Diálogo con Canclini, Honneth y Caillé sobre sociedad del reconocimiento

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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RDM&ID_NUMPUBLIE=RDM_032&ID_ARTICLE=RDM_032_0411 Une société de la reconnaissance est-elle possible ?. Dialogue avec N. G. Canclini, A. Honneth et A. Caillé par Francesco FISTETTI | Éditions La Découverte | Revue du Mauss 2008/2 - n° 32 ISSN 1247-4819 | ISBN 978-2-7071-5643-3 | pages 411 à 432 Pour citer cet article : — Fistetti F., Une société de la reconnaissance est-elle possible ?. Dialogue avec N. G. Canclini, A. Honneth et A. Caillé, Revue du Mauss 2008/2, n° 32, p. 411-432. Distribution électronique Cairn pour les Éditions La Découverte. © Éditions La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Une société de la reconnaissance est-elle possible ?. Dialogue avec N. G. Canclini, A. Honneth et A. Caillépar Francesco FISTETTI

| Éditions La Découverte | Revue du Mauss2008/2 - n° 32ISSN 1247-4819 | ISBN 978-2-7071-5643-3 | pages 411 à 432

Pour citer cet article : — Fistetti F., Une société de la reconnaissance est-elle possible ?. Dialogue avec N. G. Canclini, A. Honneth et A. Caillé, Revue du Mauss 2008/2, n° 32, p. 411-432.

Distribution électronique Cairn pour les Éditions La Découverte.© Éditions La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays.La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Afi n d’éclairer la problématique de la reconnaissance inaugurée par Axel Honneth [2000] et dont l’étude a pris aujourd’hui une ampleur internationale, j’essaierai de confronter et de mettre en communi-cation réciproque trois paradigmes différents, qui, une fois intégrés mutuellement, apportent des éléments importants à la construction d’une nouvelle perspective épistémologique à même de contribuer à une analyse critique de notre présent. Outre Axel Honneth, je me référerai à Nestor Garcia Canclini et à Alain Caillé.

Multiculturalité et interculturalité

Je commencerai par examiner la position de N. G. Canclini, le sociologue-anthropologue le plus célèbre d’Amérique latine, qui depuis de nombreuses années est au centre des cultural studies dans l’aire des pays de langue hispanique1. Il a élaboré la notion de « société de la reconnaissance » dans le cadre d’une critique systématique des théories existantes de la société et de la culture, qui ne sont pas aptes, selon lui, à éclairer l’horizon inédit vers lequel nous projette la mondialisation. La notion de « société de la recon-naissance » est une notion complexe que son auteur associe à celles de « société de la connaissance » et de multiculturalité-intercultu-ralité. En premier lieu, il s’agit pour lui de saisir les « architectures

1. Voir principalement N. G. Canclini [1995, 1999a, 2006].

Une société de la reconnaissance est-elle possible ?

Dialogue avec N. G. Canclini, A. Honneth et A. Caillé

Francesco Fistetti

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de la multiculturalité », c’est-à-dire les structures et les processus sociaux, économiques et socioculturels qui se jouent des frontières nationales et des institutions matérielles et éthico-politiques que la modernité avait inventées pour les maîtriser. « D’un monde multiculturel – une juxtaposition d’ethnies ou de groupes dans une cité ou dans une nation – on passe à un autre monde interculturel globalisé. ». Il faut entendre par multiculturalité l’« acceptation de l’hétérogène » et par interculturalité l’attitude qui « s’en remet à la confrontation et à l’entrecroisement », ce qui survient aussitôt que les différents groupes entrent « en relations de négociation, de confl it et d’emprunt réciproque » [Canclini, 2006, p. 14-15].

Anticipons tout de suite la thèse de N. G. Canclini pour en tirer les implications majeures : nous ne pourrons parler de « société de la reconnaissance » (sociedad del reconocimiento) que quand nous aurons répondu aux défi s de la « société de l’information » et de la « société de la connaissance », dès lors que les concepts de multi-culturalité et d’interculturalité aujourd’hui renvoient à la nécessité d’une « cohabitation culturelle2 » qui ne vise pas seulement à harmoniser les cultures des différents groupes de nos sociétés multi-ethniques et multiculturelles, mais aussi à réparer les inégalités sociales que la révolution du capitalisme informatique engendre et creuse toujours plus, y compris la fracture entre les jeunes et les adultes. En particulier, la conviction de N. G. Canclini est que la mondialisation n’est pas un processus linéaire d’homogénéisation et d’uniformisation des cultures locales (nationales ou régionales), qu’elle n’efface pas non plus les traditions, mais plutôt qu’elle crée constamment ce que les Anglo-Saxons appellent la glocalisation, c’est-à-dire une articulation entre le local et le global qui conduit à une hybridation et à un mélange des temporalités historiques, des espaces géoculturels, des styles de vie et des goûts esthétiques. On ne peut pas abandonner aux lois du marché ce processus d’hy-bridation parce que le marché, fonctionnant selon des critères de rentabilité, ne peut jamais être un « organisateur » de l’intercultura-lité. Mais à l’époque globale apparaît une contradiction historique et politique tout à fait nouvelle sur laquelle N. G. Canclini attire l’attention : l’ère de la mondialisation n’est pas seulement le temps de la marchandisation des cultures, de leur réduction à la logique de

2. Sur cette notion, voir D. Wallon [1999].

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la commercial society, mais aussi celui de la valorisation des diffé-rences symboliques et de la diversité des cultures ; nous pourrions dire que les cultures aspirent à être reconnues dans leur capacité à donner, chacune dans son identité incompressible, quelque chose d’irremplaçable à la grande famille des peuples et des nations. C’est à ce niveau que les analyses de N. G. Canclini rencontrent, sans le savoir, les positions des théoriciens du don, et c’est pourquoi il vaut la peine de les faire interagir. Mais procédons par ordre.

La dialectique des cultures

L’originalité de la lecture que N. G. Canclini propose de la mon-dialisation – dans le sillage des cultural studies revisitées dans des termes postmodernistes – consiste à pointer le fait que, aujourd’hui, la « société de la connaissance » a bouleversé l’ancienne division-polarisation entre télévisions payante et gratuite, entre divertisse-ment et information, entre cultures de l’élite et cultures populaires, entre sociétés centrales et sociétés périphériques. La mondialisation brise le séparatisme et l’autoréférentialité des cultures, et exalte la tendance à la construction multiculturelle des savoirs et à l’établis-sement de relations interculturelles qui traversent les sociétés et les nations. La métamorphose multiculturelle des savoirs a rendu obso-lète l’antagonisme entre la haute culture d’inspiration humaniste et les technologies digitales, entre l’écriture et l’image, entre les codes linguistiques traditionnels et les codes audiovisuels, ou encore entre les anciennes formes d’apprentissage et d’enseignement et les nouveaux instruments multimédia. Il faut prendre acte de ce que la marchandisation de la production culturelle, la massifi cation de l’art et de la littérature, l’arrimage des biens culturels de tout genre aux dispositifs technologiques comme la télévision, le Web et Internet sont des tendances irréversibles. Il n’est pas possible de continuer à alimenter à l’égard des médias audiovisuels la suspicion que la théorie critique d’Horkheimer et Adorno nourrissait à l’encontre de l’industrie culturelle. Il y a une dialectique des cultures où s’en-trelacent diversifi cation et concentration. D’un côté, les nouvelles technologies fournissent des occasions toujours plus nombreuses de connaissance en général, multiplient les possibilités de rencontrer l’hétérogénéité et l’altérité, c’est-à-dire l’Autre dans son rapport au

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Même, et, de l’autre, ce processus de diversifi cation est conditionné par la concentration des entreprises culturelles multinationales. Il est évident que la concentration des médias culturels réinscrit tout le champ de la formation, de la communication et de l’information dans la logique de la rentabilité commerciale et fi nancière : de cette manière, l’intégration multimédia franchit les frontières nationales et vise à unifi er sous une seule modalité l’accès aux biens culturels, communicationnels et informationnels. À plus forte raison, on ne peut plus justifi er une conception cloisonnée de la connaissance, de l’information et de la communication. Il n’y a plus, d’un côté, l’école ou le système éducatif et, de l’autre, les médias audiovisuels, d’un côté, l’apprentissage par la lecture et l’écriture et, de l’autre, les industries du divertissement.

On est en présence d’un processus global, pas du tout linéaire et homogène, marqué par de profondes asymétries de pouvoir et par de fortes inégalités sociales, où sous l’hégémonie de la digitalisation cohabitent culture humaniste, oralité et savoir audiovisuel. Se récla-mant des études de Manuel Castells [2006], N. G. Canclini relève qu’il s’agit d’un processus de recomposition culturelle à l’échelle mondiale dans lequel apparaissent de nouveaux styles de vie, de nouvelles valeurs socioculturelles et, pourrait-on dire avec le Martin Heidegger d’Être et temps, une nouvelle Befi ndlichkeit (sensibilité, émotivité) comme tonalité affective de l’existence humaine dans le monde global au-delà des divisions linguistiques et géographiques, surtout celle des jeunes générations [Canclini, 2007]. Le croisement des processus de concentration des entreprises culturelles multi-média avec les consommations culturelles engendre, à côté d’une multiculturalité restreinte faite de jeux vidéo et de loisirs de masse, des modèles d’interaction fondés sur des répertoires transnationaux au moyen desquels les jeunes font l’expérience d’une relation avec le monde basée sur le numérique et les réseaux, une relation qui élargit leur horizon de sens et leur donne une conscience cosmo-polite. Il suffi t de penser aux circuits de la musique brésilienne (technobrega) ou afro-colombienne (champeta) ou aux musiques qui mêlent rythmes populaires et instruments électroniques pour comprendre comment aujourd’hui se développent des imaginaires sociaux qui sont l’aboutissement d’une éthique de la communication qu’on peut qualifi er de vernaculaire, puisqu’elle concerne la vie quotidienne et franchit les frontières géographiques.

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On voit ici l’ambivalence de cette généralisation de l’interacti-vité : d’un côté, il y a une concurrence impitoyable entre les multi-nationales productrices de produits culturels (y compris les menus gastronomiques), mais, de l’autre, dans les circuits commerciaux, les mélanges interculturels visent plus à neutraliser les confl its entre les cultures et à occulter les différences qu’à les interpréter : l’exemple des affi ches publicitaires de Benetton est très instructif, comme les spectacles olympiques, les fêtes sportives, les expositions universelles, les festivals de musique ethnique [Canclini, 1999b]. Ces expériences peuvent aussi créer l’illusion que nous vivons une condition d’interconnexion pacifi ée, où les codes culturels sont aisément commensurables et non le lieu d’un travail de traduction, et le plus souvent – comme l’avait entrevu Gramsci – le terrain d’une lutte pour l’hégémonie. Toutefois, il n’y a pas que des pratiques d’hybridation lénifi antes et aliénantes comme celles que fabrique un capitalisme aux allures de folklore local : on assiste aussi à la formation délibérée d’espaces de résistance de type traditionnel, comme les cultures indigènes ou les réseaux d’Internet, qui trans-mettent une information alternative. Dans ces espaces surgissent de nouveaux acteurs sociaux qui prennent la place des anciens sujets collectifs ou des partis politiques : ONG, mouvements sociaux divers, associations de citoyenneté, sociétés coopératives… En bref, les réseaux peuvent engendrer des communautés de personnes qui partagent la même conception de la vie ou de la société – et sont par exemple écologistes, punks, végétariennnes ou pacifi stes.

Ce mode inédit de participation qui passe par les médias audio-visuels brise la dichotomie entre la « société de l’information » et la « société de la connaissance », ou entre les « gutenbergiens » (écriture, haute culture) et les « médiatiques » (images, matériel audiovisuel), comme si les médias n’étaient que de simples moyens de divertissement ou Internet un simple outil de transmission d’in-formations. Cette « cohabitation culturelle » entre des formes dif-férentes de communication – où coexistent et souvent se heurtent les médias de l’information, ceux du divertissement et ceux de la connaissance et de l’éducation – crée un espace public-politique nouveau, une transformation structurelle de la sphère publique. Ce n’est pas seulement la sphère publique des États nationaux qui est radicalement transformée – parce qu’elle est devenue polyphonique, voire « babélique », c’est aussi la société civile mondiale, qui est

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le théâtre d’une pluralité de mouvements, associations et courants d’opinion qui, tous, réclament le droit à la différence, c’est-à-dire la reconnaissance de leur identité. Par conséquent, c’est sur ce terrain que se pose la question de la multiculturalité comme le « vivre-ensemble » des différentes cultures et celle de l’interculturalité comme communication et traduction réciproques.

Les limites du concept de réification

Dans ce nouvel espace public-politique – qu’on pourrait qualifi er de diasporique au regard de sa double tendance à l’uniformisation et à la différenciation, quel est le sens de la « lutte pour la reconnais-sance » dont parle Axel Honneth, qui pense que la vie éthique des modernes, à la différence de celle des anciens, doit se fonder sur la liberté des individus ? Contrairement à la tradition contractualiste dans toutes ses variantes – qui vont de Hobbes à Locke et de Kant à Rawls, à Apel ou à Habermas3 –, A. Honneth veut conjuguer le postulat de la liberté individuelle (propre au libéralisme économique et politique) avec le caractère éthique substantiel des institutions publiques. Dans le sillage d’une interprétation d’Hegel qu’il ne cesse d’approfondir et qu’il a enrichie d’éléments empruntés au pragmatisme de John Dewey et de George H. Mead, A. Honneth a élaboré un concept de vie éthique comme modèle social de réalisa-tion réciproque (intersubjective) de la liberté. En d’autres termes, dès La Lutte pour la reconnaissance, il s’efforce de construire une théorie « formelle » de la vie éthique à même de réconcilier, d’une part, l’instance hégélienne d’une forme de reproduction sociale et d’intégration culturelle fondée sur des valeurs et des idéaux uni-versellement partagés (une conception commune du bien) et, de l’autre, l’exigence kantienne de l’autonomie individuelle ou de la liberté « réfl exive » conçue sur le modèle de l’autogouvernement de la raison pratique et de l’auto-accomplissement moral, mais aussi la liberté que nous pouvons appeler avec Isaiah Berlin « négative ».

Il n’est pas inutile de rappeler ici que, dans la perspective de A. Honneth, le développement réussi de la subjectivité (Ego) est lié à une succession de formes de reconnaissance réciproque (Ego/Alter),

3. Voir à ce propos Ph. Chanial [2007].

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dont l’absence provoque chez les individus l’expérience d’une méconnaissance qui les pousse à la lutte pour la reconnaissance. C’est pourquoi les sphères de la reconnaissance – l’amour, le droit et la solidarité – sont des sphères de l’intersubjectivité que A. Honneth, mettant de côté la métaphysique spéculative hégélienne, reconstruit avec l’aide de la psychologie sociale de G. H. Mead4. Ce qui nous intéresse ici est que la reconstruction des stades de la formation de la subjectivité réussie conduit A. Honneth à transposer le problème hégélien de l’éthicité dans la postulation-idéalisation des relations de reconnaissance mutuelle dans la sphère familiale et des senti-ments privés, dans la sphère juridique et dans la sphère sociale en général. Ainsi, au fond de la pensée de A. Honneth, on trouve l’idée d’une « société de la reconnaissance » transparente à elle-même, qui se résout-dissout dans une trame épaisse de relations inter-personnelles à la fois cristallisée dans la conscience de l’individu autonome et sous-jacente à toute l’opacité et l’inertie des systèmes sociaux. Il y a là une rechute dans une variante de la philosophie de la conscience et de la subjectivité, rechute qui s’accentue dans l’œuvre qu’il a consacrée à la réifi cation, Verdinglichung [2007].

Bien entendu, la critique par A. Honneth des processus de réi-fi cation à l’œuvre dans la société contemporaine – la réduction des rapports entre les personnes à des rapports instrumentaux aux choses, celle de la relation du sujet et de ses vécus et émotions à des objets manipulables ou constructibles, ou encore celle du rapport avec la nature à une attitude neutre d’« observation » objectivante – est tout à fait pertinente. Dans cette critique des « pathologies » de la modernité, il repère une consonance intime entre le concept heideggérien de « souci » (Sorge), le concept deweyen de « par-ticipation » (involvement) et le concept de « praxis engagée » de Lukács : pour A. Honneth, ce sont les bases de cet intérêt existentiel à l’égard du monde qui nous font apprécier l’importance des autres personnes et aussi des choses dans notre vie. Sans entrer dans le détail de l’argumentation de A. Honneth, disons que, dans cette perspective, la relation de reconnaissance est la relation primordiale ou « originaire » non seulement de tous les rapports sociaux, mais aussi et surtout de toutes les formes cognitives et intellectuelles :

4. Sur les sphères de la reconnaissance intersubjective, voir en particulier le chapitre V de La Lutte pour la reconnaissance.

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derrière nos opérations mentales, nos enchaînements logiques, voire nos propositions prédicatives, il y a une tonalité émotive, une « pensée qualitative ou affective » selon l’heureuse formulation de J. Dewey dans les années 1930. Bref, on peut ramener toutes les « pathologies » de la réifi cation à l’« oubli » de la relation « origi-naire » de la reconnaissance – de même que, pour Heidegger, toute l’histoire de la métaphysique occidentale n’est que l’histoire de l’« oubli » de l’Être et que, pour Lukács, les formes de la réifi cation ne sont que la manifestation phénoménale des contradictions de la forme marchandise. Toutes les fois que nos procédés théoriques et notre rationalité épistémique perdent de vue qu’ils sont le résul-tat d’une disposition primordiale à la reconnaissance, s’affi rme la tendance à percevoir les autres personnes comme des choses dépourvues de sensibilité. Cette « amnésie » de la reconnaissance – que, dans le sillage de Theodor Adorno qui a élaboré la notion de « mimésis de la nature », A. Honneth étend aux animaux et aux objets inanimés – est le véritable noyau de tous les processus modernes de réifi cation.

La notion de réifi cation se trouve ainsi lourdement chargée de subjectivisme, puisque la disposition réifi ante des êtres humains naît : 1° lorsqu’ils sont piégés dans une pratique sociale où l’ob-servation passive des autres est devenue une fi n en soi et en arrive à obscurcir la relation sous-jacente de reconnaissance interperson-nelle ; 2° lorsqu’ils se laissent guider par un ensemble cohérent de convictions – une « idéologie spécifi que » se fi geant dans des habitus et des stéréotypes – qui nient la reconnaissance originaire5. Cette hypertrophie de la subjectivité explique la limite la plus grave de la théorie honnéthienne des institutions, c’est-à-dire le fait qu’il ne s’aperçoit pas que son modèle de la liberté intersubjective est utopique, parce qu’il vise à réorganiser la réalité sociale en éliminant tous les éléments d’opacité, c’est-à-dire tous les liens d’hétéronomie et de contrainte. Il n’est pas nécessaire de souscrire à la théorie de Niklas Luhmann pour comprendre que les sociétés complexes ont besoin d’une rationalité systémique minimale pour assurer leur fonctionnement et leur reproduction ainsi que de codes partagés pour stabiliser les attentes des acteurs sociaux : à ce propos, le système moderne du droit est très signifi catif [Habermas, 1997].

5. Voir le chapitre VI de La Lutte pour la reconnaissance.

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On voit clairement ici que la logique des interactions de recon-naissance des acteurs sociaux ne suffi t pas à expliquer la fonction que A. Honneth assigne au droit : la reconnaissance de droits qui permettent aux individus de se rapporter à eux-mêmes comme à des personnes moralement capables de comprendre et de vouloir, dès lors que ces droits suscitent en chacun(e) – parce qu’il (elle) a obtenu le respect de tous les autres – le respect de soi-même. Mais si A. Honneth a raison de reprocher à Lukács de ravaler le droit au rang de simple fi ction superstructurelle – ce qui tient à ce que Lukács déduit mécaniquement les productions culturelles des phénomènes économiques, en particulier du fétichisme de la marchandise –, il ne s’aperçoit toutefois pas que le droit peut donner des garanties minimales de reconnaissance parce que le droit moderne comme code partagé a incorporé dans sa logique le rapport de reconnaissance, c’est-à-dire le respect de la dignité de tous les hommes et de toutes les femmes. Si, dans le système juridique, le statut des individus n’est pas du tout celui de « cho-ses » à « observer » et à « calculer », mais au contraire celui de personnes dotées d’une dignité morale et de droits de citoyenneté, ce fait est, comme dirait Marcel Mauss, un « fait social total » qui présuppose l’existence de pratiques sociales et d’institutions politiques exigeant la relation de reconnaissance comme forme de liberté intersubjective.

Certes, pour que les droits ne restent pas lettre morte – ou pour conquérir de nouveaux droits –, il faut engager des « luttes pour la reconnaissance », lesquelles à la fois répondent à une grammaire morale (le postulat de la dignité humaine) et se situent dans le contexte d’un ordre social et politique marqué par des rapports de force bien déterminés. À ce propos, il convient peut-être de rappeler, avec Ernesto Laclau, que la cohérence du capitalisme comme formation sociale ne dérive pas de « la simple analyse logique des contradictions implicites dans la forme marchan-dise » et que son effi cacité sociale ne vient pas d’une logique endogène, mais dépend « de sa relation à un dehors hétérogène qu’il peut contrôler par des relations de pouvoir instables ». Cela veut dire, pour E. Laclau, que la domination capitaliste n’est pas un procès « autodéterminé », mais, dit dans le langage de Gramsci, « le résultat d’une construction hégémonique, si bien que sa centralité dérive, comme tout le reste dans la société, d’une

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surdétermination d’éléments hétérogènes » [Laclau, 2008, p. 271-272]. C’est pourquoi on ne peut réduire le droit, comme le fait Jean-Claude Michéa [2007, p. 36], à une fonction « comparable à celle du Code de la route », visant à régler la coexistence paci-fi que de la multitude de ces particules élémentaires que sont les individus atomisés. Dans cette vision philosophique, le droit, ce n’est encore une fois – comme chez Lukács – que l’enveloppe superstructurelle de l’économie de marché, et cette dernière prend la place des anciennes théologies en prétendant « défi nir la voie que l’humanité doit suivre – celle de la Croissance illimitée » [ibid., p. 55]. Bien entendu, J.-C. Michéa a raison de souligner la « vocation » du marché à se constituer lui-même en « religion incarnée » ; mais cela ne veut pas dire que le marché peut imposer des changements sociaux à même de garantir de nouveaux droits, de créer des institutions nouvelles ou de faire valoir des valeurs jusqu’à présent piétinées. Le marché possède encore moins le monopole de la socialisation et notamment, comme le remarque N. G. Canclini, celui de l’interculturalité, c’est-à-dire de la ten-dance à l’établissement de relations interculturelles qui traversent toutes les sociétés et toutes les nations6. Dans les sociétés globali-sées de la connaissance et de la communication, le marché ne peut pas répondre aux défi s de la multiculturalité (les transformations cognitives et anthropologiques de la révolution numérique) et de l’interculturalité (la traduction, la contamination, mais aussi le confl it et la lutte d’hégémonie entre les cultures, y compris les sous-cultures d’une même société). J.-C. Michéa ne prend pas en compte l’importance de la consommation – en particu-lier la consommation symbolique et culturelle – comme système d’intégration et de communication par lequel, dans les sociétés médiatisées, se forment les identités sociales et se déploie une lutte pour l’hégémonie de certaines conceptions de la « vie bonne » et

6. J.-C. Michéa a une vision unidimensionelle et totalisante (théologique ?) du marché. « N’est-ce pas le Marché, en effet, qui monopolise à présent – à travers son immense industrie du divertissement et son omniprésente propagande publicitaire – le droit d’enseigner à tous les humains, à commencer par leurs enfants, ce qu’ils peuvent savoir, ce qu’ils doivent faire et ce qu’il est permis d’espérer ? De leur prêcher, en d’autres termes, la façon dont ils doivent vivre et les raisons “scientifiques” pour lesquelles toute autre manière d’envisager les choses est, dorénavant, privée de sens ? » [ibid., p. 55].

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de certains modèles de conduite sur d’autres. C’est sur ce terrain que nous nous heurtons de nouveau au problème de la reconnais-sance, mais cette fois du côté du rapport entre interculturalité, reconnaissance et capacité de donner.

Les mutations anthropologiques de la technosocialité

En premier lieu, il faut donc abandonner l’idée libérale bien simpliste que la consommation n’a qu’un statut purement économi-que, alors qu’elle est un lieu stratégique de formation des identités des sujets individuels et collectifs, où s’articulent des processus contradictoires de réifi cation-aliénation et d’émancipation. Ceux qui ont étudié le rôle capital joué dans la network society par les nouvelles technologies de la communication sans fi l (wireless) ont mis en évidence qu’elles ont provoqué une sorte de « bouleverse-ment tectonique » dans la formation de l’identité des adolescents [Castells, Fernadez-Ardévol, Linchuan Qiu et Sey 2006, p. 141]. Cette dernière n’est plus modelée par les structures traditionnelles de socialisation comme la famille, le système éducatif, l’Église ou les médias de transmission (surtout la radio et la télévision), mais par les nouvelles technologies digitales et mobiles, comme les portables, où images, sons et mots s’entrelacent, engendrant une transformation qualitative dans l’expérience de la vie quotidienne des usagers. N. G. Canclini [2007] a interprété cette transition-migration des systèmes analogiques aux systèmes digitaux non seulement comme une révolution technologique, mais comme une mutation anthropologique liée à la naissance d’une fi gure com-plexe, celle du lecteur-spectateur-internaute, dont les consomma-tions culturelles ne sont plus « monogamiques » (la lecture fondée sur le livre), mais de nature plurilinguistique et polyvalente. Cette incorporation des technologies digitales dans les activités de la vie quotidienne, en particulier des jeunes mais aussi des enfants, a créé quelque chose qui dépasse le domaine de ce que les socio-logues appellent les « habitus culturels », parce qu’il s’agit d’un style de vie global tout à fait inédit, d’une véritable « sensibilité technosociale », laquelle est en train de changer radicalement les modalités, les valeurs et les buts de l’être-au-monde des humains mondialisés, et par conséquent l’ontologie sociale du présent.

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Je dirais que nous sommes devant un tournant historique com-parable à celui découvert par Georg Simmel saisissant tous les aspects du monde de la métropole moderne avec son Nervenleben. Il est important, arrivé à ce point, qu’on ne conçoive pas la techno-socialité comme un concept de la raison instrumentale : les nou-velles technologies de la communication ne fonctionnent pas comme de simples outils, mais comme des « contextes » et des « conditions environnementales » qui promeuvent « des nouveaux modes d’être, des nouvelles chaînes de valeurs et des nouvelles sensibilités au temps, à l’espace et aux événements de la culture » [Castells, Fernadez-Ardévol, Linchuan Qiu et Sey, 2006, p. 142]. Il s’agit d’une tendance globale commune à la culture des jeunes de différentes nations dans ses rapports à la mode ou aux institutions sociales comme l’école et la famille. La gestion des relations intra-familiales s’affranchit des préjugés patriarcaux, même si la famille reste pour les jeunes la principale source de sécurité économique et d’aide psychologique. Mais les relations de reconnaissance ne sont plus limitées, comme le pense A. Honneth, à la famille, aux institutions juridico-politiques et à la division sociale du travail. Dans la network society émerge une véritable « transformation de la socialité », qui conduit par exemple à la « construction d’un groupe de pairs à travers la socialité des réseaux (networked) » [ibid., p. 143]. De toute évidence, la socialité en question est faite de contacts très « sélectifs » et « autodirigés » et le médium de cette socialité embrasse Internet, la téléphonie mobile et les rapports de face à face. Il faut réaffi rmer que, ici, nous n’avons guère à faire avec des progrès technologiques neutres – et moins encore avec la mégamachine de la technique que Heidegger nommait Gestell –, mais plutôt avec une mutation radicale de l’expérience et des formes de vie où il en va de l’existence des sujets, donc des dynamiques de la formation des identités individuelles et collectives. Or, la reconnaissance mise en œuvre à travers les réseaux de socialité est fondée sur un choix et sur des affi nités de goût, d’opinion, sur des modes, des consommations symboliques.

Dans cette perspective, le concept honnéthien de « réifi cation » paraît trop étroit et parfois trompeur parce qu’il ne voit pas que, dans la socialité des réseaux, les relations de reconnaissance sont alimentées par des pratiques sociales où l’identité individuelle et l’identité collective se nouent mutuellement : par exemple, le

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groupe de pairs se consolide en partageant des valeurs et des codes de communication comme un certain langage, certaines façons d’envoyer des messages ou certaines formes expressives. Il est frappant de constater que, d’un côté, ces tendances de la culture des jeunes brisent les frontières des États et des nations en s’orientant vers un savoir multiculturel et interculturel et que, de l’autre, il y a « un renforcement de l’identité individuelle comme caractéris-tique de cette identité collective des jeunes », parce que « ce qui distingue la culture contemporaine des jeunes, c’est l’affi rmation de chaque individu qui partage la culture : c’est une communauté d’individus » [ibid., p. 144]. Les théoriciens de la network society exagèrent sans doute les aspects positifs des nouvelles technolo-gies de la communication sans fi l (wireless) et ils ne voient pas la connotation rhétorique et idéologique de leur conception ; mais il est cependant sûr et certain qu’elles sont aujourd’hui la manière principale par laquelle les jeunes gagnent leur autonomie dans toutes les dimensions de leur propre vie et qu’elles sont donc le terrain sur lequel les relations de reconnaissance peuvent s’affi rmer et fl eurir, ou échouer… si la logique du marché l’emporte complètement.

Économie et droits à la culture

Toutefois, le marché ne peut jamais faire des instances de la multiculturalité et de l’interculturalité, liées à la révolution numé-rique et aux processus de la globalisation, un bloc monolithique et dépourvu de contradictions. Il y a deux problèmes cruciaux que les théoriciens de la network society sous-estiment. En premier lieu, comme y insiste N. G. Canclini, il faut se rappeler que, dans les sociétés de la connaissance – qui sont aussi des sociétés multi-culturelles –, le développement de la culture ne peut s’opérer dans le cadre de la préservation et de la consolidation d’une tradition nationale : « Le développement le plus productif est celui qui met en valeur la richesse des différences, encourage la communication et l’échange – à l’intérieur et avec le monde entier – et aide à redresser les inégalités » [Canclini, 2005]. À l’époque de la mondialisation, l’inégalité sociale revêt l’aspect d’une exclusion de la connaissance et de l’information. Ici, nous avons affaire à une forme inédite de « réifi cation » avec l’acception de l’« oubli » de la reconnaissance

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dont parle A. Honneth. Il y a réifi cation de deux façons. D’un côté se reproduit, en des termes nouveaux, la condition de l’être-étranger – parce que les adultes qui expérimentent les diffi cultés des nouvelles technologies ont un sentiment d’étrangeté à l’égard du monde environnant, où la relation de reconnaissance est tout à coup mise à mal comme si le monde ne reconnaissait plus ces sujets comme sujets à part entière. Dans ce cas, la division entre « nous » et « les autres », entre les « autochtones » et les étrangers sépare les générations, où les « autochtones » sont les plus jeunes et les étrangers les personnes les plus âgées. De l’autre, la réifi cation se révèle dans la confi guration des rapports entre le développement économique et la culture, notamment dans la construction de la citoyenneté. La culture est devenue une entreprise industrielle et obéit à la logique du marché, ce qu’Adorno avait saisi dans son analyse des processus de la « rationalisation » capitaliste, et les droits culturels gagnent toujours plus d’importance. Car ces droits culturels ne sont pas seulement des droits associés au territoire, à la langue ou à l’éducation, ce sont surtout des droits que N. G. Canclini [ibid.] appelle les « droits à la connexion » (derechos conectivos), c’est-à-dire des droits liés à l’accès aux circuits de communication et aux appareils de production-circulation de la connaissance.

On voit ici que le concept de culture est très complexe parce qu’il embrasse aussi bien le droit à la différence des cultures des minorités, spécialement des communautés d’immigrés, que le droit à l’intégration ou le droit à des politiques de justice sociale. Le « droit à la connexion » – qui garantit la participation aux réseaux d’échange, de communication et de formation – fait donc partie intégrante des droits culturels. La méconnaissance de ce droit crée des nouvelles formes d’inégalité sociale à côté des inégalités de classe, de statut, de genre ou autre. Des régions entières de la pla-nète se trouvent encore hors du système des réseaux : ce sont les aires « déconnectées », lesquelles sont discontinues au niveau de l’espace et de la culture. Comme le relève M. Castells [1998], elles comprennent les inner cities américaines, les banlieues françaises, les bidonvilles africains ou les aires rurales pauvres de la Chine et de l’Inde. À plus forte raison faut-il aujourd’hui raviver les idéaux de la tradition démocratique – la liberté, l’égalité et la solidarité – par des politiques publiques à même de réduire le « fossé numérique » et de promouvoir des formes inédites de « cohabitation culturelle ».

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Il ne s’agit pas de rappeler que ces politiques publiques ne seraient que le prolongement non seulement des idéaux républicains, et de l’esprit des Lumières en particulier, mais aussi des idéaux associatifs et coopératifs du mouvement ouvrier des XIXe et XXe siècles7. De toute évidence, il s’agit de concevoir la notion de « cohabitation culturelle » dans une acception qui ne soit pas étroite, comme si on devait simplement préserver les différences des cultures et entre les cultures ou la pluralité des conceptions du bien des individus et des groupes sociaux. Cette version séparatiste et communautariste de la différence – et de la « cohabitation culturelle » – a caractérisé une idéologie du multiculturalisme qui a montré ses limites et ses contradictions8. Car les nouvelles technologies d’aujourd’hui ont favorisé le remodelage des cultures nationales et la transformation des nations dans des lieux où se croisent différents systèmes cultu-rels, et où se rencontrent différents codes symboliques, différents styles de vie, différents goûts artistiques, qui s’entremêlent et sou-vent luttent pour assurer leur hégémonie.

En bref, les situations de multiculturalité et d’interculturalité associées à cette « cohabitation » n’encouragent pas la clôture iden-titaire des cultures, mais plutôt leur contamination réciproque. Dans cette perspective, c’est une grave erreur d’interpréter la tendance à la « transnationalisation » – qui est aussi une déterritorialisation (Deleuze) – des cultures nationales comme une victoire défi nitive remportée par le marché et par sa logique homogénéisante. La nou-veauté, c’est aussi que les multinationales adoptent des stratégies de différenciation productive et commerciale, et c’est pourquoi se constituent des segments mondialisés d’usagers qui partagent les mêmes habitus et les mêmes goûts : les jeunes, les personnes âgées, les maigres, etc. [Canclini, 1995, chap. V]. Il y a, donc, dans le cadre de la globalisation, une dialectique âpre entre homogénéisation et différenciation, qui conduit à la fois à la convergence des habitus culturels et au maintien, voire au renforcement, des inégalités de niveau de vie. Au sein de cette dialectique, où se recoupent des processus de segmentation et d’hybridation interculturelle, les identités nationales, régionales et ethniques se redéfi nissent dans un espace de « communication multicontextuelle », où surgissent des

7. Voir le très important n° 16 de La Revue du MAUSS semestrielle [2000].8. J’ai traité ce sujet dans mon livre, Multiculturalismo [2008].

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relations d’échange et d’hybridation, mais aussi des confl its et des ruptures entre les systèmes locaux et les systèmes globaux, entre les cultures territoriales (qui opposent une résistance au changement) et les nouvelles technologies d’« ingénierie culturelle ». Sous ce jour, les identités apparaissent comme des processus de négociation, de compromis et de transaction, ou, comme le dit N. G. Canclini dans une formule heureuse, comme un processus de « coproduction » qui traverse non seulement les cultures nationales dans leurs inte-ractions, mais aussi les sujets considérés individuellement.

Cultures et paradigme du don

La théorie du don – de la triple obligation de donner, recevoir et rendre – nous offre les instruments théoriques les plus adéquats pour comprendre la dynamique du développement et du fonctionnement de l’hybridation interculturelle. Le « métissage » n’est pas, comme le croit J.-C. Michéa [2007, p. 82-83], l’autre nom de l’« unifi cation juridique et marchande de l’humanité », d’un monde « intégrale-ment uniformisé », où l’Autre est « pur objet de consommation touristique et d’instrumentalisations diverses9 ». Sous-évaluer le fait que les transformations de la globalisation ne sont pas seulement de nature économique et fi nancière, mais aussi de nature multi- et interculturelle, conduit à ne pas comprendre qu’il y a aujourd’hui un lien très étroit entre culture et développement (et c’est particu-lièrement vrai du développement durable). Évidemment, la culture dans ce cas n’est pas seulement tout ce qui favorise le développe-ment, comme l’éducation, la santé, le respect des droits humains, les politiques de promotion des capabilities (Sen) ou, comme le remarque le quasi-manifeste institutionnaliste « Pour une économie politique institutionnaliste10 », la culture des institutions, dès lors qu’il n’existe pas de one best way, synchronique ou diachronique, en matière d’institutions.

9. P. Bourdieu et L. Wacquant ont parlé du multiculturalisme comme d’une « nouvelle vulgate planétaire », dans Il pensiero unico al tempo della rete, supplément du Monde diplomatique/Il manifesto, 2004.

10. La Revue du MAUSS semestrielle [2007, p. 41].

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Il n’est pas inutile de souligner que la notion de culture, dans les théories de la network society aussi, ne peut être tout à fait désolidarisée de la nation (comprise, bien entendu, selon un concept intrinsèquement pluraliste et non monolithique de nation) : soit les communautés des immigrés, soit le véritable État-nation. En paraphrasant une proposition de Marcel Mauss11, on pourrait dire que la culture est indissociable de l’existence des nations, même si M. Mauss avait parfaitement conscience que, au moins à dater de la grande guerre, nous vivions dans l’ère de l’« inter-nation » ou, comme nous le dirions aujourd’hui, de la multiculturalité et de l’interculturalité. Ici la réfl exion de Gramsci sur la portée de la culture – ou des cultures – dans la construction de l’hégémonie politique reste encore très actuelle. La critique du « nationalisme méthodologique » ne peut occulter le fait que l’État-nation, bien qu’il ait été sapé dans sa centralité, reste encore le lieu fondamental où se nouent les luttes pour la reconnaissance, où s’exerce la média-tion entre les divers intérêts (la redistribution de la richesse) et où l’on décide des politiques publiques (de l’éducation, de la santé, de l’accès aux biens communicationnels et interactifs, en bref, de la citoyenneté). Le grand défi de la globalisation est aussi de construire les institutions de l’« inter-nation » – politiques, juridiques et éco-nomiques – à même de domestiquer la « bête sauvage » du mar-ché, comme l’appelait Hegel, c’est-à-dire à même de prévenir les catastrophes et les risques auxquels la société-monde est exposée, et de redistribuer la richesse selon une « clause antisacrifi cielle » au bénéfi ce des peuples les plus défavorisés. Il faut donc élaborer une approche économique de la culture qui non seulement ne la réduise pas à la logique marchande des mégagroupes des arts, du cinéma et de l’industrie du livre, mais qui protège la production culturelle endogène dans sa pluralité et dans sa spécifi cité (y com-pris en matière d’écologie) tout en mettant en relief les rapports de transversalité que la culture entretient avec les autres sphères de la vie sociale et avec les autres cultures et sous-cultures.

Dans la société planétaire, toutes les cultures sont en quête de reconnaissance. À ce propos, en paraphrasant Alain Caillé [2007], nous pouvons jauger la valeur des cultures à l’aune de leur capacité

11. « Le socialisme est lié à l’existence des nations ; il n’était pas possible avant qu’elles ne se fussent formées » [1997, p. 260].

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à donner12. La mesure de la valeur va au-delà de la distinction entre « l’ensemble des dons qu’elles ont effectivement faits » et « leurs potentialités de don ». Ou, mieux, toutes les cultures, notamment les cultures qui jusqu’à présent ont connu la domination colonialiste et impérialiste, aspirent à être reconnues dans leur capacité de donner, comme protagonistes à part entière du cycle du donner-recevoir-rendre et non pas comme des sujets en situation permanente de dette réelle et symbolique. Par cette infériorisation des cultures autres, les peuples donateurs se sont autocélébrés, dans leur ima-ginaire colonial, comme « les donnants, i.e. ceux qui donnent tout le temps sans jamais recevoir », et qui ainsi « n’attendent plus de reconnaissance de la part de ceux qui reçoivent » [Caillé et Rémy, 2007]. C’est pourquoi les peuples dominés réclament aujourd’hui la reconnaissance de la valeur irremplaçable et presque unique de leur culture dans le domaine de la civilisation. C’est une situation qui ouvre à la possibilité de l’hybridation, de la traduction et d’un dialogue, mais en même temps à un confl it pour l’hégémonie qui peut avoir des aboutissements tragiques si on ne le canalise pas dans le lit d’un agôn démocratique. Les deux processus s’entrelacent. Si chaque culture veut faire valoir son apport créatif à la famille humaine, c’est-à-dire le don de quelque chose qui a à faire avec la pluralité et la diversité humaine (œuvres d’art, biens manufacturés, symboles religieux, codes de conduite, etc.), elle doit engager une lutte pour la reconnaissance pour s’opposer à la culture dominante et affi rmer sa position dans le monde, sa « vision » de la réalité. Dans le don, il y a toujours de l’agôn, le désir de prestige et de primauté.

Ce n’est pas par hasard que, à l’heure actuelle, avec le triomphe de la globalisation, où les pays les plus favorisés ont imposé à tous les autres leur modèle de développement comme universel et juste (le soi-disant Washington’s Consensus), la lutte pour la reconnais-sance change de registre et se déploie en première instance sur le terrain culturel. Pour emprunter dans ce contexte une suggestion de Julien Rémy [2006, p. 261], on pourrait dire qu’à l’ère de la globalisation, avec la suprématie du capital fi nancier, les pays dominés et considérés comme économiquement « arriérés » ont

12. A. Caillé fait ici référence à la valeur sociale des sujets individuels et collectifs.

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cessé de contester leur dette envers les pays dominants en reven-diquant le don mesurable d’une richesse qu’ils produisaient et à raison de laquelle « les dominants leur devaient quelque chose ». De la même manière que dans les sociétés nationales, on enregistre au niveau international une situation de « dette en trop » [ibid.] qui condamne les pays dominés à la rupture du cycle du don, où les pays dominants se conçoivent comme n’ayant rien à recevoir de ces sociétés mais comme ayant tout à leur donner. Une attitude dans laquelle s’exprime une supériorité arrogante qui n’assigne aux dominés que le rôle de perpétuels débiteurs. D’où le ressentiment et le désir d’un dédommagement symbolique de ces pays comme « réaction » à l’impossibilité de faire circuler la dette, de renverser la position de donataire. La lutte pour la reconnaissance devient alors une lutte pour la reconnaissance d’une identité culturelle : un peuple, une nation, une communauté particulière qui ne s’opposent pas seulement à la stigmatisation dont ils sont victimes, mais qui veulent aussi affi rmer, avant leur « utilité sociale », leur manière d’être au monde, de vivre et d’habiter la planète. Cette auto-affi r-mation, lorsqu’elle n’est pas valorisée dans le cycle du don, peut prendre la forme d’une théologie politique où la religion, avec ses croyances, ses symboles et ses pratiques, occupe en l’évacuant la place du politique.

Naturellement, la capacité de donner d’une culture est liée à sa capacité de faire « alliance » avec les autres cultures, ou, comme le dit Hannah Arendt, à la capacité de « transformer les ennemis d’hier en alliés de demain ». Mais, dans nos sociétés multicultu-relles, reconnaître la capacité de donner d’une culture n’est pas un simple geste ou une rhétorique. Cela réclame une sorte de révolution copernicienne de la rationalité occidentale : qu’elle ait le courage d’adopter une attitude critique à l’égard d’elle-même et de sa pro-pre histoire, de ses entreprises de domination et de déracinement des cultures autres. Ce que Max Weber appelait le « rationalisme occidental » n’est pas un processus innocent et sans accidents, comme l’idéologie du progrès nous l’a enseigné. C’est pourquoi les apologies que les savants comme John Searle [1993] proposent de la « tradition rationaliste occidentale » comme un ensemble de canons dogmatiques et transculturels – vérité, objectivité, logique formelle et rationalité procédurale – sont pour le moins suspectes. Faire « alliance » signifi e au contraire reconstruire sa propre identité

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historique en accueillant la voix des autres cultures qui avait été réduite au silence et implique par conséquent de donner l’espace nécessaire au fonctionnement du cycle du don.

En termes épistémologiques, l’enjeu du « don de l’alliance » par l’Occident, c’est l’élaboration d’un universalisme d’un type nouveau, c’est-à-dire la construction d’un « universel » consensuel semblable au jugement réfl échissant de la troisième Critique de Kant. Dans cette perspective, le cycle du don ne peut que seconder les processus d’hybridation, de traduction et de négociation entre les cultures répandues par la network society en élargissant et en renforçant les réseaux autonomes de la société civile mondiale, ces « espaces publiques primaires et secondaires » par lesquels se renouvelle sans cesse le mouvement de l’« invention démocrati-que », celui, comme le dit A. Caillé, « par lequel tous se donnent à tous » [Caillé, 1998, p. 82]. Comme le montre le cas de la révolte récente de la population de Corée du Sud contre le président Lee Myeon Bak et l’accord de libre-échange qu’il a signé avec les États-Unis, Internet et les nouveaux moyens de communication peuvent jouer un rôle très important dans la mobilisation politique des citoyens.

Les sociétés occidentales doivent réinventer le paradigme du politique comme « ad-sociation », comme « don d’alliance » et dans cette torsion elles doivent se délivrer de l’imaginaire colo-nial et postcolonial qui a condamné auparavant à une exploitation sauvage les peuples dominés et ensuite leurs cultures à une « dette en trop », y compris pour les communautés d’immigrés dans les relations qu’elles entretiennent avec les pays d’accueil. En bref, c’est la route de la multiculturalité et de l’interculturalité que, pour ne pas l’abandonner à la logique du marché, il faut étayer par des politiques appropriées qui cimentent en même temps les liens sociaux, les droits à la différence et la solidarité des citoyens – une solidarité qui aille au-delà de celle du « don secondaire » [ibid.] mis en œuvre par le welfare state et qui inclue les exclus du pacte politique. Ainsi, ces derniers pourront se sentir reconnus comme les donataires légitimes « d’un don qui revêt un caractère obligatoire pour une autre catégorie sociale et/ou pour la communauté politico-juridique dans son ensemble » [Caillé, 2007, p. 26]. Dans ce cadre, la culture du donataire est considérée soit comme la marque d’une identité particulière, soit comme partie intégrante de sa capacité

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d’action, de sa capacité de « donner », de ses capabilities13. Encore une fois, c’est la route indiquée par Marcel Mauss : instituer une coexistence dans laquelle nous sommes à même de nous opposer mutuellement sans nous « massacrer », de nous « donner » sans nous « sacrifi er » les uns aux autres.

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13. J’ai traité de cette problématique dans Multiculturalismo.

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