Deschamps La Grece d'Aujourd'Hui

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Deschamps, Gaston (1861-1931). La Grce d'aujourd'hui. 1995.

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LA GRGE D'AUJOURD'HUI

Il a t tir part, sur papier de Hollande, dix exemplaires numrots de la Grce d'aujourd'hui. Ces exemplaires sont mis en vente au prix de S francs.

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:onlommiers.

Imp. PAULBRODARD.

GASTON DESCHAMPS LA GR C E D'AUJOURD'HUIQUATRIME DITION

PARISARMAND COLIN ET Cie, DITEURS 5, RUEDEMZIRES1894 Tous droits rservs.

LAGRCE D'AUJOURD'HUI

CHAPITRE PREMIERL'arrive Athnes. La gare du Ploponse le port du et Pire. L'Acropole printemps. Lanouvelle thnes. au A Divertissements athniens. L'agora. Le royaume de Grce se compose d'une petite ville et d'un assez grand nombre de villages. Mais cette petite ville possde un trsor pour lequel beaucoup de personnes donneraient toutes les btisses des capitales de l'Occident l'Acropole. Et ces villages sont habits par une race ingnieuse et patiente, qui a vaincu, par sa tnacit, les plus violentes temptes, qui est sortie, plus allgre que jamais, d'un naufrage de plusieurs sicles, qui est encore endolorie par les dures annes de servage et de misre, mais qui possde les deux qualits par o les nations malheureuses russissent lasser la mauvaise fortune le don de se souvenir quand mme, et la capacit d'esprer malgr tout.3 j_ _L LA GRCE D'AUJOURD'HUI..1 '1

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LA

GRCE

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r 1 .7. 1~T.n"nn Il ne faut point juger ce peuple sur l'apparence. On risquerait d'noncer sur son compte quelqu'une de ces apprciations partiales et irrites, dont sont coutumiers les voyageurs presss qui voient l'Atdu paquebot. tique entre l'arrive et le dpart Toutes les fois que la question d'Orient se commine de marcher plique, si l'arme grecque fait vers la frontire de Macdoine, si les chrtiens de Crte essayent d'apitoyer les puissances sur leur sort, il se trouve rgulirement un touriste pour adresser aux journaux d'Occident une dissertation de politique, o il y a des considrations gnrales et des phrases solennelles, mais surtout un peu de haine contre un douanier brutal, beaucoup de rancune contre un htelier perfide, un ressentiment mal dguis contre les cochers narquois auxquels on est oblig de recourir si l'on veut djeuner dans le bois sacr de Colone ou dner sur les marbres d'leusis. Il faut pardonner ce genre de littrature factieuse toutes les sottises qu'il a fait natre; car nous lui devons un chef-d'uvre la Grce contemporaine d'Edmond About. De tous les peuples bavards et aimables, le le moins aispeuple grec est celui qui se rvle ment l'tranger qui passe. On peut habiter Athnes, courir de salon en salon, causer avec les riches banquiers qui se flattent de bien parler notre langue et de bien copier nos lgances, et ne rien comprendre aux choses de Grce. G'est le

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iaucoun de diplomates, dont l'investigation cas de beaucoup de dinlomates. dont l'investigation ne dpasse gure la limite des maisons o l'on danse, et l'habitude de quelques Franais qui considrent leur sjour l-bas comme un exil, et qui se construisent laborieusement, au pied de l'Acropole, un petit Montmartre. Chateaubriand, dans son admirable Itinraire de Paris Jrusalem, affirme que la plus belle route par o l'on puisse arriver Athnes est celle qu'il a prise, et que la ville de Ccrops doit tre vue d'abord des hauteurs de Daphni, sur la route d'leusis. Les voyageurs ne prennent plus gure cette voie, o l'illustre crivain avait t engag par sa fantaisie et son caprice. Aujourd'hui, ceux qui ont peur du mal de mer prennent leur billet Paris, la gare de Lyon, traversent l'Italie toute vapeur, s'embarquent Brindisi sur un bateau du Lloyd, touchent Corfou, se transportent avec leurs malles sur un paquebot hellnique qui leur fait payer, par de fortes odeurs de saumure et d'huile, la brivet charmante de la traverse, voient les maisons neuves de Patras, admirent le golfe de Lpante, s'arrtent Corinthe, o ils sont invitablement affligs par la douane et consols par le buffet, courent en chemin de fer, le long d'une corniche, entre la mer et des pentes abruptes, saluent, du fond de leur wagon, les noms illustres de Mgare et d'Eleusis, cris pleins poumons par le chef du train, aperoivent des montagnes de plus

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en plus chauves et des plaines de plus en plus striles, entendent enfin, comme en un songe dor, et 'AS-ivai,! descendent ce cri triomphant 'A8-/jvxi.! dans un ple-mle de gens qui s'embrassent, de bagages qui tombent, d'employs qui se querellent, sur le quai de la gare du Ploponse, vilaine btisse dans un terrain vague. Lorsque le voyaet tout mu geur s'lance hors de la gare, heureux de fouler enfin ce sol bni, il est tonn de se trouver d'abord dans un dsert. Il ne voit, autour de lui, que de pauvres cabanes de bois, o des gens mal vtus boivent et bavardent. Est-ce l cette Athnes tant rve? Cette station, perdue en rase de Yankees campagne, comme un campement la ville de Priparmi des tribus de Pawnies, c'est cls ? Il faut, en effet, se rsigner faire un assez et de long chemin avant d'entrer dans des rues voir des tres civiliss. Lorsque les Athniens eurent permis des Belges et des Anglais de construire les deux lignes qui vont d'Athnes au Pire et d'Athnes dans les bourgs du Ploponse, ils exigrent que les deux gares fussent situes aussi loin que possible de la ville; et, comme on opposait leurs discours l'incommodit de la distance, la fatigue des voyageurs, ils rpondirent ne que ces raisons n'taient point bonnes, qu'il fallait pas s'inquiter de l'loignement de ces deux gares, et qu'avec l'aide de Pallas, la ville d'Athnes, en sa rapide croissance, saurait bien les rattraper.

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1, t 3- -1_ Les Athniens ne dsesprent pas de rejoindre un jour le Pire, ce qui ferait une ville de douze kilomtres de long, et ce qui enlverait aux voyageurs le plaisir de longer, de temps en temps, le peu qui reste des murs de Thmistocle. L'arrive par le Pire est plus conforme que l'autre aux traditions antiques et veille toutes sortes de rves exquis. On a beau se dire que l'on est assis sur la dunette d'un paquebot qui ronfle, fume et s'bat lourdement comme un monstre sans lgance, on pense aux trirmes enlumines et fleuries qui beraient les chansons des athltes vainqueurs. Il faut, si l'on veut voir l'Attique dans toute sa beaut, et avec la grce de sa rapide fracheur, entrer dans le port de Pire un jour de printemps, au moment o les tideurs prcoces du mois de mars gayent de verdure htive et lgre la scheresse des collines de sable. Lorsque Yorghi, batelier de l'cole franaise, qui m'attendait au bas de l'chelle du Sindh, accosta au quai de tuf gristre prs de la douane, je fis un faux pas sur une des marches, et, sans le vouloir, peut-tre par l'effet d'une secrte influence des dieux, j'entrai genoux dans la patrie de Phidias j'ai cru depuis qu'il y avait un heureux prsage dans le hasard qui me prosternait ainsi, malgr moi, ds mes premiers pas dans le doux pays o a fleuri l'adolescence du monde, et o devait jaillir la source vive de toute joie, de toute science et de toute beaut.

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Je fns interromnu. ce moment, dans la prit Je fus interrompu, ce moment, dans prire mentale que j'adressais Zeus Hospitalier, protecteur des voyageurs, par l'arrive des douaniers, hommes injustes et vtus de tuniques vertes. La vrit m'oblige, bien qu'il m'en cote, vous conter mes dmls avec ces Barbares, qui ne mritent pas le nom d'Hellnes, et que je comparerais volontiers ces archers scythes qui taient chargs, au temps de la rpublique athnienne, des basses fonctions de police auxquelles un homme bien n ne saurait consentir. Chez la plupart des nations civilises, la douane est ennuyeuse. Au Pire et Corinthe, elle est taquine, cocasse, comique, rapace, philosophe avec tant de sans-gne et concussionnaire avec tant de bonne humeur, que, de tous les ministres qui se sont succd au pouvoir, M. Tricoupis seul eut le courage de se fcher et d'envoyer en prison plusieurs employs, convaincus d'innombrables facties. Dans certains pays, le voyageur est guett au passage par des brigadiers graves et dignes, qui procdent minutieusement l'examen des bagages, avec la scurit d'une bonne conscience et la srnit du devoir accompli. Mais ds que vous entrez dans ce grand et maussade btiment, qui gte avec tant de maladresse et de gaucherie le dcor du Pire, cinq ou six drles, les uns avec des kpis officiels, les autres nu-tte, tous vocifrants et surexcits, vous bousculent,

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vous harponnent, vous arrachent vos caisses, vos valises, vos paquets. Non sans terreur, vous voyez accourir une seconde escouade, qui est arme de haches pour faire sauter les planches rebelles et avoir raison des clous rcalcitrants. En moins de rien, le voyageur mlancolique voit ses affaires parpilles sur le sol, livres comme une proie toute une canaille loquace, qui exerce vos dpens et sans le moindre scrupule le droit de bris et d'pave. Pendant que vous vous morfondez, impatient, nerveux, fbrile, vos bourreaux ttent l'toffe de vos habits, examinent vos chapeaux, les apprcient, donnent leur avis en fins et dlicats connaisseurs. Cependant, comme vous avez l'habitude des administrations correctes et des tarifs prcis, vous cherchez, dans cette foule hostile, quelqu'un qui puisse vous venir en aide. Vous regardez autour de vous, afin de rencontrer la face loyale et le regard secourable d'un inspecteur, d'un contrleur, d'un vrificateur. Vous demandez parler un chef, une autorit rgulirement constitue. On vous conduit devant un grillage, travers lequel un Palikare en paletot vous regarde d'un air tonn, coute vos dolances avec un sourire de stupeur, dit quelques mots inintelligibles l'oreille de ses voisins, et vous quitte pour s'entretenir familirement avec un cercle de gens de mauvaise mine, qui n'ont point l'air intimid par son paletot, et qui l'appellent adelph (frre),

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dans l'enceinte mme de son grillage directorial. Finalement, on vous rclame une somme quelconque, qui varie entre quatre et cent francs, droits fantastiques, dont personne n'a jamais devin l'objet et dont on ne verra jamais le mystrieux ` tarif. Un de mes amis, qui sait le grec aussi bien qu'un cabaretier du Magne, fut tellement indign par ces vexations, qu'il harangua pendant dix minutes tout le personnel de la douane. Je le vois encore, debout au milieu de ses malles dfonces, de ses valises bouscules et de ses hardes gisantes, montrant d'un grand geste la route de l'Acropole et s'criant que c'tait bien la peine de supporter tant d'avanies pour venir contempler le squelette calcin d'un vieux temple, et jouir de la socit de deux millions de Palikares, qui vivent de cet immortel dbris! Gomme la plupart des grands orateurs, il exagrait la vrit afin de la rendre plus frappante. Les douaniers sont les concierges d'une nation il ne faut pas juger le royaume de Grce d'aprs la loge. Lorsqu'on a des bagages, on ne peut songer prendre le petit chemin de fer qui fait le trajet d'Athnes au Pire. Le mieux est d'accepter les services des cochers errants qui vous proposent de vous traner, vous et votre fortune, dans de grands landaus, exils on ne sait par quel destin dans les chelles du Levant, aprs avoir suivi,

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=>. Occident, des nop.fis dj anciennes. sans doute, pn Orp/idfinL rlp.s noces dm anciennes. en Les vieilles voitures aiment le chemin d'Athnes et les sentiers du bois sacr des Muses le carrosse dor qui devait servir la rentre solennelle du comte de Chambord et qui attendit, longtemps, chez Binder, le retour -des migrs, se repose maintenant dans les. remises, du. roi George. Je l'ai vu passer, rue d'Herms, lorsqu'on clbra en grande pompe, l'glise mtropolitaine, la majorit du prince hritier Constantin. Les patriotes hellnes ne dsesprent pas de le voir un jour grimper les rues montantes et difficiles qui mnent Sainte-Sophie. Les landaus athniens s'appellent, dans la dlicieuse langue du pays, amaxa. C'est par ce mot, vous vous le rappelez, qu'Homre dsigne le char d'Achille. Avant de monter sur le marchepied de ces chars, il faut faire avec le cocher ce qu'on appelle, l-bas, une symphonie. Que ce mot n'veille point en vous l'ide de quelque chose de musical. La symphonie grecque est un accord purement commercial, analogue la combinazione des Italiens. Chez ce peuple, amoureux de libert, il n'y a point de tarifs, et votre cocher vous rirait au nez, si vous lui demandiez son numro Il faut s'entendre avec lui, discuter d'gal gal, engager un duel, comme deux adversaires qui s'estiment, mais qui ont une forte envie de se rouler mutuellement. Pour ma part, je ne me suis jam jamais. 1.

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-+. de l'obligation o j'tais ,7" me ,ta_ de soumettre i plaint il. l'nhh~ai;i", cet usage de la symphonie, qui est, chez les Grecs, une institution nationale. Parfois, ces discussions prenaient dans l'air bleu une tournure acadmique et platonicienne; j'admirais combien les cochers ont d'esprit dans ce pays d'ingnieuse et subtile flnerie, et j'prouvais une sensation que je n'ai retrouve nulle part le plaisir d'tre voitur, au trot de deux chevaux maigres, par Protagoras ou par Gorgias. En Orient, on accomplit les oprations vulgaires et basses de la vie matrielle avec une lenteur o se marque, l'gard des ncessits pratiques auxquelles les hommes sont condamns, un superbe et aristocratique ddain. A Athnes, en particulier, les orateurs ne sont jamais presss d'en finir, et les cochers prennent toujours le plus long. C'est une occasion d'apercevoir au passage quelques coins du Pire. La marine est amusante et bariole tout le long du quai, sous une galerie couverte, qui fait penser certaines rues du port de Gnes, les gens se promnent, flnent et bavardent, devant de petites boutiques d'o sort une odeur de poisson sal; il n'est pas besoin d'aller plus loin pour voir ce qui fait le fond immuable de la nourriture des Palikares les piments, l'ail, l'oignon, les pastques, le caviar, la boutargue de Missolonghi, pte sche et jaune, faite avec des ufs d'esturgeons, puis d'innomables friandises, o les

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moucnes prlvent, avant qu-elles soient livres aux hommes, une forte part. Par terre, des croulements d'oranges que les caques apportent de Syrie et de Crte, et qu'ils remplacent, en s'en allant, par des monceaux de banales poteries, pour les habitants des les dores o il y a des couleurs et des parfums, et pas d'argile Ce coin est le seul endroit pittoresque du Pire c'est tout ce qui reste du port misrable et dsol que Chateaubriand et Lamartine ont dcrit. Il disparaitra bientt, enserr et envahi de plus en plus par les grandes et laides btisses de la ville nouvelle, prospre et opulente, mais dplorablement amricaine. Les matelots de tous les pays retrouvent l cet ternel caf-chantant qui est partout le mme, New-York, Marseille, Smyrne, dans les concessions europennes des ports chinois. Seule, la place de la Constitution essaye de garder une couleur un peu locale on y a plant, sur une colonne, efflanque et longue comme une vieille Anglaise, un Pricls de pendule, qui semble se demander, sous son casque de pompier, pourquoi on lui a fait une tte et point de jambes. Au sortir du Pire, la route blanche et poudreuse court entre des verdures ples et courtes. C'est l qu'on commence respirer cette poussire attique, 1. J'ai appris,depuis,que l'importation orangeshtdes rochlones t soumise des droitstrs levs.On ne sait a encoresi cettemesure profit oranges a aux nationales.

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qui les rcits des touristes ont donn une si grande clbrit. L'action de cette poussire sur l'me du voyageur est diffrente, selon les dispositions qu'on apporte aux autels de Pallas-Athna. M. Perrichon la trouve, pour sa part, aveuglante, cinglante, insupportable; il ternue, cligne des yeux, crie, gesticule, ouvre son parapluie, reproche sa femme de l'avoir entran si loin, menace de se plaindre son consul et s'crie Quel peuple! pourquoi l'agent voyer n'a-t-il pas fait caillouter cette route? Le cocher sourit et, pendant ce temps, sans doute, un rire homrique roule de cime en cime sur les sommets de l'Olympe, comme un joyeux tonnerre dans un ciel serein. Je ne serais pas tonn qu'il y et l une malice des dieux pour se venger des lourds Botiens qui profanent leur terre de prdilection. Soyez assur qu'un jour les pigraphistes trouveront, en ces lieux, quelque ddicace Apollon semeur de sable qui loigne les Barbares et fait reculer jusqu'aux mers cimmriennes les bandes sauvages du redoutable Cook. Si au contraire vous arrivez dans ce pays, en tat de grce, avec le ferme dessein de vouer la desse aux yeux bleus un culte de latrie et de vous agenouiller, avec motion, sur le stylobate de son temple, les impalpables parcelles- qui se dtachent en tourbillons, de ce sol sacr, vous semblent douces au got et agrables l'odorat. Elles vous

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apportent, comme d'alertes messagres, le parfum des montagnes prochaines. Un illustre sculpteur, un de ceux qui, de notre temps, ont retrouv le secret de l'antique beaut, disait que ces vives tincelles insinuaient en lui l'me errante de la race sobre et lgre qui se nourrit,- comme les cigales, de poussire, de chansons et de soleil. Cet assez long espace, qui spare le port et la ville, suffit dj faire surgir, aux yeux des voyageurs qui sont un peu prpars ce plerinage, des visions antiques. Le Pire est l'chelle d'Athnes, comme Volo est l'chelle de Larisse, comme Nauplie est l'chelle d'Argos, et Jaffa l'chelle de Jrusalem. Les migrants qui fondaient une ville choisissaient presque toujours un lieu lev, dans l'intrieur des terres. Il et t dange-. reux de s'tablir sur le rivage de la mer les pirates pouvaient descendre l'improviste et pillerles maisons. On recommandait aux jeunes filles de ne point se promener sur les plages, si elles ne voulaient pas tre emmenes trs loin par des galres barbares. Les marchands, les pcheurs demeuraient parfois au bord de l'eau; mais, ds qu'on signalait au large une voile suspecte, ils se sauvaient vers la haute acropole qui abritait, de ses remparts crnels, les images des dieux, les tombeaux des anctres et les trsors de la cit. Il a fallu de longs sicles pour que la mer cesst d'effrayer les hommes par l'apparition des>

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figures jachantes et hostiles qu'elle amne des pays lointains. Les anciens auraient t bien surpris s'ils avaient prvu qu'un jour le rve des citoyens paisibles et timors serait de possder une maison au bord de l'Ocan, et que les demoiselles bien leves iraient, sans crainte des pirates, pcher des crevettes dans les rochers les plus affreux. On a le loisir de rver beaucoup sur la route du Pire Athnes; car on s'arrte assez souvent. Un usage, auquel les cochers manquent rarement, veut que l'on fasse halte devant la porte d'un petit caf, situ moiti chemin, et dont la faade, violemment enlumine par un artiste local, reprsente, en raccourci, presque toutes les scnes hroques des guerres de l'Indpendance. L, on vous offre, pour quelques sous, un morceau de loukoum, un petit verre de raid, un grand verre d'eau claire. Ces trois choses runies reprsentent, pour un Palikare, le comble de la flicit. Le loukoum est une pte douce, faite avec du miel, de la farine, du sucre, et parfume de vanille, d'amande ou de cdrat; le raki est une eau-de-vie blanche qui, mle l'eau pure, petite dose, lui donne de jolies nuances d'opale et une saveur trs rafrachissante. J'ai voulu, en France, reprendre l'habitude de ce nectar et decette ambroisie; le loukoum expatri m'a paru fade; le raki, en exil, m'a sembl perdre quelque chose de sa force et de sa vivacit.

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bas. iamais L-bas, tout cela me semblait dlicieux, et jamais je ne retrouverai l'eau cristalline dont les cascatelles scintillent parmi les lauriers-roses, Kaisariani, dans l'Hymette. A mesure qu'on approche de la ville, le paysage s'largit et se colore. Peu peu, les petites montagnes 'basses qui descendent vers la mer en pente douce, l'JEgalos, le Corydalle, se haussent en des formes plus nobles, en des contours de plus en plus fermes et prcis. Les pentes, qui ferment l'horizon gauche de la route, sont striles et nues, peine vtues, par endroits, d'herbes courtes et pauvres, rabougries par le vent de mer. Mais elles ont des nuances dlicates, des tons lgers, que le pinceau ne peut fixer, que le langage humain ne peut saisir, et qui font croire, tout d'abord, que ce pays n'est pas vrai, qu'on est dupe d'un mirage et que le soleil, malgr toute sa magie, ne peut pas faire avec des cailloux, du sable et quelques arbres, cette fte des yeux. On traverse, sur un petit pont, un troit foss, sans se douter qu'on vient d'enjamber le Cphise. On longe la lisire d'un petit bois d'oliviers, qui n'est autre que le bois sacr de Colone. Ces noms harmonieux, dont le souvenir flotte souvent en nous, sans que nous sachions au juste quel objet prcis nous devons les appliquer, achvent de donner aux abords de l'Attique une grce dcente et exquise. Puis, au dtour du chemin, on voit, sur

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un fond de montagnes plus sombres, le vigoureux relief d'une colline fauve, sche, d'attitude un peu fire et hautaine, solide parce qu'elle tait un refuge et une citadelle, mais faonne en forme de pidestal, parce qu'elle portait le temple immortel o les hommes ont ador le symbole de la raison souveraine et de l'idale beaut. Il faut monter l'Acropole le lendemain du jour o l'on est arriv Athnes. On ne doit point faire ce plerinage avant d'avoir le corps repos et l'esprit dispos. Mais, si l'on gravit la colline sainte par une claire matine, l'heure o le soleil enflamme les crtes du Pentlique, ou bien vers la fin d'un beau jour, lorsque le couchant embrase les contours aigus de Salamine, on gote une plnitude de satisfaction intellectuelle, de volupt morale, de joie physique, que nul spectacle au monde ne peut donner au mme degr. J'avoue que le Parthnon est le seul monument qui ne m'ait pas donn de dception. Je me figurais Saint-Pierre de Rome moins boursoufl et moins emphatique, Sainte-Sophie moins lourde, moins gauche, moins embarrasse de contreforts chargs de soutenir sa grandeur ambitieuse et chancelante. Le temple de la Vierge victorieuse, de la jeune fille souverainement sage et parfaitement pure, ressemble aux tres vivants qui ont atteint l'achvement de leur organisation et l'panouissement de leur force. Il se suffit lui-mme; il est robuste et

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n44,f~,A~ charmant. C~,T, n.n;l Son accueil nc.F oi"a,T,+ est souriant; son attitude est dgage et libre. Hlas! les belles colonnes doriques, tailles dans ce marbre fin qui a la souplesse et la vie d'une chair dlicate, ont t meurtries, coups de canon, par un bombardement stupide, et les blessures sont encore ouvertes. Les dieux se sont enfuis des frontons martels. La procession des Panathnes s'est trompe de route et a pris le chemin des pays barbares et froids. N'importe, si ruin, si dlabr, si miett qu'il soit, malgr ses trous bants, l'norme lzarde qui l'a fendu en deux et qui a jet terre, dans un ple-mle de dcombres, les colonnes croules et les chapiteaux briss, le Parthnon reste la plus belle demeure que les hommes aient construite, pour y abriter l'effigie visible de Dieu. Il est l'idal de la perfection logique. Jamais peut-tre l'esprit humain n'a remport sur le dsordre des choses une plus belle victoire, que le jour o il a conu cet quilibre stable, o il a atteint la beaut non par un furtif clair d'imagination et de fantaisie, mais par l'effort de la pense, la prcision du calcul, par la splendeur de cette harmonie suprieure que les Grecs appelaient, d'un si beau mot, l'eurythmie. Il faut bien que tout cela soit vrai, puisqu'aucun homme, si humble qu'il soit, ne peut rsister l'impression d'apaisement et de clart que l'on prouve en face du Parthnon, et puisque tant de nobles esprits, dont quelques-uns sont

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partis de trs loin vers ce doux plerinage, sont venus, comme M. Renan, faire leur prire sur l'Acropole . Aucune gravure, aucun tableau, ne peuvent donner l'ide de cette merveille. Il faut admirer les temples de l'Acropole, dans le clair dcor o ils ont fleuri, sous le chaud soleil qui a dor leurs marbres, sous le ciel en fte, qui baigne d'azur impalpable leurs colonnes et leurs frontons. Vers la fin du jour, les rayons obliques dorent de lueurs fauves la faade svre du Parthnon; le temple d'Erechthe profil*!sur l'horizon vermeil ses hautes et minces colonnes ioniques, qui ressemblent des tiges de fleurs. Le temple de la Victoire-sans-ailes, si petit qu'on le prendrait presque pour une chapelle, brille comme une chsse, tout au bout de la terrasse et si prs du bord, qu'on a peur de le voir crouler dans les prcipices. Peu peu, le soleil descend dans le ciel enflamm, toilant d'tincelles les maisons de Phalre et du Pire. et posant sur les eaux du golfe Saronique de larges Jt aveuglantes splendeurs. Salamine, toute violette, flotte dans la pourpre et l'or. La cte de la More apparat vaguement, dans le miroitement de la mer. La plaine de l'Attique se voile d'ombre, au pied du Parns, qui bleuit lentement. Mais, du ct de l'Orient, l'Hymette, ample et large, est tout rose; n'essayez pas de retenir et de fixer cette nuance fugitive et changeante; maintenant, il est

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t1 T1 11 '1f< couleur de lilas, de mauve, de violette. Et les tons s'effacent, les couleurs s'amortissent, les reflets meurent. Le soleil s'teint dans la fracheur des eaux. Lorsqu'on redescend vers la ville, qui, cette heure divine, allume timidement ses becs de gaz, comme si elle avait peur d'effaroucher les dieux qui ont fait le soleil si rayonnant et la lumire si belle, on se dit qu'aujourd'hui, comme aux temps antiques, Pallas-Athna veille encore, toute arme, sur cette terre, et qu'il ne faut pas chercher ailleurs que sur la colline sacre le gnie et l'me de la cit. Les Grecs ont bien fait de ne pas couter les conseils prtendus pratiques de ceux qui les engageaient tablir leur capitale gine ou Patras. Sur ce point, comme sur bien d'autres, les plus enthousiastes se sont trouvs les plus aviss, et l'idalisme a prvalu sur la sagesse vulgaire des petits docteurs de la science politique. En dpit de toutes les belles dissertations qu'on leur fit entendre sur le mouvement des ports et des statistiques qu'on leur fit lire, ils se sont entLs vouloir installer derrire l'Acropole le palais du roi et le sige du gouvernement. Il ne faut pas chicaner, sur ses fierts archologiques, un peuple pour qui le prsent n'est pas toujours clment, et qui s'en console en songeant son pass il n'est pas donn tout le monde d'avoir reu l'Acropole

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on T.n ir'n; onnfra rln l'holln'niema en 1,6r.it~rnn hritage. Le vrai centre de l'hellnisme est Athnes. L'Acropole est un rempart et une parure. L'empereur d'Allemagne, il y a quelque temps, lanait d'Athnes Berlin des tlgrammes lyriques que le chteau de Belgrade, le konak de Sofia ou la mtropole de Bucharest ne lui auraient point inspirs. Derrire cette citadelle, o il n'y a ni murs, ni soldats, ni canons, les Athniens sont mieux couverts que derrire une forteresse blinde. 11 faudrait que l'esprit des nations modernes ft modifi du tout au tout, pour qu'une flotte se permt, comme celle du Vnitien Morosini, de bombarder cette gide. Comme l'a dmontr rcemment un illustre historien 1, il y a une religion qui n'a pas pri, et qui est plus vivace que jamais au cur de l'humanit c'est le culte d'Athnes. Assurment, si l'on regarde avec quelque attention le mur intrieur du sanctuaire d'Athna, on retrouve, en couleurs teintes, sur un placage de pltre effrit, les mains fluettes, la tte penche et les grands yeux fixes de la Panaghia byzantine. Plus loin, dans une encoignure du temple, un petit escalier en spirale conduisait au balcon du minaret d'o l'iman appelait ls croyants la prire. Il n'y a pas bien longtemps, une tour vnitienne, carre et nue, se dressait au beau milieu de l'Acropole; on a bien fait de l'abattre, malgr

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7_M..t: ~7" n,iefna r",i nn 'vnn_ les rclamations de ,7~nc quelques artistes, qui ne voulaient pas voir ce qu'il y avait de douloureux dans ce pittoresque. Si l'on parcourt les rcits et les radotages des chroniqueurs byzantins, on voit ou qu'ils lui que souvent ils oublient Athnes, accordent peine une mention du bout des lvres. se Malgr tout, l'histoire d'Athnes n'a jamais pu rduire la simple biographie d'un district local. Quelque chose vivait en elle, qui devait la sauver. Pendant les annes d'esclavage et de honte qui ont failli faire la nuit sur ce pays, les plus misrables des raas savaient obscurment qu'un jour, aprs la fuite des Barbares, les nations viendraient en foule contempler le chef-d'uvre du gnie grec, et que l'on verrait briller de nouveau, sur la montagne chre Pallas, la clart qui sauve, le signal attendu qui mne aux combats et aux triomphes de la libert. La nouvelle Athnes n'occupe pas exactement l'emplacement de l'ancienne. Elle allonge ses rues, tale ses places, disperse ses maisons neuves dans le large vallon qui se creuse entre l'Acropole et le Lycabte. Elle grandit avec une incroyable elle rapidit. Lorsque Chateaubriand la visita, n'tait qu'un petit hameau, opprim par de gros pachas; Lamartine n'y trouva qu'un misrable village; au temps d'Edmond About, le palais du roi tait tout seul au milieu d'un champ de pierres, et semblait regarder au loin, d'un air assez mlan-

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colique, les chafaudages des chantiers de construction maintenant, elle s'tend vers le bois d'oliviers et les flancs du Parns, descend la petite valle de l'Ilissus, cerne l'arc de triomphe d'Hadrien, envahit l'Anchesme, s'engage sur les routes de Kephissia et de Patissia, et grimpe joyeusement aux pentes abruptes du Lycabte. Elle est claire et gaie, et si elle n'tait pas si dnue de feuillages et d'ombre, elle ferait penser Nice ou Menton. Lorsqu'on la regarde du haut du belvdre de l'Acropole, on est frapp par l'clat aveuglant de ses faades de marbre, auxquelles les carrires, toujours ouvertes, du Pentlique suffisent encore; et sa nudit coquette manquerait tout fait de couler locale, si la coupole de la mtropole et le dme vert de Saint-Philippe ne nous avertissaient que nous avons devant nous une cit byzantine. Pour la voir dans toute sa grce, il faut monter, la fin de la nuit, une petite chapelle de Saint-George qui termine le Lycabte, comme une pierre de fate, et attendre l, pendant que le pappas dit sa premire messe, que le soleil se lve. Soudain, au-dessus du Pentlique, une mince bande rose avive la pleur du ciel. La masse bleutre de l'Hymette, encore endormie, s'claire peu peu. Une lueur blme s'pand sur la ville blanche. Des coqs chantent. Dans les casernes, la diane sonne. La mer, le long des ctes fauves et denteles, se dlivre lentement de l'ombre et

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souffle s'veille auLsouffle du matin. Puis l'orient prend prend une couleur plus intense, une ardeur plus enflamme. Le Pentlique est nimb d'une radieuse aurole. Il se dtache, comme un immense fronton, sur un fond de safran. La bande vermeille s'tend, dmesure. La mer se colore de violet. Le ciel, au-dessus de FiEgalos, s'illumine d'irradiations roses. Puis, au milieu de la ville silencieuse, o de rares promeneurs, dj veills, passent, de loin en loin, comme des ombres, parmi les maisons dont les fentres sont closes comme des yeux assoupis, l'Acropole resplendit, isole et superbe, dans une gloire d'or. Lorsqu'on flne au hasard, travers la ville, on est tent, tout d'abord, de tn^aver les rues trop droites, les trottoirs trop rguliers, les boulevards trop larges, les maisons plates, banales ou gauchement emphatiques. En effet, la rue d'Herms et la rue d'Eole sont deux corridors qui se coupent angle droit; le boulevard du Stade, le boulevard de l'Universit et le boulevard de l'Acadmie ressemblent assez trois routes dpartementales, peu distantes et impitoyablement parallles. Le palais du roi est rectangulaire, cribl de petites fentres, dplorablement semblable un hpital ou une le roi George, qui est un homme de caserne got, ne l'aurait srement pas fait btir dans ce style qui mettait en joie l'me bavaroise d'Othon, son prdcesseur. La place de la Constitution est,

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pendant six mois de l'anne, un Sahara. La place de la Concorde est un dsert plant d'arbres chtifs et maigres. L'aspect de beaucoup de maisons et de la plupart des monuments rappelle le temps o une nue d'architectes allemands s'abattit sur la Grce et voulut faire d'Athnes une contrefaon de Munich t. Et pourtant, telle qu'elle est, cette ville est charmante, de jour en jour plus douce et plus chre, comme ces femmes que l'on est tent d'abord de ne point voir, et que l'on aime davantage mesure qu'on les connat mieux. Pour ma part, je l'ai aime de toute mon me. Trois annes d'intimit n'ont pas teint son charme ni dcourag ma fidlit. Beul pleurait lorsqu'il la quitta; soyez assur que, depuis ce temps, beaucoup de ses cadets ont fait comme lui. Je l'ai vue de toutes les faons, l'ombre et au soleil, en plein jour et au clair de lune, les dimanches et les jours de fte, calme ou lgrement frondeuse, en temps ordinaire et pendant les fivres des lections je l'ai toujours trouve avenante et aimable, sauf sous la pluie, qui habille de grisailles humides les maisons attristes et fait couler des ruisseaux de boue dans le lit troit de l'Ilissus. Au printemps, c'est--dire ds le milieu du mois M 1. Heureusement, architecte un franais, . Troump,s'est a Il -tabli Athnes epuis plusieurs d quelques nnes. a construit maisonsdontles voyageursemarquent isment, r parmiles a e colonnades allemandes, l'lgancet le bongot.

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de fvrier, si le terrible Vorias (vent du nord) n'apporte pas du fond des Balkans des bouffes froides, il est doux de se promener, le matin, par les rues, sans penser rien. Dans ce pays, qui est la terre promise des flneurs, on peut se livrer une oisivet obstine, sans risquer de trouver, dans l'inaction, un seul moment de langueur ou d'ennui. On se sent alerte et bien portant, peu dispos au travail, mais enclin une activit veille et amuse. Il vous vient l'esprit des ides drles, vives, spirituelles, mais on se couperait la main plutt que de les crire. Le labeur serait une injure au ciel, l'air rafrachissant et parfum de violettes, la gaiet et l'insouciance parses dans les choses. L'ouverture du printemps et les premires journes de soleil apaisent notablement la fureur politique, dtendent les esprits, disposent une souriante philosophie les plus fougueux nergumnes du gouvernement et de l'opposition. Tandis que Paris est encore noy de pluies et de brumes, et que l'Angleterre est une petite Sibrie, l'Attique se pare de verdures printanires. L'horizon de collines et de montagnes flotte dans une lumire diffuse qui accuse les creux et fait saillir les reliefs. La plaine d'Athnes est privilgie. Son printemps avance sur celui des autres provinces. Pendant que le Cyllne est encore encapuchonn de nuages, chaque soir, le soleil met une trane d'or sur les es, par places, pentes du Parns, encore poudres, par places 2

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d'une mince couche de neige. Ce n'est plus l'hiv l'hiver, ce n'est pas encore le printemps; c'est une saison ambigu et trs douce, une charmante hsitation du soleil qui s'essaye, l'veil encore indcis des floraisons nouvelles. On se sent invit, malgr soi, la promenade et la flnerie les plus rcalcitrants ne rsistent pas ces avances; l'ide seule de travailler devant une table, ou de haranguer des hommes assembls, devient intolrable. A part quelques impnitents, qui ne peuvent s'arracher aux colonnes de VAcropolis ou de l'phimris, les plus enrags de politique fuient les cafs, vont prendre l'air, et perdent, dans les plaisirs champtres, l'cret de leur humeur. Nul ne peut se soustraire au charme subtil de ces journes tides, dont notre beau temps ne donne pas l'ide. C'est quelque chose de trs particulier, dont l'analyse est impossible. Cela ne ressemble pas l'amollissante langueur qui vous endort Constantinople et Smyrne. C'est un sentiment de vif bientre qui aiguise les perceptions agrables et les rend plus nettes, qui vous engage l'inaction remuante et loquace, l'allgresse, l'optimisme indulgent. Tout le monde a l'air joyeux et l'me en fte. A l'agora et dans les boutiques, les marchandages se font sur un ton vif et enjou. Les querelles mmes tournent en plaisanterie, et l'expression des plus violentes colres finit en dveloppements de rhtorique amusante.

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Il faut ~,ar. hter a,. jouir a. ce moment incomse de de parable. La voie sacre d'leusis est parfume de lavandes et empourpre d'anmones o se posent des grappes d'abeilles; l'Acropole est toute fleurie d'asphodles, de thym, de sauge. C'est le moment de s'panouir l'aise, dans le contentement de toutes choses. Et il faut si peu pour contenter un Palikare! M. Renan a marqu, en quelques pages pntrantes 1, l'heureuse philosophie de cette race, la sobrit de ses joies, son humeur facilement gaye. Il est facile de vrifier, chaque jour, l'exactitude de ce portrait. Les bombances de nos ouvriers, leurs battements les jours de paye, np vont pas sans agitation et sans une certaine apparence d'effort. La plupart des trangers qui s'tablissent Athnes ne savent comment passer leurs soires de fait, le tapage des cafs-concerts, le tumulte des bals publics, les flonflons des alcazars et des casinos manquent presque totalement dans cette ville, o il y a pourtant des ouvriers, des soldats et des tudiants. C'est que les Grecs n'ont nullement besoin de ces accessoires ils ont le grand art de faire du plaisir avec rien. Ils ont une faon de s'amuser, la fois trs calme et trs remuante, qui est toujours un sujet d'tonnement pour le voyageur. Ils perdent rarement la claire conscience de leurs actes, la possession d'eux-mmes et leur 1.ErnestRenan,SaintPaul,p. 202.

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