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    Expliquer un texte littraire : ce que la recherche en didactique de la littrature peut

    apporter au renouvellement et la diversification des pratiques

    Si nous sommes tous daccord sur la ncessit den finir avec une conception

    trique de la littrature, qui la coupe du monde dans lequel on vit (T. Todorov) et dedonner du sens la lecture et ltude des textes littraires, reste cependant entire la question

    du comment . Comment en particulier susciter lintrt pour la littrature ?

    Ce que je voudrais apporter ici, ce sont quelques pistes proposes par les recherches en

    didactique de la littrature. Car il me semble difficile dsormais de faire lconomie dune

    telle didactique si on veut permettre tout enseignant, et pas seulement quelques matres

    charismatiques, denseigner la littrature.

    Je commencerai par rappeler rapidement les raisons pour lesquelles a merg une

    didactique de la littrature dans les annes 90. Puis je donnerai une vision densemble de ses

    ancrages thoriques et de ce quoi elle sintresse, avant daborder plus longuement les

    propositions didactiques sur lesquelles dbouchent ces recherches travers la question du

    sujet lecteur. Les deux premires parties seront volontairement courtes, car destines avanttout donner le cadre dans lequel sinscrit la rflexion sur le sujet lecteur que je dvelopperai

    plus longuement.

    I. De la didactique du franais la didactique de la littrature

    1. La constitution dune didactique du franais et non des lettres dans les annes 701

    La didactique du franais qui sest constitue dans les annes 70 sest largement construite

    contre lenseignement des lettres2 et en particulier contre le modle traditionnel de cet

    enseignement que la didactique du franais naissante sest plutt attache contester:

    - Critique de lapproche impressionniste des uvres, volont de rationaliser ce quirelevait jusqualors du jugement esthtique et affectif3.

    - Remise en cause du rle de lcole dans la reproduction des ingalits sociales, dans ledomaine de la culture littraire particulirement4.

    - Influence de leffervescence thorique des annes 1950-60 (structuralisme, nouvellecritique, linguistique de lnonciation et pragmatique) sur la 1re gnration de

    didacticiens, qui y trouvrent la fois une lgitimit pour critiquer lordre ancien et

    des outils thoriques pour repenser lenseignement de la littrature.

    1

    Ce rappel sappuie en grande partie sur larticle de synthse de Bertrand DAUNAY : Etat des recherches endidactique de la littrature ,Revue franaise de pdagogie n 159, avril-mai-juin 2007, p. 139-189. Pour une

    synthse plus complte, se reporter son article.2

    1967 : cration de lAssociation franaise des professeurs de franais (AFPF) qui deviendra lAFEF en 1973 et

    entend runir des enseignants de tous les niveaux scolaires. Le fait mme davoir choisi lappellation

    professeur de franais plutt que professeur de lettres est significatif. Lenseignement de la littrature

    tait conu comme une des composantes de la discipline franais et la question de la littrature ramene aux

    questions de lecture, voire dcriture, sans constituer un champ autonome dans les recherches didactiques. 3Constat dune crise propos du statut du texte littraire dans la classe de franais : dans les Instructions

    officielles fin XIXe-dbut XX

    e, la fonction du texte littraire tait denseigner les valeurs dominantes de la socit

    (donner des leons de morale ou de civilisation, constituer une identit culturelle) et de prsenter le modle

    dune belle langue imiter (se forger un style). La transmission de ces contenus se faisait surtout par

    imprgnation. Cette cohrence sest altre progressivement dans la 2e

    moiti du XXe

    sicle.4

    Mfiance vis--vis de la littrature patrimoniale dans le contexte de mai 68. La littrature devient un patrimoinesuspect, la composante inutile dune culture fallacieuse parce quhritage bourgeois et le lieu de manifestation de

    la distinction (Bourdieu et Passeron, 1964 et 1970).

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    Un accent particulier est mis sur la critique des manuels en usage et de leurs morceaux

    choisis 5 et plus encore surlexplication de texte6.

    Sous linfluence des thories structuralistes et linguistiques, se fait jour lide dune lecture

    comme pur exercice de lintelligence , comme travail ne requrant ni sympathie, ni fusion

    motionnelle, mais savoir-faire technique et connaissance scientifique : des analysesobjectivables pourraient alors remplacer la subjectivit culturelle, lrudition littraire, la

    communion esthtique. Les IO de 1987 introduisent donc la lecture mthodique7 en lieu et

    place de lexplication de texte.

    La didactique sappuie sur les notions de texte et de discours (en lieu et place de celles

    duvre et de langue) et il ny a pas de dtermination a prioridune catgorie de textes dits

    littraires susceptibles dune approche spcifique. Le corpus des textes stend dailleurs

    des textes poss comme non littraires (articles de presse, textes scientifiques, publicit) et

    une place moindre est faite aux textes littraires canoniques, intgrs dans une catgorie large

    de textes et documents .

    Les annes 1980 voient se dvelopper les travaux sur les typologies textuelles ou discursives

    qui ont pu faire passer au second plan dautres dimensions des textes, notammentaxiologiques ou esthtiques, au profit de la connaissance dune grammaire textuelle.

    Lensemble de ces aspects, pour intressants quils soient dans leur contribution une

    meilleure connaissance du fonctionnement linguistique des textes, a contribu minorer la

    place du littraire dans la didactique du franais et susciter une raction des littraires

    devant la difficult pour faire exister une didactique spcifique de la littrature.

    2. Lmergence dun champ de recherche en didactique de la littrature dans les annes

    90

    A ltat dinterrogation la fin des annes 80 et au dbut des annes 90, la didactique de la

    littrature revendique de plus en plus sa spcificit, ce qui va se traduire en 2000 par la

    cration des rencontres des chercheurs en didactique de la littrature . Pourquoi le

    dveloppement dune recherche en didactique de la littrature ce moment l ?

    a) Des raisons qui touchent la situation de lenseignement de la littrature :

    - une rponse aux critiques sur le formalisme des tudes littraires et leur drivetechniciste : la lecture est rduite un relev, plus ou moins minutieux, de signes

    5

    Canonisation des textes littraires (que permet la pratique de lanthologie), conception de luvre commeexpression dun auteur (do limportance du discours biographique et psychologique dans les manue ls et des

    exercices dominants).6Lauteur y est la seule source identifiable du texte analyser, do un discours psychologique sur les intentions

    de lauteur et les ides du texte, le texte est ainsi ramen un message .7

    Voir Michel Descotes, La Lecture mthodique. De la construction du sens la lecture mthodique, CRDP de

    Toulouse, 1989. Par la lecture mthodique, il sagit de faire acqurir aux lves des mthodes de lecture

    applicables des objets lire de plus en plus nombreux, de plus en plus divers (rponse une demande sociale).

    La capacit de lecture doit se caractriser par sa flexibilit. Un bon lecteur dispose dune capacit ouverte de

    lecture et sait adapter ses mthodes la grande diversit des objets lire, sans pour autant se dtourner de lafrquentation des textes littraires. La lecture mthodique sapplique donc tous les textes, littraires ou non.

    Le texte littraire conserve toute son importance comme objet lire pour constituer, dvelopper, affiner une

    capacit de lecture, mais lire le texte prend le pas sur en faire lexplication.

    La substitution de la lecture mthodique lexplication sinscrit dans un projet ducatif plus large : par lalecture, on implique directement llve dans le processus de lapproche des textes(alors que lexplication donne

    une part plus grande au professeur qui dirige lexplication).

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    visibles , le plus souvent des phnomnes syntaxiques et lexicaux ( grilles de

    lecture), qui occupe les lves dans des tches matrielles objectivement valuables8.

    - un problme persistant : la dsaffection pour la lecture en gnral et celle de lalittrature en particulier; lrosion de la srie littraire (1960 : 38,6% des diplms,

    1992 : 16,4% des bacheliers) ; la crise persistante des humanits et en mme temps la

    raffirmation de leur importance travers une rflexion sur les valeurs et les finalitsde la littrature9.

    b) Un renouveau thorique :

    A la fin des annes 70 se produit une rupture pistmologique dans le champ des tudes

    littraires. De la primaut accorde jusque l au texte et ses fonctionnements structuraux on

    passe la priorit donne au lecteur sur le texte et aux phnomnes de rception. Diffrents

    travaux affirment en effet que la source productrice de sens nest pas vraiment ou pas

    seulement dans le texte, mais aussi et peut-tre dabord dans le rcepteur, le sujet lisant. On

    passe donc, pour le dire vite et dans son application didactique, dune conception de la

    littrature comme chose la littrature comme activit : celle de lcrivain et celle des lecteurs

    sans lesquels le texte na pas dexistence10.La didactique de la littrature va ainsi se construire en insistant sur lactivit de lecture et les

    cheminements interprtatifs.

    Elle va sappuyer galement sur la sociologie et lhistoire de la lecture qui se dveloppent

    au mme moment.

    Voir la prsentation duFranais aujourdhui, Lecteurs de littrature , n 121, mars 1998,

    qui tmoigne de cette situation : Ce numro parat [] opportun dans un contexte de remise en question vigoureuse des drivestechnicistes dans lenseignement de la littrature. [] Certes linstrumentalisation issue desthories (structuralisme, linguistique, narratologie) na pas tenu toutes ses promesses. Elle a mme

    peut-tre jou le rle dun leurre pour rsoudre les difficults daccs la littrature dun publicqui ne fonctionne plus dans la connivence culturelle si tant est que cela ait t le cas un jour.Mais le risque serait grand dun retour en arrire, limpressionnisme de lexplication, la gloseunivoque qui occulterait le fait que ce retour aux outils a eu partie lie avec la dmocratisation delenseignement.[] dune re centre sur la clture du texte et ses mcanismes, il semble que nous soyons passs

    une centration sur le sujet lecteur et donc sur la rception de la littrature. Ce qui implique derviser bon nombre de reprsentations et de pratiques dans la classe. Cette prise en compte dulecteur, essentielle, doit encore simposer, mais dbouche sur de nouvelles interrogations. Enparticulier quelles mdiations, quels outils utiliser ou inventer pour accompagner les lves dansleur appropriation dune relation aux textes littraires et, au-del, de la littrature ? (p. 3-4)

    8LaNRF, n525, octobre. 1996, p. 4-5 dnonce le crime parfaitou presque[qui] sorganise, perptr avec

    les gants blancs et les instruments lisses de la science contre le gnie littraire , limagination ,

    lexprience ; la nouvelle langue de bois qui vacue le sens et luvre. Dnonciation galement de G.

    Steiner, D. Sallenave, A. Finkielkraut.9Rappel de ce qucrivait Todorov dans Critique de la critique (1984) : [La littrature] ne serait rien si elle ne

    nous permettait pas de mieux comprendre la vie. 10

    Deux ides simposent: tant quil nest pas concrtis dans une lecture donne, le texte est un produit

    inachev, un message purement virtuel ; considr en lui-mme, le texte est un ensemble dindterminations,

    douvertures de sens que seule la collaboration active dun lecteur peut transformer en systme organis de

    signes. La pluralit des sens et donc des interprtations nest pas une ide nouvelle (voir la notion de lectureplurielle chez Barthes, par exemple) : les structuralistes en ont mme fait une caractristique du texte littraire.

    Mais jusquici, la polysmie tait considre comme le fait du texte lui-mme, et non de la lecture.

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    c) Des raisons plus institutionnelles :

    - de nouveaux programmes au collge en 1996 puis au lyce en 2001, et ensuite lcole primaire en 2002 qui renouvellent contenu et mthodes de lenseignement de la

    littrature et suscitent ractions, dbats et nouveaux objets de recherche ;

    - lincitation dvelopper la recherche dans les IUFM et la volont des littraires de nepas abandonner cette recherche aux didacticiens venus des sciences du langage et trsactifs dans le champ de la didactique du franais, notamment travers lAssociation

    Internationale pour la Recherche en Didactique du Franais (AIRDF) qui a succd

    la DFLM.

    d) Que revendiquent les chercheurs en didactique de la littrature ?

    Les rencontres internationales annuelles des chercheurs en didactiques de la littrature,

    cres en mars 200011, sont nes du besoin largement ressenti dans la communaut des

    enseignants et des chercheurs en didactique de la littrature, de disposer dun espace

    dchange spcifique. Ces chercheurs ont souhait galement :

    - se distinguer de la position de repli que constitue trop souvent la rfrence lalittrature (malaise latent qui inspire certains des comportements dfensifs et

    conservateurs).

    - remettre en cause les ruptures entre les diffrents niveaux de lenseignement : penserune discipline denseignement de la maternelle la terminale (comme ctait dj le

    cas pour la didactique du franais) ce qui l aussi les distingue de certains

    mouvements comme Sauver les lettres qui ne sintressent la littrature que dans

    le secondaire.

    - raffirmer la spcificit de la littrature et son importance dans lenseignement etcompenser, ce faisant, la minoration du littraire dans une approche globale de

    lenseignement du franais.

    Ce projet correspondait sans doute un rel besoin puisque 10 aprs, ces rencontres onttoujours lieu, chaque anne, et quelles ont t lorigine dun important dveloppement de la

    recherche en didactique de la littrature12.

    II. La recherche en didactique de la littrature : des objets spcifiques

    En une dizaine dannes sest ainsi constitu un champ de recherche avec ses objets et ses

    mthodes. Je ne retiendrai ici que ceux qui sont en lien avec notre sujet, savoir lexplication

    littraire.

    1. Une rflexion sur la lecture littraire et la place du sujet lecteur dans lenseignement

    de la littrature

    En sappuyant notamment sur les travaux en sociologie de la lecture, la didactique de la

    littrature sest interroge sur les rapports entre lecture prive et lecture scolaire13

    . On ne peut

    en effet ignorer le conflit ancien et la tension entre les deux, mme si linstitution scolaire a

    invent des formes de lecture nouvelles qui sinspirent des formes de la lecture prive (lecture

    duvres intgrales, lecture cursive) pour susciter le dsir de lecture et r-ancrer la lecture

    11A linitiative de membres de LLA (Lettres, langages et arts - Toulouse 2) et du CELAM (Centre dtudes des

    littratures anciennes et modernesRennes 2).12Voir le tableau recensant les principaux colloques et rencontres en didactique de la littrature.

    13DEMOUGIN Patrick, MASSOL Jean-Franois (dir.),Lecture prive et lecture scolaire, CRDP de Grenoble, 1999.

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    littraire dans la lecture ordinaire des lves. Mais objets et pratiques passent avec

    difficult dun espace vers lautre et la didactique de la littrature na pas fini de chercher des

    dispositifs pour tenter de rconcilier les deux formes de lecture.

    Faire place la lecture subjective en classe est une des voies possibles de cette

    rconciliation : jy reviendrai.

    2. Une redfinition des notions dinterprtation et de comprhension

    Remettant en cause une hirarchie traditionnelle et une progression qui voudrait quil faille

    dabord comprendre pour ensuite interprter et que linterprtation soit ainsi rserve

    lenseignement secondaire, et plus particulirement au lyce et luniversit, la didactique de

    la littrature a travaill approfondir la connaissance et la description des actes de

    comprhension et dinterprtation des uvres littraires et artistiques14 : elle envisage la

    relation entre comprhension et interprtation tous les niveaux de lenseignement et

    considre que comprhension et interprtation sont luvre dans la lecture de tout texte 15.

    Les expriences conduites dans les classes avant et aprs la publication des programmes de

    2002 pour lcole primaire en tmoignent largement. Cest ainsi que ces mmes programmesont introduit le dbat interprtatif comme activit spcifique pour aborder la littrature et

    invit les enseignants le pratiquer ds la maternelle.

    3. Une rflexion sur les corpus

    Autre objet dtude privilgi par la didactique de la littrature : la rflexion sur les

    corpus16. Ltude de la constitution des corpus pose en effet la question de la dfinition de la

    littrature scolaire et au-del peut-tre celle de la littrature tout court si, pour reprendre une

    rplique clbre de Barthes, la littrature, cest ce qui senseigne . Or, depuis les annes 60,

    ce corpus a t passablement bouscul et largi. La lgitimation de la littrature de jeunesse,

    travers les listes accompagnant les programmes de collge de 1996, puis dans les programmes

    de lcole de 2002, a non seulement provoqu de nombreux dbats, mais surtout ouvert un

    champ de recherche nouveau, tant du ct des tudes littraires que de la recherche en

    didactique sur la manire denseigner cette littrature lcole17.

    Avant cela, le corpus lu et tudi lcole avait connu dautres largissements : du ct des

    mauvais genres , science fiction et littrature policire ; du ct de la bande dessine18 ; du

    ct enfin des littratures francophones19 et de la littrature trangre (hors littrature de

    jeunesse) ou encore de la littrature contemporaine pour adultes. Cette ouverture des

    champs nouveaux (sans mme parler de limage ou du cinma) entre en tension voire en

    14

    Le colloque Interprtation et transmission littraire aujourd'hui organis Cergy-Pontoise en 2008 a tainsi laboutissement de nombreux travaux notamment en didactique.15

    Catherine Tauveron, dont les travaux ont inspir les programmes et accompagnements de programmes de 2002

    pour la littrature, pose mme lide que linterprtation prcde la comprhension et quon ne peut apprendre

    comprendre sans en mme temps apprendre interprter (Le franais aujourd'hui, n137, p. 20). Ce qui ne

    veut pas dire quil y a toujours interprter, comme pourrait le laisser penser labus qui a pu tre fait du dbat

    interprtatif.16

    Cette rflexion a fait notamment lobjet des 9mes

    rencontres des chercheurs en didactique de la littrature

    Bordeaux en 2008.17

    Lalbum, notamment, en raison de linteraction texte-image qui est au principe de son fonctionnement, a ttout particulirement tudi, interrog, expriment dans de nombreux dispositifs didactiques. Voir en particulier

    Lalbum contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ?, C. Conan-Pintado, F. Gaiotti etB. Poulou (dir.),Modernits n28, Presses Universitaires de Bordeaux, 2008.18

    Qui peine pourtant toujours se faire une place lcole, do le colloque organis en mai 2010 Grenoblesur Lire et produire des bandes dessines lcole .19

    Sujet des 10mes

    rencontres Sousse en Tunisie en 2009.

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    contradiction avec lobjectif de transmission dun hritage culturel qui est galement assign

    lenseignement de la littrature. Cest ainsi la notion de patrimoine littraire ou celle de canon

    qui est interroge.

    Mais encore faut-il connatre les choix qui sont rellement faits par les enseignants, et si

    ltude des corpus explicites (instructions officielles, manuels) est riche denseignements,

    notamment dans une perspective diachronique20

    , la recherche entreprend galement de mettreau jour les corpus implicites, en particulier les choix des enseignants, leurs critres, les valeurs

    sous-jacentes, les quilibres et les consensus sur les uvres lire ou tudier.

    Cest ainsi quune enqute a t conduite en 2006 sur un chantillon reprsentatif

    denseignants de collge pour mieux connatre ce que les enseignants donnent lire en uvre

    intgrale et lecture cursive et galement mesurer des volutions depuis une enqute mene au

    dbut des annes 9021. Pour le rsumer en quelques mots, on constate chez les enseignants de

    franais :

    - une prsence toujours forte des classiques lie lide que la transmission dupatrimoine culturel est une des tches prioritaires de leur discipline ;

    - la forte prsence de la littrature de jeunesse et ladhsion aux orientations desprogrammes de 1996 dans ce domaine ;

    - la dispersion gnrale des titres cits qui tmoigne de linstabilit du corpus et de ladifficult faire merger une culture commune qui ferait consensus ;

    Ces rsultats tmoignent de compromis et dune hsitation sur les valeurs :

    Sil semble bien que les enseignants tiennent leur rle de professeurs de littrature, leurconception de cette dernire semble moins claire dans les faits que ne le laisseraient penser lesrponses aux questions sur le patrimoine littraire voques ci-dessus. En tmoignent lesapprciations de la littrarit des uvres qui leur ont t soumises dans une autre question et les

    fortes variations, parfois inexplicables, de ces apprciations par rapport 1994, comme si lecaractre plus ou moins accessible dune uvre pour les lves daujourdhui en venait treinterprt comme un indice de littrarit. En outre, le corpus des uvres nest plus s table, sans

    doute davantage marqu par certaines modes et succs du moment, par les effets de loffreditoriale ou des propositions de certaines revues pdagogiques que par des certitudes sur la valeur

    des uvres. Il est donc difficile de faire merger une culture commune qui ferait consensus,chacun cherchant les meilleurs compromis entre les prconisations des programmes, ses

    conceptions et gots personnels et la ralit des lves. Les premiers rsultats de notre enqutetmoignent donc dune hsitationsur les valeurs ou, en tout cas, dune transition entre le modleancien encore bien reprsent par lenqute de 1994 et un nouveau qui se cherche. 22

    Enfin, une rflexion plus rcente sur la bibliothque intrieure est apparue aux rencontres de

    Bordeaux, en lien avec la question du sujet lecteur. Les recherches portent notamment sur la

    culture littraire construite par lcole: ce que les lves retiennent des corpus, ce quils en

    font et la manire dont ils construisent leur bibliothque intrieure partir (ou non) des

    propositions des enseignants, et interrogent lcart entre culture institutionnellement proposeet culture littraire intriorise.

    20Voir par exemple les travaux de Nathalie Denizot sur la scolarisation des genres dans l'enseignement

    secondaire franais, de 1802 nos jours et la notion damphitextualit quelle labore partir de trois tudes de

    cas (la tragdie classique, le "biographique" en classe de premire et les textes fondateurs en sixime) pour

    dcrire une forme particulire de contextualit, qui dsigne les relations qu'un texte entretient avec les autres

    textes poss ct de lui, dans les manuels, les groupements de textes, et plus gnralement dans les pratiques

    disciplinaires. Voir galement le travail dAnne-Raymonde de Beaudrap surCandide La scolarisation deCandide dans les parascolaires et plus rcemment dans les manuels.21

    Danile Manesse et Isabelle Grellet,La littrature du collge, Nathan-INRP, 1994.22

    I. Olivier, A. Vibert, Professeurs de lecture ou de littrature ? Entre dire et faire, une enqute sur le rapport personnel

    des enseignants la littrature , inDUFAYS Jean-Louis,Enseigner et apprendre la littrature aujourdhui, pourquoi faire ? Sens, utilit, valuation, Presses Universitaires de Louvain, collection Recherches en formation

    des enseignants et en didactique , 2007.

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    III. Les recherches sur le sujet lecteur : des pistes suggestives pour une autre approche

    de lexplication littraire ?

    A. Cadr e gnral des recherches sur le sujet lecteur : la rflexion didactique sur la lectureli ttrai re

    La notion de lecture littraire apparat officiellement en 1984 quand Michel

    Picard lui consacre un colloque Reims. Puis elle est reprise par les didacticiens et par un

    universitaire comme Vincent Jouve qui lance une revue intitule La lecture littraire. Elle

    prend une relle importance dans le champ didactique dans les annes 90. Elle permet de

    sadosser la fois aux recherches littraires les plus rcentes (les thories de la lecture des

    annes 70) et aux nombreuses recherches didactique sur lapprentissage de la lecture

    (rflexions didactique sur la comprhension dinspiration psycholinguistique, renouveau des

    pratiques de lecture scolaire). La notion permet dinterroger lacte de lecture (scolaire

    notamment) et de concevoir un enseignement qui ne soit pas seulement centr sur le texte,

    mais sur la relation texte-lecteur.

    1. Origine : thories sur le lecteur comme ple important de la lecture de la littrature

    la fin des annes 70 et au dbut des annes 80

    a) Thor ies regroupes par commoditsous le nom de thor ies de la rception :

    Approches :

    - socio-historique de Hans Robert Jauss : Pour une esthtique de la rception (1972) ;Pour

    une hermneutique littraire (1982),

    - poticienne et esthtique de Wolgang Iser : LActe de lecture, thorie de leffet esthtique(1976)

    - ou smiotique dUmberto Eco :Lector in fabula, 1979.

    b) Approche psychanalytique de M ichel Picard

    Dans La lecture comme jeu (1986), M. Picard ne sintresse pas au lecteur abstrait,

    comme Iser ou Eco, mais au lecteur rel, empirique, dans une perspective psychanalytique.

    Cest lui qui le premier parle de lecture littraire et envisage les consquences

    pdagogiques des propositions thoriques quil labore23.

    Dans La Lecture comme jeu, il distingue au cur de lacte de lire lexistence de trois

    instances lectrices dans le lecteur, trois identits qui se superposent et interagissent :

    - le liseur maintient sourdement, par ses perceptions, son contact avec la vie physiologique,

    la prsence liminaire mais constante du monde extrieur et de sa ralit

    24

    . Cest le corpslisant.

    - le lu sabandonne des pulsions plus ou moins sublimes, des identifications, [] duprincipe du plaisir25, jusquaux limites du fantasme. Il renvoie linconscient du lecteur

    qui ragit au texte et sabandonne aux motions. Cest le lecteur pris au jeu, sujet lillusion

    rfrentielle, linstance sollicite parle play 26, linvestissement imaginaire.

    23Il influence Jean-Louis Dufays et Annie Rouxel dans leur rflexion didactique sur la lecture littraire : J.-L.

    Dufays,Pour une lecture littraire1. Approches historique et thorique : propositions pour la classe de franais(rdit en 2005, De Boeck)et le colloquePour une lecture littrature (1996) ; Annie Rouxel,Enseigner la

    lecture littraire, PUR, 1996.24

    La Lecture comme jeu, p. 214.25

    Ibid., p. 112.26Pour dcrire la rception des textes, il se rfre au modle du jeu qui peut se prsenter sous deux formes

    (distinction du psychanalyste Winnicott entre play et game ) : le playing : jeux de rle ou de

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    - le lectant fait entrer dans le jeu par plaisir la secondarit, attention, rflexion, mise enuvre critique dun savoir. Cest linstance intellectuelle capable de prendre du recul pour

    interprter le texte, le lecteur critique, conscient quil joue, qui met le texte distance et

    sintresse la complexit de luvre.

    Ainsi tout lecteur serait triple (mme si lune ou lautre de ses composantes est

    atrophie) 27

    . Dans lactivit de lecture, ces trois instances interfrent en un jeu subtil departicipation et de distanciation, le liseur et le lu fondant la participation et linvestissement

    fantasmatique du sujet lecteur, et le lectant instaurant une distance avec le texte. La lecture

    littraire est ainsi un jeu, un va-et-vient, un rapport dialectique entre les diverses instances du

    sujet lecteur. Et cest loscillation participation-distanciation qui nourrit le plaisir du lecteur.

    En dfinitive, selon Michel Picard, cest nanmoins la posture distancie qui permet le plaisir

    esthtique.

    c) Modle repris et prcispar Vincent Jouve28qui :

    - renonce au liseur;- reprend le lucomme lment passif pour renvoyer aux effets de la lecture sur linconscient

    du lecteur et la satisfaction dans la lecture de certaines pulsions inconscientes. Cest leniveau de lecture o, travers certaines scnes , le lecteur retrouve une image de ses

    propres fantasmes 29.

    - affine le lectant en se fondant sur lide que le texte est dabord une construction qui

    suppose un architecte : lauteur qui guide le lecteur dans sa relation au texte. Il distingue :

    - le lectant jouantqui sessaye deviner la stratgie narrative du texte,- le lectant i nterprtan t, qui vise dchiffrer le sens global de luvre ;

    - invente le lisant, instance qui se laisse piger par lillusion rfrentielle et accepte de croireau monde fictif le temps de la lecture.

    2. Dfinition de la lecture littraire

    Il faut donc entendre la lecture littraire non pas simplement comme la lecture de la

    littrature qui a connu diffrentes formes scolaires (explication de texte, lecture mthodique,

    lecture analytique), mais comme une conception de la lecture fonde sur une tension entre

    lecture investie (lecture vcue intimement dans lidentification et/ou la projection du lecteur

    dans les espaces fantasmatiques que propose le texte) et lecture distancie, plus objective,

    appuye sur des outils danalyse, laborant des significations rationnelles.

    Si, comme le suggrent les smiologues et thoriciens de la rception, l'uvre littraire doit

    toujours tre actualise et complte grce l'investissement de ses lecteurs, celui-ci ne

    saurait rester limit une attitude rationnelle et savante. Quand il s'intresse un texte qu'il

    est en train de lire, le lecteur n'adopte pas seulement la "posture lettre" qui est celle que

    construit l'enseignement littraire travers ses exercices classiques (commentaire compos enparticulier) : il simplique dans luvre et on prcisera plus lo in de quelle faon.

    simulacre, dimagination, de fiction, fonds sur lidentification une figure imaginaire ; le game : jeux de

    rgles, de stratgie, caractrerflexif, comme le jeu dchecs. Le playing senracine dans limaginaire dusujet ; le game rclame la mise distance. La lecture implique ces deux types de jeu, identification et

    distanciation, toutes deux requises et cadres par le texte.27

    Ibid.28

    DansLEffet personnage dans le roman (1992). Voir aussi du mme auteurLa Lecture, Hachette (Contourslittraires), 1993.29

    La Lecture,p. 36.

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    3. Enjeux de la lecture littraire conue comme va-et-vient dialectique entre lecture

    subjective, investie et lecture distancie

    Il sagit, en recourant une telle conception de la lecture littraire, de rpondre une crise

    de la lecture de la littrature et de dfendre lenseignement des lettres dans le contexte

    difficile de la dsaffection des publics adolescents pour la lecture de la littrature (confirme

    par les travaux des sociologues de la lecture). Cette conception se veut galement une rponseaux critiques faites la lecture mthodique et aujourd'hui analytique.

    Faire place au sujet lecteur dans la lecture littraire est en effet un moyen de redonner du

    sens, personnel et social, un enseignement littraire trop marqu par le formalisme et le

    technicisme30. Les critiques convergent pour pointer labsence dinvestissement subjectif,

    intellectuel et motif des lves dans ce qui est devenu le rituel dun exercice (une pratique

    sans croyance pour reprendre lexpression de Christian Baudelot).

    Pas tonnant : la lecture analytique entend former un lecteur habile rpondre aux

    injonctions du texte et ce lecteur en tant que sujet na gure voix au chapitre. Enseigner la

    littrature, cest dune certaine faon codifier la faon de lire les uvres, comme le rappelle

    Alain Viala. Du coup, bien souvent, llve se dsengage et ne saffirme pas face au texte. De

    fait, les lves ou les tudiants se trouvent souvent incapables de formuler un jugementcritique sur un texte, paralyss par la peur de ne pas dire ce qui est attendu par lenseignant.

    Mais il ne sagit pas pour autant, on va le voir, dun retour du b alancier qui reviendrait

    considrer le texte littraire comme un simple support de lpanchement subjectif.

    B. L a question du suj et lecteur31

    La problmatique du sujet lecteur sinscrit en effet dans la thorie gnrale de la lecture

    littraire comme interaction entre les lecteurs et les uvres. En 2004, la notion de sujet lecteur

    ouvertement questionne au colloque de didactique de Rennes32. En 2007, Le Franais

    aujourd'hui lui consacre un numro : Sujet lecteur, sujet scripteur, quels enjeux pour le

    didactique ? (n157, juin 2007).La question de la subjectivit du lecteur a dabord t aborde de manire thorique dans

    la rflexion critique sur la littrature : il sagissait dtudier la fois les stratgies de

    sollicitation des lecteurs qui animent les uvres et les reconfigurations des uvres par

    lactivit des lecteurs. La rflexion didactique ne sen est empare quensuite.

    1. Limplication du lecteur dans luvre : une ncessit fonctionnelle de la lecture

    littraire

    Comme lcrit Pierre Bayard, le monde que produit le texte littraire est un monde

    incomplet [] o des pans entiers de la ralit font dfaut 33 et Le texte se constitu[e] pour

    une part non ngligeable des ractions individuelles de tous ceux qui le rencontrent et

    30Dj, en 1986, Michel Picard constatait dansLa Lecture comme jeu que pour bon nombre dlves et

    dtudiants, une dngation craintive leur interdit denvisager quun texte puisse dterminer autre chose quun

    dcodage rationalisant plus ou moins compliqu alors que dautres textes, par exemple lus hors programme,

    dclenchent chez eux des motions sans commune mesure apparente avec le ditexplicite 30

    . Plus rcemment,

    Tzvetan Todorov accuse dansLa littrature en pril: Une conception trique de la littrature, qui la coupe du

    monde dans lequel on vit, s'est impose dans l'enseignement, dans la critique et mme chez nombre d'crivains.

    Le lecteur, lui, cherche dans les uvres de quoi donner sens son existence. Et c'est lui qui a raison .31

    Cettepartie de lexpos sappuie en grande part sur la contribution de Grard Langlade et Marie-JosFourtanier : La question du sujet lecteur en didactique de la littrature dans FALARDEAU Eric et al. (dir.), Les

    voies actuelles de la recherche en didactique du franais. Qubec, Presses de lUniversit de Laval, 2007,

    p. 101-123.32

    ROUXEL Annie et LANGLADE Grard dir.,Le sujet lecteur, lecture subjective et enseignement de la littrature,P. U. R., 2004.33

    Qui a tu Roger Ackroyd ? 1998, p. 127.

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    laniment de leur prsence 34. Ainsi, partir de failles fictionnelles, voire de dtails

    minuscules, des pans entiers de la vie dun personnage peuvent tre complts . La

    rflexion thorique a donc montr quune part de lecture investie existe chez des lecteurs

    experts, savants, en particulier chez les grands lecteurs que sont les crivains (Balzac lecteur

    de La Chartreuse de Parme, Journal de Gide, Journes de lecture de Proust, Journal de

    lecturesdAlberto Manguel, P. Dumayet, Autobiographie dun lecteur)35

    . Le lecteur, quelquil soit, ralise un investissement fictionnel dans luvre tout en affirmant la cohrence

    objective de sa lecture.

    Le contenu fictionnel dune uvre est toujours investi, transform, singularis, par lactivitfictionnalisante du lecteur qui produit des images et des sons en complment de luvre(concrtion imageante et auditive), ragit ses caractristiques formelles (impact esthtique),tablit des liens de causalit entre les vnements ou les actions des personnages ( cohrence

    mimtique), (re)scnarise des lments dintrigue partir de son propre imaginaire ( activitfantasmatique), porte des jugements sur laction et la motivation des personnages (raction

    axiologique). 36

    2. Une rflexion qui a d saffirmer dans un contexte thorique dfavorableEn effet, la lecture implique est considre a priori comme dvalue : traditionnellement,

    elle est rapporte aux lectures crdules, immdiates, cest--dire enfantines, populaires, non

    savantes Lcole sest attache endiguer toute tentative dimplication affective des lves

    pour les amener la lecture distancie de lexpert et du lettr. Il sagit l dune tendance de

    longue dure puisque, pour Lanson dj, il importait avant tout dchapper aux caprices du

    lecteur en atteignant une connaissance impersonnelle vrifie des uvres37.

    En s'appuyant sur diffrents travaux38, J.-F. Massol et B. Milcent ont mis en vidence, au

    colloque sur Le texte du lecteur (Toulouse, 2008), les relations, souvent d'opposition, qui

    existent entre la posture lettre telle que l'exige le commentaire actuel et la subjectivit

    lectrice :

    Ainsi on peut opposer :l. la concrtisation imageante et auditive 39 versus la mfiance de la lecture lettre pour lesajouts personnels ;2. les recompositions auxquelles procde le sujet lecteur versus le respect des droits du texte dont la dcouverte est guide par le lecteur modle ;3 la raction axiologique qui amne le lecteur porter des jugements sur l'action et la

    motivation des personnages versus l'habitude rcente de l'objectivit du regard sur le texte,laquelle empche de s'intresser aux personnages comme personnes ;

    34Ibid. p. 130.

    35

    Pierre Bayard montre dans sonEnqute sur Hamletque mme les analyses critiques qui se donnent pour lesplus objectives tmoignent des effets de transformation des donnes fictionnelles de luvre (selon les modes

    opratoires de lajout, la suppression ou la recomposition). Ainsi est-il difficile, quand on lit certaines des

    lectures dHamlet, de croire que les critiques parlent du mme texte. Mais cest queffectivement ils parlent,

    partir dune uvre commune, dun texte devenu pour chacun diffrent. (Bayard, 2002, p. 162).36

    N. Lacelle & G. Langlade, Former des lecteurs/spectateurs par la lecture subjective des uvres , in J.-L.

    Dufays,Enseigner et apprendre la littrature aujourdhui pour quoi faire ?, P. U. de Louvain, 2007, p. 55.37

    Avant-propos , Textes franais et histoires littraires, Nathan, 1965, cit par G. Langlade et M.-J.

    Fourtanier (op. cit., p 102).38

    P. Bayard (Qui a tu R. Ackroyd ?, Minuit, 1998 ), J. Bellemin-Nol (Plaisirs de vampire, 2001), G. Langlade(recherches sur la fictionnalisation dans l'activit lectrice in "Les Enseignements de la fiction"Modernits n 23,

    2006) ou encore la dfinition synthtique de la subjectivit lectrice par Nathalie Lacelle et G. Langlade (in

    Dufays, J.-L.,Enseigner et apprendre la littrature aujourd'hui , pour quoi faire ? (UCL Presses universitaires

    de Louvain, 2007).39Production d'images et des sons en complment de l'uvre. Le lecteur donne une certaine consistance aux

    dcors en accrochant ceux-ci des visions et des souvenirs qui lui sont personnels.

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    4. la cohrence mimtique 40 qui tablit des liens de causalit entre les vnements ou les

    actions des personnages versus une conception de l'uvre considre dans une intgralit quisuppose d'emble une pleine cohrence.

    Lactivit du lecteur conduit une reconfiguration de luvre lue et ltablissement de ce

    que Pierre Bayard nomme le texte singulier du lecteur .Peut-on placer le texte du lecteur au cur de la didactique de la lecture littraire ? Une

    didactique de limplication du lecteur est-elle possible dans le cadre de la classe ?

    C. Approches didactiques

    Avant de parler de pratiques lies de prs lexplication littraire, je dirai quelques mots

    des autobiographies de lecteur qui sont une tape possible dans la construction du sujet lecteur

    dans la mesure o elles permettent de se connatre comme lecteur.

    1. Les autobiographies de lecteur : se connatre comme lecteur pour construire le sujet

    lecteur

    a) Pratiques avec des lves :

    Les autobiographies de lecteur ont t exprimentes par Annie Rouxel auprs de lycens

    et dtudiants. Malgr les difficults (comment assumer un statut de non -lecteur ? dire son

    manque dintrt et son ennui ? la contrainte des lectures scolaires ?), la pratique est riche

    denseignements pour les sujets lecteurs en formation : En faisant advenir la conscience

    une image de soi-mme, elle constitue bien souvent le geste fondateur dune identit de

    lecteur en train de se construire ou de saffirmer41. Elle permet en outre aux enseignants de

    dcouvrir comment se construit le rapport la lecture et la littrature.

    Elles ont t exprimentes galement par J.-L. Dufays et Sverine De Croix42 avec des

    lves plus jeunes dans un dispositif plus complexe qui visait dvelopper la consciencemtacognitive en amliorant la perception de soi comme sujet lecteur.

    Cadre exprimental : dans des classes, 2 productions sont demandes :La 1

    re= un portrait de lecteur/lectrice : quel lecteur je pense tre aujourd'hui en m'appuyant sur

    les dernires lectures effectues ?La 2

    me= une autobiographie de lecteur avec comme contraintes : respect de la chronologie des

    vnements ; effort du souvenir pour remonter au plus loin dans le pass avant de revenir jusqu'aujourd'hui.Entre les deux, diverses activits autour de scnes de lecture issues de la littrature pouradolescents.

    Enjeux :

    1. pour l'enseignant : avoir accs aux reprsentations initiales des lves concernant la lecture :considrent-ils que la lecture d'un conte par un parent est dj une forme de lecture ? Peut-on seconsidrer comme lecteur assidu si l'on ne lit que des magazines ? des BD ?

    2. pour les lves : entrer dans une dmarche rflexive sur eux-mmes : recherche de souvenirs,interrogation sur leurs gots, leurs choix, leurs habitudes et attitudes ? Expression de plaisir,

    dgots. Analyse de causes et explications.

    40Pour G. Langlade et M.-J. Fourtanier, lactivit fictionnalisante du lecteur donne de la vraisemblance et de la

    cohrence ce qui, sans cela, apparaitrait incomprhensible aux yeux du lecteur. Celui-ci entre dans la fiction

    mimtique en puisant dans ses reprsentations du rel des enchainements de causalit quil investit dans le

    droulement de lintrigue.41

    A. Rouxel, Autobiographies de lecteur et identit littraire , in ROUXEL A. et LANGLADE G. (dir.),Le sujetlecteur, lecture subjective et enseignement de la littrature, PUR, 2004.42

    "Se raconter pour mieux se percevoir comme sujet lecteur" in le Sujet lecteur.

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    Mise en vidence de profils de lecteurs et traces de mtacognition dans la production

    finale. Analyse des rsultats qui semble avoir corrobor lhypothse selon laquelle un

    individu se dveloppe en tant que sujet la fois mesure quil dveloppe un regard

    rflexifet mesure quil se sent valoris dans ses pratiques culturelles.

    Pour contourner la difficult que reprsente lcriture pour certains lves, on peut aussi

    provoquer chez les lves une rflexion sur soi comme lecteur en leur demandant de sereprsenter en train de lire par le dessin ou toute forme de reprsentation plastique.

    b) Prati ques avec des enseignants en formation

    Cette activit de prise de conscience est plus intressante encore auprs de futurs

    enseignants. Car le sujet lecteur, ce nest pas seulement llve ou ltudiant: cest aussi

    lenseignant. Avant de susciter chez les lves des expriences personnelles de lecture, il est

    souhaitable quun futur enseignant se connaisse comme lecteur. Pour engager des enseignants

    en formation ou des tudiants qui se destinent au mtier denseignant dans une dmarche

    rflexive, on peut ainsi leur demander dcrire leur autobiographie de lecteur.

    Cette activit a t exprimente par Dominique Ledur et Sverine De Croix en Belgique

    en formation denseignants43. Je lai moi-mme exprimente avec des professeurs certifisstagiaires. Elle permet aux jeunes enseignants de retracer leur itinraire de lecteur en partant

    de celui quon a t (ou croit avoir t) pour sinterroger sur ce quon est aujourd'hui et

    desquisser ainsi grands traits son autoportrait de lecteur. Retour sur soi qui ouvre

    naturellement une projection de soi dans son rle prochain de matre de lecture .

    Lexprience permet lamorce dun dcentrement, la mise en vidence de postures de

    lecture diffrentes chez un mme lecteur et la prise de conscience de discordances ventuelles

    entre ses gots et ses pratiques rels de lecteur et ce quon suppose devoir afficher ou

    enseigner. Elle permet notamment de mettre en vidence ce que Bernard Lahire a montr dans

    sa recherche surLa Culture des individus, dissonnances culturelles et distinction de soi (La

    Dcouverte, 2004) : un mme individu peut avoir des pratiques culturelles relevant de niveaux

    de lgitimit fort diffrents. Sans nier les constats dingalits sociales devant la culture

    lgitime et effacer le tableau de la ralit culturelle peint par quarante ans de travaux sur les

    usages sociaux de la culture, Bernard Lahire analyse les phnomnes de dissonances

    culturelles lintrieur des groupes sociaux et chez les individus eux -mmes. En ce qui

    concerne les jeunes enseignants, leurs autobiographies de lecteur montrent quil ny a parfois

    pas autant de distance quon peut le penser entre leurs pratiques culturelles et celles de leurs

    lves.

    2. La prise en compte du sujet lecteur : condition de la motivation des lves

    Un certain nombre de recherches ont d'ores et dj montr qu'une reconnaissance de

    linvestissement subjectif dans la lecture tait une condition importante de la motivation deslves dans la perspective d'une construction des comptences de lecteur expert, l'une des

    finalits des tudes de franais au collge et au lyce. Considrer les lves comme sujets,

    cest les responsabiliser et par l un moyen de motiver la lecture.Comment faire merger les lectures singulires et faire vivre des expriences de lecture

    alors que les lves ont appris refouler ou taire leur investissement subjectif ? Comment

    susciter une lecture implique et surtout, comment mettre en place un accompagnement

    didactique de limplication du sujet lecteur dans luvre ? Diverses voies sont possibles.

    43

    Ecrire son autobiographie de lecteur ou comment entrer en didactique de la lecture, dansNouveaux cahiersde la recherche en ducation, vol. 8 n1, 2005 en ligne sur :

    http://ncre.educ.usherbrooke.ca/articles/v8n1/02_Ledur.pdf

    http://ncre.educ.usherbrooke.ca/articles/v8n1/02_Ledur.pdfhttp://ncre.educ.usherbrooke.ca/articles/v8n1/02_Ledur.pdfhttp://ncre.educ.usherbrooke.ca/articles/v8n1/02_Ledur.pdf
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    a) Comment susciter limplication des lves-lecteur s ? quels supports pour fi xer etanalyser les expriences de lecture ?

    1. Modifier les questionnements sur les textes- questionnement direct des imaginaires individuels : demander aux lves quelles

    images ils associent des lieux voqus par une uvre, comment ils im aginent le

    personnage, comment ils se figurent les vnements44- dplacement du questionnement concernant les personnages suggr par M.-J.

    Fourtanier et G. Langlade : au lieu de quel est le personnage principal ? ou quelle

    est la fonction du personnage dans le schma actanciel ? , on interroge les lves sur

    les personnages qui les touchent, quils aiment, quils dtestent, sur le jugement moral

    quils portent sur leurs actions, sur lattitude quils auraient adopte sils avaient t

    leur place45

    2. Le journal de lecture (ou carnet de lecture)- recourir au journal de lecture ou carnet de lecture, accompagn ou non de consignes,

    pour garder trace des ractions du lecteur : conu comme prparation la lecture

    analytique, le journal de lecture va permettre non seulement un investissement des

    lves dans la lecture mais un travail sur larticulation et le passage entre lesdiffrentes postures de lecture.

    - Pratique quon peut rapprocher de celle du carnet de bord utilispour loption thtreau baccalaurat46.

    3. Lcriture dinvention- complter luvre: crire dans les blancs du texte, imaginer une suite bref,

    utiliser toutes les ressources de lcriture dinvention pour faire apparatre

    notamment lactivit fictionnalisante du sujet lecteur47 ;

    - donner des sujets qui amnent exprimer des impressions de lecture, ragir auxides du texte, et favorisent une appropriation personnelle ; proposer des exercices

    d'criture qui permettent aux lves de s'investir affectivement et thiquement dansleur lecture.

    4. La lecture haute voix- la lecture haute voix comme interprtation subjective des textes : je mappuierai

    pour dfendre cette approche sur les travaux de lanthropologue de la lecture,

    Michle Petit, qui ont aussi aliment les rflexions des didacticiens, quil sagisse

    de son premier ouvrage Eloge de la lecture. La construction de soi (2002) ou du

    44Voir les questions poses par B. Milcent ( Texte du lecteur et commentaire de texte : relations, volutions,

    modalits d'apprentissage , colloqueLe Texte du lecteur, Toulouse, 2008) : Avant chaque lecture analytique,

    les lves ont rpondu, en classe ou chez eux, un questionnaire en deux volets ; le premier dabord intitul

    lcoute du texte , - rebaptis par la suite lcoute de votre lecture - faisait appel leurs ractionssubjectives : Quelles sont vos premires impressions, ractions, motions, peut-tre difficults ?

    Certaines lignes vous parlent-elles plus que dautres, si oui, lesquelles et pourquoi ?Une ou plusieurs images vous viennent-elles lesprit lorsque vous lisez ce texte, si oui, lesquelles ?Ce passage vous rappelle-t-il un autre texte ? une autre uvre dart (ou fragment duvre dart?) : film,

    photographie, musique, peintureFait-il ressurgir un souvenir personnel? (si cest le cas, vous pouvez, mais vous ntes pas oblig de le faire,prciser lequel et pourquoi).

    Si vous deviez rsumer ce texte en un mot, lequel choisiriez-vous et pourquoi ? 45

    La question du sujet lecteur en didactique de la lecture littraire , op. cit., p. 110.46

    Le carnet de bord du bac thtre s'appuie sur une pratique des metteurs en scne contemporains, le "cahier de

    rgie", dans lequel l'assistant metteur en scne, quand il y en a un, ou le metteur en scne note tout ce qui a t

    dcid des choix de mise en scne, dispositif scnique, plantations (o se place un personnage par rapport au

    dispositif scnique), proxmie, choix sur le textes, intentions de jeu, etc...47G. Langlade donne lexemple des infrences fictionnelles suscites chez les lves qui on demande de

    complter, lors de leur lecture, les donnes fictionnelles duPortrait ovaledEdgar Poe.

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    plus rcent, Lart de lire ou comment rsister ladversit ? (2008), o elle rendcompte dtonnantes expriences littraires dans des pays dAmrique du sud

    confronts des conflits arms, des crises conomiques ou des catastrophes

    naturelles et tudie des dispositifs de lecture indits. Il est impossible de rendre

    compte ici de la richesse de ce travail. Je retiendrai simplement le passage o elle

    rappelle que le got pour la lecture doit beaucoup la voix (en France, le poids desgrands lecteurs est deux fois plus important parmi ceux qui ont bnfici dune

    histoire conte par leurs parents chaque jour que parmi ceux qui nen ont cout

    aucune), et quil sagit aussi en lisant de retrouver un arrire-pays de sensations

    et de rythmes (p. 46). Elle crit : [] en France plus encore que dans dautres pays, peut-tre, la cassure a tconsomme de haute date entre le monde de lintelligence, de la raison, et celui de lasensibilit. A lcole, on a longtemps tudi la littrature comme quelque chosedextrieur soi, qui nest pas vcu, prouv, ressenti. Certaines approches se sont mmeemployes maximiser la distance avec le corps, rpudier toute motion, vue comme ungarement dangereux. Et le corps a t, pendant un temps, loubli, limpens desrecherches sur la lecture, rduite une activit mentale alors que cest une activitpsychique qui est luvre, engageant de faon indissolublement lie corps et tte.

    48

    La lecture haute voix est donc une faon de faire entendre tout la fois la voix

    du texte et celle du lecteur qui y apporte sa sensibilit propre, une proposition

    dinterprtation ou peut tout simplement goter le plaisir sensoriel des sons et du

    rythme. La difficult est bien sr celle de la lecture elle-mme, parce quil est

    difficile de faire passer une interprtation, une intention dans sa lecture. Mais cest

    aussi une faon de combattre lide quil faudrait mettre le ton au profit de

    celle quil y a plusieurs interprtations possibles de la partition quest le texte, qui

    peut sannoter, se confronter dautres lectures, donner lieu discussion sur les

    choix, se prparer en groupe

    -

    Dautres approches sensibles des uvres littraires ont pu tre exprimentescomme la lecture en musique qui, en demandant aux lves dassocier une uvre

    musicale leur lecture, tmoigne dune autre forme dappropriation subjective.

    5. Lillustration ou la mise en images- dernire proposition : lillustration ou la mise en image des textes, dans les carnets

    de lecture ou dans la ralisation danthologies, moyen de lever la difficult de

    lcriture mais galement dexprimer une lecture subjective.

    - Exemple du dispositif expriment par un stagiaire PLC2 au collge pour lalecture de recueils de posie :

    Il est demand aux lves de rpondre au journal de lecture , raison dun pome par jour (ce qui

    constitue douze pomes en deux semaines). Chaque lve choisit, chaque jour de la semaine, comme il

    le souhaite, un pome de son recueil.

    Ce journal se divise en plusieurs questions :

    - Donner le titre du pome choisi.- De quoi est-il question dans ce pome ? quels sont les principaux thmes ? - Quel est mon avis sur le pome ? - Quels sont mes ides pour prsenter ce pome (dessin/collage/dcoupage etc...) .Les lves sont ensuite invits prsenter un pome devant la classe en expliquant leur choix puis dans

    une autre sance changer deux partir de leur journal de lecture.

    La production finale est une anthologie personnelle ralise partir dun choix de pomes dans lerecueil avec une illustration ou mise en image des pomes choisis.

    Ces diffrents dispositif de lecteur permettent donc de faire advenir les textes de

    lecteurs qui se constituent dans lentredeux incertain qui relie lecteurs et uvres et de faire

    merger les identits de lecteur des lves.

    48LArt de lire ou comment rsister ladversit ? Belin, 2008, p. 48.

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    b) Fai re merger les postures de lecture des lves : une exprience condu ite parDomin ique Bucheton49

    Les postures de lecture sont dfinies par D. Bucheton comme des modes de lire intgrs,

    devenus non-conscients, construits dans lhistoire de la lecture de chaque sujet, convoqus en

    fonction de la tche de lecture, du contexte et de ses enjeux, ainsi que de la spcificit du

    texte .Lexprience, conduite avec trois classes de 3e, a consist faire lire aux lves une nouvelle

    de D. Daenninckx, La Tire-lire, et leur demander un commentaire libre dune page.

    Lanalyse des textes crits a permis D. Bucheton de 5 postures de lecture chez les lves. Posture 1. Le texte tche. Le lecture est rate : le texte de llve a lapparence dune tche

    scolaire, dpourvue de signification ou dangereuse (crire dvoile). Formes diverses de refusou sabotage de lactivit demande (lecture partielle du texte ou trs superficielle, avecconfusions sur personnages et actions, description technique sans dbut de construction dunesignification).

    Posture 2. Le texte action. Le lecteur se situe au niveau des personnages quil prend pour despersonnes. Il cherche bien les comprendre, sexpliquer leurs motivations, la logique de

    leurs actions. Pour comprendre les actes des personnages, il met en uvre son propre systmede valeurs morales. Attitude qui lamne parfois exprimer son motion pour les personnagesdu texte (piti, sympathie, rejet), pour les personnes relles que ces personnages symbolisentou voquent ( Cela doit tre dur ), pour lui-mme lorsquil actualise, par la lecture, ses peurs

    ou fantasmes (il lit alors le rcit comme un miroir de ce quil vit ou pourrait vivre). Maisllve ne confond pas pour autant le rcit avec la ralit : il joue simplement le jeu de la

    fiction, jeu qui peut aller jusquau jugement des personnages. Posture 3. Le texte signe. Le texte propos est lu comme une fable et le lecteur prend le texte

    pour une mtaphore du message de lauteurqui reste dchiffrer derrire la fable. Le texte lu

    devient le lieu dune rencontre non avec des personnages, mais avec des ides. Il peut treperu comme un reflet dune ralit sur laquelle lauteur veut attirer notre regard (lecture

    socio-historique caractre rfrentiel). Il peut tre peru comme la mtaphore dune

    question, de valeurs mises en jeu : le lecteur questionne et analyse les thmes, les valeurs dutexte, la porte symbolique des gestes des personnages.

    Posture 4. Le texte tremplin. Le lecteur utilise le texte pour se laisser aller des rflexionspersonnelles. Le commentaire dcolle du texte ou slve partir des ralits lues dans letexte. Il est lexpression du point de vue propre du lecteur. Pour certains lecteurs, on a lesentiment que le point de vue nonc prexiste au commentaire et que le texte lu nest quun

    prtexte. Posture 5, ou posture lettre : Le texte objet. Le lecteur se pose en dehors du texte et analyse

    le texte, ses formes, ses effets, la manire dont le texte sy prend pour construire unesignification ou sduire le lecteur.En 3e, trs peu dlves pratiquent ce mode de lecture.

    Lintrt de lexprience est dapprendre reprer chez les lves des postures de lecture

    dans diffrents crits. On peut alors partir de ces postures pour les analyser et construire desdispositifs didactiques pour les faire voluer. Mais ce genre dexprience suppose de

    sappuyer sur des textes qui ont des chances de solliciter linvestissement des lves.

    c) Des consquences galement sur le choix des uvreset sur la posture de lenseignant:

    Puisquil sagit daccueillir les affects des lves, de favoriser chez eux la dcouverte

    denjeux personnels de lecture, de ne plus luder le contenu existentiel et idologique des

    uvres, il ne faut pas esquiver la dimension thique et anthropologique de la littrature car

    cest cette condition que la lecture devient une exprience humaine aux forts enjeux

    symboliques. Cela suppose, comme le rappellent G. Langlade et M.-J. Fourtanier, denrichir

    49 Les postures de lecture des lves au collge , in Lecture prive, lecture scolaire. La question de la

    littrature lcole, coord. J.-F. Massol, P. Demougin, CRDP de lAcadmie de Grenoble.

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    le corpus duvres aptes susciter davantage les ractions personnelles des lves et

    provoquer des ralisations lectorales plurielles, cest--dire des uvres qui sattachent moins

    au jeu sur les codes littraires quaux enjeux humains (thiques, fantasmatiques,

    esthtiques) qui constituent le socle profond de la production artistique 50.

    Cela exige en outre de la part des enseignants une forte implication dans leur propre

    lecture des textes choisis comment enseigner ce qui, dans le domaine de la littrature, nevous fait pas vibrer et ne vous donne pas penser ? et qui, dautre part, leur permet de

    proposer aux lves des situations de lecture susceptibles de provoquer des chocs esthtiques

    et des motions de tous ordres. Lexplication littraire doit aussi sappuyer sur une vritable

    exprience de lecture de lenseignant.

    Or, il semble aujourdhui que lapproche formaliste des textes soit parfois un moyen de

    fuir ou desquiverla lecture comme exprience authentique du sujet ainsi que le dbat dides.

    Cest en tout cas ce qua montr une tude conduite partir dune centaine de descriptifs pour

    loral de lEAF en 2009. En voici la conclusion : Au terme de ce parcours, force est de constater que la littrature d'ides n'a pas

    compltement droit de cit dans l'enseignement du franais tel que le pratiquent les enseignants

    dont nous avons tudi les descriptifs, ni dans les manuels qui leur sont proposs. La principaleraison de cette relgation rside probablement dans l'accent mis sur les dmarches argumentativesen fonction de l'objet et de la perspective d'tude. Or celles-ci tendent faire de la littraturedides un rservoir d'exemples de dmarches argumentatives.

    Dans l'ensemble, il apparat que l'essai et les formes non fictionnelles sont dfavorises audtriment des apologues et en particulier des contes voltairiens. De mme, les genresargumentatifs directs comme le discours sont peu reprsents. Ces phnomnes se dessinent plusnettement encore dans les descriptifs que dans les manuels. Tout se passe comme silenseignement privilgiait les textes dont la littrarit est la plus vidente alors mme que la

    littrature d'ides relve aujourdhui de cette forme de littrarit conditionnelle par diction dcritepar Grard Genette dans Fiction et diction51. Ainsi sexplique que la question de lcriture de

    lessai soit ce point absente dans les synthses ou les questions des manuels, ou encore que l'on

    ne propose gure aux lves de premire de confrontation avec des textes dides non littraires.Trois constats simposent donc nettement, qui sont autant de problmes : la place

    prpondrante dans l'institution scolaire d'une image fort peu problmatique des Lumireset, silest permis de le regretter, acadmique ; un flottement thorique dans les notions de

    l'argumentation une fois transposes par les manuels, quoi sajoute toute une part de non -dit :pourquoi tels dbats, auteurs, genres plutt que dautres ? surtout peut-tre, quel positionnementproposer des lecteurs adolescents qu'il s'agiraitpour dire vitede faire rflchir ce qui fondeune telle littrature et pas seulement ses moyens dargumentation ?

    52

    4. Conjuguer lecture subjective et communaut interprtative

    Il sagit donc de jeter dsormais un regard positif sur ce qui apparat comme la marque

    dun investissement personnel : identification et illusion rfrentielle appartiennent lexprience littraire et sont grandement prfrables la posture dextriorit. Il ne faut donc

    pas hsiter inviter les lves sexprimer sur leurs plaisirs ou dplaisirs de lecture. On

    modifie le rapport au texte construit dans la lecture scolaire en dveloppant une didactique

    de limplication du sujet lecteur de luvre. Mais se garder de censurer les traces dans le

    discours des lves dun investissement personnel, imaginaire et fantasmatique ou moral nest

    50Op. cit., p. 119.

    51 Genette, G.,Fiction et diction, Seuil ( Potique ), Paris, 1991, p. 8. Pour lui, une page de Michelet

    ou de Dmosthne ne se distingue d'une page de tel autre historien ou orateur que par la qualit esthtique

    (essentiellement stylistique) qui est affaire de libre jugement de la part du lecteur , p. 39.52G. Plissonneau, A. Vibert, La littrature dides appartient-elle la culture commune ? , colloque

    Manires de critiquer, manires denseigner la littrature , Arras, novembre 2009, paratre.

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    pas renoncer ltude de luvre dans sa dimension formelle et objectivable ni renoncer

    valuation des conduites interprtatives.

    Carla subjectivit du lecteur peut excder la rponse aux injonctions du texte et surgir de

    manire imprvisible l o elle nest pas attendue. Jusqu quel point le sujet lecteur peut -il

    mtamorphoser le texte ? quelles limites donner cette reconfiguration ? et comment

    construire la posture du lecteur expert partir des diverses lectures subjectives si, commelcrivent G. Langlade et M.-J. Fourtanier, linvestissement subjectif du lecteur vaut dabord

    en tant que mode daccs aux uvres 53 ? Une premire rponse consiste se fonder sur les

    limites de linterprtation , telles que les a dfinies Umberto Eco, entre l'inaccessible

    intention de l'auteur et la discutable intention du lecteur, il y a l'intention du texte. Celui-ci est

    aussi son propre garde fou pour tout lecteur sens, de bonne foi, et dou des connaissances

    encyclopdiques minimales requises : lintention du texte, cest ce minimum de consensus qui

    permet de poser des bases interprtatives et de rfuter des interprtations inacceptables.

    Mais on peut aussi, selon une perspective pragmatique oppose celle dEco se fonder sur

    la notion de communaut interprtative , quon doit Stanley Fish : pour lui, les gestes

    interprtatifs, les normes de lacceptable et de linacceptable ne sont concevables quau sein

    de communauts interprtatives qui donnent aux subjectivits individuelles leurs formes, leurslimites, leurs penses. Avec cette notion, lopposition entre subjectivit et objectivit na plus

    lieu dtre. Pour Fish, les significations sont la fois subjectives et objectives : elles sont

    subjectives parce quinhrentes un point de vue particulier et donc non universelles ; et elles

    ont objectives parce que le point de vue qui les dlivre est public et conventionnel plutt

    quindividuel ou singulier. 54 Ainsi, les tudiants de Fish ont pu analyser comme pome des

    mots proposs dessein au tableau (qui taient en fait des noms de linguistes indiqus aux

    tudiants du cours prcdent) parce quen tant que membres dune communaut littraire

    travaillant sur la posie religieuse, ils savaient dj ce qutait un pome et staient interdit

    de penser que les noms disposs sur le tableau comme un pome ntaient pas ncessairement

    un pome religieux. Les consciences des lecteurs sont constitues par un ensemble de

    notions conventionnelles qui, une fois mises en marche, constituent leur tour un objet

    conventionnel, et vu conventionnellement (p. 69). On comprend lintrieur des

    prsupposs dun contexte. Nul ne peut dire que ses actes interprtatifs lui sont absolument

    propres, mais ils lui choient en vertu de sa position dans un environnement socialement

    organis o ils sont toujours partags.

    Quelles consquences en tirer pour lexplication littraire en classe ? A la diffrence des

    tudiants de Stanley Fish qui constituaient dj une communaut littraire, celle de nos lves

    est encore en grande partie en construction, mme si leurs lectures sont en fait dj largement

    conditionnes par la communaut interprtative que constitue la socit o ils vivent.

    La classe doit donc tre pense comme lieu dmergence et de confrontation de lectures

    subjectives.

    Quels dispositi fs didactiques afin que la classe devienne une vritable communautinterprtative ?

    - La confrontation des journaux de bord : journaux de bord tenus deux ouchangs, journaux de bord prparant les cercles de lecture ;

    53Op. cit., p. 117.

    54FISH Stanley, Quand lire cest faire. Lautorit des communauts interprtatives [1980], Paris, Les Prairies

    ordinaires, 2007, p. 74. Ou encore : On peut rpondre dun oui jovial la question Les lecteurs font-ils lessignifications ? sans sengager grand-chose, puisquil serait tout aussi vrai de dire que les significations, sous

    la forme de catgories interprtatives issues de la culture, font les lecteurs (p. 75).

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    - La pratique des cercles de lecture : la discussion du cercle de lecture, appuye sur lesjournaux de bord dlves volontaires, prcdera et prparera la lecture analytique du

    texte.55

    - La pratique du dbat interprtatif: cette pratique, introduite par lesaccompagnements de programme de lcole primaire en 2002, gagnerait tre tendue

    dans le secondaire jusquau lyce. Le dbat pourrait porter sur les points dincertitudedu texte, ceux o lauteur modle a mis le lecteur modle en difficult ou le

    questionne, mais aussi sur les valeurs du texte et le rapport des lves-lecteurs ces

    valeurs.

    ConclusionLa lecture littraire se nourrit alors de la pluralit des expriences et slabore dans

    lintersubjectivit. Sans exiger labandon total des intuitions singulires, il sagit de parvenir

    constituer une communaut littraire o peuvent se partager les lectures et se confronter les

    interprtations. Ce partage doit se faire dans un retour permanent au texte afin denrichir les

    lectures singulires et de mettre en vidence ce qui peut tre commun tous.

    ----------------------------------------------------------------------

    Annexe : Comment faire place la lecture subjective pour lire et tudier MadameBovaryen classe de seconde ?Exemples de dispositifs et analyses extraits du mmoire professionnel de Cline Billouard,

    stagiaire PLC2,Rhabiliter la subjectivit de llve : le moi au cur de la dmarcheinterprtative, IUFM de GrenobleUniversit Joseph Fourier, anne universitaire 2007-

    2008.

    Extraits de cahiers de lecture sur Madame Bovary

    Productions initiales : impressions au cours de la lecture

    On relve tout dabord de nombreux commentaires concernant le style de Flaubert :

    Page 87 : La description du cortge me plat normment ! Je my vois parfaitement, jadorerais y

    tre. Cortge uni comme une seul charpe , jaime beaucoup la reprsentation que je men fais !

    Page 88 : Jaime bien la description du banquet aussi, mme si elle donne un peu une impression de

    bazar. [] Page 144 : Contre btarde , sans caractre , pire fromage . Ca nest pas son[Flaubert] fort de trouver des endroits de rve ! (Par contre, il a le don de dvaloriser les choses). Page

    227 : Il y a trop de descriptions, cest lassant ! Page 240 : Le discours est vraiment trop long, il y

    emmle trop dides et ne veut plus rien dire ! Par contre, plus loin, jaime bien lentremlement du

    discours et du dialogue, mais jen perds le fil !

    Auriane

    La description de la pice monte est comme celle de la casquette : beaucoup trop longue et

    complique pour pouvoir se limaginer clairement. Je pense que Flaubert montre ainsi le ridicule.

    Jeremy

    Il est impensable de lire le dbut de la deuxime partie. Il est long et ne fait que dcrire la ville o

    Charles et Emma ont dcid dhabiter. Je trouve ces pages dun ennuyant ! Franchement, je ne vois

    pas quoi a sert de dcrire une ville pendant cinqpages. Cette description lasse plus quelle namuse.

    Je voudrais bien quelle ne sy trouve pas.

    Melissa

    55Voir en annexe des extraits du mmoire professionnel de C. Billouard, stagiaire PLC2, surMadame Bovary.

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    Ce premier paragraphe ne me dplat pas. Jaime beaucoup ce genre de description de petits

    villages qui nous permet de nous situer dans lespace de la scne. Jaime bien que Flaubert mexplique

    pourquoi une rue se nomme ainsi, pourquoi une autre se nomme autrement Il a lart de mettre les

    choses devant mes yeux.

    Jessica

    Puis, un jeu entre le lecteur et le texte apparat nettement dans bien des cas. En effet, les

    lves aiment formuler des hypothses de lecture qui se voient confirmes ou non :

    Page 92 : Je crois quEmma va avoir une surprise ; le contraste entre sa ferme et la nouvelle

    maison va, je pense, lui faire un choc (si elle correspond lide que je men fais) Page 171 : Emma

    veut un fils, donc je suis sre que ce sera une fille ! Page 172 : Jen tais sre, cest une fille ! Page

    306 : Jai peur que les rves de Charles pour sa fille ne soient dus. Page 138 : Les dettes vont

    sentasser, et a va mal finir !

    Auriane

    Plus je mavance dans ma lecture et plus je remarque des signes qui signifient que Rodolphe

    naime pas Emma. Je pense quil va labandonner. Cest invitable car cest un sducteur. Emma, sois

    moins nave enfin !Madison

    Emma naura pas su dire Lon quelle tait amoureuse de lui, avant quil parte pour Paris. Je

    pense que le regret va bientt finir par la ronger! [] Je le savais ! Elle a des regrets ! Il fallait peut-

    tre quelle dise Lon ce quelle pensait.

    Alice

    Lintertextualit occupe galement une place non ngligeable dans les journaux dlves :

    Emma me fait penser Armande (Les Femmes Savantes) : Lon laimait, elle le savait mais faisait

    comme si de rien ntait. Et maintenant quil est parti, elle se plaint !

    Marie

    Leurs yeux se rencontrrent : jai reconnu le passage deLducation sentimentale, mais ctaitalors pour une rencontre, pas un dpart.

    Auriane

    [] Ca me rappelle lhistoire de Melle

    de Chartres : sa mre lui avait appris se mfier des

    hommes, que lamour est dangereux et napporte pas la tranquillit, quelle ne pouvait compter que

    sur elle-mme Malheureusement, toutes ces mises en garde lavaient dtruite. Pour Emma, cest

    tout le contraire, elle vit dans lillusion en ce qui concerne les hommes mais son destin sera encore

    plus tragique.

    Clo

    Certains rapprochements relvent visiblement de ce que Vincent Jouve nomme la

    subjectivit accidentelle , et les lves eux-mmes semblent en avoir conscience :Quand on a vu avec Auriane Louise de La Vallire (page 97), on a bien rigol parce quon

    regarde un manga qui sappelle Zero ne TsuKaimaet que lhrone sappelle Louise de La Vallire !

    Enfin bref, a na rien voir avecMadame Bovary mais il faut exprimer ses impressions, alors je lesexprime !

    Alice

    Page 147 : Ce moment o lon parle du cimetire me rappelle, mme si cest un peu anachronique,un passage de Sleepy Hollow, un film de Tim Burton, que javais tudi en cours (en quatrime).

    Ins

    Plus caractristique encore est linfluence que peut avoir la socit moderne sur la lecture.

    Cest dailleurs avec beaucoup de drision et dhumour que certains lves en parlent :

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    Quand il [le Suisse] dit que la statue avait dcor la tombe de Richard Cur de Lion, le nom de

    celui-ci ma fait rire parce quil ma fait penser au fromage Prsident cur de Lion (Oui, jai de

    drle dides qui me traversent lesprit, surtout quand il sagit de la publicit tlvise !). Ca ma fait

    encore rire quand le fiacre passe Saint Maclou, sauf que l, a fait rfrence un magasin de tissu

    Bourgoin ! Cest marrant comme un nom peut nous faire penser des choses qui nont rien voir

    avec le livre.

    Alice

    Enfin, les lves en viennent invitablement tablir des liens, des parallles entre luvre

    lue et des pans de leur histoire individuelle :

    Charles me fait penser mon grand pre ; oui, parce que je sais quil aime ma grand-mre maistout comme Charles, il passe son temps travailler avec les animaux, dans les champs, cest--dire

    quil nest pas souvent prsent prs de ma grand-mre. Il pense que ce nest pas ncessaire, mais si a

    lest. En fait, Charles me fait un peu penser une personne ge qui croit dj quil na dj plus rie n

    vivre, alors que Emma elle, cest tout le contraire.

    Aliz

    Comme je suis une fille, je dirais que jai les mmes penses quEmma propos de lhommeparfait. Bien sr, je nai pas cherch le garon de mes rves dans les livres, mais jai galement

    idalis lamour.

    La

    Un insaisissable malaise (page 106) : Jaime beaucoup cette phrase car elle me rappelle ce que

    jai vcu il ny a pas longtemps: cest une espce de malaise qui est prsent mais dont on ignore la

    cause exacte, ni pourquoi il est l, ni comment sen dbarrasser.

    Karine

    Jai trouv, en ce dbut de roman, une fine partie de moi, surtout en ce qui concerne Charles

    Bovary. Son arrive dans un village nouveau, une cole nouvelle, me ramne quelques annes en

    arrire o moi-mme je suis arrive en Isre, dans un nouveau village et une nouvelle cole. Mme si

    les annes et mme les sicles nous sparent, ce jeune homme me fait penser moi, quelquun detimide et rserv.

    Galle

    Enfin, le dernier type de remarques qui revient de manire extrmement rcurrente dans les

    cahiers de bord relve de ce quil convient dappeler des jugements de valeur . Les

    personnages, notamment Charles et Emma, et leurs comportements, ont fait couler beaucoup

    dencre :

    Emma mnerve ! Comment peut-on tre girouette ce point ! Cest, pour moi, inimaginable

    dtre comme elle ! On ne peut pas changer de sentiment du jour au lendemain. Elle est lunatique. Elle

    reprsente le genre de personne que je ne porte pas dans mon cur. Grgory

    Charles a beau tre un homme gentil, il reste nanmoins quelquun dinintressant ! Il ne sait rien

    faire ! Il faut dire quil a eu des parents indignes. Il est vraiment naf de croire quEmma est heureuse !

    Marion

    M. Homais est un homme rempli de trop . Il est trop orgueilleux, trop pdant et surtout trop

    anticlrical, je ne lui reproche pas de ne pas aimer lglise mais il le manifeste tellement souvent quil

    en devient ridicule et fatigant !

    Nicolas

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    Modifications et ajouts au cours de la squence

    Aprs avoir discut dEmma en cours avec tous les autres, je me rends compte quelle nest pas si

    mprisable que je le pensais. Je la trouvais atroce en tous points, mais je lavais condamne un peu

    trop vite. Mais les autres et surtout les filles ont dit quelle faisait a pourconcrtiser son rve. Je ny

    croyais pas trop au dbut, mais Anna a finalement russi me convaincre quand elle a lu un morceau

    de son journal. Son argumentation tait trs convaincante.Azedine

    (En marge) Je navais pas compris la scne du fiacre. Pourquoi Lon disait-il au chauffeur daller

    o il voulait sans sarrter? Mais cest bon, maintenant jai compris limplicite de la scne. Quand on

    la dit en cours je me suis demand comment javais pu ne pas comprendre. Je me suis trouv un peu

    bte.

    Carole

    (En marge) Emma nest pas quune femme goste et indigne de confiance cest avant tout une

    femme malade. Cest une maladie psychologique. Je retire ce que jai dit. En fait, je la plains.

    Tom

    Hier on a tudi le passage sur lenfance dEmma. Je comprends maintenant que cest cause de

    son ducation quelle est devenue comme a. Cest fou comme lenfance peut influencer toute notrevie !

    Rmi

    Quelques lves ont par ailleurs analys trs prcisment la fonction qua eue dans leur

    parcours de lecteur, leur cahier dimpressions :

    Faire un cahier dimpressions est trs utile (si on le fait au fil de la lecture !). On y constate

    lvolution de notre pense vis--vis des personnages la fin de notre lecture du roman. Par exemple,

    pour Charles et Emma, cette volution ma saut aux yeux en me relisant ! Au dbut Charles

    mnervait un peu par ses attitudes [] Quand jai relu mon cahier dimpressions, je me suis rendu

    compte que je nprouvais plus de lantipathie pour lui, mais de la piti. Il passe du ridicule aupathtique, du pathtique au ridicule, enfin, notre jugement sur lui nest jamais fixe. [] Cette

    volution est mise en vidence par les notes chaque chapitre. Si je navais pas not toutes mes

    impressions au fur et mesure du livre et que je lavais fait la fin, mon jugement final aurait affect

    mes impressions de dpart.

    Alice

    Un rituel : les cercles de lecture

    Les tables sont relgues au fond de la classe, les lves gardent uniquement leur chaise et

    viennent former un cercle. Quatre ou cinq dentre eux, qui se sont inscrits au pralable, lisent

    un extrait de leur cahier de bord en rapport avec un des thmes qui leur a t proposs en

    amont :

    Organisation :

    - Mercredi 13 fvrier, 1er cercle de lectureThme : Charles Bovary : enfance, tudes, premier mariage / Premier chapitre du roman

    Etude analytique : tout le premier chapitre du roman

    - Mercredi 5 mars, 2me cercle de lectureThme : Emma Bovary et la lectureEtude analytique : enfance et ducation dEmma au couvent, extrait pages 100-103.

    - Mercredi 2 avril, 3me cercle de lectureThme : La fin du roman, le destin des personnagesEtude analytique : excipit du roman, extrait pages 499-501.

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