouvait espérer rapprocher les parties, a estimé que la poursuite de ces négociations était incompatible avec la reprise des hostilités et le fit connaître aux deux gouvernements. Mandataire du Conseil, la Commission laisse à celui-ci le soin d ’apprécier une situation dont elle a indiqué les éléments essentiels, et elle a ttend sur place le résultat des délibérations du Conseil. »

Le Conseil a examiné la situation le 20 janvier. Il a approuvé un rapport dans lequel il a déclaré attacher « le plus haut prix à la poursuite des efforts de la Commission ». Il était dit dans ce rapport que, « en ce qui concerne le règlement du fond, le Conseil estime qu’il est loisible à la Commission d ’essayer tous les moyens d ’aboutir à un règlement : règlement judiciaire, règlement arbitral, règlement direct, aidé, le cas échéant, par de bons offices, le bu t essentiel étant d ’aboutir à une solution assurant la paix et les bonnes relations entre les parties ». E n conséquence, le Conseil de la Société des Nations, écartant les scrupules de la Commission, l’a priée « de reprendre avec les parties l’étude de tous les aspects du problème et des possibilités pratiques de solution ».

Le Conseil rectifiait ainsi l’erreur commise par la Commission, qui se croyait en possession de l’unique moyen de résoudre la question, en la subordonnant entièrement à une décision sur la matière à arbitrer. L ’affaire prend dès lors beaucoup plus d ’ampleur, et il serait injuste d ’oublier la réalité des faits, les événements survenus, pour s ’accrocher à des formules préconisées pour éviter les conflits. Le Paraguay ne pouvait pas être contraint, après tan t de sacrifices, à renoncer à sa thèse traditionnelle, d ’après laquelle il s’agit d ’une question de frontières et non pas d’un litige territorial ; il en est de même pour les garanties qui sont à la base de ses exigences pour tout règlement.

Le Conseil conférait de nouveau à la Commission les facultés les plus étendues. Dès ce moment, la Commission avait pour m andat « d ’essayer par tous les moyens d ’aboutir à un règlement » e t d ’étudier avec les parties « tous les aspects du problème et les possibilités pratiques de solution », sans donc que ce m andat fût strictem ent défini.

Pour ce qui est des hostilités, le Conseil s’est borné à rappeler qu’au moment d 'adopter son rapport du 3 juillet, il se trouvait en présence de cette même situation que la Commission prétendait être incompatible avec ses négociations.

Le 16 janvier, avant que le Conseil se prononçât, le Comité des Tnr’s s’était adressé à la Commission pour l ’inviter instamm ent à poursuivre ses travaux.

Lorsque les négociations furent reprises officiellement, la délégation du Paraguay, composée de MM. Geronimo Zubizarreta et Vicente Rivarola, Ministre plénipotentiaire en Argentine, a présenté, le 6 février, les « lignes générales » suivantes pour un traité de sécurité et de paix avec la Bolivie :

« I. à) Les troupes boliviennes évacueront le Chaco et se retireront à Villa Montes y Roboré; b) les troupes paraguayennes se retireront aux points terminus des voies ferrées existant dans le Chaco ; Bahia Negra sera également occupée par les troupes paraguayennes ;c) la police du Chaco incombera au Paraguay et sera exercée exclusivement par ce pays;d) les deux parties procéderont à la démobilisation de leurs armées. Cette démobilisationdevra commencer dans le délai d e ....................Elle devra être entièrement terminée avant le................................. La démobilisation comportera le retour des soldats dans leurs foyers ;e) les effectifs des deux armées seront ramenés, pour le temps de paix, au chiffre d e .................Cette obligation sera valable p e n d a n t .................................Elle sera sujette au contrôle de laSociété des Nations.

« II. Le Paraguay et la Bolivie s’engageront à résoudre la question des frontières par voie d ’un arbitrage juridique. Lorsque le tra ité de paix aura été approuvé ou ratifié par les parlements des deux pays, les Hautes Parties contractantes négocieront le compromis d ’arbitrage, dans lequel seront déterminés la matière spécifique du litige, la procédure, les modalités de l ’arbitrage et tous autres points inhérents à la nature dudit compromis.

« III . Une procédure sera ouverte par-devant le tribunal qui sera réuni, pour rechercher et établir les responsabilités découlant de la guerre actuelle et les sanctions qu’elles appellent.

« IV. Les prisonniers de guerre seront restitués après que le traité de paix aura été approuvé ou ratifié par les Congrès ou parlements des deux pays.

«V. Les mesures de sécurité auxquelles ont tra it les paragraphes a), b), c), d), e), et /) du chapitre I, seront prises dès la signature du traité par les plénipotentiaires des deux pays et, par conséquent, sans attendre la sanction législative. »

Ce projet fut présenté à Buenos-Ayres après que le négociateur, M. Zubizarreta, se fut mis en contact avec les membres du gouvernement et des commissions parlementaires au cours d'un voyage ex professo.

Ledit projet s’inspirait du désir de remettre à une date plus éloignée les difficultés qu’entraînait le règlement du problème du fond, difficultés qui s’avéraient pour le moment insolubles, en raison des circonstances. Il aurait eu pour résultat la paix immédiate, qui était l’objectif de la Commission de la Société des Nations. Il aurait rendu en même temps possible la discussion des questions de fond dans une atmosphère de calme, sans qu’il y eût lieu de craindre de nouvelles rencontres ou la reprise de la guerre.

La Bolivie, sans élever contre le projet des objections fondamentales, s’est bornée à présenter la contre-proposition suivante:

« Le Gouvernement bolivien propose que le Traité de paix, dans sa partie essentielle, stipule dès aujourd’hui l’arbitrage juridique dans les conditions suivantes : i° l’accord des deux parties sera consigné dans un acte de compromis d ’arbitrage afin que chaque partie connaisse par avance le maximum des prétentions ; 2° l ’arbitrage devra être juridique et conforme aux principes de la déclaration du 3 août des nations américaines ; 30 dans le compromis d ’arbitrage seront fixées les prétentions maximums des deux pays, conformément aux déclarations offi­cielles faites jusqu’ici par-devant la Société des Nations, c ’est-à-dire: pour la Bolivie, jusqu’au confluent du rio Pilcomayo et du rio Paraguay ; pour le Paraguay, le territoire compris entre les rivières Otuquis e t Parapiti, la chaîne de Chiriguanos, le rio Pilcomayo et le rio Paraguay. La Cour perm anente de Justice internationale statuera sur le différend dans ces limites, sans en sortir e t sans intervenir en d ’autres points non consignés dans le compromis ; 40 dans le compromis d ’arbitrage seront fixés, en termes précis et péremptoires, les règles de procédure à suivre pour la solution du différend, sans que cela signifie la méconnaissance des règlements pertinents de la Cour permanente de Justice internationale ; 50 les représentants des deux pays, sous les auspices des délégués de la Société des Nations, conviendront des dispositions visant la sécurité, la démobilisation et les autres questions de caractère militaire. Le Gouvernement bolivien réitère ses déclarations antérieures, aux termes desquelles, une fois accepté et approuvé l’arbitrage juridique assurant le rétablissement de la paix, il ne fera pas obstacle à la réalisation d’une condition quelconque de sécurité pour les deux pays, s’il n ’est pas attribué à l’un d ’eux des droits d ’occupation refusés à l ’autre. Ni la Bolivie ni le Paraguay ne pourront nier qu’une fois l’accord réalisé sur le règlement de fond de la controverse, toute intention de maintenir des effectifs supérieurs à leurs nécessités du temps normal aura disparu. »

Le projet bolivien était inacceptable pour les raisons suivantes : i° il préjugeait la question en faveur de la thèse de la Bolivie en définissant le litige comme un litige territorial; 2° il limitait les droits du Paraguay sans limiter les prétentions boliviennes ; 30 il n ’établissait pas d ’une manière précise de quelle façon devait être conclu le compromis d ’arbitrage ; 40 il rendait possible la prolon­gation de la guerre tout le temps que dureraient les formalités prévues par la Constitution pour la conclusion du tra ité d ’arbitrage; 50 il om ettait le point concernant la cessation des hostilités ; 6° il laissait de côté la question des garanties, dont l’importance est capitale ; 70 il excluait la possibi­lité d’élucider la question des responsabilités de la guerre et de la sanction à appliquer au pays coupable; 8° il posait d ’ores et déjà le principe de l’égalité des droits des deux pays à l’occupation du Chaco, ce qui n ’est justifié ni par la situation de fait ni par la situation de droit des belligérants.

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Les deux formules réaffirmaient par-devant la Commission les points de vue opposés. Le Para­guay insistait sur la nécessité que la cessation des hostilités fût antérieure au compromis d ’arbi­trage et qu’elle fût accompagnée de mesures de sécurité adéquates; la Bolivie insistait pour que la cessation des hostilités intervint après la conclusion du compromis d ’arbitrage et sa ratification par les voies constitutionnelles, sans a ttribuer aucune importance aux mesures de sécurité. Pour ce qui est de la question de fond, le Paraguay persistait à la définir comme une question de frontières et la Bolivie comme un différend territorial. Enfin, le Paraguay insistait sur la recherche des responsabilités, question que la Bolivie s’abstenait d ’envisager.

La Commission, présidée par M. Alvarez del Vayo, a annoncé qu’elle préparait une formule intermédiaire. On espérait qu’elle s’efforcerait de concilier les points de vue contradictoires. On ne croyait pas possible qu ’elle adoptât, en totalité ou en partie, les allégations de l’une seulement des parties et qu’elle fît abstraction de la situation réelle créée par la guerre.

La proposition a été présentée le 22 février. Le projet comprenait des dispositions relatives à la cessation des hostilités, au retrait des troupes, à la police, à la démobilisation, à la réduction temporaire des effectifs militaires, à l'interdiction pour un certain temps d ’acquérir des armes, au rapatriem ent des prisonniers et à la définition, par arbitrage, du différend de frontières. Il prévoyait, en outre, la convocation d ’une conférence économique des pays limitrophes.

Voici, en substance, ce que prévoyait le projet pour ce qui est des points principaux de la cessation de la lutte, des garanties et de l’arbitrage:

Les hostilités devaient cesser vingt-quatre heures après l’entrée en vigueur du traité, c’est- à-dire douze heures après sa ratification par les deux pays.

Les deux armées devaient évacuer le Chaco : l ’armée bolivienne se retirerait à Villa Montes y Roboré et l ’armée paraguayenne sur le rio Paraguay.

La police serait exercée conjointement : par le Paraguay à l’ouest du rio Paraguay jusqu’au méridien 61° 30' et au parallèle 20, et par la Bolivie jusqu’au méridien 62 et au parallèle 19° 30'. Dans la zone intermédiaire, la police serait faite d ’un commun accord par les deux pays. Le tribunal de La Haye indiquerait les mesures conservatoires nécessaires pour éviter les incidents.

La Cour permanente de Justice internationale statuerait sur le différend, la Bolivie affirmant ses droits jusqu’au confluent du rio Pilcomayo et du rio Paraguay, et le Paraguay soutenant de son côté que ses droits à l ’ouest du rio Paraguay s’étendaient jusqu’aux limites entre l’ancienne province du Paraguay et le gouvernement militaire de Chiquitos.

La Bolivie renonçait aux réserves formulées contre l’attribution au Paraguay, par la décision du Président Hayes, du territoire compris entre le rio Verde et le bras principal du Pilcomayo.

Le Paraguay, de son côté, renonçait aux réserves formulées contre le Traité de Pétropolis et déclarait en conséquence qu’il revendiquait comme frontières : au nord, les monts de Chochis, les rivières Aguas Calientes, Otuquis et rio Negro; à l’ouest, le rio Parapiti et la chaîne des Chiriguanos, et au sud, le rio Pilcomayo.

Le Gouvernement du Paraguay a remis le 3 mars, dans le délai im parti aux deux pays, sa réponse au projet de la Commission. Dans cette réponse étaient formulées les objections fonda­mentales au projet. Voici en résumé les considérations énoncées dans la réponse du Paraguay:

Le projet de la Commission ajourne la cessation des hostilités jusqu’après la ratification du tra ité par les deux pays, ce qui donnerait lieu au cas extrêmem ent singulier et sans précédent de l’examen par un parlement d ’un tra ité de paix pendant que les armées continuent à se battre. Le Paraguay insiste sur la nécessité de convenir préalablement de la cessation des hostilités sous un régime de garanties.

La proposition concernant le retrait des forces ne tient pas compte de la position actuelle des belligérants. Elle n ’est pas équitable parce qu’elle impose aux troupes paraguayennes un recul beaucoup plus considérable que celui qui aurait été accompli par les forces boliviennes. Le retrait des forces paraguayennes en pleine zone Hayes est par ailleurs inconciliable avec le fait que la souveraineté du Paraguay sur cette région avait été précédemment reconnue.

Le régime politique préconisé est de nature à faire naître des incidents sans que la seule autorité de la Cour permanente de La Haye suffise pour les empêcher. La police doit, en toute justice, être confiée exclusivement au Paraguay, qui a dans le Chaco des intérêts considérables a sauvegarder.

La Bolivie serait autorisée à soutenir ses prétentions jusqu’au confluent du rio Pilcomayo et du rio Paraguay, ce qui est en contradiction avec la disposition relative au retrait des réserves formulées par la Bolivie contre la sentence Hayes ; le Paraguay devrait retirer les réserves form ulées par elle contre le tra ité de délimitation des frontières entre le Brésil et la Bolivie, signé en I 9°3' sa n s qu’une condition similaire soit imposée à la Bolivie en ce qui concerne le s traités par lesquels l’Argentine et le Brésil reconnurent le Chaco comme appartenant au Paraguay. Si le prem ier tra ité met des barrières a u x droits du Paraguay, on ne saurait nier que les derniers avaient pour objet d ’écarter immédiatement les prétentions de la Bolivie sur le Chaco. La prétendue com pensa tion entre la renonciation du Paraguay à ses droits sur le territoire situé au nord du rio Negro et l ’abandon des réserves formulées par la Bolivie contre la sentence Hayes, n ’est pas réelle, car il s’agit de situations différentes et non comparables. Le Paraguay, en plus de ses titres et de sa possession, peut se prévaloir d ’une sentence internationale sur le triangle formé par les rivières Paraguay, Pilcomayo et rio Verde.

Le projet conçoit et présente le différend comme une question territoriale, conformément à la thèse de la Bolivie. Le différend du Chaco n ’est pas un différend territorial, mais un différend de frontières, ainsi qu’il a été exposé à diverses occasions à la Société des Nations, et comme il ressort des documents publiés par la chancellerie. Les rives du fleuve n ’ont jamais été soustraites à aucune époque à la juridiction du Paraguay. Tout ce qui existe au Chaco est le fruit de l ’effort civilisateur fait par le Paraguay. De plus, la souveraineté du Paraguay sur les rives du fleuve est une condition immuable de la sécurité présente et future de ce pays, ce qui confère à ce problème un aspect éminemment politique et lui enlève le caractère d ’un problème susceptible d’arbitrage.

Les frontières en litige sont celles de la région occidentale du Paraguay et des départements voisins de la Bolivie. Pour les délimiter, il faut avoir recours aux principes généraux du droit international et aux précédents du régime colonial.

L’arbitrage est une méthode préventive de la guerre. Le Paraguay a offert amplement l’arbitrage dans son désir d ’éviter la guerre. La Bolivie n ’a pas adopté la même attitude, et la guerre a éclaté. Il n ’est pas surprenant que le Paraguay n ’ait pas maintenu son point de vue au sujet de l’arbitrage dans la même ampleur qu’avant un événement aussi grave.

Le projet de la Commission exclut la notion de la responsabilité. Dans l ’intérêt de la justice, base de l ’ordre international, on ne doit pas laisser impunie une action qui a causé tan t de dommages, parce que l’impunité serait un encouragement à de nouvelles guerres. Les deux pays étant membres de la Société des Nations, la recherche de la responsabilité est obligatoire. Elle l’est également en vertu du m andat confié à la Commission d ’enquête.

Pour ce qui est de la conférence économique envisagée déjà par la Conférence panaméricaine de Montevideo, on peut estimer qu’elle serait plus utile si elle était réunie aussitôt après la fin des hostilités et avant l ’ouverture de la procédure d ’arbitrage, de façon à examiner les divers aspects du différend et principalement le problème économique et celui des communications, puisqu’on a voulu représenter cette guerre comme le résultat de l’aspiration à un accès à la mer, dont arguait la Bolivie pour justifier ses prétentions sur les rives du fleuve, qu’elle n ’a jamais occupées et qui probablement ne lui seraient d ’aucune utilité, du moins dans le Haut-Paraguay et dans les ports peu profonds. La Bolivie dispose aujourd’hui de débouchés plus commodes et plus avantageux au point de vue économique. L’aspiration de la Bolivie ou la nécessité qu’elle éprouve ne suffisent pas pour convertir en territoire litigieux les rives du rio Paraguay.

Vu ces objections, le Paraguay a demandé que l’on traite sur les bases générales suivantes:

« i° Cessation immédiate des hostilités avec garanties de sécurité ;

« 2° La position des noyaux des forces adverses doit être, au sens militaire du mot, équidistante des lignes de séparation desdites forces au moment de l ’accord sur la cessation des hostilités ;

« 3° Un seul pays, le Paraguay, doit assurer la police de sûreté dans le territoire du Chaco, étant entendu que l ’on pourrait stipuler qu’il ne saurait être fait état par-devant l’arbitre de l'exercice de cette faculté en soi;

« 4° La matière de l’arbitrage devra être la détermination des frontières qui, dans l’«hinterland» occidental du rio Paraguay et dans les régions non soumises à l ’arbitrage, séparaient es provinces du Paraguay du gouvernement militaire de Chiquitos et des provincesl du Haut-Pérou ;

« 5° La Conférence des pays limitrophes se réunira après la conclusion de la paix et avant l’introduction de la procédure d ’arbitrage;

a 6° Le tra ité autorisera la Commission de la Société des Nations à enquêter sur la responsabilité de l ’origine de la guerre et à faire rapport à ce sujet afin que la Société des Nations, par l ’entremise de l’organe compétent, détermine les sanctions que comporte le cas. »

Le Gouvernement bolivien a donné sa réponse le 6 mars après l’expiration du délai imparti aux deux pays.

Dans cette réponse, la Bolivie rappelle qu’elle a accepté la proposition antérieure de la Com­mission de la Société des Nations tendant à soumettre à l’arbitrage juridique de la Cour de La Haye «le territoire délimité par les prétentions maximums déjà formulées par les belligérants ». A la nouvelle proposition de la Commission, il objecte qu’il n ’y a pas de raison juridique justifiant1 exclusion, au bénéfice du Paraguay, d ’une partie du territoire qu’il qualifie de contesté. Il se déclare disposé néanmoins à la considérer et à l’accepter si cette exclusion est compensée par une autre, équivalente, en faveur de la Bolivie sur le rio Paraguay. Pour ce qui est des mesures de sécurité, la Bolivie ne leur attribue pas d ’importance; elle croit néanmoins qu’elles doivent être équitables et tenir compte, comme se doit, de la souveraineté des deux parties. Une fois les moyens assurant la solution du conflit adoptés, les mesures transitoires de sécurité seront facilement réglées. Enfin, la Bolivie suggère l ’opportunité d ’instituer des conférences de plénipotentiaires des deux pays sous les auspices de la Commission de la Société des Nations.

En résumé, la Bolivie rejetait la formule de la Commission dans ses grandes lignes. Elle insistait sur son ancienne prétention d ’exclure en sa faveur, avant tout arbitrage, la moitié du Chaco et réaffirmait sa thèse d ’après laquelle les mesures de sécurité doivent être examinées et arrêtées après le règlement de la question de fond.

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La suggestion de nouvelles conférences, contenue dans la réponse bolivienne, a été transmise par la Commission au Gouvernement du Paraguay. Le 10 mars, la délégation du Paraguay a répondu que son gouvernement « n ’avait pas confiance en l'efficacité de nouvelles négociations, mais qu’il serait disposé à les accepter pourvu que la Commission de la Société des Nations nourrît quelque espoir de succès ». Elle ajoutait : « Aucun délai ne devra être fixé pour les négociations, qui pourront être considérées terminées quand la Commission ou l’une des parties jugera inutile de les poursuivre. Indépendamment de ces négociations, la Commission devra commencer une enquête sur les respon­sabilités de la guerre et sur les violations du droit des gens. »

Le 12 mars, eurent lieu les premières conférences. On aurait pu espérer que, du moment que l ’initiative était partie de la Bolivie, ce pays se présenterait avec de nouvelles directives justifiant les négociations. Toutefois, la délégation de la Bolivie s ’est bornée, à cette occasion, à répéter les prétentions déjà rejetées catégoriquement par le Paraguay sans laisser la moindre lueur d ’espoir d ’un accord probable. Notre pays, de son côté, n ’a pas eu de motifs de changer son attitude, fondée sur des considérations de justice.

La Commission a délibéré ensuite sur cet échange de vues. Le résultat de ses délibérations fut l ’abandon de son activité en Amérique, comme elle l’a annoncé dans un communiqué remis le même jour à la presse :

« L ’ample échange de vues, dit le communiqué, qui a eu lieu aujourd’hui en présence de la Commission entre les plénipotentiaires des deux pays, a démontré clairement que les posi­tions des parties sont maintenues dans leur divergence initiale, telle qu’elle s’est révélée par les réponses des deux gouvernements, sans qu’il se soit produit entre eux ni que se soit fait entrevoir comme possible, dans un avenir prochain, le moindre progrès vers un terrain d ’entente. Après avoir étudié ce débat sous ses divers aspects, la Commission est arrivée à la conclusion que les perspectives de succès qu’aurait pu présenter une négociation de ce genre ont été réduites, après la réunion d ’aujourd’hui, à un minimum tel que rien ne justifie un nouvel ajournement du retour de la Commission à Genève, où elle préparera et présentera un rapport au Conseil. »

La délégation du Paraguay, dans sa communication du 10 mars, a insisté une fois de plus pour que la Commission procède à l ’enquête sur les responsabilités de la guerre. Deux jours auparavant, réfutant les appréciations contenues dans un mémorandum bolivien, elle a fait par-devant la Commission un ample exposé, dans lequel elle a examiné les principales preuves documentaires qui dérignent la Bolivie comme l’auteur du conflit armé.

La Commission n ’a pris en cette matière aucune décision. La seule déclaration faite à ce sujet est celle qu’elle a formulée le 12 mars, à savoir:

« Pour ce qui est de l’enquête sur la responsabilité de la guerre, demandée également par le Gouvernement du Paraguay, la Commission fait remarquer qu’il résulte des rapports adoptés par le Conseil de la Société des Nations, avec le concours des représentants des deux parties, que le Conseil se réservait la faculté de demander cette enquête lorsque la Commission aurait formulé son jugement sur son opportunité. La Commission ne peut, pour le moment, que transm ettre au Conseil l ’avis qu’il lui a demandé de donner sans fixer de délai précis pour le formuler, mais en laissant à son appréciation de l’é ta t des négociations le choix du moment indiqué pour le faire. Cela a été fait la semaine dernière dans une communication sur la question de la responsabilité de la guerre, rédigée et envoyée le 10 mars par la poste aérienne à Genève e t que le Secrétariat de la Société des Nations s’est chargé de faire connaître ».

Il en résulte que la Commission ne s’est pas considérée qualifiée pour procéder à l’enquête tan t que le Conseil ne l ’aurait pas demandée. Mais, en même temps, le Conseil ne pouvait pas décider de son attitude sans connaître préalablement l ’avis de la Commission. Cet avis fut envoyé à Genève le 10 mars. Son texte ne nous est pas connu, mais sa teneur peut être déduite du fait que la Commission, sans attendre la décision à ce sujet du Conseil, s’est embarquée pour l’Europe, m ettant fin à son activité.

(Signé) R. V. Ca ba llero d e B ed o y a ,

Envoyé extraordinaire et Ministre plénipotentiaire du Paraguay en France,

Délégué à la Société des Nations.