Deux entrepreneurs militaires au XIVe siècle : Bertrand du ... · Sur du Guesclin, voir Paul Hay...

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Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public Deux entrepreneurs militaires au XIVe siècle : Bertrand du Guesclin et Sir Hugh Calveley Monsieur Kenneth Fowler Citer ce document / Cite this document : Fowler Kenneth. Deux entrepreneurs militaires au XIVe siècle : Bertrand du Guesclin et Sir Hugh Calveley. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 18congrès, Montpellier, 1987. Le combattant au Moyen Age. pp. 243-256. doi : 10.3406/shmes.1987.1495 http://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1991_act_18_1_1495 Document généré le 29/09/2015

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Actes des congrès de la Sociétédes historiens médiévistes de

l'enseignement supérieur public

Deux entrepreneurs militaires au XIVe siècle : Bertrand du Guesclinet Sir Hugh CalveleyMonsieur Kenneth Fowler

Citer ce document / Cite this document :

Fowler Kenneth. Deux entrepreneurs militaires au XIVe siècle : Bertrand du Guesclin et Sir Hugh Calveley. In: Actes des

congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 18ᵉ congrès, Montpellier, 1987. Le

combattant au Moyen Age. pp. 243-256.

doi : 10.3406/shmes.1987.1495

http://www.persee.fr/doc/shmes_1261-9078_1991_act_18_1_1495

Document généré le 29/09/2015

Deux entrepreneurs militaires au XIVe siècle Bertrand du Guesclin et Sir Hugh Calveley

par Kenneth Fowler - Université d'Edimbourg

Dans cette communication, je n'aborderai pas les grandes lignes de la question. Nous avons en effet toute une littérature sur l'organisation, la composition sociale et le fonctionnement des armées des rois de France et d'Angleterre à la fin du Moyen Age. Je me contenterai d'exploiter une petite documentation, très riche d'ailleurs, tirée d'un procès enregistré dans les registres de la chancellerie des rois d'Aragon et qui se trouve aux Archives de la couronne d'Aragon à Barcelone.

Les relations entre les deux hommes dont je vais parler, posent bien des questions plus générales sur l'apprentissage militaire, spécialement pour les gens de guerre qui se sont battus en Bretagne durant les années quarante et cinquante du quatorzième siècle ; sur les relations entre combattants de pays et d'allégeance différents ; sur les rapports entre les combattants et les pouvoirs publics - les liens de fidélité aux seigneurs féodaux et aux rois ; sur la motivation des mercenaires - les éléments matériels, chevaleresques et religieux ; sur les ambitions des entrepreneurs militaires qui ont opéré en France et en Espagne, ambitions qui étaient presque aussi grandes que celles des condottieri en Italie à la même époque bien que la structure politique, entre la France et l'Italie, ait été tout à fait différente.

Je mettrai en lumière quelques épisodes de la vie de deux hommes de standing et de fortune apparemment inégaux. Bertrand du Guesclin (vers 1320-1380) a obtenu un renom immortel comme le capitaine le plus fameux de Charles V et, bien qu'il fût de souche assez modeste, il est devenu connétable de France. En contraste, son contemporain Sir Hugh Calveley (vers 1320-1393) n'était qu'un homme parmi un groupe d'hommes d'armes notables d'Edouard III, employé de temps en temps dans la diplomatie, mais ses emplois les plus élevés avant sa retraite du service actif en 1385 furent les commandements de Calais (1375-1378) et de Brest (1378-1381, avec Sir Thomas Percy), et la garde des Iles anglo-normandes (1375-1393), qu'il a largement déléguée. Une mesure de l'estime comparative dans laquelle ils étaient regardés par leurs contemporains est indiquée par leur réputation pendant leur vie et par les endroits où ils sont enterrés : le connétable dans l'abbaye de Saint-Denis ; Sir Hugh dans le collège qu'il a fondé dans l'église de Bunbury dans le comté de Cheshire, où il est né. L'estime pour ces deux hommes n'a pas beaucoup changé dans les siècles qui suivirent leur mort. Tandis que, depuis le dix-septième siècle, du Guesclin a été le sujet de plusieurs biographies

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complètes, il n'y a qu'un seul article et quelques notices sur Calveley.1 On peut bien comprendre cette situation, et je n'ai aucun désir de la changer. Ce que je veux dire, c'est que jusqu'au moment de l'élévation de Bertrand à l'office de connétable en 1370, les carrières des deux hommes avaient beaucoup de choses en commun. En particulier ce fut le cas pendant les années qui suivirent la paix de Brétigny en 1360, et encore plus après l'intervention de la France dans la guerre de succession de CastHle en 1366, quand, pendant quelque temps, ils ont lutté l'un à côté de l'autre comme compagnons d'armes.

Les deux hommes ont fait leur apprentissage militaire dans les années quarante et cinquante, dans la guerre de succession de Bretagne, du Guesclin dans le camp de Charles de Blois et Calveley parmi les partisans de Jean de Montfort. Calveley, et un autre homme d'armes du Cheshire, Sir Robert Knowles, ont servi avec leur compatriote Sir Thomas Dagvvorth au siège de La Roche-Derrien en 1346, une rencontre dans laquelle Charles de Blois a été fait prisonnier. Ils furent plus tard parmi les « Anglais » qui se sont battus dans la fameuse bataille des Trente en 1351.2 Devenu un des capitaines de Bécherel, trois ans plus tard Calveley fut fait prisonnier lui-même par un gentilhomme picard, Enguerrand d'Heudin, dans une escarmouche devant les murs de Montmuran.3 Du Guesclin était dans l'armée française sous Arnoul d'Audrehem, et fut armé chevalier dans cette rencontre.4 Mis en liberté peu de temps après, en 1356 Calveley prit le commandement des archers du Cheshire dans la première bataille de l'armée du Prince Noir à Poitiers,5 pendant que la réputation de du Guesclin s'accroissait, assez brusquement, à la suite de ses exploits en 1356-1357, lors du siège de Rennes. Capturé par deux fois - par Robin de Adés, l'un des Trente, de la compagnie de Knowles, au pas d'Evran en 1359, et par Calveley lui-même sur le pont de Juigné-sur-Sarthe l'année suivante' - il demeura en faveur, et reçut des offices, rentes et terres du dauphin Charles et du frère du roi, Philippe, duc d'Orléans. En 1363, il était capitaine souverain pour le dauphin, duc de Normandie, dans les bailliages de Caen et de Cotentin, et lieutenant du duc d'Orléans pour toute la région comprise entre la Seine et la Loire. Victorieux de l'armée de Charles de Navarre à Cocherel (16-5-64), quelques mois plus tard c'est Calveley, dans l'armée de Jean de Montfort, qui emporta la journée à Auray (29-9-64), et qui reçut l'année suivante, pour ses services envers le nouveau duc, une grosse somme et une rente annuelle.7

1. Sur du Guesclin, voir Paul Hay du Châtelct, Histoire de Bertrand du Guesclin, connestable de France (Paris, 1666) ; G. de Berville, Histoire de Bertrand du Guesclin, comte de Longeville, connétable de France (2 >ols., Paris, 1772) ; et S. Luce, Histoire de Bertrand du Guesclin et de son époque (Paris, 1876). En plus, il faut consulter la biographie de B.A. Pocquet de Haut-Jussé dans le Dictionnaire de biographie française (1967) et P. Contamine, 'Bertrand du Guesclin, la gloire usurpée ?', dans L'Histoire, no. 20 (février 1980). En ce qui concerne Calveley, voir J.C.Bridge, 'Two Cheshire Soldiers of Fortune of the XlVth Century : Sir Hugh Calveley and Sir Robert Knowles', Journal of the Architectural and Historic Society for the County and City of Chester and North Wales, new series, XIV (1908), pp. 112-165, qui indique les notices d'Ormerod, Fuller et Lysons. La biographie par W.E.A. Axon dans le Dictionary of National Biography n'a pas grande valeur. 2. Luce, op. cit, pp. 51-53 ; 'La bataille des Trente', éd. H.E. Brush, Modem Philology, X (1912), p. 15. 3. Chronique normande du XIV siècle, éd. A. Molinicr (S.H.F., Paris, 1882), pp. 297-298 : Brush, op. cit., p. 15. 4. Luce, op. cit., pp. 124-127. 5. Chronique des quatre premiers Valois, éd. S. Luce (S.H.F., Paris, 1862), p. 49 ; voir R. Dclachenal, Histoire de Charles V(5 vols., Paris, 1909-1931), 1. 1, p. 234, n. 3. 6. Luce, op. cit., pp. 312-313, 349-353. Il a payé sa rançon de 30,000 écus à Calveley avant le 18 octobre 1361. Le roi Jean II a consenti à contribuer pour 6 000 rojaux. 7. Par une lettre datée de Vannes, le 1" novembre 1365, Calveley a renoncé à tous les dons de terres et de rentes faits par Jean de Montfort, moyennant une grosse somme de 11 000 écus d'or du roi Jean, et une rente annuelle de 1 500 livres (B.N., nouv. acq. franc., 5216, no. 2).

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Du Guesclin, par contraste, fait prisonnier pour la troisième fois, par Sir John Chandos, regagna sa liberté seulement après avoir payé une forte rançon.8

Les deux chevaliers avaient donc une longue expérience de la guerre, et évidemment se connaissaient lorsque, en 1365, du Guesclin fut chargé par Charles V de conduire en Espagne les redoutables bandes de routiers qui, sous le nom de compagnies, exerçaient presque impunément leurs ravages, en marge des pouvoirs établis. En 1365 la situation était devenue plus sérieuse par le cassement des gens de guerre qui suivit la fin de la guerre de succession de Bretagne et l'accord, toujours fragile, entre le roi de France et Charles de Navarre. Chargé d'évacuer la Normandie, la Bretagne, le pays chartrain et les Basses-Marches des compagnies libérées par les accords qui suivirent les batailles de Cocherel et d'Auray,9 trois autres hommes d'armes furent associés à du Guesclin. Le premier, et le plus important, était Calveley, à cause de sa connaissance des Anglais cantonnés en Bretagne. Le second était un chevalier du Hainaut, Eustache d'Auberchicourt, qui avait servi avec le roi de Navarre et avait pris un ascendant sur les gens d'armes qui s'étaient battus sous sa bannière et en son nom.10 Le troisième était Gourderon de Raymont, seigneur d'Aubeterre, qui avait guerroyé en Bretagne avant d'opérer pour son propre compte en Normandie après Auray." Il semble qu'il avait sous-traité avec du Guesclin afin de recruter quelques compagnies gasconnes, et certainement avait-il réglé ses comptes séparément avec Bertrand, en France et en Espagne." Le 8 mai, le pape Urbain V recommandait du Guesclin, qui se rendait en Aquitaine auprès du Prince Noir, au captai de Buch (ancien serviteur de Charles de Navarre, qui avait pris le commandement de son armée à Cocherel), et à John Chandos, connétable d'Aquitaine, avec la requête qu'ils soutiendraient l'entreprise, mais sans rien dire du véritable objet ou de la destination de l'expédition.13 Du Guesclin avait le commandement général des compagnies. Selon la chronique romane de Montpellier, il fut capitani major de totas las compan- has de Frances, d'Engles, d'Alamans, de Bretos, de Gascos et de motz autres." Calveley, selon le consul boursier de Millau, fut commandant en second, capitanis dels Englezes, loscals anavon en la companhia de mossenhen Bertrand de Chaquinh per anar en Castilla, loscals ii senhiors dessus nommais eron capitanis de totas las companhias, loscals anavon encontra lo rei de Castilla e d'aqui en Granada, segon que dizia.™

Il faut noter la référence à Grenade, parce que l'expédition faisait seulement partie d'un plan global conclu entre le pape, Charles V, et l'empereur Charles IV16. Du Guesclin devait mener les compagnies en Espagne pour soutenir Henri de Trastamare, allié avec

8. Il fut libéré le 30 septembre 1365, on ignore à quel prix. Chandos reçut en acompte 40 000 florins, que lui \ersa Charles V. Le roi les prêta à du Guesclin qui lui livra en gage le comté de Longueville (Pocquet du Haut* Jussé, op. cit., col. 1519 ; cf. de Berville, op. cit., t. II, p. 529). 9. A.N., J 381, no. 5, publié dans J. Cuvelicr, Chronique de Bertrand du Guesclin, éd. E. Charrière (2 vols., D.I., Paris, 1839), t. II, p. 393, no. V ; cf. Delachenal, op. cit., t. III, pp. 283 et n. 2, 287. 10. Delachenal, op. cit., t. III, pp. 286-287. Pour le service d'Auberchicourt auprès du roi de Navarre, voir Catàlogo delarchivo general de Navarra, seccion de comptos : documentos, t. V et VI, éd. J.R. Castro (Pamplona, 1953-1954), passim. 11. Delachenal, op. cit., t. III, p. 288. 12. Ibid., p. 288, n. 1-3, et voir la documentation dans A. Molinier, Étude sur la vie d'Arnoul d'Audrehem, maréchal de France, 1302-1370 (Paris, 1883), pp. 318-328, pièces justificatives, nos. XCIII à XCVI. 13. M. Prou, Étude sur les relations politiques du pape Urbain V avec les rois de France Jean II et Charles V, 1362-1370 (Paris, 1888), p. 128, no. LUI ; cf. Delachenal, op. cit., t. III, p. 223, n. 2. 14. Thalamus parvus. Le Petit Thalamus de Montpellier (Société archéologique de Montpellier ; Montpellier, 1840), p. 369. 15. Documents sur la ville de Millau, éd. J. Artièrcs (Archives historiques du Rouergue, t. VII ; Millau, 1930), p. 146, no. 293. 16. Delachenal, op. cit., t. III, pp. 222 sq.

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Pierre IV d'Aragon, contre son demi-frère Pierre de Castille avant de continuer, peut-être, contre les Maures de Grenade. La campagne devait être financée par Charles V, le pape et le roi d'Aragon, et chacun devait contribuer pour 100 000 florins aux frais de l'expédition. D'ailleurs, les années 1365-1366 ont vu un renouvellement de l'idée de la croisade, que peut-être Urbain au moins avait prise au sérieux." Un autre entrepreneur militaire, Arnaud de Cervole, mieux connu comme l'Archiprêtre, avait été chargé de conduire à travers l'Empire et la Hongrie, pour combattre les Turcs dans les Balkans, les compagnies cantonnées dans l'Est de la France, notamment sur les frontières de la Bourgogne, dans le duché et le comté de Bourgogne même, et dans la vallée du Rhône.18 Cette dernière expédition avait échoué dans son dessein de débarrasser l'Est de la France et le Comtat Venaissin des compagnies ; mais l'idée fut ressuscitée avec le plan de cet athleta Christi, Amédée VI de Savoie, plan qui consistait à les recruter dans sa croisade personnelle.19

Les compagnies les plus importantes qui servaient sous du Guesclin en Espagne, et qui étaient dans son contingent personnel, étaient les Bretons et d'autres qui l'avaient servi dans son ancien commandement entre Seine et Loire, et sur lesquelles il avait pris un ascendant.20 Parmi les capitaines on note les noms de Yvon Budes, Auffroy de Guébriant, Yvon Duant, Thibaud du Pont, Alain de la Houssaye, Jean Kerlouet, Olivier de Mauny et Guillaume Boistel, qui avaient été avec lui depuis sa première campagne en Castille21 ; et ceux de Guillaume de Laval, Alain et Henri de Mauny, Jacques de Penéodic, Maurice de Tréséguidy, Alain de Beaumont, Yvon de Lacoué, Alain Raoulet et peut-être aussi Jean de Saint-Pol, qui étaient dans la seconde.22 Pour sa part, Calveley était accompagné par un fort contingent des Grandes Compagnies, y compris les routes de John Cresswell, Robert Birkhead, Robert Scott, Bernard de la Salle, Arnaud du Solier (mieux connu comme Limousin), et Renaud de Vigneulles.23 Un autre groupe d'Anglais qui était associé avec lui,

17. Sur la croisade pendant ces années, voir A.S. Atiya, The Crusade in the Later Middle Ages (London, 1938), chs. XIV à XVI ; A. Luttrell, 'The Crusade in the Fourteenth Century', Europe in the Late Middle Ages, éd. J. Hale, R. Highfield et B. Smalley (London, 1965), pp. 122-154 ; E.L. Cox, The Green Count of Savoy (Princeton, 1967), pp. 201-239, et, plus récemment, N. Housley, 'The Mercenary Companies, the Papacy and the Crusades, 1356-1378', Traditio, XXXVIII (1982), pp. 273-277. 18. Delachenal, op. cit., t. Ill, pp. 222-223. 19. Cox, op. cit. p. 203 ; Housley, op. cit., p. 277. 20. Delachenal, op. cit., t. Ill, p. 287. 21. Budes, Guébriant, Duant et du Pont étaient en route pour l'Espagne de novembre 1365 jusqu'à jamier 1366 (Thalamus parvus, pp. 369-370). Pour de la Houssaye, Kerlouet, Mauny et Boistel, voir Cuvelier, Chronique, t. 1, pp. 269, 296 et passim. Olivier de Mauny et Boistel ne sont pas partis pour l'Espagne avec du Guesclin à la fin de 1365 ; mais ils s'y sont rencontrés pendant l'été de 1366 (Thalamus parvus, p. 372 ; J. Miret Y Sans, 'Négociations de Pierre IV d'Aragon avec la cour de France, 1366-1367', Revue historique, XIII, 1905, pp. 88-89). Je ne suis pas convaincu de l'identification de Boistel avec Geoffroi Budes d'Uzel, comme a proposé S. Luce dans l'édition de Froissart, Chroniques, éd. S. Luce, G. Raynaud et A. Mirot (15 vols., S.H.F., Paris, 1869-1975-, t. VII, p. xlix,n. 1. 22. Laval, Olivier de Mauny, Penéodic, Tréséguidy, Beaumont, de la Houssaye, Lacoué et les Saint-Pol étaient avec du Guesclin à Toro le 18 novembre 1369 ; mais à cette époque Jean de Saint-Pol était prisonnier du comte de Flandre. Voir Froissart, Œuvres, éd. Kervjn de Lettenhove (25 vols., Bruxelles, 1870-1877), t. XXIII, pp. 79- 81. Yvon de Lacoué et Alain de Saint-Pol, ainsi que Geoffroi Richon, Silvestre Budes et Alyot de Tallay étaient au service de Henri de Trastamare en France pendant l'été de 1367 (Froissart, Chroniques, éd. Luce, t. VII, p. 56). Gabrién, Duant, de la Houssaye, Kerlouet, Olivier et Alain de Mauny, et Silvestre Budes étaient, par la suite, au service de Louis d'Anjou (Dom Cl. Devic et Dom J. Vaissette, Histoire générale de Languedoc, nouv. éd., t. X, Toulouse, 1885, no. 603, col. 1504 ; B.N., Pièces originales, vol. 548, doss.12 354, nos 2-10). Pour Beaumont, de la Houssaye, Tréséguidy et du Pont, voir en plus P. Contamine, Guerre, état et société à la fin du moyen âge (Paris et La Haye, 1972), pp. 563-564, 578-579, 585-586 et 590-591. 23. On peut peut-être ajouter les compagnies des bours Camus, Caupene et Lesparre, d'Elias Machin (dit Le Petit Meschin), de Munde Batailler, Amanieu d'Ortigue, Perrot de Savoie et Bras de Fer. En attendant mon prochain livre sur Medieval Mercenaries : the History of the Great Companies, voir Froissart, Chroniques, éd. Luce, t. VI, pp. lxxxi et Ixxxiii-lxxxiv (mais consulter Delachenal, op. cit., t. Ill, p. 268 et n. 7, 291) ; Cuvelier, op. cit., 1. 1, pp. 261-262 ; Thalamus parvus, pp. 369-370; Lôpez de Ayala, Crbnica del rey don Pedro, éd. C. Rossell (2 vols., Biblioteca de autorcs cspanoles, Madrid, 1953), 1. 1, p. 538.

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comprenait Matthew Gournay, Walter Huet, John Devereux, William Ludlow, William Butler, Norman Swinford, Robin de Adés et, peut-être pour maintenir une liaison avec le Prince Noir, Stephen de Cosington.24

Il n'est pas nécessaire de suivre du Guesclin à travers la France jusqu'à Avignon pour demander de l'argent au pape, et de là, en passant par Montpellier, jusqu'à Barcelone, où il arriva avec la plupart des compagnies avant Noël, même si son itinéraire l'avait mené par Saint-FIour et Millau, et non pas par la vallée du Rhône comme on a supposé jusqu'à maintenant.25 Les alliés assemblèrent leur armée, aux environs de 10 000 à 12 000 combattants, sous le commandement de du Guesclin, à Saragosse au milieu de février 1366.26 Peut-être une moitié, jusqu'à vingt-cinq routes, était composée des gens des compagnies, desquels sept routes (autour de 800 combattants) étaient sous le commandement personnel de Calveley.27 Et c'est à Saragosse, le 16 février, avant le commencement de la campagne contre Pierre de Castille, que Bertrand et Sir Hugh conclurent un contrat, dans la forme diplomatique anglaise d'une endenture de guerre, contrat par lequel ils se constituèrent ensemble en compagnie ifecerunt societatem, contraxerunt et inhierunt ac Jîrma- runt convinenciam inter eos ), pour la campagne en Castille et Grenade.28 Tout le butin retiré de cette guerre, y compris toutes donations et conquêtes, devait être réparti en quatre parts, du Guesclin s'en réservant trois, et une seule étant attribuée à Calveley. Dans ce partage étaient inclus, sans aucune contestation, les dons que Pierre IV d'Aragon avait fait à du Guesclin le 9 janvier, notamment les châteaux et villes de Borja et de Magallon, situés sur la frontière entre l'Aragon et la Castille, près de Saragosse, et les vallées d'Elda et de Novelda dans le royaume de Valence. En cas de conquête du royaume maure de Grenade, déjà promis à du Guesclin par Henri de Trastamare, du Guesclin se l'adjugerait dans sa totalité pro indiviso, à l'exception des villes et places fortes du roi maure de Bellemarine sur le côté nord du détroit de Gibraltar, qui étaient attribuées à Calveley, ainsi que tous les privilèges et les terres octroyées auparavant à du Guesclin par Henri. Sir Hugh et ses gens devaient être soldés au même taux que les autres gens du même rang dans les routes de du Guesclin. Il était aussi prévu que Calveley pourrait abandonner l'expédition et se mettre alors au service du roi d'Angleterre au cas où le roi ou un de ses fils le lui demanderait, ou si eux ou Sir John Chandos venaient à participer à la guerre contre la Castille ou le royaume de Grenade. D'autre part il était convenu que, quoique Sir Hugh eût fait compagnie avec Sir Matthew Gournay, cela ne devait pas porter préjudice aux engagements faits par du Guesclin dans l'endenture, bien qu'il fût compris que Calveley ne ferait aucune autre compagnie sans l'accord de Bertrand. Finalement, du Guesclin consentait à régler son compte avec Calveley chaque fois que Hugh le demanderait.

Les compagnies de Calveley furent les premières à entrer en campagne par la vallée de l'Ebre, et leur diversion dans la direction de Soria, avant de reprendre la direction du Nord, ne s'explique pas comme une fausse attaque contrairement à ce qu'on a supposé.29

24. Voir (en plus de Froissart, Cuvelier et Ayala, cit. supra.) Catàlogo del archivo general de Navarra, éd. Castro, t. VI, nos. 124, 150-153, 155-156,166-167, 170, 175-176, 223, 239, 401, 938, 987,991, et surtout 263. 25. Delachenal, op. cit., t. III, pp. 290-294. 26. Ayala, Crànica, 1. 1, p. 536. Selon Les Grandes Chroniques (éd. Paulin Paris, 6 vols., Paris, 1836-1838), t. VI, p. 239 et éd. R. Delachenal, 4 vols., S.H.F., Paris, 1910-1920), t. II, p. 15, il y avait 10 000 étrangers dans une armée de 12 000 hommes. 27. Voir Cuvelier, Chronique, t. I, p. 267 ; Ayala, Crànica, t. I, pp. 545-546 et les lettres obligatoires de Du Guesclin, cit. infra., pièces justificatives, nos. II et III. J'examine les preuves dans mon prochain livre. 28. Archivo de la Corona de Aragon (cit. A.C.A.), Cancilleria, reg. 738, fos. 41v-42r. Voir infra., pièces justificatives, no. I. 29. P.E. Russell, The English Intervention in Spain and Portugal in the Time of Edward III and Richard II (Oxford, 1955), p. 46.

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L'intention était de prendre les châteaux et villes de Magallon et de Borja au profit des deux capitaines contractants. C'est à Tolède, le 5 mai, qu'ils réglèrent leur premier compte. Dans une lettre de créance de cette date, Bertrand s'engage sur tous ses biens à payer à Hugh la somme de 63 008 francs d'or qui restait à payer comme gages pour lui et ses compagnies avant le 24 juin suivant.30 Dans une deuxième lettre, datée de Seville le 3 juillet, il reconnaissait une autre dette de plus de 26 257 florins pour les gages de Hugh et de ses gens pour le premier trimestre de la campagne destinée à conquérir le royaume de Castille, y compris les soldes de Janequin Clerk (Anglais de naissance, mais plus tard au service de du Guesclin) et de sa compagnie.31 Cette somme devait être payée avant le 18 avril 1367.

Bien que, après la prise de Seville, Henri de Trastamare ait licencié la plus grande partie des compagnies, il retint à son service du Guesclin et Calveley avec une force de 1 000 à f 500 lances.32 Les deux capitaines continuèrent d'opérer ensemble jusqu'au 2 janvier 1367, date à laquelle don Henri, croyant être d'accord avec Charles de Navarre, et pensant que le pas de Roncevaux était fermé aux troupes du Prince Noir, licencia de son service à Haro, dans la province de Logrono, les compagnies de du Guesclin et de Calveley.33 Le même jour, par un acte aussi daté de Haro, Bertrand libéra Hugh de toutes ses obligations aux termes de l'endenture faite entre eux, disant qu'il puisse aler quele parte qu'il luy plera.34 En moins de deux semaines Calveley prit Miranda de Arga et Puente la Reina en Navarre, non pour faciliter l'invasion de la Castille par le Prince Noir, comme on a supposé auparavant,35 mais pour protéger les frontières Sud-Est de ce royaume contre une nouvelle invasion franco-aragonaise, comme il avait été prévu dans un traité conclu le 29 septembre entre Louis d'Anjou, lieutenant de Charles V en Languedoc, et le roi Pierre IV d'Aragon.36 Pour sa part, du Guesclin rentra en Aragon pour régler son compte avec le roi. Un accord fut conclu entre eux à Lérida le 27 février, par lequel Bertrand renonçait à toutes ses demandes auprès de Pierre, sauf à la donation de Borja et Magallon, qui devaient lui rester, moyennant quoi le roi devait lui payer 40 000 florins d'Aragon.37

Après l'intervention du Prince Noir au delà des Pyrénées en 1367, Calveley rallia le parti anglais, mais ses relations avec du Guesclin n'étaient pas terminées. Après qu'il ait été capturé pour la quatrième fois, à Nàjera (3-4-67) par Thomas Cheyne et William de Berland,38 Bertrand resta prisonnier du Prince Noir jusqu'au 17 janvier 1368.39 Espérant

30. A.C.A., Cancilleria, reg. 738, fos. 40v-41r. Voir infra., pièces justificatives, no. II. 31. Ibid., fo. 41r. Voir infra., pièces justificatives, no. III. Janequin ou John Clerk, damoiseau, du diocèse d'York, était procureur et nonce de Bertrand en 1367 et 1368 (Delachenal, op. cit., t. III, p. 459, n. 2 ; H. Denifle, La désolation des églises, monastères et hôpitaux en France pendant la guerre de Cent ans, 2 vols., Paris, 1899, t. II, appendice, nos. 5-7). Un Castillan, don Alvaro Garcia de Albornoz, fait prisonnier par un autre Anglais, John Penquoit ou Pincojt (peut-être Pcnquit dans St. Breward, près de Bodmin, Cornwall), damoiseau, fils de John Penquoit, aussi damoiseau, du diocèse de Hereford et de la compagnie de Sir Nicholas Dagworth, était remis à John Clerk, qui s'était engagé à rendre la liberté au prisonnier, moyennant une rançon de 47 000 florins, dont 13,500 étaient déjà versés. Par un acte daté de Perpignan le 2 janvier 1368, Penquoit a déclaré qu'il avait cédé le reste de la rançon à Clerk, ainsi que tous ses droits et actions sur le prisonnier (A.D., Pyrénées-orientales, B 117 ; voir VInventaire sommaire, t. I, Paris, 1886, éd. MM. Alart et Brutails). Le Castillan avait été fait prisonnier à la bataille de Nàjera (A. Gutierrez de Velasaco, 'Los ingleses en Espana, siglo XIV Estudios de edad media de la corona de Aragon : seccion de Zaragoza, IV Zaragoza, 1950, p. 282). 32. Ayala, Crônica, t. 1, pp. 545-546, qui donne le chiffre de 1 500 lances dans son texe principal, mais seulement 1 000 dans VAbreviada (Ibid., p. 546, n. 2). 33. Ibid., 1. 1, pp. 550-551. Voir Delachenal, op. cit., t. III, pp. 378-384 ; Russell, op. cit., pp. 76-78. 34. A.C.A., Cancilleria, reg. 738, fo. 42r. Voir infra., pièces justificatives, no. IV. 35. Delachenal, op. cit., t. III, p. 383 et n. 2, et, suivant lui, Russell, op. cit., p. 78. 36. Miret Y Sans, op. cit., pp. 89-113 ; Delachenal, op. cit., t. III, pp. 374-379. 37. Voir mon prochain article sur 'Du Guesclin and Sardinia'. 38. La rançon de du Guesclin a été de 100 000 doblas (Cuvclier, Chronique, t. II, pp. 402-403, pièces justificatives, no. XIV). Cheyne et Berland ont cédé leurs droits sur le prisonnier au Prince Noir pour 1 483 livres, 6s. 6d. et 1,427 livres 14s. 6d. respectivement (Calendar of Patent Rolls, 1377-1381, H.M.S.O., London, 1895, pp. 199 et 210).

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profiter de l'invasion de la Provence par Louis d'Anjou, et sans doute pour gagner de l'argent afin de lui faciliter le paiement de sa rançon, avant la fin de février il enrôla environ 2 000 hommes d'armes parmi les gens des compagnies et des Bretons, et le 4 mars il commença le siège de la ville de Tarascon.40 Pour sa part, Calveley rentra en Aragon où, le même jour, son procureur Mark Foster présenta à la cour de la chancellerie de la couronne d'Aragon une réclamation à propos des sommes que du Guesclin devait payer sous les conditions de l'endenture faite entre eux.41

Selon le procureur de Calveley, Bertrand devait encore 55 000 florins à Hugh, sans compter le quart de la rente annuelle de Borja et de Magallon qui s'élevait à 2 500 florins par an, faisant une dette de 5 500 florins. II n'y avait rien à faire au sujet du quart d'Elda et Novelda, sur lequel du Guesclin avait renoncé, entre autres, à ses droits, en février 1367 pour une somme de 40 000 florins, dont au moins 15 700 florins avaient été avancés en mai de cette année pour contribuer à la dernière rançon de Bertrand.42 D'ailleurs, Calveley était déjà en août 1367 le bénéficiaire du don de la ville d'Elda et du château et de la ville de Mola, aussi situés dans le royaume de Valence, dans l'attente de l'octroi d'une rente annuelle de 2 000 florins que le roi Pierre lui avait conférée en février 1366.43 Néanmoins, il avait essayé de recouvrer le restant directement de Bertrand, mais sans succès, au siège devant Tarascon,44 Bertrand avait lui-même proposé que Hugh puisse recouvrer une partie des sommes en question sur les fonds que la trésorerie royale lui devait encore. Il avait aussi indiqué la raison pour laquelle Calveley n'avait pas obtenu un quart de Borja et de Magellan : Olivier de Mauny y avait nommé un capitaine qui avait prêté serment qu'il ne les rendrait jamais, sauf à du Guesclin en personne. En conséquence, tout mandement que Bertrand pouvait envoyer au capitaine serait sans effet. La lettre fut livrée à Calveley par son cousin, Henry Bernard, que du Guesclin avait retenu à son service et qui avait aussi emporté une autre lettre autorisant le paiement des sommes encore en retard pour les gages de Calveley et de ses gens. Bertrand encourageait Hugh à faire tout ce qu'il pouvait pour obtenir le paiement des dettes contractées par la couronne d'Aragon - sans doute aussi pour contribuer à sa rançon - et l'exhortait à le joindre en Provence, ou mosseignour d'enjoufete la guerre et je panse que vous avérez plus de profit que en nulle autre lieu. Et ou cas que vous ne poez mesme venir, plese vous m 'envoier Henri Bernard o voz compangnons au plus toust que vouz porrez.

Plus de deux semaines avant que cette lettre fût écrite, une cédule de citation fut expédiée à du Guesclin avec la demande que lui ou un de ses procureurs comparaisse en justice à Barcelone dans un délai de vingt jours (c'est-à-dire avant le 24 mars) devant la cour de la chancellerie aragonaise, faute de quoi la cour rendrait un arrêt par défaut en faveur

39. Cuvelier, Chronique, t. H, pp. 403-404, pièces justificatives, no. XV ; voir Delachcnal, op. cit., III, p. 457, n. 1. 40. Pour l'invasion de la Provence et la part de du Guesclin voir, en plus de E.G. Léonard, Histoire de Jeanne I", reine de Naples, comtesse de Provence, 1343-1382 (3 vols., Monaco et Paris, 1932-1936), t. Ill, passim, les ouvrages suivants : Dcnifle, op. cit., t. II, pp. 509-528, 778-787 ; Delachcnal, op. cit., t. III, pp. 459-463 ; L.-H. Labande, 'Bertrand du Guesclin et les états pontificaux de France : guerre de Provence' (1368), Mémoires de l'Académie de Vaucluse (Avignon et Paris, 1904), pp. 21-39 ; V.-L. Bourrilly, 'Du Guesclin et le duc d'Anjou en Provence (1368)', Revue historique, 152 (1926), pp. 161-180. 41. Toute la documentation du procès se trouve dans A.C.A., Cancillcria, reg. 734, fos. 129v-130v ; reg. 738, fos. 40v-46r ; reg. 1345, fos. 137v-139r. 42. A.C.A., Cancilleria, reg. 1344, fos. 70v-71r, 109r-v. 43. A.C.A., Cancilleria, reg. 1345, fos. 94v-95r, 128v ; Real Patrimonio, Maestro Racional (cit. M.R.), reg. 645, fos. 154r-155r. Par une lettre datée à Tarazona, le 9 août 1367, Calveley a nommé Uch, vicomte de Cardona, son procureur pour faire hommage pour ses terres (Ibid., Cancilleria, reg. 915, fo. 168v). 44. A.C.A., Cancilleria, reg. 738, fo. 45r-v. Voir infra., pièces justificatives, no. V. Bernard avait été auparavant au service du Prince Noir en France (Register of Edward the Black Prince, 4 vols., H.M.S.O., London, 1930- 1933, t. IV, p. 470).

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du plaideur, auquel elle accorderait les frais et dépens.45 Bertrand se fit représenter par le viguier de Toulouse, Gaston de la Parade, qui comparut en justice pour écouter le procureur de Calveley établir une réclamation le 24 mars même.46 Le mardi suivant, le 28 mars, de la Parade introduisit dans la cour un instrument notarié, établi pour du Guesclin par des notaires du roi de France et daté du 1" mars, dans lequel il montrait l'étendue de ce que la trésorerie aragonaise lui devait. Ce n'était pas 28 000 florins, comme avait cru le procureur de Calveley, mais une somme totale de 42 000 florins d'Aragon qui devait être payée à Bertrand à Montpellier en deux versements, 22 000 avant le 27 mars et le résidu de 20 000 pour le 20 novembre suivant.47 En ce qui concerne les réclamations des Anglais sur ces fonds, du Guesclin avait supplié la couronne de se montrer généreuse envers lui - une allusion, semble-t-il, aux tentatives qu'ils avaient faites pour obtenir de l'argent pour sa rançon de Nàjera. Mais concernant les réclamations de Calveley, de la Parade indiquait qu'il avait l'intention de démontrer que Bertrand n'était pas obligé de payer Hugh, et que ses réclamations ne constituaient aucune raison de retenir le deuxième versement de 20 000 florins.48

Vu les dommages que les compagnies de du Guesclin pourraient faire en Catalogne, Pierre d'Aragon était très conscient de la gravité de ne pas s'acquitter du premier versement de 22 000 florins, aussi le 1er avril ordonna-t-il à ses officiers dans le Roussillon de verser cette somme aussitôt que possible.49 Mais, parce que la question des quarts des donations faites à du Guesclin était difficile à résoudre, le procès fut ajourné jusqu'au 4 juin. Ce jour-là on envoya une nouvelle citation à Bertrand, l'avertissant que s'il ne comparaissait pas à l'audience royale dans un délai de vingt six jours (à compter du jour où il aurait reçu la citation), on proclamerait la sentence correspondant au procès. La citation fut rapidement portée en France et reçue par du Guesclin à La Motte en Provence.

Quand le procès recommença le 27 juillet, le procureur de Calveley, Mark Foster, formula son accusation par contumance contre du Guesclin. Cela fait, selon les us et coutumes de la cour, on appela plusieurs fois à haute voix le chevalier Bertrand du Guesclin, et comme personne ne répondait, Foster demanda que l'on rende sentence contre lui. Mais l'affaire était potentiellement si explosive que, le 29 juillet , le vice-chancelier renvoya le procès pour délibération devant le conseil du roi. C'est à ce moment critique, le 28 juillet, que Foster présenta la lettre du 19 mars de du Guesclin à Calveley, dans laquelle Bertrand avait dit d'une manière nette que c'était son intention que Hugh puisse être remboursé des dettes de la trésorerie exigibles par lui, et qu'il accepterait ses engagements à propos du quart de Borja et de Magallon. Le conseil n'était pas en état de rendre un arrêt le samedi 29 juillet, à cause, dit-on, d'autres affaires plus pressantes, et le procès fut repris à la cour de chancellerie le 31 juillet. Après deux jours de discussion et de débat parmi les docteurs en droit, qui au commencement n'étaient pas du tout d'accord, le 4 août un arrêt fut finalement rendu en faveur de Calveley, soutenant toutes ses réclamations.

A vrai dire, le roi Pierre avait anticipé le jugement de sa cour. Déjà le 24 juillet il avait ordonné le paiement à Calveley de 3 000 des 20 000 florins qui devaient échoir à du Guesclin le 20 novembre et qui avaient été adjugés à Calveley le 22 mai, en attendant de nouvelles représentations.50 Néanmoins, le trésorier du roi ne paya cette somme à Hugh

45. A.C.A., Cancilleria, reg. 734, fos. 129v-130v. 46. Ibid., reg. 738, fo. 40v. 47. Ibid., rcg. 1345, fos. 137v-139r. Le premier versement devait être payé seulement après que du Guesclin et tous les capitaines dans sa compagnie (societate, posse) et juridiction eurent promis de ne pas endommager les terres de Pierre IV d'Aragon. 48. Ibid., reg. 1345, fos. 137r-139v. 49. Ibid., fo. 132r, et voir une autre lettre sur le même sujet, datée du 11 avril (Ibid., fo. 137r). 50. Ibid., reg. 1346, fo. 18 v.

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qu'au commencement d'août, et seulement après avoir reçu de Calveley une déclaration sous serment qu'il le rembourserait si la cour rendait jugement contre lui.51 Par le fait, dans les années suivantes, Hugh ne reçut jamais plus de 1 800 florins en addition des dettes de Pierre IV à Bertrand, et encore en 1395, John Calveley, l'héritier de Hugh, était en train d'obtenir le résidu de 15 200 florins de la somme de 20 000 florins des arriérés dus à du Guesclin.52

Il n'est pas possible, dans cette communication, de suivre tous les aspects des relations entre ces deux chevaliers en Espagne. Mais il faut que je dise quelques mots sur la question de la croisade contre les Maures de Grenade. La participation à une croisade avait certainement un attrait religieux et culturel pour les mercenaires.53 Il y a quelque chose de l'esprit du temps dans la vie de Bertrand écrite par le trouvère Cuvelier. Parlant de l'expédition des compagnies en Espagne, il écrit :

De la blanche compaigne tuit furent compaignon, 11 n 'i avoit en l'ost chevalier ne garçon Qui neportast la crois blanche corne coton Et la blanche compaigne pour tant l'appeloit-on.54

Pour lui, comme pour beaucoup de chroniqueurs, l'idée que les compagnies avaient été recrutées dans une croisade contre les Maures de Grenade était prise assez sérieusement.55 Même Charles V dans une lettre de janvier 1371, déchargeant son nouveau connétable de tous paiements dus à la couronne, avait inclus trente mil frans d'or que luy feismes prester et bailler en trois payemens, pour luy ayder à mener en Grenaide les gens de compaingne qui estoient en nostre royaulme, lesquelles il y mena, et fut longuement hors de nostre dit royaulme.*6 Dès l'année 1362 Calveley était à Grenade avec une compagnie de gens d'armes dans l'armée du roi Pierre de Castille, qui avait soutenu Mohammed V, le roi maure déposé, contre Abou Saïd." A cette occasion, le roi Pierre voulu donner à ses opérations le caractère d'une croisade internationale.58 Mais en 1366, la guerre contre Pierre pouvait aussi être représentée comme une croisade, comme la propagande trasta- marienne contre le roi Pierre le répandit dans l'Europe occidentale.59 La croisade devait être menée contre les rois de Grenade, de Bellemarine, et de Tlemcen, qui étaient les amis et alliés de Pierre ; de ce fait, elle devait commencer en Castille.

Avant le commencement de la campagne contre Pierre de Castille, et seulement quelques jours après qu'ils eurent conclu l'endenture ayant en vue la conquête de Grenade, les deux chevaliers reçurent d'autres dons du roi d'Aragon. A du Guesclin étaient octroyés deux grands navires et une galée, affrétés et payés pour six mois aux dépens du seigneur roi pour aller outre-mer sur les ennemis de la sainte chrétienté, bâtiments qui devaient être à sa disposition au début de mai 1367 ou de mai 1368.60 Calveley

51. A.C.A., Real Patrimonio, M.R., reg. 356, fo. 81r. 52. A.C.A., Cancilleria, reg. 1347, fo. 59r-v ; reg. 1969, fo. 40r. 53. Voir sur ce sujet Housley, op. cit., pp. 278-280. 54. Cuvelier, Chronique, 1. 1, p. 287, v. 7 981-7 984. 55. Voiras Grandes Chroniques (éd. Paris, t. VI, pp. 237-239 ; éd. Delachenal, t. II, pp. 10-15) ; Thalamus par- vus, p. 369 ; Cuvelier, Chronique, t. 1, p. 273 et passim. D'autres étaient plus sceptiques (Voir Documents sur la ville de Millau, éd. Artières, p. 146, no. 293, cit. supra.). 56. Mandements et actes divers de Charles V, 1364-1380, éd. L. Dclisle (C.D.I., Paris, 1874), no. 851, p. 437. 57. Ajala, Crbnica, 1. 1, p. 517. 58. R. Tasis, La vida del rei en Père III (Barcelona, 1954), p. 219. 59. Voir Froissart, Chroniques, éd. Luce, VI, pp. 185-187 ; Cuvelier, Chronique, 1. 1, p. 240 sq. ; Chronique normande du XIV siècle, pp. 179-181 ; Chronique des quatre premiers Valois, pp. 163-164 ; Delachenal, op. cit., t. III, pp. 247-50. 60. 'Item, que lo senyor Rey li sia tengut de livrar dues grandes naus et una Galea noljegadas et pagadas a sis mescs a messio del senyor Rey per anar en ultra mar sobre los enamichs de la sancta Crestiandat'. Voir A.C.A., Cancilleria, reg. 738, fo. 42v.

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devait avoir, dans les quarante jours après Pâques 1367, le service de vint galées armées pour aler sus les anemis de lafoy pour l'espace de quatre mois.61 Après le couronnement de don Henri comme roi de Castille au monastère de Las Huelgas, près de Burgos, le 29 mars 1366, le nouveau roi ordonna le couronnement de Bertrand comme roi de Grenade et, en même temps, lui octroya son propre comté de TVastamare, transformé en duché, avec toutes les terres qu'il possédait dans les Asturies." Mais après son entrée à Seville, Henri conclut une trêve avec Mohammed V,63 et aucune campagne immédiate ne fut possible. Pourtant, en février 1367, Pierre IV d'Aragon avait renouvelé son engagement de fournir à ses propres frais pour six mois les deux navires et la galée qu'il avait promis à du Guesclin l'année précédente (ainsi que deux navires et une galée pour la même période aux frais de Bertrand) ; mais cette fois il fallait que l'expédition commençât en Sardaigne, où le roi d'Aragon faisait la guerre contre lejutge d'Arborée.64 Dans son procès contre du Guesclin en mars 1368, l'intérêt de Calveley pour les navires promis à Bertrand n'était ni pour une expédition contre les Maures de Grenade, ni pour aller en Sardaigne ; il était purement financier. Au recommencement de la guerre entre la France et l'Angleterre en 1369, Calveley fut

rappelé en Aquitaine par le Prince Noir,6S mais du Guesclin resta au service de Henri de Trastamare jusqu'en juin 1370.6* Tous les deux, semble-t-il, étaient peu disposés à rentrer en France, vu les terres et les titres qu'ils avaient gagnés en Espagne. Depuis juin 1368 Calveley était marié à Constance, une des donzelles de l'hôtel de la reine d'Aragon, et fille d'un baron de Sicile, Boniface d'Aragon." Le mariage lui avait apporté des droits et une juridiction extensive dans la baronnie et la châtellenie de Cervellon, une possession du vicomte de Bruni située à côté de la rivière de LIobregat, en dehors de Barcelone.68 En plus, Pierre IV lui avait donné les droits qu'il avait auparavant retenus à Elda et Novelda au royaume de Valence. La dot entière avait une valeur de 40 000 livres de Barcelone.6' Pour sa part, du Guesclin avait beaucoup profité de son service avec don Henri. C'était

peut-être pour tenir lieu du duché de Trastamare (dont il n'avait jamais pris possession, et que la bataille de Nàjera lui avait fait perdre) que Henri lui donna la seigneurie de Molina, en y attachant le titre de duc, ainsi que huit villes ou bourgs.70 Ces possessions étaient pour la plupart situées sur la frontière de la Castille et de l'Aragon et parmi les terres qu'Henri avait auparavant cédées à Pierre d'Aragon.71 Peut-être don Henri avait-il

61. Ibid., reg. 1214, fo. 21r-v. Si le roi ne faisait paix ni trêve avec Pierre de Castille dans le délai d'un mois après Pâques 1367, le nombre de galées devait être réduit à dix, pour une période de deux mois (lettre de Calveley, datée à Saragosse le 21 février 1366, par laquelle il accepte la donation avec ces conditions : Ibid., fo. 26r). 62. Russell, op. cit., pp. 49-50 ; Delachenal, op. cit., t. III, pp. 281, 347-348. 63. Avala, Crônica, 1. 1, p. 545 ; voir Delachenal, op. cit., t. III, p. 354. 64. Voir mon prochain article sur 'Du Guesclin and Sardinia'. 65. Froissart, Chroniques, éd. Luce, t. VII, p. li, 117-118. 66. Cette année il était à Soria le 26 av ril (Documents inédits pour servir à l'histoire du Maine au XIV' siècle, éd. le comte Bertrand de Broussillon, Archives historiques du Maine, t. V, Le Mans, 1905, no. 178), à Atienza le 11 mai (Russell, op. cit., p. 161, n. 2), et à Tolède le 26 juin (Delachenal, op. cit., t. IV, p. 271, n. 3). La lettre de Bertrand publiée par Broussillon, op. cit., no 183, d'une copie du seizième siècle, est datée par erreur de Borja (et non pas Bourges !), le 26 juin 1370 (Voir Delachenal, op. cit., t. IV, p. 272, 271, n. 3). Le 26 juillet il était à Moissac avec le duc d'Anjou (Ibid., t. IV, p. 272, et n. 1). 67. A.C.A., Real Patrimonio, M.R., reg. 492, fo 52v. 68. A.C.A., Cancilleria, reg. 916, fos. 38r-40v. Le même jour le roi a averti son fils aîné, Jean, duc de Girona, de l'octroi, en demandant son approbation (Ibid., fos. 62v-63r.). 69. Novelda avait été donné à Sir Matthew Gournay le 22 décembre, mais le roi y avait retenu certains droits, comme aussi à Elda (Ibid., reg. 1347, fo 156v.). 70. A. Morel-Fatio, 'La donation du duché de Molina à Bertrand du Guesclin', Bibliothèque de l'École des Chartes, t. LX (1899), pp. 145 sq. Voir en plus Delachenal, op. cit., t. III, pp. 488-490. 71. Voir A. Gutierrez de Velasco, 'Molina en la corona de Aragon', Teruel, t. VI (1951), pp. 75-128, et la carte.

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l'arrière-pensée de brouiller le futur connétable avec le roi d'Aragon, comme l'a supposé Zurita.72 Ces possessions étaient à conquérir, et bien que Bertrand ait résidé à Soria en 1369-1370,73 il n'arracha jamais Molina aux mains du roi Pierre. Mais les possessions furent aussi données à la condition que du Guesclin resterait au service de don Henri et, après le décès du roi de Castille, au service de l'infant don Juan, son fils et héritier présomptif.74 On peut bien comprendre pourquoi Bertrand était peu disposé à rentrer en France et, selon Cuvelier, de 1369 à 1370 Charles V lui aurait envoyé jusqu'à cinq messages différents pour le presser d'abréger son séjour en Espagne.75 Mais à cette époque Bertrand avait deux maîtres, et ce ne fut qu'en juin 1370 que don Henri lui donna permission, ainsi qu'à ses compagnies, de quitter son service.76 Bien que cette licence lui ait permis de retenir ses possessions en Espagne, il les vendit à don Henri en juin 1373.77 Les montants considérables qu'Henri devait payer pour celles-ci en plus des sommes qu'il devait à Bertrand pour quelques prisonniers anglais livrés à lui étaient assignés sur les alcabalas : on les payait toujours à son frère cadet et héritier, Olivier, même en 1387-1388.78 Par contre, il semble que ses gages et ceux de ses hommes furent entièrement réglés. A une réunion des Cortes de Castille à Medina del Campo en avril 1370, on consentit à fournir la somme qu'on leur devait de 120 000 doblas.™ Quand ils partirent pour la France en juin, le montant était payé, dans une monnaie qui bientôt fût dévaluée.*'

Lorsque, dans les derniers mois de sa vie, du Guesclin, aigri par les propos fâcheux tenus sur son compte et trop facilement accueillis par Charles V, rendit ou voulut rendre l'épée de connétable, il aurait dit, selon le chroniqueur Jean Cabaret d'Orville : Puis que le roi me tient pour souspeçonneux, qui l'ai loyaiilment servi, je ne demourerai jà mais en son royaume ains m'en vois en Espagne ou j'ai ma vie très-honourable, car je y suis duc."1 Ce n'était plus la vérité, mais il y avait peut-être quelque chose dans le sentiment.

Les deux chevaliers se sont rencontrés encore une fois, en France, très peu de temps après que Bertrand fut devenu connétable. Calveley lui échappa à la bataille de Pontvallain (4-1-1370) et lors des engagements qui suivirent, quand les dernières routes

72. Morel-Fatio, op. cit., p. 149 ; Dclachcnal, op. cit., t. III, p. 489. 73. Russell, op. cit., p. 150, n. 1, et voir supra., n. 66. 74. Dom. H. Morice, Mémoires pour servir de preuves à l'histoire civile et ecclésiastique de Bretagne (3 vols., Paris, 1742-1746), 1. 1, cols. 1,628-1,631 ; voir Froissart, Chroniques, éd. Lucc, t. VII, p. xxxiii, n. 2. 75. Cuvelier, Chronique, t. II, p. 130, v. 17 115-17 117, et p. 130, v. 17 220-17 223 ; voir Delachenal, op. cit., t. IV, pp. 268-269. 76. Dans une lettre, datée de Guadalajara le 10 juin 1370, Henri a écrit aux habitants de Murcia : '...Otrosy sabed que m ose Beltran es partido de aqui con todas las gentes extrannas que cran aqui en nuestro scruicio e vase al scruicio del rey de Françia e feziemosle pago de todo quanto le auiamos a dar en manera que va con nuestra leçençia e va muy bien pagado de nos cl e todos los su vos...' (documentos de Enrique II, éd. Lope Pascual Martinez, Colleccion de documentos para la historia del reino de Murcia, t. VIII, Murcia, 1983, pp. 85- 86, no. LV ; voir Delachenal, op. cit., t. IV, p. 271, n. 2). 77. Documentos de Enrique II, pp. 173-175, no. CXVII. Soria, et peut-être aussi des autres possessions, étaient échangées contre le comte de Pembroke, fait prisonnier par les Castillans dans le combat naval livré devant La Rochelle le 23 juin 1372 (Froissart, Chroniques, éd. Luce, t. VIII, p. xevi ; Œuvres, éd. Lettenhove, XVIII, pièces justificatives, no. CXXII, pp. 512-513). 78. Voir la lettre de procuration d'Olivier en faveur de Jean Le Bouteiller, datée de Valladolid, le 19 décembre 1386 (Archivo municipal de Burgos, Histôrica, Legajo 963-1 070, no 1 009), et les quittances pour quatre sommes reçues de la ville de Burgos : de 36,322 maravedis 6d. le 18 février et le 18 mars 1387, de 96 000 mara- vedis le 3 janvier, et de 1 472 maravedis SA. le 25 janvier 1388. La première quittance et la dernière quittance sont de du Guesclin, la deuxième et la troisième de Bouteiller (Ibid., Legajo I 125-1 214, nos. 1 138-1 141). Je dois ces références à l'obligeance de mon collègue Angus MacKay. 79. Avala, Crbnica, t. II, p. 5. 80. Archivo municipal de Murcia, Cart. real. 1405-1418 eras, fo. 34r. Voir Documentos de Enrique II, pp. 84-85, no. LIV, pour une copie assez imparfaite. 81. La chronique du bon duc Loys de Bourbon, éd. A.M. Chazaud (S.H.F., Paris, 1876), p. 112.

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des grandes compagnies furent vaincues par du Guesclin ou furent dispersées.82 Néanmoins, aux Ponts-de-Cé et à l'abbaye fortifiée de Saint-Maur-sur-Loire, Calveley et Sir John Cresswell, un ancien capitaine des grandes compagnies, tenaient à leur discrétion le cours de la basse Loire. Bertrand avait peut-être estimé qu'il valait mieux ne pas s'attaquer à des adversaires de taille à se défendre longtemps et avec succès.83 Mais il avait aussi en face de lui, non seulement l'ennemi, mais un homme auquel le rattachaient, en dépit de tout, les souvenirs de la première expédition de Castille dont ils s'étaient partagé le commandement et le profit. Bertrand négocia l'évacuation de Saint-Maur avec Calveley au prix d'une grosse rançon, qui fut levée sur le produit d'une taxe sur les marchandises passants en Loire, et qui se maintint jusqu'au dix-huitième siècle sous le nom de tréspas de Loire.** De bons amis encore ? Je le crois.

Pièces justificatives

I

1366 (n.st.), 16 février

Endenture de guerre passée entre Bertrand du Guesclin, comte de Longueville, et Sir Hugh Calveley, par laquelle ils s'associent, la campagne durant, en Castille et Grenade.

B. Archivo de la Corona de Aragon, Cancilleria, reg. 738, fos. 41v-42r.

Ceste endenture faite entre noble et puissant segneur moss' Bertran de Glerquin, comte de Longevile, d'une parte, et moss' Hues de Calvile, d'autre parte, ensint qui lez dits moss' Bertran et moss' Hues tandroient compaignie ensemble la veage durante de Castille et de Granade et des marches enveron, en cel maniera que toutes donisons ou conquestes qu'ils porroient avoir, ou l'un et checun de eulx ou nul de Iuer rotes, de cy en avant sont departitz les trois parts au dit moss' Bertran et la quarte part aut dit moss' Hues. Et la donason que le roy d'Aragon a done au dit moss' Bertran avant la date de ceste sera en même manière départie sanz nulle contradit. Et si, par la grace de Dieu, ils purroient conquerre Granade, ycelle reaime demoura au dit moss' Bertran sanz nulle partisone tant corne est au pouer dou roy qui mantenant est, par ensint que les viles et fortelerses que le roy de Belmarin tient per deca la mere, s'ilz porroient estre conquise seront au dit moss' Hues, sanz partison. Et, en oultre, la dite conqueste de Granade per la grace de Dieu faite, le dit moss' Bertran retornara au dit moss' Hues entierment la donason que le conte de Trastamare a doné en présente au dit moss' Bertran. Et parausament le dit moss' Bertran est tenu de paier au dit moss' Hues autant pour son corps corne nul de son estate prandre en sa rote durante le temps que leur compaingne tendra, et par chacun de seuz genz tant comme nul des autres prendra chacun segons son estate. Et ou cas que le roy d'Engleterre ou nul de soz enfanz averoient guerre et envorraient querer le dit moss' Hues, de part luy ou de par son lacutenant, le dit moss'Hues purra aler a eulx. Et si le roy d'Engleterre ou null de sonz enfanz, ou Chaundos, vendroit guerraer es parties de Castielle ou de Granade, le dit moss'Hues purra tourner en lur rotes s'il luy plest. Et auxi s'il luy vendroient nulles nuvelles par coy il luy conviendroit aler en Engleterre ou

82. J'aborde cette question dans mon prochain livre. 83. Comme l'a proposé Delachenal, op. cit., t. IV, pp. 340-341. 84. Froissart, Chroniques, éd. Luce, t. VII, p. Ixxxii, n. 2 et t. VIII, p. \ii, n. 1 ; Registres des comptes municipaux de la ville de Tours, éd. J. Delaville de Roulx (Société archéologique de Touraine, Tours et Paris, 1878- 1891), t. II, nos. 486 et 489.

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ailleurs par vraie entheson resanable, il le purra bien fere, moustrant l'antheson au dit moss'Bertran, non obstant acordance que fut entre eulx. Et comebien que le dit moss' Hues aet fete compaingne au moss' Matheu de Gornay, la quelle est dou consantemont dou dit moss'Bertran, non obstant ce le dit moss' Bertran est tenu de tenir et acomplir toutes les dites covenences au dit moss'Hues sanz rens fere ne dire au contrare. Et ou cas, par nulle aventure, que le dit moss'Hues feroit aucune compaingne ov null autre que que (sic.) ce fut, mes que ce soit dou consantement dou dit moss' Bertran, touz jornz est il tenu de complir ces covinences aut dit moss' Hues, et d'acompter oveque luy tant pour pour son estât corne pour les gages de sez genz touz les foiy que le dit moss' Hues luy en requerra. Et sur ce soint, entre et chacune d'eulx, sur Sanz Evangelis, tant pour eulx comme pour lur heirs qui chacun sostendra et maintendra les donasons et conquestes de l'autre contra tûtes homes a son plain poer, saunz frande ne male engine panser en nulle manere. Et en testmoing de ce le dit moss'Bertran a doné au dit moss' Hues ceste letre seille de son seau, le XVI jour de feverer l'an MCCCLXVL*

II 1366, 5 mai. - Tolède

Lettre obligatoire de Bertrand du Guesclin, duc de Trastamare et comte de Longueville, par laquelle il promet de payer à Sir Hugh Calveley la somme de 63 008 francs d'or restant à payer comme gages pour Hugh et ses compagnies.

B. Archivo de la Corona d'Aragon, Cancilleria, reg. 738, fos. 40v-41r. Nous, Bertran deu Geyclin, duch de Trestamera, comte de Longueville, cognoissons

estre tenuz et obligés a moss' Hues de Calviley en la somme de seysante et trois mille ouyt franchs, tant por les gages dou dit moss' Hues come de ses gents, c'est assovor rende et paier la dite somme dessus dite au dit moss' Hues, ou a son atome portant ceste obliga- cion, dedans le jorn de la Sant Johan Babtiste prochain venent enpres la dade de ceste obligacion, et toutes les chousses et chascune dessus dite nous obligons nous et nos hères, mobles et heritatges presents et avenir, en qualconque lieu qui sont et sous obligacion de tous nos biens, de tenir et acomplir de pont en pont toutes et chascune les cosses dessus dites au dit moss' Hues, ou a son dit atome comme dit est, au terme dessus dit par la foy et serement de nostre corps sanz fraude ne mal engin et penser, en donnons al dit moss' Hues ceste lettre de obligacion sellé desoubz nostre propre seel. Escript et doné en la cryte de Tolite le Vme jorn de may, l'an MCCCLXVI.

III 1366, 3 juillet. -Seville.

Lettre obligatoire de Bertrand du Guesclin, duc de Trastamare, comte de Longueville et de Borja, par laquelle il promet de payer à Sir Hugh Calveley la somme de 26 257 florins pour les gages de Hugh et ses gens, y compris les gages de Janequin Clerk.

B. Archivo de la Corona de Aragon, Cancilleria, reg. 738, fo. 41r. Nos, Bertrande de Clerquin, duch de Trestamera, conte de Longevile et de Borges,

cognoissons estre tenuz et obligés a moss' Hues de Calviley, chevalier, en la some de vinte sex mille, douz cents cinquant et vii florins, tant por les gaiges de dit moss' Hues et de ses gents come pour les gaties de Johanquin Clerch et ses gents, la quel sume nos l'ont devons sur le premer quartier qu'ils entrarent oveque nos en Castelle, a payer la dita some al dit

* Le scribe catalan a évidemment écrit 1366 pour 1365. Sa connaissance de la langue française était d'ailleurs assez imparfaite. En 1366 le dimanche de Pâques est tombé le 5 avril.

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moss' Hues ou a son certein atorne monstrant cest obligacion dedeins le jorn de pasques prochein venent après la date de ceste obligacion. Et toutes les coses desusdits et chascune d'elles tenir et acomplir bien et leyalment sens fraude ne mal engin e pensers en null manera nous obligeons nous et nos hers, mobles, heretatges, et toutz nous bienz, presens et avenirs, en qualconque lieu qu'ils sient, et souz quelconque jurrediccion que soient trouvetz par le foy et serment de nostre corps, sentz james venir encontre, par nous ne per aultre en noun de nous. En testmoing de ce nous avons donne au dite moss' Hughes cest carte d'obligacion, seelle de nostre propri seel. Escrict et doné devant Siville, le IIIe jorns de julet, l'an MCCCLXVI. Anys.

IV 1367, 2 janvier. - Haro

Lettre de Bertrand du Guesclin, duc de Trastamare, comte de Longueville et de Borja, par laquelle il libère Sir Hugh Calveley de toutes ses obligations aux termes de Vendenture faite entre eux.

B. Archivo de la Corona de Aragon, Cancilleria, reg. 738, fo. 42r. Nos, Bertran de Gerclin, duc de Trestamare, comte de Longevile et de Borje, faisons

savoir a tots come il y avoit certeins covenences entre nos et moss' Hues de Calviley, faites par endenture sealée de noz sealx, sur la voiatge de Castille et de Granade, nous tesmoi- gnoms par cestes noz lettres que le dit moss' Hues ad bien et loyalmant acompli les dites covenances et luy ont en claman quit. Et voloms que desore en avant le dit moss' Hues puisse aler quele parte qu'il luy plera tanzte que nous luy purroions rens demander par cause de le dite endenture ne pour autre de temps passé jesque'a la fesance de cestes. Doné souz nostre seal a Haro, le segon jour de janver, MCCCLXVI.

V 1368, 19 mars. - Au siège devant Tarascon

Lettre de Bertrand du Guesclin à Sir Hugh Calveley, concernant ses obligations envers Hugh aux termes de Vendenture passée entre eux.

B. Archivo de la Corona de Aragon, Cancilleria, reg. 738, fo. 45r-v. Treschier sires et frère, plesse vous savoir que g'ey retenu Henri Bernard, vostre cosin,

ovesque moi pour attendre respons de mon paiement d'Aragon. Si vous envoie par le dit Henri lettre au roi et quittance de vous paier la somme que nous aurons accorde. Et quant est dou chastel de Borges et de Magallon, si ge ne fuesse ma person, segond le serment qui moss' Olivier de Mauney a prins dou capitaine il ne nous rendret james pour mandament que je pourray fere, et ensint porrez vous panser que je vous voura faillir de ce que je vous avoie covenance, laquelle ge ne ferray james, car certainement au plus toust que je pourra ge suis por delà pour vous delivretz ce que ge vous ay promis, et bien brefment. Et vous prie, tant corne ge puis, que vous nous veuillez retreer par devers moy en Provence ou mossour d'enjou fete le guerre et je panse que vous avérez plus de profit que en nulle autre lieu. Et ou cas que vous ne poez mesme venir, plese vous m'envoier Henri Bernard o voz compangnons au plus toust que vouz porrez. Treschier frère, je vous prie corne je m'afie plus en vous qu'en nul que soit par delà, que il vous plesse procurer mon fete par delà au roy que je soit paie de ma somme pour le grant afer que j'ay en pre- sant, et de ce vous prie que vous ne veuillez faillir. Nostre Seignour vous aet en sa garde. Escrit au sige devant Tarascon, le dymange de la my-kareme. Et veuillez crier le portour, Henri, de ce qu'il vous dire de par moy. Bertran dou Guerclin.

A mon treschier frère missor Hues de Calviley.

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