Deux Curiosités Assyriologiques (Avec Une Note de Pierre Hamelin) Jean Bottéro

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Syria Deux curiosités assyriologiques (avec une note de Pierre Hamelin) Jean Bottero Citer ce document / Cite this document : Bottero Jean. Deux curiosités assyriologiques (avec une note de Pierre Hamelin). In: Syria. Tome 33, 1956. Hommage à Charles Virolleaud, Membre de l'Institut. pp. 17-35. doi : 10.3406/syria.1956.5176 http://www.persee.fr/doc/syria_0039-7946_1956_num_33_1_5176 Document généré le 28/09/2015

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Dos curiosidades asiriológicas, con una nota de Pierre Hamelin

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Syria

Deux curiosités assyriologiques (avec une note de Pierre Hamelin)Jean Bottero

Citer ce document / Cite this document :

Bottero Jean. Deux curiosités assyriologiques (avec une note de Pierre Hamelin). In: Syria. Tome 33, 1956. Hommage à

Charles Virolleaud, Membre de l'Institut. pp. 17-35.

doi : 10.3406/syria.1956.5176

http://www.persee.fr/doc/syria_0039-7946_1956_num_33_1_5176

Document généré le 28/09/2015

DEUX CURIOSITÉS ASSYRIOLOGIQUES

PAR

JEAN BOTTÉRO

Avec une note de PIERRE HAMELIN

(PL. ÏI-III)

Les deux documents inédits dont on va prendre connaissance m'ont été confiés pour publication par M. Ch. Virolleaud lui-même, nouveau témoignage de sa libéralité et de sa bienveillance. Qu'il veuille bien trouver ici le témoignage de mon affectueuse et déjà ancienne reconnaissance, et me laisse redire, comme je l'avais fait en éditant grâce à lui les tablettes de Qatna, que tout le meilleur de ce travail est de lui. A ce qu'il avait trouvé, en effet, au cours d'une première étude, je n'ai pas réussi à ajouter grand chose pour éclairer ces deux petits textes difficiles, en mauvais état de conservation et, pour autant que je sache, tout à fait singuliers. Peut-être quelque duplicat permettra-t-il un jour de les comprendre mieux l'un ou l'autre et de corriger et compléter le présent travail, malheureusement fort imparfait. [Voir l'article de E. Weidner, ci-dessous, p. 175, et les notes additionnelles de ce savant et de moi-même, ci-dessous, pp. 182 et 30.]

1. Jeu graphique ou talisman?

Nous n'avons plus l'original de la présente tablette. Rapportée de Mésopotamie par le comte Aymar de Liedekerke-Beaufort et donnée par lui à M. Ch. Virolleaud (printemps 1914), le photographe à qui on l'avait confiée l'a égarée pendant la guerre de 1914-1918 : il n'en subsiste qu'une épreuve photographique, heureusement assez nette, mais qui ne permet pas de tout lire de ce qui a été conservé parmi les cassures. C'est sur ladite épreuve que j'ai fait la copie du texte, ci-dessous (fig. 1).

Au souvenir de M. Ch. Virolleaud, la photographie reproduit assez bien les dimensions de l'original, qui devait donc avoir à peu près 8 cm. de long sur 5 1 /2 de large et 2 d'épaisseur. Compte tenu de la Tranche inférieure, la cassure de gauche n'est pas importante, et l'on peut dire que l'ensemble

SYRIA. XXXIII.

18 SYRIA

Face III

case

JV

coI.VZII YII V\

ease 3

Tranche

Fig. 1. — Tablette de Liedekerke-Beaufort.

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de la tablette nous est parvenu, mais hélas! non sans dommages. Le Revers est plus abîmé que la Face, et un certain nombre d'éraflures ou d'autres accidents nous dérobe, entièrement ou en partie, une bonne moitié des signes. La cassure de la Tranche inférieure peut cacher au moins le tiers des deux lignes qui s'y trouvent marquées.

L'écriture, bien formée et même élégante, est de type médio /néobabylonien (cf., par exemple, NI, SA, IN, UN, LAM, LUM, RU, Kl, EL, IL, etc.). L'usage de IJU avec la valeur BAK ferait opter pour l'époque néo-babylonienne (cf. W. Von Soden, Syllabar, p. 38, n° 52).

Comme on le voit, et mis à part le colophon, écrit normalement sur deux lignes, à la Tranche inférieure, la disposition du texte sur les deux faces est assez particulière. Chacune est divisée : 1° en quatre colonnes, par cinq traits verticaux; 2° en trois cases carrées pour chaque colonne, par quatre traits horizontaux ; et 3° neuf traits obliques dans chaque sens font que chaque case, à son tour, est découpée, plus ou moins régulièrement, en six triangles autour d'un losange central. Dans chacun de ces triangles et losanges, un signe se trouve inscrit. M. Ch. Virolleaud avait observé avec sagacité que si l'on lit ces signes en commençant par celui du triangle 1 et en continuant dans le sens des aiguilles d'une montre pour finir par le losange central 7 (cf. fig. 2), on trouve en chaque case une suite cohérente de syllabes formant des mots accadiens.

Voici la transcription de ces mots, pour autant que la lecture en reste possible, et leur traduction, quand elle est à peu près sûrement réalisable.

Fig. 2.

Face, Col. I. case 1 : [a?]r&i-ib bi-it [a?]-bi « [Ha]bitant (?) de la maison du [pè]re (?) »

(ou peut-être plutôt « [pr]ésent (?) en la maison du [pè]re (?) », avec la nuance connue pour (w)asâbu « .se tenir à la disposition, au service ou auprès de quelqu'un » : cf. B. Meissner, Beitrâge zum assyrischen Wôrterbuch, II, p. 32 s., n° 23).

20 SYRIA

case 2 : [?-a]n-nu mu-sa-[h]a-âr

case 3 : [u]r?-du-tu a-tab-bak-ma .

Col. II. case 1 : tap-pa-a ta-ra-âs-si case 2 : sâ-qi-is ta-za-az-ma

case 3 : lab-bi-is ta-dan-ni-in

Col. III. case 1 : û-[? ?] te- el-lam-ma

case 2 : ki-i sâ-qi-il k[a]p?-pa

case 3 : ta-sa-ab ku-ru-un-ni

Col. IV. case 1 : [? ? ?]-ma ha-âr-ri case 2 : ki-i be-el bu-û-lum case 3 : ta-na-ki-is s[i]-i-ri

Revers, Col. V. case 1 : at-[? ?] e [? ? ?] case 2 : a-mu-[t]um UN EN [?] UK

case 3 : ni-pi-is [?]-bi-ia-an

(Je ne puis restituer avec quelque vraisemblance le premier mot. Quant au second, on dirait un participe desuhhuru «tourner», « détourner »; mais, à la dernière syllabe, le a au lieu de i est troublant.) « Je répands la [so]umission » (?: la restitution [u]r du premier signe n'est pas assurée, surtout si on le compare au UR du colophon). Il semble que le -ma terminal, ici comme ailleurs dans le présent texte, n'ait été ajouté que pour remplir le septième losange.

« Tu as un compagnon. » « Tu te tiens noblement » (sur le -ma, cf. Col. I, case 3). « Tu es puissant comme un lion. »

« Tu montes (?)... » (sur le -ma, cf. Col. I, case 3). (Le signe kap est fort douteux et la proposition entière m'est incompréhensible : comment imaginer la « pesée » ou la « suspension » (saqâlu) des « ailes » ou des « paumes » (kappu)? « Tu puises (sâbuP) le vin. »

« Pareil au maître du bétail ». « Tu arraches la chair ».

(Incompréhensible; amûtum signifie « les entrailles », ou « l'oracle » que l'on en tire; mais la séquence UN-EN, qui semblent clairs, n'entre pas aisément dans les règles de l'écriture cunéiforme accadienne.) « Déchiquètement (?) de... ».

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Col. VI. case 1 : ni?-[?]-it ul?-[?-P]-tû case 2 : tu-[?-?-?] hi-mi-tum

case 3 : ba-Sâ-at is-hu-up-tum

«... le beurre » (comp. le « vin », Col. III, case 3). (Plusieurs traductions sont possibles pour le premier terme, qui peut venir de bâstu « honte », ou « puissance », ou du verbe basû « être », « se trouver ». Quant à isfimptum /ishubtum, etc., je ne le connais point, ni de Jiubjptum qui puisse être précédé du déterminatif is.)

?(Au lieu de is-bat on peut lire iz-ziz, et même iz-zaz).

Col. VIL case 1 : [? ?]-di? M [? ?]-il? case 2 : n[a?-b]u?-[? ? P] is-bat

case 3 : si-r[uP-u]sP-su sâ-[P-P]

Col. VIII. case 1 : [P P P] au [P ? ?] case 2 : [P-q]i-is i-s[â? -?-r]u? case 3 : [P P]-bi la ha-[P]-ri

Tranche inférieure ellat l kal[bî *(m]e$) NÏG. SU Ip-ru-P[ NU. SAR(mes) mi-lul-ti rubê3 (me[s)

« La meute des chiens confiée à ... » (au lieu de NÏG. SU Ip-ru- [...], on peut lire peut- être ëâ(-)ku-ur-ru [...] ; pourtant IB semble plus probable que UR). « ? ?, la joie des princes... » (je ne puis comprendre NU. SAR, qui semble clairement écrit; il s'agit sans doute de NU négatif; mais quel est le sens de SAR qui suit?)

Comme on voit, la clarté n'est certes point la qualité première de ce texte. La clause finale, notamment, qui devrait nous livrer de quoi corn-

illat. UR.Z[Î].

NUN.

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prendre la suite de ces signes si curieusement disposés, est elle-même à moitié perdue, et le seul élément utilisable en est, semble-t-il, le début : « meute de chiens ». Si l'on y fait fond, on peut en effet interpréter les désignations insérées dans chacune des vingt-quatre cases comme des « noms » de vingt-quatre de ces animaux composant une meute.

Des « noms propres » d'animaux sont connus dans la littérature acca- dienne. Dans Lettres et Contrats..., n° 233, 1, un bœuf est mentionné « dont

v le nom (MU. NI) est Sâr-ùr-A-bi », et en VAS, VII, n° 49, 1, une vache « dont le nom (MU. NI) est Bé-lu-us-sd-ta-ba-at », désignations qui, par parenthèse, pourraient fort bien convenir pour des individus de l'espèce humaine (1). Plusieurs documents nous renseignent en particulier sur des « noms », beaucoup plus descriptifs, donnés à des chiens. Le plus connu est KAR, n° 298, 17 ss., traduit et commenté par B. Meissner dans son article Apotropâische Hunde (OLZ, XXV [1922], col. 221 ss.), où l'on trouve les « noms » suivants appliqués à des chiens :

1. e tam-ta-lik ep-us pî-ka « N'hésite-pas-ouvre-ta-gueule », 2. e tam-ta-lik u-ëuk « N'hésite-pas-mords », 3. a-ru-uh napista-su « Dévore-lui-la-gorge » (ou « la vie »), 4. da-an ri-gim-sû « Vigoureux-est-son-aboiement », 5. ta-rid asakki « Pourchasseur-du- Démon- Asakku », 6. ka-sid aia-bi « Attrapeur-de-1' ennemi », 7. sa-kip irti lem-ni « Vainqueur-de- « Méchante-Poitrine »,

(désignation de la Diablesse Lamastu), 8. mu-na-si-ku ga-ri-su « Mordeur-de-ses-adversaires », 9. mu-se-ri-bu damqâti « Introducteur-de-(tous-) biens »,

10. mu-ëe-swu lemnêti « Expulseur-de-(tous-) maux ». .

Et cinq de ces « noms » (soit les nos 1, 4, 6, 8, 10) se retrouvent inscrits sur des statuettes de chiens en argile, trouvées à Kouyoundjik par Layard et photographiées dans Jastrow, Bildermappe, Taf. 22, n° 71 a-e (cf. la note de C. J. Gadd dans RA, XIX, [1922], p. 158 s.; cf. aussi S. Smith, JRAS, 1926, p. 100; C. J. Gadd, Stones of Assyria, p. 190, et Appendix, p. 8; O. R. Gurney, Annals^ of Archaeology and Anthropology, XXII [1935], pp. 41, 52 <2>).

(*) Voir aussi des noms de chevaux dans der Kassiten, p. 28 s. Kemal Balkan, K assitenstudien, I, Die Sprache (2) Voir aussi S. Langdon, Excavations at

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II est vrai que dans tous ces cas, comme Meissner (cf. aussi ZDMG, LXXIII [1919], p. 167 s.) et Gadd l'ont souligné, il s'agit de statuettes « apotropaïques » de chiens, diversement coloriées et destinées à être placées, et probablement enfouies, de chaque côté du seuil des maisons (cf. VAB, IV, p. 164 s., col. VI, lignes 20-24), pour jouer vis-à-vis des mauvais esprits le rôle que les chiens de garde jouaient à l' encontre des étrangers : c'est pourquoi les « noms » qui leur étaient donnés, comme on vient de le voir, faisaient allusion à leur activité et à leurs qualités en ce domaine f1). Il n'en résulte pas moins de ces documents que les chiens eux aussi pouvaient, alors comme aujourd'hui, porter des sortes de « noms propres », et il est donc possible d'entendre comme tels les vingt-quatre désignations si curieusement inscrites dans notre texte.

A en juger par celles qui sont encore intelligibles il n'y a là aucune invraisemblance. « Pareil-au-maître-du-bétail » (IV 2), « Tu-arraches-la- chair » (IV 3; cf. aussi V 3?), « Puissant-comme-un-lion » (II 3) et «Noble- stature » (II 2), et même « Je-répands-la-soumission (?) » (I 3), s'entendent bien dans cette perspective; « Tu-as-un-compagnon » (II 1) ferait allusion à un chien plus volontiers couplé avec un autre, et « Habitant-de-la-maison- familiale (?)» (I 1), supposé que ce soit la bonne lecture, insisterait sur la « familiarité » de l'animal en question. Il reste évidemment au moins III 3 « Tu-puises-le-vin » (et comp. VI 2), dont on ne voit pas bien d'abord comment on a pu l'appliquer à un molosse : mais après tout, pourquoi refuser aux anciens mésopotamiens un humour dont on trouverait abondamment trace chez nous si l'on dressait un répertoire des « noms de chiens » contemporains?

Encore une fois une telle interprétation n'est que conjecturale : elle suppose que le mot important du colophon de notre tablette est bien ellat kalbî, à entendre « meute de chiens '». Mais la cassure du colophon et les autres dommages subis par le document, ainsi que l'absence totale, jusqu'à présent (à ma connaissance tout au moins), de dupli-

Kish, I, pi. XXVIII, fig. 1, et p. 91 : deux a-ri-ih napista-su). statuettes de chiens assis, en argile, portant (*) Cf. la note de Langdon, op. cit., l'un l'inscription n° 8 (avec la graphie mu-na- p. 114. às-sik ga-ri-su), l'autre l'inscription n°3 (écrite

24 SYRIA

cats, ne permettent pas de présenter ici autre chose qu'une hypothèse. Reste un autre problème, pareillement insoluble pour moi, je le crains :

celui de la disposition inusitée du texte. En effet, que les noms des vingt- quatre chiens aient été isolés chacun en une case, il n'y a rien là qui sorte des habitudes calligraphiques des anciens mésopotamiens. Mais ce qui paraît tout à fait nouveau, c'est que chacun de ces noms ait été écrit, non pas sur une ligne, mais « en spirale » pour ainsi dire, car c'est bien le scheme général de la spirale qu'impose la distribution de l'espace graphique en triangles et losanges pour isoler chaque signe et l'ordre choisi par le scribe pour marquer la suite des signes. M. Ch. Virolleaud avait pensé que ce scheme reproduisait en quelque sorte la forme du collier de chaque chien, sur lequel se trouvait écrit le nom de l'animal. C'est possible, encore qu'il faille postuler alors un collier de cuir ou de plaques métalliques dont personnellement je ne connais pas d'exemple archéologique : les « chiens » magiques de Kouyoundjik et de Kish, plus haut mentionnés, ne semblent pas porter de collier, et le molosse de Sumu-ilu, au Louvre (cf. Nouvelles fouilles de Tello, pi. V), paraît avoir le cou entouré d'un double tour de corde W. Mais l'existence de colliers plus élaborés, et où l'on pouvait graver le nom de l'animal (2), est parfaitement imaginable.

On peut penser aussi à une sorte de jeu graphique, qu'il s'agisse d'une simple fantaisie du scribe ou de l'exécution d'une technique plus élaborée, où le choix et la place des signes seraient calculés suivant des règles précises. Le fait que les vingt-quatre noms ici consignés soient tous composés de sept syllabes chacun,

a' quelque chose d'artificiel, surtout si à plusieurs reprises il a fallu l'addition d'un -ma pour compléter ces sept syllabes (cf. ci-dessus). Mais avant de le décider, il faudrait pouvoir lire un plus grand nombre de signes et rechercher alors les lois possibles de leur mise en

1. C'est encore le cas, semble-t-il, du chien tenu en laisse et figuré sur le relief W 14607 (Heinrich-Falkenstein, Sechster vorlâufiger Bericht tiber die... in Uruk-Warka unternom- menen Ausgrabungen, 1935, pi. 18a); cf. aussi BM 91911 et MM 12.19.4, figurés dans AfO, XI (1936-37), p. 17 (fig. 22, 23); et encore Hall, Sculpture babyl. et assyr., pi. LUI, fig. 1.

Par contre, ibid., fig. 2, les chiens de chasse semblent porter un collier métallique en spirale.

(2) L'attestation archéologique la plus claire serait, à ma connaissance, VA 4266 (cf. AfO, XI, p. 13, fig. 17), où le molosse accroupi semble bien avoir le cou entouré d'une large bande qui pourrait être du cuir (cf. aussi peut-être BM 22958, ibid., p. 17, fig. 24).

pi. ii

La tablette De Liedekerke-Beaufort (Face - Revers - Tranche)

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place. Notre texte est trop incomplet, me semble-t-il, pour seulement tenter cette étude.

Enfin et surtout, il peut s'agir d'un talisman, et la disposition des signes par sept, nombre « magique » s'il en fut, et peut-être même le choix des « noms », [seraient [alors l'effet de croyances religieuses ou superstitieuses. Ici encore, pour obtenir une certitude, la lecture complète du texte serait désirable et quelque duplicat proche ou lointain ferait bien notre affaire. Ce que l'on peut seulement remarquer, en l'état actuel des choses, c'est que les « noms » encore lisibles paraissent beaucoup plus concrets et prosaïques que ceux du rituel et des statuettes cités plus haut, et l'on ne voit pas trop tout d'abord quel sens « magique » ou apotropaïque leur donner.

[Voir maintenant, ci-dessous, pp. 30-35.]

2. Une tablette cunéiforme en provenance d'Afghanistan.

Ce document appartient à M. Pierre Hamelin, ancien membre des missions archéologiques françaises de Mari et de Bagrâm, lequel, comme il l'explique en sa note ci-dessous, l'a acheté au bazar de Saraj-Khwaja, près de Kaboul, en Afghanistan.

Ce n'est, par malchance, qu'un fragment de 5 cm. de long, 6 cm. de large et 2 cm. 1/2 d'épaisseur, représentant un coin gauche de tablette. Cette dernière, si l'on tient compte des courbures, devait être écrite sur sa largeur et plus large que longue. Elle est faite d'une argile brune, qui doit avoir été séchée seulement, mais non pas cuite.

Il y subsiste les traces de 18 débuts de lignes d'écriture cunéiforme, plus le commencement d'une autre à la Tranche latérale. Je ne puis déterminer avec certitude quelle était la Face et quel le Revers. Deux lignes [12-13' [de [ma numérotation) ont été effacées par le scribe, sauf quelques clous plus profondément dessinés et qui apparaissent encore.

Sur la Tranche latérale, en sens inverse du signe cunéiforme subsistant avant la cassure, on lit encore un épigraphe araméen en deux ou trois mots : un seul, le premier, est intact et lisible : S T R, suivi d'un long trait oblique qui peut représenter la rayure d'un ongle.

26 SYRIA

Face?

It.

10'

Fig. 3. — Tablette Hamelin.

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Voici la copie du document (fig. 3). Les signes cunéiformes sont fermement dessinés et rien ne donne à penser

qu'il s'agisse d'un faux. Toutefois l'écriture, fortement penchée en arrière, est difficile à lire. Elle semble porter tous les caractères de la dernière époque de la paléographie cunéiforme : temps des Perses ou plus probablement des Séleucides. Mais n'étant pas moi-même suffisamment expert en ce genre de graphie et ces sortes de documents, je n'ose pas tenter ici un déchiffrement que seul un spécialiste pourrait mener à bien. On notera en particulier, parmi les quelques mots que j'ai pu lire, à la ligne 5' , un MU 19 KAM « dix-neuvième année », qui pourra peut-être servir de point de départ à la datation.

En attendant qu'un connaisseur nous donne lecture et commentaire de ce texte difficile et fort incomplet, il faut surtout insister sur la provenance tout à fait insolite du document. A ma connaissance, on n'a jamais parlé encore de tablettes ou textes cunéiformes ramenés d'Afghanistan. C'est pourquoi, afin de bien mettre ce point important en lumière, j'ai demandé à M. Pierre Hamelin la petite note qu'on va lire :

II est toujours malaisé de préciser sur un planisphère un lieu de trouvaille, de telle manière qu'il ne puisse y avoir la moindre hésitation et que chacun puisse dire : « Cest là ! »

Nous ne pouvons trouver un meilleur guide, pour la topographie de V Afghanistan, que le regretté Alfred Foucher, qui y a passé sept ans de sa vie d'archéologue. Son ouvrage La vieille route de l'Inde, de Bactres à Taxila, dont nous extrayons la carte' ci- jointe (fig. 4), précise V ancien itinéraire qui réunissait ces deux hauts-lieux. La route suivie par\ Alexandre le Grand W, qui la recroise, montrera l'intérêt historique de la région.

Enfin, depuis les fouilles sensationnelles de J. Hackin sur le site antique de Bagrâm («. la Ruine y»), nous connaissons sur ladite route l'emplacement même de la Kapiçi (ou Kapiça) -capitale dont Cyrus le Grand se vante d'avoir fait en personne la conquête.

Notre carte d'une région très montagneuse ne saurait noter les reliefs : seuls les noms se trouvent indiqués, en suivant la ligne défaite des différentes chaînes.

(x) Nous l'avons ajoutée sur la carte ci-jointe.

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Pour délimiter la forme triangulaire du Kapiça-pays, dénommé actuellement le Kohdaman («. Pied-du-mont n), on coudra bien suivre les lignes que voici : au N.-O., chaîne de Paghmân; au N.-E. vallée du Panjshir par-delà le Siyâh-Koh; au sud, le Safed-Koh.

Cetteplaine, entourée de hauts sommets et a" une altitude moyennede 1.700 m., est en fait une vaste cuvette de 60 km. de long, au pied de V Hindou-Koush, et, pour en sortir, il faut franchir des cols très élevés : Ounaï-pass, 3.350 m., vers Bâmiyân ; Lataband, 2.370 m., vers J elâlabâd-Hadda.

Au nord, le Kapiça se termine dans la région de Jebel-Serâj, Parvân, Goulbahar, où Alexandre avait fondé Alexandria ad Caucasum.

La contrée ainsi historiquement et géo graphiquement bien définie fut de tout temps une région prospère et de grande fertilité, et malgré ses dimensions restreintes elle a été appelée à jouer un grand rôle. Les grands Kushans avaient à Kapiçi leur résidence a" été, et Von entrevoit déjà que bien des rois Indo- Bactriens ne Vont point délaissée.

La route moderne entre dans cette plaine à Bout-Khak, passe par Kaboul, le col de Khaïr-Khanah, Sarâj-Khwaja, Karabagh, Chârikar, et à Jebel- Serâj, dans la haute vallée du Gherband, dans V Hindou-Koush, pour atteindre la plaine de Bactriane.

O est dans le bazar de Sarâj-Khwaja que nous avons fait V acquisition de la tablette publiée ici.

La localisation du site de V achat n implique pas que la tablette y ait été exhumée au cours de fouilles clandestines, car les caravaniers venant du Nord de V Hindou-Koush se hâtent d'écouler dans les bazars de Chârikar et de Sarâj- Khwaja toutes les antiquités qu'ils ont ramassées dans la région de VOxus.

Rappelons que V Anglais Masson explique dans un rapport qu'il avait deux représentants hindous à Chârikar et que c'est par leur intermédiaire qu'il avait acquis les trente mille monnaies que Von attribue indûment au site de Bagrâm.

Au sud de la route moderne, à Sâraj-Khwaja, une ruine antique fort imposante, appelée Eskanderia, représente sans doute la ville cTOrthospanum que nous trouvons dans Ptolémée. Si une caserne moderne n'en couronnait le sommet, il y aurait là une belle série de fouilles à faire.

L'antiquité du site est certaine. Un ancien itinéraire, indiqué par A. Fou-

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30 SYRIA

cher, partait de Sarâj-Khwaja, passait par le petit col de Paé-Minar, venait traverser le Kaboul-Roud près de Tchamandala, Kaboul moderne, pour aboutir, dans la région de Bagrâm, sur le Logar, au village de Shevaki où se trouvent les ruines bouddhiques les plus étendues de la région, avec les stupa de Shevaki et le Minar-Chakri, colonne colossale placée sur la crête et que dominait sans doute une immense « Roue de la Loi » maintenant démolie.

Pierre HAMELIN, Paris.

Comme on voit, si le lieu de trouvaille de la tablette n'est pas fixé, et s'il reste possible qu'elle soit venue échouera Sâraj-Khwaja, au terme de périples caravaniers plus ou moins longs et commençant peut-être en Perse occidentale, voire en Mésopotamie, il demeure une chance pour qu'elle ait vu le jour en Afghanistan même, et peut-être dans cette Eskanderia-Orthospanum dont les ruines sont proches de Sâraj-Khwaja. Ce serait donc alors la tablette cunéiforme la plus « orientale » connue, et un témoin important de l'extension de la langue et de l'écriture mésopotamienne vers l'Orient, jusqu'en pleine époque « araméenne ».

Jean Bottéro, Paris.

NOTE ADDITIONNELLE (Jeu graphique ou talisman?)

J'ignorais, en écrivant l'article ci-dessus (p. 17-25 ) et en y déplorant l'absence d'un duplicat pour éclairer la tablette de Liedekerke- Beaufort (= L.-B.), non seulement que ce duplicat existait — en réserve, lui aussi, depuis plus de quarante ans — mais que M. E. Weidner en préparait concurremment l'édition, et même pour le présent volume (voir p. 175) !

Cette rencontre, assez extraordinaire, nous a permis de mieux entendre nos grimoires . On lira d'autre part (p. 182), la note ajoutée par M. Weidner à son étude de BM 33333 B. Voici, dans l'essentiel, ce que me semble apporter ce dernier pour l'intelligence de notre tablette.

1. Date. BM 33333 B est d'époque séleucide. Pour L.-B. je m'étais arrêté aux temps néo-babyloniens. En l'absence de l'original, on ne peut guère aller plus loin, me semble-t-il, étant donné que l'écriture de la tablette n'est pas cursive, mais manifestement appliquée, calligraphiée, et dans les

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formes stéréotypées au cours du premier millénaire. Pourtant, grâce au texte publié par M. Weidner, voici au moins un indice orthographique à retenir : en III 2, la valeur kàs (voir ci-dessous), utilisée, mais plus rarement, par les scribes néo-babyloniens, s'accommoderait mieux d'une époque plus récente, perse ou séleucide (voir W. Von Soden, Syllabar, p. 50, n° 130) (1).

2. Texte. Pour la Face de L.-B., les deux textes sont identiques, excepté quelques variantes sans importance majeure : sa- pour sa-, en II 2; la-b[i-i]s pour lab-bi-is, en II 3; te-la-am-ma pour te-el-lam-ma, en III 1; [ta-sa-ba pour ta-sa-ab, et ku-ru-un-nu pour ku-ru-un-ni, en III 3. De même, le -ma « supplémentaire » (voir ci-dessus, p. 20, n.' sur I 3), s'il est maintenu en I 3 et III 1, se trouve supprimé en II 2 et IV 1 : c'est donc bien un élément accidentel.

Mais dans trois cas au moins, BM 33333 B nous fournit la lecture complète des propositions correspondantes de L.-B. Tout d'abord, en III 2, il permet de lire k[à]s le signe cassé que je lisais k[a]p? à contre-cœur; la proposition entière est désormais limpide : ki-i sâ-qi-il kàs-pa « (Tu seras) comme un peseur d'argent », nous dirions volontiers « comme un manieur d'argent »...

En IV 1, les trois premiers signes sont intacts dans BM 33333 B, et il faut lire : te-bi-ir(-ma) ha-àr-ri « Tu passeras des canaux » (ou « un canal »).

De même en III 1 : û-us-su te-la-am-ma j te-el-lam-ma, que j'entendrais « Tu dépasseras des limites » (sur us(s)u, voir, par exemple, ZA, XLIII [1936], p. 62, ligne 219; et Ortl, ns., XVI [1947], p. 185; cf. aussi Delitzsch, HWB, p. 106, b, où le mot est attesté en construction avec le verbe elû, à la forme St).

3. Sens du document. C'est ici que BM 33333 B nous est le plus précieux. Tout d'abord, inscrivant dans le losange central de chaque case la mention d'un signe du Zodiaque, il résout d'emblée le problème du genre littéraire de notre document, qu'il rattache au domaine astrologique. M. E. Weidner a dit là-dessus excellemment (p. 175 ss.) tout ce qu'il fallait dire.

(a) M. E. Weidner m'a fait remarquer (lettre Ionienne tardive (spâtbabylonisch) en prove- du 21 juin 1956) que le comte de Liedekerke- nance de Warka-Uruk. Ce serait là un nouvel Beaufort avait ramené de Mésopotamie, en indice de la date plus récente de notre tablette. 1914, surtout des documents d'époque baby-

32 SYRIA

La lecture des propositions entourant chaque signe astral, et qui devaient former autant d'oracles donnés par le sort aux interrogations des usagers du Losbuch, éclaire encore davantage l'aspect divinatoire du document. Dans plusieurs cas, en effet, la « réponse » dérive exactement du caractère même du symbole zodiacal : avec les Gémeaux (II 1) nous lisons : « Tu auras un compagnon » (1); avec le Lion (II 3) : « Tu seras fort comme un lion »; avec la Balance (III 2) : « (Tu seras) comme un peseur

d'argent »; avec le Capricorne (IV 2) : « (Tu seras) comme un chef de

peau ». Il est probable que les autres légendes étaient aussi rattachées au

nom des constellations et à la qualité des personnages zodiacaux qui les concrétisaient, mais nous ne connaissons pas assez leur mythologie pour comprendre chaque fois l'allusion.

Tout se passait ^donc comme si la figure du Zodiaque attribuée par le sort à l'usager du Losbuch, servait en quelque sorte à la fois de protase et d'apodose divinatoires : de protase par le nom [même du « signe »; d'apo- dose par l'effet qui devait en résulter et qui, dans la perspective astrologique, était obligatoirement la propre action du personnage divin ou quasi divin représenté par chaque élément du Zodiaque. On sait que pour les Babyloniens les étoiles étaient les « images des dieux » (Enûma élis, V, 1-2), leurs tenants-lieu et en quelque sorte leur apparence visible; et des constellations zodiacales, en particulier, Diodore de Sicile, informé par Bérose (cf. P. Schnabel, Berossos, p. 107 s.), nous explique qu'on les appelait en Mésopotamie « les douze Maîtres » (xuptooç ... ScoSexa) du temps et du cours des choses (Bibliotheca historica, II, 30, 6-7). Il est à croire que les théoriciens mésopotamiens de l'astrologie, avant même leurs élèves grecs et romains (pour ces derniers, voir F. Cumont, Astrology and Religion among the Greeks and Romans, p. 113 s., et notamment p. 118; Les religions orientales dans le paganisme romain, 4e éd., p. 163 s.), en avaient déduit que chacun de ces « maîtres » agissait selon sa nature, définie par son nom et

(*) Le caractère « prophétique » du document impose la traduction au futur.

SYRIA, XXXIII (1956) PI. Ill

La tablette Hamelin

DEUX CURIOSITÉS ASSYRIOLOGIQUES 33

sa légende. Nous aurions ici une application de ce théorème : placé par le sort sous la dépendance de l'un des « maîtres », l'usager du Losbuch devait s'attendre à un destin conforme à l'efficacité particulière du personnage divin en question; ainsi, les Gémeaux lui accorderaient un compagnon, le Lion lui donnerait une force de lion, etc.

C'est sans doute parce qu'une telle vertu pouvait être multiple que nous trouvons, dans L.-B., non pas un seul jeu de prévisions (comme dans BM 33333 B), mais deux. Car le Revers de notre tablette est évidemment à interpréter comme la Face : c'est une autre série de « sorts » (voir déjà E. Weidner, ci-dessous, p. 177), et il est regrettable que plus un seul de ces présages ne soit compréhensible, dans le malheureux état actuel du document. Peut-être la Face représentait-elle les présages favorables (ils le paraissent tous, à ce que nous pouvons en comprendre), et le Revers les défavorables? Le « tirage » du sort devait comporter un premier temps, fixant la Face ou le Revers, avant d'aboutir à l'une des douze cases de chaque série. Il est de fait, en tout cas, que dans la croyance babylonienne, les douze personnages du Zodiaque apparaissent plusieurs fois comme de funestes démons, tels les onze monstres enfantés par Tiâmat et qui, avec Kingu, forment ses alliés et sa troupe dans YEnûma élis (I, 140 ss. ; et voir KAT^, p. 502); et dans l'Hymne acrostiche d'Assurbanipal à Marduk, il semble aussi que ce dernier soit invoqué pour réprimer leur mauvaise influence (cf. KB, VI /2, p. 110 s., ligne 16). On pourrait donc s'attendre à ce qu'un tel aspect redoutable de leur activité n'ait pas été négligé dans la divination.

Reste un problème sur lequel BM 33333 B ne nous fournit apparemment aucune lumière : celui que pose le colophon de L.-B. en parlant d'une « meute de chiens » (1). Le « Chien » était bien le nom d'une étoile (Hercule?;

(x) La question de la bizarre graphie « hep- tamère » et en spirale, reste également sans réponse. Toutefois, le chiffre « sept » est à sa place en ce contexte ésotérique. Et la disposition des signes énonçant le présage, en cercle autour du losange central où se trouvait nommée la cause de ce présage, figure assez bien Vinfluence de cette dernière, et comme

SYRIA. — XXXIII.

la diffusion et le rayonnement de sa vertu. C'est le principe traditionnel de la confection des « cercles magiques » et « pentacles » : on en voit de nombreux exemples dans les recueils de sorcellerie, astrologie et magie, comme Le Musée des Sorciers, Mages et Alchimistes, par Grillot de Givry (Paris, 1929), fig. 73-79, 81-83, et pi. en couleurs de la p. 102.

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voir B. Meissner, BuA, II, p. 412), mais il n'avait rien à faire, que je sache, avec l'ensemble du Zodiaque. Notre document nous inviterait-il à imaginer que les douze constellations zodiacales pouvaient être comparées à une « meute de chiens »?

C'est un fait bien connu que, chez les Grecs au moins (n'oublions pas la date probable de notre texte), non seulement les chiens étaient les compagnons de certains dieux, comme Hécate (cf. E. Rohde, Psyché, trad, française, p. 331, et n. 3), Apollon (cf. 0. Gruppe, Griechische Mythologie, p. 947, n. 5, etc.) et Asklépios (ibid., p. 1445, n. 10), mais que le nom de « chien » servait à marquer l'agent d'un dieu, l'exécuteur de ses volontés : Pan était le « chien-de-garde » de Cybèle, selon Pindare (fragm. 95, éd. Christ); et Pythagore (voir le fragm. 196 d'Aristote, éd. Rose) donne le nom de Hzpozyovflç xûveç précisément aux planètes! Chez les Babyloniens, de même (peut-être en héritage des Sumériens, car les Sémites méprisaient et méprisent encore le chien), cet animal était le compagnon et le symbole de certaines divinités : la plus connue est la déesse Gula (cf. Landsberger, Fauna, p. 8 s., ligne 87, et p. 86; aussi RA, XVI [1919], p. 139); mais on trouve aussi attestés un « chien de Samas » (? ; cf. Fauna, loc. cit., ligne 88), un « chien de Sin » (Deimel, Pantheon, n° 1240), un « chien de Zababa » (ibid., n° 1241), un « chien de Ninurta » (ibid., n° 1242), un « chien de Éa » (KAR, n° 54' 5-6; et cf., sur ce texte, MVAG, XXI, pp. 17 ss. ; OLZ, XXII [1919], col. 114 ss.; ZDMG, LXXIII [1919], p. 177 s.) et des « chiens de Marduk » (CT, XXIV, pi. 16, 19-22; pi. 28, 73-75). D'autre part, si le mot, dans l'accadien courant, impliquait toujours quelque chose d'avili et

d'humilié (ainsi lorsqu'un serviteur du roi se proclamait son « chien », comme dans les textes cités par Delitzsch, HWB, p. 328, 6; voir aussi, souvent, à El-Amarna : EAT, II, p. 1432; les noms propres du scheme Kalbi + nom divin, étaient rares : voir Stamm, Akkadische Namengebung, p. 12, note 2, et p. 261), il restait certainement souvenance, au moins parmi les lettrés, de la tradition sumérienne selon laquelle UR, qui signifiait « chien », marquait aussi « le serviteur » et, comme nous disons, « la créature » d'un dieu (Delitzsch, Sumer. Glossar, p. 47; les noms propres sumériens du scheme UR + nom divin, étaient fort nombreux : voir par exemple Huber, Personnenamen..., pp. 69-83).

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Avec cela, et sans même qu'une influence étrangère fût indispensable, il était possible, en Mésopotamie, d'assimiler certaines divinités mineures (c'est du reste le cas de la plupart des « chiens de dieux » énumérés plus haut) à des « chiens » des Grands-Dieux, pour les présenter comme les exécuteurs de leurs ordres. Les statuettes de chiens « apotropaïques » dont il a été question ci-dessus (p. 22 s.), n'étaient peut-être pas autre chose que la figuration de ces « domestiques » des Grands-Dieux, chargés de veiller sur le destin des hommes.

L'idée d'une « meute céleste » composée des douze constellations zodiacales mandatées par les dieux suprêmes pour régenter les destinées, expliquerait bien notre obscur colophon, ou du moins ce qui nous en reste. Mais ce n'est là encore qu'une fragile hypothèse. Toutefois l'on peut maintenant espérer que d'autres duplicats et de nouvelles trouvailles dispenseront, sans trop tarder, plus de clarté sur nos deux petits documents dont l'originalité et l'importance sont désormais hors de conteste.

Jean Bottéro, Paris.