Détention hydrique superficielle de sols à argiles gonflantes de Tunisie (quantification,...

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Détention hydrique superficielle de sols à argiles gonflantes de Tunisie (quantification, dynamique) Jean Collinet, Patrick Zante, Jean Albergel Dans les programmes tunisiens sur la Conservation des Eaux et des Sols, des actions de recherches concernent l'analyse des comportements hydrodynamiques et érosifs des sols cultivés de bassins versants alimentant des petites retenues collinaires. Cette analyse, qui prend en compte toutes causes susceptibles de modifier ces comportements, a mis en évidence le rôle particulier des sols à argiles gonflantes. En fin de saison sèche, ces sols différenciés sur marnes et argilites sont abondamment fissurés. Ces fissures sont suffisamment larges et profondes pour constituer un réservoir hydrique temporaire susceptible de jouer un rôle non négligeable dans le stockage des premières pluies de septembre ou octobre. Nous proposons de traiter ci dessous quelques aspects sur la quantification, l'évolution de cette détention hydrique superficielle d'origine fissurale ainsi que le rôle qu'elle joue dans le domaine de la conservation des sols . Le site de mesure du bassin versant de Kamech est situé dans le nord du Cap Bon (cf. carte). Le bioclimat s'inscrit en limite du méditerranéen semi-humide et du semi-aride supérieur (P/ETP de 0,2 à 0,5) . Le paysage vallonné résulte d'une morphogénèse Quaternaire récente surcreusant les aplanissements villafranchiens en vallées et vallons perpendiculaires. Dans notre site, affleurent les séries du Miocène supérieur qui sont de larges bancs de marnes armés par de fines intercalations de barres gréseuses (cf. photo aérienne). A l'aplomb des marnes se différencient des sols jeunes , peu épais (cf. profil à droite), argileux à argilo-limoneux (A+LF # 75 % et 15 % de CO3Ca), la fraction argileuse contient de l'illite héritée, des interstratifiés et des smectites. Les surfaces labourées en frais se restructurent rapidement par déssèchement des mottes en polyèdres moyens. Les jachères, aux structures plus ou moins fondues en saison des pluies, se fissurent abondamment. Le sol peut être classifié en: Pélosol typique (RPF 90), Sol calcimagnésique brun calcaire ou calcique (CPCS 75), Kastanozem calcique (FAO), Eutrochreptic rendoll (US Soil Taxonomy). Le bassin est cultivé à 75% en sommet des formes (céréaliculture, légumineuses, irrigation de la tomate), les pentes fortes restent en parcours pour le bétail. CADRE La détention hydrique fissurale fut évaluée à partir de quelque 200 mesures de la géométrie des fentes sur des placettes de 1m² délimitées par le quadrillage d’une parcelle rectangulaire de 200m² située sur un versant de 30 à 40 % de pente (cf. photo). Deux années de mesures ont permis de dessiner (première méthode) ou de photographier (seconde méthode) le réseau de fissures et de dépressions apparues en surface. La géométrie et le volume du réseau fissural et l'extension des dépressions sont évalués par la mesure de leurs longueurs, largeurs et profondeurs. Ces informations sont traitées sur ordinateur: les schémas des fentes (dessins ou photo) sont scannés puis reportés dans un logiciel de cartographie assistée (Mapmaker). Ces différentes mensurations sont traitées dans un tableur pour le calcul des volumes des différents parallélipipèdes. Le cumul des volumes de ces formes fournit la capacité totale de détention hydrique superficielle sur 1m², elle s’exprime donc directement en millimètres d’eau. La figure de droite schématise trois états successifs d ’une des 200 placettes. Avec le cumul des précipitations, les fentes se referment progressivement pour laisser la place à des dépressions. METHODE Fissures, juillet 98 Évolution des fissures en dépressions septembre 98 Evolution des détentions hydriques superficielles liées aux fissurations de fin de saison sèche sur pélosols du B V de K AM ECH 0 20 40 60 80 100 120 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 longueurdu versant (m) D étention hydrique fissurale en mm P luies< 1m m P luies de 10 à 20 m m P luies de 25 à 50 m m P luies > 120 m m am ont aval Les résultats obtenus portent sur: a) une quantification de la détention fissurale locale et instantanée des surfaces, b) la dynamique de fermeture des fissures. a) l'histogramme de gauche représente les valeurs médianes des détentions fissurales de l'amont vers l'aval de la parcelle de 200m² et ce, pour 4 cumuls de pluies correspondant à l'installation de la saison pluvieuse. Les ouvertures maximales des fentes, en fin de saison sèche, permettent de stocker, en moyenne, 70mm de pluie, situation correspondant à des évènements plausibles en début d ’automne. On constate aussi un effet topographique avec un "élargissement" de la fissuration vers les plus fortes pentes à partir de la mi versant (étude du couplage avec la génèse des mouvements de masse et des ravinements, en cours). b) les courbes du graphique , en bas à gauche, représentent huit exemples de dynamiques de fermeture des fentes avec le cumul des précipitations. Sur cette situation des pélosols de Kamech, on peut estimer que le réseau de fentes est complètement effacé pour un cumul de 200mm de pluies. Ce processus ne contrôle que la conductivité hydraulique superficielle. Des sites macroporeux subsistent en effet plus longuement en profondeur où l ’évolution porale est liée à la diffusion hydrique et non pas aux fusions et effondrements structuraux des surfaces. Nous n'avons suivi que la dynamique de fermeture, son analyse répondant plus à notre attente. Il faut évidemment considérer que le processus étudié produit un effet hystérètique et que l'on ne peut utiliser les mêmes courbes pour illustrer le processus inverse lié à la dessication. Les travaux de D. Tessier, G. Pédro, L. Camara (1980), E. Braudeau (1989), F. Favre, P. Boivin, M.C.S. Wopereis (1997) ont identifié et expliqué cette hystérèse depuis les échelles microscopiques. RESULTATS D ynam ique de ferm eture des fissures surpélosols du B V de K am ech A 20 y = -15.73Ln(x)+ 95.617 R 2 = 0.7986 A 12 y = -16.632Ln(x)+ 101.91 R 2 = 0.8113 A 6 y = -14.177Ln(x)+ 91.292 R 2 = 0.5385 A 2 y = -12.783Ln(x)+ 75.5 R 2 = 0.6172 A 18 y = -13.271Ln(x)+ 87.376 R 2 = 0.7241 A 16 y = -21.157Ln(x)+ 119.56 R 2 = 0.8824 A 14 y = -18.243Ln(x)+ 105.16 R 2 = 0.8525 0 20 40 60 80 100 120 140 0 20 40 60 80 100 120 140 160 180 200 220 cum uldes pluies depuis le 1er juin (m m ) détention hydrique superficielle (m m) A2 A6 A 10 A 12 A 14 A 16 A 18 A 20 Cette étude, menée dans une perspective "conservationiste", a mis en évidence les faits suivants: - importance des possibilités de stockage des premières pluies automnales sur les sols à argiles gonflantes, et ce, jusqu'à plus de 100mm; ces pluies ne génèrent donc ni ruissellement ni érosion à une période de grande vulnérabilité des terres car elles sont alors quasiment dénudées, - cet "hyper-drainage" amène cependant une saturation hydrique en interface sol / altérite, là où les modifications des caractéristiques mécaniques amènent soit une perte de cohésion soit une fluidification, il s'en suit une augmentation des risques de mouvements de masse pelliculaires (photo de droite), - cet "hyper-drainage" est aussi à l'origine d ’une suffosion par dissolution et évacuation des sels de certains sols (gypseux entr'autres), or ce "piping" est une des causes du démarrage de l'érosion ravinaire (photo de droite). La gestion conservatoire de ces sols à argiles gonflantes sur marnes doit s ’appliquer à rechercher un équilibre entre écoulement et drainage. Ceci peut être approché en préconisant une adéquation des façons culturales (diamètre des mottes entr’autres..) aux caractéristiques pluviométriques pour contrôler au mieux les conductivités hydrauliques superficielles . INTERET DE L ’ETUDE Localisation du bassin versant de KAMECH Localisation du site dans le bassin versant D ’après Encyclopédie Alpha

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Détention hydrique superficielle de sols à argiles gonflantes de Tunisie(quantification, dynamique)

Jean Collinet, Patrick Zante, Jean Albergel

Dans les programmes tunisiens sur la Conservation des Eaux et des Sols, des actions de recherches concernent l'analyse des comportements hydrodynamiques et érosifs des sols cultivés de bassins versants alimentant des petites retenues collinaires.Cette analyse, qui prend en compte toutes causes susceptibles de modifier ces comportements, a mis en évidence le rôle particulier des sols à argiles gonflantes. En fin de saison sèche, ces sols différenciés sur marnes et argilites sont abondamment fissurés. Ces fissures sont suffisamment larges et profondes pour constituer un réservoir hydrique temporaire susceptible de jouer un rôle non négligeable dans le stockage des premières pluies de septembre ou octobre.Nous proposons de traiter ci dessous quelques aspects sur la quantification, l'évolution de cette détention hydrique superficielle d'origine fissurale ainsi que le rôle qu'elle joue dans le domaine de la conservation des sols.

Le site de mesure du bassin versant de Kamech est situé dans le nord du Cap Bon (cf. carte). Le bioclimat s'inscrit en limite du méditerranéen semi-humide et du semi-aride supérieur (P/ETP de 0,2 à 0,5) . Le paysage vallonné résulte d'une morphogénèse Quaternaire récente surcreusant les aplanissements villafranchiens en vallées et vallons perpendiculaires. Dans notre site, affleurent les séries du Miocène supérieur qui sont de larges bancs de marnes armés par de fines intercalations de barres gréseuses (cf. photo aérienne). A l'aplomb des marnes se différencient des sols jeunes, peu épais (cf. profil à droite), argileux à argilo-limoneux (A+LF # 75 % et 15 % de CO3Ca), la fraction argileuse contient de l'illite héritée, des interstratifiés et des smectites. Les surfaces labourées en frais se restructurent rapidement par déssèchement des mottes en polyèdres moyens. Les jachères, aux structures plus ou moins fondues en saison des pluies, se fissurent abondamment. Le sol peut être classifié en: Pélosol typique (RPF 90), Sol calcimagnésique brun calcaire ou calcique (CPCS 75), Kastanozem calcique (FAO), Eutrochreptic rendoll (US Soil Taxonomy). Le bassin est cultivé à 75% en sommet des formes (céréaliculture, légumineuses, irrigation de la tomate), les pentes fortes restent en parcours pour le bétail.

CADRE

La détention hydrique fissurale fut évaluée à partir de quelque 200 mesures de la géométrie des fentes sur des placettes de 1m² délimitées par le quadrillage d’une parcelle rectangulaire de 200m² située sur un versant de 30 à 40 % de pente (cf. photo). Deux années de mesures ont permis de dessiner (première méthode) ou de photographier (seconde méthode) le réseau de fissures et de dépressions apparues en surface.La géométrie et le volume du réseau fissural et l'extension des dépressions sont évalués par la mesure de leurs longueurs, largeurs et profondeurs. Ces informations sont traitées sur ordinateur: les schémas des fentes (dessins ou photo) sont scannés puis reportés dans un logiciel de cartographie assistée (Mapmaker). Ces différentes mensurations sont traitées dans un tableur pour le calcul des volumes des différents parallélipipèdes. Le cumul des volumes de ces formes fournit la capacité totale de détention hydrique superficielle sur 1m², elle s’exprime donc directement en millimètres d’eau. La figure de droite schématise trois états successifs d ’une des 200 placettes. Avec le cumul des précipitations, les fentes se referment progressivement pour laisser la place à des dépressions.

METHODE

Fissures, juillet 98

Évolution des fissures

en dépressions septembre 98

Evolution des détentions hydriques superficielles liées aux fissurations de fin de saison sèche sur

pélosols du BV de KAMECH

0

20

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1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

longueur du versant (m)

ten

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m

m

Pluies< 1mm Pluies de 10 à 20 mmPluies de 25 à 50 mm Pluies > 120 mm

amont aval

Les résultats obtenus portent sur: a) une quantification de la détention fissurale locale et instantanée des surfaces, b) la dynamique de fermeture des fissures.

a) l'histogramme de gauche représente les valeurs médianes des détentions fissurales de l'amont vers l'aval de la parcelle de 200m² et ce, pour 4 cumuls de pluies correspondant à l'installation de la saison pluvieuse. Les ouvertures maximales des fentes, en fin de saison sèche, permettent de stocker, en moyenne, 70mm de pluie, situation correspondant à des évènements plausibles en début d ’automne. On constate aussi un effet topographique avec un "élargissement" de la fissuration vers les plus fortes pentes à partir de la mi versant (étude du couplage avec la génèse des mouvements de masse et des ravinements, en cours).b) les courbes du graphique, en bas à gauche, représentent huit exemples de dynamiques de fermeture des fentes avec le cumul des précipitations. Sur cette situation des pélosols de Kamech, on peut estimer que le réseau de fentes est complètement effacé pour un cumul de 200mm de pluies. Ce processus ne contrôle que la conductivité hydraulique superficielle. Des sites macroporeux subsistent en effet plus longuement en profondeur où l ’évolution porale est liée à la diffusion hydrique et non pas aux fusions et effondrements structuraux des surfaces. Nous n'avons suivi que la dynamique de fermeture, son analyse répondant plus à notre attente. Il faut évidemment considérer que le processus étudié produit un effet hystérètique et que l'on ne peut utiliser les mêmes courbes pour illustrer le processus inverse lié à la dessication. Les travaux de D. Tessier, G. Pédro, L. Camara (1980), E. Braudeau (1989), F. Favre, P. Boivin, M.C.S. Wopereis (1997) ont identifié et expliqué cette hystérèse depuis les échelles microscopiques.

RESULTATS

Dynamique de fermeture des fissuressur pélosols du BV de Kamech

A 20 y = -15.73Ln(x) + 95.617

R2 = 0.7986

A 12 y = -16.632Ln(x) + 101.91

R2 = 0.8113

A 6 y = -14.177Ln(x) + 91.292

R2 = 0.5385

A 2 y = -12.783Ln(x) + 75.5

R2 = 0.6172

A 18 y = -13.271Ln(x) + 87.376

R2 = 0.7241

A 16 y = -21.157Ln(x) + 119.56

R2 = 0.8824

A 14 y = -18.243Ln(x) + 105.16

R2 = 0.8525

0

20

40

60

80

100

120

140

0 20 40 60 80 100 120 140 160 180 200 220

cumul des pluies depuis le 1er juin ( mm)

ten

tio

n h

yd

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su

pe

rfic

ielle

(m

m)

A2

A6

A10

A12

A14

A16

A18

A20

Cette étude, menée dans une perspective "conservationiste", a mis en évidence les faits suivants:

- importance des possibilités de stockage des premières pluies automnales sur les sols à argiles gonflantes, et ce, jusqu'à plus de 100mm; ces pluies ne génèrent donc ni ruissellement ni érosion à une période de grande vulnérabilité des terres car elles sont alors quasiment dénudées,- cet "hyper-drainage" amène cependant une saturation hydrique en interface sol / altérite, là où les modifications des caractéristiques mécaniques amènent soit une perte de cohésion soit une fluidification, il s'en suit une augmentation des risques de mouvements de masse pelliculaires (photo de droite), - cet "hyper-drainage" est aussi à l'origine d ’une suffosion par dissolution et évacuation des sels de certains sols (gypseux entr'autres), or ce "piping" est une des causes du démarrage de l'érosion ravinaire (photo de droite).

La gestion conservatoire de ces sols à argiles gonflantes sur marnes doit s ’appliquer à rechercher un équilibre entre écoulement et drainage. Ceci peut être approché en préconisant une adéquation des façons culturales (diamètre des mottes entr’autres..) aux caractéristiques pluviométriques pour contrôler au mieux les conductivités hydrauliques superficielles .

INTERET DE L ’ETUDE

Localisation du bassin versantde KAMECH

Localisation du site dans le bassin versant

D ’après Encyclopédie Alpha