Desrosières, A., Thévenot, L. Les Catégories Socioprofessionnelles

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Alain Desrosières Laurent Thévenot Les catégories socioprofessionnelles cinquième édition Éditions La Découverte 9 bis, rue Abel-Hovelacque 75013 Paris

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  • Alain Desrosires Laurent Thvenot

    Les catgories socioprofessionnelles

    cinquime dition

    ditions La Dcouverte 9 bis, rue Abel-Hovelacque

    75013 Paris

  • DES MMES AUTEURS

    Alain DESROSJRES, La Politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, La Dcouverte, Pari s, 1993 (La Dcouverte/Poches, 2000, postface indite de l'auteur).

    Laurent THVENOT (avec Luc B OLTANSKI), De la justification. Les conomies de la grandeur, Gallimard, Paris, 199 1.

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    ISBN papier: 978-2-7071-3856-9 ISBN numrique: 978-2-7071-6822-1

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  • Introduction

    Aprs la diffus ion des rsultats du recensement de 1975 concernant la rpartition de la population active par CSP [Th-venot, 1977] 1, un hebdomadaire dont le public cible est justement compos de cadres, L'Express, titre : Les cadres : 4 250 000 pro-blmes.>> Le chi ffre de l' INSEE est rapproch d' illus-trations : en couverture, un cadre est figur en penseur de Rodin, et, dans des encadrs, sont prsents les exemples d'un fond de pouvoir de banque nationalise, d ' un directeur de ligne de produit, d ' un ingnieur biologiste. A cette date, la (CSP) > compte 256 000 personnes, et la CSP , 654 000, soit au total 9 10 000 personnes. Pour atteindre un chiffre prs de cinq fois suprieur, il a fallu d' abord ajouter ces catgories les (377 000), et obtenir ainsi le total du groupe soc ioprofessionnel > (1 459 000). On est encore loin du chiffre de 4,2 millions que l'on n' atte int qu' en ajoutant encore l'ensemble des effectifs du groupe socioprofessionnel (2 765 000). Or, ce

    1. Dans ce livre, CS dsigne les ca1gories socioprofessionnelles en gnral; CSP, les CS au sens de la nomenclature de 1954 ; PCS, les CS au sens de la nouvelle nomenclature (professions ct catgories socioprofessionnelles).

    Les noms suivis d'une date qui figurent ent re crochets renvoient la bibliographie en fin de volume.

    Nous remercions Dominique Mcrlli pour la lecture comptente ct minutieuse d 'une premire version de notre texte, qui nous a permis de corriger des erreurs ou imprcisions.

  • groupe est compos de 737 000 instituteurs, 299 000 services mdicaux et sociaux (infirmires, kinsithrapeutes, psycho-logues, assistantes soc ia les, etc. ), 759 000 technic iens >> et 970 000 cadres administratifs moyens>>. Un autre hebdomadaire commentant les mmes chiffres, Le Nouvel conomiste, donne un exemple de en la personne d' un secrtaire gnral d'une PME d'articles de voyage. La CSP comprend, en fait, prs d' un tiers de fonctionnaires du cadre B (niveau contrleur) auxquels s' ajoutent des reprsentants de commerce, des comptables et des secrtaires de direction qui peuvent, eux, avoir le statut de cadre [Des rosires, Thvenot, 1981 , p. 183]. Ajoutons que l'exemple du Nouvel conomiste aurait t cod dans la CSP > .

    Nous sommes donc ici en face d' une confusion entre, d ' une part, une reprsentation stati stique condense dans un chiffre, et, d 'autre part, une reprsentation constitue de mots et d'exemples types figurs par des images ou des descriptions mettant en valeur des emblmes typiques de cadres. On pourrait ce propos parler de falsification ou tout au moins d'erreur rsultant d' une mau-va ise information sur la class ification professionnelle qu' un ouvrage te l que celui-ci se proposerait de complter. Comme le lecteur le constatera au fil de none propos, nous avons cherch non pas tant rectifier des erreurs qu ' clairer tout un processus d ' interprlation des catgories sociales dont l'exemple prcdent n'est qu'un cas extrme, et qui trouve toujours sa place dans l'uti-li sation des donnes statistiques, ne serait-ce que lors de la lecture d ' un tableau associant un chiffre un intitul de colonne.

    Les enqutes et les tudes visant dcrire la socit franaise utili sent trs souvent ce dcoupage socioprofess ionnel qui, fabriqu par des statisticiens et des dmographes de l' INSEE dans les annes cinquante, a t ensuite repris bien au-del du cercle des stati sticiens et des spcialistes des sciences sociales, familiers de la conception technique de l'instrument. La gnralisation de son usage ncessite donc une prsentation accessible de sa construction et de ses mises en uvre, particulirement utile au moment o la nomenclature a t sensiblement remanie. Cela constitue donc un premier objectif de cet ouvrage : dcrire la structure de la nomen-clature et les raisons des modifications apportes en 1982 (cha-pitre rv) et esquisser une synthse de rsultats accumuls au moyen de cet instrument (chapitre v) .

  • Cependant, une c lass ification socioprofess ionnelle ne peut tre traite comme n' importe quel outil stati stique dont il s'agirait d'expliquer le fonctionnement. Elle est troitement lie aux op-rations de reprsentation d' une socit : reprsentation statistique, certes, obissant certaines contraintes techniques ; reprsen-tation politique, ensui te, puisque l'on parle aujourd' hui cou-ramment des socioprofessionnels >>, pour des personnes ayant un mandat comparable celui d'autres lus; reprsentation cognitive ordinaire, enfin, dont chacun dispose pour se reprer et faire des rapprochements dans la vie en socit, et qui a rapport avec la pro-fession ou le milieu social.

    La prsentation des CS, de leur volution, de leur contenu, de leur utilisation et des effets de cet usage, ne peut donc se passer de la prise en compte des liens entretenus avec d'autres formes de reprsentation de la socit. Nous envisagerons ces liens sous trois clairages successifs qui permettent un recul suffi sant pour mettre e n question 1 'vidence nature lle du classement : un clairage historique (chapitrer), une approche politique de la repr-sentation professionnelle (chapitre 11), une tude sociologique et cogni tive des catgories ordinaires du reprage social et de leurs influences sur la chane de traitement statistique (chapitre m).

    L' hi stoire, la fabrication et l' utili sation des CS ne sont donc pas des thmes abords de faon di sjointe. Cette sparation, laquelle on procde souvent, a comme consquence fcheuse que la nomenclature, au moment de l' utilisation, efface compltement tant sa gense historique que les conditions d 'enregistrement, de codage et d ' interprtation qui ont conduit l'laboration et la comprhension des tableaux de donnes.

    Les approches prcdentes convergent pour mettre en vi-dence au moins deux origines et deux utili sations de la CS, fondes sur des modalits di ffrentes de rapprochement des personnes et de constitution d' un ordre social. La nomenclature est une repr-se ntation compos ite qui m nage un compromi s entre ces modali ts. L'un des modes consiste caractriser des familles>>, des foyers>>, des mnages ou un mi lieu>>, partir de relations et de fili ations personnelles, de transmissions familiales de faons de faire et de vivre. L'occupation professionnelle prend alors la forme d'un mtier>>. Ce mode s'oppose un autre qui qualifie les personnes par leur emploi >> dans la di vision du travail , c'est--dire par une capacit anonyme, dfinie par des

  • critres et souvent sanctionne par un diplme ou un statut relevant d' une grille hirarchise de (PCS), et aux tudes qui les mettent en uvre. L' INSEE a, depuis longtemps, encourag des recherches de fond, historiques ou mthodologiques, sur les nomenclatures, les dfinitions des vari ables statistiques, les techniques de ques-tionnement, de codage et de traitement des donnes. Ces travaux ont t galement, de longue date, stimuls par une collaboration avec des sociologues. Cette rencontre entre deux espaces scienti-fiques qui, dans presque tous les autres pays, sont compltement spars, a apport une aide inapprciable pour aborder et traiter les questions de nomenclatures.

  • 1 1 L 'histoire des nomenclatures socioprofessionnelles

    La nomenclature franaise des professions et catgories socio-professionnelles (PCS) est utilise par les statisticiens et par de nombreux spcialistes de sciences sociales depuis le recensement de 1982. Elle rsulte d ' une longue volution , spcifique la France. Cela lui confere un caractre en apparence disparate, qui gne ou irrite parfois certains utilisateurs ou certains thoriciens. Ceux-ci souhaiteraient rduire sa structure une logique simple qui , selon les auteurs, devrait tre une division en mtiers, au sens traditionnel du mot, une dcompos ition en classes sociales, par exemple sur le modle marxiste, une grille de qualifications mettant en regard des formations et des emplois, une hirarchie d'aptitudes refltant des talents inns, une chelle de statuts dots de prestiges sociaux diffrents, ou encore un dcoupage en milieux regroupant des pe rsonnes vo isines par leurs comportements sociaux.

    Or, il se trouve que la nomenclature PCS renvoie peu ou prou presque tous les aspects numrs ci-dessus. Seule l' hi stoire de la faon dont les statisticiens ont enregistr les profess ions au cours du temps permet d 'expliquer un pareil assemblage. En effet, selon les priodes, cet outil de codage a pris des significations trs varies, qui n'ont pas compltement disparu dans la version actuelle et qui permettent de comprendre ces usages trs divers.

    L' hi stoire de la nomenclature socioprofessionnelle utilise par les statistic iens depuis le dbut du XIX' sicle fait apparatre trois grandes phases [Desrosires, 1977]. La premire est encore trs marque par l'organisation en mtiers qui prvalait sous l'Ancien Rgime. La deuxime, partir des annes 1850, voit merger peu

  • peu la distinction de plus en plus claire entre salariat et non-salariat. La troisime est caractrise, aprs les annes trente, par l' introduction d ' une hirarchie du salariat selon des grilles lies au systme de formation. Ce sont ces trois tapes successives qui per-mettent de comprendre la nomenclature d' aujourd' hui .

    1. Mtiers et transmission familiale

    Malgr l'abolition des corporations anciennes par la loi Le Cha-pelier en 1791, l'organisation sociale des mtiers et le vocabu-laire qui lui est li restent trs prgnants en France tout au long du XIX' s icle : on en voit bie n la trace dans les questionnaires ou comptes rendus de l'poque. Ainsi , en 1800, le ministre de l' Int-rieur, Chaptal, demande aux prfets rcemment nomms la tte des dpartements d'valuer le nombre des individus de diff-rentes classes>> LBourguet, 1988]. Il distingue d 'abord les pro-pritaires de biens-fonds>> (c'est--dire, dit-il , d ' une portion quelconque de territoire >>), pui s > A la suite de cette numration, il ajoute : et tous les autres, >. La troisime catgorie inclut donc tous ceux, matres ou compagnons, mdecins ou hommes de lo i, qui ont en commun d 'exercer un mtier fond sur un savoir-faire acquis par un apprentissage, et d 'en tirer la spc ificit de leur revenu et de leur position. Tous les autres, manuvres, domes-tiques ou mendiants, forment une >. Dans un tel dcoupage, la sparation entre matres et compagnons (qui bas-culera dans une distinction entre non-salaris et salaris) n 'est pas e ncore pertinente, non plus que le regroupe ment d'une , qui ne sera pense comme telle qu' partir des annes 1830, la suite des insurrections de 1832 1834, en incluant les (qui se transformeront en >) et

  • les manuvres >> (qui se transformeront en ouvriers non qua-lifis >>) [Sewell , 1983]. En revanche, l'existence d ' un groupe sp-cifique, ceux employs par l'tat , est un trait qui subsistera, malgr des clipses certaines poques.

    L'organisation en

  • disti nction entre et journaliers et hommes de pe ine >> y fi gure encore en 1872 et 1876. La construction d ' une classe ouvrire>> incluant les ouvriers non qualifis>> (comme on dira plus tard) n' est pas encore vidente.

    L' influence de cette structure de mtier, d'origine corporative, se manifeste aussi par la lenteur avec laquelle va se dgager la di stinction entre ce que les statisticiens d'aujourd ' hui appellent activit individuelle >> et activit collective, ou pro-fession et secteur d ' activit>>, qui constituent maintenant deux nomenclatures bien diffrentes, puisque l' une classe des per-sonnes et l'autre des entreprises. Or, elles restent confondues jusqu' la Seconde Guerre mondiale, tant reste forte, par exemple, la confusion boucher-boucherie>>, ou mdecin-mdecine >>. Cela n' implique pas que des divisions internes l'entreprise, d'abord entre patrons et salaris, puis entre ouvriers et employs n'apparaissent plus tt, mais elles constituent, on l'a vu, un autre dcoupage, celui des >. Le mtier ou la profession restent donc longtemps une unit de type familial et, dans ce schma, la distinction entre activits individuelle et est presque un anachronisme, non cohrent avec la logique des mtiers.

    2. La distinction entre patrons et salaris se prcise

    Les nomenclatures utili ses par les statistic iens d'tat refltent les transformations de l'organisation conomique et de la codifi-cation de celle-c i, travers des rgles de droit, des lois et des conventions. Tout au long du XIX' s icle, l' industrialisation se dveloppe, et les grandes entreprises capitali stes se substituent en partie la petite production lie aux mtiers artisanaux et commer-ciaux. Les effets de ces volutions sur le droit et la loi peuvent, pour ce qui concerne les dcoupages socioprofess ionnels, tre centrs sur deux moments : naissance du droit du travai l et de la dfinition bien codifie du salariat, vers la fin du sicle, puis large extension des grilles hirarchises d 'emplois qualifis dfinis en termes de formations, entre 1936 et 1950. Les rpercussions de ces deux tapes importantes sont directement li sibles dans les tableaux sur les professions prsentes par les recensements de population, e ffectus tous les c inq ans depuis 183 1.

  • La sparation entre patrons et salaris, aujourd' hui clai rement tablie par toutes sortes de rglementations, tait beaucoup moins nette au sicle dernier. Beaucoup de petits producteurs travail-la ient par exemple comme sous-traitants. Ils pouvaient tre la fois dpendants de donneurs d'ordre, et employer eux-mmes des compagnons :c'tait souvent le cas, dans la soierie, pour les canuts lyonnais. Ou bien encore, dans le btiment, des ouvriers rece-vaient une tche et recrutaient eux-mmes d'autres ouvriers. Ainsi, le recensement de 1872 fait-il apparatre, l'intrieur de la situation dans la profess ion des patrons, une rubrique des chefs ouvriers attachs aux arts e t mtiers, di stincts des ouvriers et des journaliers dj voqus.

    Ces situations vont peu peu disparatre dans le droit du travai l moderne. Cependant, dans la srie des recensements de 1896 1936, trs homogne quant ses mthodes de codage, subsiste une importante rubrique d' isols, fort significative cet gard. Ceux-ci, distincts tant des patrons que des ouvriers, regroupent aussi bien des tout petits producteurs marchands agricoles, arti-sanaux ou commerciaux, que des travailleurs domicile recevant des matires premires et travaillant la tche : on sent les commentateurs des recensements fort perplexes pour savoir si ces isols >> sont plus proches des salaris ou des patrons. Ils consti-tuent prs du quart (23 %) de la population acti ve en 1896, et encore 14 % de celle-ci en 1936 (tableau 1).

    L'exi s tence pendant quarante ans d ' une te ll e catgor ie d'> est rvlatrice du lien entre l'valuation statistique, qui se prsente souvent comme refltant les >, et l'ensemble form par l'organisation conomique, sa codification juridique plus ou moins acheve, l'usage qui en est fait, et les tech-niques mises en uvre pour oprer le codage stati stique. On peut dtailler ici ces quatre aspects, ne serait-ce que pour souligner le contraste avec des siruations plus rcentes, ou encore avec celles d'autres pays la mme poque, sur le cas de cette aujourd' hui trange : les isols.

    La persistance de ce groupe reflte celle d ' une conomie encore peu concentre dans de grandes usines : le modle dcrit par Marx est encore loin de concerner toute la production. La petite pro-duction marchande et le travail domicile sont des traces non ngligeables de ces formes antrieures. La dfinition claire d'un salariat bien dfini juridiquement n'est pas encore tendue toutes les activits conom iques, mais cette zone fl oue se rduit

  • T ABLEAU l. - L ES GROUPES PROFESSIONNELS EN 1936 Proponion p. 1 000 : 1") des chefs d' tablissemen! ; 2") des employs:

    3") des ouvrier.; ; 4") des chmeur.; : 5") des travailleur.; isols. par rappon l'ensemble des personnes actives, pour chaque sexe.

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    tt ouvrlers /soli> et ouvriers Chefs Emj,/oyis Ouvriers inairc:s . .. . ... . . .. . .. 87 100 648 7l 9l 89 82 649 78 Travail des m(taux

    fins ... ..... . .. . ... . 119 Jll l66 76 106 140 98 543 81 Pierres prcieuses ...... 200 3l 458 1(17 200 21,1 29 44l 93 Taille de pimt~, moulage 146 34 541 110 163 140 22 lll 113 T errassemenls, coostruc

    tion en pierre . . ... . 114 l2 565 121 148 li) 43 l71 123 Tra~ai1 des pierres et

    terres au feu ....... . 40 79 832 41 8 47 1l 8ll l9 Jooroalim e1 manuvres

    (s.a.i.) . ............ . 4)1 569 497 Manutention (journalltrs

    cxdus) .. .. : ........ 16 70 ) JO 276 268 17 65 415 200 TransportS ........... 41 194 684 JO 51 36 182 6'15 l2 Commess di>'fS ... 287 l23 129 34 221 283 ll6 180 44 Commerets rorains,

    sp

  • nanmoins. Les informations sur les professions et les situations dans la profession que fournissent les recensements sont surtout desti nes dcrire les caractristiques socioconomiques de la pro-duction et de la main-d'uvre, plutt que des statuts sociaux plus ou moins hirarchiss, comme c'est le cas au mme moment dans les pays anglo-saxons [Szreter, 1984]. La technique d'exploi-tation des recensements rsulte de cet usage particulier : les bul-letins individuels sont classs et liasss selon l'adresse des lieux de travail des personnes, ce qui permet de dresser une statistique d'tablissement. Les isols correspondent tout simplement au cas o un seul bulletin figure une adresse.

    3. Accords Matignon et classifications Parodi : les emplois qualifis

    La dernire tape conduisant la nomenclature des CS, uti-li se en France depuis le dbut des annes cinquante, est marque par le fait que la codification ne va pas s'appliquer seulement au salariat, en tant qu ' il est nettement distinct d ' un >. Elle va concerner aussi des niveaux l'intrieur de celui-ci, hi-rarchiss selon des dures et des types de fo rmation. Ce critre commence intervenir entre 1936 et 1950, et introduit une hi-rarchie unidimensionnelle, c'est--dire une > trs peu prsente dans les taxinomies antrieures.

    Celles-ci, on l'a vu, ne distinguaient, parmi les salaris, que les ouvriers et les employs. Parmi les premiers, la distinction entre anciens ouvriers > e t autres ouvriers ne subsistait qu ' indirec tement pui sque, dans les profess io ns e lles-m mes, taient numrs d 'abord avec un grand dtail des intituls de mtiers, parfo is archaques et vocateurs de la France tradition-nelle, puis ensui te, en une seule ligne, des manuvres, jour-naliers, hommes de peine ... >>. Les employs>>, pour leur part, incluaient les ingnieurs, technic ie ns, comptables ... et aucun regroupement n'apparaissait voquant ce groupe aujourd' hui si important dans l' image sociale la plus rpandue de la France : les cadres.

    Le dcoupage des ouvriers en et l'apparition du groupe des cadres sont lis aux mouvements sociaux qui se sont drouls entre 1936 et 1950, et l'extension rapide d'un vocabulaire standard is pour qualifier

  • les emplois, aux divers secteurs conomiques, partir du modle de l' industrie mtallurgique.

    Pour la premire fois en 1936, une ngociation nationale runit autour du prsident du Conseil issu du Front populaire, Lon Blum, les reprsentants de la CGT et de la CGPF (Confdration patronale, anctre du CN PF), pour di scuter des conditions de salaire pour tous les secteurs. Ainsi va se trouver acclr le mou-vement d' unification et de standardisation de la codificati on du travail salari, pralable indispensable au travail statistique.

    L' industrie mtallurgique joue dans ce mouvement un rle pr-curseur pour plusieurs raisons. C'est dans la branche automobile que, ds les annes dix, ont t introduites (chez Renault) les pre-mires formes de taylorisalion, c'est--dire un mode d' organi-sation du travail fond sur une divis ion e t une dfinition trs prcises des tches. Ce systme instaurait en particulier une spa-ration nette entre, d' une part, des tches rptitives, ncessitant trs peu de formation et confies des ouvriers dits , et, d'autre part, des tches d'entretien, rparation, contrle, usinages complexes, etc., incombant des ouvriers , c ' est--dire dots d' un savoir-faire acquis au cours d' une formation assez longue, soit en apprenti ssage, soit l'cole.

    Par ailleurs l' industrie mtallurgique avait t particulirement mobilise, pendant la guen-e de 19 14-19 18, par les commandes d'tat : armement, vhicules, chemins de fer. .. , ce qui avait acclr la mise en place des standardisations et des rglementations, car le ministre de l'Armement suivait et encadrait de prs ces entre-prises, afin d'assurer la rgularit et l'efficacit de leurs pro-ductions. C'est justement parmi elles que le vocabulaire des grilles de qualifications ouvrires est apparu en premier [Saglio, 1985].

    A la suite des accords Matignon de 1936, s'est gnrali se une procdure qui existait en principe depuis 1920, mais tait peu uti-li se : les conventions collectives de branche tablies entre patrons et syndicats d' une mme acti vit. C'est au cours des ngo-ciations de ces diverses conventions qu'ont t peu peu labors des intituls standardiss d'emplois et de ni veaux de qualification, alors qu 'auparavant, ces appellations taient extrmement diver-sifies selon les rgions, les sous-branches et mme les entrepri ses.

    Ce mouveme nt reste cependant, avant la guerre , d' ampleur ingale selon les branches, dans la mesure o les syndicats, ouvriers et surtout patronaux, ne regroupent encore souvent qu' une faible partie des travailleurs ou des patrons. Les petites entrepri ses,

  • en particulier, restent souvent l'cart de cette uniformisation des modes de gestion du personnel. La situation volue, entre 1940 et 1944, avec la mise en place par le rgime de Vichy, de (CGC) qui participa ds lors aux grandes ngociations.

    Toujours dans cette priode de l'immdiat aprs-guerre, d 'autres institutions apparaissent, qui vont jouer un rle important pour fournir des catgories prtes l'emploi, quand natra, vers 1950, la nomenclature soc ioprofessionnelle. Ce sont, d' une part, les comi ts d 'entreprise; d 'autre part, le statut de la fonction publique. Les comits d'entreprise, crs en 1945, sont constitus dans chaque firme de plus de 50 salaris, par les dirigeants de celle-ci et par des lus du personnel. Or, les lections de ces dlgus se font sur la base de trois collges spars, reprsentant trois niveaux du salariat. Ce sont les ( l'exclusion des contrematres), les >, et enfin les >. Cette procdure lectorale et ces >

  • contribuent cristalli ser des frontires qui, nagure, pouvaient dans de nombreux cas tre floues.

    Vers la mme poque, un autre important travail de mise en forme institutionnelle est effectu : les statuts des diffrents per-sonnels travaillant pour l'tat sont unifis dans le cadre d ' un Statut gnral de la fonction publique , labor sous l'gide de Maurice Thorez, alors ministre . Les hirarchies, prcisment dfinies en termes de formation s et de concours anonymes de recrutement, constituent une matrice et un modle pour le trai-tement de la partie non ouvrire du salariat dans la nomenclature socioprofessionnelle que les statisticiens vont laborer peu aprs.

    Ainsi la catgorie A, dont les cas typiques sont les professeurs de l'e nseignement secondaire, les ingnieurs ou administrateurs sortant d ' une grande cole ou d ' une universit, ou les mdecins salari s dans des hpitaux publics, servira de mod le pour les . La catgorie B, forme notamment d ' insti-tuteurs, infirmires diplmes, contrleurs des impts, fournira des prototypes pour les . Enfin, les catgories Cet D, regroupant les secrtaires, dactylos, employs aux critures, seront l'origine du groupe des dans la nomenclature du recensement de 1954.

    La priode qui va de 1936 au dbut des annes c inquante se rvle ainsi dcisive pour la mise en place des modes de clas-sement des salaris, tant dans le secteur priv (conventions col-lectives et comits d 'entreprise) que dans le secteur public (statut de la fonction publique), en introduisant et codifiant massivement ce qui n'existait qu'assez peu dans les taxinomies professionnelles antrieures : une hirarchie.

    A ce moment, l'ide de mtier avait dj une trs longue exis-tence, remontant aux corporations, et perptue dans des coutumes, des associations puis, partir de la loi de 1884 les autorisant, dans des syndicats ouvriers ou patronaux (dits souvent > ). Par ailleurs, la distinction entre salaris et non-salaris tait assez clairement tablie depuis le dbut du XX' sicle. En revanche, une hirarchie du salari at, fonde sur des critres de niveaux de formati on, est une ide neuve, et on voit comment les diverses crations institutionnelles d 'aprs-guerre l'ont mise en forme.

  • 4. Une faon nouvelle de faire des sciences sociales

    Ce mouvement de standardisation des emplois salaris, qua-lifis et hirarchiss, va en rencontrer deux autres : d ' une part, l'arrive et le dveloppement en France de travaux de sciences sociales empiriques (dmographie, sociologie ... ) inspirs de projets et de mthodes existant dj dans les pays anglo-saxons; d'autre part, la mise en uvre d'oprations de planification et de prvision un niveau centralis (le commissariat gnral au Plan est cr en 1946), portant notamment sur les emplois.

    Avant la Seconde Guerre mondiale, les sciences sociales exis-taient en France autour de deux ples qui communiquaient assez peu entre eux, la dmographie et la stati stique, au sein d'un service administratif ancien de petite taille, la Statistique gnrale de la France (SGF); et la sociologie, brillamment reprsente l' Uni-vers it par Durkheim et ses principaux lves, Marcel Mauss, Halbwachs ou S imiand.

    C'est au sein de la SGF qu'taient effectus les recensements quinquennaux (les annes en 1 et en 6) dont on a analys ci-dessus les nomenclatures professionne lles. Des enqutes y avaient t aussi effectues , au dbut du sic le, sur la mortalit ou la fcondit diffrentielle selon les groupes profess ionnels, utilisant des nomenclatures analogues celles des recensements, c ' est--dire peu hirarchises. Le dcoupage profess ionnel restait quand mme peu utilis en tant que critre de tri permettant de dcrire et d ' interprter des diffrences de comportements ou de pratiques, en dehors de quelques travaux de dmographie.

    Parmi les sociologues, si Durkheim lui-mme utilise trs peu les classes sociales comme outil analytique dans ses travaux, l'un de ses lves, Maurice Halbwachs, leur consacre une grande partie de ses recherches : sa thse porte sur la classe ouvrire et les niveaux de vie>> ( 1910) et il publie en 1938 un petit ouvrage de synthse sur la > [Halbwachs, 1938]. Dans celui-ci, il dcrit, de faon littraire et sans statistiques, les compor-tements de quatre c lasses : les paysans, la bourgeoisie et les entre-preneurs, les ouvriers de la grande industrie, les classes moyennes. Parmi ces dernires, il di stingue trois fractions (les artisans et petits commerants, les employs, les petits fonctionnaires) et il est signi-ficatif qu'il ne fasse, dans cette analyse , aucune allusion une >, en particulier aux cadres, dont le groupe, dj en tra in de se dess iner en 1938, ne commencera tre

  • clairement peru de la sociologie acadmique que dans les annes cinquante.

    Malgr les efforts d' Halbwachs, la sociologie d'enqute est trs peu dveloppe avant 1939, et la question du tri selon des milieux sociaux >> ne se pose donc pas. Tout change pendant la guerre et immdiatement aprs. Deux vastes instituts sont crs e n 1946, et vont mener de nombreuses enqu tes, tudes et recherches : l'Insti tut national de la stati stique et des tudes co-nomiques (INSEE), organisme de statistique administrative, suc-cesseur de 1' anci enne SGF, e t 1 ' Inst itut natio nal d'tudes dmographiques (JNED), di rig par Alfred Sauvy et qui pour-suivit certaines enqutes engages par la Fondation franaise pour l'tude des problmes humains cre en 1941 par A. Carrel. Au mme moment sont fonds aussi, d' une part, le commissariat au Plan, grand demandeur et utilisateur d'tudes socio-conomiques descriptives, et, d'autre part, au sein du CNRS, un centre d'tudes sociologiques, qui va lui aussi se lancer dans des e nqutes, cependant moins vastes que celles de l'INSEE ou de I' INED [Pollak, 1976].

    Enfin, des instituts privs de sondage d'opinion avaient vu le jour, avant et pendant la guerre [Meynaud, Duclos, 1986]. Ils mettent en uvre des techniques d'enqutes sur des chantillons reprsentatifs. Ces techniques avaient t imagines au dbut du sicle, dans les pays nordiques et anglo-saxons, pour tudier et comparer les conditions de vie des divers groupes sociaux, mais n'avaient jamais t utili ses dans ce but en France mme.

    5. De l'galit des droits l'ingalit des chances

    Les mthodes de sondage ont t largement utili ses, aprs 1945, non seulement pour les tudes de l'opinion publique ou du march des produits, mais aussi pour la mesure des ingalits sociales. Ce thme, si rpandu aujourd' hui, tait alors relativement nouveau. Il se trouve l' intersection de deux faons d'envisager les rapports sociaux qui, auparavant, se rencontraient peu. La pre-mire, drive de la tradition politique issue des Lumires et de la Rvolution franaise, mettait l'accent sur une vise d'galit des droits entre les c itoyens, fonde sur une commune capacit contribuer l'expression de la volont gnrale par le vote. La seconde en revanche provenait du fort courant industrialiste et

  • productiviste que les ingnieurs franai s, frus d'efficacit, incar-naient, depu is Saint-Simon, au dbut du XIX' sicle. Ces deux modes de pense n'avaient en France, jusqu'aux annes trente, que peu de relations l' un avec l' autre. Une des consquences de la grande crise de 1929 et des vnements de la priode de l'Occu-pation et de la Libration sera qu' il s finiront par se rencontrer et par produire une combinaison, dont les institutions comme le commissariat au Plan, l'INSEE ou la Comptabil it nationale, partir des annes cinquante, seront des expressions.

    Le transfert du thme de l'galit civique qui remonte au XVlll' sicle, celui des ingalits socio-conomiques mesures partir d' un dcoupage selon des milieux socioprofessionnels et au moyen d'outil s justifis par leur efficacit technique (les codages statistiques, les sondages), matriali se ce compromis entre deux faons initialement bien diffrentes de penser les problmes de la cit [Boltanski et Thvenot, 1987]. Ainsi la mesure des in-gali ts sociales, au moyen d'observations et d'enqutes directes auprs des personnes, destines des comparaisons partir de variables standardises, apparat-elle comme l'preuve type dans cette construction qui vise marier dmocratie et efficacit.

    Mais ce mariage ne va pas de soi, et il est ncessaire de justifier, au nom de l'efficacit, les ingalits constates. Du coup, la corres-pondance entre position sociale et niveau scolaire va prendre une importance dcisive, et consti tuer le cur de l'articulation dmo-cratie-efficacit. C'est par rapport elle que le systme sera dcrit, valu, et ventuellement dnonc. En effet, une articulation entre, d ' une part, une cole ouverte tous dispensant des formations cer-tifies par des diplmes et, d'autre part, des pos itions dans les structures de production mi ses e n correspondance avec ces diplmes, vise tre la fois techniquement efficace et socia-lement juste. Cela permet en particulier de justifier selon ces deux points de vue la hirarchie des salaires. Cette construction fait la force d ' un modle qui n'tait presque jamais formul avec autant de clart avant les annes quarante, et devient dominant partir des annes cinquante.

    C'est cette perspective qui permet de comprendre comment ont t fabriques et utili ses les nomenclatures socioprofessionnelles aprs 1950. Cela peut tre lu trois ni veaux diffrents : logique de la construction de l'outil , utilisation pour valuer l'efficacit du systme, dnonciation de son injustice en raison des ingalits de chances lies au milieu fami lial.

  • Tout d'abord, et ceci est trs nouveau, les groupes et cat-gories socioprofessionnels, qui sont dsormais dfinis l' int-rieur du salariat selon une hirarchie explicite, font rfrence des qualifications et comptences en principe requi ses pour occuper ces postes [Bourdieu, Boltanski, 1975]. Ce sont donc dsormais des emplois, caractriss par ces comptences, qui sont dfini s et classs dans la nomenclature. Cela vaut par exemple pour les emplois ouvriers, pour lesquels la notion de qualification [Dadoy, 1976] va peu peu glisser de l'anc ienne ide de mtier [Cornu, 1986], acquis par un long apprentissage au contact d' un matre tout la foi s pre, patJon et formateur, vers celle de ni veau standard homologu par un diplme garanti par l'tat.

    La persistance d' une diversit de faons d 'accder aux emplois, et donc d' une non-correspondance complte entre les niveaux de form ation et ceux des emplois, justifie la prsence des > qui figurent presque toujours dans les dfinitions d'emplois ou de CS qui font rfrence des formations cer-tifies. Il y a cependant des exceptions : par exemple, l'apparte-nance au groupe des mdecins ex ige imprativement un doctorat en mdecine. Mais, dans la majorit des cas, une telle correspon-dance n'est pas aussi rigide.

    Cela explique que l' un des principaux usages du nouvel outi l soit d'prouver l'efficacit des filires qui mettent en relation les formations et les emplois. Cela peut tre fa it de deux points de vue : soit en partant des organismes de formation et en vrifi ant que les diplms ont bien obtenu les postes correspondants, soit en examinant si les diffrents emplois offerts par le systme productif sont bi en occups par des personnes ayant les comptences requises. Les tableaux ainsi construits permettent d 'valuer, de prvoir, et ventuellement d'tayer des dc isions pour mieux assurer les correspondances entre format ions et emplois [Affichard, 1983].

    Mais, et cela est le troisime niveau de lecture de l'articu-lation entre ni veau de formation et nomenclature socioprofession-nelle, une telle construction peut tre dnonce. En effet , le montage qui rassemble efficacit technique et dmocratie suppose que l'cole exerce son rle sur des enfants quivalents, et les slec-tionne selon leur performance et leur ardeur au travail au moyen d' examens et de concours anonymes. Ce montage peut tre dnonc s' il apparat que les enfants ne sont pas initialement qui-valents, en raison d'une ingale prparation l'preuve scolaire au

  • sein de leur milieu familial. Dans les annes soixante, des enqutes stati stiques mettant en uvre les nomenclatures socioprofession-nelles sont massivement utilises pour dvoiler cette injustice et montrer que la russite scolaire des enfants dpend largement du milieu social e t de l'environnement cul turel offerts par leurs parents.

    Il est important d'observer que les thmes de la dmocrati-sation de l'enseignement et du poids des hritages socio-culturels ont pris, dans le dbat social, une importance trs grande, vers les annes cinquante et soixante, alors qu ' ils existaient peu dans les poques antri eures. Ainsi, on insista it plus, nagure, sur l'importance de l'cole pour la formation du citoyen. On crai-gnait aussi parfois les effets nfastes de scolarits ou d' ascensions sociales qui, en loignant du milieu d' enfance, risquaient de pro-duire des individus aigris, parce que coups la fois de leurs origines et de leur nouveau milieu. Ce thme de l' ingalit des chances, aujourd' hui si dvelopp, repose sur une tentative d' arti-culation entre justice et efficacit qui n' a pas toujours connu cette forme.

    6. La nomenclature de 1954 intgre les moments historiques antrieurs

    A partir de l' immdiat aprs-guerre, les enqutes portant sur un grand nombre d' aspects de la vie sociale et utili sant les nou-velles mthodes de sondage se multiplient rapidement, tant dans des organismes publics (INSEE, INED, CNRS) que privs (ins-tituts de sondage). Mais ce mouvement n' est pas du tout propre la France, et est en partie inspir de travaux dj mens dans les pays anglo-saxons. En revanche, une particularit souvent note des tudes effectues en France est que, beaucoup plus qu 'ailleurs, elles utilisent, pour trier et interprter leurs rsultats, la nomen-clature des CSP labore par l'INSEE pour le recensement de 1954 [Porte, 1961]. Celle-ci va a ins i devenir, pendant une trentaine d 'annes, et quelques lgres modifications prs, la g rille d'analyse mise en uvre systmatiquement dans presque toutes les enqutes menes en France, par l'administration, par la recherche universitaire, ou par les bureaux d'tudes privs. Cette situation est trs particulire et a peu d'quivalent dans les autres pays industrialiss.

  • C'est dans l'histoire brivement voque ci-dessus qu'on peut trouver des lments pour expliquer cette singularit. Sous des formes certes trs variables selon les poques, les groupes profes-sionnels, puis les diverses hirarchisations statutaires ont constitu de robustes moyens d ' identification des personnes. De ce point de vue, l'abolition des corporations en 179 1 n'a pas empch que se maintiennent de fortes traditions de solidarits, et des coutumes partages par les membres d' un mme mtier. La dfiniti on du statut juridique du salariat a pris ensuite le relais de la distinction dj bien marque entre matres et compagnons, tout en la trans-formant profondment. Le dcoupage entre niveaux de qualifi-cations ouvrires, entre cadres et non-cadres, ou 1' intrieur des hirarchies de la fonction publique, est venu complter, sans les effacer, ces taxinomies anciennes. Or, presque toutes les tapes de ce processus, l'tat a, d 'une faon ou d' une autre, contribu assurer la robustesse de ces classements : par les grandes coles ou uni versits garantissant les diplmes, sur toute la priode ; par le dro it du travail dfi ni ssant l'act ivit sala ri e, la fin du XIX' sicle ; par les lois sur les conventions collecti ves et la recon-naissance officielle des classifications qui en rsultent ; par la loi sur les comi ts d'entreprise instaurant les trois collges lec-toraux ; par le statut de la fonction publique ; par la dfinition lgale des cadres (mise en uvre dans un rgime particulier de retraites), de l'artisanat, de la mdec ine, etc.

    L'accumulation de ces strates historiques success ives e t la garantie souvent apporte par l'tat ces dcoupages ont confr la nomenclature de l'INSEE de 1954 la fo is sa phys ionomie, sa stabilit et son acceptation par des institutions par ailleurs fort dif-frentes, qu'on rencontre rarement ailleurs. La complexit de cette gense explique aussi un trait qui distingue la nomenclature fran-aise de certaines de ses homologues d'autres pays: elle n'est pas compltement hirarchise et unidimensionnelle, et se prte donc bien des analyses exhibant des reprsentations du monde social moins simples que l'chelle ordonne que prsentent parfo is les tudes anglaises ou amricaines.

    La nomenclature de 1954 est structure en deux niveaux : neuf groupes socioprofessionnels sont eux-mmes subdiviss en cat-gories (une trentaine). Le dcoupage en groupes combine l'oppo-sition entre non-salaris et salaris avec la hirarchie statutaire du salari at. Les six groupes essentiels sont les agriculteurs, les patrons de l' industrie et du commerce, les cadres suprieurs et professions

  • librales, les cadres moyens, les employs, les ouvriers. Il s'y rajoute trois autres groupes, que les stati sticiens de l'poque n'ont pas voulu rattacher aux six prcdents : les salaris agricoles, les personnels de service et un ensemble form des artistes, du clerg, de l'arme et de la police.

    On ne peut donc utili ser d'emble les six groupes de base dans une perspective hirarchique, puisque les divers cl ivages qui les sparent sont de natures trs diffrentes. Cela est galement net pour les dcoupages en catgories, l' intrieur de ces groupes. Pour les cadres suprieurs, il s dlimitent, d'une part, des groupes professionnels dont une longue histoire a bien marqu les traits : professeurs, ingnieurs, professions librales (mdecins, avocats) et, d'autre part, des cadres administratifs suprieurs >> construits par quivalence avec les prcdents, mais sans que leur consis-tance sociale soit auss i nette que celles des trois premires cat-gories. Cette dernire catgorie est elle-mme subdivise entre et , mais cette di stinction dispa-ratra provisoirement entre 1962 et 1975, pour ne rapparatre, sous une forme un peu diffrente, qu'en 1982.

    Les cadres moyens prsentent en 1954 un dcoupage en cat-gories du mme type, avec la mme distinction entre public et priv, sans toutefois comporter de catgorie particulire pour les services mdicaux et sociaux >> qui n'apparatront qu 'en 1962, signe de l' importance nouvelle alors acquise par les diverses pro-fessions paramdicales et sociales. Le dcoupage du groupe des ouvriers reflte fidlement les classifications Parodi , avec des dfi-nitions peu prs identiques celles des textes des conventions collectives.

    A l'exception des lgres modifications, dj mentionnes, apportes en 1962, cette nomenclature sera utili se telle quelle pour les quatre recensements de 1954, 1962, 1968 et 1975 (tableau Il) et pour les nombreuses enqutes effectues pendant prs de trente ans. C'est seulement l'occasion du recensement de 1982 qu'une rorganisation de la nomenclature et de certaines de ses composantes est entrepri se, conduisant la version actuelle (tableau III), dite des professions et catgories socioprofession-nelles>> (PCS) [Desrosires, Goy, Thvenot, 1983]. Elle ne diffre cependant pas de la prcdente par son architecture d'ensemble et sera prsente plus en dtail dans le chapitre IV de cet ouvrage.

  • T ABLEAU Il. - L 'ANCIENNE NOMENCLATURE DES CSP ( 1982)

    INDIVIDUS ME~ AGES cla~ss- selon la CS du chef

    Nombre %ode la Nombre %o du total CSP (en mi/fiers) population (en milliers) des mnages 1 active 1

    O . .o\GRU.:lfLTt:UKS EXFLOITAXJ'S .. . 1 448 62 800 41 00. Agriculteurs exploitants.

    1. SALUJ.ts AGRICOLES . .... . .. . .. .. . . . ... . . 304 13 175 l 0. Salaris agricoles . . .

    2 . I'ATRO~S DE L'INDUSTRIE U DU COMMERCE 1 737 74 1 156 59 21. Industriels . . 71 3 60 3 22. Artisans . . .. . ... . .. . . 573 24 464 24 23. P atrons pcheurs . . 13 1 11 1 26. Gros corruncrants . .

    210 9 146 7

    27. P etits commerants 870 37 474 24

    3 . PROt'F.~~JONS I.TOtft..\LF.S ~:r ('_.A(li:WS SUr t;l!m ;URi; .. 1 810 77 1 409 72 30. Professions librales . . . . 220 9 171 9 32. Professeurs, professions littraires el

    scientifiques .. ... ... ... ... 479 20 292 15 33. Ingnieurs

    347 15 319 16

    34. Cadres administratifs suprieurs 764 32 627 32

    4 . CADRF-"i MOYI:NS 3 254 138 1 872 95 41. Instituteurs, professions intt llcctucllcs

    diverses. 828 35 382 19 42. Services mdicaux ct sociaux 432 18 170 9 43 . Techniciens ... . . 92J 39 728 37 44. Cadres administratifs moyens 1 071 46 592 30

    5. Jo:MPl.O\'f:S. 4 677 199 1 882 96 51. Employs de bureau . . . . 3 746 !59 1 498 76 53 . Employs de commerce . 931 40 383 20

    6, OU\o' Mtlo;R,'j, , ., 8 266 3'5 1 5 102 261 60. Contrematres ....... 464 20 426 22 61. Ouvriers qualifis . . . . 3292 140 2 336 119 63 . Ouvriers spcialiss . . ... .... 2 605 Ill 1 603 82 65 . Mineurs .. .

    49 2 40 2

    66. Mariq.s et pcheurs . . .

    33 1 25 1 67 . Apprentis ouvriers 124 5 4 e 68. Manuvres .. . 1 699 72 668 34

    7. PERSONNELS DE SERVICE .. . .. 1 531 65 509 26 70. Gens de maison 214 9 43 2 71. Femmes de mnage 112 5 22 1 72. Autres personnels de service . 1 205 SI 444 23

    8. AUTIS CATl:GORIES .. . .. . .. . . . . 498 21 370 19 80. Artistes . .. 74 3 49 3 81. Clerg .. 61 3 22 1 82. Arme et police . 363 15 299 15

    PoPIH.ATlON Acnn: ... 23 525 1000 13 273 678

    PoPULATION JNACTIVF. . . 30 748 6 317 322 d'ge ;?; 15 ans. 19 515 6 317 322

  • T ABLEAU Ill. - L A NOUVELLE NOMENCLATURE DES PCS ( 1982)

    PCS

    J. ACRICUliTUk o;; F-X,t'l.f)riA ,'Ij'J-S , , . , .. ... . . . . ll. Agriculteurs sur petite exploitation ... . 12. Agriculteurs sur moyenne exploitation. 13. Agriculteurs_ sur grande exp loitation ..

    I l. A. IH'ISANS_. _coM.MERA~Ts n CHCJIS D 'ENTRErRISE . 21. Artisans .. . . . . ... . .. . .. . .. .. . . .. .. . 22. Commerants . . .. . .. . .. . . . . . . . . . . . . 23 . Chefs d ' entreprise de 10 salaris ou plus

    3. CAUKI::S t..T P LtOF ESSIONS INTELLECTIJE.LLES Sl!Pt.. Rlt:.URI:S . . .. .. . . .. . .. . 31. Professions librales .. ~ . .. . .. ... . . . . . 33. Cadres de la fonction publique . . .. ... . 34. ~~~~~~~f~~~fcr~f~f~~~~t~i~~~~~q~~ ~i 35 .

    des spectacles . . . .. .. . .. . .. . ..... . ... 37. Cadres administratifs ct commerciaux

    d'entreprise . . . . . .. .. . .. . . . . . . .. . . . . 38. In~nicurs ct adres techniques d'entre-

    pnse 4. t>IWI'IS!;lONS l:'\ITE-RMDJAIRJo:S .

    42. Instituteurs et assimils . .. .. . . ....... 43. P rofessions intermdiaires de la sant et

    du travail social 44. Cle?e, reli~ieux : : : : : : : : : : : : : ~ : : : : : : 45-. Pro essions- mtermdiaircs administratives

    46. de la fon'-"tion publique . . . ... . . . .. .. . Professions intermdiaires administratives

    47 . et commerciales des entreprises . . . Techniciens . .... . . . .. .. . . ... . ..

    48. Contrematres, agents de maltrise 5. EMPLOY."i: . ...... .. , .. . . . . . .. . . . . . .

    52. Employs civils ct agents de service de la ~o~i~i~r~ ~~~ii~~~i;es : : : : : : : : : : : : : : : : 53.

    54. Employs administratifs d 'entreprise .. 55. Employs de commerce . .. .. .. , ... . . . 56. Personnels des services directs aux parti-

    culicrs . .... . .. . . . . . . .. . . ...... .. . .. 6. Ol 1\'RLt:RS ... . .... . . .. . . .. . .. ..

    62. Ouvrier s quaJifis de type industriel .. 63. Ouvriers qualifis de type artisanal . 64. Chauffeurs . . .. . .. .. . . . . .. . . . .. . .. . . 65. Ouvriers qualifis de la manutention, du

    O~~~i~~sa~~ritq~~Ili~scfe0~pe i~-d~~triei 67. 68. Ouvriers non qualifis de type artisanaJ 69. Ouvrier s agricoles .

    81. JIMEL"RS N'A VAI"'"T JAMAIS l 'RAVAH.U ':. PoPULATION ACTI\ 'r. PoPuLAn oN INACJJVF. . . . .. .

    71. Anciens agriculteurs . . .. . . . ...... . ... 72. Anciens artisans, commerants , chefs

    ~~~i~~~~~!dreS ' : : : :: :: : : : : . . . . .... . . 74. 75 . Anciennes professions intermdiaires . . 77. Anciens employs .. . . .. . . .. . .. . 78. Anciens ouvriers . . . . . . . . . . . . . . . .. .. . 83. ~ilitaires du contingent ............. 84. lves, tudiants de plus de 15 ans . . . . 85. Autres inactifs entre 15 ct 60 ans ..... 86. Autres inactifs de plus de 60 ans

    Enfants de moins de 15 ans . POPULATION TOTALE . . . .

    INillVIIli JS

    Nombre p;,~j;tl~n (en milliers) uctiv'e 1 1 475 63

    690 29 450 19 335 14

    1~ ~~ 797 34 134 6

    l 895 81 239 10 244 10 353 15

    117

    559 24 383 16

    3 971 169 777 33

    613 26 59 3

    278 12 995 42 678 29 571 24

    6 247 265

    1 703 72 380 16

    2 532 108 742 32

    890 38 7 749 329 1 602 68 1 509 64

    567 24

    417 18 2 353 100 l 007 43

    294 12 353 15

    23 525 1000 30 748

    1 346

    755 344 722

    l 976 2 294

    25 1 4 278 5 572 l 978

    Il 233 54 273

    :\tNAGES classs selon la CS du chef

    Nombre %o du luta/ (en milliers) des mnaf,es 1

    817 42 390 20 247 14 179 9

    1 ~~ ~ 460 23 ll3 6

    1 513 77 182 20 197 10 227 l2

    78 4

    473 24

    356 18 2 534 130

    347 18

    256 13 21 1

    172

    646 33 564 29 528 27

    2 219 11 3

    642 33 30 5 16 819 4 2 208 Il

    245 13 4 921 251 1 232 63 1 059 54

    491 25

    327 17 1 172 60

    473 24 168 9 26

    13 273 678 6 317 322

    726 37

    491 25 282 14 502 26

    1 273 64 l 651 84

    13 1 195 JO 584 30 600 31

    0 0 19 590 /(}()()

    1. En raison des aiTOndis, les totaux ne correspondent pas ncessairement la somme exacte des lments qui y concourent ; e signifie infrieur 0,5 mill ime.

  • 7. Codification sociale et codage statistique

    L' histoire brivement rsume ic i a une forte incidence sur les diverses phases de l'enregistrement des donnes. La description et l'enseignement des mthodes statistiques privilgient en gnral, parmi celles-ci, le travail sur les nombres : comptages, traitements mathmatiques, interprtations [Boltanski, 1970; Bourdieu, Cham-boredon, Passeron, 1973]. Cela risque de laisser dans l'ombre les activits pralables essentielles qui en assurent la base : le statis-ticien range des objets dans des classes, en dcidant de les mettre en quivalence l' intrieur de celles-ci, afin d'examiner ensuite les liens ventuels entre divers codages, sous forme de tableaux croiss, de corrlations, de rgressions, etc.

    Ces oprations pralables se dcomposent elles-mmes en trois phases distinctes : le questionnement, la dfinition des classes, ou taxinomie, et enfin la mise en uvre de celle-ci par affectation des objets l'une ou l'autre des classes, ou codage. Or, les vo-lutions historiques, et en particulier le passage de la notion de mtier celle d'emploi qualifi, ont, dans une large mesure, trans-form la signification de ces phases. En effet, deux situations bien diffrentes se prsentent, selon que prexiste ou non une forme de codification rglementaire ou administrative, antrieure au codage statistique. On a vu comment le droit du travai l, clarifiant la dfi-nition du salariat, a contribu rduire l' incertitude que suscitait la catgorie des isols , entre 1896 et 1936. De mme, les classi-fications ouvrires des conventions collectives et les lois mettant en place les rgimes de protection sociale des cadres (retraites, Scurit sociale) ont faonn les dfinitions de ces diverses cat-gories incluses dans la nomenclature de 1954.

    Mais il ne faudrait pas croire que ces codifications sociales pra-lables au travail stati stique rglent compltement toutes les situations, tant pour la taxinomie que pour le codage. Elles en des-sinent les lignes de force qui laissent nanmoins une large part la dcision au cas par cas. Cela vaut, par exemple, pour l'attri-bution de telle ou telle dclaration de profession dans une cat-gorie, au moment de la construction de la nomenclature. Cela vaut encore plus, lors du codage dans les ateliers de chiffrement, pour les cas, assez frquents, qui n' ont pas t prvus dans les consignes d'utilisation de la nomenclature. Dans les cas o n'existent pas ces prclassements inscrits dans des critres, le taxinomiste ou le codeur (en gnral, une codeuse) procdent par assimilation,

  • c'est--dire par ressemblance avec des cas souvent rencontrs et jugs typiques. Nous reviendrons e n dtail , dans les chapi tres rr et m, sur ces modalits pratiques du c lassement.

    La tendance gnrale a cependant t, au cours des trente der-nires annes, d' intgrer de plus en plus les classements lis la gestion mme de la main-d 'uvre, c'est--dire les classifications des conventions collectives, e n s'en inspirant ds la rdaction des ques-tionnaires des recensements et des enqutes. On en donnera ici deux exemples, portant sur la qualification ouvrire et sur les cadres.

    En 1954 , le questionnaire du recensement ne comportait qu' une question ouverte sur la profession : > Du coup les intituls de mtiers ouvriers les plus fr-quents avaient t ventils selon le dcoupage > des catgories Parodi , sans que l'on sache si cela correspondait au niveau de qualification servant dterminer leur salaire. Pour les recensements suivants, de 1962, 1968 et 1975, la mthode fut change, et une question ferme fut rajoute, avec une numration explicite des divers ni veaux, la per-sonne enqute devant cocher l'un d 'entre e ux. L' hypothse tait ainsi fa ite que cette classification tait suffi samment passe dans les murs pour que les ouvriers la connaissent bien et puissent rpondre. Mais cela n'tait que trs ingalement vrai : s i les entre-prises de la mtallurg ie et la plupart des grandes fi rmes utilisaient depui s longte mps de tels outils de gestion de la main-d'uvre, il n' en tait pas de mme dans d 'autres secteurs comme l'alimen-tation, l' habillement ou les transports [Czard, 1979].

    Ainsi, on le voit, le recensement de 1954, d ' une part, et les trois sui vants, de l'autre, ont utili s des mthodes bien di ffrentes pour valuer les parts des ouvriers qualifis et non qualifis au sein de la classe ouvrire. Cela n ' a pas manqu de suscite r maints dbats, dans la mesure o l'volution sur une longue priode de la quali -fication ouvrire a t, dans les annes soixante et soixante-dix, l'objet de vives controverses [CEREQ , 1973]. Sans ressusciter celles-ci, remarquons seulement que le changement de techniques de chiffrement tait e n partie l'effet des changements des modes de gesti on e t de codification de la ma in-d 'uvre. Da ns ces condi tions, une comparaison chiffre des taux de quali fication entre deux poques est, de toute faon, trompeuse puisqu 'elle masque le fait que le mot > a en partie chang de sens.

    Pour les e mplois salaris non ouvriers (employs, techniciens, cadres .. . ), e n revanc he, le questionna ire du recenseme nt ne

  • Les dangers des comparaisons internationales htives

    L 'his toire, raconte ici , de la construction, puis de la re lative cristal-l isat ion insti tuti onn elle de certains groupes sociaux , est spci fique la socit franaise et son histoire propre, en remontant au moins la Rvo-lution : on a vu l'importance encore grande du vocabulaire des mtiers. La nomenclature des PCS do it beaucoup cette histoire longue. Cette spcificit est importante, notamment si on cherche comparer les structures sociales de la Fra nce avec celles d'autres p ays europens. Or cette demande de compa-raison est devenue forte depuis l'accl-ration de la construct ion europenne, dans les annes 1990, alors que, lors de la rforme des PCS de 1982, elle tait moins frquente. Comment rpondre cette demande? Il faut d'abord exa-miner les nomenclatures utilises par les autres pays, et leurs liens avec les his-toires et reprsentations spcifiques des nations e t des langues diffrentes [.Duriez, lon, Pinon, Pinon-Charlot, 1991 j. Ensuite seulement, on peut envi-sager d' laborer une nomenclature commune, souhaite par beaucoup. Mais le danger est grand que la deux ime tape soit aborde directement, e n faisant l'conomie de la premire, qui peut apparatre comme un obstacle des comparaisons purement quanti tatives, rclames par beaucoup avec insistance.

    Quelques exemples des diflcults ren-contres peuvent tre cits propos de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne. En G rande-Bretagne existe une longue tradi t ion d' a nal yse sta t is ti que des , remontant 191 1 e t aux dbats amour des thories eugnistes sur !-hrdi t des aptitudes [Szreter, 1984 ; Desrosires, 19931. Il en est rsult une vision unidimensionnelle de la stmcturc sociale, plus ou moins assi-mile une chelle. Dans cene pers-pective, la sparation entre salar is ct no n-sal a ris a t lo ngtemps peu

    importante, au profit par exemple, pour les classes suprieures, d 'une dis-tinction entre professionals et managers . Le premier groupe comprend aussi bien des professions libmles au sens franais (mdecins, avocats) [Freidson, 1983] que des salaris dl nis par leurs comp-tences techniques (ingnieurs), tandis que le second inclut les dirigean ts d' entreprise. De faon plus gnrale, plu-sieurs nomenclatures assez d iffrentes ont t uti lises en Grande-Bretagne, j usqu' 1998, par des administra tions, des centres de recherche universitaires ct des entreprises prives. En 1998, un projet de nomenclature unifie, inspire des travaux du sociologue John Gold-thorpc, a t pro pos par r Office of National Statistics (ONS, quivalent anglais de l NSEE). Certaines diff-rences entre les classifications franaise et anglaise sont s ignilcatives de diff-rences pl us p ro fo ndes, e nt re les structures sociales e t les systmes de reprsentations sociopolitiques. Ainsi, dans cette taxinomie anglaise rcente, le groupe des agriculteurs n est pas isol, la distinction entre salaris du priv ct du public ncst pas mentionne, non plus que celle entre> et non-manuels>>. La notion de qualification n'est pas juge pertinente [Rose, 1987].

    En Allemagne, la crat io n des systmes de protection sociale, la fin du XIX' sicle, avait conduit l'mer-gence et la cristallisation de groupes soc iaux assez c la irement dfin is : arbeit er (ouvr iers), a ngestellte (employs), beamte (fo nctionnaires), selbstandige (personnes leur compte). Dans les annes 1880, Bismarck mit en place des aux-quelles participaient les syndicats . Mais les salaris non manuels (les

  • garde une grande importance dans la reprsentation de la s tructure sociale allemande !Lefvre, 1998].

    On voit sur ces exemples quel point les comparaisons internationales, fr-q uemment e ffectu es l'aid e de tableaux statistiques, metlcnt artificiel-lement en relation des objets qui n'ont pas subi le travail social d' unification ct de mise en quivalence voqu ci-dessus. Ainsi, le mot cadre )) est intra-duisible en anglais ou en allemand, tandis que le mot anglais professional n'a pas d 'quivalent exact en franais : seul un examen historique de la gense des nomenclatures socioprofessionnelles

    des divers pays permet de comprendre ces d iffrences et d 'viter des compa-raisons htives et imprudentes. En 2000, !"Office statistique europen (Eurostal) a engag des travaux en vue de proposer une nomenclature commune utilisable pour les comparaisons ent re pays europens. L'usage d'une telle classifi -cation dans des tudes quantitatives ne peut faire l'conomie d'une compa-raison, en amont, entre les faons dont, dans les divers pays, les s tructures sociales et politiques innue ncent les lunettes travers lesquelles ces mmes structures sont observes, mesures et compares.

    comportait que la question ouverte jusqu'en 1975. Ces emplois taient dj classs travers les CS selon des techniques d 'assi-milation des cas typiques qui correspondaient eux-mmes en gnral des professions cla ire men t d limites ( ingnieurs, mdecins, infi rmires diplmes, professeurs, instituteurs).

    Ce n'est qu 'en 1982, l'occasion de la refonte de la nomen-clature, que la logique des emplois qualifis, standardiss dans les grilles des conventions collectives, fut tendue, dans la question ferme, toute l'chelle du salariat, depuis les cadres jusqu'aux manuvres. Il en a rsult, pour les d limitations des catgories non ouvrires (et en particulier celle des cadres) une modification analogue celle dcrite c i-dessus pour la li mite entre ouvriers qua-lifis et non qualifis.

    Ces modifications ne suffi sent pas, bien entendu, rendre compltement automatique le classement des personnes dans des sries de c lassifications qui enchaneraient parfaitement niveaux de formation, grille des qualifications salari ales et codage statis-tique. On ne saurait en particulier comprendre les processus qui conduisent, d ' une part, le tax inomiste construire ses regrou-pements et, d 'autre part, le codeur attribuer tel ou tel chif-frement de profession un bulletin du recensement, sans analyser au pralable les mcani smes sociaux travers lesquels se forment les reprsentations des groupes professionnels, en prenant ce mot dans ses diverses acceptions. Ce sont de te ls mcanismes qui per-mettent aux personnes impliques dans la chane de chiffrement de mmoriser des cas typiques, et donc de s'en servir pour des interprtations.

  • II 1 Reprsentation stati stique et reprsentation politique des groupes professionnels

    1. La catgorisation sociale : une opration statistique, politique et cognitive

    Le premier chapitre a montr, en retraant l' histoire des classi-fications socioprofessionnelles, que l' on pouvait mettre en vi-dence, au-del de la modificat ion des noms des catgories, des changements profonds dans le type mme de dcoupage vis. Dans cette chronologie, nous avons rendu compte d'une succession de stades dont chacun tait caractris par un type de dcoupage prin-cipal li un mode de reprsentat ion de la socit, tout en observant que l' instrument de classement que nous connai ssons aujourd' hui mettait en jeu plusieurs de ces types de classement. Par ailleurs, nous avons soulign les relations entre les modalits du classement administratif et statistique des occupations (nous utili-serons ce terme quand n'est pas spcifi le mode de dfinition qui en fait des

  • plus qu'un lointain rapport avec l'instrument prsent ici, et que nous prfrerons faire reposer notre analyse sur un large ensemble de travaux empiriques raliss autour de cet instrument.

    Aprs la perspecti ve historique du chapitre 1, qui introdui t la nomenclature d'aujourd' hui en en suggrant la gnalogie, nous allons entrer maintenant dans le dtail de son fonctionnement. Nous serons donc amens rapprocher des tudes techniques sur les dysfonctionnements de la chane de traitement statistique, des observations sur l'usage patronal des grilles de classement, des travaux sur la formation d' un nouveau groupe social , ou encore des recherches exprimentales sur les procdures ordina ires de reprage du milieu social.

    Les raisons de ces rapprochements inhabituels sont sans doute plus faciles comprendre si l'on s'arrte un instant sur la notion de reprsentation. Toute catgorisation sociale engage en effet trois faons distinctes d'envisager cette notion. Il peut tre fa it rf-rence une reprsentation scientifique et technique, au sens de la reprsentativit statistique, permettant de fabriquer une rduction simplifie et des images miniatures (tableaux et graphiques) de la socit. Mais une reprsentation politique est galement en cause, celle des partenaires sociaux reprsentant une table de ngociation, ou dans une instance de concertation, divers groupes professionnels dont ils sont les mandataires. Enfin, une reprsen-tation cognitive des catgories est implique par la mise en uvre et l' interprtation des CS, une image mentale qui sert aussi quoti-diennement chacun d'entre nous pour s' identifier et identifier les personnes avec lesquelles il entre en relation. Toute utilisation ou tout commentaire autour des CS ncessitent d'tre attentif cette di stinction entre trois usages possibles du terme reprsentation .

    Le problme soulev ne se limite cependant pas une ambigut de vocabulai re. Les trois significations de reprsenter >> ren-voient trois oprations diffrentes qui ont toutes en commun de mettre en quivalence des personnes et qui, par l, ne sont pas sans rapport. Ce rapport doit tre clairci pour comprendre la consti-tution des CS, et cet claircissement peut nourrir une rflexion plus gnrale sur les relations qu' entretiennent les registres sc ientifique, politique et cognitif. L'examen attentif de la chane de pro-duction des CS condui t en effet prendre conscience de l'articu-lation troite entre ces trois registres qui ne sont pas couramment tra its ensemble.

  • Il s'agit d ' expliquer les relati ons entre trois types d 'objets d'tude qui relvent couramment de genres d 'explication et mme de di sciplines tout fait diffrentes : des procdures et des ins-truments strictement techniques, dont l'explicitation relve souvent du domaine rserv du statisticien ou du technicien ; un travail politique impliquant des porte-parole et destin forger une identit collective qui est traite, en sociologie et science politique, en termes de groupe d' intrt ; enfin, des oprations engageant des processus mentaux qui sont du ressort du psychologue. C'est pour clairer ces relations entre diffrentes formes de reprsentation que nous serons amens, dans les chapitres n et Ill, runir des obser-vations systmatiques sur le fonctionnement de la chane statis-tique, des observations sur les action s e ngages par les reprsentants professionnels, et des travaux empiriques s' appa-rentant la psychologie sociale qui offrent une base solide pour dcrire la pratique de classement et les oprations cognitives de reprsentation et d' interprtation.

    Rservant au prochain chapitre l'examen des reprsentations cognitives sur lesquelles reposent la mise en uvre des CS et, plus gnralement, l'apprciation ordinaire du milieu social, nous aborderons ici le lien entre la reprsentation statistique des groupes sociaux et la reprsentation politique des intrts professionnels. Nous prendons souvent comme exemple le groupe des cadres, en raison des travaux qui lui ont t consacrs et qui permettent de mettre en vidence, sur ce cas, les relations entre le travail social et politique de construction d'une identit collective, la mise en qui-valence des personnes qu 'tablit la nomenclature, et les images mentales de cette catgorie. Nous nous appuierons ensuite sur l'exemple des dbats ayant engag les reprsentants des pro-fessions de sant, lors de la mise au point de la nouvelle nomen-clature, pour indiquer les diffrents modes de construction d ' une identit professionnelle confronts en cette occasion, qui per-mettent de comprendre les compromi s inscrits dans la nomenclature.

    2. Reprsenter

    Partons d ' un exemple simple pour illustrer la fois les diff-rentes oprations de reprsentation impliques dans le classement socioprofession ne l, e t leurs relations respectives. Sur un

  • questionnaire du recensement, une personne a indiqu qu'elle tait salarie et rpondu, la question ouverte sur la profession, phar-macienne>>. Cela constitue l' information de base pour chiffrer la profession et la CS, l'input introdui t dans la chane de codification. Pourtant, le code rsultant du fonctionnement de toute cette chane, l' output, correspond la rubrique employ de commerce>> (anc ienne nomenc lature), a lors qu' une rubrique spc ifique est consacre aux pharmaciens. Comment expliquer une erreur aussi grossire ? Interroge ce sujet, la codeuse qui a opt pour ce classement explique qu 'elle a t intr igue en remarquant que la personne enqute avait rpondu BEPC>> la question sur le d iplme le plus lev possd. tonne du niveau de ce diplme au regard de ce qu'elle sait de la profession de pharmacien, la codeuse a observ que cette personne tait une femme et, feuilletant les autres bulletins du mme mnage>>, elle a constat que cette femme tait l'pouse d' un pharmacien non salari pourvu d' un dip l me d'tudes supri e ures . C'est l'uni t domestiq ue du , enregistre dans un bulletin d'origine plus ancienne ( 1856) que celle du bulletin indiv iduel ( 1876) [Desros ires, 1987, p. 17 J, qui a donc permis la codeuse de mobiliser une info r-mation supplmentaire. Elle en a conclu : >

    Une des conditions pour que, finale ment, la reprsentation sta-tistique de la CSP pharmacien ne compre nne pas le cas pr-cdent est le travail de reprsentation politique des porte-parole de la profession qui a conduit l'tablisseme nt d ' une re lation gnrale e ntre un intitul d'occupation et un niveau d 'tudes (dans ce cas la relation est mme juridiquement institue dans le Code de la sant). Dans sa propre reprsentation de l'identit de phar-macien, qui repose sur un savoir ord inaire, la codeuse a intgr cette connection avec le diplme. Son interprtation du cas pr-cdent assure pratiquement le maintie n de cette connection qui, soulignons-le, n 'est pas prescri te dans la nomenclature. Le taxino-miste est en effet trs rserv sur tout ce qui pourrait mettre en pril l' indpendance de la codification des deux variables> et niveau de diplme >>. Ce sont des cas tout fa it exceptionnels, dans lesquels la prise e n compte d'une autre vari able indpen-dante, comme le sexe, est explicitement prvue dans la nomen-clature. Ainsi, les appellations > ou > ne

  • sont pas classes dans les mmes rubriques que les appellations boulanger >> ou boucher >>.

    La codeuse a procd ce que l'on dsigne par le terme imag de > en technique stati stique [Thvenot, 1979], c'est--dire l'opration, parfois informatise, consistant modifier, au vu d'une information supplmentaire, la codification normale d ' une rponse. L 'exemple de la pharmacienne est simple parce que le redressement qu'opre la codeuse est justifi partir d' une qui-valence entre une appellation de profession et un diplme qui est fonde en droit. Mais les exemples sont nombreux o l' interpr-tation repose sur des associations qui ne sont pas ainsi consolides par le droit, notamment lorsqu' il faut interprter une appe llation d'occupation vague ou faiblement contrle. Notons ici, avant d ' y revenir plus en dtail dans le prochain chapi tre, que cette interpr-tation de la codeuse est trs semblable aux procdures cogni tives que sui t chacun d'entre nous, avec plus ou moins de bonheur, pour > une personne rencontre dans la vie ordinaire, au cours d ' un voyage ou lors de l' achat d ' une vo iture d 'occasion, en prenant appui sur des indices trs di vers . Bien que l' interprtation personnalise de la chiffreuse tende tre d ' une autre nature que la mthode formelle et standardise inscrite dans la nomenclature et dans les instructions qui l' accompagnent, les chi ffreurs (qui sont le plus souvent des chiffreuses) faonnent des outils intermdiaires qui favorisent le passage d ' une forme de savoir une autre. Ainsi, dans les ateliers de chiffrement dcentraliss, des listes manus-crites de cas non prvus dans la consigne et traits localement c irculent entre les chiffreuses, espces de coutumier tablies au ni veau de l' atelier et destines traiter de manire relativement standardise des cas particuliers (qui peuvent d'ailleurs exiger un savoir rgional), et constituer une sorte d' extension souple et locale de la consigne [Thvenot, 1983a]. Dans la formation de cette jurisprudence, l'anc iennet des agents contribue grandement garantir l' autorit ncessaire pour rgler ces cas chappant la rgle.

    Il ne faut pas oublier, dans cet enchanement de reprsentations, celle de la personne enqute elle-mme. Dans le cas prcdent, la personne qui a re mpli le questionnaire a manifest par sa rponse qu'elle considrait que son occupation n'tait pas si dif-frente de celle de son mari, qu' elle relevait d ' un mme ensemble. Une telle assimilation pourrait, pour d' autres occupations, tre jus-tifie partir d ' une exprience professionnelle acquise sur le tas,

  • ou par la participation une mme unit domestique plus gnrale, un commerce ou un artisanat. Ici , e lle entre en conflit avec la reprsentation laquelle se rfre la codeuse qui est, elle, ajuste aux formes juridiques encadrant l' exercice de la profess ion de pharmacien.

    Plus gnralement, le dispositif d' interrogation lui-mme a une influence sensible sur la forme des rponses concernant l'occu-pation qui, ncessairement, devront s'y ajuster. Or, ce dispositif est trs variable selon les enqutes. Sans parler de l'interrogation la plus familire, dans le cours d' une conversation o l'on fait connaissance, le questionnaire peut tre soumis par un enquteur qui vient, domicile, visiter le mme mnage plusieurs annes de suite (comme dans l'enqute

  • 3. La matire premire du classement: des noms d'occupation

    Dans cette perspective, nous ferons d'abord tat de travaux ayant port sur la variation des dclarations d ' une mme personne (interroge quelque temps d ' intervalle) concernant son occu-pation, et sur leurs codifications respectives (sur un chantillon de 17 000 personnes [Thvenot, 198 1]). Deux types de flot-tement sont donc possibles, d'une part dans la faon dont les titu-laires s' identifient et rpondent au questionnaire et, d 'autre part, dans l'opration de classement. Chacune de ces sources d ' incer-titude dans la production stati stique dpend de la consolidation re lative des occupations, qui peut faire dfaut, faute du marquage par un nom de mtier, par une appellation contrle de pro-fession, ou par une qualification. Les flottements sont d ' autant plus probables que la construction politique d' une reprsentation pro-fessionnelle est plus faible et ne permet donc pas la personne enqute et au codeur d' identifier automatiquement la situation.

    Mais ces deux phnomnes ne vont pas pour autant ncessai-re ment de pair. La comparaison e ntre deux occupations du secteur de sant clairera ce point. Dans la rubrique Aide infirmier, infirmier non diplm et assimils (de la nomenclature de 1975 : INSEE, 1975a, 1975b), la variation des dclarations d ' une source l' autre (rappelons qu' il s'agit d' une mme personne dont on s'est assur qu'elle avait conserv la mme occupation entre un recen-seme nt et une enqute sur l'emploi) est proche de 20 %. Lorsque cette dclaration change, il en rsulte, s ix fois sur dix, une codifi-cation dans une rubrique diffrente, parfois fort loigne dans la nomenclature. Dan s la rubrique mdecin , l' in stabilit des rponses e st encore plus importante : 27 %. Pourtant, e lle n'entrane une codification diffrente que dans 5 cas sur 100 car l'ventail des titres dont peut di sposer un mme mdecin (mdec in, docteur en mdec ine, cardiologue, chef de serv ice, pro-fesseur agrg de mdecine, etc.) est assur d ' une cohrence rgle-mentaire et oriente donc vers une mme rubrique. En revanche, les nouvelles recouvrent des occupations qui peuvent aussi tre identifies autrement (brancardier, agent de cuisine, femme de service), ce qui conduit alors des codifications toutes diffrentes.

    Si l' on porte attention au premier maillon de la chane, la dclaration des personnes interroges, la li ste des rubriques dont les occupations ont les noms les mieux stabiliss est clairante :

  • artiste peintre ou sculpteur (0% de variation), arti san d'art (0 %), pcheur (0 %), marin du commerce (10 %), notaire (0 %), clerc de notaire (7 %), sage-femme (0 %), kins ithrapeute ( 10 %), assistante sociale ( 10 %) (l'instabilit moyenne, sur l'ensemble des rubriques de la nomenclature, est de 34 %). Denire l' apparence composite de l'numration, on peut rattacher ces diverses occu-pations dont l' identit est particulirement consolide plusieurs principes fondamentaux de justification d' une activit profession-nelle: l'inspiration de l'artiste, la tradition du mtier, le civisme de l'office, la comptence technique de la profession. Chacun d'eux contribue clarifier des situations caractristiques aisment recon-naissables par la personne enqute et par celle qui code.

    On peut, avant d 'examiner la mise en uvre de tel s principes propos des cadres et des professions de sant, considrer ic i le cas des occupations ouvrires. Aux mtiers qui ont conserv un nom (coiffure, cuir, alimentation, btiment) s'opposent les emplois dans des industries trs capitali stiques (sidrurgie, vene, matire plas-tique) dont les processus de production en continu font obstacle une dlimitation nette des attributions et la formation d' un nom de mtier. Les occupations sont alors plus souvent dfinies par la phase du processus dans lequel l'ouvrier intervient : surveillant sur machi ne au mlange de produits chimiques >>, employ aux mlanges produits chimiques>>. On voit clairement cette diff-rence lorsqu'elle traverse un mme secteur. Quand l'ancienne nomenclature permet de di stinguer, parmi les occupations spci-fiques d ' un secteur industriel comme celui de l'alimentation, celles qui relvent plutt du mtier>> et celles qui relvent d ' une qua-lification (ou d'une non-qualification), la diff rence dans la consolidation des identits apparat clairement (les taux d' insta-bilit passant de moins de 25 % prs de 50 %).

    Les ouvriers des matires plastiques sont de ceux dont les dcla-rations sont les plus fluctuantes (63 %). Le cas d ' une entreprise de matires plastiques claire la faon dont une reprsentation par mtier peut tre dnonce par rapport une reprsentation par qua-lification. Le chef d ' entrepri se, interrog sur la classification aj uste son entreprise, met en cause la convention collective de la branche. Il la juge dsute parce qu 'elle s'appuie sur des mtiers traditionnels dpasss, et cela au nom d' un princ ipe cohrent avec une mesure technique e t cri trielle de la tche. Les appellations de mtier qui occupent une place importante dans la convention collective nationale ont t remplaces par une grille standard de

  • qualif ication (OS 1 A, OS 1 B, OS2, OP, e tc .) compl te par la mention de l'ate lier. Dans un mme ordre d ' ide, l'quivalence civique de tous les titulaires d' un mme diplme (en l'occur-rence, un CAP) est dnonce, tout comme la prtention marchande monnayer ce diplme : Je conteste violemment [ .. . ] l'ensei-gnement actuel qui a de plus en plus tendance dire aux gens : une fo is que vous aurez votre CAP, vous allez voir comme c'est chouette dans les usines et comme vous allez tre bien pays.

    Pour te rminer sur l ' utili sat ion des dclarations d'occupation comme indices de la formation d' une identit, examinons un cas limi te o cette dclaration peut tre non seulement instable mais quasi inexistante. C'est celui des aides familiales (ou aides fami liaux), catgorie stati st ique qui perptue aujourd' hui un princ ipe d' identification domestique dont nous avons vu, au cha-pitre prcdent, la place centrale qu ' il ava it occupe dans les formes de classement prcdant la nomenclature des CSP, et dont nous avons galement observ la trace dans l'exemple de la Ces situations, surtout frquentes dans 1' agriculture, 1' arti sanat et le commerce, sont ce point domestiques que la notion d'occu-pation , qu' il s'agisse d' une profession, d ' une qualification, ou mme d' un mtier, y perd de sa pertinence. Une rgle de > statistique implique d'ailleurs que leur catgorie socio-professionnelle est automatiquement celle du . Des mesures lgislati ves rcentes favorisent cependant une identi-fication plus professionnelle de leur acti vit. Ainsi, les pouses de commerant peuvent aujourd' hui s' inscrire personnellement au registre du commerce, condition de

  • familiaux (ales) de l'agriculture, un retour auprs des personnes enqutes a montr que leurs rponses ne dpendent pas tant de la dure du travail sur l'exploitation (variable la plus pertinente pour le statisticien) que du dispositif mme d 'exploitation (en y inc luant le mode de relation entre les personnes). Dans la culture marachre, par exemple, les fe mmes pratiquant les mmes activits que leur mari et disant > se dclarent volontiers comme leur mari. Dans une petite exploitation de polyculture, les femmes qui , en revanche, effectuent la fois des tches spcifiques de soin des animaux et des ont rarement une activit iden-tifie par un nom d'occupation [Huet, 1981].

    Nous nous sommes donc approchs au plus prs de l' usage de la nomenclature en remontant la chane statistique jusqu' son prin-cipal input, la dclaration de la personne enqute concernant son occupation. Les dysfonctionnements, dus notamment la > de cet input, sont souvent la consquence d ' une identification faib le de cette occupation. L' tude de cette faib lesse fait apparatre, par dfaut, les diffrentes faons dont une occu-pation peut tre consolide. Ainsi , une dfinition domestique de l'acti vit peut tre compatible avec la dfini tion de l'occupation comme mtier, mais l'attachement au matre de maison - agri-culteur, artisan, ou petit commerant - peut empcher d 'autres membres de trouver une identification autonome un mtier par-ticulier. Cette premire faon de mettre en valeur l'occupation peut aussi tre dfaite par la rfrence une grille standardise de quali-fication. Enfin, d'autres formes de mise en valeur sont possibles pour tabl ir l'identit d' une occupation, par r frence la comp-tence d ' une profession ou au service public d ' un office.

    L'enregistrement statistique est donc tributaire d'une identifi-cation de l'occupation sur laquelle il peut influer, mais qu' il ne peut constituer lui seul. Il faut donc porter maintenant attention aux modalits de formation d'un groupe social, la reprsentation politique d'une personne collecti ve lie l'occupation.

  • 4. La formation d'une reprsentation d'un groupe social : les cadres

    L' histoire de la construction sociale et politique de la catgorie des cadres>> a t analyse trs compltement dans l' ouvrage fondamental que Luc Boltanski a consacr ce sujet LBoltanski, 1982]. L'un de ses apports est de mettre en lumire les tensions et les accommodements entre deux dfinitions possibles de l'identit sociale des cadres, que nous pouvons rattacher deux formes poss ibles de justification de la valeur d ' une activit [Boltanski , Thvenot, 199 1], formes que nous avons dj vu se rencontrer dans l' histoire des CS retrace dans le chapi tre pr-cdent. La premire est fonde sur une capacit professionnelle sanctionne par un diplme; la seconde repose sur l'exprience professionnelle et la connaissance du > , et rejoint donc le mode de dfinition du > qui repose galement sur un apprentissage long, sur l'anciennet et sur une connaissance dite pratique. L'tude historique de la const itution de la catgorie fait c lairement apparatre la gense de ce jeu entre deux faons de se dfinir comme cadre, j eu qui se prolonge aujourd' hui et dont Boltanski a montr qu ' il tait l'origine du succs de cette catgorie sociale dsormais solidement reprsente (dans tous les sens du terme).

    A la diffrence des ouvriers, une telle reprsentation fait compl tement dfaut avan t les annes trente. L ' identit de > n' apparat ni dans les statistiques, ni dans l'espace poli-tique, ni enfin dans la littrature que l'on peut prendre comme cho des reprsentations ordinaires du monde social. Le terme ne s' imposera que sous Vichy et sera consolid, aprs la Libration, par des rglementations spcifiques cette catgorie, et en parti-culier un systme de caisses de retraite. La premire tape de la reprsentation des cadres a repos sur le travail , particulirement actif dans le prolongement des grves du printemps 1936, d ' ing-nieurs diplms de grandes coles (notamment Centrale et les Mines) pour construire cette nouvelle identit autour de plusieurs syndicats, l' Union des syndicats d ' ingnieurs franais (USIF), le Syndicat professionnel des ingnieurs diplms franais (SPID) et surtout, par le nombre de ses adhrents qui avoisine 10 000, le Syndicat des ingnieurs salaris (SIS) cr par l'Union sociale des ingnieurs catholiques (USIC).

  • Mais, ds cette premi re tape, les ingnieurs diplms cher-chent tablir des liens entre une forme de comptence tech-nique assise sur une formation scolaire et une tout autre forme d' identification sociale qui trouve son expression dans les mou-vements dits des . La Confdration gnrale des syndicats de classes moyennes, qui a revendiqu jusqu' deux millions et demi d'adhrents, regroupe en effet des syndicats pro-fessionnels de l' agriculture, du petit et moyen commerce, de la pe ti te et moyenne industrie, de l' art isanat, des profess ions librales, de la matrise et des cadres. Ces occupations, ext-rieures au monde du salariat, ne sont certainement pas ajustes une mise en valeur faisant rfrence une technicit certifie par un diplme. Leur doit tre d ' une autre nature [Boltanski , Thvenot, 1987], cohrente avec un patrimoine, le poids de traditions et une autorit personnelle. De fait, cette conf-dration des classes moyennes agit surtout, par l' intermdiaire de parlementaires, pour la dfense de la petite entreprise. Ce mou-vement s'lve donc contre un ordre fond sur la richesse, contre un esprit de consommation et une ploutocratie, en mme temps qu ' il met en cause un ordre dont le bien commun est le collectif et qu ' il dnonce le pouvoir des masses. Se prsentant comme une alternative la fo is au pouvoir des possdants et celui du prol-tariat, dont l'opposition est ralise dans la grande entreprise, il prne ainsi une troisime voie qui doit faire obstacle l'anonymat du grand capitalisme comme la mobilisation ouvrire du Front populaire.

    La reprsentation de la catgorie des cadres, qui prend donc appui sur ces deux types d'organes reprsentatifs (syndicats d ' ingnieurs et mouvements de classes moyennes), est ainsi le rsultat d ' un travail de compromis entre, d' une part, un principe d'efficacit ajust la comptence technique et, d'autre part, un princ ipe d'autorit fond sur la tradition et des liens personnels de type familial, compromis caract ristique du mouvement corpora-ti ste qui concourra l'existence des cadres.

    L'opposition entre ces deux princ ipes peut tre rabattue sur une distinction entre une lite bourgeoise contrlant la reprsentation du groupe e t une base pet ite-bourgeoise qui en fo rmera it les bata illons. A l ' ingnie ur polytechnic ien s'opposera le cadre maison, autodidacte, et aujourd' hui encore, les statistiques de l' APEC montrent qu' la diffrence d ' un recrutement anonyme sur titre conduisant aux e mp lois de grandes e ntreprises, le cadre

  • autodidacte sera plutt engag par re lations, dans une petite entre-prise, quand ce n 'est pas une promotion interne qui garantit sa fidlit l'esprit maison. Dans les s tatistiques, l' opposition ne spare plus tant les ingnieurs des cadres, comme dans les annes cinquante-so ixante, et le titre de cadre tend tre de plus en plus souvent adopt par les ingnieurs, ce qui explique le ralentis-seme nt de la cro issance de la CSP ingnieurs [Thvenot, 1977). Cette oppositi on partage les di ffrentes fonctions de cadres et c 'est pour cette ra ison que , dans la nouvelle nomenclature PCS, ces fonctions ont t prises en compte. Les ingnieurs sont regroups avec les cadres techniques (PCS 38 : > (PCS 37) ; au ni veau plus dtaill, des fonctions plus fines sont di ff rencies.

    Pour ces cas extrmes, on peut faire le constat d'un attachement de chacune des formes de mise e n valeur (de l'occupation) des personnes, ce qui ne va pas sans une certaine rigidit inhumaine [Boltanski , Thvenot, 1991], celle du technocrate qui se prend trop au srieux ou celle du cadre maison paternali ste. Cependant l'iden-tification la catgorie > to lre des possibilits de jeu sur ces principes, pour une mme personne, et que c 'est sans doute ce j eu qui assure la prennit de cette catgorie.

    5. Les r eprsentants des professions et la nomenclature

    La construction de la nouvelle nomenclature s'est appuye sur un trs lourd dispositi f de consultation des reprsentants profes-sionnels, sous l' g ide du Conseil national de la statistique (CNS) (cf. encadr p. 69). Les runions de ces professionnels, orga-ni ses par domaines d 'e mploi (mcanique, transport, sant, etc.), furent des moments trs favorables pour d istinguer les d iff-rentes faons de rapprocher des personnes selon leur occupation. Les dbats portaie nt sur le classe ment de telle ou telle profession dans une rubrique, sur les arguments pouvant justifier ces regrou-pements, sur le li bell de la rubrique , sur les termes de sa dfi -ni tion, sur les noms de profess ions c its pour caractriser son contenu. A titre d 'exemple, un syndicat reprsentant les proth-sis tes dentaires demande, dans une correspondance adresse au prsident du g roupe du CNS, que les termes mcamc1e n >> ou mme > so ie nt exc lus de la no me nc lature, e n

  • s'appuyant sur une dc ision du Conseil d 'tat reconnaissant le titre de
  • possibles d ' une occupation, reposant sur des principes de justifi -cation contradictoires. Le Syndicat national des psychologues (SNP), dnomm initialement Syndicat national des psychologues praticiens di plms, est fond e n 195 1 la suite de la cration d ' une licence de psychologie la Sorbonne, en 1947. Ce syn-dicat met en valeur l'occupation en se fondant sur une comp-tence technique, et en cherchant tabli r une quivalence entre cette comptence et un diplme national universitaire. C