Devi Mahatmya en français

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INTRODUCTION Le texte qui va retenir notre attention est connu dans la tradition hindoue sous divers noms qui font référence soit à sa forme, soit à son contenu. Dans le premier cas, on le qualifie de màhàtmya («célébration») ou de saptasatï (« sept-centaine ») ; dans le second, on mentionne le nom de l'héroïne: Chandî (Chandikâ, Durgâ) où l'on met en avant sa qualité de Déesse (devï). Mais le plus souvent, les manuscrits, et les éditions imprimées qui les reproduisent, combinent ces deux éléments. On trouve: devï-màhàtmya (« Célébration de la Déesse »), durgâ-saptaSatï (« Septcentaine en l'honneur de Durgâ ») ; et aussi: Chandï-pâtha (« Texte à réciter en l'honneur de Chandî »), Chandi-màhàtmya (« Célébration de Chandî »), etc. Il semble cependant que les éditeurs modernes aient tendance, en Inde, à stabiliser le nom de l'œuvre en choisissant l'appellation la plus générale : devï- mâhâtmya (« Célébration de la Grande Déesse »). Celle-ci possède en effet le double avantage de bien définir le genre littéraire auquel appartient l'ouvrage et de souligner qu'il concerne la Déesse en tant que telle, la Déesse unique, par-delà les formes diverses sous lesquelles elle se manifeste et les noms innombrables dont la saluent les fidèles. On verra d'ailleurs que le texte lui-même ne célèbre pas seulement le combat de Chandi-Durgâ contre l'Asura-Buffle, mais aussi celui de Gauri contre Shumbha et Nishumbha, l'intervention de Nidrâ éveillant Vishnu au commencement du cycle cosmique, etc. Les Mâhâtmyas. Le nom de mâhâtmya désigne, on le sait, un type de discours, volontiers en vers et en sanskrit, qui se rapporte (vrddhi initiale) à la « majesté » (mâhâtmya) d'un lieu vénérable ou d'un saint personnage. La traduction par « célébration », adoptée ici faute de mieux, n'est qu'approximative car elle ne rend pas suffisamment compte des résonances idéologiques d'un mot où les hindous perçoivent intuitivement la référence à maha atman (« magnanime »), vocable chargé d'importantes implications religieuses dont le champ recouvre en fait tout le domaine du sacré. La « majesté » dont il s'agit n'est pas en effet la simple expression d'une supériorité, même spirituelle, mais l'affirmation d'une participation effective à la grandeur de l'Âme Cosmique (mahâ-âtman) identique en substance à l'Absolu lui-même, le brahman. On dépasse donc les notions de " prestige " et de « sainteté » pour atteindre au domaine du divin, au sens propre du terme. Ainsi s'explique que ce type de texte puisse magnifier aussi bien un lieu (par exemple : un centre de pèlerinage) qu'un personnage (un "Saint") ou une divinité. Ces classifications relèvent d'ailleurs plus de nos propres catégories de pensée que de celles des indiens car tîrtha (gué sacré), mahârâjan (yogin ayant atteint la perfection) ou bhagavant (dieu) ne sont dignes d'un culte que dans la mesure même où ils apparaissent comme des manifestations de l'Ame cosmique. C'est d'ailleurs cette notion de culte à justifier (ou à fonder) qui est la véritable raison d'être de ces poèmes dévots. Selon une démarche bien connue et maintes fois illustrée dans l'histoire de l'Hindouisme on voit des prêtres rédiger anonymement des textes dont la fortune sera étroitement liée à celle des cérémonies qu'ils illustrent : que les fidèles délaissent tel lieu de pèlerinage et le mâhâtmya afférent aura peu de chance de survivre; qu'il connaisse au contraire la grande vogue et le poème deviendra suffisamment célèbre pour qu'il paraisse naturel de l'intégrer au corpus des Ecritures sacrées. D'où vient que les Purânas, ces volumineux poèmes didactiques où se conservent les traditions religieuses des débuts de l'Hindouisme proprement dit (purâna veut dire: « antique ») recueillent tant de ces « célébrations ». On prendra garde cependant que tous les Mâhâtmyas, bien loin de là, ne se trouvent pas dans les Purânas : la grande majorité d'entre eux reste inédite et se transmet oralement dans les familles des prêtres desservant les sanctuaires. D'autres existent en manuscrit et peuvent être consultés dans les temples. Beaucoup enfin ne sont pas rédigés en sanskrit mais en telle ou telle autre langue de l'Inde moderne et l'on s'est demandé s'il s'agissait de traductions à l'usage du commun des fidèles ou de la matière première de futurs poèmes sanskrits. Bien entendu la même question peut se poser à propos des « grands » Mâhâtmyas, c'est-à- dire de ceux qui sont intégrés aux Purânas; la réponse étant, on le devine, presque toujours impossible à formuler, faute de documents historiquement datables. En effet, même dans le cas très rare où deux versions coexistent, l'une en sanskrit, l'autre en vernaculaire, il n'est pas possible de décider de 1

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INTRODUCTIONLe texte qui va retenir notre attention est connu dans la tradition hindoue sous divers noms qui font

référence soit à sa forme, soit à son contenu. Dans le premier cas, on le qualifie de màhàtmya («célébration») ou de saptasatï (« sept-centaine ») ; dans le second, on mentionne le nom de l'héroïne: Chandî (Chandikâ, Durgâ) où l'on met en avant sa qualité de Déesse (devï). Mais le plus souvent, les manuscrits, et les éditions imprimées qui les reproduisent, combinent ces deux éléments. On trouve: devï-màhàtmya (« Célébration de la Déesse ») , durgâ-saptaSatï (« Septcentaine en l'honneur de Durgâ ») ; et aussi: Chandï-pâtha (« Texte à réciter en l'honneur de Chandî »),Chandi-màhàtmya (« Célébration de Chandî »), etc. Il semble cependant que les éditeurs modernes aient tendance, en Inde, à stabiliser le nom de l'œuvre en choisissant l'appellation la plus générale : devï-mâhâtmya (« Célébration de la Grande Déesse »). Celle-ci possède en effet le double avantage de bien définir le genre littéraire auquel appartient l'ouvrage et de souligner qu'il concerne la Déesse en tant que telle, la Déesse unique, par-delà les formes diverses sous lesquelles elle se manifeste et les noms innombrables dont la saluent les fidèles. On verra d'ailleurs que le texte lui-même ne célèbre pas seulement le combat de Chandi-Durgâ contre l'Asura-Buffle, mais aussi celui de Gauri contre Shumbha et Nishumbha, l'intervention de Nidrâ éveillant Vishnu au commencement du cycle cosmique, etc.Les Mâhâtmyas.

Le nom de mâhâtmya désigne, on le sait, un type de discours, volontiers en vers et en sanskrit, qui se rapporte (vrddhi initiale) à la « majesté » (mâhâtmya) d'un lieu vénérable ou d'un saint personnage. La traduction par « célébration », adoptée ici faute de mieux, n'est qu'approximative car elle ne rend pas suffisamment compte des résonances idéologiques d'un mot où les hindous perçoivent intuitivement la référence à maha atman (« magnanime »), vocable chargé d'importantes implications religieuses dont le champ recouvre en fait tout le domaine du sacré. La « majesté » dont il s'agit n'est pas en effet la simple expression d'une supériorité, même spirituelle, mais l'affirmation d'une participation effective à la grandeur de l'Âme Cosmique (mahâ-âtman) identique en substance à l'Absolu lui-même, le brahman. On dépasse donc les notions de " prestige " et de « sainteté » pour atteindre au domaine du divin, au sens propre du terme. Ainsi s'explique que ce type de texte puisse magnifier aussi bien un lieu (par exemple : un centre de pèlerinage) qu'un personnage (un "Saint") ou une divinité. Ces classifications relèvent d'ailleurs plus de nos propres catégories de pensée que de celles des indiens car tîrtha (gué sacré), mahârâjan (yogin ayant atteint la perfection) ou bhagavant (dieu) ne sont dignes d'un culte que dans la mesure même où ils apparaissent comme des manifestations de l'Ame cosmique.

C'est d'ailleurs cette notion de culte à justifier (ou à fonder) qui est la véritable raison d'être de ces poèmes dévots. Selon une démarche bien connue et maintes fois illustrée dans l'histoire de l'Hindouisme on voit des prêtres rédiger anonymement des textes dont la fortune sera étroitement liée à celle des cérémonies qu'ils illustrent : que les fidèles délaissent tel lieu de pèlerinage et le mâhâtmya afférent aura peu de chance de survivre; qu'il connaisse au contraire la grande vogue et le poème deviendra suffisamment célèbre pour qu'il paraisse naturel de l'intégrer au corpus des Ecritures sacrées. D'où vient que les Purânas, ces volumineux poèmes didactiques où se conservent les traditions religieuses des débuts de l'Hindouisme proprement dit (purâna veut dire: « antique ») recueillent tant de ces « célébrations ». On prendra garde cependant que tous les Mâhâtmyas, bien loin de là, ne se trouvent pas dans les Purânas : la grande majorité d'entre eux reste inédite et se transmet oralement dans les familles des prêtres desservant les sanctuaires. D'autres existent en manuscrit et peuvent être consultés dans les temples. Beaucoup enfin ne sont pas rédigés en sanskrit mais en telle ou telle autre langue de l'Inde moderne et l'on s'est demandé s'il s'agissait de traductions à l'usage du commun des fidèles ou de la matière première de futurs poèmes sanskrits.

Bien entendu la même question peut se poser à propos des « grands » Mâhâtmyas, c'est-à-dire de ceux qui sont intégrés aux Purânas; la réponse étant, on le devine, presque toujours impossible à formuler, faute de documents historiquement datables. En effet, même dans le cas très rare où deux versions coexistent, l'une en sanskrit, l'autre en vernaculaire, il n'est pas possible de décider de l'antériorité de la première sur la seconde, ou vice versa, car le genre littéraire auquel appartiennent ces textes exclut toute référence à l'histoire, au sens moderne du mot. C'est d'ailleurs là, on le sait, le sort commun de la très grande majorité des œuvres indiennes dont la chronologie n'est que très relative et fondée sur des critères incertains.Mais, par-delà cette situation de fait, on décèle partout le phénomène bien connu de la brahmanisation (ou, comme on dit aussi : sanskritisation) qui n'est pas autre chose, en fin de compte, que l'assimilation par l'élite brahmanique de réalités culturelles nées en dehors d'elle. Ce peuvent être des cultes non aryens (dravidiens, par exemple), des coutumes locales, des monuments littéraires

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préexistants, mais tout aussi bien des traditions proprement hindoues quoique étrangères à la caste brahmanique. La rivalité idéologique entre brahmanes et kshatriyas (ksatriya : « nobles, guerriers ») dont les Upanishads les plus anciennes portent témoignage s'est soldée, on le sait, par la victoire totale des premiers sur les seconds. Et les valeurs propres à ceux-ci n'ont été récupérées qu'après avoir été « converties » à celles de la classe dominante, au prix de maintes distorsions, on le devine. Mouvement irréversible et qui prend une grande ampleur dans les premiers siècles de notre ère, au moment où s'effectue la mise en ordre définitive des grandes épopées et des principaux Purânas.

La littérature religieuse de moindre importance a été évidemment entraînée dans le dit mouvement et a dû subir un brassage en profondeur. Repensés, rédigés pour la première fois en sanskrit, bon nombre de Mâhâtmyas ont alors trouvé leur place dans l'Épopée ou les Purânas. A titre d'exemple rappelons simplement que les « célébrations » de Goya, Mathura, Prqyâga ont été respectivement intégrées dans les Brahma, Varâha et Kûrma-Purâna, comme le Devî le sera dans l'un des plus anciens Purânas, le Mârkandeya. Ainsi donc il importe finalement assez peu de savoir si ces textes reflètent ou non des conceptions religieuses pré hindoues : tels qu'ils nous sont parvenus, ils relèvent de l'Hindouisme le plus « orthodoxe » puisque rédigés dans la langue sacrée et inscrits dans le cadre de la Tradition (smrti) brahmanique.

Le Dévî-Mâhâtmya.Naturellement, le Dévî-Mâhâtmya ne fait pas exception: son intégration au Mârkandéya-Purâna est aussi artificielle que celle des autres « célébrations » aux Purânas qui les accueillent; c'est donc dire qu'il n'est pas possible de trancher en l'état actuel de nos connaissances de l'origine première de ce texte. Comme toujours dans la tradition brahmanique le récit le plus achevé d'une légende, la présentation la plus significative d'une doctrine, en est aussi la première expression connue : le Dévî-Mâhâtmya n'a pas plus d'histoire que n'en ont, par exemple, les Yoga Sûtras (yoga sûtra). Dans l'un et l'autre cas, le texte semble surgir du néant, et les développements du culte de la Déesse, ceux aussi de la pratique du Yoga, ne sont décelables qu'après la rédaction des textes de base. De la préhistoire de ces œuvres, nous ne pouvons rien connaître comme si leurs auteurs avaient systématiquement éliminé ce qu'ils considéraient sans doute comme de mauvaises approximations de la Somme qu'ils rédigeaient. Par voie de conséquence les œuvres ultérieures sont dans leur grande majorité de simples commentaires : c'est la règle, on le sait dans le domaine des spéculations (darshana). Pour celles qui relèvent de la mythologie ce ne peuvent être que des imitations ou des déclarations d'obédience.

Le Devî Purâna, par exemple bien que tout entier voué à la justification du culte de la Déesse, se contente d'inviter les fidèles à méditer sur le Dévî-Mâhâtmya et à lire les ouvrages qui le concernent , cependant qu'un autre Purâna, le Dévî-Bhâgavata, consacre son cinquième sûtra à reprendre, à sa façon, le récit des exploits guerriers de la Déesse. On pourrait multiplier les références, mentionner les commentaires anciens et modernes du poème, ses traductions (ou imitations) en langues modernes (les plus nombreuses en bengali), comparer le contenu du Mâhâtmya avec ce que disent sur le même sujet des œuvres célèbres comme le Mahàbhârata, le Harivamsha, et tant d'autres, on ne pourrait pour autant retrouver l'état originel du mythe (Ur-Text) ni surtout découvrir une expression meilleure, plus complète de la légende. Le Dévî-Mâhâtmya est à la fois, comme on pouvait s'y attendre, la plus ancienne « Geste de la Grande Déesse » et, de loin, la plus achevée. Unique dans sa perfection, il reste isolé et sans descendance, sinon redondante.

Bibliographie.Paradoxalement, la bibliographie du Dévî-Mâhâtmya est étonnamment brève, malgré l'intérêt du texte pour les historiens des religions et sa popularité en Inde même. Là encore, le grand Burnouf fit œuvre de pionnier puisque c'est lui qui, le premier, analysa le poème et en donna quelques échantillons en traduction française dans le Journal Asiatique (1824). Peu après (1831) Poley publie le texte intégral, à Berlin, en translittération, avec des notes et un index.

Suit un siècle de silence, rompu en 1953 seulement lorsque paraît à Madras une traduction anglaise due au sivami Jagadîshwarânanda, bientôt imité par V. S. Agrawala (All-India Kashirâj Trust, Bénarès, 1963) et S. Shankaranarayanarn (Ganesh and C°, Madras, 1968). Bien entendu, les deux traductions intégrales du Mârkandéya-Purâna (M. N. Dutt, Calcutta, 1896, et F. E. Pargiter, Calcutta, 1899) incluaient le Mâhâtmya puisque celui-ci fait partie intégrante du dit Purâna. On reste étonné de

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cette défaveur (aucun livre n'est consacré à ce texte) à peine nuancée par la parution de quelques rares articles de revue (en dernier, celui de Marie-Thérèse de Mallmann: « un manuscrit illustré du Dévî-Mâhâtmya » dans Arts Asiatiques). La complexité du texte, sa richesse, l'importance de l'iconographie qui lui est associée (innombrables représentations de la Déesse tuant le démon buffle) appellent pourtant la recherche. Et l'on se prend à espérer que les prochaines décennies verront se multiplier les études touchant au culte des divinités féminines dans l'Hindouisme (éventuellement, le Bouddhisme), au mouvement shâkta, au Tantrisme sous toutes ses formes, à tout cet aspect de la civilisation indienne qui, sauf rares exceptions, a été longtemps négligé...

ANALYSE .L'insertion du Dévî-Mâhâtmya dans le Mârkandéya-Purâna (où il occupe les chapitre 81 à 93) est assurée par une série d'artifices peu convaincants. Le sage Mârkandeya enseigne à son disciple Kraustuki la succession des régents (manu) de chaque ère cosmique (manv-antara). // lui signale au passage que le huitième de ces régents, du nom de aryens n'est autre que la réincarnation divine d'un simple mortel, le roi Suratha, qui vivait durant l'ère précédente (celle de Svârocisa, le septième manu); un tel miracle n'a été possible que parce que le roi Suratha avait voué un culte à la Déesse Chandî (candi). Tout naturellement, la question sera formulée : qui donc est-elle cette divinité qui suscite de telles merveilles? et l'occasion sera ainsi trouvée de conter ses hauts faits.Le récit en réalité ne commence pas là car les auteurs éprouvent le besoin d'introduire un second artifice de composition : ce n'est pas Mârkandeya qui raconte l'histoire à son disciple mais un ermite qui en dispense la matière au roi Suratha lui-même. On voit l'enchevêtrement des récits cadres : Mârkandeya dit à son disciple que tel ermite a raconté telle histoire à tel et tel personnages. De semblables procédés (récits « à tiroirs ») sont typiques, on le sait, de la littérature indienne, notamment celle des contes.

Le récit cadre.Au tout début du Dévî-Mâhâtmya (Premier Chant, équivalent au quatre-vingt-unième du Purâna)

on voit donc deux personnages désemparés faire retraite dans l'ermitage du sage (rishi) Médhas. L'un est le roi Suratha qui a perdu son royaume et n'a dû son salut qu'à l'exil; l'autre est un bourgeois (vaisya) du nom de Samâdhi que ses proches ont dépouillé de tous ses biens. Les deux hommes font preuve d'une grandeur d'âme exceptionnelle: bien loin de gémir sur leurs propres malheurs ils s'inquiètent du sort de ceux qui les ont dépouillés. Poussant le devoir de caste jusqu'à la sainteté, on les entend se soucier du destin du royaume tombé aux mains des usurpateurs ou de la sauvegarde du patrimoine que les méchants vont sûrement dilapider! De telles dispositions d'esprit les étonnent eux-mêmes et ils décident de consulter Médhas.Celui-ci répond que cette folie (moha) qui pousse tous les êtres vivants non seulement à lutter pour leur propre existence mais également à aider les autres (exemple de l'oiseau affamé qui continue de nourrir ses petits) est l'expression de l'activité cosmique d'une déesse multiforme : la Grande Magie (mahâmâyâ) créatrice du monde phénoménal. A ce titre, elle est à la fois responsable de notre attachement au monde, cause de la transmigration (samsâra-bandha-hetuh : 1,58) et la Sagesse suprême grâce à laquelle nous pouvons nous en délivrer (sa vidyâ paramâ mukter hetu-bhûtâ : 1,57). En effet si nous la connaissons, nous comprenons le sens de Son activité et, par cette connaissance (qui vient d'Elle, comme toutes choses dans l'univers) nous sommes sauvés. Bien entendu, Suratha et Samâdhi demandent à Médhas de L'évoquer (kâ hi sa devï mahâmâyâ : 1,60) et c'est le prétexte à la récitation de la Geste de la Grande Déesse qui fait l'essentiel du Dévî-Mâhâtmya.Pour en finir avec le récit cadre, disons que celui-ci s'achève au XIIIe et dernier chant lorsque Suratha et Samâdhi, éclairés par Médhas, décident de vouer un culte à la Déesse. Installés au bord d'une rivière (13,9) ils vénèrent une image qu'ils ont façonnée avec de l'argile (krtvâ mûrtirh mahï-mayïm : 13,10}, jeûnent, méditent durant trois années pleines et sont finalement gratifiés par une apparition de Chandikâ (paritustâ...pratyaksam prâha candikâ : 13,12) : satisfaite de leur dévotion, Elle leur accorde la réalisation de leurs vœux. Le roi demande de pouvoir vaincre ses ennemis et de régner sur un royaume indestructible ; le bourgeois, plus sage sans doute, demande d'être délivré de l'égoïsme qui fait dire « j'existe! » et « ceci est à moi! » (so 'pi vaisyas tato jfiânam vavre...marnety aham iti prajnah sangavicyutikârakam. : 13,16). Ils sont exaucés l'un et l'autre : le vaïshya obtient la connaissance (jnâna) qui lui permettra de se réaliser pleinement (samsiddhi : 13,21) et le kshatriya,

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non seulement retrouvera son royaume, mais renaîtra après la fin du cycle cosmique en tant que régent (manu) de l'ère suivante (il sera le Manu aryens).

Le premier épisode.La Geste de la Grande Déesse s'articule en trois récits (carita) qui concernent chacune de Ses

interventions dans la lutte contre les forces du Mal. Le premier de ces récits (prathama-carita) est rapidement expédié: il n'occupe qu'une partie du Premier des douze Chants que compte le Dévî-Mâhâtmya. On y explique qu'à la fin du précédent cycle cosmique (kalpa-ante : 1,67) alors que l'univers dissous n'était plus que de l'eau, Vishnu reposait sur le serpent Shésha et y dormait du sommeil yoguique (yoga-nidrâ : 1,67) qui est le sien pendant les périodes intermédiaires. Brahmâ-Prajâpati (sa nâbhi-kamale visnohsthito brahmâ cadre : 1,69) s'apprêtait à créer l'univers lorsqu'il se rendit compte que deux démons (asura) nés de la graisse qui suintait des oreilles de Vishnu s'apprêtaient à le tuer, pour empêcher le monde de venir à l'être. Incapable de les combattre lui-même, il « concentre sa pensée sur la Déesse Sommeil-du-Yoga qui résidait dans l'oeil du Dieu » (1,70) « afin qu'Elle éveille celui-ci ».Pour ce faire, il chante (tustâva) un hymne de louange et par la magie de l'incantation parvient à faire apparaître la Déesse « ténébreuse » (tâmasî devï : 1,89} qui « sort » (nir-gam-) du corps du Dieu et se dresse devant Brahmâ (darsanc tastliau brahmanah : 1,90). Cette « sortie » éveille Vishnu qui se rend compte de la gravité de la situation et engage derechef le combat contre les deux Asiiras. Ceux-ci cependant, « égarés par la Grande Magie » (mahàmàyà-vimohitau : 2,94) imaginent une ruse: ils défient le Seigneur de les mettre à mort « là où un morceau de l'univers émergerait " (na yalra urvï salilcna pari-plutâ : 1,101). C'était oublier le serpent Shésha et Vishnu lui-même! le Dieu n'a qu'à les placer sur son giron (jaghana : 1,103) pour leur trancher la tête de son disque.Il est remarquable que dans ce premier épisode, la Déesse ne combat pas elle-même les Asuras : à l'appel de Brahmâ, Elle accepte de sortir du Dieu (c'est-à-dire de permettre son réveil puisqu'Elle était son sommeil: nidrà) et d'aider à la victoire de Vishnu en inspirant une funeste fanfaronnade aux deux Asuras. Célébrée sous les noms de Mahâmayâ (Grande Magie), yoga-nidrâ (Sommeil de Yoga), Elle reçoit les épithètes de « ténébreuse » (tâmasî) et, accessoirement, d'« éternelle » (nilyâ : 1,66). Il faut, bien entendu, mettre à part l'hymne (stotra) chanté par Brahmâ. car, selon le principe habituel d'hénothéisme propre à ce genre littéraire, la Déesse y reçoit d'emblée tous les noms qui seront les Siens au cours du poème et s'y voit attribuer toutes les fonctions cosmiques : Elle crée le monde, le maintient, le dissout, l'organise, l'illumine, etc.

Deuxième épisode.Le madhyama -çarita (épisode central) est beaucoup plus étoffé: il occupe les Second, Troisième et Quatrième chants et concerne le mythe célèbre de la mise à mort du démon buffle (mahisha-asura). L'événement se déroule " en ce temps là » (purâ : 2,2) ; à une époque toutefois où l'univers était parfaitement constitué et gouverné par les dieux (Deva) ayant à leur tête Indra. C'est là le cadre védique, mais déjà gauchi par la perspective hindoue qui, en quelque sorte, se superpose à lui puisque nous apprenons au quatrième vers que Vishnu et Shiva règnent en souverains au-dessus des dieux eux-mêmes. Par une distorsion habile, on pose que les trente-trois dieux du véda, ne sont en fait que trente (tridasàh : 2,5) plus Brahmâ-Prajâpatî et le couple Vishnu Shiva.

Pendant un siècle (abda-satam : 2,2) les Asuras ont affronté les Dévas; ils viennent de l'emporter et le Buffle (mahisha) qui les conduit s'installe, à la place d'Indra, au gouvernement de l'univers. Expulsés de l'Olympe (svarga : 2,7) les dieux en sont réduits à errer sur la Terre, tels des mortels! En désespoir de cause, ils s'adressent aux deux Souverains qui, à l'annonce de ce désastre s'enflamment de colère. De leur visage naît alors une grande lumière (mahat tejas : 2,10) expression de leur fureur et, comme par contagion, le phénomène s'étend aux autres dieux : en un instant ces diverses lueurs se fondent en une masse unique qui illumine tout l'univers. Nouvelle merveille : voici que la masse lumineuse prend l'apparence d'une femme (nârï : 2,13) en qui tous reconnaissent une déesse (amarâ : 2,79) qui ressemble à chacun d'eux par un détail de Sa forme (Elle a la bouche de Shîva, les cheveux de Tama, les bras de Vishnu, etc.)Ravis d'avoir trouvé en Elle le champion qui affronterait l'Asura-Buffle chaque dieu Lui donne son arme la plus efficace : Elle reçoit le trident de Shiva, le foudre d'Indra, le bâton de Tama, etc. Et comme Elle est femme, des parures Lui sont apportées : colliers, diadème, anneaux de chevilles,

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bracelets, guirlandes, bijoux de toute sorte. Pour monture, le dieu des montagnes (Himavant) Lui donne un lion et Kubera la dote d'un hanap toujours plein d'un vin enivrant (<i£ûnyam surayâ pânapatram : 2,30). Joyeuse, Elle se dresse devant eux et éclate de rire (2,32). Les Dieux exultent (java! iti devâh : 2,35) et les Asuras se demandent ce qui se passe (âh kim etad? 2,37). A leur première approche la Déesse, qui reçoit le nom de Chandïkâ (Chandikâ, « la Terrible » : 2,50) met en pièces, avec le concours de sa monture, les premières troupes de Mahisha. Peu après (début du Troisième Chant) elle met à mort les principaux lieutenants de celui-ci.Ce que voyant, il s'avance à son tour et fait quelques ravages dans les troupes divines (Ganas) qui assistent la Déesse. Cela nous dit-on « exaspéra Ambikâ » (3,24) qui se résolut à le tuer. Mais l'autre est rusé : il tente d'échapper à son sort en prenant successivement la forme d'un lion (3,30), puis d'un homme, d'un éléphant, avant de retrouver (3,33) son apparence naturelle. Alors Chandikâ vide sa coupe et, « le visage agité par l'ivresse » (mada-uddhuta-mukhâ : 3,36) saute d'un bond sur le dos du buffle et le perce de son trident. Et de la bouche de l'animal commence de sortir l'Asura lui-même pour tenter encore d'affronter la Déesse; il n'en a pas le temps, car Chandikâ lui tranchela tête alors qu'il n'est qu'à moitié sorti de l'animal (ardha-niskrântah : 3,41). La bataille est achevée et les Dieux n'ont plus qu'à chanter les louanges d'Ambikâ en compagnie des Gandharvas et des Apsaras. Les hymnes qu'ils Lui dédient (Quatrième Chant) plaisent à la Déesse: Elle les récompense en leur promettant qu'Elle sera toujours à leur côté, en cas de besoin.C'est cet épisode central du Dévî-Mâhâtmya qui est, on le sait, massivement illustré dans le bronze et la pierre, en peinture et en miniature; c'est celui que l'on représente le plus volontiers au Bengale dans les processions de la fête de Durgâ (Durgâ : « Celle dont l'abord est difficile »). Vénérée comme mahisâsura-mardinî (« Celle qui tue le démon buffle n) on La voit juchée sur le dos de l'animal (parfois Elle ne pose qu'un seul pied sur la nuque de la bête, l'autre restant sur le sol); d'une main Elle plonge son trident dans la gorge de Mahisha et, de l'autre, Elle empoigne aux cheveux l'apparence humaine (purusa « l'homoncule, l'âme ») qui sort, à moitié, de la gueule du buffle. Parfois aussi Elle brandit la tête du purusha qu'Elle vient de trancher; le buffle et l'homoncule à demi sorti gisent à ses pieds. Les nombreux bras dont Elle est dotée brandissent toutes sortes d'armes et notamment le sabre (asi : 3,42); la coupe de vin manque rarement et l'on donne volontiers au visage de la Déesse celui d'une personne en état d'ivresse (yeux « chavirés », etc.).

Troisième épisode.Les Dieux cependant ne sont pas au bout de leurs peines puisqu'au début du Cinquième Chant on

nous explique que deux Asuras jumeaux Shumbha et Nishumbha (sumbha-nisumbhau : 5,2) ont réussi « en ce temps-là » (purâ) à les dépouiller de leurs fonctions. Les Trente (tridasâlj : 5,5) se souviennent alors de la promesse qui leur a été faite et se rendent dans l'Himalaya où ils chantent un hymne à la Déesse (devï : 5,11) à laquelle ils donnent une série de noms à consonance shivaïte (sivâ : 5,11; gauri : 5,12; raudrâ : 5,12 ; Durgâ : 5,14) ce qui d'ailleurs n'exclut pas les épithètes vishnuïtes (Vishnumâyâ : 5,16; yoga-nidrâ : 5,19 ; Lakhsmï : 5,30).Le bruit que font les Dieux alerte la Déesse-de-la-montagne (Pârvatï ; 5,42) qui s'enquiert de la personne à laquelle s'adresse l'hymne de louange: et voici que du corps même de Parvati surgit une femme qui n'est autre qu'Ambikâ que l'on appellera désormais pour cela Kaushikî (de Kosa « corps » : 5,47). Parvati elle-même, ayant perdu son éclat depuis qu'Ambikâ est sorti d'elle s'appellera désormais la Noire (Kâlikâ, 5,48).Cependant, deux lieutenants des jumeaux démoniaques aperçoivent la Déesse et conseillent à Shumbha (celui-ci serait-il l'aîné? le poème n'explique rien des raisons de sa prééminence sur son frère) de s'emparer d'Elle. Puisque les dieux ont été dépouillés de tout pourquoi conserveraient-ils un si beau joyau (strï-ratna : 5,61)? Shumbha acquiesce et mande son représentant auprès de Durgâ pour Lui demander Sa main. A quoi la Déesse répond qu'Elle a fait vœu de n'épouser que celui qui parviendrait à La vaincre à la lutte : que le chef des Asuras vienne donc l'affronter! s'il l'emporte, Elle l'épousera à coup sûr. Ce discours paraît bien arrogant au messager et plus encore à Shumbha lorsqu'il en connaît le contenu (début du Sixième Chant). Fou de rage, il ordonne à l'un de ses meilleurs guerriers d'aller s'emparer de force de cette femme et de la lui amener « liée et traînée par les cheveux » (6,5). Mais la Déesse le tue sans peine et détruit son escorte.Shumbha délègue alors ses deux lieutenants, Chanda et Munda (canda-mundau), ceux-là mêmes qui avaient découvert Ambikâ les premiers. Escortés de troupes nombreuses, ils s'avancent vers Elle

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(début du Septième Chant). Ce nouvel assaut provoque une « Colère noire » chez la Déesse (kopcnaca asyâ vadanammasï-varnamabhût : 7.5) et ce « noir » se transforme soudain en une autre Déesse que l'on nomme évidemment la « Noire » (Kâli : 7.6). C'est Elle qui se charge d'éliminer les soldats et leurs chefs dont elle rapporte en hommage les deux têtes à Chandikâ. Désormais, dit Celle-ci, Kâlî devra être vénérée sous le nom de Châmundâ (yasmâc candam ça mundam ça grhitvâ tvam upagata câmundâ...khyâtâ devï bhavisyasi : 7,29).

L'affaire cependant ne pouvait en rester là : au début du Huitième Chant, Shumbha décide de jeter le gros de ses troupes dans la bataille et bientôt Ambikâ, Kâlî et le Lion se trouvent encerclés par les troupes démoniaques. Les dieux décident alors d'aider la Déesse et du corps de sept d'entre eux émanent sept déesses qui sont leurs énergies (sakti) respectives. Ainsi la Déesse se trouve-t-elle assistée par les shaktis de Brahmâ, Shiva, Kumara, Vishnu, Vahâra (le Sanglier, avatar de Vishnu), Nârasimha (l'Homme-Lion, autre avatar de Vishnu) et Indra (7, 17 à 23). Par ce moyen les plus grands dieux (Brahmâ, Shiva et son fis, Vishnu et ses avatars, Indra) se mettent humblement au service direct de la Déesse et Celle-ci, comme pour mieux marquer Sa suprématie, exige de Shiva qu'il Lui serve de messager auprès du roi des Asuras (dutas tvam gaccha, bhagavan, parsvam sumbha-nisumbhayob : 8,28). Le Dieu accepte et depuis lors, nous dit-on, Durgâ est vénérée sous le nom de siva-dutî (8,33) « Celle qui eut Shiva pour messager ».Bien entendu, l'entrevue se solde par un échec et le combat reprend de plus belle : Chandikâ et Kâlî pourfendent allègrement leurs adversaires. Elles sont aidées dans cette tâche par les sept « énergies divines » (sakti) que le poème identifie avec les sept Mères (mâtr-gana : 8,44), C'est la débandade dans le camp des Asuras et la bataille fourrait s'arrêter ici, si ne surgissait un nouvel adversaire en la personne du démon Raktabîja apparemment invincible car du sang qui s'écoulait des blessures que lui faisaient les Mères naissaient instantanément de nouveaux guerriers. Un moment désemparées, les Déesses sont alors rassurées par Chandikâ qui suggère à Kalî de boire le sang de son adversaire : lorsque la source sera tarie Raktabîja mourra à coup sûr. Ainsi fait Kâlî et l'Asura s'écroule sur le sol et rend l'esprit (sapapâta malnprsthe... nïraktah... raktabïjah : 8,70).Au Neuvième Chant s'engage le combat décisif: privés de leurs principaux lieutenants, les deux frères s'avancent enfin pour combattre. La bataille est rude mais Chandikâ, assistée de Kâli et des Sept Mères, vient à bout en premier lieu de Nishumbha : Elle lui perce le cœur d'un coup de lance (sûla) maïs, par un phénomène qui rappelle la finale de l'épisode du Buffle, voici qu'un homoncule (purusa : 9,35) jaillit de la blessure. Chandikâ tranche sa tête et Nishumbha n'existe plus (tasya niskrâmato dcvî... siras ciccheda... tato 'sâv apatad : 9,36).Reste Shumbha que la Déesse affronte au Dixième Chant. Après l'habituelle joute oratoire, les deux héros s'affrontent seuls cependant que Dieux et Asuras contemplent la scène, angoissés (10, 11). Chandikâ brise successivement toutes les armes de son adversaire et celui-ci se résout à l'attaquer à mains nues. Il porte même un coup de poing à la Déesse mais Celle-ci le lui rend et il tombe pour la première fois. Le contact avec le sol lui rend toute sa force (est-ce un nouveau Antée?) et d'un bond il s'élance jusqu'au Ciel emportant avec lui Chandikâ qu'il vient de saisir! La lutte se poursuit donc dans l'espace « à la surprise » nous dit le texte (10,25), « de ceux qui le peuplent: Sages (muni) et Parfaits (siddha) ». Finalement, la Déesse réussit à se dégager et à précipiter à terre le démon. Elle le perce alors de sa lance (sûla) et il expire aussitôt.Désormais, le Malin (dur-âtman : 10,30} ayant été éliminé, l'univers retrouve son assiette (jagat svâsthyam atïvâpa : 10,30), la lumière brille, Apsaras et Gandharvas chantent et dansent, les feux sacrés flambent en signe de paix {jajvaluh... agnayah sântâh : 10,34), et les dieux, restaurés dans leur fonction, s'avancent avec Indra à leur tête, pour rendre grâces à la Déesse. Leurs chants occupent le Onzième Chant et comprennent notamment une longue litanie dédiée à Nârâyanî (Nârâyani namo stute ! 10,9 à 24) ; les autres noms sont ceux que l'on avait déjà rencontrés dans le corps du poème : Durgâ, Kali, Chandî, Ambikâ, et bien entendu, Devi qui les contient tous en puissance. Satisfaite des louanges qu'on Lui adresse, la Déesse accorde aux Dieux une faveur et ils demandent qu'Elle les protège à jamais des attaques des forces du Mal.

Chandî explique alors qu'elle interviendra désormais à chaque fois que les Asuras tenteront de reprendre le combat. Cela nous vaut une série de prophéties concernant les temps à venir. On y apprend que Shumbha et Nishumbha renaîtront un jour et que la Déesse s'incarnera alors « dans les monts Vindhya, née de Yeshodâ et du berger Nanda" (nandagopagfhc jatâ yaéodagarbliasariibhavâ : 11,43) ce qui semble indiquer soit qu'elle prendra l'apparence d'un homme (Krishna) pour les

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affronter, soit qu'elle le fera en tant que femme (et l'on aurait alors ici une allusion à une autre forme du mythe de Krishna). A de multiples autres occasions elle affrontera de la sorte les Asuras; citons, entre autres, son intervention contre le Démon Sécheresse : pour sauver les êtres vivants, Elle produira « des légumes, nés de Son propre corps » et méritera, dès lors, le nom de « Potagère » (sâkambharï : 11,48); une autre fois elle abattra l'Asura Aruna en prenant la forme d'un essaim d'abeilles (d'où Son nom de bhràmarï : 11,53), etc.Le Douzième Chant s'ouvre par un discours de Chandî expliquant aux dieux (et, par-delà ceux-ci, aux hommes) comment La vénérer dignement : écouter les récits de ses exploits, bâtir un temple destiné aux récitations solennelles de ces mêmes exploits, offrir un culte (Pùjâ : 12,10), etc. L'essentiel cependant est d'entendre la lecture du Dévî-Mâhâtmya : l'auditeur sera préservé de toutes mâles occurrences (il vaincra au combat, sa femme accouchera sans mal, ses enfants ne seront pas possédés par les démons « saisisseurs », il ne se noiera ni ne s'égarera, ne sera pas brûlé, ni attaqué par des bêtes féroces, et ainsi de suite). La Déesse disparaît ensuite et les dieux méditent sur ce qu'ils viennent d'entendre, reconnaissant qu'Elle est la souveraine universelle, créatrice du monde, responsable de son maintien, et sa destructrice à la fin du cycle ; il faut donc La vénérer sans cesse, Elle qui « fixe la pensée sur le Dharma et conduit au bonheur » (matirh dharme gatim subhàm : 12,39).

Quant au Treizième et dernier Chant, il reprend le récit cadre et le clôt, comme on l'a expliqué au début de cette analyse.

PREMIER CHANT1. Mârkandeya dit :2. « Le huitième Manu s'appelle aryens, il est fils du Soleil. Je vais te dire sa naissance, écoute avec attention!3. Je te dirai aussi comment, grâce à une manifestation du pouvoir de la Grande Magie il devint le régent d'un Manvantara, ce aryens, fils du Soleil.4. En ce temps-là, alors que le régent se nommait Svârochisha, un prince naquit dans la famille Chaïtra; il devint roi sous le nom de Suratha et régna sur le monde,5. Il protégeait ses sujets, de façon parfaite, comme s'ils avaient été ses enfants. Mais des princes de la lignée des Kolâvidhvamsins devinrent ses ennemis.6. Ils s'affrontèrent sur le champ de bataille et, bien qu'il eût de meilleures armes qu'eux et qu'ils lui fussent inférieurs, les Kolâvidhvamsins le vainquirent.7. Battu, il retraita jusqu'à sa capitale et s'y enferma. Mais ses ennemis l'y poursuivirent et attaquèrent ce roi jusqu'alors fortuné.8. Et ses ministres, êtres à l'âme vile, le dépouillèrent de son trésor et de ses troupes, au cœur même de sa capitale!9. Ainsi dépouillé le roi feignit alors d'aller à la chasse : montant son coursier préféré, il s'en fut dans la forêt profonde.10. Il y rencontra par hasard l'ermitage d'un brahmane de valeur du nom de Médhas : on y voyait des bêtes sauvages devenues inoffensives et toute une assemblée de maîtres et d'élèves.11. Il demeura là quelque temps, traité comme il sied à un hôte par le sage avisé. Errant de ci, de là, dans l'ermitage de Médhas.12. il ruminait ses pensées, l'esprit tendu, songeant sans cesse à ses intérêts :13. cette ville que mes ancêtres ont toujours su garder, ne l'ai-je pas abandonnée? Qui sait si mes ministres à l'âme vile sauront y faire régner la Loi?14. Et Sadâmada, le chef de mon troupeau d'éléphants qui sait s'il obtiendra sa nourriture maintenant qu'il est au pouvoir de mes ennemis?15. Ces courtisans que je comblais de festins, de cadeaux, de gratifications, je suis sûr qu'aujourd'hui ils font la cour à leurs nouveaux maîtres!16. Et ce trésor d'État que j'ai eu tant de peine à amasser, ils vont le dilapider en dépenses inconsidérées, eux qui ne connaissent que le gaspillage!17. Ainsi ruminait-il constamment ses pensées; mais voici qu'à proximité de ermitage il aperçut un roturier.18. Le roi lui demanda : « Qui es-tu, bonhomme? pourquoi viens-tu ici? et d'où vient que tu paraisses affligé, malheureux? »

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19. Ayant entendu ces questions, dites avec bienveillance, le roturier s'inclina en hommage et dit au roi :20. Le roturier dit :

21. «Je m'appelle Samâdhi, Sire; et ma famille a du bien. Mais j'ai été chassé de chez moi par mon épouse et mes fils pervertis par l'appât du gain!22. Me voici démuni, maintenant que ma femme et mes enfants m'ont tout pris. Et c'est pourquoi j'erre, désespéré, dans ce désert chassé de chez moi par les miens!23. Et je ne sais plus rien de ce qu'ils font là-bas, mes fils, mes femmes, mes parents : sont-ils heureux ou malheureux que je me trouve ici?24. Qui sait ce qu'il en est présentement de la maisonnée? joie? peine?25. Qui sait comment ils se conduisent, mes enfants : bien? mal? »26. Le roi répondit :27. « N'avez-vous pas été rejeté par les vôtres? privé de vos biens par la cupidité de vos enfants et de vos femmes?28. D'où vient alors que vous puissiez encore vous inquiéter d'eux et tant penser à eux? »29. Le roturier dit :30. « Je me suis déjà posé à moi-même cette question; mais qu'y faire? mon cœur ne parvient pas à s'endurcir contre eux!31. Leur cupidité m'a chassé et a éteint en eux l'affection qu'ils me doivent. Mais en tant que chef de la maisonnée je leur garde mon amour et ma pensée ne les quitte pas.32. Comment cela se fait-il? je n'en sais rien! je sais bien que j'ai tort d'aimer des indignes, mais je ne puis m'en détacher.33. Je pense à eux, j'ai de la peine, je soupire, mon cœur se serre!34. Qu'y puis-je? mes sentiments ne parviennent pas à condamner ces gens qui pourtant me haïssent! »35. Mârkandeya dit :36. Alors ils se rendirent auprès de leur hôte, le sage brahmane Médhas,37. ces deux malheureux : le roturier Samâdhi et son ami le noble Suratha.38. Après l'avoir salué, comme il convenait à un tel sage et à des gens tels qu'eux deux, le prince et le roturier prirent place près du sage et s'entretinrent avec lui.39. Le roi prit la parole :40. «Je voudrais, Seigneur, te demander quelque chose, réponds-moi, je t'en prie,41. car cela trouble ma pensée et l'oriente malgré moi vers la souffrance!42. J'ai perdu mon royaume et pourtant j'y reste attaché. Je sais que je ne l'ai plus et cependant j'agis comme si je ne le savais pas! Comment cela se peut-il?43. Et vois ce malheureux! Ses propres fils l'ont humilié; il a été rejeté par ses épouses et ses gens; tous l'ont abandonné et pourtant il leur reste attaché!44. Lui et moi sommes donc excessivement malheureux, et notre esprit reste esclave de l'attachement bien que les objets de celui-ci soient sans valeur à nos propres yeux!45. Comment, Seigneur, peut-il se faire que nous soyions dans l'égarement en le sachant? d'où vient cette folie qui nous aveugle, lui et moi, et nous prive de discernement? »46. Le Sage répondit :47. « Toutes les créatures connaissent quelque chose de ce qui est du domaine des sens; mais les objets sensibles se comportent diversement.48. Il y a des créatures qui ne voient rien durant le jour, d'autres durant la nuit; d'autres encore y voient aussi bien la nuit que le jour!

49. Les humains, à coup sûr, sont doués de perception intelligente; mais ils ne sont pas seuls à l'avoir : les animaux domestiques l'ont aussi, et les oiseaux, et les bêtes sauvages.50. Cette connaissance que les humains possèdent, bêtes et oiseaux l'ont aussi; de même tout ce qui achève de les constituer leur est également commun.51. Et pourtant lors même que cette connaissance existe, regarde ces oiseaux qui font tomber du grain dans la bouche de leurs petits : n'est-ce pas folie, puisqu'ils sont eux-mêmes affamés?52. Les hommes n'ont-ils pas aussi le désir d'engendrer des fils parce qu'ils aspirent à quelque bénéfice en retour? Ne le vois-tu pas?

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53. Et cela parce qu'ils ont été précipités dans le tourbillon de l'égoïsme, dans le gouffre de la folie, par l'entremise de la Grande Magie, grâce à laquelle se maintient le cours commun de la transmigration!54. Ne t'en étonne pas, Seigneur! C'est parce qu'Elle est le Sommeil-de-Yoga que pratique le Maître du Monde, la Grande Magie de Vishnu, que l'univers est dans l'égarement!

55. C'est Elle, la Grande Magie, qui s'empare de l'esprit des savants eux-mêmes et les entraîne à la folie!57. Éternelle, elle est à la fois la Science suprême qui conduit à la délivrance,58. et l'origine des liens de la transmigration, cette Déesse Souveraine qui règne sur tous les Dieux ! »59. Le roi demanda :60. « Qui donc est-Elle, Celle que vous nommez, Seigneur brahmane, la Grande Magie? comment est-Elle apparue et quelle est sa fonction?61. Oui, je voudrais savoir quelle est Sa nature, quelles sont Sa forme et Sa naissance;62. c'est cela que je souhaite entendre de ta bouche, car tu es le meilleur de ceux qui connaissent le brahman! »63. Le sage dit :64. « Éternelle, elle a la forme même de l'Univers et tout ici-bas a été tissé par Elle!65. Et pourtant Elle s'y est manifestée de diverses façons. Écoute, je vais te l'expliquer.66. Lorsqu'Elle se manifeste dans le monde, afin de remplir l'office des Dieux on dit qu'Elle s'y incarne, bien qu'à bon droit on La nomme l'Éternelle.67. A la fin du cycle cosmique l'univers, dissout, n'était plus que de l'eau; et le Seigneur Vishnu, couché sur le serpent Shésha, y pratiquait le Sommeil-de-Yoga.68. A un moment cependant, deux Asuras terribles, nommés Madhu et Kaïtabha naquirent de la graisse qui suintait des deux oreilles de Vishnu. Leur dessein était de tuer Brahmâ.69. Ce dernier, que l'on appelle aussi Prajâpati, était assis sur un lotus qui émanait du nombril de Vishnu. Apercevant les deux Asuras et considérant que le Seigneur était endormi,70. Brahmâ, concentrant sa pensée, commença d'invoquer la Déesse Sommeil-de-Yoga qui résidait dans l'œil de Vishnu afin qu'Elle éveille celui-ci.71. Grâce à sa propre ardeur, le Seigneur Brahmâ réussit à faire paraître la Déesse Nidrâ, l'Incomparable, la Souveraine universelle, qui crée, maintient et dissout l'univers,72. et La chanta en ces termes :73. Tu es Svâhâ,

Tu es Svadhâ, Tu es l'appel Vashat, puisque Tu es le Verbe même! Nectar des Dieux, Tu es l'Impérissable, l'Éternelle, la Syllabe-OM, aux trois constituants.

74. Et Tu es l'Essence éternelle du Son que l'on ne peut produire car il est inarticulable c'est Toi, l'incitatrice, Toi, la Mère des Dieux, la Déesse Suprême !

75. Par Toi le monde fut créé; c'est Toi qui le soutiens, c'est Toi qui le protèges, et c'est Toi qui le manges à la fin, éternellement.

76. Lors de la création,Tu prends la forme créatrice;et quand il faut garder le monde,Ta forme est celle de la vie;quand vient la fin,on Te voit comme Destruction;et pourtant Tu t'identifies à l'Univers!

77. Science, Magie,

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Sagesse et Tradition; Tu es aussi l'Égarement, à la fois Déesse et Démone!

78. Toi, la Nature,par qui les Éléments s'ordonnent, Tu es la Nuit-des-temps, la Grande Nuit, l'épouvantable Égarement !

79. Tu es Splendeur,Tu es la Souveraine,la Pudeur, et l'Intelligence!l'Éveil est Ta parure,Humilité, Prospérité,Satisfaction, Apaisement,Patience !Tels sont Tes noms!

80. Armée d'un glaive et d'une lance, brandissant la massue, le disque, Tu es terrible, Toi qui sonnes la conque, armée d'un arc, de flèches, et d'une fronde, et d'un épieu!

81. Charmante,plus charmante que tout au monde,Tu resplendis!Plus haute que le haut, le bas,Tu es la Souverainela Plus Haute!

82. Quoi que ce soit, où que ce soit,que ce soit l'Être ou le Non-Être, tout est en Toi ! Toi, l'Énergie de l'Univers, comment pourrai-je Te chanter?

83. Le Dieu suprêmequi crée le monde, le conserve,et le mange à la fin,Tu le soumets à ton emprise,Déesse Sommeil !Quel dieu, donc, saurait te chanter?

84. Si Vishnu, si Shiva,si moi-même, avons pris un corps, c'est sous Ton impulsion; qui d'entre nous aurait donc le pouvoir de te chanter, Déesse?

85. Toi que je loue ainsi, manifeste tes énergies afin d'égarer les esprits de ces deux Asuras, Madhu et Kaïtabha!

86. Que le Seigneur du monde, l'Inébranlable, s'éveille enfin!

87. Et qu'il comprenne, à son réveil, qu'il Lui faut tuer plus tôt ces deux grands Asuras! »

88. Le sage dit :89. « Ayant été célébrée de la sorte, par le Dieu Créateur, afin d'obtenir d'Elle qu'Elle éveille Vishnu pour qu'il extermine les deux Asuras,

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90. la Ténébreuse se dressa! Émanation de tout le corps du Dieu : de Ses yeux, de Sa bouche, de Ses bras, de Son cœur, de Sa poitrine, Elle se manifesta à la vue de Brahmâ!91. Et Vishnu, Seigneur de l'univers, se dressa sur sa couche, le serpent Shésha qui flottait sur les eaux. Il vit alors les deux Asuras,92. Madhu et Kaïtabha, à l'âme méchante, au courage extraordinaire, qui, les yeux rouges de colère, étaient prêts à dévorer Brahmâ.93. Se levant tout à fait, le Seigneur Hari qui se diffuse dans l'univers, les affronta pendant cinq millénaires, les combattant de ses deux bras.94. Orgueilleux de leur force exceptionnelle, égarés par la Grande Magie,95. les deux Asuras interpellèrent le Dieu : « nous t'offrons une faveur ! Choisis ! »96. Le Seigneur répondit :97. « Si cela doit vous satisfaire, sachez que vous serez tués tous deux par moi!98. Quelle autre faveur pourrait me convenir? Accordez-la moi : c'est celle que je choisis ! »99. Le sage dit :100. « Les deux Asuras, abusés par la Grande Magie, et voyant que l'univers entier n'était plus que de l'eau dirent au Seigneur aux yeux de lotus :101. « Tue-nous donc là où la terre n'a pas été envahie par le flot! »102. Le Sage dit :103. « Qu'il en soit ainsi! » s'écria le Seigneur qui porte la conque, le disque et la massue; et les plaçant sur son giron il leur trancha la tête avec son disque.104. C'est ainsi donc que se manifesta la Déesse lorsqu'elle eût été invoquée par Brahmâ. Mais je vais t'en dire davantage sur Son pouvoir : écoute-moi! »

DEUXIÈME CHANT1. Le sage dit :2. « En ce temps-là, une bataille faisait rage opposant les Dieux aux Asuras. Elle durait depuis un siècle. Un Buffle commandait les Asuras, et les Dieux étaient conduits par Indra.3. Finalement, les vaillants Asuras l'emportèrent sur la troupe divine et le Buffle, ayant défait tous les Dieux assuma la fonction cosmique d'Indra!4. Vaincus, les Dieux, prenant pour guide Prajâpati qui naquit d'un lotus, s'en furent là où résidaient Shiva et Vishnu.5. Et les Trente expliquèrent aux deux Seigneurs comment l'Asura-Buffle avait réussi à remporter la victoire.6. « Et maintenant, ajoutèrent-ils, voici que ce Buffle assume à lui tout seul les fonctions de Sûrya, d'Indra, d'Agni, de Vâyu, de Chandra, de Yama, de Varuna et des autres Dieux7. Jetés à bas du Ciel par ce Buffle cruel, les troupes divines en sont réduites à errer sur la Terre, comme font les mortels!8. Nous vous avons tout dit, Seigneurs, reprirent-ils; vous savez maintenant comment l'Ennemi a triomphé des Immortels. Aussi venons-nous, respectueusement, implorer votre protection! Puissiez-vous imaginer un moyen de mettre à mort ce Buffle!»9. Ayant entendu ce qu'avaient dit les Dieux,Vishnu s'enflamma de colère et Shiva fronçant les sourcils, fit un rictus de rage.10. Et voici que du visage de Vishnu enflammé de colère, émana une grande lumière! et de même de celui de Shiva et de Brahmâ.11. Du corps des autres Dieux, à commencer par Indra, émana aussi une grande lumière; et voici que ces lumières se fondirent toutes en une seule !12. On eût dit d'une montagne flamboyante qui embrasait l'espace tout entier et les Dieux contemplaient cette masse lumineuse.

13. Enfin, cette lumière extraordinaire, née des corps de tous les Dieux, fondue en une masse unique qui illuminait l'univers se transforma en une femme !14. Sa bouche émanait de la lumière de Shiva, Ses cheveux de celle de Yama, Ses bras de celle de Vishnu,15. Sa poitrine de celle de Chandra, Son ventre de celle d'Indra, Ses jambes de celle de Varuna, Ses fesses de celle de la Terre,

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19. Ses pieds de celle de Brahmâ, Ses orteils de celle du Soleil, Ses doigts de celle de Vasu, Son nez de celle de Kubéra,17. Ses dents de celle de Prajâpati, Ses trois yeux de celle d'Agni,18. Ses deux sourcils de celle des deux crépuscules, Ses deux oreilles de celle de Vâyu : ainsi des lumières issues des divers Dieux naquit la Bénéfique!19. Alors les Immortels, tourmentés par le Buffle, se réjouirent lorsqu'ils virent la Déesse née de la masse incandescente où s'étaient fondues leurs lumières.20. Et les Dieux, l'un après l'autre Lui donnèrent leurs propres armes : Shiva de son trident produisit un trident, et le Lui donna;21. Krishna de son propre disque produisit un disque, et le Lui donna; Varuna Lui donna une conque; Agni une lance;22. Vâyu Lui donna un arc accompagné de deux carquois pleins de flèches; Indra de son propre foudre produisit un foudre, et le Lui donna;23. détachant une cloche du cou de son éléphant Aïrâvata, le roi des dieux la Lui donna; Yama Lui donna un bâton et Varuna un lasso;24. Prajâpati Lui donna un rosaire; Brahmâ un pot à ablutions; le Soleil implanta ses rayons dans les trous où sont les cheveux;25. le Temps Lui donna une épée et un bouclier sans défaut; l'Océan-de-lait La para d'un collier parfait, de deux bijoux inaltérables,26. d'une gemme céleste à porter sur le front, de boucles d'oreilles, de bracelets, d'un diadème étincelant, de bijoux de bras,27. d'anneaux de chevilles, d'une ceinture incomparable, et de bagues pour tous ses doigts;28. l'Artisan Universel Lui fit une hache vraiment sans défaut, toutes sortes d'armes et une armure impossible à percer;29. la Mer plaça sur Sa tête une guirlande de lotus qui ne fanent jamais et en mit un autre sur Sa poitrine, Lui donnant ainsi un lotus magnifique;30. l'Himalaya Lui offrit un lion pour Lui servir de monture, avec divers joyaux; Kubéra Lui donna un hanap impossible à vider;31. le roi des serpents, Shésha, qui soutient la Terre, Lui donna un collier en forme de serpents avec de gros joyaux.32. Ainsi la Déesse fut-elle honorée par les Dieux; d'autres encore Lui donnèrent des ornements et des armes : de joie, Elle éclata de rire, recommençant encore et encore.33. Et du bruit violent et répété que cela fit, l'univers tout entier fut empli : un fort écho se produisit,34. les mondes vacillèrent, les océans se soulevèrent, la terre trembla, les montagnes s'écroulèrent !35. Réjouis, les Dieux crièrent : « Victoire ! » à Celle qui monte le lion, et les sages chantèrent ses louanges, courbant, par dévotion, leurs âmes et leurs corps!36. Cependant, les ennemis des Immortels, voyant que les trois mondes étaient ébranlés de la sorte, réunirent leurs troupes et se levèrent pour combattre, brandissant leurs armes.37. « Ah! Qu'est-ce donc que cela? » se demanda le Buffle en colère. Il dit et s'avança vers la rumeur, entouré de tous les Asuras.38. Et il vit la Déesse : Sa splendeur emplissait les trois mondes ; Elle foulait la Terre de ses pieds et Son diadème égratignait le Ciel;39. Elle avait ébranlé les enfers en pinçant la corde de son arc, et Son millier de bras atteignait tous les points de l'univers.40. La bataille alors s'engagea qui opposait les ennemis des Dieux à cette Déesse : et l'espace s'embrasait du vol des flèches et des traits qu'ils se lançaient mutuellement.41. S'opposant à Elle, il y avait d'abord le propre général des armées du Buffle, un Asura du nom de Chïkshura, accompagné de Châmara que flanquait une force formée de quatre bataillons;42. venaient ensuite Udagra avec six myriades de chars, et Mahâhanu avec mille myriades !43. Asiloma aussi avec cinquante, et Bâshkala qui en avait six cents;44. Parivârita s'avançait avec une multitude d'escadrons de chevaux et d'éléphants, accompagnés de dix millions de chars!45. Un autre encore, du nom de Bidâla engageait le combat avec cinquante myriades de chars.

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46. Un Asura, du nom de Kâla, était entouré d'autant de chars de guerre; sans compter une masse indéterminée d'Asuras puissants accompagnés de milliers de chars, d'éléphants et de chevaux : tous s'avançaient pour affronter la Déesse!47. Ainsi l'Asura-Buffle était-il entouré pour la bataille de millions de chars, d'éléphants et de chevaux.

48. On usait dans le combat d'armes de toutes sortes : javelots, frondes, lances, massues, glaives, haches, épieux.49. Certains Asuras lançaient des javelots contre la Déesse et d'autres utilisaient leur lasso; certains même Lui portaient des coups d'épée afin de La tuer.50. Mais Chandikâ, comme en se jouant, faisant pleuvoir sur eux Ses propres traits, brisait les armes qu'ils lançaient contre Elle.51. Restant impassible, acclamée par les Dieux et les sages, Elle lançait sur les Asuras Ses flèches et Ses traits!52. Quant au lion, monture de la Déesse, il circulait parmi les Asuras, la crinière hérissée, ravageant leurs rangs comme le Feu dans les forêts.53. Et les soupirs qu'Ambikâ poussait en combattant se transformaient instantanément en centaines de milliers de corps de troupe54. qui attaquaient à leur tour les Asuras à coups de haches, de frondes, de javelots, et d'épieux; soulevés par l'énergie de la Déesse ils massacraient les ennemis.55. Certains faisaient sonner leurs tambours; d'autres soufflaient dans leurs conques; d'autres encore frappaient sur leurs tambourins : et la bataille devenait une fête!56. De Son trident, de Son bâton, de Son épée, de Ses traits qu'Elle lançait en pluie, la Déesse, de mille manières, massacrait les grands Asuras.57. D'autres qu'Elle avait stupéfiés du son de Sa cloche de guerre, Elle les jetait à bas! Elle en saisissait d'autres encore et, les ayant liés, les traînait sur le sol.58. Certains Asuras étaient coupés en deux par le tranchant de Son glaive et d'autres, écrasés par Son bâton, gisaient à terre.59. Affreusement frappés par Sa massue, certains vomissaient du sang, et d'autres tombaient la poitrine crevée par Son épieu.60. Tels ennemis des Dieux, percés par des milliers de flèches ressemblaient à des porcs-épics et mouraient sur le champ de bataille.61. Elle tranchait les bras des uns, les cous des autres : les têtes des uns roulaient, d'autres étaient coupés en deux!62. Tels Asuras tombaient, jambes coupées; tels autres qui déjà n'avaient plus qu'un œil, un bras, une jambe, étaient enfin coupés en deux par la Déesse.63. On en vit qui se relevaient, bien que sans tête et continuaient de combattre la Déesse; excités par le jeu des instruments de musique, ils dansaient sur le champ de bataille.64. Et ces corps-sans-tête brandissant l'épée, la lance, le javelot se ruaient au combat cependant que d'autres Asuras, défiant la Déesse La sommaient de s'arrêter!65. Bientôt il devint impossible de marcher sur le champ de bataille tant il était couvert de chars brisés et de cadavres d'éléphants, de chevaux et de guerriers.66. Les flots de sang formaient de véritables rivières parmi la troupe des Asuras, de leurs éléphants et de leurs chevaux.67. Ainsi Ambikâ sema-t-elle la destruction dans les rangs des Asuras, les anéantissant à la façon du feu qui dévore en un instant une grande masse d'herbe et de bois !68. Et le lion, rugissant, la crinière hérissée parcourait le champ de bataille comme s'il cherchait encore les souffles qui s'étaient échappés des corps des dénions morts.69. A voir ce combat qu'avait mené la Déesse avec Ses troupes, contre les Asuras, les Dieux se réjouirent dans le Ciel et chantèrent Ses louanges en faisant pleuvoir des fleurs sur Elle. »

TROISIÈME CHANT1. Le sage dit :2. « S'apercevant que son armée était en train d'être exterminée, le grand Asura Chikshura s'avança, en fureur afin d'affronter lui-même Ambikâ.

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3. Et dans ce combat il fit pleuvoir sur la Déesse une averse de traits, tout comme un nuage d'orage arrosant le sommet du mont Méru.4. Mais, comme en se jouant, la Déesse brisa de Ses propres flèches les traits qu'il Lui lançait et mit à mort ses chevaux avec leurs cavaliers.5. Elle brisa aussi son arc ainsi que son drapeau qui flottait bellement, et de ses flèches rapides, elle blessa au ventre l'Asura dont l'arc venait d'être brisé.

6. Mais lui, son arc brisé, privé de son char, de ses chevaux et de ses cochers, voici qu'il se rua sur Elle armé seulement de son glaive et d'un bouclier.7. Il frappa la tète du lion du tranchant de son glaive et porte, avec célérité, un coup au bras gauche de la Déesse.8. Mais à peine le glaive a-t-il touché le bras de la Déesse qu'il vole en éclats, ô roi! Alors, les yeux rougis par la colère, il se saisit d'une pique,9. et la lance contre Bhadrakâlî : à la voir flamboyer dans l'espace, on eût dit que l'Asura avait décroché du ciel le disque solaire pour le lancer contre Elle!10. Voyant cette pique qui lui tombait dessus, la Déesse la brisa avec ses propres flèches et lançant une multitude de traits sur Son adversaire, Elle le tua.11. Et lorsque le vaillant lieutenant du Buffle eût ainsi été abattu par la Déesse, Châmara l'ennemi des dieux s'avança sur son éléphant.12. A son tour il lança une pique contre Elle; mais Ambikâ eut tôt fait de l'abattre sur le sol dépouillée de tout lustre : un simple HUM y avait suffi!13. Voyant sa lance brisée et tombée sur le sol, Châmana en fureur brandit un trident; mais la Déesse le brisa également, au moyen de ses flèches.14. Alors le lion, bondissant sur la tête de l'éléphant et prenant appui sur son crâne affronta à son tour cet ennemi des Dieux.15. Luttant l'un contre l'autre, les deux adversaires tombèrent de l'éléphant et continuèrent de se battre sur le sol, se portant de terribles coups.16. A un moment pourtant le lion bondit jusqu'au Ciel et se laissa tomber sur la tête de Châmara qu'il trancha d'un coup de patte.17. Et la Déesse tua aussi dans le combat l'Asura Udagra à coups de pierres et de troncs d'arbres; Elle abattit aussi Karâla, le tuant de Ses dents, de Ses poings, de Ses pieds!18. En fureur, la Déesse pulvérisa aussi Uddhata à coups de massue; Elle tua Bhâshkala au moyen de Sa fronde, Tamara et Andhaka en les perçant de flèches.19. A coups de trident la Reine de l'univers, la Déesse aux trois yeux tua également les Asuras Ugrâsya, Ugravîrya et Mahâhanu.20. D'un coup d'épée Elle trancha le chef de Bidâla et expédia chez Yama les deux Asuras Durdhara et Durmukha.21. Alors l'Asura-Buffle, voyant son armée détruite, terrifia les troupes divines en leur montrant sa forme propre.22. Attaquant les uns de son mufle, frappant d'autres de ses sabots, il balayait certains à coups de queue et en déchirait d'autres de ses cornes.23. Il en faisait tomber en se ruant sur eux, d'autres par ses meuglements, d'autres encore par ses mouvements ou par l'air qu'il soufflait sur eux par ses naseaux!24. Ayant ainsi semé la mort dans les rangs des bataillons de la Déesse, le Buffle s'en prit à Son lion : cela exaspéra Ambikâ.25. En fureur, ce Buffle vaillant broyait de ses sabots la surface de la terre et brisait de ses cornes les hautes montagnes tout en meuglant.26. Et non seulement la terre était broyée par son agitation fébrile, mais encore l'océan frappé par sa queue débordait de toutes parts.27. Il crevait les nuages de ses cornes en mouvement et les dispersait, cependant que le souffle de ses naseaux renversait les montagnes!28. Mais Chandikâ, à le voir se ruer de la sorte contre Elle avec fureur, se résolut à le tuer.29. Saisissant un lasso, Elle le lança sur lui et le lia; mais cet Asura quitta aussitôt sa forme originelle,30. et se transforma en lion! Derechef elle lui trancha la tête, mais lui se changea à l'instant en un homme, l'épée à la main.

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31. Alors la Déesse le mit en pièces, utilisant pour cela Ses armes de jet, Son épée, Son bouclier. Il se changea alors en éléphant :32. de sa trompe, il se saisit en barrissant, du lion de la Déesse, mais Celle-ci la trancha d'un coup d'épée pour qu'il ne puisse emporter Sa monture.33. Lui cependant reprit sa forme naturelle et le Buffle qu'il était recommença de faire trembler les trois mondes et les êtres et les choses qui s'y trouvent.34. Furieuse, la Mère du monde, but à long traits l'excellente boisson que contenait son hanap, et, les yeux rouges, éclata de rire!35. L'Asura de son côté, ivre de force et de vaillance, meugla terriblement et, brisant des montagnes avec ses cornes, les lança contre Chandikâ.36. De Ses flèches, Celle-ci brisait ces rochers qu'il jetait, et, s'adressant à lui, le visage agité par l'ivresse, Elle lui dit ces paroles confuses :37. La Déesse dit :38. « Mugis! Mugis, pour le moment! ô fol! pendant que je me désaltère; mais tout à l'heure quand Je t'aurai tué les Dieux mugiront à leur tour!»39. Le sage dit :40. « Elle dit et, d'un bond, se jucha sur le dos de l'Asura-Buffle ; mettant Son pied sur sa nuque, elle le perça de son trident.41. Pris sous le pied de la Déesse, l'Asura sortit de la bouche du Buffle, à moitié seulement car Elle le tenait en son pouvoir.42. Il essaya pourtant de l'affronter, bien que n'étant qu'à moitié sorti de la gueule du Buffle, mais Elle lui coupa la tête de Son sabre et il périt.43. Aussitôt l'armée démoniaque disparut en se lamentant, cependant que les troupes divines manifestaient leur joie.44. Oui, les Dieux entonnèrent des hymnes à la Déesse avec les troupes célestes et les sages; les chefs des Gandharvas chantèrent et les Apsaras dansèrent. »

QUATRIÈME CHANT1. Le sage dit :2. « Ayant vu que la Déesse avait abattu leur terrible et cruel adversaire et anéanti son escorte démoniaque, les Dieux vinrent en troupe, avec Indra à leur tête, se prosterner devant Elle.Leurs corps resplendissaient de beauté, tant leurs poils se hérissaient de la joie de la victoire! Chantant les louanges de la Grande Déesse,3. ils dirent :4. « Ce monde-ci a tout entier été tissé par l'Énergie de la Déesse ! oui, par la Déesse elle-même dont le corps contient toutes les Énergies issues des corps des Dieux !Eux tous doivent L'honorer, en compagnie des sages, cette Ambikâ! Nous voici donc courbés devant Elle : puisse-t-Elle nous impartir le bonheur!5. Le Seigneur Infini n'a ni le pouvoir ni la force de dire sa majesté sans balance! ni Brahmâ, ni Shiva ne le peuvent non plus !Mais Elle, Chandikâ, puisse-t-elle former le dessein de détruire la peur du mal afin d'assurer la sauvegarde du monde !6. Dans la maison des justes, Tu es Shrî, et Alakshmî chez les méchants! Chez les savants Tu es l'Intelligence, la Foi dans le cœur des saints, la Modestie chez les nobles! Nous nous prosternons devant Toi : puisses-Tu protéger le monde !7. Comment pourrions-nous décrire cette forme inconcevable qui est la Tienne? ou Ta vaillance exceptionnelle qui permit l'anéantissement des Asuras? ou ces exploits que tu as accomplis sur le champ de bataille où s'opposaient les Dieux et les démons?8. Tu es la Cause-première de tous les mondes qui existent, Toi qui possèdes les trois Qualités-cosmiques. Tu es sans défaut et personne, pas même Vishnu, ni Shiva, ne peuvent T'atteindre!

L'univers entier s'appuie sur Toi, et Tu es le monde lui-même en son tout comme en chacune de ses parties, puisque Tu es la Nature-originelle, Suprême, Non-manifestée !9. Tu es le cri Svâhâ par lequel, dans les sacrifices, les Dieux sont confortés et Tu es aussi l'appel Svadhâ qui conforte les Mânes : ainsi es-Tu acclamée par tout le monde!

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10. C'est toi qui permets d'obtenir la Délivrance et qui suscites les grandes observances! Les sages T'étudient dans le but de gagner la Libération; ils maîtrisent leurs sens et renoncent au péché pour te connaître, ô Déesse-Science!11. Tu es l'essence même de la Parole, l'arrangement des mantras védiques : stances, formules rituelles, mélodies avec leurs paroles, Chant-liturgique!Incarnation du Triple-Véda, Tu assures le bonheur de l'existence et fais disparaître le Mal dans les trois mondes!12. Tu es la Sagesse, ô Déesse, par laquelle on assimile la quintessence de toutes les sciences. On T'appelle Durgâ parce que tu es un navire sans attache, grâce auquel on traverse l'océan des difficultés de l'existence!En tant que Shrî Tu as établi ta demeure dans le cœur de Vishnu, et en tant que Gauri Tu es venue T'installer dans le chignon de Shiva!13. Ton visage, à demi-souriant, ressemble, dans sa pureté, au disque de la pleine lune et resplendit comme l'or : comment imaginer qu'un tel visage ait pu être frappé par le Buffle en furie?14. Et n'est-il pas plus étrange encore que ce Buffle-Asura ne soit pas mort à l'instant même où il vit Ton visage, pareil en sa couleur à la lune qui se lève?Et plus encore quand tu manifestas Ta colère par un froncement de sourcils? Car qui peut vivre après avoir vu la face de la Mort?15. O Déesse Souveraine, Toi qui anéantis des familles entière lorsque Tu es en colère, fais grâce à notre vie! Nous connaissons Ta puissance depuis que nous T'avons vue détruire le Buffle avec toute sa force !16. Ils jouissent de la considération de tous, leurs richesses s'accumulent, ils gagnent la gloire et les mérites qu'ils accumulent ne se perdent pas; leurs femmes leur sont soumises, et soumis leurs fils et leurs serviteurs, ceux pour qui Tu es toujours bien disposée!17. L'homme de bien qui fait, très attentivement, son devoir quotidien et célèbre, exactement, tous les rites requis : celui-là gagne le Ciel, par Ta grâce, puisque Tu es Celle qui rétribues les mérites dans les trois mondes, n'est-il pas vrai?18. O Durgâ, si l'on se souvient de Toi dans la mâle occurrence, Tu chasses la peur; et si l'on pense à te remercier dans le bonheur, tu en accrois le sentiment dans le cœur du fidèle ! Toi qui emportes la misère, le malheur et la peur n'as-tu pas toujours le cœur ému de compassion pour le bénéfice de tous?

19. Le monde n'atteint le bonheur que lorsque ses ennemis ont été tués, aussi pense-t-on communément qu'ils doivent aller en enfer pour longtemps.Mais Toi, Tu ne les as massacrés qu'après avoir résolu qu'ils gagneraient le Ciel en mourant au combat !20. Comment se fait-il, ô Déesse, que tu ne réduises pas en cendres tous les Asuras rien qu'en les regardant? Tu diriges pourtant ton arme contre eux! Mais ton noble dessein à leur égard est que Tes ennemis, purifiés par le contact de Tes armes, accèdent aux mondes d'en haut!21. Si les Asuras n'ont pas été aveuglés par le terrible flamboiement de ton épée étincelante, s'ils ne l'ont pas été par l'éclat de ton trident, c'est qu'ils le furent, à coup sûr, par le seul fait d'avoir osé lever leur regard vers ton visage resplendissant comme un quartier de lune!22. Bien que Ta fonction soit d'anéantir les actes des méchants, bien que la forme que tu assumas, inconcevable, inégalée, fut de détruire vaillamment les ennemis des dieux, tu as manifesté de la compassion à leur égard!23. Rien ne peut se comparer à ta vaillance, rien non plus à ta forme qui inspire à la fois le charme et la terreur; et pourtant, ô Déesse qui distribues les grâces, on T'a vue dans les trois mondes être à la fois impitoyable au combat et pleine de compassion dans ton cœur!24. Grâce à la destruction que Tu as faite de nos ennemis, les trois mondes ont été entièrement sauvés. Et pourtant ces adversaires, Tu les as enlevés sur le champ de bataille et les as conduits au Ciel; dès lors a disparu notre terreur de ces ennemis ivres de haine à notre égard. Hommage à Toi!25. Protège-nous, Déesse, grâce à Ton trident! Protège-nous, Ambikâ, de Ton glaive ! Oui, protège-nous grâce au son de Ta cloche de guerre et au bruit que Tu fais en pinçant ta corde de Ton arc !26. Protège-nous des dangers qui nous viennent de l'Est! et de ceux qui nous viennent de l'Ouest! En brandissant Ton trident, protège-nous ô Souveraine des dangers qui nous viennent du Sud, ou du Nord!27. Les formes que Tu assumes en T'activant dans les trois mondes peuvent être agréables à

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contempler, ou tout à fait effroyables : grâce à elles protège-nous et protège le monde!28. Que le glaive, le trident, la massue, et toutes les autres armes que Tu brandis, Ambikâ, restent toujours bien assurées dans tes mains délicates afin que Tu puisses nous protéger partout et toujours ! »29. Le sage dit :30. « Ainsi fut-Elle célébrée par les Dieux et adorée avec les rieurs célestes qui poussent au Paradis ainsi qu'avec des parfums et des onguents, la Déesse qui soutient les mondes!31. Et comme tous les Dieux prosternés devant Elle L'encensait de célestes encens, Elle leur montra Son visage de grâce et, s'adressant à eux,32. leur dit :33. « Puisque vous m'avez si bien honorée en me chantant ces hymnes, je vous accorderai bien volontiers la faveur que vous me demanderez vous les Trente Dieux ! Choisissez ! »34. les Dieux dirent :35. « Ton œuvre est complète, ô Souveraine ! Il ne reste plus rien à faire maintenant, puisque Tu as tué pour nous notre ennemi le Buffle-Asura!36. Pourtant, puisque Tu nous offres une faveur, Mahèshvarî, nous souhaitons qu'à chaque fois que nous nous souviendrons de Toi, tu interviennes pour faire disparaître nos malheurs.37. Et qu'il en soit de même pour le mortel qui Te chantera, en récitant ces hymnes ô Déesse au visage sans souillure ! Puisses-tu le faire prospérer, lui procurant la richesse, des épouses et des fils grâce aux succès qu'il obtiendra par son intelligence.38. Sois toujours bien disposée à notre égard, Ambikâ, afin que s'accroisse notre prospérité! »39. Le sage dit :40. « Ainsi propitiée par les Dieux, pour le bien de l'univers autant que pour le leur propre, Bhadrakâlî leur donna son assentiment et disparut.41. Telle fut donc la naissance, en ce temps-là, de la Grande Déesse; je t'ai conté ô roi comment elle émana du corps des Dieux, désirant assurer le bien des trois mondes.42. Comment elle apparut une autre fois, sous la forme de Gaurî, pour mettre à mort les Asuras cruels et leurs chefs Shumbha et Nishumbha,43. rendant ainsi service aux Dieux et protégeant l'univers du danger : je vais te le dire maintenant. Écoute attentivement! »

CINQUIÈME CHANT1. Le sage dit :2. « En ce temps-là, deux Asuras du nom de Shumbha et Nishumbha dépouillèrent Indra de sa souveraineté sur les trois mondes ainsi que des parts qui lui reviennent dans les sacrifices.3. Ils usurpèrent également les fonctions cosmiques de Sûrya, de Chandra, de Kubéra, de Yama, de Varuna,4. ainsi que celles d'Agni et de Vâyu. Dépossédés de leurs royaumes et de leurs fonctions, les Dieux se sentaient vaincus.5. Privés de pouvoir, expulsés du Ciel par ces deux Asuras, les Trente se souvinrent alors de la Déesse Invaincue.6. Ils se dirent :7. « Ne nous a-t-Elle pas accordé une faveur, selon laquelle, si nous nous souvenons d'Elle en temps de détresse, Elle interviendrait en notre faveur de façon à faire disparaître nos pires malheurs? »8. Le sage dit :9. « Après y avoir réfléchi, les Dieux se rendirent donc dans l'Himalaya, Seigneur des Monts, et chantèrent les louanges de la Déesse-Magie-de-Vishnu,10. en ces termes :11. « Hommage à la Déesse!

A la Grande Déesse, à l'Auspicieuse ! Hommage encore, hommage à la Nature généreuse! Déférents, nous La saluons!

12. A la Terrible ! à l'Éternelle !

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à Gaurî qui soutient le monde! A la Clarté-lunaire, A la Lune bénévolente, Hommage encore! Hommage!

13. A la Bonne-Fortune,à la Prospérité, à la Richesse! A Sharvanî,Heur et Malheur des rois, nous offrons nos hommages!

14. A Celle qui est à la foisle Fleuve-Difficile et l'Autre-Rive!l'Essence immuableet la Créatrice!à l'Idée!à la Noire et à la Grise,hommage encore ! Hommage !

15. A Celle qui est à la foisla Très-Aimable et la Terrible! A Celle qui soutient le monde, à la Déesse de l'Action, hommage encore ! Hommage !

16. A la Déesse que l'on nomme la Magie-de-Vishnu, présente en tous les êtres, hommage encore ! Hommage !

17. A la Déesse que l'on nomme la Conscience de soi, présente en tous les êtres, hommage encore! Hommage!

18. A la Déesse qui réside en tant qu'Intelligence en tous les êtres, hommage encore! Hommage!

19. A la Déesse qui résideen tant que Sommeil-de-Yoga,en tous les êtres,hommage encore ! Hommage !

20. A la Déesse qui réside en tant que Faim en tous les êtres, hommage encore! Hommage!

21. A la Déesse qui résideen tant qu'Ombre-et-Lumièreen tous les êtres,hommage encore ! Hommage !

22. A la Déesse qui résideen tant que Puissance-Cosmique en tous les êtres, hommage encore ! Hommage !

23. A la Déesse qui réside en tant que Soif en tous les êtres,

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hommage encore! Hommage!24. A la Déesse qui réside

en tant que Vertu-de-Patienceen tous les êtres,hommage encore! Hommage!

25. A la Déesse qui réside en tant que Caste en tous les êtres, hommage encore! Hommage!

26. A la Déesse qui réside en tant que Modestie en tous les êtres, hommage encore ! Hommage !

27. A la Déesse qui résideen tant que Paix-du-Cœuren tous les êtres,hommage encore! Hommage!

28. A la Déesse qui résideen tant que Vertu-de-Confianceen tous les êtres,hommage encore! Hommage!

29. A la Déesse qui réside en tant que Charme en tous les êtres, hommage encore! Hommage!

30. A la Déesse qui résideen tant que Millionnaireen tous les êtres,hommage encore ! Hommage !

31. A la Déesse qui résideen tant qu'Activité en tous les êtres, hommage encore! Hommage!

32. A la Déesse qui réside en tant que Souvenir en tous les êtres, hommage encore ! Hommage !

33. A la Déesse qui réside en tant que Compassion en tous les êtres, hommage encore! Hommage!

34. A la Déesse qui réside en tant que Réconfort en tous les êtres, hommage encore! Hommage!

35. A la Déesse qui réside en tant que Mère en tous les êtres, hommage encore! Hommage!

36. A la Déesse qui réside en tant qu'Agitation en tous les êtres, hommage encore ! Hommage !

37. A Celle qui régit les senset les actions de tous les êtres!

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A Celle qui résideen la totalité des créatures,

38. étant partout présente dans le monde sous la forme de la pensée nous offrons nos hommages! Hommage à Elle! Hommage!

39. De même qu'autrefois les DieuxL'ont chantée pour gagner Ses grâces,ainsi sera-t-Elle serviepar notre chef, jour après jour!Puisse la Souveraine,Cause-de-tout-bonheur,nous donner le Bonheur, le Bien,et mettre fin à nos malheurs !

40. Nous L'honorons comme une Reine nous les Dieux que tourmentent les démons orgueilleux! Se souvenant de Sa promesse,puisse-t-Elle détruire,à l'instant même, nos malheurs !Nous L'en prions,courbant nos corps en dévotion! »

41. Le sage dit :42. « Pendant que les Dieux étaient ainsi en train de vénérer la Déesse par des chants et d'autres pratiques survint Pârvatî, venue là pour se baigner dans l'eau du Gange.43. La Déesse aux beaux sourcils leur demanda : « Qui donc est-Elle, Celle que vous chantez ainsi? » Et voici que du corps de la Déesse surgit la Bénéfique! »44. Elle dit :45. « C'est à Moi que sont dédiés ces hymnes! Les Dieux qui les chantent pour Moi ont été défaits au combat par les deux Asuras Shumbha et Nishumbha! »46. Le sage expliqua :47. « Du fait qu'Ambikâ surgit un jour du corps de Pârvatî, l'univers entier la vénère sous le nom de Kaushikî.48. Quant à Pârvatî, dont la demeure est dans l'Himalaya, son corps devint noir après que la Bénéfique en fut sortie, et c'est pourquoi on la nomme elle-même Kâlikâ.49. Sur ces entrefaites, Chanda et Munda, Serviteurs des deux Asuras Mârkandeya et Nishumbha, aperçurent Ambikâ dont les formes étaient propres à ravir l'esprit. Ils s'en furent conter la chose à Shumbha,50. disant :51. « Nous avons vu une femme ravissante, noble roi! Elle habite dans l'Himalaya et sa beauté illumine les montagnes !52. Personne n'a jamais vu pareille beauté! Il faudrait savoir qui est cette Déesse et que tu la prennes en ton pouvoir!53. C'est une gemme que cette femme aux beaux membres! Sa beauté illumine tout l'univers. Il faut que tu La voies!54. Tous les trésors, tous les joyaux, les éléphants, les chevaux, ce qu'il y a de plus beau au monde; tout cela est maintenant chez toi!55. A Indra tu as pris son éléphant Aïrâvata, le plus beau de tous ; et son arbre, le célèbre Pârijâta; et son coursier Ucchaïh-Shrava !56. A Brahmâ tu as pris son char volant, attelé d'oiseaux-migrateurs! Ce véhicule merveilleux est maintenant dans les dépendances de ton château!57. Kubéra a dû te donner son joyau incomparable, le Grand-Lotus et tu as pris à l'Océan sa guirlande faite de lotus qui ne fanent jamais!58. N'as-tu pas chez toi l'ombrelle de Varuna de laquelle coule une pluie d'or? N'as-tu pas aussi le char rapide qui appartenait autrefois à Prajâpati?

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59. Tu as pris à Yama la lance que l'on nomme Utkrântidâ, et les liens du roi de la mer se trouvent maintenant dans les dépendances du palais de ton frère!60. Il a aussi toutes sortes de joyaux que l'on trouve dans l'eau; et toi, tu as en ta possession deux vêtements purs comme le feu, que tu as pris à Agni.61. Ainsi, puisque tu t'es emparé de tous les trésors du monde, comment se fait-il que tu n'aies pas aussi cette femme qui ressemble à un joyau? »62. Le sage dit :63. « Ayant entendu les paroles que lui adressaient Chanda et Munda, Shumbha décida d'envoyer son lieutenant l'Asura Sugrîva auprès de la Déesse ».64. Shumbha dit :65. « Va là-bas, et dis-lui en détail ce que je vais t'expliquer, de telle sorte qu'elle tombe amoureuse de moi : tu me l'amèneras alors. Va, et fais vite! »66. La sage dit :67. « Sugrîva se rendit donc sur le pic élevé où résidait la Déesse et il Lui adressa avec déférence un discours plein de miel.68. Sugrîva dit :69. « Le chef des Daïtyas, qui se nomme Shumbha, règne sur les trois mondes. Il m'envoie auprès de Toi en tant que messager.70. Personne n'enfreint ses ordres, même pas les Dieux; vainqueur de tous ses ennemis, écoute ce qu'il me charge de te dire ! »71. Et Sugrîva rapporta en ces termes le message de Shumbha :72. « Les trois mondes m'appartiennent en entier; les dieux sont plies à ma volonté; c'est moi qui mange les parts sacrificielles qu'on leur dédie!73. J'ai chez moi tous les trésors du monde, y compris la monture du chef des dieux, l'éléphant Aïrâvata dont je me suis emparé.74. Le cheval le plus beau, celui qui apparut lors du barattement de la mer de lait, le magnifique Ucchaïh-Shrava, les immortels ont dû me l'abandonner en se prosternant devant moi!75. Oui, les trésors de toutes sortes que possédaient les Dieux, les Gandharvas, les Nâgas, je les ai tous, ô Resplendissante.76. Tu es si belle, Déesse, que Tu apparais comme le type même de ce que l'on appelle une «femme-joyau»; or je suis avide de joyaux: tu dois donc venir avec moi.77. Viens partager mon existence, ou celle de mon frère cadet, le vaillant Nishumbha. Viens avec nous, puisque tu es une gemme parmi les femmes, ô belle à l'œil coquin!78. En m'épousant tu obtiendras la souveraineté suprême; nul ne t'égalera! Si tu considères la chose avec ton intelligence tu comprendras qu'il faut que tu m'épouses! »78. Le sage dit :80. « Ayant écouté ce discours, la Déesse sourit en elle-même. Et la Bénéfique Souveraine Durgâ, par qui ce monde-ci est soutenu,81. répondit :82. « Ce que tu as dit est vrai. C'est vrai à coup sûr que Shumbha est à présent le maître des trois mondes, avec son frère Nishumbha.83. Mais, vois-tu, j'ai fait autrefois une promesse; et comment pourrais-je la trahir? voici ce que j'ai promis, dans un moment de faiblesse :84. Je n'aurai jamais pour mari, ai-je promis, que celui qui réussira à me vaincre dans un combat, et à détruire mon orgueil.85. Que Shumbha le grand Asura vienne donc ici, ou Nishumbha peut-être. Que l'un ou l'autre l'emporte sur moi : je lui accorderai ma main. Va donc! à quoi bon perdre du temps? »86. Sugrîva dit :87. « Te voilà bien arrogante, Déesse! Comment oses-tu me parler de la sorte? Quel homme dans les trois mondes pourrait rester debout face à Shumbha et Nishumbha?88. Les Dieux même ne leur résistent pas sur le champ de bataille, ni les démons! Comment en serait-il de toi qui es femme, et seule?89. Ni Indra, ni aucun des Dieux ne tiennent en face de Shumbha et de ses troupes et toi tu voudrais l'affronter?90. Allons! accepte le message; accompagne-moi auprès de Shumbha et Nishumbha! Tâche de ne pas

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subir l'affront d'être traînée là-bas par les cheveux! »91. La Déesse répondit :92. « Oui, je sais que Shumbha est fort et Nishumbha très vaillant mais comment pourrais-je trahir ce vœu que j'ai fait imprudemment, il y a longtemps?93. Retourne donc là-bas et répète à Shumbha très exactement ce que je viens de te dire. Qu'il fasse, lui, ce qui lui paraîtra bon! »

SIXIÈME CHANT1. Le sage dit :2. « Ayant ainsi écouté les propos de la Déesse, le messager, plein de colère, les rapporta en détail au roi des Daïtyas auprès de qui il était retourné.3. Shumbha, le roi des Asuras, écouta les dires de son messager, puis interpella avec rage l'un de ses lieutenants nommé Dhûmra-Lochana. »4. Shumbha dit :5. « Hâte-toi, Dhûmra-Lochana, d'aller trouver cette mauvaise femme avec ton escorte guerrière, et ramène-la-moi de force, angoissée d'être ainsi traînée par les cheveux!6. Et si, d'aventure, quelqu'un osait se lever pour la défendre, tue-le, qu'il soit Dieu, Yaksha, ou Gandharva! »7. Le sage dit :8. « Alors, suivant à l'instant les instructions de son roi, le Daïtya Dhûmra-Lochana, escorté d'une soixantaine de milliers d'Asuras se hâta vers le Déesse.9. L'apercevant sur sa montagne neigeuse, il enfla sa voix10. et lui dit :11. « Allons, viens chez Shumbha et Nishumbha! Car si tu ne venais pas de ton plein gré à la demeure de mon roi, je me verrais contraint de t'y traîner de force, par les cheveux ! »12. La Déesse répondit :13. « Ton chef t'a envoyé; tu es fort et des troupes t'escortent. Si tu m'emmènes de force, que te ferai-je, moi? »14. Le sage dit :15. « Ainsi défié, l'Asura Dhûmra-Lochana se précipita sur Elle; mais Ambikâ d'un simple HUM! le réduisit en cendres.16. Alors la grande troupe guerrière qui lui servait d'escorte, indignée, fit pleuvoir sur Ambikâ des traits acérés ainsi que des lances et des haches.17. Et le lion, monture attitrée de la Déesse, secoua sa crinière avec fureur, poussa un rugissement effrayant et fondit sur la troupe des Asuras.18. Saisissant les uns avec ses griffes, déchirant d'autres de ses crocs, en écrasant certains du poids de son arrière-train, il fit un carnage dans leurs rangs.19. Parfois, il ouvrait la poitrine de tels Asuras en la déchirant de ses griffes, puis leur faisait sauter la tête d'un coup de patte.20. Secouant sa crinière, il arrachait les bras et les têtes de certains, en éventrait d'autres et buvait leur sang.21. En un moment l'escorte fut détruite tout entière, par le valeureux lion en fureur.22. Apprenant que son lieutenant Dhûmra-Lochana avait été tué par la Déesse et que la troupe qui l'accompagnait avait été anéantie par le lion,23. le roi des Daïtyas entra en fureur. La lèvre frémissante, il interpella ses lieutenants Chanda et Munda,24. et leur dit :25. « Prenez une escorte nombreuse et allez là-bas, Chanda et Munda! Ramenez-moi rapidement cette femme,26. Enchaînez-la, traînez-la par les cheveux! Et s'il devait y avoir le moindre doute dans le combat, tuez-la, vous et votre escorte, avec toutes vos armes.27. Lorsque vous l'aurez tuée et que vous aurez abattu son lion, assurez-vous de leurs cadavres, liez-les, et amenez-les-moi au plus vite ! »

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SEPTIÈME CHANT1. Le sage dit :2. « Selon les ordres qu'ils avaient reçus, les Daïtyas s'avancèrent alors en quatre colonnes, brandissant leurs armes, avec Chanda et Munda à leur tête.3. Ils aperçurent enfin la Déesse, souriant à demi. Elle était assise sur le dos de son lion sur un grand pic doré de l'Himalaya.4. A la voir, les uns, tout excités voulaient déjà l'enlever cependant que d'autres s'approchaient d'Elle, arcs bandés, épées tirées!5. Cela mit Ambikâ en rage et, de cette colère qui l'animait contre Ses ennemis, voici que son corps devint noir comme de l'encre!6. Elle fronça les sourcils, et de Son front jaillit subitement Kâlî, au visage terrible, armée d'une épée et d'un lasso.7. Elle tenait aussi dans sa main un bâton multicolore, orné d'une guirlande de crânes. Vêtue d'une peau de tigre, Elle était horrible à voir tant son corps était émacié.8. La bouche grande ouverte, la langue pendante, les yeux rouges, le regard noyé, Elle emplissait l'espace de ses rugissements.9. Sautant avec impétuosité sur les Ennemis des Dieux, Elle en fit périr un grand nombre, dévorant des bataillons entiers.10. D'une seule main, Elle saisissait les éléphants avec leurs remorques et leurs cornacs, leurs guerriers et leurs cloches de guerre, et les enfournait dans Sa bouche.11. De même, Elle attrapait les chevaux avec les chars, les cochers, et les combattants, les enfournait dans Sa bouche et les déchirait de ses dents, d'horrible façon.12. Elle saisissait l'un de Ses ennemis par les cheveux et l'autre par le cou; Elle écrasait celui-ci en le foulant aux pieds et celui-là en se roulant sur lui.13. De Sa bouche Elle attrapait au vol les armes de jet que lui lançaient les Asuras et les broyait rageusement entre ses dents.14. Ainsi détruisait-Elle l'armée entière des puissants Asuras, dévorant les uns, écrasant les autres.15. Elle en abattait certains avec son glaive, en frappait d'autres de son bâton à tête de mort; d'autres encore, déchirés par ses dents, périssaient misérablement.16. Voyant que l'armée entière était ainsi détruite, en un instant, Chanda se rua contre l'effrayante Kâlî.17. Quant à Munda, il couvrit la Déesse aux yeux terribles d'une averse de flèches et d'une nuée de disques, lancés par milliers.18. Mais ces disques innombrables disparaissaient dans sa bouche, comme disparaissent les étoiles innombrables dans un nuage d'orage.19. Alors Kâlî dont les crocs luisent de façon effrayante au fond de sa bouche éclata d'un rire sardonique, elle dont les rugissements bouleversent l'univers.20. Montée sur son lion, Elle se rua sur Chanda, le saisit aux cheveux et d'un seul coup de glaive lui trancha le col.21. A voir Chanda ainsi décapité, Munda à son tour courut sus à elle; mais elle le frappa aussi de son glaive et il tomba à son tour sur le sol.22. Percevant que Chanda et Munda avaient tous deux été abattus malgré leur grande vaillance, le reste de l'armée frappé de terreur s'enfuit dans toutes les directions.23. Et Kâlî, tenant dans ses mains les têtes coupées de Chanda et de Munda, s'approcha de Chandikâ et lui dit en mêlant le rire et la fureur :24. Kâlî dit :25. « Accepte en hommage ces deux victimes sacrificielles, ce Chanda et ce Munda que j'ai mis à mort rituellement dans la bataille! A Ton tour maintenant d'en finir avec Shumbha et Nishumbha ! »26. Le sage dit :27. « Voyant que Kâlî lui apportait les têtes coupées de Chanda et de Munda, Chandikâ s'en réjouit et la remercia en ces termes :28. Chandikâ dit :

29. « Puisque tu es venue à moi en tenant à la main les têtes de Chanda et de Munda, on te vénérera dans le monde sous le nom de Châmundâ! »

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HUITIEME CHANT1. Le sage dit :2. « Lorsque le Daïtya Chanda eût été tué avec son compagnon Munda, et que la plupart de leurs troupes eurent été anéanties, le chef des Asuras,3. le prestigieux Shumbha, le cœur enflammé de colère, ordonna la mobilisation de toutes les troupes d'Asuras.4. Shumbha dit :5. « Que les Daïtyas du clan des Udâyudha s'avancent avec leurs quatre-vingt-six bataillons! que s'avancent aussi ceux des Kambu avec leurs quatre-vingt-quatre bataillons !

6. Que s'avancent à mon commandement les cinquante bataillons des Kotivîrya et les cent des Dhaumra !7. Que se hâtent, à mon commandement, les Asuras des clans Kâlaka, Daurhrida, Maurya, Kâlikéya! qu'ils marchent au combat avec tout leur équipement! »8. Le sage dit :9. « Ainsi l'impérieux Shumbha, chef des Asuras donna-t-il ses ordres; et il s'avança à la tête de plusieurs milliers de puissants corps de troupes.10. Voyant s'avancer l'armée terrifiante de cet Asura, Chandikâ emplit l'atmosphère du bruit de la corde de Son arc.11. Et le lion poussa à son tour un fort rugissement cependant qu'Ambikâ ajouta au vacarme en secouant Sa cloche de guerre.12. Enfin, ouvrant sa bouche toute grande, Kâlî couvrit les sons produits par l'arc, le lion et la cloche en poussant de terribles cris.13. Alors la Déesse, le lion et Kâlî se trouvèrent entourés de toutes parts par les troupes furieuses des Asuras qui avaient entendu tout ce bruit.14. A ce moment, cependant, afin d'aider à la destruction des Ennemis des Dieux et pour assurer la protection de ces derniers,15. voici que des énergies, pourvues de force et de vigueur sortirent des corps de Brahmâ, Shiva, Guha, Vishnu, Indra et vinrent auprès de Chandikâ revêtues de formes diverses des dieux dont elles émanaient!16. Oui, quelle que soit la forme de chacun de ces Dieux, quels que soient ses attributs, son véhicule, les différentes Énergies les avaient assumés afin d'aider la Déesse à vaincre les Asuras.17. Ainsi s'avança Brahmânî, l'Énergie de Brahmâ, montée sur un char aérien attelé d'oiseaux-migrateurs, et portant dans Ses mains le rosaire et le pot à ablutions.18. Mahâshvarî, montée sur un taureau, brandissait un trident; Elle portait un bracelet de serpents et Se parait d'un croissant de lune.19. Kaumarî, c'est-à-dire Ambikâ en tant qu'Énergie issue de Guha, tenait une lance à la main; montée sur un beau paon Elle s'avançait pour combattre.

20. De la même façon s'avançait Vaïshnavî, Énergie issue de Vishnu; montée sur l'aigle Garuda Elle brandissait la conque, le disque, la massue, l'arc et le glaive.21. Il y avait aussi Vâhârî, Énergie issue du corps de Hari sous sa forme de Sanglier-Sacrificiel;22. et Nârasimhî, également issue du corps de Hari lorsqu'il prend la forme de l'Homme-Lion ; Elle ébranlait les étoiles du firmament en secouant sa crinière!23. Aïndrî aussi était là, exactement semblable à Indra : comme lui Elle tenait à la main le foudre, était montée sur un éléphant royal et regardait de Ses mille yeux.24. Le seigneur Shiva s'avança alors, entouré de toutes ces Énergies divines, et dit à Chandikâ : « veuillez, Madame, mettre à mort ces Asuras, au plus vite! »25. Et voici que du corps de la Déesse, émana l'Énergie terrifiante, de la terrible Chandikâ qui hurlait comme cent chacals.26. Alors l'Invaincue, s'adressant à Shiva le Dieu au chignon gris,29. Dis à ces deux Dânavas orgueilleux et aux autres Asuras qui se sont rassemblés autour d'eux pour Me combattre,30. qu'Indra doit recouvrer son empire sur les trois mondes; dis-leur que les Dieux doivent pouvoir consommer à nouveau les offrandes qui leurs sont dédiées; ajoute que s'ils désirent rester en vie, il leur faut retourner dans leur séjour infernal.

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31. Si, par contre, ils sont toujours désireux de combattre, qu'ils viennent donc! mes chacals se rassasieront de leur chair! »32. Le sage dit :33. « Et donc puisque Shiva lui-même fut choisi pour messager par la Déesse, on l'appelle désormais Celle-qui-eut-Shiva-pour-messager!34. Quant aux grands Asuras, ils écoutèrent le message de la Déesse tel que le leur communiqua Shiva et, le cœur plein de rage, vinrent au lieu où Kâtyâyanî les attendait.35. Furieux, ils commencèrent à L'attaquer en faisant pleuvoir sur Elle, une averse de flèches, de javelots et d'autres armes de jet.36. Elle, cependant, brisait, comme en se jouant leurs flèches, leurs tridents, leurs javelots, leurs haches, au moyen de grandes flèches décochées par Son arc.37. Au premier rang, Kâlî s'activait, écrasant les ennemis à grands coups de Son bâton orné d'une tête de mort, ou les perçant de Son trident.38. Et Brahmânî courant de ci-de là était la force d'autres adversaires, en les aspergeant de l'eau qu'Elle puisait dans Son pot.39. Mahèshvarî perçait certains de Son trident, Vaïshnavî en tuait d'autres avec Son disque et Kaumarî, en furie, massacrait les Daïtyas à coups de lance.40. Aïndrî d'un seul coup de Son arme abattait des centaines d'ennemis : ils tombaient sur le sol et leur sang coulait à flots.41. Quant à Vârâhî, Elle en renversait d'autres de Son groin, déchirait leurs poitrines de Son croc, et les achevait de Son disque.42. Nârasimhî, parcourant le champ de bataille, emplissait l'espace de Ses rugissements et déchirait de Ses griffes les Asuras qu'Elle dévorait ensuite.43. Celle-dont-Shiva-avait-été-le-messager démoralisait les Asuras par Ses terribles rires : ils tombaient à la renverse et Elle les dévorait.44. A voir comment la troupe des Mères en furie les écrasait ainsi, les Ennemis-des-Dieux se débandèrent, chacun comme il pouvait.45. Mais le grand Asura Raktabîja, enragé de voir les Daïtyas s'enfuir devant l'assaut de la troupe des mères, s'avança pour les combattre.46. Et à chaque fois qu'une goutte de son sang tombait sur le sol, il en surgissait un Asura de même taille que lui!47. Sa massue à la main, il affronta d'abord l'Énergie issue du corps d'Indra, mais celle-ci le frappa de Son foudre.48. Et du sang qui coulait abondamment de la blessure que lui avait faite Aïndrî, surgissait d'autres combattants à sa ressemblance.49. Oui, des gouttes de sang qui tombaient de son corps naissaient autant de guerriers aussi puis sants et valeureux que lui!50. Et ces guerriers, nés du sang de Raktabîja, combattaient immédiatement, attaquant comme lui les Mères en leur lançant une multitude d'armes terrifiantes.51. Aïndrî, usant à nouveau de Son foudre, lui trancha la tête mais du sang qui coulait à flots de sa blessure naissaient des guerriers par milliers.52. Dans ce combat, Vaïshnavî le frappa de Son disque et Aïndrî de Son foudre.53. Et l'univers était envahi par des milliers et des milliers de puissants Asuras à sa ressemblance qui naissaient du sang s'échappant de la blessure qui lui avait faite le disque de Vaïshnavî.54. Raktabîja fut encore touché par la lance de Kaumarî, le javelot de Vârâhî, le trident de Mahèshvarî;55. mais lui, plein de colère, frappait en retour les Mères, les unes après les autres, à coups de massue.56. Et des flots de sang qui se répandaient sur le sol, jaillissant des blessures que lui infligeaient les lances des Mères, les Asuras ne cessaient de se multiplier.57. Ces démons nés du sang de Raktabîja emplissaient l'univers tout entier : à ce spectacle, les Dieux furent saisis d'une frayeur extrême.58. A voir les Dieux, ainsi décontenancés, Chandikâ se mit à rire; s'adressant à Kâlî,59. Elle lui dit :60. « Châmundâ ! ouvre Ta bouche toute grande !

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61. et avale, au plus vite, avec Ta bouche grand ouverte tous ces Asuras, nés du sang qui s'échappe des blessures que Mes armes lui ont porté, avale aussi le sang lui-même au fur et à mesure qu'il coule ;62. parcourt le champ de bataille et dévore tous les démons qui viennent de naître de Raktabîja : ainsi, lorsque son sang sera tari, il mourra certainement63. et plus aucun Asura ne pourra naître en plus de ceux que tu auras dévorés ! »64. Le sage dit :

65. « A ces mots, la Déesse saisit Son trident et en frappa l'Asura. Alors Kâlî se mit à boire le sang qui s'échappait de la blessure.66. En retour, il porta un coup de sa massue à Chandikâ, mais Elle n'en ressentit pas la moindre souffrance.67. Et comme un sang abondant coulait du corps de l'Asura frappé par le trident de la Déesse, Châmundâ le buvait où qu'il coulât.68. Elle avalait aussi les Asuras qui naissaient dans sa bouche du sang de Raktabîja tout en buvant le sang lui-même.69. Alors la Déesse attaqua l'Asura le frappant de son trident, de son foudre, de ses flèches, de ses traits, de ses javelots; et Châmundâ buvait le sang qui coulait des blessures.70. Ainsi frappé par toutes ces armes, il tomba sur le sol; et lorsque son sang fut tari, le grand Asura Raktabîja rendit l'âme!

71. Les Dieux se réjouirent, ô roi, et les Mères, nées de leurs corps, dansèrent, ivres de sang!

NEUVIÈME CHANT1. Le roi dit :2. « C'est une merveille que vous venez de meconter, Seigneur! un chant de gloire célébrant legeste de la Déesse lorsqu'Elle abattit Raktabîja!3. Mais je désire en entendre davantage : Raktabîja tombé, que firent donc les deux Asuras, Shumbha et Nishumbha dans leur colère? »4. Le poète dit :5. « Raktabîja tombé, Shumbha et Nishumbha donnèrent libre cours à leur fureur, pensant aussi à leurs autres compagnons tués dans la bataille.6. Nishumbha, voyant que son armée était sur le point d'être détruite, manifesta son impatience en se ruant contre la Déesse avec les corps d'élite de l'armée âsurienne.7. Le gardant en avant, en arrière, et sur ses deux flancs, de puissants Asuras, mordant leurs lèvres de rage, s'avançaient avec lui pour tuer la Déesse.8. Et voici que Shumbha, le héros, marchait aussi, entouré de ses propres forces : dans sa colère, il projetait de combattre les Mères et d'abattre la Déesse.9. Et lorsque le combat à la fin s'engagea, opposant la Déesse à Shumbha et Nishumbha, on eût dit d'un orage terrible mêlant deux nuages de pluie!10. Chandikâ cependant brisait de Ses propres flèches celles que lui décochaient les deux chefs ennemis et les frappait aux membres de ses nombreuses armes.11. Alors Nishumbha, s'armant de son glaive bien affûté et se protégeant de son bouclier resplendissant, porta un coup à la tête du lion, monture sans rivale de la Déesse.12. Mais celle-ci cependant, voyant que sa monture avait été frappée de la sorte, tira une flèche affûtée comme un rasoir, brisant d'un coup l'épée de Nishumbha et son bouclier où l'on voyait huit lunes.13. Privé de son glaive et de son bouclier, l'Asura brandit sa lance, mais la Déesse la brisa de son disque alors qu'elle s'avançait sur Elle.14. Et voici que, gonflé de colère, Nishumbha, fils de Dânu, saisit son épieu! Mais la Déesse, d'un coup de poing, le pulvérisa alors qu'il venait sur elle.15. L'Asura prit alors sa massue et la lança contre Chandikâ, qui d'un seul coup de son trident la réduisit en poussière,16. Et comme il marchait vers elle, une hache à la main, la Déesse frappa d'une multitude de flèches le vaillant Daïtya, le jetant à terre.17. Apercevant son frère, le fameux Nishumbha au courage effrayant, étendu sur le sol, Shumbha s'enflamma de colère et s'avança derechef pour tuer Ambikâ.

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18. Il était sur son char, et ses huit bras énormes brandissaient les armes les meilleures, inégalables. Pareil au soleil qui illumine le ciel tout entier, il resplendissait,19. et, à le voir ainsi s'approchant vers Elle, la Déesse sonna de Sa conque et fit vibrer la corde de Son arc produisant un son absolument intolérable;20. pareillement fit-Elle de Sa cloche de guerre dont les vibrations emplirent l'espace, afin de détruire l'ardeur des troupes ennemies;21. Et le lion, faisant chorus, poussa de grands rugissements qui résonnèrent sur la terre, au ciel et dans les dix régions de l'espace, causant de telles frayeurs aux éléphants sauvages qu'ils en oubliaient leurs amours.22. Et Kâlî, bondissant jusqu'au ciel, retomba en frappant la terre de ses deux mains : au bruit que cela fit, tous les autres furent éclipsés!23. Enfin la Déesse, dont Shiva même fut le messager, éclata d'un rire effrayant et les Asuras paniquèrent à entendre les « ah! ah! ah! » qu'elle poussait : leur chef s'en irrita grandement.24. Et tandis qu'Elle lui criait : « arrête-toi, méchant! arrête-toi! » les dieux assemblés dans le ciel incitaient Ambikâ à la victoire.25. Il s'avança cependant, et brandit une lance flamboyante; mais la Déesse produisit un météore qui réduisit à rien cette arme, pourtant pareille en sa splendeur au chef d'Agni lui-même.26. Et le rugissement que Shumbha avait poussé en lançant son arme emplissait les trois mondes, mais le bruit qu'elle fit en se brisant le couvrit aisément.27. Il lui lança des flèches, Elle les brisa; mais à son tour il put briser celles qu'Elle lui décocha au moyen des siennes propres.28. Alors Elle s'irrita et le frappa de Son trident; et lui, frappé, tomba sur le sol, insensible.29. Nishumbha, cependant, venait de reprendre conscience; il saisit son arc et décocha une volée de flèches contre Kâlî et le lion, Sa monture.30. De plus, multipliant ses bras à l'infini, le fils de Diti, seigneur des Dânavas, lança sur Chandikâ une multitude de disques.31. La Bienheureuse, Durgâ, qui détruit souffrances et malheurs, s'irrita de cette attaque et de ses propres traits brisa les disques de son adversaire.32. Ce que voyant, celui-ci, entouré de son armée de Daïtyas, saisit sa massue avec célérité et se rua sur Chandikâ pour La tuer.33. Et comme il se ruait sur Elle, Chandikâ de Son glaive bien acéré fit voler la massue en éclats. Il prit alors une pique34. et s'avança vers Elle, l'arme à la main; mais Chandikâ, dont la force était intacte, perça de Sa propre pique le cœur de Nishumbha, tourmenteur des immortels.

35. Mais voici que du cœur percé de Nishumbha surgit un autre homme, puissant, héroïque, qui affronta la Déesse en Lui criant : « arrête ! »36. Cela fit rire Chandikâ qui, de Son glaive acéré, trancha la tête de ce nouvel ennemi ; et celui-ci tomba sur le sol.37. Alors le lion rompit le col aux Asuras et les dévora de ses crocs terribles; ainsi fit aussi Kâlî, et de même Celle dont Shiva fut le messager.38. Kaumarî perça d'autres Asuras de Sa lance et Brahmânî en anéantit d'autres encore en les asper-geant d'eau qu'Elle avait purifiée grâce à des incantations.39. Mahèshvarî en frappait de Son trident et d'autres étaient pulvérisés à même le sol par le croc de sanglier de Vârâhî40. Vaïshnavî coupait certains grâce à son disque et Aïndrî en tuait d'autres en lançant son arme de jet.41. Tel fut le sort des Asuras : les uns mouraient, d'autres réussissaient à fuir la bataille, beaucoup étaient dévorés par Kâlî, par Celle dont Shiva fut le messager et par Son lion. »

DIXIÈME CHANT1. Le poète dit :2. « Voyant que son frère Nishumbha, qui lui était aussi cher que la vie, avait été tué et que son armée était sur le point d'être exterminée, Shumbha, en fureur, prononça ces mots :3. L'Asura dit :

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4. « II est sans valeur l'orgueil que Tu as de Ta force, Durgâ ! ne manifeste pas ici d'arrogance, Toi qui T'enivres de vanité au combat alors que Tu Te reposes sur la force des autres ! »5. A quoi la Déesse rétorqua :6. « De quelles autres parles-tu? où est Ma seconde? Je suis seule au monde! vois comme elles se résorbent en Moi celles-ci qui ne sont que les manifestations extérieures de Ma propre puissance ! »7. La poète dit :8. « Alors, toutes les Déesses qui avaient combattu, Brahmânî à leur tête, se fondirent dans le corps d'Ambikâ qui dès lors resta seule face à Son ennemi. »9. La Déesse dit :10. « Tu m'a vue telle que j'étais avec la multitude des formes que prend Ma puissance ; mais Je les ai résorbées; me voici seule! Et toi, sois ferme au combat ! »11. Le poète dit :12. « Ils commencèrent, alors, de s'affronter, la Déesse et Shumbha : Dieux et Asuras les contemplaient, terrifiés.13. « Ils combattaient, faisant pleuvoir leurs flèches, brandissant leurs épées, lançant leurs terribles javelots, terrorisant tout l'univers.14. Et les javelots célestes qu'Ambikâ lançait par centaines, le roi des Daïtyas les brisait par de contre-javelots !15. Et la Souveraine Suprême brisait à son tour, comme en se jouant, les javelots que l'Asura lançait : il Lui suffisait pour cela de produire des sons magiques, tels que le terrible « HUM! »16. Alors l'Asura lui décocha quelques centaines de flèches, mais Ambikâ que cette attaque irritait brisa l'arc de Son adversaire au moyen de Ses propres traits.17. Voyant son arc brisé, le chef des Daïtyas saisit alors sa lance mais la Déesse la fit voler en éclats avant même qu'il ait pu s'en servir contre Elle!18. Alors, se parant de son bouclier où se voyaient cent lunes, le chef suprême des Asuras dégaina son épée et se rua sur son ennemie.19. Mais Chandikâ, alors qu'il s'élançait vers Elle, décocha des flèches acérées qui brisèrent son épée et son bouclier resplendissant de la lumière du soleil, comme elles avaient déjà fait de son arc.20. On le vit alors ce Daïtya dont le cheval avait été tué, privé de son cocher et de son arc, saisir son terrible marteau, déterminé qu'il était à tuer malgré tout la Déesse.21. Et, comme de Ses flèches acérées Elle brisa aussi son marteau, Shumbha se précipita sur Elle décidé à la frapper de ses poings nus!22. S'approchant d'Elle, il La frappa au cœur de son poing nu, lui le meilleur des Daïtyas! Mais, de la paume de Sa main, Elle le frappa à son tour, à la poitrine,23. et il tomba sur le sol! A peine cependant eût-il été à terre, qu'il se releva, grâce à son pouvoir magique !24. D'un coup de talon, il bondit, emportant jusqu'au ciel la Déesse! Elle, cependant, bien que privée de point d'appui continua de l'affronter.25. Et dans l'espace, ils se battaient ainsi, Chandikâ et le Daïtya, à la surprise des Sages et des Parfaits qui peuplent ses régions.26. Ambikâ cependant, après l'avoir affronté quelque temps réussit à le déchirer; puis, le faisant tournoyer Elle le précipita sur la terre.27. Précipité du ciel, il toucha le sol, se releva et, le poing dressé, se rua sur Elle, l'âme mauvaise, dans l'intention de La tuer.28. Mais Chandikâ, lui perçant la poitrine de Sa lance, renversa sur le sol le Seigneur de tous les clans démoniaques.29. Tombant sur le sol, blessé à mort par la pointe acérée de la lance, il expira, ébranlant dans sa chute la Terre entière avec ses mers, ses continents et ses montagnes.30. Et l'univers, lorsque le Malin périt de la sorte s'en trouva rasséréné : il rétablit son assiette et les cieux rayonnèrent une lumière sans défaut.31. Se dissipèrent les nuages qui s'étaient accumulés, lourds d'orages; et les rivières rentrèrent dans leur lit lorsqu'il fut tombé.32. Oui, lorsqu'il fut tombé, les troupes célestes se réjouirent; les Gandharvas chantèrent avec allégresse,

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33. d'autres firent de la musique et les Apsaras dansèrent ensemble! Les vents soufflèrent heureusement et le soleil retrouva son éclat;34. Les feux sacrés flambèrent en signe de paix, cependant que se taisaient enfin les sons terribles dont l'espace s'était empli! »

ONZIÈME CHANT1. Le poète dit :2. « Alors lorsque la Déesse eût ainsi tué le souverain des puissants Asuras, les Dieux, guidés par Agni s'assemblèrent avec Indra à leur tête et chantèrent les louanges de Kâtyâyanî : leurs désirs étaient réalisés et leurs visages pareils à des lotus épanouis, emplissaient de lumière l'espace tout entier. »3. Les dieux chantèrent :4. « Fais grâce, Déesse!

toi qui enlèves la douleur physiquede ceux qui te supplientfais grâce !Mère du monde,Souveraine universelle,protège toutes choses!toi qui règnes, Déesse,sur tout ce qui se meutet qui ne se meut point!

5. Toi seule soutiens le monde, car tu as la forme de la Terre; toi seule donnes vigueur au monde, car tu as la forme même des Eaux; ô toi dont la puissance ne peut être surpassé!

6. Tu es l'Énergie de Vishnu, dont la force est illimitée; tu es la Magie suprême, germe de tout ce qui existe. Oui, Déesse, ce monde-ci est tout entier dans l'Illusion; mais toi, la Bienveillante, tu es aussi la cause de sa libération!

7. Toutes, tant qu'elles sont, les Sciencessont des formes de Toi, Déesse! Toutes, tant qu'elles sont, les Femmessont aussi Tes formes, Déesse, si différentes soient-elles! Toi seule emplis cet univers, Ambâ!Quel chant peut-on te dédier à Toi qui dépasses toute louange et qui es au-delà de toute parole?

8. Puisque Tu es tous les êtres et cependant donnes à tous la jouissance et la libération, comment, lorsqu'on Te chante, choisir les mots qui conviendront pour Te célébrer dignement?

9. Toi qui T'es établiedans le cœur de tous les êtres sous la forme de l'Intelligence et donnes à tous la Joie du Ciel : hommage à Toi, Nârâyanî!

10. Toi qui promets le changement sous la forme des instants

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et autres divisions du temps; Toi qui es l'Énergie par quoi les choses se défont : hommage à Toi, Nârâyanî!

11. C'est toi qui impartis toute bénédiction Auspicieuse ! Protectrice !tout par Toi se réalise, blanche Déesse à trois yeux! Hommage à Toi, Nârâyanî!

12. Tu es l'Énergie Éternelle par quoi tout l'univers se crée, existe, et disparaît : sur Toi les qualités se fondent et ne sont pas autres que Toi : Hommage à Toi, Nârâyanî!

13. Toi qui Te voues à protéger les affligés, les malheureux, venus chercher refuge auprès de Toi; Toi qui effaces la douleur partout au monde : hommage à Toi, Nârâyanî!

14. Toi qui voyages dans le char attelé d'oiseaux migrateurs Brahmânî qui bénis le monde en l'aspergeant d'herbe Kusha, hommage à Toi, Nârâyanî !

15. Toi qui tiens le trident, la lune et les serpents; Toi qui montes le Grand Taureau, Mahâshvarî : hommage à Toi, Nârâyanî !

16. Toi que le paonet le coq accompagnent; Toi qui brandis la lance, Kaumarî sans défaut : hommage à Toi, Nârâyanî!

17. Toi qui tiens dans Tes mains ces armes excellentes : conque, disque, massue, et l'arc fait de bois vénéneux, fais grâce ô Vaïshnavî! Hommage à Toi, Nârâyanî!

18. Tu as le disque formidable, et de ton croc de sanglier tu soulèves la Terre, ô Bénéfique, ô Vârâhî! Hommage à Toi, Nârâyanî!

19. C'est toi qui fis l'effort de tuer les démons en prenant la forme terrible d'un homme-lion ! Hommage à Toi, ô Protectrice ! Hommage à Toi, Nârâyanî!

20. Tu portes le diadème

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et manies le foudre puissant; Tes mille yeux brillent, Aïndrî qui tua Vritra! Hommage à Toi, Nârâyanî!

21. Toi dont Shiva lui-même accepta d'être messager, Tu exterminas les Daïtyas; Ta forme et Tes cris sont terribles : hommage à Toi, Nârâyanî!

22. Les crocs de Ta bouche font peur, ainsi que Ton collier de crânes Hommage à Toi, ô Châmundâ qui tua le démon Munda! Hommage à Toi, Nârâyanî!

23. Hommage à Toi, Lakshmî,Humilité, Connaissance, Foi ! Hommage à Toi, Prospérité, Liturgie, Immuabilité! Hommage à Toi qui es la Nuit et la Grande-Magie ! Hommage à Toi, Nârâyanî!

24. Hommage à Toi, Sarasvatî, Sagesse, Choix, Prospérité ! Hommage à toi la Brune, la Sombre, le Destin! Fais grâce, ô Souveraine! Hommage à Toi, Nârâyanî!

25. Toi dont la forme est l'Univers, Toi qui règnes sur toutes choses et assumes toute énergie, délivre-nous de nos angoisses! Hommage à Toi, Durgâ Devî!

26. Puisse Ton visage lunaire, paré de ses trois yeux, nous sauver de tous les dénions! Hommage à Toi, Kâtyâyanî!

27. Puisse Ton terrible trident, flamboyant tueur d'Asuras, nous préserver de toute peur! Hommage à Toi, Bhadrakâli !

28. Puisse Ta cloche qui emplit de sa rumeur le monde entier et tue les ardeurs démoniaques, nous préserver de tout péché comme si nous étions tes fils!

29. Puisse Ton glaive étincelant, imprégné de la graisse et du sang des démons, nous procurer la sauvegarde, à nous qui t'honorons, Chandî!

30. Bien propitiée,Tu écartes les maladies;irritée, Tu fais échouertoutes les entreprises !Si l'on Te sert,

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on ne perd jamais la richesse;car qui Te sert, Déesse,devient le serviteur de tous!

31. Et ce massacre que Tu fisdes Asuras qui troublent l'Ordre multipliant ainsi Ton corps qui d'autre que Toi, Ambikâ, aurait pu l'entreprendre?

32. Et qui d'autre que Toidans les Sciences, les Traités, dans les Paroles primordiales grâce à quoi l'on voit le Réel, se révèle comme la Cause de cet univers vacillant, perdu d'égoïsme illusoire, producteur d'aveugle ténèbre?

33. Là même où vivent les démons, là où sont les poisons terribles et les serpents, les ennemis, là où sont les puissants Dasyus et flamboie le feu de forêt; au milieu même de la mer, Tu Te tiens, protégeant le monde!

34. Oui, Tu protèges l'Univers, et règnes sur le monde. Ame de toutes choses, c'est bien sur Toi que tout repose! Shiva même Te vénéra et ceux qui devant Toi s'inclinent se font les serviteurs de tous!

35. O Déesse, fais grâce!Garde-nous toujours de la peur que nous inspire l'ennemi comme Tu l'as fait maintenant en massacrant les Asuras ! Éteins le mal dans l'univers les péchés, les calamités, nés du mûrissement des grands présages de malheur!

36. Fais grâce à ceux qui se prosternent, Toi qui emportes la souffrance! Tous les vivants de l'univers doivent Te faire offrande : accorde-leur ce qu'ils demandent ! »

37. La Déesse répondit :38. « O Dieux, j'accorderai

ce que l'on me demandera; réfléchissez et décidez ! J'accepterai le vœu que vous formulerez pour le salut du monde! »

39. Les Dieux dirent :40. « Apaise les souffrances,

Toi qui règnes sur les trois mondes!Anéantis aussi

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les forces de nos ennemis ! »41. La Déesse dit :42. « Lorsque viendra l'Age vingt-huit,

dans le Cycle de Vivashvant, les grands Asuras renaîtront : Shumbha et Nishumbha.

43. Alors je renaîtrai,de Yeshodâ, chez le berger Nanda; je vivrai dans les monts Vindhya et je tuerai ces deux démons.

44. Une autre fois, Je reviendrai, M'incarnant sur la Terre pour mettre à mort tous les démons fils de Viprachitti.

45. Je les dévoreraices Asuras Vaïprachittas !Mes dents seront rouges de sangcomme les fleurs de grenadier!

46. Et c'est pourquoi les Dieux du Ciel et les humains pour Me louer, Me salueront toujours du nom de Celle-dont-les-dents-sont-rouges !

47. Une autre fois, lorsque viendra la Sécheresse-de-cent-ans, cédant à l'appel des ascètes, Je reviendrai, sans M'incarner.

48. Alors Je les regarderaiavec chacun de Mes cent yeux, et l'on Me chantera du nom de Celle-dont-les-yeux-sont-cent !

49. Ainsi soutiendrai-Je le monde, donnant à manger des légumes nés spontanément de Mon corps afin de maintenir la vie jusqu'à ce que vienne la pluie; et Mes dévots m'appelleront la Potagère!

50. Une autre fois Je reviendraipour tuer Durgama, le grand démon, et mes dévots Me salueront du nom de Durgâ, la Déesse!

51. Une autre fois encoreJe tuerai, dans l'Himalaya, des démons qui tourmenteront les ascètes, Mes dévots.

52. Alors ceux-ci Me loueront tous, s'inclinant devant Moi, Me saluant du Nom de Déesse-Terrible !

53. Une autre fois encore, lorsque l'Asura Aruna fera régner grande misère en persécutant les trois mondes, J'apparaîtrai, telle un essaim d'abeilles,

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54. et Je tuerai cet Asurapour le bien des trois mondeset tous dans l'univers M'acclamerontcomme la Reine-Abeille !

55. Ainsi, à chaque foisqu'apparaîtra quelque détresse, Je descendrai M'incarner ici-bas pour anéantir l'Ennemi! »

DOUZIÈME CHANT1. Et la Déesse ajouta :2. « Celui qui, constamment,

Me louera en chantant ces hymnes, Me verra le garder toujours, le préservant de tout malheur.

3. Et ceux qui chanterontla mise à mort des AsurasMadhu et KaïtabhaShumbha, Nishumbha, et le Buffle,seront préservés de la sorte;

4. ainsi que les dévotsqui entendront chanter la Geste de Mes exploits, durant les nuits prévues pour la célébration.

5. Poètes, bardes et dévotsseront tous préservés du mal,de la pauvreté, et de la souffrancequ'engendré la séparation.

6. Ils ne craindront leurs ennemisqu'ils soient démons ou mauvais rois; ils n'auront peur du feu, des armes, ni de l'inondation!

7. Aussi faut-il la réciter,et l'écouter en dévotion, cette Geste de Mes exploits par quoi l'on a le Bien Suprême!

8. Puisse-t-elle apaiserles malheurs que font naître les grandes épidémies et les triples présages!

9. Et si l'on fait un sanctuaire, pour y réciter cette Geste, Je M'y établirai et jamais ne le quitterai.

10. Que ce soit pour faire l'offrande, ou pour célébrer la pûjâ; dans les rites du feu, ou dans les fêtes solennelles; il faudra dire cette Geste et l'écouter dévotement!

11. Et que l'on soit expert, ou non,quand on fera l'offrande, et la pûjâ, et les rites du feu, J'accueillerai avec amour

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l'hommage de la dévotion.12. En automne, il faudra

célébrer chaque année une grande pûjâ, où l'on récitera la Geste.

13. Qui l'entendra dévotement sera délivré, par ma grâce, de tout malheur et recevra du grain, des enfants, la richesse!

14. Entendre cette Geste,connaître mes apparitionset mes exploits dans la bataillefait d'un homme un héros sans peur

15. Ses ennemis sont tous tués,son bonheur ne cesse de croître et sa famille est dans la joie : celui qui écoute la Geste!

16. De même, à l'écouter,lors du rite d'apaisement,suivant un cauchemarou quand l'horoscope est mauvais,

17. Il verra ses malheurs disparaître : l'horoscope deviendra bon, les cauchemars se changeront en rêves de bonheur!

18. Les enfants, envoûtéspar les démons qui les saisissent, s'apaiseront, en même temps que les amis qui se querellent.

19. Il suffit en effetde réciter cette Célébration pour anéantir la puissance de tous les êtres maléfiques

20. N'est-elle pas, en elle-même, un moyen de Me propitier quand on l'accompagne d'offrandes comprenant, selon la règle, les animaux, l'encens, les fleurs, l'eau, les parfums et les lumières?

21. Nourrir les prêtres,faire l'offrande et l'aspersion, de jour, de nuit, sacrifier et partager avec amour : on y gagne Ma gratitude, en écoutant aussi la Geste récitée au moins une fois!

22. Car elle efface les péchés, assure la santé, protège contre les démons, cette Geste de mes exploits!

23. Ce récit de la destructiondes Asuras dans les combatsapaise toute crainteau cœur du dévot qui l'écoute.

24. Oui, ces hymnes chantés par vous,

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ceux que récitent les poètes et celui-là que m'adressa Brahmâ, font l'âme heureuse à mes dévots!

25. Qu'il soit perdu dans la forêt, ou cerné par un feu; qu'il soit tout seul face aux démons, ou prisonnier de l'ennemi;

26. qu'il soit poursuivi dans la junglepar un tigre, un lion, des éléphants; ou qu'il se trouve dans les liens, condamné à mort par le roi;

27. qu'il soit sur un bateau,jouet du vent et des tempêtes; ou perdu dans une bataille sous une pluie de flèches;

28. au plus noir du danger,quand le désespoir le saisit,s'il songe à ce Récitil est sauvé de sa détresse!

29. Par ma seule présenceles démons, les bêtes, les ennemis,s'écartent de celuiqui se souvient de ce Récit! »

30. Le poète dit :31. « Ainsi parla la souveraine, Chandikâ la Vaillante! Elle dit, et soudain disparut, alors que les Dieux s'attardaient à La contempler.32. Alors, délivrés de la peur, les Immortels recommencèrent à manger les parts sacrificielles; délivrés de leurs adversaires ils purent à nouveau occuper leurs fonctions respectives.33. Shumbha, l'ennemi des Dieux avait été tué au combat par la Déesse, lui dont la vaillance sans rivale avait menacé le monde d'une terrible destruction! Ainsi en était-il aussi de Nishumbha au grand courage. Déconfits, ces démons s'en furent en enfer.34. Oui, c'est ainsi que la Déesse Souveraine, quoique éternelle, s'incarne encore et encore, pour assurer la protection de l'univers!35. C'est par Elle que l'univers est le jouet de l'Illusion, car c'est Elle qui enfante le monde. Mais, propitiée, Elle impartit la connaissance et, si l'on Sait la satisfaire, Elle donne la prospérité.36. L'Œuf de Brahmâ, Elle l'emplit tout entier; et, lorsque vient le temps de la Dissolution cosmique, Elle prend la forme de Kâlî, la Grande Destructrice.37. Ainsi, à un moment Elle est la Destruction du monde, mais à un autre, Elle en est la Création bien qu'étant Elle-même sans naissance. Lorsqu'il est temps de maintenir l'Ordre cosmique, c'est Elle qui soutient les êtres.38. Au temps de l'existence-nécessaire elle est Lakshmî qui, au foyer, apporte la prospérité; mais au temps de l'anéantissement elle apparaît comme Alakshmî à seule fin de détruire le monde.39. Louée, vénérée rituellement avec des fleurs, de l'encens, des parfums et tout ce que requiert la pûjâ, Elle impartit la richesse, les fils; par Elle, on a l'esprit fixé sur le Dharma et l'on gagne le bonheur! »

TREIZIÈME CHANT1. Le poète dit :2. « Ainsi, ô roi, viens-tu d'entendre l'excellente Célébration de la Déesse!3. A coup sûr, Elle est la créatrice de l'univers et c'est par Elle qu'il est maintenu; la connaissance émane d'Elle, Magie du Dieu Vishnu!4. Oui, c'est par Elle que tu es plongé dans l'erreur ainsi que ce marchand; et pourtant vous êtes capables de discernement! D'autres cependant ont déjà été abusés avant vous et bien d'autres le seront aussi dans le futur.

5. Mais que tu prennes refuge en Elle, ô roi et tu seras sauvé; car la Souveraine impartit aux

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humains le bonheur sur la Terre, les joies du Ciel, la Délivrance! »6. Mârkandeya dit :7. « Le roi Suratha, ayant entendu ce discours se prosterna devant le rishi aux vœux sévères8. et reconnut qu'il avait été égaré par un excès d'orgueil, cause de la perte de son royaume. Aussi s'en fut-il immédiatement faire pénitence, en compagnie du roturier.9. Ce dernier, dans l'espoir d'être gratiné d'une apparition d'Ambikâ, se livra à l'ascèse au bord d'une rivière, répétant inlassablement l'hymne védique à la Déesse.10. Ils étaient là, tous les deux, au bord de l'eau, le roi et le roturier, vénérant une image de la Déesse qu'ils avaient façonnée avec de l'argile : ils lui offraient des fleurs, de l'encens, du feu, de l'eau.11. A certains moments ils jeûnaient totalement, à d'autres ils se privaient un peu; l'esprit fixé sur Elle, recueillis, ils lui présentaient des offrandes humectées du sang de leur propre corps!12. Au bout de trois ans, Chandikâ qui maintient l'Ordre cosmique se trouva satisfaite de ses dévots à l'esprit discipliné. Elle se montra et leur parla. »13. La Déesse dit :14. « Ce que tu désires, ô roi qui fais la joie de ta famille, Je te l'accorde sans restriction! Je suis tout à faite satisfaite, tu obtiendras de Moi ce que tu demandes! »15. Mârkandeya dit :16. « Alors le roi demanda de régner sur un royaume qui ne puisse tomber, même dans une autre existence, et que la force ennemie soit immédiatement détruite grâce à la force de sa Protectrice.17. Quant au roturier, son esprit était détaché des biens de ce monde : il choisit de recevoir la connaissance par laquelle on gagne de se dégager de l'erreur qui nous fait dire « j'ai! je suis »18. La Déesse dit :19. « O roi, dans peu de jours, tu recouvreras ton royaume et détruiras tes ennemis : ton règne alors sera sans fin!20. Après ta mort, tu reviendras en tant que fils du Dieu Vivashvant et l'on te nommera sur la terre Manu aryens21. A toi, le meilleur des roturiers, J'accorde la réalisation de ton vœu : tu obtiendras la connaissance et ainsi tu te réaliseras ! »22. Mârkandeya dit :23. « Après avoir ainsi donné à chacun ce qu'il désirait, la Déesse disparut soudain alors qu'ils étaient occupés à La vénérer.24. Et c'est ainsi que le roi Suratha, dont le vœu avait été satisfait par la Déesse, renaîtra à nouveau engendré par le Dieu Soleil : ce sera le Manu aryens

AINSI S'ACHÈVELA CÉLÉBRATIONDE LA GRANDE DÉESSE

om ! klîm ! om !

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