Diagnostic et divergences entre médecins

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Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 414–417 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect Jurisprudence Diagnostic et divergences entre médecins Céline Hauteville Vila (Élève avocat) 53, rue Blanche, 75009 Paris, France Disponible sur Internet le 1 août 2014 Résumé Un médecin, tenu, par l’article R. 4127-5 CSP, d’exercer sa profession en toute indépendance, ne saurait être lié par le diagnostic établi antérieurement par un confrère. Il doit apprécier, personnellement et sous sa responsabilité, le résultat des examens et investigations pratiqués et, le cas échéant, en faire pratiquer de nouveaux conformément aux données acquises de la science. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. L’indépendance professionnelle, au cœur de la pratique médicale, fonde la confiance du patient, et son corollaire est la responsabilité personnelle du médecin. Cette base de la déontologie, définie par l’article R. 4127-5 du CSP selon lequel « Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit », est également garantie par le Code de la sécurité sociale, dont l’article L. 162-2 dispose : « Dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré ». De telle sorte, un praticien ne saurait être lié par le diagnostic établi antérieurement par un confrère. Il doit apprécier, personnellement et sous sa responsabilité, le résultat des examens et investigations pratiqués et, le cas échéant, en faire pratiquer de nouveaux conformément aux données acquises de la science. La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un intéressant arrêt du 30 avril 2014 (n o 13-14288, Publié) qui, dans le cadre d’une discordance sur le diagnostic, rappelle la force du principe de l’indépendance médicale. Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.006 1629-6583/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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Droit Déontologie & Soin 14 (2014) 414–417

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

Jurisprudence

Diagnostic et divergences entre médecins

Céline Hauteville Vila (Élève avocat)53, rue Blanche, 75009 Paris, France

Disponible sur Internet le 1 août 2014

Résumé

Un médecin, tenu, par l’article R. 4127-5 CSP, d’exercer sa profession en toute indépendance, ne sauraitêtre lié par le diagnostic établi antérieurement par un confrère. Il doit apprécier, personnellement et soussa responsabilité, le résultat des examens et investigations pratiqués et, le cas échéant, en faire pratiquer denouveaux conformément aux données acquises de la science.

© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

L’indépendance professionnelle, au cœur de la pratique médicale, fonde la confiance du patient,et son corollaire est la responsabilité personnelle du médecin. Cette base de la déontologie,définie par l’article R. 4127-5 du CSP selon lequel « Le médecin ne peut aliéner son indépendanceprofessionnelle sous quelque forme que ce soit », est également garantie par le Code de la sécuritésociale, dont l’article L. 162-2 dispose : « Dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique,le respect de la liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des médecinsest assuré ».

De telle sorte, un praticien ne saurait être lié par le diagnostic établi antérieurement par unconfrère. Il doit apprécier, personnellement et sous sa responsabilité, le résultat des examenset investigations pratiqués et, le cas échéant, en faire pratiquer de nouveaux conformément auxdonnées acquises de la science. La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu unintéressant arrêt du 30 avril 2014 (no 13-14288, Publié) qui, dans le cadre d’une discordance surle diagnostic, rappelle la force du principe de l’indépendance médicale.

Adresse e-mail : [email protected]

http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.0061629-6583/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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1. Faits

Un homme, veuf suite au décès de son épouse des suites d’un cancer, reproche au Dr Yves,cancérologue, des erreurs de diagnostic qui se sont traduits par un retard chirurgical et par unretard de traitement. Il soutient qu’en rassurant ainsi à tort sa patiente sur l’absence de maladiesuspecte, il lui aurait fait perdre toute chance de guérison ou à tout le moins de retarder l’issuefatale et ce, dans des conditions de vie moins douloureuses.

L’histoire médicale fait ressortir les éléments suivants.Fin 2002, début 2003, un praticien hospitalier a posé le diagnostic de sarcome utérin et a

recommandé une hystérectomie.La patiente a consulté alors un praticien, le Docteur Yves, afin d’obtenir un deuxième avis.Ce médecin a pratiqué de nouveaux examens, avec une demande de colorations spéciales, et

les résultats de l’anatomopathologie sont revenus différents. Le diagnostic de sarcome a été écartééliminée formellement par le praticien anatomopathologiste en janvier et février 2003.

Le Docteur Y. a écarté le diagnostic qui avait été posé par son confrère et l’hystérectomie a étédifférée.

N’ayant pas de craintes particulières, le praticien a continué la surveillance, avec un suivimédical rapproché en faisant pratiquer régulièrement des examens, tels qu’échographies. Lapatiente était par ailleurs suivie par son médecin traitant.

En novembre 2004, le praticien a découvert un nodule et il a orienté la patiente vers unradiologue spécialisé en pneumologie, pour qu’il lui donne son avis, mais la patiente ne l’a pasconsulté.

En octobre 2005, il a prescrit un examen radiologique, en demandant à la patiente de « sansfaute » « prendre rendez-vous pour un contrôle pulmonaire et mammographie ».

En raison d’un manque de disponibilité de ce médecin radiologue, la patiente a finalementconsulté un autre radiologue, en décembre 2005, qui a découvert alors le sarcome métastasique.

Elle est décédée en 2009.

2. Expertises

2.1. Première expertise

Pour le premier expert :

• lors de l’apparition de la métastase pulmonaire de 2004, le diagnostic de sarcome utérin a étéméconnu ;

• l’indication d’une hystérectomie aurait dû être posée début 2003 ;• il ne s’est pas tenu de réunion de concertation pluridisciplinaire ;• il en résulte entre novembre 2004 et décembre 2005 une perte de chance et un retard du

diagnostic de sarcome avec métastases pulmonaires ;• une relation de cause à effet directe existe entre le décès et ce retard de diagnostic.

Pour l’expert, il n’est pas certain que devant une maladie sarcomateuse, qui est une maladieagressive, on aurait pu guérir cette patiente mais au moins on aurait pu retarder l’évolutionfatale et lui éviter une fin de vie avec une chimiothérapie intensive et plusieurs interventionschirurgicales.

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2.2. Deuxième expertise

Pour le deuxième expert, il existe :

• un premier retard chirurgical, peu compréhensible, sur l’hystérectomie d’environ 10 moiscompromettant l’évolution ultérieure (pronostic vital) ;

• un second retard de traitement d’environ un an au début de la phase métastatique pulmonaire(nodule de novembre 2004) considéré également comme une perte de chance.

Mais, l’expert n’évoque pas une claire responsabilité. Selon lui, il est difficile d’estimer le rôlede la patiente et de son mari lors de ces deux périodes de retard de traitement. L’expert rappelletoutefois que le rôle du médecin est de guider le malade et de lui faire accepter la nécessité detraitements a priori mal acceptés.

3. Cour d’appel de Riom, 16 janvier 2013

La situation de la patiente relevait d’une particulière complexité dès lors qu’elle s’est trouvéeconfrontée à une pathologie gravissime, particulièrement délicate à diagnostiquer, et elle a étésuivie par de nombreux médecins de spécialités différentes à des endroits géographiques divers.

Il aurait dû être pratiqué l’hystérectomie dès fin 2002 et la prise en charge du nodule aurait dûêtre plus rapide.

Mais ces retards ne peuvent être imputés de manière certaine et exclusive au médecin.En effet, la suspicion initiale de sarcome fin 2002 début 2003 avait été finalement éliminée

formellement par le praticien anatomopathologiste en janvier et février 2003, et ce après avoirdemandé des colorations spéciales.

Il ne peut être à la fois admis que la patiente ait fait le choix de consulter un nouveau médecinpour recueillir un autre avis que celui du Pr Z. et qu’en cas de discordance des avis, il appartenaitnécessairement au Dr Y. de retenir le prélèvement donnant le diagnostic le plus sévère par principede prudence. Cette position rendrait au final inutile la consultation d’un second médecin.

L’attitude du Dr Yves était à l’époque d’autant plus compréhensible que les examens ultérieurs,notamment ceux des tissus après les interventions d’octobre et novembre 2004, n’ont pas démontréde signe flagrant de malignité. N’ayant pas de craintes particulières, et exercant un suivi médicalrapproché en faisant pratiquer régulièrement des examens, tels qu’échographies, il ne peut luiêtre reproché une absence de concertation avec les multiples médecins intervenant sur Roanne,Saint-Étienne, Lyon, dans des spécialités différentes, et ce d’autant plus qu’il n’existait pas encoreà l’époque de concertation pluridisciplinaires sur Vichy, et qu’en tout état de cause, les analyseshistologiques étaient délicates à interpréter, même pour les spécialistes.

Au surplus, la patiente était suivie par un médecin traitant à même de prendre le rôle decoordonnateur si nécessaire.

Lors de la découverte du nodule en novembre 2004, le Dr Yves a orienté la patiente vers unradiologue spécialisé en pneumologie, pour qu’il lui donne son avis, mais la patiente ne l’a pasconsulté.

En octobre 2005, il a prescrit l’examen radiologique qui s’imposait en orientant à nouveau sapatiente chez le radiologue. Dans le courrier du 21 octobre 2005 adressé alors à ce spécialiste, illui demandait « sans faute » de « prendre rendez-vous auprès de (lui) pour un contrôle pulmonaireet mammographique ».

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En raison d’un manque de disponibilité de ce médecin radiologue, la patiente a finalementconsulté un autre radiologue, en décembre 2005, qui a découvert alors le sarcome métastasique.

Il apparaît ainsi, au vu de ces éléments, qu’il n’est pas caractérisé l’existence d’une faute de lapart du Dr Yves, ni dans son devoir de conseil, ni dans son diagnostic, pouvant avoir un lien decausalité avec une perte de chance d’enrayer l’évolution défavorable de la maladie, tel que jugéà bon droit par le tribunal.

4. Cour de cassation

4.1. Moyen de défense

Le professionnel de santé engage sa responsabilité contractuelle pour les conséquences dom-mageables des actes de prévention, de diagnostic ou de soins qui n’ont pas été accomplis selonles données acquises de la science.

En l’espèce, il est acquis aux débats que le diagnostic de sarcome utérin avait été posé dès2002 par le Pr Z. qui avait recommandé une hystérectomie. Cette opération a été retardée par lapatiente jusqu’en 2004 au vu du diagnostic erroné moins sévère posé par le Docteur Yves au vude résultats différents de l’anatomopathologie. En retenant, pour décider que ce dernier n’avaitpas commis de faute à l’origine du retard de traitement de la patiente qu’il n’avait pas manqué deprudence et de diligence en ne privilégiant pas le prélèvement qui donnait le diagnostic le plussévère, la cour d’appel a violé l’article L. 1142-1 CSP.

4.2. L’arrêt

4.2.1. En droitUn médecin, tenu, par l’article R. 4127-5 du Code de la santé publique, d’exercer sa profession

en toute indépendance, ne saurait être lié par le diagnostic établi antérieurement par un confrère,mais doit apprécier, personnellement et sous sa responsabilité, le résultat des examens et inves-tigations pratiqués et, le cas échéant, en faire pratiquer de nouveaux conformément aux donnéesacquises de la science.

4.2.2. En faitLa patiente avait consulté en 2002 un praticien, afin d’obtenir un deuxième avis, à la suite

d’une suspicion de tumeur de l’utérus (léomyosarcome), avancée par un confrère, dont celle-ciest décédée en 2009.

Le diagnostic de sarcome utérin avait été posé dès 2002 par M. Z., qui avait recommandé unehystérectomie. Cette opération a été retardée par la patiente jusqu’en 2004 au vu du diagnosticerroné moins sévère posé par M. Yves au vu de résultats différents de l’anatomopathologie. Or,ce dernier, qui n’était pas tenu par le diagnostic posé par un autre praticien et qui a effectué unedémarche diagnostic complète, n’a pas manqué de prudence et de diligence en ne privilégiant pasle prélèvement ayant renseigné le premier praticien, et qui donnait le diagnostic le plus sévère.C’est bien parce qu’il y a eu une démarche complète, adaptée et attentive que le médecin n’a pascommis de faute en écartant les constatations et analyses de son précédent confère.