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  • CE SEXE QUI EN DEVIENT UN Manuel Periez ERES | Le Coq-hron 2007/3 - n 190pages 85 101

    ISSN 0335-7899

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2007-3-page-85.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Periez Manuel, Ce sexe qui en devient un , Le Coq-hron, 2007/3 n 190, p. 85-101. DOI : 10.3917/cohe.190.0085--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • Georges Devereux sest montr conservateur en ce qui concerne la sexua-lit dite fminine, et nombre de ses opinions semblent mme aujourdhuimisogynes. Pour Elizabeth Burgos, il tait un misogyne qui aimait lesfemmes Mais je tenterai de vous montrer, si vous excusez ma simplifica-tion outrancire de la vaste question de la fminit, que sous une attitude pru-dente, dicte par linstinct de conservation lintrieur des institutionspsychanalytiques o il avait eu le plus grand mal sintroduire, Devereuxcachait une adhsion, peut-tre parfois prconsciente, la remise en cause despositions classiques de Freud sur ce sujet. Les crits de Georges Devereux medonnent, en effet, souvent limpression dattaquer implicitement les notionsorthodoxes de complexe de castration et denvie du pnis auxquelles cepen-dant il adhrait, inconfortablement. Si, dans la forme, il a souvent paru miso-gyne, dans le fond il aura pouss la roue dune volution des idespsychanalytiques sur la sexualit humaine dans un sens proche des idesactuelles de nombre dex-militantes fministes qui, devenues anthropologues,philosophes ou psychanalystes, ont pris le temps de la rflexion.

    Devereux et la fminit : do parle-t-il ?

    Sans doute faut-il demble distinguer entre les nombreuses femmesrelles qui ont jou un grand rle dans sa vie ( commencer par sa mre dontil parlait comme dune Folcoche) et les femmes dans son uvre, quil observedabord en anthropologue, puis en psychanalyste, plus tard en hellniste. Maiscest dans son propre cadre thorique, celui de lethnopsychanalyse compl-mentariste quil crit sur la fminit.

    Je ne sais pas grand-chose des femmes relles dans sa vie, je ne connaisque celles qui apparaissent dans son uvre, o elles prennent une grande place.Sans que le problme de la fminit constitue pour autant, comme on la vu lors

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    Manuel Periez, sociologueet psychanalyste, directeurscientifique de lARIISE (asso-ciation pour la recherche etlintervention sur lincons-cient, la socit et lenviron-nement).E-mail :[email protected]

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    Ce sexe qui en devient un

    Pour ce numro,toutes les rfrencessont regroupesdans labibliographiegnrale p. 159.

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  • 1. E. Roudinesco, prface(1998) de Georges Devereux,Psychothrapie dun Indiendes Plaines, 1951, p. 7-8. 2. G. Devereux, Essais deth-nopsychiatrie gnrale, 1977,p. 185.3. Sans lcrire nulle part, ilnous lavait souvent rpt, Elizabeth Burgos et moi-mme.4. Franois Laplantine, Pourune ethnopsychiatrie cri-tique , Vie sociale et traite-ments, n 73-2002/1, p. 28-33.

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    des premires interventions, en lui-mme, le thme central qui aura occupGeorges Devereux. Pour ce qui est des femmes de sa vie relle, il suffira deciter lexcellente prface dlisabeth Roudinesco la rdition de Psychoth-rapie dun Indien des Plaines, qui, en vingt pages, reste, mon humble avis, lameilleure biographie de Devereux. Elle en dit : Misogyne et conservateur,hant par le suicide, il aima passionnment les femmes et les chiens, se mariasix fois et eut de multiples liaisons sans jamais devenir pre. Il entretint avec samre une relation trange, faite de rejet et dattachement, et cest au milieu desIndiens dAmrique ses chers Indiens des Plaines , guerriers dchus dunenation autrefois glorieuse, quil se sentit heureux et enfin accept : Le meilleurde moi-mme, dira-t-il, je lai appris des Mohave et des chiens 1.

    Le grand mrite de cette prface est de ramener ses justes proportionsla passion des femmes chez Devereux : la vraie grande passion de Devereuxfut celle quil eut envers son uvre, la cration de lethnopsychanalyse. Mais,par ailleurs, il a rellement aim certaines femmes.

    Pour aborder lactualit de la pense de Devereux sur la fminit, il fau-drait dj connatre ltat actuel des ides sur le sexuel dans la thorie psy-chanalytique, dans les diverses branches de lanthropologie, et les apports delthologie et des neurosciences. Mme la vieille anatomie, si mprise par lespsychanalystes, apporte de nos jours des surprises, et Freud, quapostrophaitvers 1905 un puissant crtin viennois Wagner von Jauregg, je crois, quiscriait que lhystrie masculine tait impossible parce que les hommes nontpas dutrus Freud aurait aujourdhui bien ri en apprenant la dcouvertercente de lutriculus virilis, un utrus embryonnaire planqu dans la prostate,l o personne ntait all voir Devereux, qui estimait que la ralit estanalysable 2 , avait le mme respect surann que Freud pour les donnes delanatomie, de la zoologie, de la mdecine, de lhistoire, autant que pour lemonde des arts, pour la littrature, la mythologie, et jen oublie. Son pointfaible, aux yeux des Franais, aura t son aversion dclare envers la philo-sophie, la pire des perversions disait-il 3. Nombre de ses lves, qui ont faitleur chemin, estiment dsormais que sa pense est date, sinon dpasse :Fehti Ben Slama, Tobie Nathan Franois Laplantine disait, lors dune conf-rence trs intressante, il y a cinq ans 4, que la pense de Devereux commecelle de Lvi-Strauss sont, dans la filiation de Durkheim via Mauss, des pen-ses du bricolage : La pense de Devereux, en dpit de tous ses apports,me semble aujourdhui commande : 1 par une logique combinatoire : cellede la permutation de signes (ou invariants) ; 2 par une conception anhisto-rique de la positivit de ces invariants ; 3 par labsence dune thorie du lan-gage pouvant conduire une comprhension stabilise des rapports delindividu et de la socit. Soit. Avec tout le respect d aux pistmologues,moi, je prfre le bricolage.

    Pour Claude Lvi-Strauss, tel quil sen expliquait encore il y a quelquesannes face Didier Eribon, la sexualit nest pas au centre de lhomme, l oFreud la place abusivement, mais linterdit de linceste, la rgle des rgles,opre bien le passage de la nature la culture. Luvre de George Devereuxsemble vouloir rpondre, plus ou moins consciemment, cette critique de sonami Lvi-Strauss, qui sapparente la vieille accusation du pansexualisme freudien. Dune certaine manire, Devereux tente de parer le coup de deuxfaons :

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    dune part en re-explorant les lieux o se tient le sexuel dans une psychana-lyse trs moderne, la sienne lethnopsychanalyse mtaculturelle , qui enrduit le primtre et lamne coexister avec dautres questions crucialescomme lidentit et la culture ; le structuralisme est vrai, parce que la psy-chanalyse est vraie dira-t-il ; dautre part en fuyant Vienne et les (trop ?) belles nvroses de sa bourgeoi-sie, fuite dans lespace vers les primitifs sedang et mohave, et fuite dans letemps vers la Grce antique, tout cela pour mieux raffirmer luniversalit dela dcouverte freudienne et la puissance du sexuel.

    Dans ce double mouvement, sagissant des questions de la sexualit ditefminine, Georges Devereux formule un certain nombre dides encore trsactuelles. Il tait trs intelligent , dira Lvi-Strauss de lui sa mort

    Pour les militantes fministes de frache date, le premier abord de Deve-reux est rude. Georges Devereux a vcu une poque heureuse o lon ntaitpas encore politiquement correct , et il a parfois dit et crit des choses ausujet desquelles on entend de nos jours, vingt-cinq ans plus tard, nos chiennes de garde actuelles aboyer sur leur site internet ! Ainsi, en 2001,une certaine Myrrha cite un extrait de Femme et mythe et sexclame : Leparallle odieux qui est ici fait entre fminisme et fascisme ressemble beau-coup celui que les ennemis des animaux dcernent la libration animale. Dans lextrait incrimin, Devereux avait os crire : Nos propres contempo-rains ne se rendent pas du tout compte de la prcarit du droit des hommes du mle dj quasiment aboli par le nouveau matriarcat. Pour ma part, jeprends au srieux et au pied de la lettre les excs des porte-parole dunfminisme outrancier, tout comme javais, il y a un demi-sicle, pris dembleau srieux les extravagantes menaces dHitler 5.

    Il aimait provoquer, et je nai jamais su si, dans sa propre thorie, ce traitde caractre tenait au segment ethnique ou au segment idiosyncrasique de soninconscient. Je ne cite cette passe darmes posthume entre Devereux et cer-taines jeunes fministes actuelles que pour poser demble limportance de sonapproche anthropologique, par rapport la seule exprience clinique, et pourmieux situer la dmarche de Devereux, qui parvint combiner si intelligem-ment les deux. En effet, travers ce choix didentit ludique de chienne degarde et sa compassion envers les animaux, cette Myrrha me semble rejoindrele curieux trait dhumour assez suspect de Freud, dans sa fameuse Nouvelleconfrence sur la fminit : il y dit, en guise dexcuses pour son approche dela sexualit fminine, qui pouvait rsonner de faon peu amicale , que mal-gr la trs grande influence de la sexualit chez la femme, cependant indivi-duellement, la femme peut tre aussi considre comme une craturehumaine , avant dmettre le vu que les potes ou la science, un jour, nousclairent davantage sur cette mystrieuse fminit 6. Les ethnologues connais-sent bien le travers trs largement rpandu qui consiste considrer sa propreethnie comme la seule vraiment humaine, les voisins tant frapps dune alt-rit pouvant aller jusqu lanimalit. La femme est-elle humaine ? Au Moyenge, chez nous, et encore actuellement en pays dIslam, elle navait pas dme,voire ses attraits avaient partie lie avec le diable.

    lorigine des problmes, non pas des femmes mais de la thorie psy-chanalytique au sujet des femmes, il y a les ides bien connues de Freud. Si

    5. G. Devereux, Femme etmythe, 1982, p. 275-276.6. S. Freud, GW Bd. 15,conclusion de larticle lafminit , 1932, p. 145 : Das ist alles, was ich Ihnenber die Weiblichkeit zusagen hatte. Es ist immergewisz unvollstndig undfragmentarisch, klingt auchnicht immer freundlich. Ver-gessen Sie aber nicht, daszwir das Weib nur insofernbeschrieben haben, als seinWesen durch seine Sexual-funktion bestimmt wird. Die-ser Einfluss geht freilich sehrweit, aber wir behalten imAuge, dasz die einzelne Frauauch sonst ein menschlichenWesen sein mag. Wollen Siemehr ber die Weiblichkeitwissen, so befragen Sie Ihreeigenen Lebenserfahrungen,oder Sie wenden sich an dieDichter, oder Sie warten, bisdie Wissenschaft Ihnen tie-fere und besser zusam-menhngende Ausknftegeben kann.

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  • 7. E. Roudinesco, La bataillede cent ans, vol. 2, 1986,p. 511-530.8. G. Devereux, De lan-goisse la mthode dans lessciences du comportement,1967, p. 266.9. G. Devereux, la notion deparent , dans Ethnopsycha-nalyse complmentariste,1965, p. 230.10. M. Bonaparte, De lasexualit de la femme, 1951. 11. G. Devereux, A Study ofAbortion in Primitive Socie-ties, 1954, p. 95.12. J. Chasseguet-Smirgel(dir.), La sexualit fminine,1964.13. M. Trk, La significa-tion de lenvie du pnischez la femme , dans Lasexualit fminine, ibid.,p. 203-246.

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    dsormais ses concepts de castration et denvie du pnis sont assez gnrale-ment considrs comme passablement tordus par les autres sciences humaines(notamment par les spcialistes de lthologie sexuelle et mme par desmdivistes), au temps de Devereux ils taient encore fondamentaux dansldifice thorique psychanalytique. Et dans cet difice, ils se dfendaient fortbien tant que lon ne perdait pas de vue que Freud ne parlait on la dit dixmille fois que de la structuration psychosexuelle de linconscient chez len-fant, de sa sexualit infantile, et surtout pas de la sexualit adulte. Mais ledrapage de lune lautre est couramment commis, mme par les meilleursesprits, y compris par Devereux.

    Pour situer srieusement lactualit de Georges Devereux concernant lasexualit fminine, il faudrait une recherche o le point sur ces ides et leur cri-tique jusqu nos jours serait dtaill. lisabeth Roudinesco rsume cettecontroverse clbre en vingt pages serres de son livre La bataille de cent ans 7o, aprs un hommage au Freud librateur des femmes par sa thorie phal-lique de la sexualit fminine , elle dcrit le mouvement des ides des unes etdes autres pendant un demi-sicle. Si Lacan, approch par Simone de Beauvoirau moment de finaliser son Deuxime sexe, lui demanda cinq ou six moispour dbrouiller la chose , nous dit lisabeth Roudinesco, celle-ci se seraitcontente de quatre entretiens, ce que Lacan refusa. Georges Devereux pour sapart expdie la chose en une demi page 8, o il condamne Karen Horneypour labandon de la castration, approuve Phyllis Greenacre, et dcerne unsatisfecit Helen Deutsch tout en la trouvant timore Devereux donne icilimpression que, ne pouvant risquer davantage dostracisme du milieu psy-chanalytique, il navance contre ces ides de Freud que cach derrire lesfemmes-analystes : on trouve chez lui notamment une utilisation curieuse descrits de Marie Bonaparte et des hommages sincres mais ambivalents Helen Deutsch ou Janine Chasseguet-Smirgel. Dans son Ethnopsychanalysecomplmentariste, par exemple, aprs avoir crit Il me semble vident quunefemme normale ne se sent pas humilie lorsquelle fait lamour. Pour singulierque cela puisse paratre, elle ne se sent mme pas, au fond, humilie par leviol 9 , Devereux va citer Marie Bonaparte pour qui la vie sexuelle de lafemme tient prcisment sa capacit de transformer langoisse de pntrationen plaisir 10 Il se cachera derrire Helen Deutsch en la critiquant dans Abor-tion in Primitive Societies, quand il dclare que sur un point prcis il nestpas daccord avec elle (laccouchement comme le plus grand orgasme quepuisse connatre une femme) 11. Et il laissera, pour mieux partir vers les dessesde la Grce, Chasseguet-Smirgel continuer la bataille de la sexualit fminine :il la flicite, dans lintroduction de Femme et mythe, pour son livre o elle adnonc la fantasmatique scientifique des autres , et pour le courage quilui permit de ne pas ajouter des fantasmes de son propre cru ce lot dabsurdi-ts , chute qui me semble ternir notablement lclat de lhommage. Dans sonloge du livre dirig par Chasseguet-Smirgel 12, on est dailleurs du de ne pastrouver dadhsion, sinon peut-tre implicite, aux thses de sa compatrioteMaria Trk, qui avait t loin dans son laboration personnelle du conceptdenvie du pnis 13

    Concernant le thme de la maternit, une autre femme importante dans lavie de Georges Devereux, mme sil ne la jamais connue, aura t son autrecompatriote, Melanie Klein : il lexcrait au plus haut point ! Il faut noyer la

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    rombire Klein ! ma-t-il souvent dclar, sur son mode provocateur habi-tuel. Si pour Georges Devereux, Lacan tait le diable (sans doute dautant plusque Lacan lavait trait d analyste amricain touchant de navet , proposdun sien article sur le Surmoi), mme Melanie Klein, la tripire gniale selon Lacan, tait dj mauvaise car fantasmagorique . Lombre de la mrede Devereux serait-elle tombe sur cette Melanie, dont le nom de jeune filleen hongrois, Mell, signifiait dj sein , comme nous lapprit MariaTrk 14 ? Ce qui parat certain, cest que Devereux a vit tout le domaine delarchaque quelle avait conquis : Devereux reste un psychanalyste freudienpr-kleinien et dipien . Mais, cependant, le rebelle Georges Devereux, quiexistait autant que le conservateur, quand on le lit avec attention, me semblerejoindre subtilement certaines positions kleiniennes, et nombre des positionsdes fministes quil a tellement dcries.

    Rosolato, dans lexcellent article quil a consacr en 1983 aux deux livresfranais de Devereux sur les femmes 15, fait un bel loge de sa pense qui, dit-il, combat les ides reues et les rsistances contre la psychanalyse sur plu-sieurs fronts : celui du culturalisme (Malinowski, Kardiner) : Il en refuse le relativismeet le dterminisme strictement social, ainsi que lide de personnalit de base,car ils effacent lappareil psychique et ses subtilits ; celui de lhellnisme : Les plus averti(e)s des hellnistes, ceux, celles quiont ctoy la psychanalyse dans un parcours personnel, prennent encore un aireffar quand on voque le phallicisme fminin au sujet dune desse : ainsiservent-ils (elles) de caution au scepticisme convenable de ceux qui rduisenttoute dynamique humaine au seul conomisme ; celui du combat contre lunisexe, dont nous parlerons plus loin.

    Mais Rosolato va ensuite tancer srieusement lisolationnisme deGeorges Devereux : Du ct de la psychanalyse il y a lieu cependant dindi-quer une bien curieuse attitude de Devereux. Alors quil vit Paris et quilenseigne depuis des annes lcole des hautes tudes il ne fait aucun cas dela littrature psychanalytique franaise. Il appartient la Socit psychanaly-tique de Paris. Mais ses affinits patentes lorientent entirement vers lemonde anglo-saxon. On cherchera vainement dans ses rfrences et ses biblio-graphies la moindre trace dun crit franais, lacanien ou autre, comme si laproduction de ces trente dernires annes tait nulle et non avenue.

    Difficile, ici, de ne pas penser au fait que Devereux a crit un texte sur le succs scientifique des asociaux , lesquels dtachs de la communautrussissent l o les intgrs chouent : sest-il rendu asocial par rapport lapsychanalyse franaise pour mieux penser et crer ? Rosolato avance une ana-lyse secondaire du texte de Femme et mythe grce certaines des ides deLacan : tre le phallus cest venir comme objet de dsir dans lquivalencepnis = enfant, par rapport au dsir de la mre en fonction du phallus du pre.Avoir le phallus cest avoir franchi cet tre-le-phallus pour manifester sonpropre dsir dans le signifiant du dsir quest le phallus, encore quil y ait lieude ngativer cet avoir avec la possibilit de situer limaginaire de la castra-tion. Pour finir, Rosolato relve longuement, dans Femme et mythe, troisanalyses essentielles par Georges Devereux de la problmatique fminine : lafemme au pnis, le corps phallique de la femme, et la femme phallique.

    14. M. Trk, prsentationdes textes sur MelanieMell , Confrontation,15 fvrier 1981.15. G. Rosolato, GeorgesDevereux, une comprhen-sion psychanalytique desmythes grecs centrs sur lafemme , Psychanalyse lUniversit, 9, 33, 1983,p. 157-168.

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  • 16. Essais dethnopsychiatriegnrale, p. 92.

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    Georges Devereux na absolument pas apprci cet article de Rosolato,fort logieux et qui semblait pourtant la seule main tendue depuis vingt ans parla psychanalyse franaise envers le solitaire Mohave dAntony. Ce quil y lut,cest quil en ressortait comme re-inventant dans son coin des ides djanciennes de labominable Lacan ! Je me souviens quun de ces samedis ojallais le voir Antony, il me demanda tout coup : Mais qui est ce Roso-lato ? Cest un nergumne ! ce qui montre quel point il tenait lui don-ner raison concernant son attitude de splendid isolation lgard despsychanalystes franais.

    Peut-on dire que Georges Devereux sest auto-exclu du dbat sur la fmi-nit, comme il semble lavoir fait de multiples reprises ? auto-exclu de sesracines hongroises et juives ; du monde des sciences exactes ; aux tats-Unis,du culturalisme dominant lethnologie, ainsi que de la psychanalyse bien-pen-sante ; en France, de la psychanalyse, pour lui hrtique, de Lacan ; dumarxisme, lpoque dominant ; du structuralisme, en anthropologie sociale,de son bienfaiteur Lvi-Strauss ; et mme de lhellnisme orthodoxe Na-t-il pas constitu son propre espace en inventant lethnopsychanalyse commeWinnicott, quil me disait admirer, stait invent cet espace de jeu avec sespetits patients lespace ni dehors ni dedans de laire de lexprience cultu-relle ? Sa conception des deux segments de linconscient (lethnique et lidio-syncrasique) ma toujours paru proche de celle de Winnicott du faux et du vraiself (le faux self bonne distance ou non cliv du vrai tant indispensable la vie en socit). Chez Devereux cette conception vaut implicitement aussipour la fminit : Lorsque nous exigeons des femmes quelles soient fmi-nines et des enfants quils soient purils, nous parlons la plupart du tempsun langage culturel, non biologique. [] En ce sens, chaque culture possdeune manire distinctive de masculiniser ses hommes, et de rendre sesfemmes effmines (ce qui est tout autre chose que vritablement fmi-nines) et ses enfants purils 16.

    Finalement, Georges Devereux va choisir, sinon de sexclure du granddbat, tout au moins de sen tenir prudemment loign, et de ne parler desfemmes qu travers les desses grecques et leurs dmls avec de malheureuxmortels. Mais il attaquera plus franchement, en rglant ses comptes labo-mination de la vue de la vulve , travers le cas de Baubo. Des ides de Freudet des psychanalystes hommes de la premire gnration, il me semble en effetque cest cette abomination de la vue de la vulve , expression je crois dAbra-ham ou de Rank, qui nervera le plus Georges Devereux partir de son exp-rience anthropologique, et qui le dcidera publier son Baubo la fin de sa vie.

    Que dit Devereux de la fminit ?

    Les principales thses qui se dgagent de la lecture que jai pu faire descrits de Georges Devereux sur la fminit me semblent (pas ncessairementdans cet ordre !) tre les suivantes : la suite de Weston La Barre, linteraction hommes-femmes dans leurs dif-frences complmentaires, la lutte vitale contre lunisexe et pour une gni-talit adulte ;

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    Georges Devereux, une voix dansle monde contemporain

    inspire par La confusion des langues de Sandor Ferenczi, une concep-tion de ldipe comme tant induit par les parents (les fantasmes canniba-liques des parents) ; lhorreur du sexe fminin en Occident relativise par une visite des ethnieso la vulve se voit confrer le caractre de la beaut ; la marginalisation de lenvie du pnis , en dmontrant la rciprocit duvagin et de la verge et, par infrence, un quivalent pour la vulve de la rvration du pnis (le concept de penis awe de Phyllis Greenacre).

    Georges Devereux a ncessairement abord les problmes des femmesds le dbut de sa carrire aux tats-Unis, quand il a soutenu sa thse sur lasexualit des Mohave, en 1933. Remarqu par Kinsey, il fit pendant quelquetemps partie de sa commission pour la rdaction du clbre rapport sur lasexualit des Amricains 17. Plus tard il se livra des critiques virulentes deKinsey ( un spcialiste des gupes 18 ; et de mme, plus tard, de sexologuescomme Masters et Johnson).

    Si les jeunes femmes actuelles ne connaissent pas le Baubo de 1983, enrevanche, son livre de 1955 sur lavortement dans 400 socits primi-tives 19 , rdit en 1976 mais non traduit en franais, est encore abondam-ment et favorablement cit de nos jours sur internet, tantt par des femmesencore en lutte pour le droit lavortement (qui retiennent du livre sa trsgrande banalit travers les poques et les cultures), tantt par des espritsractionnaires (auxquels les chapitres consacrs aux divers traumatismes delavortement fournissent des arguments). Devereux a organis ce livre en deuxparties principales, la premire sociologique et la seconde psychanalytique. Lapremire aborde les motivations conscientes et inconscientes de lavortement,aussi bien volontaire quinvolontaire ; puis les techniques de lavortement, sesconsquences physiques, le sort des ftus avorts et leur deuil, les avorteurs,et le traitement social de lavortement. Dans la deuxime partie, en douze cha-pitres, il aborde notamment lincidence de la culture et de linconscient surlavortement, son traumatisme et ses motivations inconscientes, llment derivalit parentale, le conflit entre sensualit et contre-dipe, la fuite devant lamaternit, le pre imaginaire et sa castration, et lavortement comme initiationfminine et comme autocastration. Il note que lamour maternel et linvestis-sement de la grossesse est induit par lamour et lintrt de lpoux (p. 103).

    Le renouveau dintrt pour ce livre semble un phnomne li la gn-ration actuelle, car en France, lors du combat mmorable de Simone Veil pourlIVG en 1974, personne nallait chercher cette rfrence de Georges Devereux,aujourdhui la plus populaire sur la Toile. Mais par ailleurs, quand on parcourtla bibliographie de presque 400 entres de Georges Devereux (telle queGeorges Bloch la tablie), on trouve une trentaine darticles explicitementconsacrs des thmes fminins ou touchant de prs ceux de la maternit oula fminit, dont la plupart, antrieurs sa priode franaise, ont t reprisdans les Essais dethnopsychiatrie gnrale, ou dans ses deux livres franais.Mais pas tous : en 1950 il a crit sur la psychologie de la menstruation ; en 1956, une note sur la signification fminine des yeux ; en 1958, la signification pour le mle humain de lorgasme et organes gni-taux externes fminins ;

    17. A.C. Kinsey et coll.,Sexual Behavior in theHuman Male, 1948.18. De langoisse lamthode dans les sciences ducomportement, op. cit.,p. 156-157.19. A Study of Abortion inPrimitive Societies, op. cit. : primitives , comme londisait avant que Lvi-Straussnous apprenne dire soci-ts sans criture

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  • 20. C. Lvi-Strauss, Pytha-goras in America , dansR.H. Hook (sous la directionde), Fantasy and Symbol : Stu-dies in Anthropological Inter-pretation. Essais in honour ofGeorges Devereux, 1978.21. G. Devereux, Les pul-sions cannibaliques desparents , Essais dethnopsy-chiatrie gnrale, ch. V,1966, p. 143-161.

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    en 1960, le complexe de castration fminin et ses rpercussions sur lapudeur, lapparence et ltiquette ; en 1968, les bases ralistes du fantasme, leur relation avec langoisse decastration testiculaire et lquation inconsciente testicules = seins .

    Ce dernier texte amusa Lvi-Strauss, qui lutilisa dans sa contributionaux Mlanges offerts George Devereux en 1978 20. Il y parlait de festivitscarnavalesques polynsiennes o les hommes arborent des noix de coco enguise de seins, se moquant par l des femmes en signalant non pas leurabsence de pnis mais leur possession des seins.

    Sans videmment tre exhaustif, on peut voir, dans les Essais, sexprimertrs classiquement chez Devereux le thme dune sexualit fminine totale-ment aboutie, bien sr htrosexuelle et vcue dans la plnitude dorgasmespsychiques de nature vaginale et non seulement clitoridienne . Cestnotamment le cas dans limportant article : La dlinquance sexuelle desjeunes filles dans une socit puritaine (1964), o les adultes sont jugs cou-pables de ne rien comprendre au monde de ladolescence : Pourquoi laJuliette de Shakespeare nest-elle pas une dlinquante juvnile tandis que cellede Leonard Bernstein dans West Side Story lest ? Cette question est dune por-te dcisive et sa rponse implique, selon nous, une condamnation sansrecours de notre attitude envers ladolescence (p. 192). Nous laissons lesjeunes dans la misre dune pseudosexualit provocante en lieu et place dunaccs la gnitalit adulte : Nous devons nous fixer comme objectif thra-peutique de restituer la jeune fille dlinquante, abme dans le mpris delle-mme, le sentiment de sa dignit personnelle et lestime de soi afin quelle envienne se considrer digne davoir des relations amoureuses adultes et deconnatre lamour vrai. [] Bref nous devons lever ses aspirations, la rendreexigeante en matire damour et de plaisir et la persuader quelle mrite etpeut atteindre une gnitalit adulte (p. 212).

    Toujours dans les Essais, au sujet du fameux article de Ferenczi : Laconfusion des langues , Devereux explique dans La voix des enfants (1965) qu elle proviendrait, pour une bonne part, de ce que lun parle le lan-gage de la tendresse, alors que lautre parle celui de la passion (rotique). Cepoint est dune importance capitale et mme Ferenczi ne semble pas en avoirpleinement puis les implications. [] La ralit est cependant plus com-plexe encore, car [] cest llment sexuel sous-jacent la tendresse deladulte qui stimule la sexualit de lenfant (p. 137). Il est sans doute permisde voir dans la lecture de Ferenczi que fait ici Devereux la source de son idedu complexe dipien comme tant essentiellement induit par le couple paren-tal, ide dveloppe lanne suivante dans Les pulsions cannibaliques desparents (1966). Dans cet autre article important, on a la surprise de le voirrejoindre, en les renversant, certaines ides de Melanie Klein, telle limpor-tance dcisive de loralit et surtout ldipe prcoce. Faute de noyer la rom-bire il la renverse (du moins ses positions 21) : ce nest plus le nourrisson,attaquant le sein kleinien, qui serait cannibale, mais les parents mordillant ten-drement leur nouveau-n mignon croquer qui vont induire tout ldipechez lenfant. Induction par les parents et non par les fantasmes originaires fantasmagoriques selon Devereux : [] on peut fort bien postuler la pr-sence de pulsions cannibaliques chez lenfant sans pour autant se reprsenter

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    le psychisme infantile dans son ensemble, ainsi que le font Melanie Klein etson cole, comme une sance permanente de Grand Guignol (p. 152).

    Voyons maintenant plus en dtail ce qua dit Devereux dans ses deuxlivres thme fminin qui sont les plus connus en France : Femme et mythe,de 1982, et Baubo. La vulve mythique, de 1983. Dans le Baubo, GeorgesDevereux justifie le dtour de sa dmarche par les mythes grecs : Luniquepont qui relie encore lhomme moderne celui de lAntiquit est le psychismehumain, dont seuls les dehors changent, mais dont le substrat fantasmatique linconscient est intemporel 22. Comme nous lavons dj mentionn,Guy Rosolato est le seul psychanalyste franais a en avoir fait tat, en 1983,dans larticle trs dtaill de Psychanalyse lUniversit.

    Femme et mythe est organis en quatre parties : Hommes et desses , Naissances divines , Hrones et Les grossesses des dieux . Devereuxcommence, dans le chapitre La divine matresse , par dcrire linceste le plusrare, linceste mre-fils, dont il aborde la fantasmatique travers un rcit de casaux accents qui semblent fortement autobiographiques, celui dun jeune intel-lectuel en proie lhorreur de se voir en rve englouti par le vagin dune mremonstrueuse. Georges Devereux dveloppe ensuite longuement les aventuresamoureuses des desses grecques avec des amants simples mortels, qui finironttous trs mal, leur ayant prfr des relations plus calmes avec des mortelles.Son interprtation est que la beaut surnaturelle des desses nest que celle,magnifie dans le souvenir, de la perception de la mre par le petit garon : latrop grande beaut des divines matresses mobilise limago infantile de la mreet suscite des angoisses qui poussent les amants mortels prendre la fuite.Devereux parle ici de la terreur lAinos quinspire la beaut terrible, celledHlne par exemple, que les vieillards de Troie dcideront de rendre auxAchens : Seul un vieillard est capable dune si triste sagesse ! , sexclame-t-il nostalgiquement. Une terreur non pas devant un en-moins de la castra-tion signifie par la vue de la vulve, mais par celle dun en-plus de la tropgrande perfection esthtique, terreur qui lie le sexe et le sacr.

    La place me manque pour rsumer les dix autres chapitres de ce livreextraordinaire, dans lequel Georges Devereux aborde les mythes traitantdHera, dAphrodite, dAthna, dHphaistos, dArtmis, de Kainis et dePnlope, beaucoup moins chaste selon Devereux que les hllnistes bien-pensants nous lont fait croire : le dieu Pan, selon une obscure version queDevereux a dniche, serait n des amours de Pnlope avec lensemble desprtendants 23 . Il termine son livre par dtonnantes considrations sur lesgrossesses des dieux-hommes, Kronos et Zeus, o il suggre une explicationde la mythognse par la sidration provoque par des phnomnes naturelsextrmement rares, tels la lithification dun ftus. Phnomnes mythifisensuite dans les traditions orales. En reprenant, selon Rosolato, les trois ana-lyses essentielles par Georges Devereux de la problmatique fminine, on peutavancer quil conoit celle-ci comme une dialectique entre la femme aupnis, qui possde un pnis anatomique cach sous lcran des poils pubiensmais un corps de femme ; le corps phallique de la femme, corps dune beautfminine parfaite et projection narcissique du phallus ; et la femme phalliqueau corps viril, chez qui se fait jour lenvie du pnis qui la voue une rivalitlatente ou avoue avec lhomme.

    22. G. Devereux, Baubo. Lavulve mythique, 1983, p. 12.23. Douris, dans Tzetzes : adLykophron 772, Lykophron769 s.

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  • 24. O. Fenichel, The SymbolicEquation Girl=Phallus, 1936. 25. P. Greenacre, Penis Aweand its Relation to PenisEnvy, 1953.26. G. Rheim, Aphrodite,or the woman with a penis ,Psychoanalytic Quarterly,14, 1945, 350-390.

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    Devereux note quAphrodite, ne du pnis chtr dOuranos, nest pasune femme phallique, mais une femme phallos (p. 107), selon lquationsymbolique phallus = corps phallique reprise chez Fnichel 24, et en partiechez Ferenczi ( les fantasmes gullivriens ). Athna, elle, est une femmephallique ne du pnis coup de Zeus (euphmis en tronon de cordon ombi-lical), mais toutes deux aiment le pnis et se scandalisent, dans les NuesdAristophane, que de jeunes guerriers le leur cachent sous leurs boucliers : ilreprend ici lide de Phyllis Greenacre de penis awe, rvrence craintiveenvers le pnis 25 (p. 151).

    Femme et mythe me parat trange dans luvre de Devereux : finale-ment, sa lecture on en apprend beaucoup plus sur la Grce antique que sur lasexualit fminine, dans cette randonne passionnante qui nous fait rencontrerdes centaines de personnages de la mythologie grecque. Mais quand on par-court toute luvre de Georges Devereux, son originalit thorique paratconstante, tandis que dans Femme et mythe il ne fait le plus souvent que raf-firmer lorthodoxie des thories admises sur la sexualit fminine depuisFreud, et plus ou moins compltes/rnoves par ses continuateurs(trices). Etsurgit alors le soupon que ce livre tait ncessaire, dans lesprit de Devereux,pour rendre relle la sexualit fminine en la ramenant en Grce : la psycha-nalyse, fonde par Freud sur ldipe, ne serait pour lui vraie que parce quelleest grecque, donc ternelle. Freud navait pas ancr la sexualit fminine enGrce, mais avec ce livre Devereux comble cette lacune, beaucoup plus puis-samment que Rheim ne lavait fait et sinscrivant contre son analyse dumythe dAphrodite 26. Lui-mme semble aller dans ce sens quand il dit,p. 165-166 : Je commence par affirmer ma conviction que la psychanalyseclassique quil faut bien distinguer de certains propos dlirants que loncherche, de nos jours, faire passer pour de la psychanalyse nest, en ralitquune srie de conclusions tires par le bon sens des noncs et des actionsdes tres humains. Rien nest plus conforme au rel que la manire dont lepsychanalyste authentique le peroit. Mme la prise en considration du faitculturel et social ne fait quaugmenter lexactitude de la perception psychana-lytique du rel.

    Dans son autre livre franais consacr la femme, tout aussi extraordi-naire, Baubo. La vulve mythique, Georges Devereux me semble en revancherenouer avec son originalit habituelle. Il y analyse le mythe grec de Baubo(Iambe), le sexe de la femme personnifi. Selon ce mythe, le deuil de Dm-ter la mort de sa fille Persphone cessa lors de lexhibition de sa vulve parBaubo, ce qui la fit rire : Vulve de laquelle mergent la tte riante et le brasagit de Iakchos en train de natre (p. 32). Dmter, desse de la fcondit,dont le deuil avait frapp la Terre de strilit, termine son deuil et redevientfconde. Devereux sattachera dcrire de nombreuses variantes de cesmythes dexhibition vulvaire, auxquels il donne une valeur phallique. Il note,en introduction, que personne ne se proccupe de la prise de conscience de sonpnis par le bb garon, tandis que lon sinterroge inlassablement sur la dcouverte de son vagin par la petite fille. Il organise son livre en quatreparties : la vulve personnifie ; linterprtation du mythe ; la vulve phalliqueet le phallus vulvaire ; la face et le sexe. Lcriture de ce livre mri pendantcinquante ans dmarrera aprs un choc visuel, en 1975, sur le boulevard Saint-Michel, o un anonyme avait peint sur le trottoir une reprsentation tire de

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    la vulve : Ce tableau me semblait totalement non-rotique ; il me faisait pen-ser au genre de planches impersonnelles qui illustraient jadis les atlas dana-tomie. [] Aprs quelques minutes, jai continu mon chemin, sans avoircompris mais afflig pour le peintre qui, manifestement, cherchait vider lasensualit de son contenu affectif (p. 20). Dans ce livre dune rudition hel-lnistique encore suprieure celle de Femme et mythe, Georges Devereuxretrace les quivalents du mythe de Baubo autour du monde : chez lesAztques : Tlaelquani (p. 43) ; Hathor en gypte (p. 55-56) ; la Gorgone chezles trusques (p. 58) et des versions japonaises passionnantes (p. 62-63).

    Remarquons que Devereux avait dj abord le thme de lexhibition dela vulve dans Femme et mythe au sujet de lAigis, le bouclier velu et en formede vulve des guerriers athniens : Plus rvlateur encore est le fait que lAi-gis inspire la terreur. Il en est de mme du pubis fminin, surtout dans le casdes homosexuels. La capacit du sexe de la femme dinspirer la terreur estbien connue des cliniciens. On sait que dans de nombreuses cultures lexhibi-tion de la vulve un homme est un geste mprisant, qui souvent met en ques-tion sa virilit et son courage. Mais je note que lorsquun nouveau taureauApis remplaait son prdcesseur, les femmes dgypte devaient lever leursjupes devant lui, exhibant leur sexe (Femme et mythe, p. 150).

    Dans la deuxime partie, Devereux interprte le mythe dorigine et sesvariantes en sappuyant sur les associations de patients en analyse ou sur sespropres associations : il fait ainsi un aller et retour continuel entre fantasmeset mythe. Il note que lexhibition est rarissime chez la femme, contrairement lhomme ; il sinterroge ensuite sur la laideur des reprsentations de Baubo : La laideur et lobscnit mme de ces figurines permettaient une identifica-tion sexuelle, car pour ces femmes, interviewes il y a cinquante ans, la sexua-lit tait assurment excitante parce que dgotante (p. 89). Devereuxtermine cette partie en notant les liens entre deuil et disponibilit sexuelle, dumoins inconsciemment, liens mme dexpliquer leffet thrapeutique surDmter de lexcitation sexuelle provoque par Baubo. Enfin, Devereuxposera, dans sa troisime partie, les tapes et les moyens par lesquels lavulve peut acqurir un caractre phallique et le phallos le caractre dunevulve (p. 117). Cest, mon sens, le passage le plus passionnant du livre. Parson exhibition mme alors que cest le phallus qui est normalement exhib, dit-il la vulve acquiert le caractre phallique do dcoule pour lui la rciprocit du vagin et de la verge (p. 130). La vulve phallicise devientalors objet de fiert : Dans certaines parties de lOcanie, les femmes sen-orgueillissent mme de labondance de la convexit et de la protubrance des parties extrieures de la vulve. Ainsi, lorsquune femme se querelle avecune autre, chacune exhibe sa vulve et demande un passant (mle) de dciderlaquelle des deux a des parties sexuelles plus copieuses (convexes) 27.

    Il traite ensuite de lenvie du vagin chez lhomme : la subincision dupnis dcrite par Rheim chez les Aborignes, la vaginalisation de son pnisfantasme par Schreber, telle que Freud la rapporte. Et il termine par desrajouts de dernire minute au sujet des mythes Chinook, sur lesquels vient depublier Claude Lvi-Strauss, en se demandant si de nombreuses variantes desmythes ne seraient pas simplement des doubles noncs .

    En rsum on peut conclure avec Devereux que lexhibition de la vulvedonne ce geste un caractre phallique alors mme que la vulve, en tant quor-

    27. G. Devereux, The signi-ficance of the external femalegenitalia and of femaleorgasm for the male , Jour-nal of the American Psychoa-nalytic Association, vol. VI,n 2, 1958, p. 278-286.

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  • 28. G. Devereux, Thefemale castration complexand its repercussions inmodesty, appearence andcourtship etiquette , Ameri-can Imago, vol. 17, n 1,1960, p. 1-19.

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    gane na pas normalement une telle connotation et que dans son Baubo, ilfait entre autres, une analyse du fantasme de la transformation de la vulve enverge et rciproquement ; et nous voyons l comment il persiste dans laf-firmation de cette ncessaire interaction des deux sexes dans leur diffrence,que je relevais au nombre de ses thses.

    Guy Rosolato conclut, lui, sa longue et pntrante analyse par ces mots : Dmter, desse de la fertilit, tait certes mme de comprendre la trsgrande puissance exerce sur les esprits et les sens simplement par la vision decette fente. Ds lors la prsence dIacchos serait lindex qui dsigne lin-connu, le mystre dEleusis, ce sexe montr de la femme, o le nant soutientla jouissance dans sa prise sur la mort. Dmter rit de se voir rappeler parBaubo ce quelle ne pouvait ignorer, mais que sa tristesse lui faisait oublier.

    Quant moi, jai limpression que Devereux installe, avec son Baubo, unquivalent de la penis awe de Phyllis Greenacre, la rvration du pnis : unesymtrique rvration de la vulve et du vagin qui me semble assez cohrenteavec sa dmarche, la dialectique entre complmentarit et diffrentiation desfemmes et des hommes.

    Voil pour Devereux et les femmes son poque franaise. Mais cest letexte de 1960 sur le complexe de castration fminin dans AmericanImago 28, accessible en France, qui a retenu mon attention, notamment parlvolution de ses ides entre ce texte et le Baubo, qui est loin de les reprendretoutes. Dans cet article de 1960, Georges Devereux justifie dabord lutilisa-tion de matriel non clinique, valable pour clarifier des attitudes . Sa thseest ici que les femmes, comme rsultat du complexe de castration, voient leursorganes gnitaux comme rpugnants et dfectueux ; lune des fonctions desprliminaires sexuels ainsi que du courtisage tant ds lors de les rassurer surce point. Parfois cette image de ces organes gnitaux comme rpugnantsstend aux zones rognes secondaires, et la rassurance apporte parlhomme doit alors concerner ces zones plutt que les organes gnitaux pri-maires. De mme que les homosexuels craignent la vue des organes fminins castrs , les femmes craignent que leur vue ne soit rpulsive et que leshommes naient surmonter une rpulsion initiale pour coter avec elles : cestcette croyance qui, pour Georges Devereux, forme la base de la pudeur fmi-nine. Labsence de pudeur des femmes du Pacifique-Sud possdant de beaux organes gnitaux, et linhibition de celles chez qui ces organes sontrputs tre laids confirment cette ide, de mme que le fait, comme on lavu au sujet de Baubo, que des organes fminins protubrants sont considrscomme des quivalents du pnis dans des rgions o lexhibition de la vulveest courante chez les femmes sestimant bien quipes.

    Que penser de la fminit selon Devereux ?

    Rcemment, jai pris connaissance du livre que vient de publier unefemme analyste franaise qui ma toujours sembl particulirement lucide, Jac-queline Rousseau-Dujardin, Orror di femmina, la peur quinspirent les femmes.Livre crit un peu en raction contre celui de Jean Cournut, Pourquoi leshommes ont peur des femmes, et qui a le mrite bienvenu de faire, sa manire,le point sur la question. Jai constat avec plaisir une certaine convergenceentre son texte et certaines des ides de Devereux. Convergence dans un cer-

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    tain agacement au sujet du mme livre de Luce Irigaray, mais aussi dans unpetit dtail qui, je crois, en dit long sur cette inattendue parent desprit : aussibien Jacqueline Rousseau-Dujardin que Georges Devereux mettent des guille-mets au mot oppos dans lexpression le sexe oppos , la complmenta-rit des sexes se frayant passage chez les deux (et cela alors que, dans lescouples successifs que vcut Devereux, le sexe oppos sest montr souventmme adverse, voire hostile). Pour Rousseau-Dujardin lefficace de la psycha-nalyse rside essentiellement dans son cadre thrapeutique, beaucoup plus quedans ses thories, et cela lui donne la distance ncessaire pour considrer len-semble du vaste paysage psychanalytique en somme comme une ethnologue.

    Des psychanalystes qui lont prcde, elle dit : Malgr leurs mrites,il ma sembl voir dans leurs recherches beaucoup plus defforts pour resser-rer les boulons de la machinerie thorique que pour ouvrir une question qui,semble-t-il, devait tre conserve intacte (p. 8). Remarque qui, dans le casde Devereux, me semble trs vraie et trs fausse la fois. Elle note lattitudedes premires analystes-femmes devant la thorie de Freud (auquel Rousseau-Dujardin rend, dabord, le vibrant hommage quil mrite) et semble samuserdes contorsions auxquelles elles se livrrent pour en supporter les conceptsqui fchent : Certaines psychanalystes eurent bien des contorsions fairepour se conformer cette vue des choses. Helen Deutsch, par exemple, enmettant laccent sur le masochisme fminin. Melanie Klein, la tripire degnie , comme lappelait Lacan, savra plus hardie et sortit, la premire sansdoute, du systme phallique dominant. Ce nest pas quelle rendt moinseffrayante la figure fminine [] Du moins largissait-elle le domaine fmi-nin (p. 95). Labandon pur et simple de pans entiers de cette thorie serait,donne-t-elle penser, dsormais pour elle lordre du jour

    Stant garde droite ct Freud, elle se garde aussi gauche, et Jac-queline Rousseau-Dujardin critique tout autant certains passages quelle citedu livre de Luce Irigaray : Ce sexe qui nen est pas un, sur l autoaffection du sexe des femmes fait de deux lvres qui sembrassent continment []si la femme jouit justement de cette incompltude de forme de son sexe quifait quil se retouche indfiniment lui-mme, cette jouissance est dnie parune civilisation qui privilgie le phallomorphisme . Et elle avance ses propresides, selon lesquelles le sexe de la femme en est un bel et bien Et il en estun, ce sexe, sur un mode qui me semble extrmement proche des ides quedveloppe Georges Devereux dans son Baubo, et de sa problmatique fonda-mentale de linteraction des deux sexes hrite de Weston La Barre : Ma foi,il ne me semble pas que le sexe des femmes se contente de cette re-toucheindfinie. Cela, vrai dire, meffraierait plutt. Oui, de cette femme-l, si elleexistait, jaurais peur. Mais non : les phnomnes qui laffectent lorsque ledsir survient, en mme temps quils confirment lexistence de ce sexe quonne peut certes pas annuler en raison de sa non-visibilit lclairent assez faci-lement sur son attirance pour le sexe oppos [] Cest refuser, nier, renierles dlices de la rencontre, le plaisir de la pntration souhaite, comblantepour un moment, le bonheur davoir en soi ce sexe (fminin) qui en est un, quien hberge un autre, qui permet cela. Quel plaisir quil donne accs ce plai-sir ! (Et, du reste, quelle raison alors de souhaiter en avoir un autre 29 ? Lathorie de la castration, sinterroge-t-elle, provenait-elle de la terreur quinspi-rait Freud le sexe de la femme ?

    29. J. Rousseau-Dujardin,Orror di femmina, la peurquinspirent les femmes,2006.

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  • 30. De langoisse lamthode dans les sciences ducomportement, p. 250.

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    Mis part ce court passage anatomique qui prte se moquer delle,Jacqueline Rousseau-Dujardin consacre la page suivante de son livre direson admiration pour les autres aspects de la pense philosophique et historiquede Luce Irigaray. Dont nous ne doutons pas. Mais pour ce qui nous importe ici,le plaisir sexuel que la femme tire de la constitution anatomique de son sexedment, pour Jacqueline Rousseau-Dujardin se basant sur sa clinique, lidedIrigaray : ce sexe en est bel et bien un. Au passage, dmonstration est faiteune nouvelle fois de la fondation du psychosexuel sur lanatomisme , arti-culation thorique qui na jamais pos problme ni Freud ni Georges Deve-reux ni Franoise Dolto, pseudo-lacanienne qui serait surprise, elle aussi,de se retrouver ici grce son simple bon sens. Concernant les femmes, le lieuo se tient Georges Devereux est celui du refus dune altrit radicale, dunetotale opposition entre les sexes, une altrit dont Freud, aussi libratrice de lasexualit fminine quait t sa rvolution psychanalytique, reste, lui, encoredangereusement proche avec sa perplexit devant le continent noir de lafemme . Chez Georges Devereux, nul mystre fminin, femmes et hommessont bien des tres humains. Ils sont mme tellement proches que dans le pro-cessus dhominisation lors de notre prhistoire, un dimorphisme anatomiquetrs prononc entre les deux sexes, compar celui rgnant chez les animaux,a d intervenir pour y introduire un peu plus daltrit et en souligner les dif-frences, visuellement et psychologiquement.

    Son ami Weston La Barre lavait crit dans son livre The Human Animal,dans les annes 1950 : dans ce texte, La Barre fait lhypothse dune mill-naire interdomestication entre hommes et femmes, qui nous a mancip delanimalit et dont rsultent les formes actuelles, autant familiales, parentaleset sociales que psychologiques et mme corporelles, des deux sexes. Hypo-thse souvent reprise dans les women studies des annes 1980 et 1990 sans enciter lauteur Une complmentarit dialectique entre les sexes, qui a inspir Georges Devereux, dans De langoisse la mthode, son chapitre XV sur le modle sexuel de soi , o il dira : Bien que quelque peu fministe, jene connais aucune discussion plus imaginative et cependant plus modre etplus pondre des implications sociopsychologiques du dimorphisme sexuelde lhomme que celle de La Barre (1954) 30.

    Je verse galement au dossier de labsence de relle misogynie deGeorges Devereux le passage suivant de cette mme page : Du reste, unebonne partie du dimorphisme sexuel accus chez les humains est due lafminit vidente de la femme. Elle est sexuellement toujours rceptive et ades seins permanents. Lhomme nest pas manifestement plus viril que lta-lon ; la femme est manifestement plus fminine que la jument, quoique para-doxalement, lenvie du pnis chez la femme soit plus forte que lenvie du seinchez lhomme.

    Cette volont constante de souligner linteraction ncessaire des deuxsexes passe chez Georges Devereux dabord par le constat dune difficultpsychique : accepter la sexualit, et dabord reconnatre pleinement lexis-tence des deux sexes. Do sa lutte contre la tendance lunisexe , la nga-tion de lidentit des femmes et des hommes, dont il craint quelle nedbouche sur la destruction du mouvement perptuel de la culture : Jaiaffirm, il y a vingt-cinq ans, que la bonne socit est celle qui sait profiter sur-tout de ce en quoi un individu diffre de ses semblables ; cest dans de telles

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    socits que les gnies foisonnent. Ce sont aussi de telles socits qui saventtirer profit de la fminit des femmes et de la masculinit des hommes etmme de la polyvalence sexuelle naturelle de ladolescence, dont la socitathnienne sut profiter non pas principalement travers son ct pseudo-homosexuel, mais travers la valorisation de loriginalit vibrante de lado-lescence en tant que stade naturel de la vie et de la maturation (Femme etmythe, p. 10). Do galement, une dnonciation en rgle du matriarcat, dontla virulence me semble rsonner des chos de la voix terrible de sa propremre : Si le matriarcat conduit inexorablement la destruction des hommes,et donc aussi la misre des femmes, le patriarcat et lui seul garantit lalibert de la femme car il la sait insparable de celle des hommes et donc decelle de la race humaine 31. Dans sa conception toute simple, il me semblequil a trs tt propos lide, maintenant banale, quil ne peut y avoir desexualit fminine ni dailleurs masculine : il ny a que la sexualit humaine.

    Depuis toujours Georges Devereux a vou les fministes aux gmonies les Amricaines notamment et je me souviens de lexpression dhorreuravec laquelle il parlait du SCUM new-yorkais des annes 1970, la Society forCutting Up Men 32. Sil aimait la provocation et avait un trs grand sens delhumour, les provocations des autres pouvaient le laisser stupfait. Les fmi-nistes franaises de lpoque ne lont pas moins effray : quand elles ntaientpas marxisantes, elles taient lacaniennes, voire les deux, ce qui pour lui taitle diable en personne ! Est-ce un signe de mauvaise conscience leur gard,malgr tout, si dans son Baubo, qui se prsente comme un ouvrage de fin devie plus lger et joyeux, Georges Devereux semble demander pardon auxfemmes pour le phallocentrisme freudien auquel il adhra trop longtemps, etentend rhabiliter la vulve et le vagin 33 , attaquant au passage les travauxsimplistes de Masters et Johnson. Si dans Baubo, il traite les fministes delpoque doutrancires et de phallocrates, je pense que l, en plus de son com-bat contre lunisexe, il visait les lacaniennes : il trouvait paradoxal quellesadhrent au primat lacanien du signifiant du phallus. En particulier les critsde Luce Irigaray lont passablement irrit lpoque, et je souponne que leBaubo que, dit-il, il ruminait depuis une cinquantaine dannes a t publisur un mode un peu htif, comme en tmoigne son relatif inachvement, enraction au mme livre dIrigaray, Ce sexe qui nen est pas un, auquel senprend Rousseau-Dujardin. Connaissant le bonhomme, il parat assez probableque son Baubo rponde aussi, et magistralement, aux ridicules cachotteriesperverses de Lacan avec Lorigine du monde de Courbet, possession quil nemontrait qu des visiteurs choisis.

    Georges Devereux volua-t-il la fin de sa vie vers un abandon, du moinspartiel, de la thorie de la castration ? La publication prcipite du Baubo rap-pelle un Ferenczi (dont il approuvait tous les textes sauf le Thalassa, un peudlirant ) qui renie limportance de la castration dans sa lettre Freud du22 mai 1932, lettre qui vaut rupture : Cela vous intressera de savoir que devifs dbats ont lieu dans notre groupe sur le complexe fminin de castration etdenvie du pnis. Jai d admettre que ceux-ci ne jouaient pas, dans ma pra-tique, le rle important quon aurait pu, thoriquement, prsumer. Quelles sontvos expriences 34 ? (Ferenczi mourra un an jour pour jour aprs cette lettre).Le Baubo de Devereux paru en 1983 semble, aprs coup, annoncer lvolutionactuelle des femmes occidentales vers la revendication de la beaut de leur

    31. Femme et mythe, p. 276.32. Littralement, socitpour castrer les hommes .33. Baubo. La vulve mythique,p. 13.34. Lettre cite par E. Bra-bant, Le Coq-Hron, n 174,Toulouse, rs, 2003, p. 112.

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  • 35. S. Freud (1904-1932),GW Bd 5, note p. 55 ; GWBd 8, p. 90 ; et GW Bd 14,p. 442.36. De langoisse lamthode dans les sciences ducomportement, p. 156.37. Journal Libration,30 mai 2007, p. 16. 38. Auguste Rodin, dessins etaquarelles, d. Hazan, Paris,2006.

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    vulve. Freud, bien que le sexuel soit central dans sa conception de lhomme,crira plusieurs reprises tout au long de sa vie que [] les organes gni-taux ne sont pas ressentis comme beaux par eux-mmes , (ils) nont pasaccompagn lvolution des formes corporelles humaines vers la beaut, ilssont rests daspect animal, de mme que lamour au fond est rest bestialencore de nos jours ; et encore qu il est remarquable que les organes gni-taux eux-mmes, dont la vue a toujours un effet dexcitation, ne sont pas jugscomme beaux, mais que le caractre de la beaut semble sattacher cer-tains caractres sexuels secondaires 35

    Les temps changent, et le Baubo de Georges Devereux aura t proph-tique dun dbut dabandon de llment essentiel du complexe de castra-tion que constitue labomination de la vue de la vulve . Si nous associonsaux thses du Baubo ce que Georges Devereux nous dit de ldipe induit parles parents (dans lun de ses meilleurs articles dj cit, Les pulsions canni-baliques des parents ), nous dbouchons sur la perspective dun complexe decastration induit chez lenfant par les modalits selon lesquelles les adultesvivent leur sexualit. Devereux naurait sans doute pas manqu, aujourdhui,dainsi rapprocher les thses du Baubo de celles quil avait poses trente ansplus tt dans Les pulsions cannibaliques : il aurait alors pu attribuer, dansun mouvement comparable celui de Ferenczi dans La confusion deslangues , lensemble du complexe de castration linduction chez len-fant, par les parents occidentaux du XIXe et du XXe sicle, des reprsentationset fantasmes soutenant leurs pratiques sexuelles. Qui nont pas lieu dans lasimplicit naturelle mohave ou mme dans la compulsion reichienne desLepcha 36, mais comme modle dinconduite la Linton : lOccidentaldnie le sexuel, mais quand il sy abandonne, cest dans un cach-montr-ouprtant toutes les scnes primitives et une fantasmatique horrifianteconfirme dans laprs-coup, notamment par labomination de la vue de lavulve . Georges Devereux avait matire, aprs Baubo et partir de lanthro-pologie moderne, une remise en cause tout au moins de cet lment visueldu complexe de castration. En effet, les femmes de la zone Pacifique-Sud,aussi bien que des petites filles actuelles, sont fires de montrer leur sexe. Demme, la vaginoplastie , autrefois trs marginale, devient la mode ; selonle British Medical Journal, les chirurgiens esthtiques sont assaillis dedemandes en ce sens : rendre belle voir la vulve des femmes 37. Si Rodin,vers 1901 avait cach ses dessins et aquarelles montrant des femmes nues dansdes attitudes naturelles, leur vulve bien visible, loin des poses pudibondes desmodles de lpoque 38, de nos jours, cent ans plus tard, des milliers de sitespornographiques sur internet contiennent des images et des vidos de cesAphrodites de notre poque, les porno-stars, parfois visiblement fires daffi-cher un charmant sourire, aussi bien sur leur visage que, plus bas, le fameux sourire vertical revendiqu par certaines fministes il y a trente ans. La beaut selon Freud semblerait donc en voie de rintgrer les organesgnitaux primaires . Et dans une socit qui abandonne la honte lie la vuedes organes primaires , voluant mme vers la revendication de leur beaut fonctionnelle au mme titre que les autres parties du corps, la cas-tration perdra une part notable de sa force fantasmatique, et avec elle lenviedu pnis : ce sexe est donc, dans notre culture, en train den devenir un.Helen Fisher, la bien connue ex-fministe devenue une clbre spcialiste

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    amricaine de lanthropologie sexuelle, voit dans lavenir des relationshommes-femmes, quelque chose de plus juste qui semble se remettre enplace, comme au nolithique (tlvision). Helen Fisher a publi en 1999 Lepremier sexe, livre recensant toutes les supriorits des femmes et annonantleur monte en puissance dans la socit venir, rvolutionne par lgalitrelle entre femmes et hommes 39 Cependant, pour Jacqueline Rousseau-Dujardin, ici plus darwinienne que freudienne, la faiblesse physique desfemmes devant la force des hommes, constitue la vritable diffrence sexuelle,celle de la force physique quils ont et quelles nont pas . Mais qui sait ceque nous rserve la suite du processus dhominisation ?

    Conclusion

    Tout ceci nous montre un Georges Devereux dont les ides, du moinsdans le domaine de la psychosexualit humaine, sont moins dpasses quellesnen ont eu lair de nos jours, notamment la liquidation du toujours vivace l-ment visuel de langoisse et du complexe de castration, labomination de lavue de la vulve . Il me semble quil a t le seul, ou presque, mettre cettepetite rvolution notre ordre du jour pour les temps qui viennent. Il a lutt,quoique sourdement, contre le phallocentrisme de Freud. Devereux me paratdsormais presque fministe si on le compare la mode actuelle de lvolu-tionnisme biologique lamricaine, du renouveau darwinien de la slec-tion sexuelle et de thories aussi inhumainement dpourvues daffect quecelles de la sperm competition. Du coup, la misogynie de Georges Devereuxparat avec le recul, par ces temps de crypto-machisme scientifique, aussi inof-fensive que celle dun Sacha Guitry dclarant : Je suis contre les femmes,tout contre. Lloge de lamour par son ethnie dadoption, les Mohave, etleur reconnaissance du droit des femmes au plaisir sexuel est fort peu miso-gyne et suffirait lui seul, mon sens, le laver de tout soupon de misogy-nie. Il tenait dailleurs tellement cette citation quil la rpte dans plusieursde ses livres 40 :

    Les Mohave nous disent que lors du cot, le corps de lun fait lamouravec le corps de lautre, et lme de lun avec lme de lautre , et : Onreconnat toujours ceux qui ont fait lamour la nuit prcdente leur maintienfier et leurs yeux tincelants.

    RsumDevereux dveloppe sur la sexualit fminine des thses qui attaquent implicitementles notions orthodoxes. Il insiste sur la lutte vitale contre lunisexe et pour une gni-talit adulte. Il relativise lhorreur du sexe fminin en Occident par une visite des eth-nies o la vulve se voit confrer le caractre de la beaut ; il attaque lenvie dupnis en dmontrant la rciprocit du vagin et de la verge . Il aura ainsi anticiplabandon de llment essentiel du complexe de castration que constitue labo-mination de la vue de la vulve , la beaut de nos jours semblant rintgrer les organes gnitaux primaires .

    Mots clsSexualit fminine, complexe de castration, envie du pnis, Baubo, unisexe, abomi-nation de la vue de la vulve , penis awe , rciprocit.

    39. H. Fisher, The First Sex,The Natural Talents ofWomen and How They AreChanging the World, 1999.40. Cf. par exemple Essaisdethnopsychiatrie gnrale,p. 199 ; et De langoisse lamthode dans les sciences ducomportement, p. 176.

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