"dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

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(1) Charles de MESTRAL Le concept de "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard. Mémoire de Maîtrise présenté à la Faculté de philosophie de l'Université de Montréal [Préparé en utilisant la concordance informatisée des oeuvres de Kierkegaard produite par le professeur Alastair McKinnon de l’Université McGill] 1970

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(1)

Charles de MESTRAL

Le concept de "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de

Kierkegaard.

Mémoire de Maîtrise présenté à la Faculté de philosophie

de l'Université de Montréal

[Préparé en utilisant la concordance informatisée des

oeuvres de Kierkegaard produite par

le professeur Alastair McKinnon

de l’Université McGill]

1970

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(2)

INTRODUCTION

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(3)

On se figure en général la dialectique comme assez

abstraite, on pense surtout aux mouvements logiques.

Mais la vie nous apprend bientôt qu'il y a plusieurs

sortes de dialectiques, que presque chaque passion

possède la sienne propre(l).

En lisant cette citation de Ou bien ... ou bien on

pourrait se poser beaucoup de questions. Quelles seraient

toutes ces "dialectiques" différentes ? Qu'est-ce qui

pourrait distinguer une dialectique d'une autre ? Qu'est-ce

que c'est que la dialectique d'une passion ? En essayant de

répondre à de telles questions on conclut qu'il y a quelque

chose d'original qui caractérise le sens du terme

"dialectique" chez Kierkegaard. C'est ce que je veux

étudier dans ce mémoire.

Il y a d'autres passages où, en parlant de dialectique,

Kierkegaard s'oppose farouchement à la pensée de Hegel. Ce

rapport est un point important pour situer Kierkegaard vis-

à-vis de la philosophie antérieure. Ce travail se propose

aussi Comme but secondaire de rendre cet aspect plus

compréhensible.

L'étude se limite aux oeuvres pseudonymes de

Kierkegaard.

(1) Ou bien ... ou bien, p.124.

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Celles-ci forment un groupe naturel dans la production de

l'auteur selon sa propre explication dans le Point de vue

explicatif de mon oeuvre. Le terme "dialectique" joue des

rôles particuliers à travers les oeuvres pseudonymes. Pour

ce mémoire Ou bien … ou bien (1843) et les Etapes sur le

chemin de la vie(1845) sont d'une importance capitale(l).

Le Post-Scriptum(final, non-scientifique)aux Miettes

Philosophiques (1846) l'est aussi, mais pour des raisons

différentes. Crainte et Tremblement(1843),La Répétition

(1843),Riens ("Miettes") Philosophiques(1844) et Le concept

de l'angoisse (1844) seront examinés aussi. La maladie à la

mort (1849) n'est pas inclus. Bien que pseudonyme il y a

des facteurs qui pèsent contre son inclusion. Ce livre fut

écrit en 1849, c.est-à-dire après le dernier du groupe de

pseudonymes déclaré fini dans le Point de vue explicatif de

mon oeuvre écrit en 1848. De plus la pseudonymie est

beaucoup plus transparente ici qu'ailleurs. La maladie à la

mort rejoint plutôt les oeuvres d'édification religieuse

directe des oeuvres non-pseudonymes de Kierkegaard.

Pourtant le concept de "dialectique" y joue un certain

rôle. Un travail plus vaste que celui-ci poursuivrait la

définition du concept de dialectique dans La maladie à la

mort et dans les quelques autres oeuvres religieuses où il

(1) On indique pour chaque oeuvre la date de la première

publication.

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en est question(l).

Avant de chercher dans le Point de vue explicatif les

premiers indices au sujet de ce concept, il faudrait

comprendre le rôle de la pseudonymie chez Kierkegaard.

Quand il écrit sous un pseudonyme, il ne le fait pas tout

simplement pour cacher son identité. Il le fait pour des

raisons plus complexes. Chaque auteur pseudonyme, et il yen

a parfois plusieurs par oeuvre. est un véritable personnage

au sens dramatique du mot. Lorsque Kierkegaard fait parler

un auteur pseudonyme c'est comme s'il devenait quelqu'un

d'autre. Il dit souvent ce qu'il ne dirait jamais sous son

propre nom(2). Il faut se garder d'attribuer à Kierkegaard

toutes les affirmations - souvent contradictoires

d'ailleurs - de ces oeuvres.

L'ensemble des oeuvres pseudonymes joue un rôle précis.

Il s'agit premièrement de débarrasser le lecteur de deux

illusions pernicieuses - les conceptions "esthétique" et

"spéculative" de la vie. En deuxième lieu il faut lui faire

sentir que l'existence véritable est une vie passionnée. Ce

n'est qu'après avoir compris et senti cela qu'on peut

aborder les oeuvres d'édification religieuse subséquentes.

(l) Voir l'appendice.

(2) Voir l'article de A. McKinnon, "Kierkegaard's

Irrationalism Revisited", International Phhilosophical

Quarterly:, IX 2, June 1969.

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Ces deux objectifs s'atteignent par une technique

subtile, une espèce de traitement-choc contrôlé qui

atteindra le lecteur tant sur le plan affectif

qu'intellectuel. Car on peut très bien comprendre une

erreur par l'intelligence sans pour autant arriver à s'en

débarrasser. Et on peut très bien rejeter des illusions

conceptuelles sans comprendre un point d'importance

capitale - qu'une vie profonde est une vie passionnée. La

communication dans les œuvres pseudonymes est donc surtout

"indirecte" à travers toute une stratégie compliquée. Ce

n'est qu'après avoir suivi tout ce traitement préparatoire

que l'on serait prêt à aborder les oeuvres d'édification

religieuse directe de Kierkegaard - et qu'il a fait publier

sous son vrai nom. C'est dans tout ce contexte original et

propre à cet auteur qu'il s'agira d'étudier le sens de

l'idée de dialectique.

Pourtant, avant d'entreprendre cela, il faudrait mieux

comprendre la technique de la communication indirecte des

oeuvres pseudonymes. On trouve des indications claires à ce

sujet dans le Point de vue explicatif de mon oeuvre, publié

en 1859 après la la mort de Kierkegaard. La section A de la

première partie explique "l'ambiguïté ou la duplicité dans

toute l'oeuvre", et on y trouve l'explication suivante :

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Cette duplicité, cette ambiguïté est consciente,

l'auteur en est mieux informé que personne; elle est la

condition dialectique fondamentale de toute l'oeuvre et

elle a par suite une raison profonde(l).

Et encore :

Quand donc une mystification, un redoublement

dialectique, est mis au service du sérieux, ce procédé

entend qu'on y recoure simplement de manière à prévenir

les méprises et les accords provisoires, laissant au

chercheur honnête le soin de trouver l’explication

valable(2).

Il y a donc dans les oeuvres pseudonymes une

"ambiguïté" ou une "mystification" construite et maintenue

de façon consciente afin d'atteindre les buts profonds des

oeuvres. Encore une fois ces buts sont d’enlever au lecteur

les illusions qui l’empêchent de comprendre la vie pour

l'amener ensuite vers la véritable compréhension passionnée

de la vie - ce qui aura pour conséquence de l'orienter vers

la passion de la foi chrétienne. La communication est

"indirecte", et s'opère au niveau de l’affectivité

(1) Point de vue explicatif de mon oeuvre, p.6l.

(2) Ibid., p.64.

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autant que de l'intelligence, d'où le recours à l'ambiguïté

et à la mystification.

Les oeuvres pseudonymes emploient donc une technique de

la communication indirecte - ce que Hermann Diem a nommé

"la dialectique de la communication" (1) . Cette tactique

subtile serait un premier niveau de "dialectique"

manifestée dans ces oeuvres. Il s'agit d'une méthode

comparable à la maïeutique socratique. C'est pour cela que

Kierkegaard a parlé de la "condition dialectique" et du

"redoublement dialectique" de ses oeuvres pseudonymes dans

les deux citations ci-dessus.

Ce n'est pas le but de ce mémoire de faire l'analyse de

cette dialectique-là. L'objectif est plutôt d'examiner la

fonction du concept de "dialectique" à l'intérieur de ce

contexte, le rôle qu'il joue dans l'argumentation des

auteurs pseudonymes. Ceci dit, on peut maintenant esquisser

une première description de la fonction du concept de

dialectique. Quand il en est question, ce n'est pas parce

qu'il est important par lui-même, au contraire. Il en est

question parce que cela peut être utile dans le contexte de

la stratégie de la communication indirecte. Par exemple,

quand Johannus, auteur pseudonyme du "Journal du séducteur"

se

(1) Dans H. DIEM, Kierkegaard's Dialectic of Existence.

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dit "dialecticien", le but de Kierkegaard est de faire

sentir la stérilité de cette dialectique trompeuse.

On verra que l'idée de "dialectique" se retrouve à

travers les oeuvres pseudonymes dans le contexte du rejet

de deux erreurs. Kierkegaard veut, pour ainsi dire, faire

suivre deux "voies" au lecteur. Il ya premièrement celle

où l'on revient de l'esthétique pour revient de

l’esthétique pour devenir chrétien,

et ensuite

celle où l'on revient du système, de la spéculation,

etc... pour devenir chrétien(l).

Il est question de "dialectique" dans le contexte de ces

deux "voies", ces processus de rejet de deux erreurs graves

– les conceptions esthétiques et spéculatives de la vie.

Kierkegaard s'attaque premièrement à la vie

"esthétique". L'idée de dialectique prend plusieurs sens

différents à travers cette démarche. Ou bien … ou bien et

Etapes sur le chemin de

(l) Point de vue explicatif de mon oeuvre, p.80.

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La vie sont les oeuvres importantes pour la première

"voie". Une vie "esthétique" est une vie menée selon des

catégories illusoires esthétiques, des catégories de l'art

romantique. L'individu situe son bonheur dans une

conception idéalisée, irréalisable. Il faut débarrasser le

lecteur de ses illusions :

Si donc, par hypothèse, la plupart des chrétiens ne le

sont qu'en imagination, dans quelles catégories vivent-

ils ? Dans celles de l'esthétique ou tout au plus dans

les catégories esthétiques-éthiques(l).

Le concept de "dialectique" apparaît souvent dans ce

contexte - pour faire sentir à certaines gens qu'ils vivent

dans l'illusion. Il faut le faire de façon tellement

frappante, qu'ils n'auront pas d'autre choix que de vivre

différemment. Tout ceci sera examiné en détail dans la

partie II de ce travail.

On verra entre autres le sens le plus important de

l'idée de dialectique dans ce premier processus. Les

auteurs pseudonymes qui accomplissent le rejet de

l'esthétique se servent de la conception originale d'une

"situation dialectique". Un personnage est décrit comme

pris dans une situation où passion et concept

(1) Op. cit. , p.71.

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agissent l’un sur l’autre pour maintenir un état constant

de tension "dialectique." À la lecture de ces descriptions

on est forcé de comprendre et de sentir les contradictions

internes d’une conception illusoire de la vie. On ne voit

peut-être pas encore de solution, mais on ne peut pas

revenir à son point de départ.

Revenons à la deuxième "voie", le rejet de la pensée

systématique hégélienne. Ici la notion de dialectique joue

plusieurs rôles différents. Le Post-Scriptum (final, non-

scientifique)aux Miettes Philosophiques est l’oeuvre

principale à ce sujet. On en retrouve l'analyse dans la

partie III de ce mémoire. La démarche est assez semblable à

celle de la première "voie". Le "Système" constitue une

autre illusion qui empêche les gens de vivre avec la pleine

conscience de leur situation d'existant individuel. Mais au

début le combat se mène de façon "directe", au sens déjà

expliqué. La dialectique hégélienne se trouve rejetée par

des arguments directs, c’est-à-dire valables sur le plan

conceptuel, à l'extérieur du contexte de la communication

indirecte. Le concept de dialectique figure donc au sens

explicite de la pensée hégélienne.

Mais à la place de cette dialectique-là on expose "le

dialectique" - concept original et propre à l'oeuvre de

Kierkegaard. Il s'agirait d'une description du côté

"dialectique" de l'existence

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- désigné par cette forme de l'adjectif employé comme

substantif masculin(l). On revient dans le contexte de la

communication indirecte. Il ne s'agit surtout pas d'un

nouveau petit "système" philosophique, mais plutôt de la

description de modes de vie pleins de tension, ce qui

oblige à l'individu de sentir les problèmes de la vie

passionnément par delà la spéculation pure. La tactique est

encore d'atteindre le lecteur de façon indirecte au niveau

de l'émotion, par-delà l'intelligence pure.

Le concept de dialectique joue donc un rôle important

dans la deuxième voie suivi par les oeuvres pseudonymes. Il

y est question "du dialectique". Ce dernier consiste, on le

verra, en une récupération de l'explication des diverses

étapes de la vie dont il est question dans les oeuvres

précédentes. On verra aussi dans la troisième partie du

mémoire comment "le dialectique" aboutit à une étape qui

est censée être strictement incompréhensible à

l'intelligence - la croyance chrétienne. Le but visé est

l'accorder au lecteur une compréhension passionnée de la

vie en lui présentant la vie sous un aspect

"contradictoire" et "paradoxal". Il s'agit donc d'un

concept original et d'une très grande impor-

(1)Voir surtout le Post-Scriptum, pp.380-97. Le traducteur,

M. Petit, a rendu par l'adjectif employé comme substantif

masculin, "le dialectique". ce que Kierkegaard désigne par

"Dialektiske" ou parfois "Dialectiske", et ce que le

traducteur anglais rend par l’expression "the

dialectical".Par ailleurs "la dialectique" correspond au

danois "Dialektic" et à l’anglais "Dialectic(s)".

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tance pour les oeuvres pseudonymes.

En résumé, les deux voies - les rejets de l'esthétique,

et de la pensée systématique- sont facilitées par plusieurs

emplois du concept de "dialectique". L'esthétique est

vaincu par la description de "situations dialectiques"

pleines d'ambiguïté. Le Système est rejeté par une attaque

philosophique directe – ce qui n'est pourtant pas

l'essentiel de la deuxième voie. L'essentiel se trouve dans

la tension passionnée créée chez le lecteur par la

description "du dialectique". Ce travail essaiera de rendre

plus explicite la fonction du concept de dialectique par

rapport à ces deux buts essentiels des oeuvres pseudonymes

- le rejet des conceptions esthétiques et spéculatives de

la vie, et la substitution d'une compréhension passionnée

de la vie.

Il faudra examiner la contribution d'autres

spécialistes de Kierkegaard à la question, surtout Jean

Wahl et Hermann Diem. On verra comment les constatations

utiles de celui-là sont à compléter, et en quoi les

distinctions de celui-ci sont utiles. Cela constitue la

première partie du mémoire.

Le professeur A. McKinnon de McGill m'a beaucoup aidé

dans ce travail. Il a mis à ma disposition les ressources

de sa nouvelle concordance programmée des oeuvres de

Kierkegaard. Le relevé de tous les usages de toutes les

formes du mot "dialectique" chez cet auteur m'a aidé à

faire certaines constations importantes.

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On verra que la notion de "dialectique" prend plusieurs

sens différents. On constate que le terme dialectique

figure surtout dans les oeuvres pseudonymes de même que

quelques autres œuvres et articles esthétiques et

religieux. Le concept de .'dialectique" figure chez

Kierkegaard surtout pour les fins de l'oeuvre pseudonyme et

non pour la tâche d'édification religieuse directe. Le mot

n'apparait pas une seule fois, par exemple, dans les

Discours Edifiants écrits en même temps que les oeuvres

pseudonymes(l).

Après avoir étudié la fonction de l'idée de

"dialectique" dans les diverses oeuvres pseudonymes. on

pourra en dernier lieu aborder dans la partie IV du

travail, la question du rapport entre la dialectique chez

Kierkegaard et chez Hegel.

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LA NCESSITÉ DE RAPPELER LES CONTEXTE DANS

LEQUEL IL EST QUESTION DE ‘DIALECTIQUE’

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A - "Dialectique de la communication" et "dialectique de

l'existence"

Dans Kierkegaard's Dialectic of Existence de Hermann

Diem on trouve une distinction utile pour les besoins de ce

mémoire. Diem distingue la "dialectique de l'existence" de

la "dialectique de la communication" (1). Ailleurs il

décrit ces deux "dialectiques" comme "deux aspects de la

dialectique" ou bien "deux mouvements dialectiques"(2).

Voyons la portée de ces deux facteurs. On verra ensuite

comment ils se rapportent à ce travail.

Le premier "aspect" de la dialectique se rapporte à

"l'existence individuelle du penseur lui-même" ("the

individual existence of the thinker himself"). Cette

"dialectique de l' existence" en est une par laquelle "le

penseur sonde son existence propre" ("by which the thinker

probes his own existence")(3). Il s'agit d'une dialectique

"qualitative" plutôt que "quantitative", car il est

question de décrire des modes d'existence qui se

distinguent

(1) H. DIEM, Kierkegaard's Dialectic of Existence, traduit

de l'allemand par H. Knight, Edinbourg et Londres, 1959,

p.10. J'ai traduit de l'anglais toutes les citations de

Diem.

(2) Ibid., p.193.

(3) Ibid., p.9.

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qualitativement. C'est un outil intellectuel qui aide

l'individu à se comprendre et à agir. Elle a pour but de

libérer l'individu pour l'action. Il faut qu'il s'approprie

une certaine vérité "subjectivement" et "intérieurement" de

même que "passionnément".

L'autre aspect est la "dialectique de la

communication", celle qui sert à communiquer la vérité.

C'est une dialectique d'inspiration socratique qui se

développe

entre deux interlocuteurs pendant qu'ils se libèrent

mutuellement de toute connaissance présupposée en

remettant en question toute conclusion affirmée(l).

(...between the conversational partners as they

mutually free each other from all assumed knowledge by

calling in question every affirmed conclusion.)

Il y a donc une technique de la communication de la

vérité existentielle.

Il faut maintenant approfondir cette distinction pour

voir où elle se situe et à quoi elle correspond. La

dialectique de la

(1) H. DIEM, Op. cit., p.41.

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18

communication est une technique de communication indirecte.

Celui qui parle n'expose pas sa pensée directement.

L'interlocuteur n'est pas encore prêt à la comprendre et à

l'accepter. Il faut à la fois le débarrasser de ses

illusions et le mettre dans un état d'esprit réceptif. Ce

travail de déblayage accompli, il serait alors prêt à

comprendre "la dialectique de l'existence".

"La dialectique de la communication" constitue

justement le "contexte" dans lequel il est aussi question

de "dialectique". Je répète que ce n'est pas le but de ce

travail de faire l'analyse de cette "dialectique de la

communication". L'étude porte plutôt sur la fonction du

concept de dialectique dans ce contexte quand un auteur

pseudonyme se sert du mot "dialectique" ce n'est qu'à

l'intérieur de cette optique qu'on le comprend.

Le travail de déblayage consiste d'abord en deux

mouvements - la libération du lecteur des illusions

esthétiques-romantiques, et ensuite de l'illusion de la

pensée systématique hégélienne. L'idée de dialectique

s'emploie souvent par les auteurs pseudonymes à l'intérieur

de ces processus.

Ce double mouvement contient en germe la deuxième

"dialectique", celle "de l'existence". L'exposé "du

dialectique" dans les dernières oeuvres, surtout dans le

Post-Scriptum, recueille la plupart des constatations

faites à travers les oeuvres pseudonymes au sujet des

étapes différentes de la vie. Mais la somme

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19

de tout cela ne fournit pas de dialectique idéaliste

hégélienne, ni un autre processus un peu semblable. Il est

plutôt question d'un ensemble de conceptions qui mène vers

la compréhension passionnée de la vie. Plus loin dans ce

travail on verra l'analyse détaillée des étapes du

dialectique et de ce qu'est cette notion.

"Le dialectique", on le verra, n'est pas un processus

fondamental qui agit dans la réalité entière telle la

dialectique hégélienne. Il n'est qu'un aspect de la vie de

l'individu. Il faudra examiner comment "le pathétique"

réagit nécessairement avec le dialectique pour s'y incarner

et s'y épanouir. Encore une fois, c'est essentiel de noter

que l'exposé du dialectique n'est pas libéré des exigences

du contexte de la "dialectique de la communication". On le

retrouve encore dans les oeuvres pseudonymes, non dans

celles d'édification religieuse directe. Cet aspect de la

vie ne peut se comprendre sur un plan purement

intellectuel. "Le dialectique" possède une structure

susceptible de faciliter la communication. Avant même de

permettre au lecteur de comprendre la vie, il faut

premièrement le rendre réceptif pour ensuite l'obliger A

vouloir intérioriser cette vérité-là passionnément, et à

vivre en conséquence. Selon Diem :

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Il n'expose cette vérité que de façon dialectique,

c'est-à-dire de façon à en discuter le pour et le

contre, et à promettre au lecteur de décider pour lui-

même(l).

(He unfolds this truth in a dialectical aspect only;

i.e. in such a way as to discuss the pros and cons of

it and to leave the reader to decide for himself.)

Cette décision ne sera pas froide et intellectuelle. C'est

entendu que celui qui a cheminé à travers les oeuvres

pseudonymes pourrait sentir les contradictions

"dialectiques" des étapes différentes de la vie tant au

niveau de la passion que de l'intelligence. On conclut donc

que "le dialectique" , qui (dans les oeuvres pseudonymes)

est compris dans ce que Diem appelle "la dialectique de

l'existence", n'est pas libéré des exigences de la

dialectique de la communication.

Dans les premières oeuvres pseudonymes, ce que les

auteurs disent au sujet du concept de dialectique, n'est

qu'un élément parmi d'autres de la tactique de la

communication. Dans le Post-Scriptum la tâche de l'analyse

est plus complexe parce que la

(1) H. DIEM, op. cit., P. 85.

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notion même de dialectique devient un élément principal du

contenu de l'oeuvre. Le problème à ce moment-là est de se

rappeler que "le dialectique" n'est pas important en soi

Comme un processus fondamental de la réalité. Cette

"dialectique de l'existence" n'est pas libérée des

exigences, de celle de la communication. La présentation

des "paradoxes" de la vie est destinée à obliger le lecteur

à vivre passionnément. Il est alors prêt pour l'étude des

oeuvres d'édification religieuse directe.

Page 22: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

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B- La nécessité de se rappeler qu'on se trouve dans le

contexte stratégique de la "dialectique de la

communication"

Dans les Etudes Kierkegaardiennes de Jean Wahl on trouve

une section où il est question de "l'influence de Hegel sur

la pensée de Kierkegaard". "La dialectique" figure comme un

des principaux thèmes de cette analyse. M. Wahl expose en

premier lieu ce qu'il croit être les points communs aux

deux auteurs en ce qui concerne la dialectique. Il relève

ensuite les principaux points de différence sur ce sujet.

C'est très bien de souligner l'emploi fréquent de ce terme

hégélien de même que la parenté évidente entre la structure

de l'argumentation chez les deux. Cependant M. Wahl omet

quelques distinctions essentielles pour les besoins de ce

travail. Si par "la dialectique" il entend ce que Diem

appelle "la dialectique de la communication" ses remarques

sont utiles. Mais s'il prétend commenter "la dialectique de

l'existence" contenue dans les emplois divers du concept de

"dialectique" à travers les oeuvres pseudonymes il passe

souvent à côté de son but. Ces affirmations n'ont pas de

valeur de vérité directes mais se comprennent dans le

contexte de la tactique de la communication indirecte.

Voyons la portée de ces remarques en ce qui concerne le

résumé de Wahl des points de ressemblance :

Page 23: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

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De Hegel il (Kierkegaard) retient donc ce mouvement

ininterrompu, cette temporalité essentielle de la

pensée. cet effort sans cesse renouvelé qui cohabite en

nous avec le sentiment de l'éternité. D'une façon

générale, exister c'est devenir, l'existence est

perpétuellement dialectique, passage du même dans

l'autre, ou plutôt destruction des catégories du même

et de l'autre dans cet effort d'intériorisation

constante. union et destruction du fini et de

l'infini(l).

C'est vrai que souvent l'oeuvre de Kierkegaard est

d'inspiration idéaliste. Mais la question du sens de l'idée

de dialectique s'avère plus compliquée quand il s'agit de

faire l'analyse des oeuvres pseudonymes. Par exemple. dans

les Etapes sur le chemin de la vie on retrouve la

description d'un personnage attrapé dans une "situation"

dite "dialectique". Pris entre la passion frustrée

(fiançailles rompues) et le devoir qu'il ne peut accomplir

(mariage), ce personnage vit dans un état de tension

émotive et frise la conversion à la foi religieuse. Certes

il vit un "effort sans cesse renouvelé" et il sent cette

"union et désunion du fini et de l'infini". Mais on ne peut

oublier que cette des-

(1)Jean WAHL. Études Kierkegaardiennes,p.141.

Page 24: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

24

cription s'inscrit dans le contexte de la stratégie des

oeuvres pseudonymes. Ceci implique que cette existence

"dialectique" dont on y trouve le récit n'a pas pour but de

fournir une analyse rigoureuse et complète de l'existence.

Il s'agit plutôt d'histoires racontées et non pas pour

faire comprendre quelque chose sur un plan purement

intellectuel, mais pour atteindre le lecteur à un niveau

plus profond par une sorte de traitement choc. C'est cette

dimension tactique des oeuvres de Kierkegaard en ce qui

concerne le concept de dialectique qui n'est pas éclaircie

par les commentaires de M. Wahl.

Il apporte trois autres points en décrivant "la

dialectique" chez Kierkegaard. La dialectique serait

premièrement "l'ambigu avec passage d'un sens à l'autre".

Le "saut", par exemple, est dialectique car "il est à la

fois l'abîme et l'acte qui le franchit"(l). De même les

concepts de commencement, d’angoisse, de mort et d'instant

sont dialectiques. Tous ces termes, rappelons-le bien,

tiennent une place importante dans les oeuvres pseudonymes.

Ici on sent le besoin urgent de rappeler la question du

contexte. C'est vrai que cette ambiguïté de termes est

semblable

(1)Jean WAHL, op. cit., p.141.

Page 25: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

25

à la transmutation de termes chez Hegel par la dialectique.

Mais tout le substrat de philosophie idéaliste manque. La

portée et la fonction de cette ambiguïté "dialectique" se

situent à un niveau tout autre. On n'est pas dans

l'explication du processus fondamental de la réalité. On se

retrouve dans la technique de la communication indirecte.

En deuxième lieu la dialectique serait "l'ambiguïté

dans la succession, la contradiction dans le temps, le

triomphe sortant de la défaite" (1). Le jeu de la

dialectique serait profondément enraciné dans la succession

de la vie, dans l'effort de l'existence. Ceci mène au

troisième point, à savoir que le christianisme est

"dialectique". Il s’agit de "devenir" chrétien, non pas de

"l'être". Dans le christianisme

Le positif ne s'acquiert que par le négatif; la vie

chrétienne est une vie qui a passé par la mort,

l'esprit tue pour vivifier(2).

La portée de ces deux derniers points n'est pas claire.

La dialectique serait-elle un processus fondamental de la

réalité

(1)Jean WAHL, OP. CIT., p.142.

(2)Ibid, p. 142.

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26

dans un sens près de celui de Hegel? Serait-elle un

processus différent que Kierkegaard voudrait substituer à

l'autre? La clef de cette question serait que dans les

oeuvres pseudonymes le concept de dialectique s'insère dans

le contexte de la communication indirecte. La dialectique

n'est pas très importante en elle-même, mais elle l'est

pour le rôle qu'elle joue dans ce contexte-là.

C'est vrai que dans le Post-Scriptum il y a un

déplacement d'accent. L'idée de dialectique devient un des

principaux éléments traités dans ce livre. S'agit-il d'une

nouvelle "dialectique" qui viendrait remplacer celle de

Hegel? On verra dans la troisième partie de ce travail que

cette nouvelle conception n'échappe pas aux exigences de la

communication indirecte, qu'elle est conçue en fonction de

cela. Que serait une dialectique "d'ambiguïté dans la

succession"? Cela ne pourrait pas être une dialectique

hégélienne qui avance par contradictions, mais non pas par

l'ambiguïté. On verra plus loin que l'exposé "du

dialectique" dans le Post-Scriptum n'est pas une

explication complète de la vie. n'est pas un outil mental

pour aider l'individu dans sa tâche de vivre. Il s'agit

plutôt d'une description des "contradictions" de la vie, et

qui a pour but de maintenir le lecteur dans un état de

tension passionnée. seule condition où une décision valable

se prend.

Page 27: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

27

Chacun de ces points sera analysé plus loin. Il faut

déjà conclure que l'étude de M. Wahl doit se compléter par

les questions mentionnées jusqu'ici. L'idée de dialectique

dans les oeuvres pseudonymes s'insère dans un contexte

précis - celui de la tactique de la communication

indirecte. Ceci ne veut pas dire que les commentaires de M.

Wahl passent complètement à côté. L'influence hégélienne

est indéniable sur le plan de la maïeutique, de "la

dialectique de la communication". Il faudra préciser le

sens de cette parenté entre les deux auteurs.

M. Wahl a pourtant bien senti l'inspiration originale

de Kierkegaard :

Le rôle de la dialectique, ce sera d'éveiller

l'attention et la passion par son ambiguïté, d'arracher

l'esprit à son repos, de le rendre inquiet(l).

"La dialectique" ne serait pas toute la pensée, mais aurait

une fonction précise, celle d'éveiller l'attention, pour

ensuite, on le verra, amener le penseur subjectif vers une

conception passionnée de la vie. Cependant, M. Wahl

n'explique ni la technique de ce processus, ni la fonction

du concept de "dialectique" à

(1)Jean WAHL, op. cit., p.144.

Page 28: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

28

à l'intérieur de ce processus.

M. Wahl distingue Kierkegaard de Hegel par cinq points

qui s'appliquent surtout à la dialectique selon le Post-

Scriptum. L'auteur pseudonyme vise ici la réfutation de la

dialectique hégélienne par un argument direct. Mais ce que

M. Wahl laisse à l'ombre est que cette discussion n'est

qu'un travail préliminaire. L'exposition subséquente "du

dialectique" n'apporte pas de nouveau système philosophique

alternatif. Il s'agit de maintenir un état de tension

passionnée chez le lecteur.

Ceci dit, on comprend mieux la vraie fonction des cinq

points de différence. Pour Kierkegaard il s'agit de "la

dialectique de l'être existant où l'histoire de la vie

individuelle se fait par mouvements brusques d'état en

état"(l). Ce n'est pas l'analyse de l'être en général mais

de la vie individuelle qui se fait par décision et effort

continu. L'auteur pseudonyme du Post-Scriptum ne vise pas

surtout la réfutation du Système. Il veut au-delà de cela

convertir le lecteur en lui faisant sentir les problèmes

profonds de l'existence. En deuxième 1ieu "cette

dialectique est subjective" et "passionnée"(2). En rejetant

la possibilité de l'objectivation progressive du sujet dans

le monde

(1)Jean WAHL, op.. cit., p.144.

(2)Ibid, p.145.

Page 29: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

29

selon Hegel, l'auteur voudrait faire sentir les tensions de

la vie individuelle. Troisièmement, l'idée d'Aufhebung se

trouve rejetée. L'auteur laisse entendre que les contraires

se maintiennent dans la vie en une tension constante. Cet

argument s'insère aussi dans la stratégie de la

communication indirecte. Quatrièmement, la dialectique

"s'explique par une poussée qui vient de Dieu".(l), c'est-

à-dire de l'extérieur de l'individu. Ce souci de la

transcendance absolue joue un rôle semblable. Et en

cinquième lieu, Kierkegaard aurait conservé l'idée

hégélienne de négativité, mais avec quelques différences.

On comprend mieux maintenant le rôle de ces points de

différence. Les oeuvres pseudonymes essaient de communiquer

tant au point de vue affectif qu'intellectuel. L'idée de

dialectique s'insère dans ce processus. Il faut ajouter que

le sens du concept n'est pas le même à travers les oeuvres

pseudonymes. C'est le but principal de ce travail que

d'exposer la fonction de ce concept à travers cette partie

très importante de la production complète de Kierkegaard.

(l)Jean WAHL, op. cit., p.146.

Page 30: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

(30)

II

LE REJET DE LA VIE ESTHETIQUE

Page 31: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

(31)

Dans cette deuxième partie du travail, j'examine la

fonction du concept de dialectique dans la "voie" de rejet

de la vie selon les catégories "esthétiques". Ceci se fait

dans les quatre oeuvres suivantes : Ou bien … ou bien,

Crainte et Tremblement, La Répétition et Etapes sur le

chemin de la vie, dont la première et la dernière sont les

plus importantes à ce sujet.

Il faudrait dès maintenant esquisser une description

préliminaire de la "vie esthétique", dont on verra

plusieurs exemples dans l'analyse qui suit.

Essentiellement, il s'agit d'un mode de vie où l'individu

croit que ce qui ferait son bonheur suprême serait la

réalisation d'une situation spéciale privilégiée. Cette

situation se conçoit de façon tellement idéalisée et

extérieure qu'elle est totalement ou presque irréalisable.

En tout cas l'individu ne peut être heureux que pendant les

courts "instants" de réalisation de la situation. Son

bonheur, de même qu'étant difficile à atteindre, instaure

donc une vie qui n'a pas de continuité fondamentale.

Eventuellement l'individu risque de sombrer dans l'ennui ou

le désespoir. L'exemple le plus célèbre chez Kierkegaard

est celui de Johannus, auteur et personnage principal du

"Journal du séducteur" (1). Au fond la séduction a

(l) Ou bien … ou bien, pp. 235-346.

Page 32: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

32

très peu d'érotique pour Johannus. Et sa "passion" ne

s'exprime qu'à travers des conceptions romantiques

intellectualisées.

Vivre selon les catégories esthétiques est une erreur

qui ne se corrige pas facilement. C'est un des buts des

œuvres pseudonymes que de la combattre. Ceci se fait de

façon indirecte - en atteignant le lecteur au niveau tant

affectif qu'intellectuel. C'est en se mettant dans la peau,

dans l'esprit même, d'auteurs pseudonymes, que Kierkegaard

atteint son but. Ces oeuvres mettent en jeu toute une

stratégie, un traitement choc. Et c'est dans ce contexte

qu'il est question du concept de dialectique. Si

Kierkegaard met ce terme philosophique dans la bouche d'un

personnage, ce n'est pas pour un argument philosophique,

mais pour les besoins dramatiques de l'oeuvre en question.

C'est surtout cela qu'il faut examiner dans cette partie du

travail.

L'analyse est rendue un peu plus compliquée pour la

raison suivante. A la lecture de Ou bien … ou bien on

pourrait croire que la pensée de Kierkegaard est

essentiellement de structure dialectique hégélienne. On

soupçonne que la dialectique est un jeu non seulement comme

facteur dramatique, mais que (à un autre niveau) la théorie

des stades de la vie s'explique en termes hégéliens -

thèse, antithèse, synthèse, etc. Mais cela ne dure pas.

Crainte et Tremblement poursuit l'analyse des modes de la

vie jusqu'au stade religieux (après l'esthétique et

l'éthique).

Page 33: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

33

C'est à ce moment-là que Kierkegaard semble se raviser et

qu'il doit se forger de nouveaux schémas conceptuels qui

cadrent mieux avec sa pensée. Il laisse donc de côté cette

apparence fausse de dialectique hégélienne qui a tendance à

mettre le lecteur inattentif sur le mauvais chemin.

On verra enfin que le rejet de la vie esthétique mène –

à travers la vie "éthique" - à la vie religieuse. Là

Kierkegaard devra entreprendre l'autre travail de

déblayage, le rejet de la pensée systématique.

Page 34: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

34

A- Les concepts de "situation dialectique" et de "choix de

soi"

Le rejet de la vie esthétique s'amorce dans Ou bien … ou

bien. L'idée de dialectique se retrouve dans ce contexte

surtout en ce qui concerne les deux concepts de "situation

dialectique" et de "choix de soi". Celui-là est très

important. C'est une idée de base qui se développe à

travers les oeuvres pseudonymes. pour être récupérée enfin

dans l'exposé "du dialectique" dans le Post-Scriptum. C'est

une conception originale propre à l'œuvre de Kierkegaard.

Avant de passer à l'examen de ces concepts je fais

quelques remarques au sujet du relevé des usages des formes

du terme "dialectique" (1). En fait l'utilisation du terme

n'est pas fré-

(1) Ou bien … ou bien

I Première partie - 33 cas - 34lpages

(Edition française)

- "La dialectique" - 20 cas

- Adjectif -4 cas

- "Le dialecticien" - 2 cas

II Deuxième partie

a) "La légitimité esthétique du mariage"

- 4 cas – ll0 pages

(Edition française)

- "La dialectique" - 3 cas

- Adjectif - 1 cas

b) "L'équilibre entre l'esthétique et l'éthique

dans l'élaboration de la personnalité"

- 6 cas -141 pages

- "La dialectique" – 4 cas

- l’adjectif -1 cas

- "Le dialecticien" -1 cas

Page 35: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

35

quente par rapport à certaines sections d'autres oeuvres

pseudonymes(l). Il y a quelques petites constatations que

l'on peut faire à partir des chiffres seuls et qui

s'expliquent facilement en fonction du contenu du livre. Il

y a relativement plus d'usages dans la première partie. Le

terme s'emploie surtout Comme substantif. La forme "Le

dialectique", si importante plus tard, n'apparaît pas du

tout. La fréquence d'emploi du mot n'est pas inattendue.

L'auteur pseudonyme A (auteur de la première partie) se

considère "dialecticien", et parle plus souvent de

dialectique. L'auteur B (de la deuxième partie) craint la

dialectique, bien qu'il en ait une certaine conception

personnelle. Il n'en parle pas aussi souvent, mais ce qu'il

en dit est significatif. La dominance du substantif sur

l'adjectif se comprend par le fait que Ou bien … ou bien

porte plus l'influence de Hegel que les autres oeuvres. Au

fond, pour ce livre, le relevé d'usages du mot - peu

nombreux et répartis de la façon homogène - a servi surtout

à indiquer des cas importants que j'avais marqués à la

lecture de ce tome de six-cent-six pages. Pour l'examen de

cette oeuvre le relevé d'usages n'a fait que compléter et

confirmer ce qu'une lecture analytique avait déjà révélé.

(1)Voir l'appendice.

Page 36: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

36

La conception de la "situation dialectique"

L’idée de dialectique joue un rôle dans la première

partie de Ou bien … ou bien surtout en ce qui concerne une

grande variété d’exemples de situations qualifiées de

"dialectiques". Etant confronté par les tensions et les

échecs de ces situations, le lecteur est amené à sentir la

nature insatisfaisante des vies esthétiques ainsi décrites.

Voyons la définition de la situation dialectique, dont

on retrouvera plusieurs exemples plus loin. On peut dire

qu'il y a essentiellement deux "pôles" dans une telle

situation. Ces pôles sont la passion et le concept, et ils

sont à la fois nécessaires et interdépendants. Le concept

de "l'amour chevaleresque", par exemple, n'est rien si la

personne qui s'en dit animée n'est pas vraiment passionnée.

De même "la passion" n'existe pas en soi mais s'exprime à

travers une conceptualisation donnée. Pourtant la passion

existe comme une force qui peut déborder son expression

conceptuelle. À ce moment-là, elle se transforme, se

sublime (pour ainsi dire) et s'exprime par un autre niveau

de concepts. C'est cette re-canalisation de la passion à

travers des concepts différents qui permet, on le verra, le

passage de l'étape esthétique de la vie à un autre niveau.

Restons pour le moment au niveau statique de la vie

esthétique. Voici :

Page 37: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

37

Il faut bien retenir cette détermination dialectique:

le désir n'existe qu'en vertu de la présence de l'objet

et l'objet n'existe qu'en vertu de la présence du

désir; le désir et l'objet forment un couple jumeau et

aucun d'eux n'arrive avant l'autre(l).

Le désir (la passion) et l'objet (tel que conceptualisé) se

définissent l'un par rapport à l'autre et existent ensemble

dans une situation "dialectique". Les tensions naissent

entre les deux pôles et les conditions objectives de la

situation.

L'auteur A reproche à son époque d'être "sans

passion"(2), d'être sur-intellectualisée dans un sens qui

fait abstraction de la passion. Il veut montrer que le

concept de dialectique peut s'employer en ce qui concerne

la passion. Les gens de son temps sont comme fascinés pas

une dialectique abstraite. Mais elle ne peut être purement

abstraite. par exemple, la passion est autant facteur d'une

situation vraiment "dialectique" que la négation

conceptuelle d'une idée. A part le sens mentionné

jusqu'ici, l'idée de dialectique retient parfois pour A un

sens plutôt abstrait (c'est-à-dire,

(1)Ou bien … ou bien, p.65.

(2)Ibid., p.24.

Page 38: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

38

abstrait de la passion), un sens d'argument logique sec. On

se souvient d'un exemple qui rappelle l'unité des

contraires chez Hegel :

La grandiose dialectique de la vie se présente

toujours, avec clarté dans les individus représentatifs

qui vont, le plus souvent par paires. La vie n'existe

toujours que sub una specie, et la grande unité

dialectique qui possède dans son unité la vie sub

utraque specie n'est pas soupçonnée.(1)

Parmi ces paires d'individus on remarque que :

Le Roi, par exemple, a le bouffon à côté de lui, Faust

a Wagner, Don Juan a Leporello(2).

A ne tient pas fermement à une nouvelle définition de la

dialectique par rapport à des situations passionnées.

L'auteur A révèle qu'il vit lui-même selon des catégories

esthétiques. Sa conception à lui de la passion est au fond

inexacte, voire froide.

(1)Op. cit., p.70.

(2)Ibid., p.70.

Page 39: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

39

Quand une passion se trouve exprimée de la façon

expliquée plus haut, elle n'est plus "immédiate" mais

"réfléchie" et devient donc nécessairement "dialectique".

La tension dialectique naît dans le jeu entre la passion,

le concept, et les exigences de la situation objective.

Ceux qui habitent des catégories "esthétiques" sont comme

fascinés par le côté conceptuel de la situation. Johannus

le séducteur n'a que mépris pour la description trop

immédiate de l'amour telle qu'exprimée dans les romans :

La voir et l'aimer... oui, c'est assez vrai à condition

que l'amour n'ait pas de dialectique; mais après tout,

qu'est-ce que les romans nous apprennent de l'amour ?

Rien que des mensonges qui aident A abréger la

tâche(1).

Les tensions et problèmes susceptibles de se trouver

dans une situation dialectique donnée dépendent surtout de

la conceptualisation de la situation. En parlant de la

tragédie grecque par rapport à la tragédie moderne, A dit :

(1)Op. cit.., p.269.

Page 40: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

40

La dialectique qui reporte les iniquités des

générations antérieures, ou de la famille sur un seul

individu... cette dialectique nous est étrangère, elle

ne s'impose pas à nous(l).

La conception de la culpabilité qui se transmet de père en

fils est étrangère à la pensée spécifiquement chrétienne.

Donc la situation dialectique d'une tragédie grecque n'est

pas concevable dans le contexte moderne. Mais le fait reste

que cette situation n'en est pas moins une "dialectique".

Quelqu'un qui vivrait une telle expérience se sentirait

attrapé dans la tension dialectique entre les deux pôles de

passion et de concept.

L'auteur A donne beaucoup d'exemples du jeu de

situations dialectiques. Marie Beaumarchais est prise par

une "difficulté dialectique"(2). Elle était fiancée à

Clivago qui l'a quittée. Objectivement on dirait que la

situation est facile; elle est victime d'une fourberie.

Elle devrait donc se réjouir de ce qu'un tel homme l'ait

quittée. Mais sa passion, son chagrin, est tenu en

perpetuum mobile par son amour pour Clivago. Le problème

est de déterminer si en effet on l'a trompée, mais "une

fourberie est

(1)Op. cit., p.124.

(2)Ibid., p.140.

Page 41: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

41

pour l'amour un paradoxe absolu, et c'est ce qui implique

la nécessité d'un chagrin réfléchi"(l). Son amour a pour

effet de l'empêcher d'admettre qu'on l'a trompée. Elle

n'admet pas la réalité de la situation objective -

trompeur, trompée, - et elle est prise dans une situation

de chagrin réfléchi. Son imagination et sa passion font

tout pour rationaliser la situation autrement.

Elvire et Marguerite sont attrapées de façon semblable

par la "dialectique de l'amour". L'auteur A avoue avoir pu

suivre "un cours complet de dialectique" auprès de certains

individus de sa connaissance, victimes de telles

situations. Jusqu'ici, j'ai parlé de quelque chose que j'ai

appelé "situation dialectique". Qu'est-ce qui rend ces

situations "dialectiques"? Pourquoi A se sert-il du terme ?

La première chose à dire est que le terme n'est pas

employé de façon rigoureuse. "Je me sers du médium de la

crème et de la dialectique de la baratte", dit Johannus à

un moment donné! Le terme n'est jamais défini et c'est

comme sous-entendu que le lecteur en comprendra des usages

assez divers. C'est clair que la notion de dialectique se

rapporte au raisonnement logique, au do-

(1) cit., p.14O.

Page 42: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

42

maine du discours et des concepts. N’importe quelle passion

est "dialectique" par le simple fait d'entrer dans le

domaine du discours (sauf, par exemple, la passion

immédiate de Don Giovanni qui a l'avantage de s'exprimer

par la musique de Mozart). Dans quelques exemples,

dialectique implique une opposition de contraires. On se

rappelle les exemples des pages 65 et 70.

Une situation dialectique se caractérise par une

tension non-résolue existant entre plusieurs facteurs. Les

exemples des trois femmes sont pertinents ici. Kierkegaard

a pour but de montrer que la vraie passion vécue peut et

doit devenir objet d'attention intellectuelle. Mais on

verra plus tard qu'il ne veut pas que cette considération

intellectuelle devienne sur-intellectualisée à la façon

esthétique. Ceci n'est en fait que la mort de la vraie

passion. J'ai dit qu'il y a deux aspects d'une situation

dialectique - la passion et le concept. Les deux sont

inséparables. La passion n'existe pas avant sa définition

conceptuelle. Définitions conceptuelles abstraites (sans

passion) n'ont pas d'intérêt pour l'auteur de Ou bien … ou

bien. En laissant une situation dialectique non-résolue,

Kierkegaard veut définitivement s'opposer à Hegel. La

dialectique veut dire la tension qui naît de l'opposition

de ces nombreux facteurs et pôles. La tension n'est pas

résolue, ni médiatisée.

Il faut toujours se rappeler que l'on est encore dans

une oeuvre pseudonyme. Tout ce qui est dit s'insère dans le

contexte

Page 43: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

43

de la communication indirecte. Dans Ou bien ... ou bien on

rencontre pour la première fois le concept de situations

"dialectiques". Il ne peut y être question d'un sens

rigoureux de ce terme. La description de ces situations

vise à atteindre le lecteur tant au niveau émotif

qu'intellectuel. Il s'agit de lui faire sentir l'échec

d'une vie menée selon des catégories esthétiques.

On peut donc conclure que jusqu'ici on a constaté

qu'il y a dans la première partie de Ou bien ... ou bien la

conception originale de la situation dialectique. Mais en

deuxième lieu on note qu'il ne peut être question d'une

définition rigoureuse du terme. Ce n'est pas pour cette

raison que Kierkegaard se sert du mot ici.

Le concept du "choix de soi"

Quel est le sens de "dialectique" dans la deuxième

partie de l'oeuvre ? Le terme apparaît beaucoup moins

fréquemment - onze fois contre trente-trois. Plusieurs fois

B (l'auteur pseudonyme ici) accuse A d'être trop

expérimenté en dialectique(1). La conclusion à tirer est

que A manie trop facilement la logique de certaines

situations dialectiques. En parlant du hasard, B dit

(1) Op. cit., pp.350, 355, 481, 494.

Page 44: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

44

que la "dialectique presque diabolique (de A) sait

immédiatement expliquer ce qui s'est passé et s'en servir

pour les nouveaux projets"(de A) (1). Et plus tard il

reproche à A ce qui suit :

Tu es spirituel, ironique, observateur, dialectique,

plein d'expérience dans tes jouissances, tu sais

prévoir, tu es sentimental, et, selon les

circonstances, sans coeur; mais au milieu de tout

cela, tu ne vis toujours que dans l'instant, et c'est

pourquoi ta vie se dissout, et tu ne sais pas

l'expliquerai(2).

Le "cours complet de dialectique" de A se base sur des

erreurs et mène vers la déception.

Pourtant l'idée de situation dialectique où la passion

s'exprime par la conception, n'est pas complètement mise de

côté par B. Il y en a selon B qui "étaient entrés en

contact avec la dialectique de l'amour et ne pouvaient pas

la résoudre". Ici B parle de ceux qui "trop tôt goûtaient

le plaisir de l'amour" et par conséquent en ont formé de

mauvaises conceptions - ce qui bloque la vraie passion.

Plus tard ils croient à

(1) Op. cit., p.355.

(2) Ibid., p.481.

Page 45: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

45

l'existence en eux de sentiments qui apparurent sans

consistance; ou ils croient à l'existence chez

d'autres de sentiments qui disparaissaient comme des

rêves(l).

Ces gens-là vivent une situation dialectique dont le côté

conceptuel est orienté de façon particulière et mauvaise.

Selon B il y a donc une autre façon, la bonne, de

concevoir "la dialectique de l'amour même"(2), ou bien "la

dialectique du devoir"(3)# La situation dialectique est

corrigée par l'introduction d'autres termes, d'autres

concepts, le "devoir", par exemple, et d'autres :

Si par conséquent je dois être en état d'effectuer le

général, je dois être le général et le particulier en

même temps que le particulier, et alors la dialectique

du devoir se trouve en moi-même(3).

Ici les termes introduits sont ceux de généralité et de

particularité. Cela s'applique à la réalisation du devoir,

par exemple,

(1)0p. cit., p.581.

(2)Ibid., p.360.

(3)Ibid., p.542.

Page 46: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

46

où l'individu particulier réalise le principe général dans

son comportement.

Du concept-clef de l'idée que B se fait du concept de

dialectique est le temps.

Lorsqu'on suit le développement du beau esthétique

d'une manière aussi dialectique qu'historique, on

trouve que la direction de ce mouvement va de la

détermination de l'espace à celle du temps, et que

le perfectionnement de l'art dépend de la

possibilité successive de se détacher de plus en

plus de l'espace pour s'approcher du temps(1).

L'idée centrale de la dialectique selon B est l'idée

du "choix de soi", l'acte par lequel le soi se constitue

par le choix :

Le choix fait ici deux mouvements dialectiques à

la fois, ce qui est choisi n'existe pas et

n'existe que par le choix, et ce qui est choisi

existe, car autrement il n'y aurait pas de choix

(mais une création)(2)

(1) Op. cit., p.448.

(2) Ibid., p.507.

Page 47: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

47

Le soi libre est capable de choisie sa propre capacité de

choisir, et ensuite de choisir des principes pour guider

l'action. Ceci est le terme clef que A n'a pas compris

selon B.

Est-ce qu'il y a une autre conception de dialectique

dans la deuxième partie de Ou bien ... ou bien ? Il faut

encore répéter que le terme n'est pas employé de façon

rigoureuse. Premièrement, B critique le manque de

discipline dans une passion, ce qui bloque la compréhension

d'une situation objective. La critique explicite de la

conception que A se fait de la dialectique est menée en

termes empruntés souvent à Hegel. Le choix de soi qui

montre comment le soi se choisit de façon "absolue"

rappelle les passages de la Philosophie du Droit(1). ou

bien de la Philosophie de l‘Esprit où la volonté se choisit

comme son propre objet. Le professeur E. Fackenheim affirme

dans Metaphysics and Historicity(2) que le choix de soi

dérive de la même tradition de pensée "méonto-logique" que

Hegel. D'autres points tel que la synthèse du général et du

particulier, et la lutte avec le temps, dérivent de Hegel.

Mais il n'y a pas de conception stricte de l'idée de

dialectique. On se demande dans quel sens les deux

"mouvements" du choix de soi sont "dialectiques". Il

faudrait tout un soubassement

(1)Paragraphes 21 et 22.

(2)E. FACKENHEIM, op. cit., Marquette U.P., Milwaukee,

1961, p.84-.

Page 48: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

48

de pensée idéaliste pour soutenir ceci - et on ne l'a pas.

En effet B n'est pas dialecticien et ne veut pas l'être,

bien qu'il ne rejette pas entièrement la dialectique.

Parfois le terme "dialectique" se rapproche de l'idée de

situation dialectique, parfois d'une dialectique idéaliste.

Au fond il n'y a pas de conception rigoureuse de

dialectique ici. Le terme ne sert que les besoins de

l'argument sur quelques points importants - et toujours de

façon très peu rigoureuse.

On voit donc que les conceptions de dialectique dans

Ou bien … ou bien servent des buts précis des auteurs

pseudonymes A et B. On se situe ici précisément dans la

voie de rejet de l'esthétique mentionnée dans le Point de

vue explicatif de mon o e u v r e . En regardant la vie des

personnages décrits par A et B, le lecteur est entraîné à

mettre en question sa propre vie et sa façon de concevoir

la vie. En se reconnaissant dans les personnages décrits

par A, il se rend compte qu'il vit selon des catégories

esthétiques, non pas selon des catégories éthiques ou

religieuses comme il le croyait. Dans la deuxième partie il

comprend que la vie éthique ne se fait que par un choix de

soi, le choix pénible de la liberté personnelle, et

l'effort pour vivre en conséquence.

(1) Op, cit., p.80.

Page 49: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

49

Ceci se fait toujours de façon indirecte. Personne

n'explique au lecteur que ceci est le but de l'oeuvre. Le

concept de dialectique est employé comme élément de la

tactique de la communication indirecte. S'il y a des

indications d'une nouvelle dialectique de l'existence, et

anti-hégélienne, ceci ne sera récupéré que plus tard dans

d'autres oeuvres.

En résumé on peut noter les points suivants en ce qui

concerne la fonction de l'idée de dialectique jusqu'ici: il

n'y a pas de conception rigoureuse du terme. Chez l'auteur

A nous retrouvons la conception importante de situation

dialectique. Une telle situation contient des éléments non-

résolus de tension. La tension naît de l'interaction des

deux pôles de passion et de concept. La passion est là

comme une énergie fondamentale dans l'individu. Elle

s'exprime de diverses façons à travers des concepts plus ou

moins élaborés. Nous verrons plus loin que la notion de

situation dialectique se trouve élaborée - la passion

s'exprimant à travers des concepts de plus en plus

complexes.

Il faut se rappeler ici que si Kierkegaard fait parler

A de dialectique, il le fait pour les besoins de la

communication indirecte. A travers de nombreux exemples, le

lecteur sent, petit à petit, l'échec inévitable d'une vie

menée selon les catégories esthétiques.

Page 50: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

50

Dans la deuxième partie, B fait des remarques de

tonalité hégélienne au sujet de la dialectique. Mais on a

vu comment ces conceptions manquent des éléments essentiels

à une philosophie dialectique idéaliste. Si B parle de

dialectique ce n'est, encore une fois, que dans le but de

communiquer au lecteur des concepts indispensables pour le

dépassement de l'esthétique, sans toujours nier la valeur

de la passion.

Page 51: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

51

Par-delà 1’esthétique et l'éthique, la dialectique de la foi

- le nouveau contexte tactique

Dans Etapes sur le chemin de la vie l'idée de la

situation dialectique revient sous une forme plus complexe.

Il s'agit cette fois de la situation de la foi chrétienne.

Dans le Post-Scriptum Kierkegaard dit au sujet de Ou bien

... ou bien que "le livre devrait être orienté

religieusement au lieu d'éthiquement"(1). Dans le Point de

vue explicatif il admet que son but en écrivant cette

première oeuvre était de rejeter la façon esthétique de

vivre, et pour lui-même et pour ses lecteurs, pour ensuite

quitter la ville et devenir pasteur de campagne. Mais il

s'est rendu compte qu'il ne pouvait pas terminer avec

l'éthique. Même dans la deuxième partie de Ou bien ... ou

bien, c'est clair que l'éthique dépend en dernier lieu du

religieux, et que sans Dieu l'éthique ne peut

s'accomplir(2). C'est dans Crainte et Tremblement que

l'éthique se retire devant les exigences du religieux

exposé sous une forme "chrétienne-paradoxale". L'idée de

dialectique revient donc en ce qui concerne "la dialectique

de la foi".

(1)P.171.

(2)Voir p.508.

Page 52: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

52

Le nouveau contexte tactique

L'idée est là, mais joue son rôle dans une nouvelle

tactique de la communication indirecte. Jusqu'ici l'idée

de la dialectique sort de la bouche des auteurs

pseudonymes de façon irréfléchie. Mais l'auteur de

Crainte et Tremblement distingue la vraie "dialectique de

la foi" chez le personnage qu'il décrit, de sa

compréhension "dialectique" (abstraite, conceptuelle et

non-passionnée) de cette situation. En se disant

incapable de la foi du personnage, l'auteur lance le défi

au lecteur de le dépasser pour atteindre cette

dialectique de la foi. La stratégie est donc d'inciter le

lecteur à dépasser la compréhension "dialectique" (dans

un sens conceptuel, abstrait) pour atteindre

véritablement la situation "dialectique" passionnée de la

croyance.

Crainte et Tremblement s'appelle en sous-titre "une

lyrique dialectique"(1). Il y a tout de suite une tension

créée entre ces deux termes hétérogènes. "Lyrique" est une

catégorie poétique, et appartient donc au domaine de

"l'immédiat", ce qui exclut "la réflexion". Mais justement

la dialectique ne peut exister que là

(1) Non pas une "dialectique lyrique" telle que Jean Wahl

en parle à tort dans ses Etudes Kierkegaardiennes, p.145.

Dans Crainte et Tremblement, on repère sept cas du terme

employé comme substantif avec "la", six de l'adjectif, et

deux de l'adverbe. Le substantif est moins fréquent puisque

l'auteur pseudonyme n'a pas d'intérêt à discuter de

dialectique comme A qui se considère dialecticien.

Page 53: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

53

où il y a réflexion. La lyrique va donc chanter une

passion, celle de la foi. Mais on va nous montrer quelque

chose de "dialectique" dans cela. Johannes de Silentio,

l'auteur pseudonyme, dit à un moment donné: "je ne suis pas

poète, je me laisse simplement guider par la

dialectique"(1). La passion de la foi est présente chez

Abraham qu'il décrit. Mais Johannes ne se croit pas capable

de la faire sentir. Son intérêt est d'exposer le côté

"dialectique". Les deux pôles de passion et de concept sont

là, mais l'auteur se met à exposer le côté conceptuel.

C'est au lecteur d'atteindre l'autre élément nécessaire.

On conclut donc qu'il y a une séparation entre le

point de vue de l'auteur et celui du personnage Abraham.

Cette différence n'était pas présente dans Ou bien ... ou

bien. On pourrait dire qu'un des voiles de la communication

indirecte est levé, mais encore pour servir la tactique de

ce processus. L'auteur se met du côté du lecteur non-

converti, affirmant ne pas pouvoir s'élever au niveau de la

foi chez Abraham :

La dialectique de la foi est la plus

subtile et la plus remarquable de

toutes; elle a une sublimité dont je

peux bien me faire une idée, mais

tout juste.

(1) Crainte et Tremblement, p.148.

Page 54: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

54

Je peux bien exécuter le saut de

tremplin dans l'infini; mon échine

s'est tordue dans mon enfance; aussi le

saut m'est-il facile : un, deux, trois!

je me lance la tête première dans la

vie, mais le saut suivant, j'en suis

incapable; je ne puis faire le

prodigieux, mais seulement rester

devant, bouche bée(1).

L'auteur peut faire le mouvement de la "résignation

infinie" mais il n'est pas capable d'aller plus loin, de

sentir la conversion en "chevalier de la foi". Au fond sa

résignation n'était qu'un "succédané de la foi"(2), un

mouvement surtout conceptuel. Ce qui lui manque est la

passion de la foi. C'est une passion nouvelle, créée par le

jeu des concepts chrétiens. Elle naît quand la raison

accepte passionnément ses limites. Ce n'est qu'à ce moment-

là que la dialectique de la foi serait réalisée.

Le concept de dialectique se retrouve à deux niveaux.

Il y a premièrement la "dialectique de la foi". Elle est

semblable aux "situations dialectiques" déjà exposées,

comprenant les deux pôles de la passion et du concept. La

conceptualisation subit l'influence de la passion. La foi

vient limiter la raison conceptuelle. On verra

l'élaboration de ce premier sens dans

(1)Op. cit., pp.43-9.

(2)Ibid., p. 46.

Page 55: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

55

Etapes sur le chemin de la vie.

En deuxième lieu, Johannes mit l'accent sur le côté

conceptuel des situations, qu'il nomme le côté

"dialectique". Il ne s'occupe pas de faire sentir la

passion. Il décrit ainsi le but de Crainte et Tremblement:

Je me propose, maintenant de tirer de

l'histoire d'Abraham, sous forme de

problèmes, la dialectique qu'elle

comporte pour voir quel paradoxe

inouï est la foi(1).

Les trois problèmes, les conséquences dialectiques, sont

les suivants :

I Y a-t-il une suspension téléologique du moral ?

II Y a-t-il un devoir absolu envers Dieu ?

III Peut-on moralement justifier le silence

d'Abraham vis-à-vis de Sara, d'Eliézar et d'Isaac ?

A la suite de l'examen de ces trois problèmes on est amené

à conclure que la raison conceptuelle doit se limiter. La

foi peut "faire d'un crime un acte saint et agréable â

Dieu". On voit que "la foi commence précisément où finit la

raison"(2). Voilà la

(1)Op. cit., p.81.

(2)Ibid., p.81.

Page 56: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

56

description de la dialectique de la foi, qui ne se décrit

pourtant pas. Elle ne peut que se vivre.

L'auteur pseudonyme parle ainsi de ses personnages, et

(on s'en doute) des lecteurs :

Je les tiendrai debout par la puissance de la

dialectique et, en brandissant sur eux la discipline

du désespoir, je les garderai de l'immobilité afin

qu'ils puissent si possible découvrir dans leur

angoisse ceci et cela(1).

C'est cette notion de la dialectique comme non-passionnée

et impuissante qui constitue un nouvel élément de la

communication indirecte à partir de Crainte et Tremblement.

Mais à travers cela se laisse entrevoir la possibilité

d'une vraie "dialectique" - celle de la situation de la

foi, entendue dans le sens des situations dialectiques de

Ou bien ... ou bien.

Page 57: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

57

C- La situation dialectique de la foi

Etapes sur le chemin de la vie est une oeuvre de

première importance pour ce mémoire. Dans Crainte et

Tremblement. Kierkegaard poursuit sa logique jusqu'au bout,

c'est-à-dire jusqu'à l'étape religieuse. Pour cette raison,

le centre d'intérêt se déplace vers le religieux. Plus tard

il faudra distinguer entre le religieux A et le religieux

B. Pour le moment, on peut dire que le religieux est

l'étape centrale des Etapes... et que l'idée de dialectique

employée dans la tactique de la communication indirecte, se

trouve surtout ici.

On peut illustrer cela par des chiffres indiquant la

fréquence d'usage du terme dialectique dans les quatre

sections de l'oeuvre. On comprendra mieux ensuite l'analyse

du concept(1).

Les formes de dialectique se trouvent ainsi

distribuées:

1. In Vino Veritas: 3 usages pour 69 pages;

2. Propos sur le mariage: 4 usages pour 81 pages;

3. Coupable ? Non-Coupable?: 31 usages pour 184

pages;

4. Lettre au lecteur: 75 usages pour 82 pages.

(Pages selon édition danoise)

Ayant déjà vu que "dialectique" est un terme important dans

les oeuvres pseudonymes, on peut dire que la variation de

fréquence

(1) Voir aussi l’appendice.

Page 58: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

58

dans les Etapes... est très significative. Dans "Coupable ? Non-

coupable ?" l'idée d'une "situation dialectique" reprend une

place importante. C'est définitivement la même conception qui

revient de Ou bien ... ou bien. Mais ici elle s'applique, sous

une forme plus précise et élaborée, à l'étape religieuse. Les

deux premières parties des Etapes... qui s'occupent de

l'esthétique et de l'éthique respectivement, sont sèches et

mortes, conceptuelles sans passion, par rapport à la troisième

partie. Dans la troisième partie on voit un personnage, le

"quidam de l'expérience", pris dans une situation de tension

"dialectique" orientée vers le religieux. La quatrième partie

constitue l'analyse "dialectique" de la situation de ce

personnage. Cette "lettre au lecteur" est écrite par Frater

Taciturnus. Il écrit par rapport au personnage, comme Johannes

de Silentio par rapport è Abraham. Il y a disjonction entre le

point de vue du frère et celui du quidam de l'expérience.

Le concept de la dialectique, délaisse l'esthétique et

l'éthique.

Voyons la fonction de l'idée de dialectique dans chacune de

ces parties. La première partie est constituée de cinq discours.

Cinq personnages exposent leurs points de vue, esthétiques bien

sûr, au sujet de l'amour. Le dernier est Johannes le séducteur

qui revient ici sous un aspect beaucoup moins vivant. Le seul

qui parle de dialectique est un jeune homme sans expérience

amoureuse.

Page 59: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

59

Par rapport à Ou bien ... ou bien. 11 s'agit d'une

présentation très différente de l'esthétique! Le jeune

homme dit que "la formule de l'amour" qui exige d'

aimer un seul être, un seul dans le monde

entier, un acte aussi monstrueux de

sélection semble en lui-même devoir

contenir une si considérable dialectique

de raisons, qu'on se récuserait d'en

écouter le développement, moins parce

qu'elle n'expliquerait rien, que parce

qu'elle serait trop longue à écouter(1).

Le mot "dialectique" n'a pas de sens très précis à part la

désignation d'un argument qui a pour but d'évaluer des

raisons diverses qui se rapportent è la situation. Ce sens

se retrouve de temps en temps dans les oeuvres pseudonymes,

mais, il n'est pas près du sens décrit dans Ou bien ... ou

bien.

Le conseiller Vilhelm, de la deuxième partie, parle du

"dialecticien" et de la "dialectique" dans des sens plus

près de ceux de B, Admettant qu'il n'est "ni dialecticien

ni philosophe"(2) il affirme quand même que son acceptation

de l'idéal du mariage

(1) Etapes sur le chemin de la vie, p.37.

(2) Ibid., p.81.

Page 60: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

60

lui donne le courage nécessaire pour "discuter avec toutes

sortes de dialecticiens, avec Satan lui-même"(1). Ceci nous

rappelle des reproches de B à A selon lesquels A serait

trop dialecticien, trop expérimenté dans la logique de

certaines situations. Plus loin, pourtant, le conseiller

décrit la dialectique de la décision. Mais le sens n'est

pas pareil au choix de soi selon B :

La vraie décision idéalisante doit être

aussi dialectique en matière de liberté

qu'en matière de destin. Plus la décision

est abstraite, moins elle est dialectique

en matière de destin(2).

Une décision est "dialectique" en étant "concrète" - ce qui

comporte le "risque" de même que la "responsabilité".

L'accent est ici sur la liberté de la décision. Encore là,

le sens n'est pas précis. Il est à noter que le mot

"dialectique" n'est employé que comme adjectif. Évidemment

il y a une parenté avec le "choix de soi" qui est au fond

le choix de la liberté. Mais ce qui est en évidence ici est

le "risque", qui est "dialectique" par rapport à l'avenir.

Cet aspect du sens du mot reviendra dans les Riens

Philosophiques.

(1) Op. cit.. p.81.

(2) Ibid.. p.99.

Page 61: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

61

La situation dialectique où naît la foi

Le personnage de "l'expérience" dans la troisième

partie parle souvent de dialectique ou bien de "situations

dialectiques". Le terme ne se retrouve que huit fois sur

trente-et-une comme substantif - ce qui confirme que le

personnage ne s'en fait pas une conception rigoureuse. La

signification centrale que l'on peut y attacher est celle

de la "situation dialectique" déjà notée dans Ou bien ...

ou bien. On a vu que ces situations contiennent une tension

non-résolue. On peut y voir deux "pôles" - celui de la

passion et celui du concept. Les deux ne sont pas

séparables. La passion est un facteur nécessaire et elle

influence la compréhension conceptuelle de la situation. La

tension naît entre les deux pôles et parfois à cause des

facteurs objectifs de la situation.

Cette même idée revient donc dans l'expérience. La

définition est beaucoup plus précise en ce qui concerne les

aspects qui causent la tension. La passion n'y est pas

moins forte, mais elle subit une transformation par

l'introduction de concepts nouveaux. Elle devient "passion

supérieure", passion religieuse.

Un point qui est plus évident ici que dans Ou bien ...

ou bien est l'incertitude quant à la conceptualisation de

la passion. Le personnage de l'expérience n'est jamais

certain, par exemple, de son dévouement à l'endroit de son

ex-fiancée. Il ne sait pas

Page 62: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

62

si cela vient de sa sympathie pour elle, ou bien de son

égoïsme à lui(1). Cette incertitude a pour conséquence

naturelle un manque de certitude par rapport à l'avenir.

Beaucoup de choses sont possibles :

Sur la mer de la possibilité la boussole elle-même

est dialectique, et la déclinaison magnétique ne

peut pas être distinguée de l'orientation

véritable(2).

On peut y voir un élément de la technique de la

communication indirecte. Le lecteur doit aussi sentir ce

qu'est l'incertitude d'une telle situation. On verra plus

tard que ceci sera récupéré dans "le dialectique" exposé

dans le Post-Scriptum.

A la page 289 le personnage de l'expérience résume sa

situation dialectique en décrivant par une analyse très

poussée les "difficultés dialectiques de mes espérances".

Son premier espoir serait que "tout puisse être réparé"

entre lui et son ex-fiancée. Dans ce journal intime que

constitue "Coupable ? Non-coupable ?" il décrit ce qui est

arrivé entre eux. Il y a un an il l'a rencontrée, s'est

fiancé avec elle. Quelques mois plus tard, les

(1) Etapes sur le chemin de la vie, p.301, par exemple.

(2) Ibid., p.243.

Page 63: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

63

fiançailles ont été rompues. Il sentait qu'il ne pouvait

pas l'épouser tant qu'elle ne pourrait pas comprendre son

souci du religieux et tant qu'elle ne se serait pas

vraiment convertie à la religion. Un an plus tard il ne l'a

pas oubliée. Chaque jour son journal trace ses pensées à

son sujet. Son premier espoir, tel qu'il l'exprime à la

page 289, serait qu'elle épouse quelqu'un d'autre. Mais au

fond le jeune homme n'y gagnerait aucune paix. Sa sympathie

envers elle, qui dure encore, voudrait qu'elle n'abandonne

pas son "premier amour". Ce ne serait que "guérison du

temporel, et donc pas le suprême bien". Donc cette première

possibilité pour l'ex-fiancé est bloquée par son amour qui

s'exprime par la "sympathie" et le désir éthique de vouloir

pour elle le "suprême bien". Deuxièmement, il voudrait la

voir "aboutir à l'infini", c'est-à-dire à la religion. Ceci

ne serait pas si difficile pour elle puisqu'elle n'est

aucunement "coupable" comme lui croit l'être. Mais une

telle possibilité serait pour lui "un décret de pénitence

in perpetuum". Pour lui pareil aboutissement ne serait pas

heureux. Il se sent encore coupable envers elle, et il

voudrait corriger sa faute pour se sentir pardonné.

On voit ici les points centraux d'une situation

dialectique. Il y a toujours le facteur de la passion. Le

jeune homme essaie de réaliser un certain nombre de

concepts "esthétiques". Il voudrait bien, par exemple, que

sa fiancée puisse garder la pureté

Page 64: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

64

spontanée de son "premier amour". Le côté "éthique" se fait

sentir aussi. Le jeune homme a l'impression de ne pas avoir

réalisé son devoir - celui de se fiancer et de se marier

pour accepter ses responsabilités envers la jeune fille et

envers la société. On voit bien un troisième aspect d'une

situation dialectique. Il s'agit de l'incertitude du fiancé

au sujet de sa vraie motivation. Toutes ses belles théories

esthétiques ou éthiques ne seraient-elles que l'expression

de son égoïsme ?

La situation dialectique des Etapes... est donc plus

complexe que celle de Ou bien ... ou bien. Les deux "pôles"

de la passion et du concept sont encore là. Mais le côté

conceptuel est augmenté de façon considérable. Il y a un

jeu complexe entre concepts esthétiques et éthiques qui

aboutit au religieux. Une nouvelle passion naît par la

suite de l'échec de l'éthique et de l'esthétique.

Il y a d'autres exemples de situations dialectiques.

Ainsi, celle de la fiancée(1). Elle est prise dans un cas

plus simple que celui de son ami. C'est le fiancé lui-même

qui contrôle la situation. Il en est conscient et se

comprend donc mieux lui-même. De même qu'il croit que c'est

Dieu qui lui fait vivre une expé-

(1) On note aussi le cas du "fou de Christianshavn" qui

est devenu fou parce qu'il ne pouvait pas relever le

défi de la tension dialectique. Op. cit.. p.231.

Page 65: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

65

rience douloureuse pour son plus grand bien, de même

essaie-t-il d'instruire sa fiancée. La fiancée est attrapée

premièrement par "la dialectique du désir, de l'agréable et

du désagréable"(1). En cela elle ressemble à quelques-uns

des personnages décrits dans la première partie de Ou bien

... ou bien. Elle rencontre un problème dialectique plus

grave en .découvrant que son fiancé ne serait pas l'homme

"digne" qu'elle croyait, mais serait plutôt "corrompu".

Cette découverte constitue "un problème dialectique"(2) car

elle ne peut vraiment pas accepter cette dernière apparence

chez celui qu'elle aime. A cause de son amour "les

circonstances ont été rendues aussi dialectiques pour elle

que c'était possible…(3). Le but de tout cela est de la

rendre libre. Le jeune

homme écrit ceci :

J'ai référé l'affaire à sa décision

d'une manière si dialectique qu'elle

peut faire ce qu'elle veut(4).

L'usage de l'idée de dialectique dans la communication

indirecte

(1)Op. cit., p.194. (2)Ibid., p. 219. (3)Ibid., p.220.

(4)Ibid., p. 248.

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66

a justement pour but d'amener l'individu au point de la

décision libre.

A quelques endroits dans les Etapes "dialectique" a un

sens plutôt abstrait, c'est-à-dire abstrait de la passion.

Ces cas ne sont pas nombreux. A la page 277 il est question

de saints et de "figures de l'histoire universelle". Une

telle figure "doit naître dans la pensée limpide dans sa

structure dialectique", si on veut en faire un exemple pour

la vie. Ici, "dialectique" a un sens qui laisse de côté la

passion. On regarde ces "parangons" objectivement. Des

usager pareils nous rappellent encore une fois que le

concept de dialectique n'est pas un terme qui a un sens

philosophique strict dans les oeuvres pseudonymes.

La dialectique de la foi observée

Dans la "Lettre au lecteur" Frater Taciturnus parle

très souvent de dialectique(1). La lettre prolonge

l'analyse de la situation dialectique de l'expérience.

Encore une fois nous avons ici le témoignage d'un

observateur. Le frère comprend certaines choses dans

l'expérience, mais il y en a d'autres qu'il ne peut pas

sentir parce qu'il ne participe pas à la passion du quidam

(1)Pourtant la forme substantive ne paraît que dix-sept

fois sur soixante-quinze, ce qui tend à confirmer le manque

de sens stricte pour le mot.

Page 67: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

67

de l'expérience. L'analyse de la situation est beaucoup

plus serrée. Trois aspects en particulier sont mis en

évidence : "la

dialectique de l'amour", la dialectique du "malentendu", et

"la dialectique du repentir".

L'expérience est ainsi décrite :

Une histoire d'amour dans laquelle l'amour est

dialectique en lui- même et qui, dans la crise de

la réflexion infinie, prend une teinte

religieuse(1).

Selon Frater Taciturnus, l'époque a détruit toute "passion

infinie" (telle que l'amour, le patriotisme etc.) par la

"réflexion infinie"; "l'idée de l'amour qu'a passion

absolue a été sacrifiée"(2). L'immédiateté n'est plus

possible. L'amour ne peut être compris que par la réflexion

infinie. La passion a maintenant son obstacle a 1'intérieur

d'elle-même. La tâche de l'amour est devenue dialectique en

elle-même. L'amour est "équivoque", est "lutte" à

l'intérieur de lui-même. Il est dialectique en soi, car "ce

qui en soi-même est dialectique contient en-soi la

contradiction"(3). Le

(1)Op. cit.. p.337.

(2)Ibid., p.332.

(3)Ibid., p.329.

Page 68: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

68

problème est de savoir comment l'amour peut s'exprimer dans

une "Individualité". Il échoue à moins de tendre vers une

passion supérieure, une "immédiateté" supérieure.

Parce que l'amour est maintenant devenu dialectique

par la réflexion infinie, l'expérience contient un autre

facteur dialectique, celui du malentendu. Les deux fiancés

s'aiment. Mais pour l'un, l'amour est esthétique, pour

l'autre il est éthique. Ils ne se comprennent pas, ce qui

est "tragique". Mais ils s'aiment, quand même, ce qui est

"comique". L'homme est retenu dans la situation par sa

passion. La passion ne lui permet de voir que le côté

tragique du rapport. La situation est dialectique en ce que

le malentendu se trouve dans le rapport même des choses

"hétérogènes", en ce que "les contraires existent

simultanément"(1).

Le lecteur, comme Frater Taciturnus, ne voit pas la

situation de la même façon que le personnage dans

l'expérience. Pour celui- là "l'esprit, rendu

dialectiquement infini"(2) voit et le côté tragique et le

côté comique. Le personnage est pris dans une situation

dialectique à la fois "difficile et équivoque et il

(1)0p. cit., p.338. (2)Ibid., p.340. (3)Ibid.. p.350.

Page 69: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

69

ne la comprend pas ainsi :

Les étapes sont ainsi disposées : une

conception esthético-éthique de la vie dans

l'illusion avec la possibilité naissante du

religieux; une conception éthique de la vie

qui le juge; il se replonge en lui-même, et

il est là où je (Frater Taciturnus) veux

l'avoir(1).

Il n'a pas de voie de sortie et il se replonge en lui-même.

Il est serré par sa passion et les concepts par lesquels il

voudrait bien exprimer cette passion - à savoir les

concepts esthétiques et éthiques. Dans cette situation on

voit qu'une nouvelle passion commence à se développer en

lui. Sa passion sera comme transformée par la tension en

une supérieure. Mais au moment décisif, au moment où il

semble atteindre cette passion supérieure religieuse, il

devient "dialectique"(2) :

La subjectivité religieuse, plus que toute

réalité a un élément dialectique, parce que

non antérieure à la réalité mais

postérieure à elle... Mais le repliement

est et reste le pressentiment d'une vie

supérieure(3).

(1) OP. cit., p.352.

(2) Ibid., p.345.

(3) Ibid., p.346.

Page 70: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

70

La passion de la foi religieuse n'est pas définitivement

atteinte. La religion pour la subjectivité religieuse est

un état de tension dialectique.

Le malentendu cause un repliement sur soi dont le

premier effet est "la dialectique du repentir" dont en

voici les principales étapes dans l'expérience :

La forme dialectique du repentir est celle-ci: il

ne peut pas arriver à se repentir, parce

a. que la chose dont il aura à se repentir est encore

comme indécise, et

b. il ne peut pas trouver le repos dans le repentir,

parce que c'est constamment comme s'il avait à

agir, à refaire tout si possible.... Il y a encore

un troisième

c. élément dans sa situation de repentir... oublier

la faute est un nouveau péché... La passion du

repentir est de s'en tenir ferme à la faute...(1).

Il y a manque de certitude conceptuelle (a). En deuxième

lieu l'homme ne veut pas renoncer è la jeune fille car il

veut l'aider (b). Enfin, le repentir est dialectique en soi

parce qu'il ne peut exister qu'en un état de tension

constamment renouvelée (c).

(1) Op. cit., p.364.

Page 71: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

71

Frater Taciturnus affirme que ce qui le distingue du quidam

de l'expérience est que celui-ci voit son propre

"relèvement", son salut, dans la situation. De l'extérieur

cela est parfaitement incompréhensible.

En dernier lieu, le repentir est "sympathiquement

dialectique". La sympathie de l'homme pour la jeune fille

fait que son repentir est constamment orienté vers lui-même

et sa culpabilité imaginée. Ceci encore fait partie de la

tension de la situation; "celui qui croit qu'il a fini, a

perdu"(1),

En résumé...

On doit conclure que les Etapes... retient la notion

de "situation dialectique", mais la développe de façon plus

précise que Ou bien ... ou bien. Les "pôles" de passion et

de concept sont encore là. La description des formes de la

passion est beaucoup plus précise, de même que

l'interaction entre la passion et les concepts. La passion

est en voie de se transformer en une passion supérieure.

Ceci ne serait pas possible sans l'introduction d'un nombre

de concepts nouveaux : la sympathie, le malentendu, le

comique, le tragique, la religion, le repentir etc. Le

(1) OP., cit., p.367.

Page 72: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

72

personnage essaie de s'exprimer par l'éthique mais se voit

acculé à se comprendre en termes religieux.

Une situation dialectique contient une tension non-

résolue. 11 y a des éléments contradictoires ou

hétérogènes. Il y a aussi incertitude quant à la nature de

la situation pour celui qui y est impliqué. Le repentir

n'est aucunement "aboli". Hegel, par exemple, croyait à

tort en avoir fini par le simple fait de l'avoir mentionné

au paragraphe 17, pour passer è autre chose au 18(1). Mais

l'important est de comprendre qu'il y a transformation de

la passion par son interaction avec des concepts.

On a retrouvé une différence de point de vue entre

celui du lecteur et de Frater Taciturnus, d'un côté, et du

personnage de l'expérience, de l'autre. Ceci fait partie de

la tactique de communication indirecte et sensibilise le

lecteur au fait que sans passion, la compréhension

Conceptuelle n'est pas suffisante.

L'ensemble des situations dialectiques découvert à

travers l'examen des étapes de la vie commence à être

récupéré en une "dialectique de l'existence". On s'oriente

déjà vers l'argument du Post-Scriptum et le concept

synthétique "du dialectique". Cette

(1) Op. cit., p.364, "Dans le Système on se repent

une fois pour toutes dans le #17 et ensuite on passe

au #18."

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73

conception sera forcément anti-hégélienne, on le verra,

pour des raisons de vérité et surtout de tactique. La

réfutation de la dialectique du Système hégélien devient

plus évidente ici, mais n'aboutira pas - dans les oeuvres

pseudonymes – à la substitution d'un système alternatif.

Donc, l'idée de situation dialectique est très

importante dans les Etapes.... La tension non-résolue force

le lecteur à vouloir repenser sa vie et à faire face

passionnément aux vrais choix de l'existence. Le sens et la

fonction du concept de dialectique ne s'expliquent pas sur

un plan strictement conceptuel. Il faut tenir compte des

exigences de la communication indirecte. Ayant abandonné

l'erreur de l'esthétique, il ne peut être question

d'aborder le religieux au niveau purement intellectuel. La

foi ne naîtra que d'un état de tension émotive créée par la

prise de conscience des contradictions "dialectiques" de la

vie. Pourtant cet aspect "dialectique" n'a de sens que dans

le contexte de la tactique de la communication.

La voie de rejet de la vie esthétique nous a mené

jusqu'au seuil de la croyance religieuse. Nous verrons

comment la voie de rejet de la pensée systématique arrive

au même résultat. Le concept de dialectique y joue un rôle

analogue.

Page 74: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

74

D – "La Répétition" - ce "bon vieux mot danois"

Avant de passer à l'examen du Post-Scriptum voyons

brièvement La Répétition, oeuvre pseudonyme courte mais

importante.

Cette oeuvre illustre encore une fois l'usage du concept de

dialectique pour les fins de la communication indirecte. La

première partie expose les limites de l'esthétique. La

deuxième contient une situation dialectique semblable à

celle des Etapes...

Le sens défini de dialectique ici est le suivant :

La dialectique de la répétition est facile, ce qui

est répété a été, sinon il ne pourrait être

répété(1).

Ceci est proposé comme substitut à l'idée hégélienne de

médiation. Par ce "bon vieux mot danois" de la

"répétition", on rejette l'idée de passage au sens

hégélien, pour en revenir è l'idée grecque de

réminiscence(2).

Il y a deux tentatives pour réaliser une "répétition".

Premièrement, le cas du jeune homme du livre. Il aime, mais

(1)La Répétition, p.58.

(2)Ibid.. p.58.

Page 75: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

75

d'une façon esthétique qui compromet déjà son bonheur :

Dès les premiers jours, il pouvait se ressouvenir de

son amour. Au fond, il en avait déjà fini..."si la

jeûne fille meurt demain... il n'en résultera pour

lui aucun changement essentiel... Quelle singulière

dialectique"!(1)

Au fond le jeune homme est épris d'une conception

idéalisée, un peu comme les personnages de la première

partie de Ou bien ... ou bien.

Regardons une autre citation où le temps est en jeu :

L'espérance est une charmante jeune fille qui vous

glisse des mains; la réminiscence est une belle

vieille dont on n'a pourtant jamais lieu d'avoir les

services dans l'instant; la répétition est une

épouse aimée dont on ne se lasse jamais(2).

Il faut noter que c'est Constantin Constantius, l'auteur

pseudonyme, qui écrit cela. Lui aussi croit à la répétition

- ce qui se révèle comme une conception esthétique de la

vie. Ceux qui y

(1) Op. cit., p.35. Ibid.. p.27.

(2) Ibid., p.27.

Page 76: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

76

croient ont comme idée du bonheur la réalisation d'un idéal

esthétique dans "l'instant". On peut se rappeler des

objections de B, à savoir que cela est voué à l'échec,

étant basé sur une conception fragmentée du temps.

La deuxième tentative pour réaliser une "répétition se

rencontre chez Constantin. Il part pour Berlin afin de voir

s'il peut répéter son bonheur de l'an précédent. Ses

tentatives ne réussissent pas. Son ancien logement a changé

et la même belle jeune fille n'est plus au théâtre. Lui, au

fond, vit dans l'espérance : "vive le cor de postillon...

ses possibilités sont infinies". Mais enfin il perd cette

espérance et conclut que : "la vie ne sait pas captiver

comme la mort"(1).

Dans la deuxième partie du livre on voit le jeune

homme pris dans une répétition religieuse. Il ressemble au

personnage de "Coupable ? Non-coupable ?" Lui aussi a été

fiancé et ne l'est plus. Il aime encore la jeune fille. Il

aime et possède une "élasticité dialectique qui le pousse à

créer dans le domaine du sentiment". Sa passion n'a pas

d'expression heureuse. Lui aussi frise la religion :

(1) 0p. cit., pp.107-8.

Page 77: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

77

Il s'est engagé à la légère; il se rend compte que

son amour ne peut aboutir au mariage; il voit qu'il

peut devenir heureux sans elle comme la chose est

possible surtout avec cette nouvelle conscience de

ses possibilités; enfin il rompt. Mais alors il ne

peut oublier son injustice; comme s'il y en avait

une dans une situation sans issue.(1)

Le jeune homme aime et s'attache à tort à un concept

éthique, la justice. Il s'attache encore à la jeune fille

mais comme idéal - "Son importance ne vient pas de sa

personne mais de son rapport à lui". Bref, la situation

n'est pas du domaine de l'érotique. Du point de vue

religieux, on pourrait dire que tout se passe comme

si Dieu se servait d'elle pour le prendre.(2)

Le jeune homme cherche une répétition. Mais ce n'est pas

dans le sens grec d'une réminiscence, ni au sens moderne de

médiation. Il la cherche dans le sens d'une

transcendance.(3) Les lettres

(1)Op. cit., p.120.

(2)Ibid., p.121.

(3)Ibid., p.123.

Page 78: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

78

qui suivent témoignent de la situation du jeune homme,

situation dialectique en direction de la religion :

Un combat dialectique où l'exception fait irruption

dans le général... Cette lutte offre un caractère

très dialectique et des nuances infinies; elle

suppose pour condition une promptitude absolue dans

la dialectique du général; elle exige la vivacité

dans l'imitation des mouvements : en un mot elle

est aussi difficile qu'il l'est de frapper un homme

mortellement et de le faire vivre.

Attrapé ici, le jeune homme attend "un orage qui le rende

capable d'être époux"(1). Pourtant la jeune fille se marie

avec un autre. Lui se croit libéré, mais après quelque

temps son trouble revient et de nouveau "les idées

rugissent avec la fureur des éléments"(2). A la fin il

accepte son état d'incertitude continuelle et accepte de

vivre "là, enfin, où l'on met à chaque instant sa vie en

jeu, pour la perdre et la regagner à chaque instant"(3)# il

appartient alors à "l'idée" et crie "vive la vague qui

m'entraîne dans l'abîme, vive la vague qui m'élève

jusqu'aux étoiles(4). On se

(1) Op. cit., p. 173. (2) Ibid. p. 182. (3) Ibid., p.183.

(4) Ibid. p. 184.

Page 79: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

79

rappelle le "saut de la foi" de Crainte et Tremblement.

Mais la passion est beaucoup plus en évidence ici.

La Répétition, cette petite oeuvre de deux cent pages,

résume peut-être mieux que les Etapes... tout le mouvement

de rejet de l'esthétique. Par son emploi original de ce

"bon vieux mot danois" de la répétition, elle illustre

encore une fois le rôle de l'idée de dialectique. Elle

n'est pas importante en soi, mais s'insère dans le contexte

précis de la communication indirecte. Deux buts sont visés

ici: le rejet de l'illusion esthétique, et la

transformation éventuelle de la passion en une supérieure -

la foi chrétienne.

Page 80: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

(80)

LE REJET DE LA PENSEE SYSTEMATIQUE

"LE DIALECTIQUE"

Page 81: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

(81)

A partir de 1844 on voit un déplacement d'accent en ce

qui concerne la notion de dialectique dans les oeuvres

pseudonymes. On se rend compte que la voie de rejet de

l'esthétique est terminée et qu'il s'agit d'autre chose.

Dans les Riens Philosophiques et le Post-Scriptum c'est le

rejet du Système hégélien et ensuite l'exposition d'une

autre conception de dialectique. Il s'agit "du dialectique"

- exposition des "paradoxes" de la vie qui ne peut manquer

d'éveiller une tension chez le lecteur. Le rejet du Système

se fait de façon directe. Ensuite dans "le dialectique" il

y a récupération de certaines vérités trouvées en cours de

chemin à travers les oeuvres esthétiques. Cette conception

ne constitue pas de nouvelle dialectique alternative à

Hegel. Elle est encore soumise aux exigences de la

communication indirecte. Ce n'est pas un autre système

d'explication conceptuelle de la vie et de l'être en

général. Ce n'est pas non plus un ensemble de recettes

utiles pour atteindre la croyance. Il est question plutôt

d'une description de la vie pleine de contradictions qui,

par son effet choc, garde le lecteur dans l'état de tension

passionnée nécessaire pour la naissance de la foi.

Le concept de dialectique est donc soumis è deux buts.

Il faut d'abord rejeter l'illusion intellectuelle de la

pensée systématique. Ensuite, en élaborant l'idée "du

dialectique" (idée nouvelle et anti-dialectique au sens

hégélien), Kierkegaard espère

Page 82: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

82

amener le lecteur vers la foi qui naît d'une compréhension

sérieuse et passionnée des tensions profondes de

l'existence.

Voyons pour débuter les premiers pas du rejet du

Système hégélien qui s'accompagne du thème de la

dialectique et de la liberté. Enfin, après avoir considéré

brièvement la dialectique de l'angoisse, on verra

premièrement le rejet direct du Système et deuxièmement la

notion du dialectique tels qu'exposés dans le Post-

Scriptum.

Page 83: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

83

A - Le rejet du Système - Dialectique et liberté.

Les Riens Philosophiques ou les "Miettes Philosophiques"

commencent la réfutation philosophique directe du Système

hégélien. On verra cela dans la distinction faite entre

"l'être idéal" et "l'être réel". Le but ici est de rendre

la liberté à l'individu - ce que la nécessité historique du

Système lui aurait enlevé. Ceci fait, le concept de la

dialectique joue dans cette oeuvre un rôle nouveau -

mettant l'accent cette fois sur la liberté de l'homme. On

arrive ensuite à une conception plus précise de "la

dialectique de la foi" dans la "dialectique de l'instant"

de la transcendance religieuse.

Le rejet du Système - l'être réel, et l'être idéal

Le premier point à noter se trouve résumé dans une

note(1). Il y est question de la différence entre "l'être

réel" et l'être idéal". Celui-là s'assimile au devenir,

tandis que celui-ci n'est que l'essence, l'idéalité qui est

nécessaire, éternelle et invariable. L'auteur reproche à

Spinoza de ne pas avoir saisi cette distinction capitale.

Ce même argument sera porté contre Hegel dans le Post-

Scriptum où on l'accusera d'essayer de passer de la

(1) Riens Philosophiques, pp.105-7.

Page 84: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

84

logique pure au devenir sans y voir la différence absolue.

Le terrain de l'être réel, c'est la "dialectique

d'Hamlet : être ou ne pas être". L'être idéal est

essentiellement nécessaire, comme, par exemple, la nature

éternelle du Moteur Immobile d'Aristote. Ceci l'empêche

justement de "devenir dialectique à l'intérieur des

catégories de l'être réel...". La logique pure n'a pas de

prise sur l'être réel, le devenir. Le devenir est

dialectique dans un sens précis, à examiner.

Dialectique et liberté.

On voit comment le devenir, l'être réel, est

"dialectique" par neuf cas du terme à la forme d'adjectif.

Il n'y a pas d'explication rigoureuse d'une dialectique

nouvelle, mais c'est clair que le devenir, c'est-à-dire

l'histoire et l'action humaine individuelle sont

"dialectiques". L'auteur pseudonyme, Johannus Climacus,

expliquera ceci afin de rejeter la conception hégélienne de

la nécessité historique, pour rétablir la vraie liberté

humaine. Selon lui, Hegel se contredit en affirmant à la

fois la liberté de l'homme, et la nécessité de la direction

du passé historique. Une action n'en devient pas moins une

action libre pour s'être transposée au passé. L'histoire

n'est pas comme la nature qui est "trop abstraite pour être

proprement dialectique en face du temps"(1). Au contraire :

(1) Op. cit.. p.157.

Page 85: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

85

Le devenir peut inclure en soi un redoublement,

c'est-à-dire une possibilité de devenir à

l'intérieur de son propre devenir. C'est ici le lieu

de l'histoire proprement dite qui est dialectique en

face du temps(1).

Le devenir plus particulier de l'histoire s'opère

par une cause d'une liberté d'action relative, qui,

a son tour, en dernier ressort, renvoie à une cause

d’une absolue liberté(2).

Le passé serait "dialectique en face du temps", c'est-

à- dire étant devenu par une causalité libre. Chaque

instant contient de multiples possibilités. C'est le

facteur de la possibilité qui rend l'action "dialectique".

Ni le passé ni l'action humaine ne sont "nécessaires".

On voit ici un autre sens de l'idée de dialectique

cette fois pour désigner la liberté humaine. Le terme n'a

pas de sens très strict à part de désigner le contraste

entre les possibilités d'actions différentes qui s'ouvrent

à un individu à tout moment. L'idée de dialectique s'insère

ici dans un argument philosophique direct - qu'on peut

suivre au niveau conceptuel seulement. Elle

(1)Op. cit., p. 157.

(2)Ibid., p.158.

Page 86: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

86

joue pourtant un rôle semblable à celui qu'elle a joué dans

la voie de rejet de l'esthétique. L'esthétique et la pensée

systématique bloquent toutes deux la vraie compréhension de

la vie en apportant de mauvaises conceptions de

l'existence. La spéculation hégélienne enlève la liberté

humaine en posant rétroactivement la nécessité du devenir

historique. 11 faut donc réaffirmer les possibilités

"dialectiques" libres de l'action humaine dans le temps.

La "dialectique de l'instant" de la transcendance

religieuse.

Après le rejet direct du Système, l'argument des Riens

Philosophiques revient à l'idée de la situation dialectique

dans un contexte de communication indirecte. La réfutation

du Système n'a pas de valeur en soi. Il faut amener le

lecteur plus loin - lui faire sentir les contradictions

profondes de l'existence pour ensuite qu'il veuille prendre

en main sa vie.

L'idée de dialectique revient donc dans un sens très

différent. On verra dans cette dernière situation

dialectique religieuse comment une dialectique abstraite

hégélienne sombrerait à la fin devant le dernier "paradoxe"

chrétien(1). Le problème,

(1)Voir à ce sujet l'interprétation originale du professeur

A. McKinnon: "Kierkegaard's Irrationalism Revisited",

International Philosophical Quarterlv. IX, 2, June 1969. Il

affirme que l’idée de "l'absurdité fondamentale de la

réalité aurait été inconcevable pour Kierkegaard.

Page 87: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

87

c’est de "saisir l'être réel et d'y faire entrer

dialectiquement l'existence de Dieu"(1). Ou encore les

"catégories dialectiques du devenir" sont incompatibles

avec "l'essence éternelle de Dieu" selon l'auteur

Climacus(2). On vit dans le devenir. Mais le chrétien a

pour idée: "l'essence éterelle de Dieu". Il croit que Dieu

s'est manifesté dans le devenir - ce qui est contradictoire

par la nature même de celui-ci.

On découvre ici une nouvelle situation dialectique,

celle de l'instant religieux. A ce moment, l'individu

accepte la manifestation contradictoire de Dieu dans le

devenir. Au fond il accepte "une folie, car dès qu'on pose

la décision, le disciple devient non-vérité"(3). Il accepte

la limite de sa raison, voire même la destruction de sa

raison. Ceci est l'acte de foi :

la foi n'est pas une connaissance mais un acte de la

liberté, une manifestation de la volonté(4).

Dans cette dernière situation dialectique, l'individu

accepte avec

(1)Op. cit., p.107, note.

(2)Ibid., p.175.

(3)Ibid., p.121.

(4)Ibid., p.168.

Page 88: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

88

passion des concepts qui détruisent tout concept. C'est la

point culminant des situations dialectiques des oeuvres

pseudonymes.

On est certainement encore dans le contexte de la

communication indirecte. Toute cette "dialectique" est

exposée pour faire subir un traitement choc au lecteur. Il

doit rejeter des concepts abstraits morts et sentir la foi

comme passion vécue. La tactique est d'avoir rejeté des

éléments de l'esthétique et de l'éthique pour maintenir une

tension où la foi peut naître. Cette foi serait en dernière

analyse essentiellement contradictoire, selon les oeuvres

pseudonymes. La passion et les concepts, inséparables,

subissent une influence réciproque. Le dogme religieux sans

passion n'est rien. La passion sans dogme passe à côté et

reste toujours esthétique, sans la transcendance

nécessaire. Kierkegaard ne veut pas qu'on étudie ses

oeuvres d'édification religieuse directe (non-pseudonymes)

avant d'avoir subi le traitement des oeuvres pseudonymes.

Mais la "dialectique" de celles-ci n'est pas proposée comme

vraie.

L'obstacle du Système enlevé, on revient donc à

l'examen de la situation dialectique de la foi. On verra

plus loin comment cette situation est récupérée dans

l'exposé "du dialectique" selon le Post-Scriptum.

Page 89: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

89

B- La "situation dialectique" de l’angoisse

Dans Le concept de l'angoisse il est question d'une

"dialectique" de l'angoisse et du péché(1). On voit une

transmutation successive de l'évolution de l'angoisse par

sa rencontre avec des concepts différents. C'est un cas

spécial intéressant de la situation dialectique avec ses

deux pôles de la passion et du concept.

Cet ouvrage s'occupe principalement d'un sentiment -

celui qui naît par l'imagination qui se concentre sur

"l'angoissante possibilité de pouvoir". Il y a deux

sections à considérer au sujet de cette situation

"dialectique" de l'angoisse :

L'angoisse et son attitude dialectique en face du

destin;(2)

L'angoisse et son attitude dialectique en face de la

faute(3).

(1)Il y a vingt-sept usages des formes du terme. Il figure

surtout comme adjectif (21 fois), ce qui tend à

confirmer qu'il n'est pas question d'une définition

rigoureuse de la dialectique. Des six (6) cas de

substantif, trois paraissent dans des notes qui se

rapportent spécifiquement à Hegel et à Platon. C'est

dans une note à la page 38 que l'on retrouve pour la

première fois dans les oeuvres pseudonymes la forme "le

dialectique" qui prendra beaucoup d'importance dans le

Post-Scriptum.

(2)Le concept de l'angoisse, p.140.

(3)Ibid., p.150.

Page 90: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

90

Il s'agit encore d'une conception antl-hégélienne de

dialectique. Comment le sentiment de l'angoisse pourrait-il

avoir une "attitude dialectique" envers le concept du

destin?

On nous explique que "dans le destin, donc, l'angoisse

du païen a son objet, son néant". Le destin est ambigu,

signifiant tantôt la nécessité, tantôt le hasard. Pour

cette raison le païen est angoissé. Dès qu'on pose la

conception chrétienne de "l'esprit" et celles de "liberté",

"Providence", et "culpabilité", cette angoisse-là

s'élimine. Une nouvelle angoisse naît de la rencontre avec

ces nouveaux concepts. On voit encore ici la transmutation

des passions effectuée par des concepts.

"La faute" comme possibilité du mal est un "concept

judaïque", "puissance qui se répand partout et que personne

ne peut au fond comprendre"(1). Pour lutter contre elle le

juif avait recours au sacrifice, comme le païen avait

recours à l'oracle. Mais ceci est en vain, car

le vrai secours serait que le rapport équivoque de

l'angoisse à la faute fût aboli et fit place à un

rapport réel, posé par le repentir(2).

(1)Op. cit.. p.151.

(2)Ibid., p. 152.

Page 91: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

91

Il faut trouver les concepts chrétiens de péché, de

liberté, de repentir et de rédemption. La faute donne enfin

la conscience de la liberté. L'angoisse de la faute

s'élimine. Mais une nouvelle forme voit le jour, celle de

la liberté. Elle pose le défi de la responsabilité de

l'individu, et qui reste toujours menacé par le péché.

On retrouve dans ces deux sections l'analyse serrée des

niveaux de l'angoisse. Chaque niveau est "dialectique" dans

le sens de la tension psychologique faite de passion

définie par des concepts. Chaque niveau est laissé de côté

quand le suivant apporte des concepts plus larges - la

faute remplace le destin, le péché remplace la faute. On

voit donc un cas précis de la notion de la situation

dialectique qui s'est développée de façon considérable

depuis son apparition dans Ou bien ... ou bien.

A la page 63 il y a une précision importante au sujet

de la portée de toutes ces descriptions de l'angoisse. On

nous dit que "l'explication est bien ce qu'elle doit être:

psychologique". Au fond il n'y a pas d'explication du "saut

qualitatif" entre des niveaux différents de l'angoisse. Il

n'y a qu'une description psychologique qui sert aux besoins

de la communication indirecte. Et c'est ainsi qu'il faut

comprendre la fonction du concept de dialectique dans Le

concept de 1'angoisse.

Page 92: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

92

C- Post-Scriptum final, non-scientifique

a) La nécessité du rejet du Système

Dans l'introduction au Post-Scriptum, l'auteur trace

le développement intellectuel d'un jeune homme qui veut se

faire dialecticien. Au début le jeune dialecticien n'a

qu'un seul désir, il veut "devenir un penseur". En lisant

dans le Système il "espère en ce reflet de la fin qui

illuminera tout". Mais è la fin il est déçu et "fait

naufrage avec son unique désir"(1).

Il se rend compte que le vrai problème n'a même pas été

posé. Il voulait se faire dialecticien pour tout

comprendre. Mais il apprendra que "la dialectique" n'est

qu'une des formes de 1'intériorité entre celles de

"passion, d'ironie, de pathos et d'humour"(2). La

dialectique n’est pas une science qui peut tout résoudre,

mais plutôt une technique de la pensée qui aide à

l'intérieur de limites précises.

A mesure que le jeune dialecticien gagne en

"intrépidité dialectique" il voit que la dialectique

systématique est illusoire. Il y a dans l'existence des

états qualitativement différents. La transition entre deux

états n'a pas d'explication au fond. Il j faut affirmer "le

passage qualitatif du saut" plutôt que le passage

(1)Post-Scriptum, p.8.

(2)Ibid., p.200.

Page 93: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

93

"quantitatif" médiatisé de Hegel. Le jeune homme s'aperçoit

de certaines contradictions dans le Système. Comment le

Système peut-il être "fini" si on admet aussi que "la fin

manque"?(1) On découvre en plus que le Système "présuppose

la foi comme donnée" tandis que le passage à la foi fait

problème dans la vie.

Par cette petite histoire du jeune dialecticien,

l'auteur situe le contexte du Post-Scriptum. Il s'agit

premièrement de se débarrasser des illusions de la

spéculation. On pourra ensuite suivre avec profit

l'exposition de la notion "du dialectique". Cette oeuvre

accomplit deux tâches - le rejet du Système hégélien, de

même que l'exposition "du dialectique" et "du pathétique"

selon une conception nouvelle (ce qui comprend la

récupération de certaines vérités "dialectiques"

découvertes en cours de route dans les autres oeuvres

pseudonymes). Le premier point sera examiné en détail dans

la quatrième partie de ce mémoire où il est question du

rapport entre Kierkegaard et Hegel. Le deuxième se retrouve

dans la deuxième moitié de III C.

Avant de voir l'analyse "du dialectique", résumons.

Dans le Point de vue explicatif de mon oeuvre Kierkegaard

affirme que le Post-Scriptum pose le problème central de

toute l'oeuvre pseu-

(1) Op. cit., p.7.

Page 94: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

94

donyme: à savoir, comment devenir chrétien. 11 explique

qu'il y a deux approches au Christianisme. Il y a la voie

qui revient de l'esthétique. Il y a aussi la voie de rejet

de la spéculation(l). Avant le Post-Scriptum on a vu le

début de la réfutation du Système à des degrés plus ou

moins explicites. Kierkegaard nous dit que les autres

oeuvres "poursuivaient une polémique indirecte contre la

spéculation"(2). Ici la lutte est directe, en préparation

pour 1'exposition d'une idée nouvelle, toujours pour mener

le lecteur vers la foi.

Il faut se rappeler qu'il s'agit d'une oeuvre

pseudonyme. Bien sûr qu'à la fin Kierkegaard ajoute une

"première et dernière explication". Par cela il se révèle

publiquement comme l'auteur de toutes les oeuvres

pseudonymes!(3). On comprend le sens de la pseudonymie ici

à travers le titre complet de l'oeuvre: Post-Scriptum

final, non-scientifique.... L'oeuvre est "non-

scientifique". Cela ne servirait à rien de partir du

Système hégélien pour en retrouver un autre. "Le

dialectique" ici exposé sert à comprendre l'existence. Mais

la compréhension accordée est d'une nature anti-hégélienne

et surtout passionnée. C'est une compréhension

(1)Op. cit.. pp.41-2.

(2)Post-Scriptum, pp.176, 182.

(3)Ibid.. pp.424-6.

Page 95: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

95

qui mène vers la décision dans la passion.

Le mouvement poursuivi est donc différent de celui des

oeuvres pseudonymes anti-esthétiques. Pourtant cette

deuxième voie n'aurait pas pu s'entreprendre si la première

n'avait pas été menée à bout. Le rejet de l'esthétique a

démontré la place essentielle de la passion. Certains

autres aspects du départ de l'esthétique seront aussi

récupérés ici dans "le dialectique" de l'existence.

Le concept de dialectique est donc un des thèmes

principaux du Post-Scriptum. On voit dès l'avant-propos et

l'introduction qu'il s'agit d'un effort "dialectique" de

compréhension. L'auteur reproche a l'époque de ne pas

penser les problèmes "d'une façon suffisamment dialectique"

tout en se vantant d'être "émancipée, libérale, et

spéculative". On reprend le problème des "Miettes" (Riens

Philosophiques). c'est-à-dire de poser avec "clarté

dialectique" ce problème: "peut-il y avoir un point de

départ historique pour une connaissance éternelle?"(1)

Mais poser la question ainsi s'insère dans le contexte

de la stratégie de la communication indirecte. La "clarté

dialectique" de la question n'est pas un but en soi - de

belles idées à

(1) Post-Scriptum. p.9.

Page 96: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

96

contempler. "Le dialectique" dans l'existence est expliqué

pour atteindre le lecteur au niveau tant émotif

qu'intellectuel. Si cela n'arrive pas, Kierkegaard a échoué

dans sa tâche. Quand il fait affirmer par l'auteur

pseudonyme du Post-Scriptum que "le dialectique est quand

même la force vitale dans le problème"(1) c'est pour

stimuler celui qui lit, pour lui faire subir un traitement

choc. La notion du "dialectique" (cet adjectif en

substantif qui ne paraît qu'une seule fois ailleurs dans

les oeuvres pseudonymes) est le point culminant de l'emploi

du concept de dialectique dans ces oeuvres.

Page 97: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

97

Post-Scriptum - b) Le dialectique

Les oeuvres pseudonymes visent à deux buts: le rejet

des erreurs esthétique et spéculative; la compréhension de

la vie par le lecteur comme une existence passionnée. On a

suivi le rejet de l'esthétique et l'on verra le rejet de la

spéculation hégélienne dans la quatrième partie de ce

mémoire. Le deuxième but s'atteint à la fin du rejet de

chaque erreur. L'esthétique s'oriente vers la passion

supérieure de la foi à la fin des Etapes... "Le

dialectique" constitue le moyen par excellence de maintenir

chez l'individu qui a rejeté la spéculation un état de

tension émotive où la croyance peut naître.

C'est le moment d'analyser "le pathétique" et "le

dialectique" tels qu'exposés dans le Post-Scriptum. On

trouve ici explicitement ce qui était implicite dans les

"situations dialectiques" des oeuvres anti-esthétiques. On

a vu les deux pôles de passion et de concept. On verra

cette polarisation expliquée sous les noms de pathétique et

de dialectique. On passe ici à l'exposition du dialectique

par opposition à la dialectique hégélienne. Le dialectique

est un outil conceptuel pour stimuler le "penseur

subjectif" dans son effort de vivre. Encore il ne peut être

question de séparer le pathétique et le dialectique. Au

contraire il faut "réunir les deux dans la simultanéité de

l'existence"(1).

(1)OP. CIT., PP. 59-60.

Page 98: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

98

Il faut justement contrebalancer la tendance contemporaine;

le pathétique est tombé en discrédit dans notre

philosophie du dix-neuvième siècle, et le

dialectique est devenu sans passion(l).

Il faut revaloriser le pathétique pour démontrer son

rapport au dialectique. Voyons d'abord le fruit de la

compréhension dialectique des quatre étapes de la vie.

Ensuite on verra avec plus de détails, le pathétique et le

dialectique.

Pour le penseur subjectif, la fonction du dialectique

est la suivante :

Déjà dans le pathos relatif, le dialectique est

comme de l'huile sur le feu, il développe son

intériorité et embrase la passion d'une façon

intense(2).

Le dialectique n'abolit pas la passion, au contraire.

Voyons comment "suivant la détermination de l'individu

par

(l)Op, cit., p.260.

(2)Ibid., p.259.

Page 99: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

99

l'intériorité dialectique se classent toutes les

conceptions d'existence"(1). A la page trois cent quatre-

vingt-sept les quatre étapes de l'intériorité dialectique

sont expliquées

L'esthétique

L'individu est en lui-même sans dialectique et il a

sa dialectique en dehors de lui.

L’immédiateté esthétique ne trouve dans l'existence

aucune contradiction; exister est pour elle une

chose, la contradiction, quelque chose d'autre, qui

vient du dehors.

L'éthique

L'individu est dialectique en lui-même vers

l'intérieur dans l'affirmation de soi-même, en sorte

donc que sa dernière raison ne devienne pas

dialectique en soi puisque le soi qui est à sa base

est employé à se surmonter et à s'affirmer soi-même.

L'éthique trouve la contradiction, mais au-dedans de

l'affirmation de soi-même.

Le religieux A

L'individu est déterminé dialectiquement vers le

dedans dans l'anéantissement de soi-même.

(1) Op, cit., p.386.

Page 100: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

100

Le religieux saisit la contradiction comme une

douleur dans l'anéantissement de soi-même, mais

pourtant à l'intérieur de l'immanence.

Le religieux B (le religieux-paradoxal)

Si l'individu est paradoxal dialectique, si tout

reste d'immanence originelle est anéanti et si tout

lien étant coupé, l'individu est posé au point le

plus extrême de l'existence: nous avons le

religieux-paradoxal.

Le religieux paradoxal rompt avec l'immanence et

fait de l'existence une contradiction absolue...

contre l'immanence.

Le premier point d'intérêt ici est le parallélisme

entre l'aspect "dialectique" et la "contradiction". La

tension de chaque étape vient des contradictions

inhérentes. Le terme de "contradiction" récupère la tension

découverte dans chaque étape à travers les oeuvres

pseudonymes. L'individu esthétique n'est pas "dialectique"

en lui-même car au fond il n'a pas de vie en lui-même. La

tension, la contradiction de sa vie viennent de sa

conception idéalisée de la vie. Ceci ne peut jamais se

réaliser puisqu'elle est extérieure à l'intériorité de

l'individu. On se rappelle les nombreux cas d'échec de la

première partie de Ou bien ... ou bien et de La Répétition.

L'individu éthique n'est pas dialectique en soi mais son

affirmation de lui-même l'est. L'affirmation de soi par

l'accomplissement du devoir est dialectique. Au fond la vie

éthique repose sur le rapport à Dieu qui

Page 101: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

101

mène à l'étape religieuse.

Le dialectique du religieux A et du religieux B seront

expliqués un peu plus loin. On voit déjà, pourtant, que le

dialectique révèle une compréhension de la vie en quatre

étapes où la contradiction grandit. Il y a la dialectique

en dehors du soi, la dialectique de l'affirmation de soi,

la dialectique de l'anéantissement du soi, et la

dialectique du paradoxe absolu. Ce dernier détruit la

raison humaine et laisse l'individu suspendu, sans autre

recours que la foi chrétienne.

Dans "le trait d'union entre A et B" on trouve

l'explication de la différence entre les religieux A et B,

Le religieux A "n'est pas spécifiquement chrétien". Le

religieux A est la dialectique de l'intériorisation du

rapport à une béatitude éternelle". C'est l'intériorisation

du rapport qui est dialectique(1), Ce rapport entraîne la

dialectique de l'anéantissement de soi devant Dieu, Le

religieux A est pathétique et dialectique, il devient

"dialectique dans la dialectique de l'intériorisation".

Dans le religieux B on verra que c'est Dieu lui-même qui

devient paradoxo-dialectique.

Suivons l'exposition du pathétique du religieux A, Ici

il s'agit de "se rapporter pathétiquement à une félicité

éternelle"(2).

(1)Op. cit., p. 376.

(2)Ibid., p.265.

Page 102: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

102

Cette béatitude ne se définit que par son mode

d'acquisition(1). La foi du religieux A s'acquiert par la

souffrance. 11 s'agit de se transformer, de mourir à

l'immédiat et de faire l'apprentissage du rapport au telos

absolu. L'intériorité ainsi créée se définit ainsi :

L'intériorité est le rapport de l'individu à lui-

même devant Dieu et sa réflexion en lui, ... la

souffrance vient justement de là(2).

On souffre de ce qu'on doit renoncer à l'immédiat pour se

rapporter à une "béatitude éternelle". Le pathos du

religieux A se révèle dans la faute, "l'expression du fait

qu'on renonce au rapport [a la béatitude éternelle]"(3). La

vie est donc "un effort et un continuel en attendant"(4),

La faute est d'une nature dialectique particulière.

Renoncer à la faute signifie se rendre coupable.

On se maintient par le souvenir dans ce rapport

dialectique,

comme par le fil le plus ténu, avec l'aide d'une

possibilité qui ne cesse de s'évanouir, et c'est

justement pour cela que le pathos est si fort, quand

il existe(5).

(1)Op. cit., p. 388. (2)Ibid., p. 293. (3)Ibid., p.256.

(4)Ibid., p. 355. (5)Ibid., p. 362.

Page 103: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

103

Le sujet reste inchangé dans tout ceci et ne sort pas de

l'immanence - ce qui ne sera pas le cas du religieux B, Le

religieux A se maintient dans un rapport passionné a la

béatitude éternelle. L'individu essaie d'intérioriser ce

rapport qui se maintient dans la souffrance.

Le religieux B trouve sa dialectique en dehors de

l'individu. La nature de la béatitude éternelle, de Dieu

révélé dans le temps, est dialectique en soi.

Le religieux B ... religieux dont la dialectique se

trouve à un autre endroit, pose des conditions

telles qu'elles ne sont pas les approfondissements

dialectiques de l'intériorisation mais un certain

quelque chose qui détermine la béatitude éternelle

... non pas en tant que tâche pour la pensée, mais

justement paradoxalement en tant que repoussant vers

un nouveau pathos(1).

Le dogme chrétien est conceptuellement dialectique,

contradictoire. Cette dialectique renvoie vers un nouveau

pathos, la foi religieuse. Le message existentiel du

christianisme "rend l'existence paradoxale" (2) et oblige à

"rompre avec l'intelligence"(3).

(1)Op. cit.. p.376.

(2)Ibid., p.330.

(3)Ibid., p.385.

Page 104: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

104

Il y a deux contradictions "dialectiques" dans le

christianisme, Ici l'argument des Riens Philosophiques se

répète, La première contradiction se situe dans l'essai de

"fonder sa béatitude éternelle sur quelque chose

d'historique"(1), La connaissance objective historique ne

se fonde que sur l'approximation. Ceci ne suffit pas comme

base pour la subjectivité religieuse, La foi se trouve dans

un pathos intérieur qui ne peut se contenter de

l'approximation. En deuxième lieu, l'aspect historique du

christianisme est "constitué contre toute pensée"(1). On y

voit l'essence éternelle, nécessaire, divine se révéler

dans le temps, donc dans le devenir, qui se caractérise non

par la nécessité, mais par la possibilité.

Le religieux A se manifeste dans la souffrance et la

faute. Le religieux B se manifeste dans les catégories

chrétiennes de péché, de scandale, et de "douleur de la

sympathie".

Le péché est au fond une "détermination de l'existence

qui ne se laisse pas penser"(2). Le christianisme définit

que chaque être humain est pécheur. Le scandale naît en ce

que le paradoxe de la religion est contre la raison, La

douleur de la sympathie repose dans le fait que le chrétien

est isolé des autres humains.

(1)Post-Scriptum, p,292,

(2)Ibid., p.396.

Page 105: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

105

On a maintenant suivi l'exposition du développement

des deux pôles, le pathétique et le dialectique, jusqu'à

l'étape du religieux B. On voit mieux maintenant ce qui

distingue la voie de rejet de l'esthétique du mouvement de

rejet du Système. Pour le premier on a construit une série

de situations dialectiques exemplaires afin de détruire les

illusions par l'effet choc et de le forcer à agir. Il

s'agit donc d'une communication indirecte.

En ce qui concerne le rejet du Système il faut se

demander si l'exposé (si important dans le Post-Scriptum)

du dialectique constitue par contre une démarche de

communication directe(1). Oui et non. Oui en ce qui

concerne le rejet philosophique du Système. Mais non en ce

qui concerne "le dialectique" qui joue encore un rôle

original. C'est un emploi du terme qui, par un effet choc,

oblige le lecteur à se comprendre et à prendre en main la

vie. Mais la passion ne peut être absente de cette

compréhension. Car la dialectique révélée en est une de

contradiction absolue. Le but recherché est d'atteindre le

lecteur par une communication indirecte. Le Post-Scriptum

est toujours "non-scientifique". Il ne s'agit pas de faire

comprendre un argument abstrait,

(1) Le changement de la fonction du concept de dialectique

dans le Post-Scriptum se trouve illustré par le relevé

des formes du terme dans les sections qui se rapportent

au "pathétique" et au "dialectique" (pages 261-397):

total - 97; "La dialectique" - 32; "le dialectique" -

19; "dialectique" (adjectif) - 35. La fréquence des

deux formes substantives est beaucoup plus élevée,

impliquant une discussion plus directe du terme.

Page 106: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

106

mais de viser la conscience passionnée de la vie.

La tâche de l'individu dans la vie se définirait

ainsi:

Le penseur subjectif n'est pas un homme de science

mais un artiste. Exister est un art. Le penseur

subjectif est assez esthétique pour que sa vie

puisse avoir un contenu esthétique, assez éthique

pour la régler, assez dialectique pour la dominer

par la pensée(1).

(C'est moi qui souligne.)

L'individu est incité à devenir dialecticien dans certaines

limites. Il devrait être dialecticien "en ce qui concerne

l'existentiel". L'existence ne serait à la fin qu'une

"énorme contradiction" et sa pensée "se passionne pour

maintenir ferme la disjonction qualitative".

Kierkegaard parle avec amertume de son époque de

collectivisme, de vie de masse, de vie selon les journaux,

les erreurs et les illusions des médias d'information. Ceux

qui croient comprendre le Système historique de Hegel "se

confondent avec l'époque, le siècle, la génération,

l'humanité" mais ne se comprennent pas(2).

(1)Op. cit.. p.236.

(2)Ibid., p.240.

Page 107: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

107

En vérité les individus qui se perdent dans la masse sont

découragés et lâches. On pourrait dire que l'erreur de la

vie esthétique du romantisme se répète chez Hegel sous une

forme abstraite, sans passion. L'esthétique a sa

dialectique en dehors de lui. La spéculation croit aussi

participer à l'absolu en le dominant par la médiation de la

dialectique. L'esthétique et la spéculation vivent pour

quelque chose d'extérieur et d'illusoire. Les oeuvres

pseudonymes ne révèlent pas directement la vérité derrière

les illusions. Mais elles les détruisent pour ensuite

éveiller chez le lecteur la passion nécessaire pour que

plus tard il aboutisse à la connaissance de cette vérité.

Ce n'est que dans ce contexte-là qu'on peut expliquer la

fonction du concept de dialectique.

Page 108: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

(108)

IV

LA REFUTATION DE LA DIALECTIQUE HEGELIENNE ET LES

CONSEQUENCES

Page 109: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

(109)

Le concept de dialectique chez Kierkegaard et chez Hegel

Jusqu'ici on a vu la fonction du concept de

dialectique dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard en

ce qui concerne le rejet de la vie esthétique et du

Système, et par rapport à l'analyse "du dialectique". Avant

l'exposition de ce dernier concept Kierkegaard entreprend

une réfutation directe de la dialectique hégélienne sur

certains points bien précis. Il faudrait maintenant revenir

sur ces arguments qui contiennent l'essentiel du rejet de

l'erreur de la spéculation. Les bases théoriques de l'idée

du dialectique seront alors plus claires. Et on comprendra

mieux la parenté entre Hegel et Kierkegaard quant au

concept de dialectique.

Le rejet de la dialectique hégélienne par ce dernier a

été longuement exposé dans de nombreuses oeuvres critiques

sur Kierkegaard, Il y a lieu d'en résumer les principaux

points, non pour y jeter une lumière nouvelle, mais pour

rappeler que tout cela se situe à l'intérieur d'un autre

projet - celui de la communication indirecte des oeuvres

pseudonymes. Le professeur McKinnon a bien démontré le

risque qu'on court à interpréter ces oeuvres comme la

pensée de Kierkegaard lui-même(1). Pourtant il n'y a pas

(1)A. McKINNON, "Kierkegaard' S Irrationalism Revisitéd",

International Philosophical Quaterly, Vol. IX, No 2, June

1969.

Page 110: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

110

de raison pour croire que Kierkegaard n'aurait pas approuvé

le rejet de la pensée de Hegel. Bien plus, il faut le

conclure, autrement le dialectique exposé après le rejet du

Système n'aurait pas de base. Mais la réfutation de Hegel

n'est pas un but en soi. Le lecteur pourrait la comprendre

sans pour autant être plus avancé dans son problème à lui -

celui de vivre sa vie.

En retenant ceci, examinons les points suivants. On

constatera que les points importants sont justement ceux

qui sont susceptibles de retarder l'individu dans la

compréhension passionnée de la vie. Ce qui sera vu après un

court exposé de la dialectique chez Hegel.

La dialectique chez Hegel

Il faut premièrement caractériser quelques-uns des

traits essentiels de la pensée de Hegel, surtout ce qu'il

entend par la dialectique. Par la suite, on comprendra plus

facilement pourquoi Kierkegaard voulait rejeter le Système.

Il lutte contre le hégélianisme en particulier, de même que

sa généralisation et sa vulgarisation comme système de

pensée explique-tout de son époque. Pourtant c'est bien au

vrai hégélianisme qu'il s'attaque, non pas seulement à une

forme simplifiée de cette philosophie. Après avoir vu

quelques points de la pensée de Hegel on pourra passer à

l'exposition des points de divergence.

Page 111: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

111

C'est dans l'introduction aux leçons sur la

Philosophie de 1'histoire que l'on trouve une explication

préliminaire de la pensée de Hegel. Elle se révèle comme

une expression philosophique d'un genre de Christianisme.

Ce Christianisme a certainement ses qualités propres. C'est

une religion de l'immanence, de panthéisme, presque. Le

principe divin se révèle et travaille dans toute chose:

La seule idée qu'apporte la philosophie est cette

simple idée de la raison que la raison gouverne le

monde et que par suite l'histoire universelle est

rationnelle. Cette conviction et cette vue

constituent une présomption par rapport à l'histoire

comme telle; ce n'en est pas une en philosophie. Il

y est démontré par la connaissance spéculative que

la raison - nous pouvons ici nous en tenir à ce

terme sans insister davantage sur la relation et le

rapport à Dieu - substance et puissance infinie,

elle-même matière infinie de toute vie naturelle et

spirituelle, est, comme forme infinie, la mise en

action de ce contenu(1).

La Raison est matière et forme et principe moteur de

l'univers entier. Le principe transcendant est donc

immanent dans toute chose, et de l'univers matériel, et de

l'univers humain. L'esprit

(1)G.W.F. HEGEL, Leçons sur la philosophie de l'histoire,

p.22.

Page 112: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

112

de l'homme participe à cette Raison et peut donc comprendre

les réalisations de la Raison à travers l'histoire.

La dialectique est à la fois le processus de

réalisation des buts de la Raison, et l'explication

conceptuelle que l'homme s'en donne:

La dialectique est ... la nature propre, véritable

des déterminations de l'entendement, des choses et

du fini en général.... La dialectique ... est ce

dépassement immanent où l'exclusivité et la

limitation des déterminations de l'entendement se

présentent telles qu'elles sont, c'est-à-dire comme

leur propre négation. Tout le fini a pour caractère

de se mettre de côté (sich aufheben)(1).

La dialectique est à l'oeuvre partout où il y a du

mouvement, partout où il y a de la vie, partout où

quelque chose se réalise dans le monde réel(2).

Tout ce qui nous entoure peut se voir comme un

exemple de dialectique. On sait que tout ce qui est

fini, au lieu d'être stable et final, est

(1)G.W.F. HEGEL, Précis de l'encyclopédie des sciences

philosophiques, paragraphe 81, traduit par J. Gibelin,

Vrin, Paris, 1967, p.74.

(2)Traduit des commentaires explicatifs de Hegel au

paragraphe 81, G.W.F. HEGEL, The Logic of Hegel, trad, W.

Wallace, Oxford U.P., 1963, p.147.

Page 113: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

113

plutôt changeant et transitoire; et c'est justement

cela qu'on entend par la dialectique du fini, par

laquelle le fini, qui est poussé au-delà de son être

immédiat ou naturel, peut tout à coup se transformer

en son contraire(1).

La dialectique se trouve partout dans le monde, dans le

fini qui se transcende pour devenir son contraire, dans le

processus de réalisation de la Raison. L'esprit de l'homme

est capable de comprendre et de suivre le jeu de la

dialectique, car il participe à ce processus universel. Le

mouvement de la pensée reflète sans déformation

fondamentale le développement de la Raison. L'homme

comprend l'Absolu parce qu'il y participe. L'abîme entre le

Sujet et l'Objet est franchi, car c'est l'Esprit même qui

le pose en premier lieu. Le développement dialectique est

essentiellement continu. La transformation de quelque chose

en son contraire n'est que l'explicitation de l'implicite.

La fin est posée dès le commencement.

La notion de la dialectique est donc un élément

essentiel du Système hégélien. En entreprendre la

réfutation serait pour Kierkegaard la meilleure façon de

rejeter sur le plan conceptuel

(1)Op. cit., p.150.

Page 114: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

114

la pensée systématique qu'il juge illusoire et trompeuse.

La réfutation de la dialectique hégélienne

L'objection centrale de Kierkegaard contre Hegel est

que sa pensée en est une d'immanence, tandis que pour le

philosophe danois la réalité contient des éléments

irréductibles de transcendance. Le "penseur subjectif"

serait "synthèse de fini et d'infini". Mais synthèse ne

veut pas dire réconciliation, ni même explication. Il n'y a

pas d'absolu immanent dans l'individu, comme le voudrait

Hegel. Il n'y a pour lui, comme seule vérité, que le

"rapport à une béatitude éternelle fortement maintenu".

Cette disjonction fondamentale entre l'individu et Dieu

constitue la pierre d'achoppement entre Hegel et l'oeuvre

pseudonyme de Kierkegaard et constitue un point capital de

la réfutation de la dialectique idéaliste.

On a vu que le lieu de la pensée de Kierkegaard est

différent de celui de Hegel. Ce qui intéresse Kierkegaard

est l'individu existant, tandis que le Système hégélien

porte sur la réalité entière. Selon Kierkegaard, en

cherchant sur une grande échelle, Hegel donne un semblant

d'explication, tout en ayant tort sur des questions de

détail. Il glisse facilement là où en fait il n'y a pas de

passage possible. Hegel croirait en avoir fini avec le

repentir pour l'avoir mentionné au paragraphe dix-sept. Au

Page 115: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

115

paragraphe dix-huit il passe à autre chose. Mais justement

se repentir ne peut, par sa nature, être accompli et

fini(1).

Et la pensée de Hegel ne donne à l'homme qu'une

compréhension faussée de ce qu'il est en tant qu'individu

existant, en tant que "sujet". Le moi en question ne serait

pas l'homme existant, mais plutôt un "je-je pur" (2), un

"homme fantôme"(3). L'erreur a pris naissance chez

Descartes :

Qu'il prouve son existence par le fait qu'il pense

est une bizarre contradiction, car dans la même

mesure où il pense abstraitement, il abstrait

justement du fait qu'il existe(4).

Au contraire, ce qui est en question est la "subjectivité

éthique de l'existence". La pensée de Descartes et de Hegel

est mise en branle de façon abstraite, 'c'est-à-dire

abstraction faite de l'acte de vivre. Il faut donc re-

situer le rôle de la pensée dans l'existence du sujet. Il

pense, naturellement, mais il pense sans oublier son

intérêt infini et passionné pour l'existence.

(1) Post-Scriptum., p. 364.

2) Ibid., pp.130, 204.

(3) Ibid., p.127.

(4) Ibid., pp.211-2.

Page 116: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

116

On a déjà vu les éléments de la vraie fonction de la

pensée. Elle s'incarne passionnément dans la vie. La vie

est toute contradiction. On ne peut donc y réfléchir sans

éveiller la passion. On a vu la réflexion infinie,

caractéristique de l'âge de Kierkegaard. Mais celle-là ne

met pas nécessairement de côté la passion, bien que cela

puisse en être un des effets mauvais. On a vu aussi le rôle

du dialectique, qui sert à stimuler la compréhension

passionnée de la vie.

Ce qui est en jeu est le rapport de la pensée à la

réalité, du logique à l'ontologique. Il faut surtout éviter

la "pensée abstraite":

La pensée abstraite est sub specie aeterni, elle

fait abstraction du temporel, du devenir de

l'existence, de la détresse de l'homme posé dans

l'existence par un assemblage d'étemel et de

temporel (1).

La "pensée pure" est le tiers illusoire de Hegel, qui

ferait le lien entre l'abstraction et la réalité. Mais la

pensée pure n'est que système logique et ne peut donc pas

rencontrer la réalité:

(1) Post-Scriptum, p.201.

Page 117: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

117

Il peut y avoir un système logique. Il ne peut y

avoir de système de l'existence(1).

Les Riens Philosophiques ont très bien démontré que la

nécessité de la "logique" ne peut s'appliquer à la vie

intérieure de l'homme.

L'homme ne peut justement pas se placer au point de

vue de Dieu:

L'existence est elle-même un système - pour Dieu,

mais il ne peut l'être pour un esprit existant(2)

Dieu n'existe pas, mais il est éternel, c'est-à-dire le

seul être qui n'est pas soumis aux contradictions de

l'existence.

Selon Kierkegaard, Hegel se trompe en ce qui concerne

le "mouvement" de la pensée. La médiation et l'Aufhebung

seraient illusoires. Pour Kierkegaard la médiation serait

impossible même en termes du Système hégélien. Un Système

de pensée est logique, donc nécessaire et immuable. Un

changement de concepts viendrait

(1)0p., cit.. p.72.

(2)Ibid., p.78.

Page 118: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

118

du dehors. On peut admettre que le mot d'Aufhebung ait

plusieurs sens en allemand :

Que ce soit pour un mot une bonne qualité qu'il

puisse signifier le contraire de son sens, je n'en

sais rien, mais qui veut s'exprimer avec précision,

évite volontiers dans les endroits décisifs,

l'emploi d'un pareil mot(1).

De même les notions de commencement et de résultat seraient

illusoires dans le Système. Le début et la fin de la pensée

dépendent non pas d'une impulsion intérieure à elle-même

mais d'une "décision"(2).

S'il n'y a pas de médiation, c'est-à-dire ni de

mouvement ni de commencement dans le contexte de la logique

pure, il n'y a donc pas de "résultat spéculatif". Un

résultat atteint dans la pensée systématique n'a pas de

prise sur la vie de l'individu existant.

On conclut donc, par suite de l'examen de tous ces

points, que selon Kierkegaard, la pensée systématique

dialectique serait à rejeter en ce qui concerne la tâche

individuelle de vivre. Il

(1)Op. cit., p.147.

(2)Ibid., p.75.

Page 119: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

119

faudrait refuser l'immanence de la Raison comme explication

facile de la vie. La pensée devrait se concentrer sur

l'existence individuelle, plutôt que sur la réalité

entière. Le sujet hégélien, le "je-je pur", serait

trompeur. La pensée abstraite ne pourrait jamais atteindre

la réalité. Elle ne peut résoudre les contradictions de

l'existence. Le mouvement de la pensée hégélienne serait

aussi illusoire,

L'ensemble de ces points constituerait une attaque

sérieuse contre le Système hégélien. Historiquement le

Post-Scriptum est un pas important en direction de

l'existentialisme. Il faut se rappeler, cependant, que le

rejet abstrait du Système n'est pas un but en soi pour

Kierkegaard. On peut très bien le comprendre sans pour

autant que sa vie en soit modifiée. Cette réfutation

s'entreprend dans le but de rendre le lecteur plus sensible

à la tactique de la communication indirecte. Et les points

de réfutation tournent autour des principaux éléments du

contenu de cette communication - la nécessité d'une

compréhension passionnée de la vie, et la fonction limitée

de la pensée pour l'individu existant qui n'a pas atteint

cette compréhension-là.

Le "saut" et la "dialectique qualitative"

Si Kierkegaard entreprend une réfutation directe de la

pensée systématique hégélienne, il faut se garder de

chercher

Page 120: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

120

dans les oeuvres pseudonymes un outil conceptuel positif et

direct qui viendrait la remplacer. On a déjà vu que le

concept de dialectique sous forme de "situations

dialectiques" et "du dialectique" n'est valable que dans le

contexte de la communication indirecte. L'étudiant

inattentif a tendance à voir dans les concepts tels que "le

saut", "la décision", et la "dialectique qualitative" des

concepts exposés de façon directe et qui serviraient à

comprendre et à prendre en main sa vie. Ce n'est pas le

cas. Si les oeuvres pseudonymes incitent le lecteur en ce

sens, elles le font d'une façon indirecte. Mais elles ne

fournissent pas de recette directe à cet effet. Comment

pourrait-on un beau jour "décider" de faire le "saut" à la

foi chrétienne telle qu'expliquée à travers le religieux B?

L'acceptation de concepts qui détruisent la raison humaine

ne se décide pas. Cela arriverait peut-être dans la tension

passionnée de la vie, mais surtout pas à quelqu'un qui

n'aurait compris le religieux que de manière conceptuelle

abstraite.

C'est dans des passages qui ne font pas

justice à la pensée de Hegel que Kierkegaard semble vouloir

le remplacement de la "dialectique quantitative" hégélienne

par une "dialectique qualitative". Celle-là impliquerait

qu'un changement de mode d'existence s'effectuerait

inévitablement et par transition immanente à la suite d'une

série de changements quantitativement adéquate. Il y

aurait, par contre, selon Kierkegaard, des modes de vie qui

se distinguent de façon qualitative. Il n'y

Page 121: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

121

aurait de passage de l'un à l'autre que par un "saut", une

décision libre de l'individu.

C'est autour de cette notion de saut (de même que de

1'instant) que Kierkegaard semble bâtir une conception

alternative du "mouvement" dans la "dialectique". Il part

de conceptions de Platon et d'Aristote pour ajouter ensuite

des éléments chrétiens.

Dans le Post-Scriptum(1) on retrouve une idée traitée

en note dans Le concept de l'angoisse(2). celle de kinesis

chez Aristote :

Il ne faut donc pas comprendre logiquement, mais au

sens de la liberté historique le mot d'Aristote que

le passage de la possibilité à la réalité est un

Kinesis(2).

Chez Aristote le moteur immobile ne change pas à travers le

kinesis de toute chose dont il est le principe moteur.

D'une façon semblable, un individu reste au fond le même

tout en effectuant des changements dans son mode de vie. Le

passage, le kinesis, entre étapes différentes de la vie,

s'effectue par la décision,

(1)P. 208.

(2)P. 120, note.

Page 122: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

122

par la volonté libre.

Ce concept de la volonté est introduit aussi à travers

l'exposition de l'instant chez Platon, et dans la

philosophie moderne (hégélienne) et chrétienne. Ce n'est

que dans cette dernière que l'instant de passage prendrait

son vrai sens décisif. Chez Platon l'instant est "le non-

être dans la catégorie du temps", un être étrange

situé dans 1'intervalle du mouvement et de

l'immobilité hors de tout temps, point d'arrivée et

point de départ du mobile quand il passe au repos,

et de l'immobile quand il change en mouvement(1).

Selon l'auteur, la philosophie grecque et la philosophie

moderne essaient

d'amener le non-être à l'être, car l'éliminer et le

faire disparaître ne semblent pas qu'un jeu(2).

Mais il ne peut en être de même pour le Christianisme,

(1)Le concept de l'angoisse, p.122.

(2)Op. cit.. p.121.

Page 123: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

123

car le non-être existe, partout comme le néant d'où

l'on a tout créé, comme illusion et vanité, comme

péché...(1).

Ce n'est qu'avec les catégories du Christianisme que le

mouvement dans le temps d'un mode d'existence à un autre

prend son vrai sens. Par le concept de la volonté,

l'instant devient décisif. L'existence se mettrait en jeu,

et on accepterait de vivre selon les catégories d'une étape

donnée de la vie.

Ces analyses assez complexes du kinesis et de

l'instant sembleraient s'associer avec l'idée d'une

"dialectique qualitative". Il ne faudrait pas chercher la

vérité de façon "objective" et "approximative", mais plutôt

se convertir à des façons de vivre qualitativement

différentes, par décision-libre.

Prendre tout cela au pied de la lettre serait une

erreur grave. A part la réfutation directe de la

dialectique systématique, la discussion de la dialectique

s'insère toujours dans la communication indirecte. Il n'y a

pas de dialectique alternative à celle de Hegel. Rien ne

serait plus loin du but véritable de Kierkegaard.

(1)Op. cit., p.121.

Page 124: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

124

La continuité entre les étapes de la vie - un faux problème

"dialectique"

Il y a un autre point où la ressemblance entre la

dialectique hégélienne et la structure de la pensée des

oeuvres pseudonymes donne l'impression que Kierkegaard

entend exposer une "dialectique" alternative à celle de

Hegel, Il s'agit de la question de la continuité entre les

étapes de la vie. On peut l'aborder par une citation tirée

de Jean Wahl :

la continuité est pour Kierkegaard une abstraction,

elle ne répond à rien de réel(1).

Ceci vient d'un chapitre qui a pour titre "la pseudonymie

et les sphères d'existence", Wahl exprime une opinion pour

expliquer les sphères de l'existence. Celles-ci se

distingueraient de façon qualitative. Il n'y a donc pas de

continuité entre elles. En termes hégéliens il n'y aurait

rien dans une étape de la vie qui ne soit la médiation ou

l’Aufhebung d'une autre. Chaque sphère se vit selon ses

termes propres. La seule transition serait la décision

d'accepter les nouveaux concepts dans lesquels l'autre

étape se vit.

(1)Jean WAHL, Etudes Kierkegaardiennes. p.53.

Page 125: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

125

Une interprétation semblable se retrouve dans

l'article de la nouvelle Encyclopedia of Philosophy(1) sur

Kierkegaard. M. Alistair Maclntyre demande par rapport à la

"décision" de réaliser une vie éthique, s'il y a des

"criterion-less choices" - si le choix d'accepter une vie

éthique se base sur une décision "sans critères". C'est-à-

dire que cette décision, n'ayant qu'un point d'arrivée

encore inconnu, serait un vrai saut dans le vide. Il n'y

aurait de critères ni pour ce choix, ni pour le rejet de la

vie antérieure

Ce genre de questions vient d'un point de vue erroné

sur les oeuvres pseudonymes. Il se base sur une lecture qui

reste trop à l'intérieur de certains schémas de pensée

philosophique hégéliens ou autres sans tenir compte des

exigences de la communication indirecte, Le but de ces

oeuvres n'est pas en soi de fournir une analyse exhaustive

des étapes de la vie ou encore d'expliciter les rapports

entre ces étapes. Kierkegaard vise à développer la

conscience passionnée de l'existence, non pas la

compréhension abstraite. Il n'affirme pas qu'il faut faire

des choix "sans critères". IL veut rendre le lecteur

conscient des tensions profondes de la vie où le choix est

nécessaire.

(1)Op. cit., t. IV, pp.336-40.

Page 126: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

126

Le problème est rendu plus complexe par le fait déjà

mentionné dans la deuxième partie de ce mémoire. Les trois

sphères de l'existence - esthétique, éthique, religieuse -

de Ou bien ... ou bien et Crainte et Tremblement

s'assimilent facilement à la structure tripartite de la

dialectique hégélienne. Il est certain que dans le premier

de ces ouvrages Kierkegaard porte encore l'influence

conceptuelle de Hegel de façon assez marquée. On le voit

très bien dans la description des principes du choix de soi

éthique. On a vu comment plus tard ce schéma est écarté

définitivement, même dans Ou bien ... ou bien, on admet que

les diverses façons de vivre peuvent coexister dans un même

individu à la façon de "boîtes chinoises"(1). Dans le Post-

Scriptum. l'étape du religieux B en est la dernière, et les

trois autres s'y voient assumées et expliquées. Kierkegaard

échappe enfin à la structure de la dialectique hégélienne

pour se forger de nouveaux outils qui servent à la tâche

qu'il s'est donnée.

Moi-même, j'ai mis en évidence une certaine continuité

entre les niveaux successifs de situations dialectiques

dans les oeuvres qui effectuent le rejet de l'esthétique.

Une "situation dialectique" comprend les deux pôles de la

passion et du concept. La

(1) Op. cit., p.9.

Page 127: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

127

passion reste toujours et se transforme par l'interaction

avec des concepts divers. Chaque étape révèle à la fin une

instabilité fondamentale que le niveau suivant essaie de

corriger. Mais il faut ajouter maintenant la remarque que,

tout intéressante qu'elle soit, cette analyse n'est pas

importante en soi par rapport au but profond que

Kierkegaard s'est choisi. Ce qui compte est l'influence sur

le lecteur de l'emploi de toute cette structure

conceptuelle subtile.

Page 128: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

(128)

CONCLUSION

Page 129: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

(129)

On peut maintenant résumer les principales conclusions de

ce mémoire au sujet de la fonction du concept de

dialectique dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard. Il

est très clair maintenant que le terme s'emploie dans un

contexte précis - celui de la tactique de la communication

indirecte. Il s'agit d'une méthode semblable à la

maïeutique socratique et que Hermann Diem a appelée "la

dialectique de la communication". On n'est pas en présence

d'un argument qui se comprend sur un plan purement

conceptuel. Kierkegaard vise à atteindre le lecteur tant au

niveau de l'affectivité que de l'intelligence. C'est le

seul moyen de lui faire rejeter deux erreurs majeures - le

romantisme-esthétique et la pensée systématique hégélienne.

Il s'agit là de deux manifestations de l'intellectualisme

faux et trompeur de l'époque, selon Kierkegaard. Ce travail

de déblayage accompli, on est prêt alors pour la

confrontation avec les tensions profondes de la vie qui

mènerait à la foi chrétienne. Mais même ici Kierkegaard ne

fournit pas d'analyse conceptuelle rigoureuse. Ce serait

encore passer à côté du deuxième but des oeuvres

pseudonymes - la sensibilisation surtout affective du

lecteur par une technique subtile de communication.

Le concept de dialectique joue plusieurs rôles à

l'intérieur de ce double processus de déblayage et de

sensibilisation. Il

Page 130: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

130

faut accomplir le rejet des illusions de la vie esthétique

et de la pensée systématique. On a vu comment l'esthétique

révèle son caractère insatisfaisant à travers la

description de "situations dialectiques". La passion

s’exprime à travers des concepts qui mettent le bonheur de

l'individu dans la répétition de certaines situations

privilégiées transitoires. L'individu vit donc dans un état

de tension "dialectique". Cependant le mot ne s'emploie pas

dans un sens strict. On n'est pas en présence d'analyses

conceptuelles savantes de certains états psychologiques

intéressants. Ces description de situations dialectiques -

dans Ou bien ... ou bien de même que dans Etapes sur le

chemin de la vie - servent aux besoins de la stratégie de

la communication indirecte

La pensée dialectique hégélienne est réfutée dans le

Post- Scriptum par une attaque philosophique directe. C'est

le seul endroit dans les oeuvres pseudonymes où le concept

de dialectique apparaît dans une discussion conceptuelle

directe. Les points discutés pourtant, sont naturellement

ceux le plus susceptibles d'empêcher le penseur subjectif

de comprendre et de sentir les tensions profondes de

l'existence.

Après cet emploi direct du terme on revient dans le

contexte de la communication avec la notion "du

dialectique". Le mot prend un sens précis à travers

l'exposition des "contradictions"

Page 131: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

131

existentielles des quatre étapes de la vie. "Le

dialectique" de ces modes de vie réside dans la tension

non-résolue qu‘ils comprennent. Mais il faut encore se

rappeler que le but de Kierkegaard ici n'est pas de faire

comprendre cette analyse au niveau purement conceptuel. Il

veut atteindre l'affectivité du lecteur - le rendre

inquiet, lui faire sentir passionnément ces tensions

profondes.

Le concept de dialectique ne serait donc pas important

en soi, mais joue des rôles variés dans les oeuvres

pseudonymes. Ce n'est qu'après avoir cheminé à travers ces

oeuvres que le lecteur serait prêt à aborder avec tout le

sérieux requis le problème essentiel - comment devenir

chrétien? ( 1 ) . C'est alors qu'il pourrait étudier les

oeuvres d'édification religieuse directe.

Il faut donc se garder de chercher dans le concept de

dialectique un sens conceptuel rigoureux qui viendrait

remplacer la dialectique hégélienne et qui donnerait une

nouvelle clef pour la compréhension et la conduite de la

vie. Quand il est question par exemple d'une décision, ou

d'un "saut" qui vient résoudre la tension d'une situation

dialectique, on se rappelle que l'on est encore dans le

contexte de la communication indirecte. Le sens

(1) Point de vue explicatif de mon oeuvre, p.41.

Page 132: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

132

du concept de dialectique n'est pas direct, conceptuel.

Ce concept "joue un rôle" devant un arrière-plan plus

vaste et sa fonction découle des buts plus ou moins

cachés de l'auteur.

Page 133: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

(133)

APPENDICE

Page 134: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

(134)

J'ai déjà relevé dans le travail même les proportions

d'emploi des formes différentes du concept de dialectique.

Cependant, le relevé du nombre d'emplois du concept à

travers l'oeuvre complète de Kierkegaard permet de faire

certaines autres constatations, Le terme se concentre

surtout dans les oeuvres pseudonymes ou bien dans des

oeuvres connexes. 529 des 880 cas du mot apparaissent dans

les oeuvres pseudonymes (La Maladie- à-la mort exclu pour

les raisons mentionnées dans l'Introduction. Ce livre de

113 pages contient 50 emplois du terme). Ces oeuvres

constituent 2007 des 5115 pages de l'édition danoise de

Kierkegaard. Il est très frappant de constater le grand

nombre d'oeuvres d'édification religieuse directe où le

concept de dialectique ne figure pas du tout - par exemple

les tomes IV, XI, XII, XIII de l'édition danoise. Les

Discours Edifiants (t. IV), par exemple, étaient écrits en

même temps que les oeuvres pseudonymes. On peut donc

affirmer que le terme figure surtout pour les fins de la

communication indirecte. Il ne s'agit pas d'un concept

important en soi pour Kierkegaard.

Pourtant il y a un nombre non-négligeable d'oeuvres

non- pseudonymes (à part La maladie à la mort qui l'est) où

le mot se retrouve - 351 cas, 1221 pages. Comment expliquer

ceci par rapport à la conclusion que je viens d'énoncer ?

Il y a premièrement

Page 135: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

135

la thèse de maîtrise de Kierkegaard Om Begreket Ironie (Le

concept de l’Ironie) de 1841. Ici, Kierkegaard réfléchit

directement sur la dialectique surtout dans le sens de la

maïeutique socratique. C’est comme la préparation des

outils qu'il va mettre en oeuvre lui-même plus tard. Il y a

ensuite deux oeuvres esthétiques - En Literair Anmeldelse

et La Crise ou une crise dans la vie d'une actrice. Ce sont

deux ouvrages apparentés aux premières oeuvres pseudonymes

par leur contenu esthétique. Au sujet du deuxième,

Kierkegaard a dit dans le Point de vue explicatif qu'il

l'avait écrit dans le seul but de montrer au public qu'il

n'avait pas tout à fait abandonné des considérations de ce

genre pour des thèmes religieux. On retrouve ensuite deux

ouvrages d'explication des oeuvres pseudonymes. C'est

normal que le thème de dialectique revienne ici,

Kierkegaard révèle une bonne partie de sa stratégie. C'est

instructif qu'il n'ait pas permis la publication du Point

de vue explicatif pendant sa vie, ne voulant sans doute pas

tout révéler.

Jusqu'ici on n'a rien vu qui contredise la conclusion

que le concept de dialectique' s'emploie pour servir les

buts tactiques des oeuvres pseudonymes. Il y a pourtant un

groupe d'oeuvres religieuses où le concept se retrouve

souvent. (Tome XV, Tvende ethisk - religieuse Smaa -

Afhandlinger - Deux petits traités éthiques-religieux; La

Maladie à la mort. Tome XVI, L'Ecole du

Page 136: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

136

Christianisme. Tome XVIII, articles I, V, VI et VII). Un

travail plus vaste que celui-ci poursuivrait le sens et la

fonction du concept de dialectique dans ces oeuvres. La

maladie à la mort est pseudonyme, bien que la pseudonymie y

soit assez transparente. L'oeuvre en est presque une

d'édification directe. C'est intéressant de noter que

Kierkegaard a écrit à ce sujet "qu'il y a une difficulté

dans ce livre: il est trop dialectique et strict

pour permettre l'emploi de la rhétorique, d'effets

émouvants". (Traduit de l'introduction à l'édition

anglaise, Doubleday and Company, Garden City, New York).

Kierkegaard semble regretter l'analyse trop abstraite et

conceptuelle d'un domaine qui ne se comprend pas seulement

à ce niveau-là.

Page 137: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

137

Volume œuvre cas pages par

page

I 1. Af en endmen Leyendes Papirer 0 2 0

2.Om Andersen som Romandigter 1 36 .027

3. Om Begrebet Ironi 135 256 .521

(Chapitre I b - Platon) (72 82)

II Ou bien ... ou bien ... I 33 366 .089

III " " " " " " II a 5 135 .037

b 6 175 .034

IV Discours Edifiants 0 312 0

V 1. Crainte et Tremblement 14 101 .14

2. La Répétition 6 79 .075

3. Forard 2 57 .0351

VI 1. Riens Philosophiques 18 87 .21

2. Le concept del’angoisse 27 133 .18

3. Sur une tombe 0 83 .21

VII Etapes sur le chemin de la vie

Introduction, In vino veritas 1 69 .014 Propos sur le mariage 4 81 .202

Coupable ? - Non-coupable ? 31 184 .168

Lettre au lecteur _75 82 .915

Total 101 416 .243

Page 138: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

138

IX-X Post-Scriptum {final, non-scientifigue 319 515 .589 aux Miettes Philosophiques

XI Discours édifiants à plusieurs 0 287 0 points de vue

XII Kjerlighedens Gjerninger 0 354 0

XIII Discours Chrétiens 0 253 0

XIV 1. En Literair Anmeldelse 28 92 .304

2. La Crise ou une crise dans la vie 20 19 1.052

d'une actrice (pas

traduit en français)

3. Lilien paa Marken og Fulgen under 0 35 0

Himlen

4. "Yppers", "Todd", "Synd-" 0 19 0

XV 1. Tvende ethisk – religieuse Smaa - 12 47 .257

Afhandlinger (Deux

petits discours

ethiques-religieux)

2. La Maladie à la mort 50 113 .442

XVI 1. L'Ecole du Christianisme 21 217 .091

XVII 1. En opbyggelig Tale (Un discours 0

édifiant)

2. To Taler ved altergagen am Fredagen 0

(Deux discours pour la communion

du vendredi)

3. Til Selvproyelse, Semtiden aubefalet 0 l80 ——

(Pour un examen de conscience

recommandé aux contemporains)

4. | Domer selv ! 1

(Jugez-vous, vous-mêmes!

Page 139: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

139

XVIII 1. Bladartikler (Articles)

I 1 9 .111

II

0 4 0

III

0 4 0

IV

V 0 2 0

VI 1 3 .333

VII 11 8 1.374

5 4 1.250

VIII

0 8 0

2. Point de vue sur mon travail comme auteur (pas traduit en français) 4 55 .703

3. Et Folgebladt 1 6 .167

4. Point de vue explicatif de mon oeuvre 38 63 .603

5. Bilag 9 20 .450

XIX 1. Articles 2. Oieblikket 1 311 -

Total (toutes les oeuvres) 880 5115 .171

Total (oeuvres pseudonymes, 529 2007 .363

La Maladie à la mort exclu)

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(140)

BIBLIOGRAPHIE

Page 141: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

141

I Principales oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

consultées

1. Ou bien ... ou bien. Trad. Prion et Guignot,

Gallimard, Paris, 1943.

2. Crainte et Tremblement. Trad. Tisseau, Aubier.

Paris, 1935.

3. La Répétition. Trad. Tisseau, Alcan. Paris, 1933.

4. Riens Philosophiques. Trad. Ferlov et Gateau,

Gallimard. Paris.

1948.

5. Le Concept de l'angoisse. Trad. Ferlov et Gateau,

Gallimard.

Paris, 1935.

6. Étapes sur le chemin de la vie. Trad. Prior et

Guignot,

Gallimard. Paris, 1948. 7.

Post-Scriptum aux miettes philosophiques. Trad. Petit,

Gallimard, Paris, 1949.

Oeuvres connexes

1. The Concept of Irony. Trad. L.M. Capel.

Bloomington and London, 1965.

2. La maladie à la mort. Trad. Tisseau, Editions

Tisseau. Bazoges-en-Parads, 1936.

3. Point de vue explicatif de mon oeuvre. Trad. Tisseau,

avec L'école du christianisme. Perrin, Paris, 1963.

4. "My activity as a Writer". Trad. W. Lourie,

publié avec Point de vue explicatif. New York,

1962.

II Etudes, monographies.

1.DIEM, H. Kierkegaard's Dialectic of Existence.

(Traduit de l'allemand), Oliver and Boyd, Edinbourg et

Londres, 1959.

2.JOLIVET, R. Introduction à Kierkegaard. Editions

Fontenelle, Paris, 1946.

Page 142: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

142

3.MESNARD, J, Le vrai visage de Kierkegaard. Beauchesne.

Paris.

1946.

4.SWENSON, D.F. Something About Kierkegaard.

Minneapolis, 1956.

5.WAHL, J. Etudes Kierkegaardiennes. Vrin, Paris, 1949.

III Articles

1.DUPRE, L. "La dialectique de l'acte de la foi chez

Kierkegaard". Revue Philosophique de Louvain. V. 54,

1956, pp.418-55.

2.McINERNY, R. "Ethics and Persuasion, Kierkegaard’s

Existentiel Dialectic". The Modern Schoolman. V.32,

1956, pp.219-3

3.McINTYRE, A. "Kierkegaard". Encyclopedia of

Philosophy. T.IV. MacMillan, pp.336-40.

4.McKINNON, A. "La philosophie et les ordinateurs".

Dialogue. V. VII, No. 2, Sept. 1968, pp.219-37.

5.McKINNON, A. "Kierkegaard1 s Pseudonyms: A New

Hierarchy". American Fhilosophical Quarterly. V. VI, No.

2, April 1969, pp.116-126.

6.McKINNON, A. "Kierkegaard’s Irrationalism Re-Visited".

International Philosophical Quarterly. V. IX. No. 2.

June 1969, pp. 65-76.

7.SWENSON, D.F. "The Existential Dialectic of

Kierkegaard". Ethics. V. 49, No. 3, 1938-9, pp.309-28.

Page 143: "dialectique" dans les oeuvres pseudonymes de Kierkegaard

(143)

TABLE DES MATIÈRES

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(144)

Table des matières

Introduction 3

I La nécessité de se rappeler le contexte dans

lequel il est question de dialectique 15

II Le rejet de la vie esthétique 30

III Le rejet de la pensée systématique

"Le dialectique" 80

IV La réfutation de la dialectique hégélienne

et les conséquences 108

Conclusion 128

Appendice 133

Bibliographie 140