Des ponts linguistiques pour mieux guérir

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Des ponts linguistiques pour mieux guérir L’interprétariat communautaire et la santé publique en Suisse

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Impressum © Office fédéral de la santé publique (OFSP)Editeur: Office fédéral de la santé publiqueDate de publication: avril 2011

Correspondance :OFSP, Direction Politique de la santé, Projets multisectoriels,Programme national Migration et santé, CH-3003 BerneE-Mail: [email protected]

Publication également disponible en allemand.

Auteur Lucienne ReyLayout: Silversign, visuelle Kommunikation, BernePhotos: © Interpret

Numéro de publication OFSP: GP 12.10 700 d 700 f 30EXT1107

Diffusion:OFCL, Diffusion publications,CH-3003 Bernewww.publicationsfederales.admin.chNuméro de commande : 311.620.f

imprimé sur papier blanchi sans chlore

Des ponts linguistiques pourmieux guérir

L’interprétariat communautaire et la santé publique en Suisse

04.11 700 264705/2

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L’interprétariat communautaire et la santé publique en Suisse

Dans le cadre de la stratégie « Migration et santé 2008-2013 »de la Confédération.

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Avant-propos 5Introduction 6Structure et système conceptuel 8Difficultés liées aux désignations dans un domaine professionnel encours de création 91 Le monde entier au cœur de l‘Europe 111.1 La langue est une patrie 121.2 Premières initiatives en Suisse 121.3 L‘Europe agit égalemen 141.4 Importance de l’interprétariat communautaire dans la politique d‘intégration de la Suisse 151.5 Un riche fonds de documentation 161.6 Attribution géographique et financement des études 161.7 Le point sur différents groupes de patients et établissements de santé 171.8 Conclusion : la littérature reflète une évolution complexe 182 Traduction : bases théoriques d‘une activité chargée de symboles 192.1 La langue, la pensée et la perception de soi 192.2 Ce qui est étranger et ce qui est propre 202.3 Langue et pouvoir 242.4 La diversité des rôles des interprètes dans la théorie 242.5 Principes généraux en matière de santé 262.6 Conclusion : la théorie couvre différents niveaux d‘observation 273 Comment les barrières linguistiques font obstacle à la guérison 283.1 Des difficultés de communication malsaines 293.2 La souffrance et la maladie 303.3 « La guérison passe par la compréhension » 324 Surmonter les barrières linguistiques 334.1 Un écho généralement positif pour les services d‘interprétariat professionnels 344.2 La question délicate du recours aux proches et aux amis 364.3 Quand la traduction est assurée par le personnel hospitalier polyglotte 384.4 Services d‘interprétariat téléphonique 404.5 Alternatives à l‘interprétariat 434.6 La perspective « opposée » : ce qui frappe les interprètes 444.7 La voie royale passe par l‘interprétariat professionnel 454.8 Conclusion : choisir des méthodes adaptées à la situation 475 Diversité des rôles dans l‘interprétariat 485.1 Traduction littérale 485.2 Traduction communautaire, médiation culturelle et conciliation 495.3 Rôle d’avocat du patient 535.4 Co-thérapie 545.5 Servir plusieurs maîtres : chances liées aux perspectives multiples et conflits dus à la diversité des rôles 55

Table des matières

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Table des matières

5.6 Conclusion : une séparation claire entre les rôles n‘est souvent ni faisable, ni pertinente 566 Besoins spécifiques de groupes de patients particuliers, exigences particulières envers des établissements spécifiques 586.1 Divergences selon les groupes de langues 586.2 Accompagnement médical en pédiatrie 596.3 Patientes et patients de langue étrangère dans les établissements pénitentiaires 606.4 Conclusion : à situations de soins variées, exigences diverses 627 Importance psychologique de la langue 637.1 Langage au féminin, langage au masculin 637.2 Du dialogue au trialogue : quand l‘équilibre de l‘entretien se déplace 677.3 Consultations médicales sous la loupe de la linguistique 697.4 Conclusion : la compréhension implique plus que la simple connaissance de la langue 718 Qui assume les frais ? Pour quelle prestation ? 728.1 Bases légales pour les services d‘interprétariat dans le domaine de la santé 738.2 Arguments juridiques implicites en faveur de l‘interprétariat 758.3 Cantons sollicités pour le financement 768.4 Suggestions inspirées de l‘étranger 778.5 Le moment est-il venu d‘ancrer la prestation dans les structures institutionnalisées ? 789 Recommandations pour la pratique 809.1 Attentes à l‘égard des interprètes communautaires et des médiateurs culturels 809.2 Place établie dans la structure du système sanitaire 819.3 Nécessité d‘agir sur le plan du financement 83Bibliographie 85 Articles et ouvrages soumis à évaluation : 85 Ouvrages complémentaires : 90Glossaire 91

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Avant-propos

Lorsque la santé est en jeu, il est indispensable que les inter-locuteurs se comprennent bien. Les échanges confidentiels et personnalisés avec les médecins et le personnel soignant sont essentiels pour prévenir et traiter une maladie ou une bles-sure. Tous les habitants de notre pays ne disposent toutefois pas des connaissances linguistiques nécessaires ou ne sont pas en mesure de les acquérir en temps voulu. Or, des études scientifiques le prouvent : les personnes ne maîtrisant aucune des langues nationales sont significativement en moins bonne santé et moins équilibrées sur le plan psychique que la moyenne. En Suisse, une partie de la population migrante est confrontée à des problèmes de communication, à des difficul-tés d’intégration et à un mauvais état de santé, chacun de ces éléments aggravant l’autre. Le programme national Migration et santé, échelonné en deux phases (2002–2007 et 2008–2013) et mis en œuvre par l’Of-fice fédéral de la santé publique (OFSP) en collaboration avec de multiples partenaires, tient compte de cette situation. Il a été conçu de manière à prendre en considération la communi-cation interculturelle dans de nombreuses activités. En particu-lier, l’OFSP encourage, d’une part, la formation et la qualifica-tion des interprètes communautaires appelés à intervenir dans le domaine sanitaire et, d’autre part, la création d’un centre de compétences pour l’assurance qualité et d’un service national d’interprétariat téléphonique. Par ailleurs, plusieurs études ont déjà été réalisées : elles mettent en lumière certains aspects qualitatifs, juridiques et financiers de l’interprétariat commu-nautaire.La présente publication vise à diffuser le contenu de ces études auprès du grand public. Elle en résume les principaux résultats et montre dans quel contexte de recherche elles s’inscrivent. Ce document se fonde sur dix rapports d’experts et une soixantaine d’articles extraits de revues ou de recueils consacrés à la communication interculturelle dans le domaine sanitaire en Suisse.

Me réjouissant de votre intérêt pour cette importante thé-matique, aux multiples facettes, je vous souhaite très bonne lecture.

Pascal StruplerDirecteur de l’Office fédéral de la santé publique

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Introduction

Plus d’un cinquième de la population résidant en perma-nence en Suisse est de nationalité étrangère. Il s’agit en majeure partie de personnes originaires d’un pays membre de l’Europe des Vingt-cinq ou de l’AELE (Office fédéral de la statistique 2008 : 32), qui savent s’exprimer en alle-mand, en français, en italien ou en anglais. Cependant, la proportion de migrantes et migrants de langue étrangère ne maîtrisant aucune des langues officielles de la Suisse et ne pouvant pas se faire comprendre de la population locale dans une langue tierce commune ne cesse de croître.

Dans le domaine des soins de santé, la communication linguistique sans obstacles entre patientes et patients et professionnels de la santé revêt une importance particu-lière. En effet, des renseignements de la part du malade sont indispensables pour l’établissement d’un diagnostic précis, et la réussite de tout traitement devient impossible si les ordres du médecin ne sont pas compris. À la fin des années 1980, avec l’augmentation de la migration venue de l’extérieur de l’Union européenne (UE), la question des moyens d’assurer une compréhension dans le domaine de la santé par-delà les frontières linguistiques et culturelles s’est faite de plus en plus pressante.

La recherche est, avec un léger décalage dans le temps, le reflet de la réalité vécue dans les hôpitaux et les cabi-nets médicaux de Suisse. Les premiers rapports et articles sur l’interprétation dans le domaine de la santé abordent l’objet de l’étude dans une perspective théorique, en se fondant sur la littérature spécialisée parue à l’étranger. Par ailleurs, quelques-unes des premières études menées présentent un recensement de la proportion de patientes et patients de langue étrangère dans les établissements de santé suisses sélectionnés. Tandis que diverses façons de procéder s’instaurent dans les cliniques afin de garantir la communication avec les patientes et patients de langue étrangère, la recherche entreprend elle aussi de mettre en lumière les différentes formes d’interprétariat, ainsi que

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leurs avantages et inconvénients : l’implication de proches des patientes et patients, de membres du personnel hospi-talier polyglottes, de services d’interprétariat par téléphone ou de d’interprètes professionnels présents sur place, peut avoir une incidence directe sur la rencontre entre la pa-tiente ou le patient et son interlocuteur médical. L’opportu-nité de recourir à une traduction littérale ou à une médiation culturelle, qui tient compte de l’arrière-plan socioculturel du malade, dépend de la situation et du mal qui affecte la personne.

Avec l’attention croissante portée à la traduction dans le domaine de la santé, des disciplines qui n’ont a priori pas grand-chose à voir avec l’interaction entre les profes-sionnels de la médecin et leurs patientes et patients, ont également commencé à s’intéresser au sujet : des juristes se sont penchés sur le fondement juridique qui permet, voire requiert, les traductions dans le domaine de la santé ; des économistes ont soulevé la question du rapport entre coût et utilité de la traduction dans les affaires sociales et la santé, tandis que la sociolinguistique a entrepris de mettre en lumière les stratégies linguistiques des traducteurs et le langage sexospécifique lors de la consultation médicale.

Il existe aujourd’hui une vaste collection d’études et de publications sur la communication dans le domaine de la santé dans la Suisse plurilingue. Les nombreuses enquêtes couvrent les niveaux personnel et interpersonnel, de même que l’organisation d’une clinique, ou encore le système sanitaire et social dans son ensemble. Il faut toutefois s’attendre à ce que de nouveaux besoins de recherche soient identifiés : si par exemple, comme le demandent différentes enquêtes empiriques, des cursus de formation communs sont proposés pour le personnel médical et les traducteurs afin d’optimiser la collaboration, les formations de ce type et leurs conséquences devraient également susciter l’intérêt des chercheurs.

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Structure et système conceptuelSur le plan structurel, le présent rapport aborde le sujet par des considérations théoriques, traite ensuite les analyses qui offrent une compréhension interculturelle dans la santé, puis se concentre sur les études qui font ressortir des as-pects plus spécifiques, que ce soit par la clientèle étudiée ou par la perspective fortement marquée par une discipline scientifique spécifique qui, comme c’est notamment le cas en droit ou en linguistique, n’est à première vue pas liée aux questions médicales.

S’agissant du système conceptuel, en particulier dans la désignation du domaine professionnel lié à la communica-tion interculturelle, le présent rapport suit les définitions d’INTERPRET, l’Association suisse pour l’interprétariat communautaire et la médiation culturelle. INTERPRET défi-nit les « traducteurs et traductrices » ou, plus précisément, les « interprètes » comme des « spécialistes de la langue ayant une parfaite maîtrise de leur langue maternelle ainsi que d’une ou de plusieurs langues étrangères », qui resti-tuent le message dans la langue d’arrivée, en général, leur langue maternelle.

INTERPRET fait par ailleurs la distinction entre interprètes communautaires, d’une part, et médiatrices et médiateurs culturels, d’autre part. Les interprètes communautaires « sont des spécialistes de l’interprétariat en situation de trialogue. Ils/elles [permettent] la compréhension entre interlocuteurs et interlocutrices d’origines différentes. Ils/elles interprètent en prenant en compte le contexte socio-culturel des interlocuteurs ». Les médiatrices et médiateurs culturels, quant à eux, ne sont pas liés aux situations de trialogue. Ils/elles informent les migrantes et migrants, ainsi que les professionnels des services publics dans le pays, des particularités culturelles et des règles qui s’appliquent dans la société ou dans les rapports avec les autorités. En-fin, INTERPRET cite encore la médiation, qui est sollicitée en cas de conflit et qui soutient toutes les parties impli-quées de façon neutre dans la recherche d’une solution équitable et consensuelle.

Introduction

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La plupart des études qui sont évaluées dans le présent rapport portent sur l’interprétariat. Pour éviter des répéti-tions persistantes, le terme « interprètes communautaire » sera abrégé par « interprètes » et parfois remplacé par « traductrices et traducteurs ».

Difficultés liées aux désignations dans un domaine professionnel en cours de créationLe présent rapport se fonde sur des études traitant de dif-férents « types » d’interprétariat : les traductions peuvent être assurées par la famille ou des amis de la patiente ou du patient ; il arrive parfois que la traduction soit confiée à des personnes qui maîtrisent certes la langue du patient et la langue du pays, mais n’ont pas suivi une formation d’in-terprète. Il s’agit généralement de collaborateurs de l’hôpi-tal de langue maternelle étrangère ou de parents ou d’amis du malade. Ces personnes polyglottes qui aident à surmon-ter les barrières linguistiques sans avoir été formées à cet effet et sans être familiarisées avec les principes d’éthique professionnelle des traductrices et traducteurs formés sont appelés « interprètes de fortune » ou « interprètes de cir-constance ». Dans les analyses scientifiques portant sur la qualité des traductions, les proches sont toutefois souvent placés dans une catégorie à part, et évalués séparément des autres interprètes de fortune.

La seconde catégorie est celle des « interprètes profes-sionnels ». Cette désignation suggère certes un état de transparence, mais elle ne l’instaure que sous certaines conditions. La loi sur les hautes écoles spécialisées de 1995 prévoit pour le diplôme d’interprète (de conférence) l’achèvement de trois ans d’études dans une haute école avec au moins deux langues étrangères, suivis de trois semestres d’études à plein temps à la Haute École des sciences appliquées de Zurich (ZHAW) ou d’un master de deux à quatre semestres à l’École de traduction et d’inter-prétation (ETI) de l’Université de Genève. Depuis 2006, il existe une possibilité de qualification pour les personnes ayant un passé migratoire : le certificat d’interprète com-munautaire. Il est délivré par INTERPRET, qui assure par

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Introduction

ailleurs le contrôle de qualité sur mandat de l’OFSP et tient un registre de toutes les personnes dûment qualifiées (Joss 2008 : 321 ss). Deux ans plus tard, le brevet fédéral professionnel a également vu le jour pour l’interprétariat communautaire. Pour de nombreuses combinaisons linguis-tiques, le certificat et le brevet sont les seules qualifications possibles en Suisse. Outre une formation achevée dans une école générale de niveau secondaire supérieur, les can-didates et candidats doivent avoir effectué au moins un an d’activité à temps partiel dans le domaine du social, de la formation ou de la santé et pouvoir justifier d’au moins 150 heures de travail comme interprète communautaire, suivre plusieurs modules de formation et enfin attester de leurs compétences pour la langue d’interprétation et la langue officielle.

La plupart des études évaluées ici ont été menées avant l’introduction du certificat et du brevet fédéral d’inter-prète communautaire. De plus, les travaux mentionnent rarement la formation suivie par les interprètes qualifiés de « professionnels ». Le présent rapport doit dès lors se borner à reprendre la terminologie utilisée dans chacune des différentes études, sans pouvoir garantir que le terme « interprète professionnel » s’applique à des personnes ayant suivi les formations et disposant de compétences de même niveau.

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1 Le monde entier au cœur de l‘Europe

Environ 20 pour cent de la population résidant en Suisse vient de l’étranger. Au cours des dernières décennies, de plus en plus de personnes issues de pays lointains ont également immigré en Suisse. Des traductions permet-tant de dépasser les frontières linguistiques et socio-culturelles constituent un préalable à la prise en charge médicale des migrantes et migrants allophones en Suisse.

De tous temps, la Suisse a été reliée au monde. L‘esprit d’ouverture est une composante de son identité : par le passé, parce que le pays, pauvre en matière premières, ne parvenait pas à nourrir l‘ensemble de sa population et que beaucoup ont, par conséquent, cherché leur salut à l‘étran-ger ; depuis le début du 20e siècle, parce que l‘imposant paysage montagneux attire des voyageurs du monde entier, faisant du tourisme une branche d‘activité importante. Par ailleurs, l‘économie en plein boom après la Seconde Guerre mondiale avait besoin de main-d’œuvre, laquelle a immigré du sud et du sud-est de l‘Europe. Lorsque des conflits poli-tiques et la pauvreté ont chassé de nombreuses personnes de leur patrie, celles-ci ont cherché refuge dans un petit État prospère au cœur de l‘Europe. C‘est ainsi que, de la terre d‘émigration qu‘elle était, la Suisse est devenue un pays d‘immigration.

En 2009, « une heure de travail sur quatre [a été] accom-plie par une personne ne disposant pas de la nationalité suisse » (Rapport sur l‘évolution de la politique d‘intégra-tion de la Confédération 2010 : 14). En grande majorité, il s‘agit de ressortissants des États de l‘UE/AELE. Dans les villes, la proportion de personnes de nationalité étrangère, soit quelque 30 %, est plus élevée qu‘à la campagne. Le canton de Genève, avec 38,9 % en 2008 (Office cantonal de la statistique 2009 : 2) présente la proportion la plus élevée d‘habitantes et habitants venus de l‘étranger (cf. Eytan, Bischoff et Loutan 1999 : 190). Si jusque dans les années 1980, la population immigrée provenait surtout des États voisins, la mondialisation se reflète désormais dans les pays de provenance des migrantes et migrants : aujourd‘hui, on part du principe que plus de 200 000 per-sonnes de langue étrangère vivant en Suisse ne sont pas en mesure de se faire comprendre dans une des langues nationales (Mannhart, Graf et Gehrig 2009 : 1).

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1.1 La langue est une patriePour se sentir chez soi, il faut pouvoir se faire comprendre. Cela vaut pour les nouveaux arrivants comme pour les au-tochtones. En effet, sans cette compréhension, les erreurs de jugement, les méprises et l‘animosité apparaissent rapi-dement, et les objectifs communs ne sont pas atteints.

La compréhension dépasse largement la seule communica-tion linguistique. Lorsque des personnes ayant un arrière-plan socioculturel différent, en particulier, se côtoient, des divergences au niveau du système de valeurs, des attentes et des conceptions peuvent empêcher la compréhension réciproque.

Au début des années 1990, on prend conscience que, même dans la Suisse quadrilingue, les institutions pu-bliques ne doivent pas partir du principe que la communi-cation avec les clientes et clients se déroule toujours sans accroc. Or, dans le domaine de la santé, en particulier, il est essentiel que les médecins et le personnel soignant puissent dialoguer avec leurs patientes et patients. À défaut, il n‘est pas possible d‘établir de diagnostic précis, d‘expliquer les soins de façon intelligible et de suivre le traitement prescrit. La communication par-delà les barrières linguistiques est dès lors devenue un thème d‘actualité également dans le domaine des soins.

1.2 Premières initiatives en SuisseConformément à la tradition fédéraliste en Suisse, ce sont des cantons qui ont pris les premières initiatives pour réagir aux difficultés croissantes de compréhension dans le sec-teur médical (cf. Fontana 2000 : 13). Bâle a été le premier canton à mettre sur pied, en 1987, un service d’interpréta-riat pour les hôpitaux ; par la suite, l’hôpital de l’Île à Berne a mis en place son propre service d’interprétariat en 1990. La même année, la Croix-Rouge genevoise a commencé à mettre son service d’interprétariat à la disposition des hôpitaux. En 1993, l’association Appartenances, qui se donnait pour mission spécifique d’apporter un soutien psy-chosocial aux migrantes et migrants, a été fondée. En août 1996, elle a lancé la première formation pour interprètes communautaires et médiatrices/médiateurs culturels. Partis

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de Lausanne, les activités et les services proposés par l’association se sont peu à peu étendus à d’autres cantons de Suisse romande.

La Confédération, elle aussi, a joué un rôle de plus en plus actif. Elle a ainsi commencé à coordonner les diffé-rentes initiatives régionales et cantonales et à mandater ses propres études sur le sujet. En 1997, la commission d’experts Migration instaurée par le Conseil fédéral s’est penchée sur la problématique et a souligné la nécessité de prendre des mesures pour favoriser et faciliter l’intégration sociale des habitants de langue étrangère en Suisse. Un an plus tard, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a commandé au Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population (SFM) un rapport de base intitulé Inter-prétariat et médiation culturelle dans le système de soins (Weiss et Stuker 1998).

Le rapport de base de Weiss et Stuker a contribué à la nais-sance d’un autre acteur important dans le champ de la mé-diation culturelle : l’Association suisse pour l’interprétariat communautaire et la médiation culturelle INTERPRET, qui s’est fixé pour but premier de promouvoir et de favoriser les traductions et la médiation culturelle dans les domaines de la santé, du social et de la formation.

En 2000, l’OFSP a élaboré un document stratégique intitulé Migration et santé ; en 2002, le programme national Migra-tion et santé a été mis sur les rails et poursuivra jusqu’en 2013. Dans le cadre de ce programme, de nombreux projets ont vu le jour. Le développement d’une assurance qualité en interprétariat communautaire a notamment été confié à INTERPRET ; l’organisation a élaboré une pro-cédure de qualification et de validation des acquis et des modules de formation accrédités. Ceux-ci sont encore cofinancés par l’OFSP. Selon Spang (2009), un jalon a été posé avec la création du brevet fédéral pour interprètes communautaires en 2008. Une expertise juridique et une étude préliminaire sur les coûts et l’utilité de l’interprétariat communautaire dans le domaine de la santé ont posé une solide base théorique et argumentative pour les différents projets axés sur la pratique.

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1.3 L’Europe agit égalementLa Suisse n’est pas le seul pays où les obstacles linguis-tiques et culturels représentent un défi pour les établisse-ments de santé. Ainsi, les autorités sanitaires de Reggio d’Émilie (Italie) ont, avec le soutien de l’institut autrichien de médecine et de sociologie de la santé Ludwig Boltz-mann, permis de lancer un programme destiné à mieux prendre en charge les migrants dans les hôpitaux (Migrant Friendly Hospitals, MFH). Le projet a été approuvé par la Direction générale de la santé et des consommateurs de la Commission européenne (SANCO) en 2002 et a reçu un soutien de 1,7 million d’euros. À la fin 2003, la Suisse lui a également apporté sa contribution, puisque l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a mis à disposition des fonds pour le financement initial (cf. Bischoff et al., 2009).

Le programme visant à une meilleure prise en charge de la population migrante dans les hôpitaux a fondé ses actions concrètes et ses recommandations sur une étude exhaus-tive : il a confié au Forum suisse pour l’étude des migra-tions et de la population (SFM) de l’Université de Neuchâtel la clarification systématique des besoins et de recenser les projets déjà en cours de réalisation pour mieux adapter les hôpitaux aux besoins des migrantes et migrants. On citera également le manuel Diversité et égalité des chances, élaboré dans le contexte du programme européen MFH et financé par le programme Migration et santé. Dans le cadre de la deuxième phase du programme MFH, l’OFSP a réuni un fonds de deux millions de francs afin de soutenir les hôpitaux dans les efforts qu’ils déploient pour améliorer les soins apportés aux migrantes et migrants par des mesures ciblées.

1.4 Importance de l’interprétariat communautaire dans la politique d’intégration de la SuisseLa langue et la formation sont des priorités expressément établies par le Département fédéral de justice et police (DFJP) pour promouvoir l’intégration des personnes étran-gères. Les mesures mises en œuvre à cette fin consistent

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en la création de « centres de compétence Intégration », ainsi qu’en un « soutien des centres d’interprétariat commu-nautaire » (Rapport sur l’évolution de la politique d’intégra-tion de la Confédération 2010 : 28).

La Confédération promeut l’interprétariat et la médiation communautaires en premier lieu par des partenariats conclus avec les cantons et des organismes privés. Elle investit à cet effet 2,5 millions de francs par an dans 31 centres de compétence, qui sont à la disposition des personnes de langue étrangère et des autorités comme points de contact centraux et intermédiaires. Cette offre est en particulier utilisée pour faciliter la communication dans les domaines de la santé, du social, de la formation et de la justice. En 2008, les seize services d’interprétariat communautaire soutenus à hauteur de 1,4 million de francs par l’Office fédéral des migrations ont fourni au total 94 964 heures de traduction (ibid. : 29) ; l’année suivante, le nombre d’heures de traduction effectuées est passé à 112 135. Pour garantir et continuer à améliorer la qualité des services, INTERPRET et les établissements de formation sont soutenus financièrement par la Confédération.

Aucun bilan exhaustif des répercussions des centres de compétence et des services d’interprétariat n’a encore été dressé à ce jour. Les cantons émettent certes une appré-ciation positive sur leurs prestations ; toutefois, une ana-lyse des effets des centres de compétence Intégration par des évaluateurs externes est encore en cours (ibid. : 29). Il est cependant à prévoir que le recours à des interprètes communautaires qualifiés devra être étendu « afin de cou-vrir les besoins réels dans les écoles, les services d’orienta-tion professionnelle, les institutions du domaine social [...] et les services ambulatoires et stationnaires du domaine de la santé » (ibid.). L’accompagnement individuel de mi-grants par des mentors formés (ayant le même arrière-plan culturel), qui peuvent notamment agir en tant que média-teurs lors de conflits, est également envisagé. Les frais supplémentaires pour le suivi individuel et le placement des interprètes sont estimés à 40 millions de francs (ibid.).

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1.5 Un riche fonds de documentationÉtant donné l’importance considérable accordée depuis lors aux services d’interprétariat et de médiation commu-nautaires dans la politique d’intégration en Suisse, il n’est guère étonnant que de nombreux travaux sur la commu-nication interculturelle dans la santé aient été publiés ces dernières années sur les différentes facettes du thème.

L’évaluation de la littérature proposée ici se fonde sur quelque 70 publications considérées comme pertinentes et sélectionnées par l’OFSP. Il s’agit principalement d’articles tirés de revues ou de recueils, auxquels s’ajoutent une dizaine de rapports d’experts.

1.6 Attribution géographique et financement des études Les études empiriques font ressortir des priorités géogra-phiques. Dans les cantons de Genève et de Bâle, qui en leur qualité de canton contigu à la frontière accueillent et suivent de nombreux migrants et migrantes la sensibilisa-tion à cette problématique semble avoir commencé très tôt. Trois institutions en particulier financent les études scientifiques sur le sujet : il s’agit du Fonds national suisse de la recherche scientifique, du programme européen d’amélioration de la prise en charge des migrants dans les hôpitaux (Migrant Friendly Hospitals, MFH) et de l’OFSP dans le cadre de la stratégie Migration et santé.

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1.7 Le point sur différents groupes de patients et établissements de santéDans la sélection d’ouvrages examinée, les contributions empiriques les plus anciennes ne portent pas sur des cliniques ou hôpitaux de grande taille. Elles rendent plutôt compte des expériences qu’un médecin de famille a accu-mulées lors du suivi de migrantes et migrants de langue turque (Flubacher 1994, 1997 et 1999). Il s’agit en l’occur-rence de témoignages sur des expériences individuelles.

Les articles analysés se fondent, quant à eux, en grande partie sur un nombre de cas sensiblement plus important ; dans la plupart des cas, tous les patients et toutes les patientes (de langue étrangère du moins) qui ont fréquenté un établisse-ment spécifique à une période donnée sont pris en compte dans l’étude. Les analyses se déroulent dans des établis-sements de santé de différentes tailles, notamment dans le cadre des mesures sanitaires frontalières, et aussi dans des institutions de soins aigus et des cliniques de réadapta-tion. L’ampleur des études sur le plan quantitatif permet de tirer des conclusions sur l’importance de la représentation de différents groupes linguistiques au sein de la population (Bischoff et al. 1999a et, sur la base des mêmes données, Bischoff et Loutan 2004) ou dans les différents hôpitaux (Bischoff 2003b, Guex et Singy 2003, Bischoff et Hudelson 2009).

Dans l’évaluation, la population est analysée soit par natio-nalité, soit par langue maternelle. Certaines études portent aussi sur des éléments sexospécifiques.

Trois articles mettent l’accent sur une clientèle plus spé-cifique : l’un analyse les relations entre les pédiatres, les enfants de langue étrangère et leurs parents à Genève ; l’autre a pour cadre une maternité, et le troisième décrit la situation des malades incarcérés.

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1.8 Conclusion : la littérature reflète une évolution complexeLa présente publication offre un aperçu des travaux de recherche menés jusqu’au printemps 2010 en Suisse sur la compréhension interculturelle dans le domaine de la santé. L’objet de l’étude est complexe : parmi les spécialistes, ont retrouve une palette de conceptions théoriques qui abou-tissent dans chaque cas à des pistes de solution distinctes. De plus, les établissements de santé font face à des problèmes de différentes natures : un grand hôpital connaît d’autres difficultés qu’un établissement de plus petite taille. Pour ce faire, il dispose également d’autres possibi-lités. Dans les situations d’urgence, ils doivent régler des problèmes autres que ceux abordés dans une approche à long terme, et les cabinets médicaux ou les services d’aide et de soins à domicile n’assument pas en premier lieu les mêmes tâches que l’hôpital. Cette diversité de vues et de contextes se reflète dans la recherche.

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2 Traduction : bases théoriques d‘une activité chargée de symboles

La compréhension réciproque de deux univers de vie différents requiert plus qu‘un simple échange linguis-tique. Des ponts doivent, en effet, être jetés en même temps entre des valeurs et des convictions différentes. Il convient également de déterminer la place de ce qui est étranger dans la société en question.

L’étude du langage et de son influence sur la pensée connaît une longue tradition en sciences sociales et humaines. Guillaume de Humboldt, considéré comme un fondateur de la linguistique comparative, faisait observer dans ses Thesen zur Grundlegung einer Allgemeinen Spra-chwissenschaft (vers 1811) : « chaque langue impose à l’esprit de ceux qui la parlent certaines limites ; en donnant une certaine direction, elle en exclut d’autres » (Humboldt, 1973/1985, p. 13, notre traduction). 2.1 La langue, la pensée et la perception de soiChez Humboldt, c’est en fin de compte la confrontation linguistique avec autrui qui aiguise la pensée (Humboldt 1836 : 10). Les deux anthropologues américains Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf sont allés beaucoup plus loin au milieu du 20e siècle dans leur hypothèse du relativisme linguistique. Celle-ci affirme que la grammaire et le vocabu-laire d’une langue déterminent les représentations qu’une communauté linguistique se fait du monde (cf. Weiss et Stuker 1998 : 31). Interprétée de façon radicale, cette hypothèse aurait toutefois pour conséquence que les tra-ductions d’une langue à l’autre seraient, en tant que telles, impossibles (ibid., ainsi que Dahinden et Chimienti 2002 : 13). Si l’hypothèse émise par Sapir et Whorf a trouvé un écho considérable alors même qu’elle a été réfutée par la pratique, sur le terrain, de l’interprétariat, c’est probable-ment parce qu’elle correspondait à l’esprit du temps : au début des années 1920, Ludwig Wittgenstein avait introduit dans la philosophie ce qu’on a appelé le tournant linguis-tique (linguistic turn) par son Tractatus logico-philosophicus, dans lequel il déclarait : « les limites de ma langue sont les limites de mon monde » (Wittgenstein 1922/1989 : 134). Sous l’influence du tournant linguistique, outre la philoso-

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phie, d’autres branches des sciences humaines et sociales ont également placé au centre de leurs observations la question de la langue (et de son importance pour la faculté de connaître).

Concernant la traduction dans le domaine de la santé, il ne faut toutefois pas oublier que le mot langue peut dissi-muler une réalité complexe. En effet, même lorsque deux personnes parlent à première vue la même langue, rien ne permet encore de garantir qu’elles se comprennent : ainsi, les spécialistes de l’anthropologie, aussi bien que ceux de la science médicale, constatent que la médecine dans les sociétés industrielles occidentales prend de plus en plus la place du religieux et que son personnel spécialisé devient porteur d’une « culture biomédicale ». Une personne qui ne connaît pas la langue spécialisée et les comportements propres à cette « culture » ne peut que difficilement en comprendre certaines caractéristiques, même si elle parle la même langue que le corps médical (Leanza 2001 : 2, notre traduction). On peut en conclure qu’au moment de la rencontre avec le médecin et la personne migrante, il faut au moins une double traduction dans certaines circons-tances : d’une part, une traduction entre la langue du pays d’accueil et la langue du pays d’origine, d’autre part, une traduction de la « culture biomédicale » en « culture quo-tidienne du profane ». Différents travaux empiriques font même état d’un autre fossé culturel qui doit être surmonté : entre les allophones issus d’environnements (ruraux) modestes et les interprètes, qui font partie de la classe supérieure (urbaine) (Sleptsova 2007).

2.2 Ce qui est étranger et ce qui est propreLa confrontation avec ce qui est étranger renforce la conscience de la diversité et incite à remettre en question son rapport à soi. Pour les premiers ethnologues et linguis-tiques, ces éléments étrangers étaient les us, coutumes et langues des habitants vivant dans les pays « nouvellement découverts ». Aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation, c’est de plus en plus souvent dans notre propre pays que nous nous trouvons face à ce qui nous est étranger. Le fait qu’un pays crée des structures pour intégrer les nouveaux arrivants de langue maternelle étrangère, par exemple,

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des services d’interprétariat, dépend essentiellement de la perception qu’il a de lui-même. Les États qui se perçoi-vent comme une terre d’immigration - c’est notamment le cas des Etats-Unis, de l’Australie et aussi de l’Italie - ont instauré relativement tôt les services destinés à favoriser l’intégration des nouveaux arrivants. Tel n’est pas le cas de pays comme la France et la Suisse (Leanza 2008 : 13). Tandis qu’en France, la représentation d’une identité natio-nale forte, liée à la langue, a pu freiner la sensibilisation à la nécessité de la traduction, paradoxalement en Suisse, c’est probablement en raison de la pluralité des langues, qui joue un rôle fondamental dans le rapport à soi, qu’on s’est longtemps contenté de « bricolage linguistique », au point de s’y habituer (Longerich 2002 : 68).

La façon de voir ce qui est « étranger » et la relation entretenue avec cette altérité ne dépend pas uniquement de la perception qu’ont les pays d’accueil d’eux-mêmes, mais aussi de l’esprit du temps. Au cours des dernières décennies, des glissements ont également eu lieu dans la politique d’intégration des pays européens, décrits en parti-culier par Dahinden et Chimienti (2002). Selon les auteurs, le paradigme dit de la théorie d’assimilation a d’abord pré-valu lorsque, dans les années 1950, le débat s’est ouvert sur la manière d’intégrer les migrantes et migrants dans la société : le fait que les immigrants adoptent la langue du pays était considéré comme un critère important et déno-tant une adaptation réussie. Le plurilinguisme, à savoir la préservation de la langue d’origine, était alors même perçu comme un obstacle à une assimilation réussie, et on soup-çonnait que le recours à des interprètes privait l’immigrant de la motivation pour apprendre la langue du pays (Dahin-den et Chimienti 2002 : 18 ss). Cette perspective décharge les institutions politiques de l’obligation d’assurer des services d’interprétariat officiels au sein de l’administra-tion. Il est laissé à l’initiative des différents services et de leur clientèle de langue étrangère de solliciter des services d’interprétariat (ibid. : 38).

Même s’il demeure incontesté que la maîtrise d’une langue est une condition préalable à l’apprentissage d’autres lan-gues (étrangères) (ibid. : 21), à partir du milieu des années

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1970, de nouvelles approches (et de nouveaux modèles d’intégration) réfutent le concept de la langue unique. Au lieu d’exiger de chaque individu qu’il apprenne la langue du pays, une solution intermédiaire acceptable dans cette perspective consiste à estimer que, dans un premier temps, seuls les enfants doivent adopter la « nouvelle » langue. Le plurilinguisme gagne ainsi en considération et la maîtrise de plusieurs langues et la capacité à alterner les codes linguistiques (« language switching ») est reconnue comme une ressource. Dans cette perspective, la coexis-tence d’univers de vie complexes apparaît également comme un enrichissement pour la société. Le recours à des interprètes apparaît alors comme une solution transi-toire, censée contribuer en particulier à l’intégration dans la société de la première génération d’immigrants. Des ser-vices d’interprétariat et de médiation communautaires sont soutenus par l’État et conçus pour assurer l’égalité des chances des nouveaux arrivants et pour garantir la diversité culturelle (ibid. : 38).

Toutefois, les approches qui perçoivent le multiculturalisme comme quelque chose de positif et qui partent du principe que le maintien de la culture d’origine favorise en fin de compte l’intégration sociale n’ont pas été épargnées par la critique. On leur a reproché de favoriser ainsi la culturalisa-tion des problèmes sociaux, autrement dit : l’histoire dou-loureuse et les difficultés personnelles d’un individu risquent d’être ramenées à son arrière-plan culturel (ibid. : 31 ss ; cf. aussi Bachl 2006 : 16 ss). Les considérations théoriques de Dahinden et Chimienti conduisent ainsi à la même conclu-sion que le médecin de famille Flubacher dans son travail quotidien : « trop d’enquêtes présentent les migrants en premier lieu comme des « étrangers », des êtres exotiques dénués de toute individualité [...] La tendance à trop étique-ter les immigrants [sic] comme des personnes fragiles et sans défense, comme un groupe à risque, qui a de toute évidence besoin d’interventions particulières [...] découle du même état d’esprit. Contrairement à l’intention déclarée dans une perspective philanthropique, cela a le plus sou-vent pour effet d’exclure encore davantage les personnes concernées » (Flubacher 1997 : 814, notre traduction). Ce

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risque est d’ailleurs parfaitement perçu par les personnes concernées, à savoir les patientes et les patients venus de l’étranger (Singy et Guex 2005 : 48 ss). Le fait de souligner (excessivement) l’ « arrière-plan culturel » peut, dans cette perspective, contribuer à créer artificiellement des catégo-ries figées.

Pour se démarquer d’un multiculturalisme irréfléchi, les spécialistes préconisent davantage, à partir des années 1990, des approches qui se rattachent aux notions de « transculturalité » ou d’« interculturalité ». La compé-tence transculturelle d’une personne se caractérise par le fait qu’elle acquiert des connaissances générales en matière de migration tout en réfléchissant à ses propres valeurs et aux conditions socioculturelles qui marquent la rencontre transculturelle (Dahinden et Chimienti 2002 : 33 ss). Le concept de transculturalité ou d’intercultura-lité commence à avoir des conséquences directes sur le travail des personnes chargées de la traduction ou de la médiation entre deux environnements socioculturels : les activités interculturelles « se démarquent de la fixation sur les caractéristiques sociales, telles que l’ethnicité, le sexe et le niveau social, et s’intéressent à l’individu. [...] Il est donc moins question de la construction de modèles propres aux populations migrantes que de l’intégration de dimen-sions socioculturelles et spécifiques à la migration dans le travail quotidien. Une compétence transculturelle signifie qu’on met l’accent sur la personne, avec son vécu et sa situation sociale et psychique, et qu’on remet simplement en question les modèles d’explication culturels » (ibid. : 34). Les exigences à l’égard des médiatrices et médiateurs sont dès lors élevées : outre les compétences linguistiques, ils doivent disposer de connaissances spécialisées, p. ex., des bases légales ou du système des assurances sociales. Les auteurs proposent par conséquent d’intégrer les interprètes dans les services publics généraux : « l’interprétariat com-munautaire serait soutenu par l’État également et devrait être institutionnalisé de manière transversale dans les services généraux. Il devrait servir à un rapprochement des deux parties (autochtones-migrants) dans un mouvement qui devrait être multilatéral et réflexif » (ibid. : 42).

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2.3 Langue et pouvoir La communication dépend de nombreux facteurs d’in-fluence, notamment des hiérarchies sociales et des rapports de force. Souvent, ceux-ci se reflètent non seulement dans le comportement de communication, mais aussi dans la langue même. Des critiques de la langue féministes et des études empiriques ont mis en avant la différence de com-portement verbal entre les femmes et les hommes et ont souvent renforcé la sensibilité vis-à-vis de la subtile inte-raction de la langue, du pouvoir et des hiérarchies sociales, souvent liées à l’appartenance à l’un ou l’autre sexe. Weber et al. (2005) s’inscrivent dans cette tradition de recherche lorsqu’ils demandent dans quelle mesure le sexe de l’inter-prète influence la triple interaction entre soignant, malade et interprète (détails de l’étude au chapitre 7.1).

La contribution de Leanza (2008) cherche à déterminer dans quelle mesure les constellations de pouvoir lors de l’entre-tien entre le médecin et la patiente ou le patient changent lorsqu’un interprète entre en jeu. L’auteur fait référence à Michel Foucault, qui perçoit le pouvoir comme une force impersonnelle qui circule dans les relations entre les insti-tutions et leurs clients (ibid. : 211). Foucault souligne que le pouvoir est lié au savoir, d’où les craintes du médecin de perdre de son pouvoir s’il partage son savoir de manière transparente avec l’interprète : « le praticien perd complète-ment la maîtrise de l’un des attributs les plus importants de sa position. Le pouvoir, à travers le discours, est transmis à l’interprète » (ibid. : 214, notre traduction). De sa réflexion théorique sur les rapports de force lors d’un entretien théra-peutique traduit, l’auteur tire différentes recommandations en ce qui concerne la formation des interprètes. Qui plus est, il montre de quelle manière les désignations des profes-sions utilisées par les interprètes permettent de déduire leur perception de la profession.

2.4 La diversité des rôles des interprètes dans la théorieLorsqu’on se penche de façon approfondie sur l’interpréta-riat et la médiation communautaires, on reconnaît rapide-ment que ce domaine d’investigation s’appuie sur la riche tradition des sciences humaines et de la littérature . Ainsi,

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Alexander Bischoff débute bon nombre de ses travaux en citant des philosophes et des littéraires, tel le postmoderne Jacques Derrida (Bischoff 2005a : 215), Peter Sloterdijk (Bischoff et Dahinden 2008), Pascal Mercier (Bischoff 2007) ou encore Umberto Eco (Bischoff, Kurth et Schuster 2008).

Bischoff fait même référence à Platon et à Luther dans une contribution qui fait le lien entre le rôle de l’interprète et ce-lui du médiateur tout en cherchant à les délimiter (Bischoff 2005b). Le point de départ de l’article est un fait divers sur un meurtre commis par un « homme avec un nom alba-nais » et qui, selon le journaliste, aurait pu être évité s’il y avait eu médiation. Bischoff remet en question l’énorme exigence vis-à-vis de la médiation à l’ère de la mondialisa-tion et attire l’attention sur le fait que la médiation entre personnes d’horizons culturels différents intervient à deux niveaux : il s’agit de servir d’intermédiaire, d’une part, entre deux parties qui ne sont pas d’accord sur des faits et, d’autre part, entre deux groupes qui « ne se comprennent pas en raison de leur origine distincte et ne parlent pas la même langue » (ibid. : 117, notre traduction). Lorsqu’on réussit à créer des structures permettant la communication et la collaboration par-delà les différences linguistiques et socioculturelles, la « diversité babylonienne » peut, à l’hô-pital aussi, s’avérer être un enrichissement constructif, en ce qu’elle rejette la revendication d’un pouvoir totalitaire tel qu’il est parfois incarné par l’exigence d’une langue unique (Bischoff 2005a : 216, notre traduction).

Weiss et Stuker (1998 : 43 ss) s’intéressent également, dans leur analyse bibliographique, aux différents rôles de l’interprète. Ils vont de la traduction littérale d’un fait à la co-thérapie, en passant par la médiation communautaire et la défense du patient. Les auteurs se fondent, pour la typo-logie qu’ils proposent, sur la littérature s’y rapportant en re-montant jusqu’en 1966. Celui qui assume plusieurs rôles en même temps court toutefois le risque d’entrer en conflit, d’autant que les attentes de l’interlocuteur sont souvent peu claires. Les conflits de loyauté et de pouvoir occupent dès lors une large place dans l’étude de Weiss et Stuker. L’ouvrage, qui porte le sous-titre Rapport de base, offre une large vue d’ensemble des facettes les plus diverses de

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la médiation communautaire dans le domaine des soins. Il se conclut par une série de recommandations de mesures concrètes, p. ex., pour la formation des interprètes, et pose un fondement axé sur une application pratique. Il complète ainsi l’article de fond théorique d’Illario Rossi (1999), qui relève la nécessité d’une collaboration interdisciplinaire entre les différentes branches médicales et les interprètes et médiatrices ou médiateurs communautaires. 2.5 Principes généraux en matière de santéLes principes formant le cadre d’une étude bibliographique menée par le Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population sur mandat du programme visant à améliorer la prise en charge des migrants dans les hôpitaux (Bischoff 2006a) peuvent aussi être qualifiés de « théo-riques » au sens courant. L’auteur y énumère une série de critères incontestés auxquels doit satisfaire un hôpital, notamment en ce qui concerne les patientes et patients de langue étrangère (ibid. : 21).

Tandis que la qualité des soins (« quality of care »), l’utilisa-tion de méthodes factuelles (« evidence based medicine ») et la prise en compte des besoins du patient (« patient-centered care ») revêtent une importance similaire pour l’ensemble des patientes et patients, Bischoff cite trois exigences sup-plémentaires, qui requièrent une attention particulière dans le cas de malades de langue étrangère : il s’agit de la sen-sibilité aux besoins culturels (« responsiveness to cultural needs »), de la culture sanitaire (« health literacy ») et des structures visant à éviter les inégalités et injustices entre malades (« equality and equity »). Dans son étude bibliogra-phique, l’auteur révèle quelles mesures différents hôpitaux européens ont introduites pour satisfaire à ces exigences.

2.6 Conclusion : la théorie couvre différents niveaux d’observationIl existe, pour la Suisse, des bases théoriques qui mettent en lumière les différentes facettes de la communication interculturelle dans le domaine de la santé. Ce faisant, elles ne se concentrent pas exclusivement sur le domaine de la

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médecine, mais abordent aussi en partie, d’une façon géné-rale, la relation que la société entretient avec « l’étranger » ou le migrant et la place de ce dernier.

Les relations qu’entretiennent entre elles les personnes impliquées sont décrites, d’une part, dans les écrits théo-riques portant sur les rôles que peuvent assumer les inter-prètes, ainsi que sur les fonctions (et implications) liées à la multiplicité des rôles. D’autre part, quelques (rares) articles s’intéressent à la structure d’influence entre médecins/soignants, patients et interprètes et au glissement de la constellation de pouvoir découlant du recours à des inter-prètes lors de la consultation médicale.

À la croisée de la linguistique et de la psychologie se trouvent les travaux portant sur le langage propre à un sexe, qui cherchent à savoir dans quelle mesure le sexe de l’interprète influence la qualité (subjectivement perçue) de la consultation médicale. Ces études se penchent en partie sur les questions soulevées sur le plan empirique, mais avec des introductions théoriques approfondies, qui justifient qu’on les considère également comme une contri-bution intellectuelle générale au sujet.

Dans cette optique, les articles analysés couvrent de manière théorique tant les considérations sociales d’ordre général que les relations interpersonnelles, les facettes psychologiques de l’individu ou encore les aspects lin-guistiques. Les études traitées dans le cadre du présent ouvrage mettent l’accent, comme le montrent les chapitres suivants, sur les données fondées sur l’expérience empi-rique.

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3 Comment les barrières linguistiques font obstacle à la guérison

La communication et la compréhension mutuelle constituent le fondement d’un traitement médical réussi. Toutefois, on ne saurait se borner à limiter les observations à l’interaction thérapeutique. En effet, les symptômes de la maladie reflètent également une souffrance généralisée liée à l’exil dans un monde étranger.

Le paysage linguistique de la Suisse est varié, et cette diversité trouve aussi son expression dans le domaine de la santé. C’est ce qu’ont souligné les premiers états des lieux dressés au tournant du siècle dans les trois régions linguis-tiques, que ce soit celui de Tonnerre (1999), de Bischoff et al. (1999a et 1999b) ou de Guex et Singy (2003). Dans ces études, la majorité des médecins interrogés a unani-mement indiqué traiter très fréquemment des personnes de langue étrangère. Toutefois, seul un nombre compara-tivement réduit de consultations pouvait se faire avec le concours d’interprètes professionnels. Même dans une clinique genevoise qui coopère avec le service d’interpréta-riat de la Croix-Rouge depuis 1993 déjà, dans 24 % des cas à peine, on recourt à des interprètes professionnels lors d’entretiens liés aux thérapies. Selon la même étude, dans 17 % des cas, la traduction sont assurée par des proches ou des connaissances des patientes et patients (Bischoff et al. 1999b) ; d’autres études affichent des valeurs encore plus élevées en ce qui concerne les interprètes de fortune issus du cercle familial ou des amis (Tonnerre 1999).

C’est justement le plurilinguisme traditionnel de la Suisse qui pourrait, selon les auteurs, expliquer pourquoi les dif-ficultés liées à la communication interculturelle ont long-temps été sous-estimées : étant donné que les premiers migrants et migrantes provenaient de pays latins et que le personnel soignant pouvait se rabattre sur le français ou l’italien, les problèmes ne se sont aggravés que récem-ment, à l’arrivée de personnes de langue maternelle slave ou arabe, par exemple (Bischoff et al. 1999a : 253 ; Guex et Singy 2003 : 13 ss et 53 ss). Reste que même si la commu-nication avec les personnes de langue étrangère a rapide-ment été perçue comme problématique par bon nombre de médecins et si beaucoup d’entre eux préconisé l’inter-

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vention d’interprètes qualifiés, seule une petite minorité a envisagé la création de réseaux dans ce domaine (Eytan, Bischoff et Loutan 1999 : 192).

Des chiffres récents provenant des Hôpitaux universitaires de Genève confirment que le recours à des interprètes professionnels n’est toujours pas entré dans les mœurs, même si l’établissement en question peut se prévaloir d’une collaboration de dix ans avec les interprètes commu-nautaires de la Croix-Rouge (Hudelson et Vilpert 2009).

3.1 Des difficultés de communication malsainesLes ouvrages consultés dans le cadre des études analysées ici citent divers risques liés aux obstacles à la communica-tion : outre le fait que ces obstacles accroissent le risque de diagnostic erroné, ils compromettent la continuité du suivi parce que les patientes et patients de langue étran-gère ne s’adressent souvent pas à la même clinique en cas de résurgence de la maladie. Qui plus est, ces personnes font moins usage des mesures de prévention sanitaire que ne le font celles qui peuvent communiquer librement (Bi-schoff et al. 2003b : 541). Différentes études se réfèrent à des conclusions selon lesquelles les migrantes et migrants adoptent un comportement différent des autochtones dans le domaine de la santé et que les deux groupes sont traités de manière différentes : ainsi, les immigrants de langue étrangère ont tendance à solliciter plus fréquemment les soins de santé primaires que les autochtones et sont moins fréquemment convoqués à des examens de suivi. Par ailleurs, ils ne respectent pas les consignes du méde-cin de façon aussi stricte, et le personnel médical prête moins attention à l’opinion qu’ils expriment (cf. Bischoff et Loutan 2004 : 183, ainsi que Bischoff 2006b : 28). Chez les personnes qui ont besoin d’un important soutien psycho-logique, en particulier, les obstacles à la compréhension représentent un inconvénient majeur. Une enquête menée dans une clinique soignant les douleurs chroniques a mon-tré que les personnes d’origine étrangère qui ne pouvaient que difficilement s’entretenir avec le médecin ne s’adres-saient certes pas plus souvent à la clinique que les autres, mais que les entretiens de consultation duraient beaucoup moins longtemps dans leur cas que ceux menés avec des

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3 Comment les barrières linguistiques font obstacle à la guérison

patientes et des patients qui maîtrisaient une des langues nationales. Toutefois, la consultation plus courte n’entraîne guère une économie de frais. En effet, les médecins qui s’entretiennent de façon plus approfondie avec leurs inter-locuteurs malades ont tendance à émettre également des recommandations sur le mode de vie et à proposer des mesures de prévention, au lieu de se contenter de prescrire des médicaments (Ruppen, Bandschapp et Urwyler 2010 : 262 ss). Bischoff et Steinauer (2007 : 345, notre traduction) parviennent également à la conclusion suivante au terme de diverses études : « en raison du flux d’information man-quant ou lacunaire, les patients de langue étrangère ont tendance à recevoir un traitement inadapté ».

Les difficultés de communication ne sont pas préjudiciables uniquement dans l’optique des patientes et patients. Dans la perspective des professionnels de la santé aussi, les pro-blèmes de communication représentent un des problèmes centraux de leur travail quotidien (Flubacher, 1997 ; Dahin-den, Chimienti 2002 : 10 ; preuves empiriques aussi dans Bischoff et al. 1999a : 249). Le sentiment de rester incom-pris et de ne pas comprendre l’interlocuteur, ou de ne pas le comprendre suffisamment bien, est accablant et frus-trant pour bien du personnel soignant (Luck 2006). De ce point de vue, les obstacles à la compréhension représen-tent un risque sanitaire non seulement pour les patientes et les patients, mais aussi pour le personnel soignant.

3.2 La souffrance et la maladieBon nombre des études analysées qui portent sur les dif-ficultés de la compréhension interculturelle ne se limitent pas à l’interaction directe dans le domaine médical : elles prennent également en compte le vécu des patientes et des patients, ainsi que les problèmes qui se posent en dehors du domaine de la santé, lorsqu’ils sont appelés à se repérer dans leur nouvel environnement social. Les requérants d’asile notamment, qui ont dû quitter leur patrie pour des motifs politiques, portent souvent les séquelles du passé. La perte de proches, la réalité de la guerre et la torture laissent des traces parfois physiques, presque tou-

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jours psychiques. Dans une large enquête portant sur des requérants d’asile, Bischoff et al. (2003a : 507) ont établi que 19 % d’entre eux présentaient de graves symptômes psychiques et que 63 % d’entre eux avaient vécu des évé-nements traumatisants.

Même lorsque des personnes sont épargnées par le vécu traumatisant de la guerre et que seul l’espoir de meilleures conditions économiques les a conduites à l’étranger, elles sont vulnérables. Il va de soi que les personnes qui sont employées par l’économie suisse et qui en tant que « businessm[e]n eurocompatibles » (Guex et Singy 2003 : 14) jouissent d’un statut élevé et ont plus de facilité à activer les ressources sociales et émotionnelles nécessaires à l’inté-gration dans le nouvel environnement qu’une main-d’œuvre immigrée sans formation qui doit entrer en concurrence avec des travailleurs indigènes moins qualifiés, et qui se voit rejetée par ces derniers. Flubacher (1997 : 813) parle à cet égard d’ « interdépendance des problèmes médicaux et psychosociaux » et propose un « catalogue de questions en vue d’une anamnèse sociale étendue » (ibid. : 812, notre traduction) : ce dernier devrait prendre en compte des as-pects tels que les perspectives de retour au pays, le statut relatif à la police des étrangers ou le degré de satisfaction en matière de logement. Bischoff (2007 : 22, notre traduc-tion) concède aussi que dans bien des cas, des approches autres que les « simples » services d’interprétariat se-raient « aussi importantes, sinon plus : formation continue, apprentissage de la langue, la participation aux décisions ». Des spécialistes à Genève concluent que les services d’interprétariat apportent, pour leur part, une contribution essentielle à cette codécision (« empowerment ») : dans une étude, ils ont pu démontrer que lors de consultations traduites, 83 % des patientes et des patients bénéficient d’un suivi médical ultérieur, contre 63 % lors d’entretiens non traduits. « Relayée par un professionnel – reconnu comme tel par la structure socio-sanitaire qui finance et organise sa présence –, la parole du patient gagne à l’évi-dence en poids et en légitimité sociale face au soignant » (Guex et Singy 2003 : 57).

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3.3 « La guérison passe par la compréhension »Le titre programmatique de Bischoff (2002, notre traduc-tion) va à l’essentiel et résume une série de résultats empiriques : lorsque des professionnels de la santé et leurs patientes et patients se comprennent bien sur le plan linguistique, le traitement prescrit est mieux suivi, les ren-dez-vous pour les examens sont davantage respectés et les interventions d’urgence moins fréquemment requises.

Les conditions idéales semblent être remplies lorsque le personnel soignant parle la même langue que son interlo-cuteur malade : Bischoff (et al. 2003a et, sur la base des mêmes données, Bischoff 2005) démontre que le person-nel médical considère que la qualité de la communication est la meilleure, et de loin, lorsque les deux parties parlent une langue commune. Reste que dans ce cas, la qualité de la communication n’est pas la seule à s’améliorer : les obstacles linguistiques ont également une incidence sur le tableau clinique et sur le traitement. Les symptômes psy-chiques en particulier, tels que l’insomnie, l’agitation et les soucis, de même que les événements traumatisants, sont plus facilement confiés à un vis-à-vis qui parle la même langue (Bischoff et al., 2003a : 507).

Toutes les études examinées confortent ainsi la conclusion selon laquelle les services d’interprétariat favorisent la qua-lité de l’échange entre le personnel médical et les patients de langue étrangère. Une confirmation empirique de ce résultat est apportée aussi bien par le biais d’un schéma d’enquête qualitatif (Kamm et Kaya 2008 : 145 ss) que par la voie quantitative (Bischoff et al., 2003a).

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4 Surmonter les barrières linguistiques

Lorsque des personnes de langue maternelle diffé-rente se trouvent face à face, elles peuvent recourir à diverses méthodes pour parvenir à se comprendre. Les services d’interprétariat occupent à cet égard une place particulière. Ils peuvent être organisés de plusieurs manières. Les milieux scientifiques tombent pour le moins d’accord sur les démarches à éviter.

Dans le domaine de la santé, on utilise différents moyens pour faire face à des problèmes de communication : re-cours une langue tierce commune ; intervention du per-sonnel de langue étrangère, des interprètes professionnels ou des proches. L’approche « directe » consiste, soit pour le personnel médical spécialisé à apprendre des langues étrangères, soit pour les migrantes et migrants à apprendre la nouvelle langue ou une langue de communication com-mune (Bischoff 2006a : 36 ss). Cette stratégie « directe » n’est cependant envisagée que dans quelques rares études, même si la pratique ne va pas à son encontre : dans un cas, la communication par le biais d’une langue véhiculaire(« étrangère » aux deux parties) offre même des résultats plus satisfaisants que le recours à des interprètes (Bischoff 2001 : 37).

Dans leur grande majorité, les études évaluées se penchent sur les différents aspects de l’interprétariat. Une vue d’en-semble récente sur les différentes formes de traduction est proposée par Guex et Singy (2003 : 25 ss) et Gehrig et al. (2009 : 39 ss). Le fait que les traductions améliorent la qualité de la consultation avec des patientes et patients de langue étrangère est attesté à de nombreuses reprises. Toutefois, l’organisation des services d’interprétariat et le fait que les traducteurs impliqués soient des professionnels ou des interprètes de fortune jouent également un rôle.

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4.1 Un écho généralement positif pour les services d’interprétariat professionnelsL’incidence des services d’interprétariat en général sur les entretiens thérapeutiques est examinée dans différents articles. Ainsi, Bischoff a mené en 1999 dans les Hôpitaux universitaires de Genève une enquête auprès des méde-cins, d’une part, et auprès des patientes et patients, d’autre part, afin de déterminer la qualité de la communication lors de la consultation. Le groupe de malades inclut des migrantes et des migrants aux origines les plus diverses, dont certains ont le français pour langue maternelle. Les personnes en traitement hospitalier qui, pendant la consul-tation, avaient été assistées par des interprètes, ont donné la meilleure évaluation de l’entretien, meilleure encore que les malades qui s’étaient directement entretenu en français avec leur interlocuteur du domaine médical. Dans l’optique des médecins, le tableau se présente d’une manière un peu différente dans la mesure où ces derniers ont attribué les meilleures notes aux entretiens avec des patientes et pa-tients parlant français. Le corps médical a nettement moins bien perçu la communication avec les interprètes que les patientes et les patients ; du point de vue du médecin, la possibilité de recourir à une langue véhiculaire comprise par les deux parties, par exemple l’anglais, représente une meilleure solution. Bischoff (2001 : 37) conclut, au vu de l’attitude sceptique des médecins, que ceux-ci doivent être préparés à la collaboration avec des interprètes afin de pouvoir tirer le meilleur parti de la « communication à trois ». Par contre, les deux groupes - médecins et patients - ont été unanimes dans l’évaluation négative des consultations traduites par des proches.

Quelques mois plus tard, Bischoff a testé sa thèse selon la-quelle une formation spécifique pour les médecins déploie un effet positif sur la qualité des consultations menées en trialogue. Pour ce faire, l’auteur a interrogé de nombreux médecins et malades, fin 1999 et au début de l’an 2000, dans le cadre de 1016 consultations au total. Il a comparé l’évaluation des entretiens faite par les médecins ayant sui-vi une formation de ce type avec celle des praticiens sans formation spécifique. Tandis que les malades de langue étrangère ont évalué beaucoup plus favorablement la com-

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munication avec les médecins « formés », ces derniers ont évalué plutôt négativement la qualité de la consultation, en particulier lorsque des interprètes de fortune, non formés, étaient intervenus. Bischoff (et al. 2003b : 544) explique ce résultat surprenant par le fait que les médecins sont devenus plus critiques et plus attentifs à la question de la communication en raison de la formation suivie. De plus, il se voit conforté dans sa constatation selon laquelle les membres de la famille ne conviennent pas, car la formation a eu pour effet que les médecins ont davantage eu recours à des interprètes formés.

En fin de compte, Bischoff, Kurth et Schuster (2008 : 171, notre traduction) se prononcent eux aussi pour une forma-tion des spécialistes de la santé : « au quotidien, les profes-sionnels de la santé ont souvent affaire à des interprètes, sans recevoir une préparation adaptée à cette collaboration. La connaissance des critères qui font un ‹ bon interprète › ou un ‹ trialogue idéal › ne peut pas être considérée comme innée, mais elle devrait être abordée dans des formations continues à l’intention du personnel médical ». Les auteurs parviennent à cette conclusion au terme d’une enquête qualitative menée à la maternité de l’Hôpital universitaire de Bâle. Une étude menée à l’Hôpital universitaire de Lau-sanne souligne cette nécessité. Les médiateurs culturels, en particulier, y défendent le point de vue selon lequel seul un médecin dûment formé peut tirer le meilleur parti de leurs services (Singy et Guex 2005 : 49). L’importance de la formation est également mise en avant par Longerich (2002 : 67) ; celle-ci doit s’adresser au personnel soignant aussi bien qu’aux interprètes, afin que tous aient les compétences nécessaires pour le trialogue. De l’avis de l’auteur, il est en particulier utile que les interprètes soient issus du même pays que les patientes et patients ; en effet, l’arrière-plan commun contribue à instaurer la confiance. La formation des interprètes est d’autant plus importante, car elle per-met de gérer l’échange souvent pesant avec les patientes et patients tout en gardant une distance suffisante.

D’une façon générale, les avantages de l’interprétariat pour la communication entre le personnel médical et les pa-tientes et patients allophones sont empiriquement prouvés.

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Cependant, pour tirer le meilleur parti des traductions, les spécialistes recommandent que les médecins et le person-nel soignant suivent une formation en la matière (voir aussi à ce sujet Luck 2006).

4.2 La question délicate du recours aux proches et aux amisQuoi de plus naturel, dans un pays étranger, que de se faire accompagner à l’hôpital par des membres de la famille maîtrisant la langue pour surmonter des difficultés de communication ? De fait, jusque dans les années 1990, des proches servaient souvent d’interprètes. Dans leurs réflexions théoriques, Weiss et Stuker (1998 : 40) parvien-nent à la conclusion qu’au moment de l’étude, on recourt presque exclusivement à des interprètes de fortune issus du cercle familial ou d’amis des patientes et patients, ainsi qu’au personnel de santé bilingue. La première enquête couvrant toute la Suisse sur la communication avec les patientes et les patients de langue étrangère vient étayer cette constatation par des chiffres et révèle qu’au cours des années 1996-97, 79 % des 244 établissements de santé interrogés au total ont eu recours « assez fréquemment » à des proches en cas de difficultés de compréhension (Bischoff et al. 1999a : 250, notre traduction ; également cité dans Bischoff et Steinauer 2007 : 346, ainsi que dans Bischoff et Hudelson 2009 : 1). L’auteur trouve un élément récurrent plutôt révélateur : les proches sont en particulier impliqués comme interprètes dans les communautés linguistiques arrivées en Suisse assez récemment. Autrement dit, « une communauté allophone vivant depuis longtemps en Suisse utilise d’autant moins les proches pour l’interprétariat dans les services médicaux » (Bischoff et al. 1999a : 251, notre traduction).

L’intervention des proches et des amis comme interprètes s’explique, d’une part, par des considérations d’ordre financier de l’établissement de soins (Bischoff et al., 1999a : 253) et, d’autre part, par des raisons pragmatiques : la coordination d’un rendez-vous avec des interprètes professionnels prend souvent du temps. Qui plus est, on ne sait pas toujours comment joindre les services d’interprétariat (Bischoff et Steinauer 2007 : 346). Enfin, un établissement de santé qui

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a recours à des proches n’a pas à assumer de responsabi-lité de la qualité de la traduction (Bischoff et Loutan 2004 : 192).

D’une manière générale, les spécialistes déconseillent souvent catégoriquement de recourir aux proches et aux amis en qualité d’interprètes (notamment dans Bischoff 2006a : 33). Leur rejet est motivé par la perte d’intimité et de confiance lors de la consultation médicale (Bischoff et al. 1999a : 253), ainsi que par le fait que les proches enracinés dans le pays d’origine ne parviennent pas à faire le lien avec le mode de vie du nouvel environnement. De plus, la prestation de traduction des proches est souvent marquée par leurs partis pris, de sorte qu’ils ne tiennent parfois pas compte d’informations importantes d’un point de vue médical (Longerich 2002 : 66). Le fait que des en-fants en particulier doivent traduire des entretiens chargés émotionnellement est perturbant pour eux (Bischoff et al. 2003a : 510 ; Halbright et Ackermann-Frösch 2007 : 15 ; Kurz 2006 : 30). En outre, la hiérarchie et la répartition des rôles dans la famille est perturbée lorsque les descendants doivent annoncer à leurs parents de mauvaises nouvelles ou leur transmettre des consignes de traitement (Bischoff et Steinauer 2007 : 346). Enfin, on ne saurait sous-esti-mer le risque que des proches répondent d’eux-mêmes à des questions du médecin, selon leur propre perception, sans poser la question à la patiente ou au patient. Dans le pire des cas, il peut s’ensuivre des malentendus, voire un diagnostic erroné (Bischoff et Loutan 2004 : 193). Les ar-guments en faveur de l’interprétariat par des proches sont exposés dans un seul article, et se limitent à la constatation selon laquelle les proches sont particulièrement à même de se faire l’« avocat du patient » (« advocacy ») (Bischoff et Steinauer 2007 : 346).

L’empirie corrobore le fait que les interprètes issus du cercle familial et d’amis sont inadéquats, et ce pas unique-ment dans le domaine de la santé : une enquête portant sur l’interprétariat et la médiation dans les établissements publics du canton de Bâle démontre que les cadres dans les domaines de la formation, du social, de la police et de la santé estiment à 68 % que les prestations de traduction

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assurées par les proches ne sont pas bonnes (Bischoff et Dahinden 2008 : 11). Dans une étude portant exclusivement sur le domaine de la santé, les membres de la famille ob-tiennent également des notes moins bonnes que les autres interprètes de fortune ou que les interprètes professionnels (Bischoff et Hudelson 2009 : 3). Par ailleurs, une enquête qualitative menée auprès du personnel médical spécialisé de la maternité de l’Hôpital universitaire de Bâle vient confirmer que l’implication d’enfants pose problème, en particulier dans les questions liées à la sexualité (Bi schoff, Kurth et Schuster 2008 : 168). Les études suisses rejoi-gnent par conséquent les résultats obtenus à l’étranger, qui évaluent négativement l’interprétariat assuré par des proches (Bischoff et Grossmann 2006 : 23).

4.3 Quand la traduction est assurée par le personnel hospitalier polyglotteEntre-temps, le domaine de la santé emploie beaucoup de personnes qui présentent un arrière-plan migratoire ou sont de nationalité étrangère : ainsi, dans un hôpital zuri-chois en 1993 déjà, 47 % des soignants et 59 % des aides hospitaliers étaient des ressortissants étrangers, tandis que les employés des Hôpitaux universitaires de Genève provenaient de 60 pays différents (Mader 2000 : 67). Il arrive que la « diversité babylonienne de langues » du personnel soignant complique la communication : Luck (2006 : 206) cal-cule pour l’Hôpital universitaire de Bâle, une proportion allant jusqu’à 75 % du personnel soignant de nationalité étrangère pour lequel, de ce fait, on ne peut pas partir du principe qu’il comprenne plus d’une langue nationale suisse. Le passé mi-gratoire des soignants est un avantage lorsqu’ils savent bien communiquer à la fois dans une langue officielle de la Suisse et dans la langue de leur pays d’origine. Il est alors naturel de recourir à des employés d’hôpital comme eux, qui maîtrisent plusieurs langues, pour assurer la traduction. Cette pratique quotidienne peut être liée à la théorie par le biais de la notion de « valorisation des langues de l’immigration » (Dahinden et Chimienti, 2002 : 22, notre traduction) : dans cette optique, le fait que les migrantes et migrants continuent à entretenir leur langue maternelle est perçu non plus comme un risque pour une intégration réussie, mais comme une ressource,

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pour les personnes concernées aussi bien que pour le pays d’accueil (voir aussi à ce sujet le chapitre 3.2 du présent ouvrage, ainsi que Kamm et Kaya 2008 : 143 ss).

Des études scientifiques ont été menées sur le recours au personnel hospitalier polyglotte pour assurer la traduction par des approches quantitatives et qualitatives. Bischoff s’appuie sur des nombres importants pour analyser le phénomène : au cours des années 1996-97, 75 % des 244 hôpitaux et cli-niques interrogés ont indiqué mettre fréquemment à contri-bution leur personnel polyglotte pour assurer les traductions. Ils étaient 43 % à avoir recours à des employés chargés de tâches administratives (Bischoff et al., 1999a : 250). Ce ne sont donc pas nécessairement des soignants qui apportent leur aide en traduisant ; il est attesté que des employés sans contact direct avec les patients sont même plus aptes à servir d’interprètes que le personnel soignant (Bischoff, Steinauer et Kurth 2006c : 34).

Selon Bischoff et al. (1999a), les employés d’hôpital font avant tout office d’interprètes (de fortune) dans les communautés linguistiques qui sont déjà établies depuis un certain temps en Suisse. De ce point de vue, le recours à des collaborateurs hospitaliers polyglottes reflète également le degré d’intégra-tion d’un groupe linguistique (ibid. : 253, également attesté par Eytan, Bischoff et Loutan 1999 : 191) ; sur le plan théo-rique, ce phénomène est traité sous la notion de « transcul-turalisation » (Kamm et Kaya 2008 : 144). Rien de surprenant, donc, à ce que le personnel interne soit particulièrement souvent mis à contribution pour les traductions vers l’italien, l’espagnol, le portugais et - en fonction des sources - le ser-bo-croate (Eytan, Bischoff et Loutan 1999 : 190 ; Bischoff et Dahinden 2008 : 12 ; ainsi que sur la base d’autres données Bischoff et Hudelson 2009 : 3).

Bischoff, Steinauer et Kurth (2006c) proposent une réponse sur les circonstances dans lesquelles des employés maîtri-sant les langues doivent être impliqués dans les traductions. Une « balance pour la prise de décision », qui tient compte des diverses caractéristiques de la situation de consultation, p. ex., son urgence, la complexité ou le degré d’abstraction

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de l’entretien, l’émotionnalité, offre des indications sur la nécessité d’impliquer plutôt des interprètes professionnels (externes) ou des interprètes de fortune internes à l’hôpital (ibid. : 7). Si le personnel polyglotte peut notamment rendre des services inestimables en se chargeant de la traduction dans des situations urgentes et imprévisibles, il faut toute-fois s’attendre à un certain nombre de problèmes potentiels : les interprètes de fortune peuvent se retrouver dans des conflits de rôles, ou des tensions peuvent naître au sein de l’équipe si des collègues doivent assumer leur travail pendant qu’ils traduisent. Bischoff et al. (2003a : 510) men-tionnent également une étude qui atteste que les erreurs d’interprétation augmentent lorsqu’un personnel non formé assume au pied levé la fonction d’interprète.

Sur la base d’exemples de cas examinés en détail, Kamm et Kaya (2008) étudient les avantages que peut présenter le recours à des employés de clinique polyglottes. Cette étude qualitative peut être considérée à proprement parler comme un plaidoyer en faveur de cette approche : elle souligne le fait que les migrantes et les migrants de la deuxième géné-ration en particulier présentent les conditions idéales pour servir d’intermédiaires entre les deux univers que sont le pays d’accueil et le pays d’origine.

4.4 Services d’interprétariat téléphonique Lorsque des professionnels de la santé confrontés à des patientes et patients allophones ne souhaitent pas solliciter l’aide de proches et d’amis et ne disposent ni de personnel polyglotte, ni d’interprètes communautaires profession-nels, les services d’interprétariat téléphonique peuvent représenter une solution à la fois utile et efficace. C’est la conclusion à laquelle parvient une étude mandatée par l’OFSP dans le cadre de sa stratégie Migration et santé, qui a entrepris une vaste évaluation bibliographique et a com-plété les résultats de cette dernière par six études de cas menées principalement à l’étranger (Bischoff et Grossmann 2006 : 5).

L’évaluation bibliographique montre que les patientes et patients apprécient grandement le service de d’interpré-tariat téléphonique et l’acceptent, dans la plupart des cas, aussi bien que la traduction effectuée par des interprètes

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physiquement présents. Seule une étude, dont la qua-lité méthodologique a été mise en doute par les auteurss (ibid. : 20), a montré que les patients sont moins satisfaits lorsque les prestations sont fournies par téléphone.

Les études de cas montrent, elles aussi, que l’interpréta-riat téléphonique n’est guère moins bien accueilli que la traduction directe. Des spécialistes sont d’avis que dans des cas déterminés, l’interprétariat téléphonique est même plus utile, car il est perçu comme étant plus anonyme (ibid. : 31). Dans une autre étude, l’interprétariat téléphonique est même considéré comme un moyen d’éviter que le pouvoir de communication ne soit excessivement transféré du médecin à l’interprète (Leanza 2008 : 216). En résumé, on constate que les patientes et patients aussi bien que les professionnels qui travaillent avec les services d’interpréta-riat téléphonique les apprécient grandement.

L’interprétariat téléphonique est évalué de façon légère-ment différente par les personnes qui n’y sont pas habi-tuées. Ainsi, une enquête auprès de médecins suisses a révélé qu’un service de ce type ne revêt pas à leurs yeux un caractère prioritaire : à la question de savoir à quelle aide ils donnaient la préférence pour la communication avec des patientes et patients de langue étrangère, 85 % des 169 médecins vaudois consultés ont nommé les interprètes physiquement présents. Le dictionnaire arrivait en deuxième position avec 58 % des votes, et le service d’interprétariat téléphonique n’occupait que la troisième place avec 45 % de votes (Bischoff et Grossmann 2006 : 19 ss). Une étude de cas menée à l’hôpital cantonal de Baden révèle également une attitude sceptique vis-à-vis de l’inter-prétariat par téléphone : bien qu’un tel service ait été dis-ponible en 2004, seules six des 111 traductions effectuées au total ont été réalisées par téléphone. La faible utilisation a été motivée par la crainte d’une perte de qualité, ainsi que par la supposition selon laquelle « il n’y pas de réelle prise de conscience quant à cette possibilité » (ibid. : 33, notre traduction). Un rapport d’expérience récent prouve toutefois que les services d’interprétariat téléphonique se mettent peu à peu en place en Suisse ; depuis 2006, TeleLingua propose de telles prestations pour des établis-

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sements de santé, et les expériences faites notamment par l’hôpital cantonal des Grisons avec la nouvelle offre pour les communications brèves et les urgences sont positives (Halbright et Ackermann-Frösch 2007 : 15, notre traduction).

Les expériences recueillies à l’étranger avec ces services permettent de déduire des recommandations pour une application prometteuse de cette méthode : ainsi, elle est particulièrement indiquée pour les langues peu parlées (Bischoff et Grossmann 2006 : 7, 16) ainsi que pour les hôpitaux petits ou excentrés, pour lesquels le déplacement des interprètes rendrait la prestation trop coûteuse (ibid. : 26, 39). Les auteurs estiment qu’un service organisé à l’échelle nationale et joignable à toute heure du jour et de la nuit serait de la plus grande utilité (ibid. : 40) ; la disponibilité permanente est importante en particulier pour les patientes et patients en traitement stationnaire (ibid. : 19). Les direc-tives qui aident le personnel médical à décider quand il est nécessaire de faire appel à des interprètes et quelle mé-thode doit être privilégiée peuvent contribuer à améliorer la qualité de la consultation (ibid. : 8, 40). Une qualification (ou une formation adaptée) des interprètes téléphoniques est importante pour garantir la qualité du service (ibid. : 8, 41) ; il est avantageux que ces personnes se spécialisent dans un domaine et en maîtrisent le vocabulaire spécialisé (ibid. : 17). Des conditions techniques doivent aussi être remplies : ain-si, les systèmes de communication mobiles qui s’utilisent avec des écouteurs sont recommandés. Étant donné que l’interprétariat téléphonique est une méthode reposant sur des moyens techniques, elle offre l’avantage de permettre l’enregistrement de la conversation qui, au besoin, peut être réécoutée (ibid. : 31). Toutefois, un équipement sophis-tiqué et hautement technique peut affecter le climat de l’entretien : la vidéoconférence présente certes l’avantage de permettre aux interprètes de tenir également compte des aspects non verbaux de la communication (ibid. : 14), mais il arrive que des patientes et patients soient intimidés par la caméra (ibid. : 22).

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Un concept détaillé, intégrant une analyse de marché élaboré sur mandat de l’OFSP en 2009, montre comment pourrait se présenter un service d’interprétariat télépho-nique national pour le secteur de la santé en Suisse. Le service proposé couvre douze langues ; il permettrait ainsi de répondre aux besoins de 90 % de la population de lan-gue étrangère. Le service devrait par ailleurs être joignable toute la semaine, y compris le samedi et le dimanche, à toute heure du jour et de la nuit. En dehors des heures de permanence définies, une offre restreinte pourrait être envisagée, tandis que la nuit, les dimanches et les jours fériés, une prise de rendez-vous automatique par téléphone ou l’externalisation des services auprès d’une société tierce est à envisager (Fritschi et al., 2009 : 50 ss). En se fondant sur plusieurs scénarios, l’analyse de marché parvient à la conclusion qu’un service d’interprétariat téléphonique pour-rait fonctionner à prix de revient en Suisse avec des tarifs horaires variant, en fonction des conditions cadres, entre 120 et 240 francs (ibid. : 62).

4.5 Alternatives à l’interprétariat Outre les diverses formes d’interprétariat, il existe d’autres moyens pour faciliter la communication avec les patientes et patients de langue étrangère. Ces solutions font l’objet d’une étude menée auprès des praticiens privés du Réseau santé du canton de Vaud (Graz, Vader et Raynault, 2002). Certes, 85 % des personnes interrogées ont estimé que la présence d’interprètes est généralement souhaitable. Mais à la question de savoir combien de fois chaque forme de soutien linguistique aurait été judicieuse au cours des mois écoulés, un glossaire répertoriant les principales expres-sions médicales et le recours à un service d’interprétation téléphonique sont cités beaucoup plus fréquemment que la présence d’un interprète. L’étude note cependant que les réponses des médecins portaient l’empreinte de l’expé-rience pratique qui veut qu’il soit de toute façon impossible de proposer dans chaque cas la présence physique d’inter-prètes ; de nombreuses consultations avec des migrantes et migrants n’entraient d’ailleurs pas en ligne de compte, car elles portaient sur des troubles respiratoires ou diges-tifs passagers ou des blessures légères, et n’impliquaient donc pas de communication complexe (ibid. : 79).

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4.6 La perspective « opposée » : ce qui frappe les interprètesLa plupart des études portant sur les barrières linguistiques dans le domaine des soins et sur les possibilités de les surmonter placent au centre des observations, soit les soignants, soit les patientes et patients. La perspective des interprètes est, quant à elle, moins souvent explorée. Une étude qualitative de Patricia Hudelson (2005) fait exception. En se fondant sur des entretiens approfondis avec des interprètes, elle analyse trois champs problématiques, qui présentent des risques particulièrement importants que les attentes et les habitudes en matière de communication des soignants et des patientes et patients conduisent à des frictions : premièrement, les malades qui se rendent dans un cabinet médical ou à l’hôpital ont souvent leurs propres conceptions sur l’origine de leur mal. Or, ce « diagnostic profane » ne se recoupe souvent pas avec l’avis du mé-decin spécialiste. S’agissant de maladies psychiques ou fortement stigmatisées en particulier (p. ex., la tuberculose ou le sida), les personnes concernées rejettent parfois les conclusions médicales et recourent à des explications « non scientifiques » telles que le mauvais œil ou la volonté divine. Dans certaines circonstances, la disposition de la patiente ou du patient à suivre les prescriptions du médecin s’en trouve diminuée. Deuxièmement, les attentes vis-à-vis de la consultation médicale divergent souvent considéra-blement des deux côtés. Ainsi, dans de nombreux pays, il n’est pas coutume de fixer des rendez-vous à des heures précises. Or, une personne qui arrive trop tôt ou trop tard devient un motif d’irritation pour l’interlocuteur médi-cal. Lorsque des patientes et patients étrangers ont des attentes démesurées vis-à-vis de la médecine (comme le mentionne, p. ex., Bachl 2002 : 23), ils peuvent également susciter des conflits parce qu’ils s’obstinent alors souvent à vouloir subir des examens plus poussés et ne se satisfont pas de mesures médicales simples. Troisièmement, même le mode d’expression employé par les parties peut susciter la stupeur et le désarroi. Il peut arriver que les patientes et patients ressentent une profonde gêne parce qu’ils perçoi-vent l’entretien comme étant inconvenant, tandis que le personnel médical est étonné, voire irrité, par les descrip-

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tions inutilement compliquées et les métaphores em-ployées par son vis-à-vis. Hudelson conclut sa contribution par des recommandations destinées à aider le personnel soignant et médical à prendre conscience de ces pièges de la communication et à y prêter l’attention nécessaire.

4.7 La voie royale passe par l’interprétariat professionnelLe verdict est presque unanime : les services d’interpréta-riat professionnels représentent la méthode de prédilection pour des entretiens de qualité avec des patientes et pa-tients de langue étrangère. Contrairement aux intervenants de fortune, les interprètes professionnels ont suivi une formation approfondie, ont réussi la procédure d’admission correspondante et sont accrédités auprès des instances compétentes (voir à ce sujet les explications en page 6).

La grande estime dont jouissent les interprètes profession-nels se reflète notamment dans le fait que, à mesure que les expériences d’interprétariat se multiplient, on fait de plus en plus appel à eux : l’unité de médecine des voyages et des migrations du canton de Genève a ainsi accru, en l’espace de trois ans, la proportion d’entretiens menés avec des interprètes professionnels dans le cadre de consulta-tions avec des Kosovars, le taux passant de 11 % en 1998 à 48 % en 1999, puis à 53 % en 2000 (Bischoff 2002 : 49). Cette augmentation de la demande au fil des expériences et de la sensibilisation du personnel médical est également confirmée par une étude portant sur les répercussions d’une formation continue à l’intention des médecins (Bi-schoff et al. 2003b).

Lorsqu’on s’enquiert expressément de la qualité des pres-tations, les interprètes professionnels obtiennent de très bonnes évaluations, tant du point de vue des patientes et patients que dans l’optique du personnel médical spé-cialisé. Dans une enquête menée auprès de médecins principaux et de soignants, toutes les personnes interro-gées (100 % !) étaient d’avis que les interprètes profes-sionnels avaient amélioré la qualité de l’entretien, et 76 % estimaient que des conflits avec les patientes et patients

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avaient ainsi pu être évités. Dans chaque cas, au moins 90 % des personnes interrogées ont affirmé que grâce à la traduction professionnelle, elles ont mieux compris leurs patientes et patients et leur ont transmis leurs instruc-tions avec plus de précision. D’une manière générale, de l’avis de 80 % des personnes interrogées, ces prestations contribuent à une meilleure intégration dans la société des migrantes et migrants malades. Ce résultat est toutefois affaibli par les 20 % de personnes qui pensent que les patientes et patients de langue étrangère développent une relation de dépendance à l’égard des interprètes, ainsi que par les 6 % qui estiment que les services de traduction constituent un obstacle à l’apprentissage de la langue du pays par les patientes et patients (Bischoff et Hudelson 2009 : 3).

Lorsqu’on demande l’avis de patientes et de patients, l’évaluation positive de l’interprète professionnel est tout aussi manifeste. Ainsi, dans une clinique genevoise, les consultations avec des patients menées avec le concours d’interprète professionnels ont obtenu les moyennes les plus élevées sur l’échelle d’évaluation, dépassant même les notes des consultations menées en français sans inter-prètes (Bischoff 2001 : 34). La même enquête a démontré que les médecins aussi se déclaraient très satisfaits des interprètes professionnels, auxquels ils attribuaient la note de 8,8 (sur une échelle de 10). Toutefois, contrairement aux patientes et patients, ils ont évalué de manière plus positive les entretiens menés en français que les entretiens avec traduction professionnelle (ibid. : 35).

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4.8 Conclusion : choisir des méthodes adaptées à la situationSi malgré les avantages qu’ils présentent, les services d’inter-prétariat professionnel ne sont pas utilisés plus fréquemment, c’est en premier lieu pour des raisons d’organisation : on n’est souvent pas sûr de pouvoir les joindre, des délais d’attente sont requis et des interprètes professionnels ne sont pas toujours disponibles (Bischoff et Steinauer 2007 : 346). Toute-fois, même si de l’avis de nombreux auteurs, des questions doivent encore être réglées pour ce qui est de l’institutionna-lisation, des bases légales, du financement, etc., les expé-riences pratiques plaident clairement en faveur du recours à des interprètes professionnels.

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5 Diversité des rôles dans l‘interprétariat

Dans les relations, aucune position ne reste immuable. Le rôle de chacun est influencé par l’écheveau de rapports existant au sein du groupe ainsi que par les conditions extérieures. Lors de la consultation médi-cale avec des migrantes et migrants, les interprètes jettent des ponts entre le médecin et le malade et, par là-même, entre des perceptions et des valeurs diffé-rentes.

La diversité des rôles de l’interprète est présentée sous les perspectives les plus diverses dans les études analysées. Sur le plan théorique, Weiss et Stuker (1998) mettent déjà en lumière les différentes fonctions que les interprètes peuvent être appelés à remplir (ibid., 43 ss, ainsi que le chapitre 3.4 du présent document). Les études empi-riques portant sur la diversité des rôles des interprètes suivent, pour l’essentiel, la catégorisation théorique de Weiss et Stuker. L’Association suisse pour l’interprétariat communautaire et la médiation culturelle INTERPRET a toutefois élaboré entre-temps des définitions de travail plus détaillées des différentes activités dans le domaine de la communication interculturelle (voir à ce sujet les explica-tions relatives au système conceptuel en page 6, ainsi que le glossaire).

5.1 Traduction littéraleLes traductions littérales donnent une impression de professionnalisme. En effet, qui interprète littéralement se concentre pleinement sur la langue : sans rien omettre ni rien ajouter, il reproduit un contenu le plus fidèlement possible d’une langue à l’autre. Néanmoins, cette forme d’interprétariat n’a pas nécessairement la faveur du per-sonnel médical spécialisé (Singy et Guex 2005 : 46). Ces derniers regrettent notamment que la traduction littérale ne permette pas de véritable conversation et rende la communication plutôt ponctuelle parce que les patientes ou patients ne prennent pas une part active à l’entretien. Il estime en outre que la traduction littérale présente un plus grand risque de malentendus. On trouve ainsi des études dans le cadre desquelles « aucun professionnel [...] n’a éva-lué de manière foncièrement positive la traduction littérale. Une majorité des spécialistes se prononce plutôt en faveur

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d’une médiation culturelle » (Bischoff, Kurth et Schuster 2008 : 169, notre traduction).

Bien que le scepticisme prévale vis-à-vis de la traduction littérale, des voix s’élèvent parfois pour défendre expres-sément ce procédé. Ainsi, les professionnels de la psy-chologie et de la psychothérapie, en particulier, privilégient l’interprétation littérale, afin d’éviter que des « aspects émotionnels » inadmissibles « ne viennent contaminer » (Guex et Singy 2003 : 26) et ne déforment la narration des patientes et patients. L’empirie permet, elle aussi, de tirer des conclusions en faveur de la traduction littérale. Ainsi, les spécialistes de l’Hôpital universitaire de Bâle, auquel beaucoup de patientes et patients turcs s’adressent, ont constaté que pendant la consultation médicale, il leur faut souvent surmonter deux « fossés culturels » : celui qui sépare les malades turcs de leurs médecins, et celui qui sé-pare les interprètes turcs, qui appartiennent généralement aux couches sociales supérieures, des patientes et patients fréquemment issus de milieux plus modestes. Dans ces cas, des traductions plus libres peuvent se terminer en échec, et les conditions d’une médiation culturelle ne sont pas remplies car les interprètes et patients n’ont guère de terrain d’entente. Le fait de renoncer aux tentatives de médiation peut alors être un soulagement : « lorsque des interprètes croient devoir ‹ offrir une médiation › entre un homme malpoli et une psychologue à protéger, ils assu-ment une responsabilité plus grande que celle qui leur incombe et deviennent par ailleurs un faux ‹ copain › du pa-tient. S’ils peuvent indiquer qu’ils effectuent une traduction strictement littérale et, donc que tout est traduit mot à mot, ils se définissent de ce fait comme un membre de l’équipe thérapeutique tout en offrant à leurs compatriotes l’occa-sion de faire l’effort de s’exprimer d’une autre manière » (Sleptsova 2007 : 578, notre traduction).

5.2 Traduction communautaire, médiation culturelle et conciliationDans la pratique, notamment à la lecture des études de cas, il n’est pas toujours facile de déterminer quand des traducteurs, au cours de leur engagement en tant qu’in-terprètes communautaires, ont dépassé cette fonction

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pour faire déjà office de médiateurs culturels. Il n’existe manifestement pas de limites clairement établies entre la traduction, la médiation et la conciliation, de sorte que les trois formes « se présentent dans bien des cas comme des formes mitigées » (Bischoff et Dahinden 2008 : 3, notre traduction). Grâce à INTERPRET, la terminologie spécialisée pourrait au moins être mieux délimitée à l’avenir, puisque l’Association pour l’interprétariat communautaire et la mé-diation culturelle a élaboré une série de définitions.

Dans le cadre de la recherche, l’interprétariat communau-taire semble jouir d’une plus grande considération que la traduction littérale. Dans les études, il est mentionné que la tradition de l’interprétariat communautaire remonte à des époques différentes selon le pays analysé : ainsi, des pays d’Europe méridionale, tels que l’Italie et la France, misent davantage sur la médiation culturelle que sur la traduction « pure » (Bischoff et Dahinden 2008 : 4, ainsi que Leanza 2008 : 214).

Diverses études qualitatives attestent de l’importance que revêt l’interprétariat communautaire pour le succès de la thérapie. En effet, même lorsque la communication réussit en bonne partie sur le plan linguistique, cela ne signifie pas pour autant qu’il y ait compréhension à proprement parler. Les professionnels de la santé se trouvent notamment confrontés à un problème fondamental, à savoir que la per-ception de ce qu’est la santé et un « comportement sain » dépend pour beaucoup de représentations socioculturelles. Ainsi, dans une clinique orthopédique, les employés ont dû constater que leurs conceptions d’une réhabilitation fondée sur l’entraînement et le renforcement musculaire butaient contre les craintes de nombreux migrants et migrantes, qui estimaient qu’il était préférable de renoncer à tout effort en cas de douleur et de se ménager : « bon nombre des [...] migrants traités ne [comprennent] souvent pas qu’ils doivent développer leur musculature et entraîner leur force pour éviter des maladies à l’avenir. La douleur est plutôt interprétée comme un danger, de sorte que les patients finissent par limiter leur mobilité » (Kamm et Kaya 2008 : 144, notre traduction).

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Des entretiens de consultation enregistrés montrent à quel point l’interprétariat communautaire et la médiation culturelle sont proches : les interprètes font souvent office de médiateurs également dans l’interaction directe entre le médecin et la patiente ou le patient ; ils nuancent leurs manifestations de mauvaise humeur, neutralisent leurs réactions émotionnelles (Bischoff 2007 : 21), expliquent et paraphrasent les termes techniques (Weiss et Stuker 1999 : 260). On ne trouve nulle part d’affirmations attestées sur le plan empirique concernant l’effet de la médiation culturelle ; s’y ajoute le fait que dans les travaux de recherche eux-mêmes, les catégories se recoupent, et les termes « tra-duction » et « médiation » sont souvent utilisés presque comme des synonymes (p. ex., dans Bischoff et Dahinden 2008 : 11 ss, notre traduction). L’analyse scientifique reflète ainsi qu’ « une séparation claire entre l’interprétariat et la médiation culturelle [...] n’est pas possible dans la pratique et n’est d’ailleurs pas souhaitable » (Bischoff 2007 : 22, notre traduction). C’est toutefois en contradiction avec les profils professionnels définis par INTERPRET : la média-tion culturelle, selon INTERPRET, est « une activité plutôt sociale, publique et pédagogique [...] dans laquelle les personnes ayant ‹ autorité › (de par le statut personnel ou social) sont à leur place ». Au contraire, pour l’interprétariat communautaire, une personnalité sûre d’elle est certes requise, mais elle doit « complètement faire abstraction de sa personne dans la situation de traduction » (Hagenow- Caprez 2008 : 57, notre traduction).

Des études empiriques menées à l’étranger sont souvent citées pour décrire l’étendue et la fréquence de la média-tion culturelle, et les études qualitatives sont plus nom-breuses que les études quantitatives. Cela pourrait être dû au fait que la médiation culturelle n’est pas (encore) un instrument courant. C’est en tous cas ce qui ressort des résultats de l’(unique) enquête quantitative menée sur le sujet : tandis que différentes institutions sociales travaillent depuis dix ans déjà en moyenne avec des interprètes, les médiateurs culturels ne sont utilisés que depuis quatre ans en moyenne. Contrairement à la traduction, qui s’inscrit « très clairement dans la routine de la communication in-

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terculturelle », la médiation culturelle fait figure d’exception (Bischoff et Dahinden 2008 : 10, notre traduction).

La conciliation culturelle (aussi appelée « médiation ») est encore plus rarement évoquée dans la recherche que la médiation culturelle. Contrairement à la médiation cultu-relle, qui informe deux parties présentant un arrière-plan socioculturel différent des « règles distinctes du système politique ou social, ainsi que des différences dans les usages » (Bischoff et Dahinden 2008 : 4) et dissipe les incertitudes, la conciliation intervient lorsque des tensions naissent ou qu’une dispute éclate. Une caractéristique de la conciliatrice ou du conciliateur est que cette personne s’engage envers les deux parties dans une même mesure à rester neutre et impartial.

La conciliation tient notamment compte du fait que « les membres de cultures différentes ont un comportement distinct en cas de conflit » (ibid., notre traduction). Deux tâches de conciliation se superposent ainsi d’entrée de jeu, celle entre deux systèmes linguistiques et de valeurs, et celle entre deux parties en conflit (Bischoff 2005b : 115). Dans la pratique, il s’avère toutefois qu’il n’est pas possible d’établir de distinction claire entre la traduction, la média-tion et la conciliation : « la boucle est bouclée lorsque les interprètes font également office de conciliateurs ou que ces derniers font office d’interprètes » (ibid., notre traduc-tion).

En Suisse, la médiation culturelle est un thème récent ; la conciliation, elle, est encore loin d’être thématisée. C’est la conclusion à tirer du nombre relativement restreint de travaux de recherche, lesquels sont par ailleurs récents. Des enquêtes empiriques confirment que les établisse-ments de santé en Suisse n’ont que rarement recours expressément à des médiatrices ou médiateurs ; lors d’une enquête, entre 78 et 80 % d’entre eux (à Bâle et à Genève) ont affirmé ne jamais demander de conciliation (Bischoff, Kurth et Conca-Zeller 2008 : 152). À l’échelle internationale aussi, « la recherche en matière de conciliation [...] en est (encore) à ses balbutiements » (Bischoff et Dahinden 2008 :

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5, notre traduction). Certes, des analyses scientifiques, en particulier aux États-Unis, ont été menées sur la médiation en général ; toutefois, la perspective interculturelle a été largement omise 5.3 Rôle d’avocat du patient Le rôle d’avocat du patient est certes mentionné dans les ouvrages consultés. Cependant, le plus souvent, il est abordé en passant, et ne donne lieu à aucune évaluation systématique, par exemple, sur la fréquence de son utilisa-tion ou ses effets.

Ce rôle se caractérise par le fait que les interprètes renfor-cent l’argumentation des patientes et patients et les sou-tiennent également en-dehors de la clinique ou du cabinet, notamment en les accompagnant lors d’achats ou dans leurs démarches auprès des autorités (Weiss et Stuker 1998 : 48) ou en étant contactés chez eux par les patientes et les patients afin de les assister en cas de difficultés per-sonnelles (Loutan, Farinelli et Pampallona 1999 : 281). Par conséquent, le rôle d’avocat du patient se caractérise par le fait que les interprètes assument sciemment plusieurs rôles (cf. chap. 6.6.).

Le rôle de défense du patient ne devrait cependant pas être considéré comme adapté à notre époque et souhaitable par l’ensemble des spécialistes puisqu’il part de l’hypothèse tacite que les migrantes et migrants sont désemparés et doivent « en tant que groupe défavorisé dans le système de santé, être activement soutenus » (Weiss et Stuker 1999 : 258, notre traduction). Des résultats empiriques obtenus à l’étranger attestent en outre que la défense des patients comprend souvent des caractéristiques implicites, de sorte que l’entretien perd sa transparence pour les autres participants : les interprètes assument le rôle d’avo-cat en développant leurs propres stratégies de traduction, afin de compenser le déséquilibre social et politique entre le médecin et le malade et d’affermir la position de ce der-nier. « Les interprètes offrent à leurs patientes et patients un complément d’information fondamental, qui ne fait pas explicitement partie du discours et n’est donc pas traduit. À l’insu des patients et des médecins, leurs propos sont

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modifiés par les interprètes, qui les relient à des conte-nus politiques ou sociocritiques » (Weiss et Stuker 1998 : 48, notre traduction). De l’avis de nombreux spécialistes suisses, il s’ensuit une forme de traduction à proscrire, car elle ouvre la voie aux malentendus. Dans d’autres pays, en revanche, et les ouvrages mentionnent en particulier le Canada, la fonction d’ « avocat » occupe une place centrale dans la consultation médicale (Singy et Guex 2005 : 45, notre traduction).

5.4 Co-thérapieÀ l’instar de la fonction d’avocat du patient, la fonction de co-thérapeute est certes mentionnée dans la théorie, mais elle n’est pas mise en lumière sur le plan empirique - du moins pas en Suisse. D’un point de vue conceptuel, la co-thérapie repose sur la thérapie conjugale ou la familiale systémique (Weiss et Stuker 1998 : 49) et, dans l’idéal, deux thérapeutes formés doivent y participer (Weiss et Stuker 1999 : 258). Des considérations qui précèdent, il ressort implicitement que dans l’idéal un des profession-nels devrait être issu du pays d’origine de la patiente ou du patient, ou du moins être familiarisé avec son environne-ment socioculturel.

Les considérations théoriques soulignent les attentes élevées envers la co-thérapie (et, donc, envers les spécia-listes impliqués). Dans la pratique, toutefois, cette rigueur conceptuelle est rapidement perdue de vue. Différents auteurs reconnaissent déjà une « co-thérapie » dans des situations d’entretien de longue durée ou répétitives avec les mêmes interprètes (Weiss et Stuker 1998 : 49), tandis que d’autres emploient le terme pour désigner une traduc-tion empreinte de compassion : les interprètes abordent les patientes et patients avec empathie et les affermissent, par exemple, en faisant le lien avec leurs propres expériences et en leur proposant celles-ci comme alternative à leur vis-à-vis : « [...] cela signifie donner droit de cité au « je » de l’interprète, à l’autonomie et au droit d’expression de sa pensée. Ceci est particulièrement utile lorsque l’expérience de la migration de l’interprète peut servir de proposition de solution alternative pour le patient ou les parents d’élèves » (Métraux 1995 : 25).

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L’utilisation très variée du terme co-thérapie peut être considérée comme une confirmation du fait que d’une manière générale, « la réflexion sur le sujet est insuffisante » (Weiss et Stuker 1998 : 49, notre traduction). Dans le même temps, les contours flous de sa définition attestent de la difficulté qui survient lorsqu’on ne peut pas délimiter claire-ment les différents rôles.

5.5 Servir plusieurs maîtres : chances liées aux perspectives multiples et conflits dus à la diversité des rôles Les enquêtes qualitatives adoptant une approche narrative, en particulier, montrent clairement les difficultés, mais aussi les potentiels, qui se présentent lorsqu’un profession-nel, à savoir la traductrice ou le traducteur, assume plu-sieurs tâches. Les interprètes ne remplissent généralement plus d’un rôle que dans le cas de patients réguliers qui consultent périodiquement depuis un certain temps. Il se peut alors que les interprètes commencent aussi à jouer un rôle de médiateurs, qu’ils traduisent une lettre pour la pa-tiente ou le patient ou l’accompagnent dans des démarches administratives.

À mesure que la distinction entre sphères professionnelle et privée s’estompe, les interprètes courent le risque d’être accaparés personnellement. Lorsque des interprètes ne sont pas du même sexe que les clientes ou clients, le risque est particulièrement élevé que les participants se retrouvent dans de pénibles conflits. Ainsi, dans le cadre d’une entrevue narrative, une traductrice souligne qu’elle s’est laissé convaincre exclusivement par des femmes d’apporter son aide au-delà de l’interprétariat professionnel. Mais même dans ces cas-là, elle lutte contre une résistance intérieure : « Je ne le fais pas volontiers. Je sacrifie de mon temps pour cela et je dois écouter toute l’histoire en chemin, puis au moment de prendre congé je dois encore assister au versement de quelques larmes. Cela me prend une énergie considérable » (Bischoff 2007 : 22). Cette tâche requiert « une personnalité solide » (ibid., notre traduc-tion) et aussi une certaine aptitude à gérer les conflits, car lorsque l’activité professionnelle gagne la sphère privée,

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des tensions peuvent apparaître au sein de la famille. Il faut en outre considérer le fait que les interprètes se trouvent souvent eux-mêmes en plein processus d’intégration et qu’ils sont déstabilisés davantage dans leur position déjà précaire s’ils n’arrivent pas à poser leurs limites face à des clientes et clients exigeants (Weiss et Stuker 1998 : 52).

Ce qui pour l’interprète est une entreprise périlleuse peut s’avérer très utile pour son interlocuteur. Lorsqu’ils font part de leurs propres expériences, les interprètes permet-tent ainsi aux patientes et patients, dans certaines circons-tances, de voir leur propre situation sous un angle nouveau. L’expérience migratoire des interprètes devient une res-source pour faire le lien entre les deux mondes que sont le pays d’origine et le pays d’accueil. Pour parvenir à accom-plir cette mission, la personne chargée de la médiation doit toutefois surmonter, dans certaines circonstances, un triple écueil : elle doit, le cas échéant, gérer les tensions sous-jacentes à l’égard d’un interlocuteur du sexe opposé, elle doit se démarquer des attentes de ses compatriotes et doit également être en mesure, même si elle a une longueur d’avance en matière de formation et d’information, de se mettre à leur place (Bischoff 2007 : 22). Des entretiens de consultation enregistrés montrent également qu’au vu des attentes élevées et multiples, elle est souvent contrainte à choisir le moindre mal : la personne qui, en traduisant, se solidarise avec la patiente ou le patient et qui désamorce une situation embarrassante par une traduction imprécise, cache au médecin des informations qui, selon les cas, peu-vent être importantes (Weiss et Stuker 1999 : 260).

5.6 Conclusion : une séparation claire entre les rôles n’est souvent ni faisable, ni pertinenteEn Suisse, la recherche s’est jusqu’à présent principa-lement intéressée aux services de communication déjà établis depuis plusieurs années : les traductions et leurs ré-percussions ont été examinées sous diverses perspectives tant quantitatives que qualitatives. La médiation culturelle a été beaucoup moins étudiée, et il n’existe pratiquement aucune donnée au sujet de la conciliation.

Un examen méthodique et minutieux des diverses fa-

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cettes de l’interprétariat et de la médiation culturelle est compliqué par le fait que les frontières entre ces formes ne peuvent pas être définies de manière précise, voire par le fait que le mélange des rôles est même expressément demandé : ainsi, de l’avis de Gehri et al. (1999 : 268), les in-terprètes qui font office de médiateurs culturels assument dans l’idéal « le rôle du traducteur, d’avocat du patient et de co-thérapeute dans une relation à trois ». Des ouvrages plus récents confirment qu’une « séparation nette entre l’interprétariat et la médiation culturelle n’est pas possible dans la pratique, et n’est pas non plus souhaitable » (Bi-schoff 2007 : 22, notre traduction). À l’opposé de ce point de vue, on trouve une conclusion qui peut être lue comme un plaidoyer en faveur d’une délimitation plus claire. Selon cette conclusion, dans un contexte psychiatrique ou psychosomatique, une traduction littérale est souhaitable parce que les spécialistes des langues sont « dépassés par les ensembles de signification au cours de la situation de trialogue [...], car ils ne disposent pas d’une formation appropriée en psychologie, ethnologie et médecine ». En revanche, dans un « contexte somatique, [...] une médiation culturelle, qui va au-delà de la traduction mot à mot, est souhaitable dans bien des cas » (Gehrig et Graf 2009 : 17, notre traduction).

Lorsque des traducteurs adoptent une diversité étendue de rôles en allant à la rencontre de leur compatriote avec un esprit solidaire, cela implique en tous cas que la traduc-trice ou le traducteur entretienne « une relation «saine» avec son propre vécu » (Weiss et Stuker 1998 : 52, notre traduction). Des supervisions, des entretiens préalables ou ultérieurs, ainsi que des cycles de formation qualifiée seraient utiles pour détecter, analyser et mieux gérer les conflits liés à la diversité des rôles (ibid.).

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6 Besoins spécifiques de groupes de patients particuliers, exigences particulières envers des établisse ments spécifiques

Les immigrants n’ont pas tous besoin du même sou-tien lors des consultations médicales. Par ailleurs, les exigences auxquelles la traduction doit répondre varient en fonction des clients et clients suivis dans une clinique ou un cabinet.

Aucune des études analysées ne se concentre sur les divergences des besoins soumis aux services de traduction en fonction du pays de provenance des personnes. Des travaux adoptant une approche quantitative, en particulier, permettent toutefois de tirer des conclusions en la matière.

6.1 Divergences selon les groupes de languesUne des études les plus anciennes de Suisse sur la traduction dans le domaine de la santé fournit des indications sur les langues pour lesquelles on a le plus souvent fait appel à des interprètes. Arrivent en tête l’albanais, le serbo-croate, le turc, le tamoul et le kurde. Ces langues sont parlées dans des pays d’où les personnes n’ont commencé à immigrer ou à trouver refuge en Suisse que récemment (Bischoff et al. 1999a : 252 et, sur la base des mêmes données, Bischoff 2006a : 33). Fritschi et al. (2009 : 22), dans leur étude, placent également l’albanais en première position des interventions faites par des interprètes ; il est suivi du turc et du bosniaque/croate/serbe. Néanmoins, la clientèle varie dans sa composition linguistique selon les cliniques considérées : à l’Hôpital de l’Enfance de Lausanne, par exemple, les traductions vers le portugais sont plus fréquentes que celles vers l’albanais, d’après les travaux de Gehri et al. (1999).

Dans une étude menée à Genève, des spécialistes estiment que lors des consultations avec des migrantes et migrants d’Afrique et d’Amérique latine, la qualité de la communica-tion est bonne ; par contre, lors entretiens avec des migrants venus du Moyen-Orient et d’Extrême-Orient, des États des Balkans et d’Europe de l’Est, ainsi que de la Fédération de Russie, la qualité de la communication laisse à désirer (Bis-choff et al. 2003 : 505 ss). Les auteurs de l’étude se bornent à attester de ces différences sur le plan statistique ; dans le dé-

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bat, ils renoncent à rechercher les motifs de ces divergences et se concentrent dans ce domaine sur les conséquences d’une compréhension linguistique lacunaire sur l’anamnèse.

À l’instar d’une l’étude plus ancienne couvrant toute la Suisse, qui date de 1999, une étude de dix ans plus récente et une analyse axée sur un hôpital genevois confirment que les patients parlant l’albanais, le tamoul ou le turc continuent à occuper une « position particulière ». Dans ces communautés linguistiques, les membres de la famille et les amis sont en effet plus souvent sollicités pour la traduction (Bischoff et Hudelson, 2009 : 3). Cette conclusion n’est pas commentée expressément dans l’étude elle-même, mais elle procède de la constatation que seul un petit nombre d’employés parle ces langues (ibid. : 4) et qu’il s’agit, par conséquent, de commu-nautés linguistiques qui ne sont pas encore véritablement intégrées en Suisse.

Aucune des études évaluées ne s’est fixée pour objectif prin-cipal de décrire dans quelle mesure diverses communautés linguistiques se distinguent dans leurs besoins en matière de services de traduction. Rien d’étonnant, toutefois, à ce que les conditions de l’ « exil », telles que la taille d’un groupe linguistique déterminé, la durée de son séjour dans le pays d’immigration et sa connaissance des institutions et cou-tumes du pays, influencent également les exigences qu’ont les migrantes et migrants concernant le soutien en matière de communication.

6.2 Accompagnement médical en pédiatrieLes examens préventifs dans un cabinet de pédiatrie diffèrent des consultations médicales « habituelles ». En effet, les bébés ne sont généralement pas malades. Ces contrôles de routine peuvent, au même titre que d’autres mesures de dépistage, être considérés comme l’expression d’une « culture biomédicale » (voir chapitre 2.2.) enracinée dans les pays industriels occidentaux, mais qui est a priori assez peu familière pour de nombreuses autres sociétés (Leanza 2001 : 2 ; également abordée sous la notion de « société du tout sanitaire » par Rossi 1999 : 289).

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6 Besoins spécifiques de groupes de patients particuliers, exigences particulières envers des établissements spécifiques

Dans le cadre d’une étude menée dans une clinique de pédiatrie de Suisse romande fréquentée principalement par des migrantes et migrants, une cinquantaine de consultations avec des parents parlant l’albanais et le tamoul (vraisembla-blement en majorité des mères) et leurs bébés a été filmée et observée ; l’auteur a complété ce matériel empirique par des entretiens qu’il a menés avec les pédiatres traitants.

Dans l’optique des parents, l’absence de continuité dans le suivi semble poser problème : dans le cours d’une même consultation, le personnel soignant et les médecins se succè-dent, ce qui provoque des coupures dans la communication (Leanza 2001 : 5). Pour les personnes qui ne sont pas familiari-sées avec la « culture biomédicale » (voir chapitre 2.2), il peut en outre être difficile de comprendre qu’un bébé puisse être en bonne santé, mais avoir néanmoins besoin d’un traitement (un vaccin, par exemple) ; dans un tel cas, la médiation cultu-relle est indispensable.

6.3 Patientes et patients de langue étrangère dans les établissements pénitentiairesLes prisons suisses font face à des défis particuliers sur le plan médical. La proportion de détenus de langue étrangère avoisine les 70 %, et ces derniers sont sensiblement plus affectés par diverses maladies transmissibles, telles que le sida ou les hépatites B et C, que la moyenne de la population suisse (Künzli et Achermann 2009 : 10. Les chapitres 8.1 et 8.2 traitent de la situation juridique en général).

Certes, la Constitution fédérale prévoit uniquement que les autorités suisses doivent s’adresser à la population dans l’une des quatre langues nationales et la liberté de la langue individuelle garantit seulement que les personnes de langue étrangère peuvent s’entretenir dans leur langue maternelle dans la sphère privée. Néanmoins, dans le domaine de la santé, les exigences en matière de communication revêtent un caractère particulier. Il en découle l’obligation de proposer des services de traduction aux personnes incarcérées.

Dans une optique juridique, une traduction pour les détenus malades est requise pour plusieurs raisons. Deux arguments

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sont particulièrement pertinents : d’une part, le principe d’équivalence, qui veut que les détenus aient fondamen-talement droit à des prestations médicales similaires et de qualité équivalente que les personnes évoluant en dehors des murs de l’établissement (ibid. : 18). D’autre part, le devoir d’information, qui garantit que les gestes médicaux ne peuvent être entrepris, chez les détenus aussi, qu’avec le consentement de la personne concernée, celle-ci devant comprendre pleinement la nature de l’intervention et ses conséquences possibles (consentement éclairé ou « infor-med consent » ; ibid. : 24). Même lorsque des détenus de langue étrangère demandent expressément à ne pas être informés de leur état de santé, il faut néanmoins « en lien avec cette exigence de déclaration expresse de la volonté requise [...] impérativement une prestation de traduction suf-fisante, puisque c’est le seul moyen de garantir valablement que la personne renonce à être informée et, partant, que l’absence de consentement peut être admise comme étant juridiquement valable » (ibid. : 14, notre traduction).

Étant donné que les détenus se trouvent dans une situa-tion de contrainte et ne peuvent pour la plupart pas choisir librement leur médecin, on ne saurait exiger de leur part qu’ils cherchent des interprètes par leurs propres moyens (ibid. : 17). L’implication de codétenus ou de membres du personnel du service pénitentiaire en tant qu’interprètes est exclue en raison de la perte de confidentialité, d’autant que « l’invocation du secret médical dans des établissements de détention peut conduire à des tensions entre le personnel de santé et les agents de sécurité » (ibid. : 29, notre traduction).

La réalité sur le terrain ne se recoupe que partiellement avec les conditions juridiquement souhaitables. Les cantons appli-quent les directives de la Confédération dans leurs propres législations, aussi bien en ce qui concerne le rapport aux langues officielles que pour l’obligation d’admission et de traitement de leurs hôpitaux. Le suivi médical en milieu car-céral est également régi différemment d’un canton à l’autre : certains établissements concluent des contrats spécifiques avec des médecins pratiquant dans le privé, d’autres ont recours aux prestations médicales proposées dans les hôpi-

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6 Besoins spécifiques de groupes de patients particuliers, exigences particulières envers des établissements spécifiques

taux cantonaux, d’autres encore disposent d’un service mé-dical au sein même de l’institution (ibid. : 41 ss). Le moment et les délais pour l’examen des détenus varient d’un canton à l’autre et sont également réglementés différemment dans chaque établissement, même si la Convention européenne contre la torture définit des standards communs. Pour les spécialistes du droit, il est évident, au vu de ce qui précède, qu’il existe un « besoin marqué d’harmonisation et de nor-malisation dans ce domaine central pour la prévention des maladies infectieuses » (ibid. : 35, notre traduction).

6.4 Conclusion : à situations de soins variées, exigences diversesDans les études consultées, les cliniques « classiques » figurent au premier plan. Or, des soins sont également don-nés en dehors des hôpitaux. Une seule étude analyse com-ment sont gérés les soins à domicile pour des patientes et patients de langue étrangère et constate en passant que la traduction est souvent assurée par des membres de la famille de la cliente ou du client. Les employés des ser-vices d’aide et de soins à domicile n’ont guère recours à des interprètes professionnels, « parce qu’ils craignent que les clients ne perçoivent l’implication d’un interprète lors de soins à domicile comme une intrusion dans la sphère privée » (Bischoff, Kurth et Conca-Zeller 2008 : 154, notre traduction). Les services sociaux aussi font rarement appel à des in-terprètes. Bischoff et al. estiment que la raison est l’accès non formalisé au service d’interprétariat officiel (ibid.).

Les ouvrages consultés indiquent également que les be-soins dans les établissements de soins aigus diffèrent sen-siblement de ceux des cliniques psychiatriques. Tandis que, dans une clinique psychiatrique, 37 % des entretiens ont été traduits par des interprètes communautaires formés, dans l’hôpital de soins intensifs, il était majoritairement fait appel à des interprètes de fortune, et dans 9 % des cas seulement, à des interprètes communautaires. En guise d’explication, l’hypothèse est émise que lors d’entretiens complexes, les exigences envers la traduction sont trop élevées pour être remplies par des interprètes de fortune (Bischoff, Steinauer et Kurth 2006 : 37).

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7 Importance psychologique de la langue

La langue constitue un lien entre les êtres humains et est utilisée à cette fin sur le plan communautaire. Ce-pendant, le langage est aussi une affaire personnelle, car le mode d’expression et le choix des mots en dit long sur l’individu. Le cours de la discussion permet aussi de tirer des conclusions sur le statut et la posi-tion de ceux qui y prennent part.

Lorsqu’une conversation doit surmonter des fossés linguis-tiques et culturels, la transposition littérale des contenus ne suffit souvent pas. Dans le délicat domaine de la médecine, où des thèmes sensibles et souvent tabous au sein de la société sont abordés, tels que la sexualité ou des maladies stigmatisées, les interprètes doivent se laisser guider par leur sens des conventions pour choisir les mots et tenir compte des différences socioculturelles dans leur style de communication. Lors de consultations psychologiques, en particulier, il est essentiel de choisir les termes adéquats et d’adopter un style de communication approprié (Joss 2008 : 321). En effet, la consultation en tant que telle constitue une composante importante du traitement médical (Singy et Guex 2005 : 45).

7.1 Langage au féminin, langage au masculinLes différences entre les femmes et les hommes dans le comportement de communication ont abondamment été démontrées par différents sociolinguistes, en particulier dans le domaine de l’activité professionnelle, notamment par Deborah Tannen (1994/2001). Dans la routine hospita-lière, de nombreuses soignantes se trouvent confrontées au fait qu’elles ne sont pas acceptées et prises au sérieux par certains patients de sexe masculin (Bachl 2002 : 23). D’où l’hypothèse selon laquelle, d’une part, les consulta-tions médicales se déroulent de façon particulièrement satisfaisante pour toutes les personnes concernées lorsque le médecin et le malade sont du même sexe et, d’autre part, le sexe de l’interprète pourrait influer sur le degré de satisfaction des participants.

Diverses théories démontrent pourquoi les femmes et les hommes emploient un langage différent. Le modèle déficitaire (« Defizit-Modell ») postule que les femmes ac-

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quièrent une langue hésitante, moins à même de s’imposer que les hommes. Le modèle de domination (« Dominan-zmodell ») attribue aux femmes une position inférieure dans la société, qui les contraint à une habile négociation pour atteindre leurs objectifs ; contrairement aux hommes, les femmes formulent davantage de questions ouvertes et interrompent moins souvent leur interlocuteur. Elles essaient ainsi de se faire entendre en dépit de leur manque d’influence. Un troisième modèle, celui de la « différence culturelle », souligne que les jeunes filles et les garçons, dès l’enfance et l’adolescence, apprennent un langage sexospécifique (Weber et al. 2005 : 138). Le fait que dans la pratique, ce soit majoritairement des femmes qui assu-ment le rôle d’interprète (Bischoff 2007 : 21 ; Bischoff et al. 2008b : 3) pourrait être dû à des motifs professionnels, par exemple, la possibilité de concilier une activité rémunérée avec le rôle de mère de famille.

Dans ce contexte, il est naturel de se demander quelle importance revêt le fait que les médecins, les interprètes et les malades soient du même sexe ; dans le quotidien d’un médecin de famille, en tous cas, il s’avère notamment que « la combinaison entre un médecin homme et une interprète conduit à une constellation qui semble avoir des effets très favorables sur le climat de l’entretien » (Flu-bacher 1994 : 21, notre traduction). Ce point de vue n’est pas nécessairement confirmé par les résultats des autres enquêtes. Une étude menée auprès de cinq cliniques lausannoises présentant une forte proportion de patientes et patients étrangers cherche systématiquement à savoir quelle importance revêt la « concordance des sexes » pour les participants à l’entretien (Weber et al., 2005, notre traduction). Dans ce but, on a interrogé des interprètes communautaires et des médiatrices et médiateurs culturels présentant une expérience professionnelle plus ou moins longue, ainsi que des patientes et patients dont l’entretien s’était déroulé, pour les uns, sans et, pour les autres, avec le concours d’interprètes communautaires. Les auteurs ont d’abord remarqué qu’aucun des groupes interrogés n’a relevé les différences lexicales et grammaticales dans les langues qui désignent souvent les sexes d’une manière spécifique et exclusive : « le discours qu’ils développent

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ne contient aucun signe perceptible d’une réflexion sur le rôle potentiellement discriminatoire des langages et de leur usage », en concluent Weber et al. (2005 : 141, notre traduction). Les structures des langues elles-mêmes souli-gnent, dans certains cas, les différences de hiérarchie entre les hommes et les femmes et ne sont pas sans influencer la façon dont sont compris les propos tenus par un inter-prète de sexe masculin ou féminin : « on peut raisonnable-ment estimer que les femmes et les hommes qui travaillent comme interprètes dans la sphère médicale ne peuvent pas échapper au phénomène de hiérarchisation liée au genre » (ibid. : 147, notre traduction). Parmi les structures linguis-tiques qui accentuent les éventuelles différences entre les sexes figure le style de communication propre aux femmes ou aux hommes, qui s’exprime notamment par le fait que les femmes posent davantage de questions ouvertes que les hommes. En dépit de ces considérations théoriques, les patientes et patients qui ont effectué la consultation médicale sans l’aide d’un interprète communautaire s’ac-cordaient à dire que le sexe de leur interlocuteur médical ne jouait aucun rôle. Au contraire, lorsque l’entretien avait été traduit, les personnes trouvaient majoritairement qu’il était plus facile pour des femmes de s’entretenir avec une femme médecin et/ou une interprète ; les malades qui avaient bénéficié d’une traduction ont par la suite fait preuve d’une plus grande sensibilité à l’égard des difficultés qui peuvent survenir dans la communication entre des per-sonnes de sexe opposé. Chez les interprètes communau-taires, par contre, les moins expérimentés craignent que l’entretien soit plus difficile lorsque des femmes doivent communiquer avec des hommes. Les interprètes commu-nautaires plus chevronnés, quant à eux, que le genre de la personne joue un rôle négligeable dans la communication.

Celles et ceux qui pensent que le genre de l’interlocuteur a des répercussions sur la qualité de l’entretien soulèvent en particulier deux thématiques. D’une part, il existe entre les femmes un « lien particulier » qui facilite l’échange entre les immigrantes et les femmes médecins ou les soignantes. Par rapport au personnel médical de sexe masculin, une femme médecin est par exemple davantage familiarisée avec les différents aspects de l’accouchement

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et de la puériculture et peut donc mieux comprendre les migrantes. D’autre part, il existe des tabous qui ne peuvent guère être abordés entre personnes de sexe opposé. Par exemple, une interprète explique qu’il lui est difficile, dans le cadre de la prévention du sida, de parler avec de jeunes hommes de rapports sexuels protégés parce qu’elle voit que les patients sont choqués d’entendre des conseils de ce genre de la bouche d’une femme (ibid. : 145). Les au-teurs en concluent qu’entre interlocuteurs de sexe opposé, il est particulièrement délicat d’aborder des thèmes comme la sexualité en général, mais aussi le sida, le viol ou la vio-lence conjugale. Pour terminer, les auteurs s’étonnent de ce que les interprètes eux-mêmes, malgré leur expérience de la communication et du langage, ne prêtent pas plus d’attention aux différences sexospécifiques dans la lan-gue. Ils attribuent ce manque de vigilance au fait que pour les interprètes, l’acceptation générale de leur activité est primordiale et n’est pas du tout assurée puisque certains médecins continuent à presque « glorifier » la rencontre directe sans interprète, y compris avec les patientes et patients allophones (ibid. : 146).

Tandis que Weber et al. ont directement demandé aux malades et aux interprètes quelle importance ils accordent aux différences sexospécifiques lors de la consultation médicale, Bischoff, Hudelson et Bovier (2008) ont ana-lysé indirectement les répercussions du genre. Dans une clinique des Hôpitaux universitaires de Genève qui recense plus de 50 % de patientes et patients étrangers, dont plus de 25 % de langue étrangère, ils ont cherché à savoir si la qualité des entretiens avec les patients est évaluée différemment selon que la consultation se déroule entre personnes du même sexe ou de sexe opposé. Ils ont par ailleurs pris en considération la présence ou l’absence d’interprète lors de l’entretien. Les meilleures notes lors de l’évaluation ont été accordées aux entretiens menés avec le concours d’interprètes et ce, que le médecin et le malade soient ou non du même genre. Les pires notes ont été attribuées aux entretiens qui réunissaient un médecin et un malade de sexe opposé et qui, de plus, se déroulaient sans interprète. De l’avis des auteurs, l’interprétation peut ainsi contribuer à atténuer les difficultés pouvant survenir lorsque le malade

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et le médecin ne sont pas du même genre. Les interprètes pourraient, dans ces situations, également faire office de médiateurs entre des « cultures linguistiques » différentes puisque sexospécifiques (ibid. : 4).

7.2 Du dialogue au trialogue : quand l’équilibre de l’entretien se déplaceNul ne conteste que le rapport de force lors de l’entretien entre un médecin et une patiente ou un patient est modifié lorsqu’il est fait appel à une tierce personne pour l’inter-prétation. Les avis divergent, toutefois, quant à savoir si ce glissement dans l’équilibre de la communication doit être considéré comme positif ou négatif.

D’un côté, des voix, ‘un médecin de famille par exemple, s’élèvent pour saluer une certaine « domination automa-tique », sur le plan linguistique, chez son interprète parce qu’elle « donne naissance à une situation où le patient étranger n’est pas a priori livré au seul bon vouloir de son médecin » (Flubacher 1994 : 21, notre traduction). Ce mé-decin est d’avis que la discussion à trois correspond davan-tage à une perception traditionnelle du rapport à la maladie, dans lequel sont notamment impliqués la famille et des amis. À l’opposé, le dialogue exclusif entre le médecin et le malade exprime une orientation individualiste, qui est peu compréhensible pour les sociétés non occidentales.

De l’autre, certains médecins n’arrivent pas à gérer sans autre la perte de leur position de supériorité. Il peut parfois s’avérer difficile pour eux de reprendre les rênes de la conversation en situation de trialogue, en particulier lorsque les interprètes font preuve d’initiative et commencent déjà, par exemple, à s’entretenir avec la patiente ou le patient dans la salle d’attente, avant la consultation à proprement parler (Bischoff, Kurth et Schuster 2008 : 171). Nombreux sont ceux, dans le corps médical, qui craignent également la « complicité culturelle » (Longerich 2002, notre traduc-tion), autrement dit l’alliance qui se noue entre l’interprète et le malade (Bischoff, Kurth, Conca-Zeller 2008 : 153). Reste que cette dernière, d’un point de vue médical, n’est pas nécessairement préjudiciable : Longerich cite l’exemple d’une mère marocaine dont l’enfant présente une forte

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surcharge pondérale, qui n’ose pas révéler les habitudes alimentaires de ce dernier à l’infirmière ; dans son optique, le grand appétit de son fils est un signe de bonne santé. C’est seulement avec le concours de l’interprète, à laquelle la mère ose se confier, que l’infirmière apprend que le surpoids n’est pas dû à un trouble du métabolisme, mais aux quantités de nourriture ingérées. Les médecins sont d’avis qu’on ne peut pas dénier le potentiel de subversion des interprètes (Leanza 2008 : 214) ; dans le pire des cas, ils perçoivent leur perte de contrôle sur la consultation comme si, dans la perspective de la patiente ou du patient, leur savoir médical avait été transféré à l’interprète et si ce-lui-ci établissait le diagnostic et préconisait les traitements à suivre. Des mesures peuvent être prises à différents niveaux pour prévenir la perte de pouvoir du médecin : des formations certifiées à l’intention des interprètes permet-traient notamment de les sensibiliser aux dangers liés à cette influence et de leur enseigner comment gérer leur pouvoir de manière responsable. Le rapport que les inter-prètes entretiennent avec une clinique, c.-à-d. s’ils engagés à titre indépendant ou durablement rattachés à l’institution par l’intermédiaire d’une agence ou d’un centre de contact ou s’ils travaillent dans un service d’interprétariat propre à l’hôpital, peut également avoir des répercussions sur les libertés qu’ils prennent dans le cadre de leur activité pro-fessionnelle ; néanmoins, la littérature spécialisée consul-tée fournit des indications contradictoires quant à savoir si ce sont les indépendants ou les interprètes rattachés plus durablement qui exercent davantage leur influence : ainsi, les interprètes indépendants jouissent certes d’une plus grande indépendance concernant d’éventuelles sanctions par l’établissement, mais c’est la satisfaction du médecin à l’égard de leur prestation qui leur garantit que d’autres mandats leur seront confiés (Leanza 2008 : 215). Le lien plus étroit qui lie les interprètes à l’équipe médicale, par exemple, lors des réunions communes de rapport, leur implication dans la supervision ainsi qu’une formation spé-cifique à l’intention des médecins pour la collaboration avec des interprètes pourraient également contribuer à ce que le « trialogue » se déroule de manière plus satisfaisante pour toutes les parties. Il peut également être utile de s’intéres-ser aux images linguistiques employées par les interprètes

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pour décrire leur rôle et leur activité : lorsqu’ils se décrivent sous la forme d’un instrument, en faisant abstraction de la personne (p. ex., comme une « machine à traduire » ou une « boîte vocale »), on peut en conclure qu’ils tendent à privilégier les traductions mot à mot, sans recourir à la médiation et sans prendre d’initiatives. L’interprétariat télé-phonique peut également être considéré comme un moyen de « dépersonnaliser » et donc de restreindre l’influence de l’interprète (ibid. : 216, notre traduction). De l’avis des professionnels de la santé, il n’est toutefois pas nécessai-rement avantageux de réduire l’influence de l’interprète dans son rôle de médiateur. Leanza recommande plutôt d’utiliser la compétence transculturelle de l’interprète et d’exploiter la diversité des expériences dans les différents groupes professionnels œuvrant dans une clinique par des directives, des formations et des codes éthiques appropriés (2008 : 218 ss).

7.3 Consultations médicales sous la loupe de la linguistiqueLe langage offre différentes stratégies pour surmonter les difficultés de compréhension. Gajo (2005) examine par quels moyens le personnel soignant communique avec les patients lorsqu’il n’a pas recours à des services d’interpréta-riat. La palette des stratégies langagières et des instruments est variée : un mot peut être remplacé par un autre ou paraphrasé de façon à ce que le soignant et le malade, par des répétitions variables, parviennent peu à peu à la compré-hension commune d’un fait. Il peut être utile de consigner par écrit certains détails (p. ex., le nom d’un produit) pour l’interlocuteur allophone, qui peut ainsi se remémorer après coup le contenu de la conversation. L’aptitude à reconnaître quelle stratégie doit être employée dans quel contexte social et dans quel cas de figure individuel peut être considérée comme une condition importante et comme une caractéris-tique de la compétence transculturelle (Gajo 2005).

Dans l’optique du linguiste, la compétence transculturelle comprend trois niveaux : le niveau macroscopique a pour fonction de saisir, pour les établissements de santé, les services proposés et les modes de fonctionnement. Le ni-veau mésoscopique abrite le savoir et les conceptions d’une

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communauté (linguistique). Enfin, le niveau microscopique traite des patientes et patients individuels et des tâches à assumer en commun dans une situation d’entretien donnée. Tandis que la patiente ou le patient doit en premier lieu se repérer à l’échelle macroscopique et microscopique, pour les soignants qui sont à l’œuvre dans le domaine intercul-turel, les niveaux mésoscopique et microscopique figurent au premier plan : « Il [le soignant] devra en effet apprendre à situer le patient dans son environnement culturel et social (méso) pour agir et interagir de manière adéquate avec lui (micro) » (Gajo 2005 : 29). Dans cette représentation de la compétence transculturelle, l’interaction directe avec la pa-tiente ou le patient et la connaissance de la stratégie ciblée à choisir gagnent considérablement en importance. Étant donné que les locuteurs appliquent souvent inconsciemment leurs stratégies linguistiques, ils tendent à les perdre de vue, ou du moins à les sous-estimer : « Les soignants sous-esti-ment la richesse et l’appropriété de leurs stratégies et ont notamment tendance à opposer le «bricolage» au profes-sionnalisme » (Gajo 2005 : 26). L’auteur conclut ses obser-vations en demandant que les stratégies de communication d’application concrète pèsent davantage dans le débat sur la compétence transculturelle ; il estime que le fossé entre les représentations générales et le « savoir déclaratif », d’une part, et l’action pratique, d’autre part, pourrait ainsi être atténué. Le principal défi consiste à ne pas séparer les réflexions d’ordre général sur la compétence transculturelle des compétences en communication telles qu’elles s’expri-ment dans les différents entretiens.

7.4 Conclusion : la compréhension implique plus que

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la simple connaissance de la langueUne communication réussie, de même qu’une interpréta-tion aboutie, est plus que la transposition littérale de conte-nus d’une langue à l’autre. La compétence en communi-cation requiert de l’interprète qu’il ressente quand il peut interrompre le flux de paroles de son vis-à-vis, ou quand il doit, au contraire, relancer une conversation hésitante par des questions. Parmi les exigences en matière de compé-tence transculturelle figure dès lors l’aptitude à déterminer la stratégie de conversation adéquate. Les patients ayant subi un traumatisme, qui doivent décrire des événements douloureux et pénibles, en particulier, ont l’impression, si on les interrompt, de ne pas être véritablement entendus. Métraux et Alvir (1995 : 24) suggèrent par conséquent, en pareil cas, de n’interrompre le témoignage de la patiente ou du patient qu’en cas d’impérieuse nécessité, par exemple, lorsque l’interprète arrivant à la limite de sa capacité de mémoire ; en l’occurrence, une traduction en substance, qui restitue le cadre émotionnel et social, est préférable à une reproduction littérale.

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8 Qui assume les frais ? Pour quelle prestation ?

Les bases légales qui régissent le secteur sanitaire en Suisse ne mentionnent pas si et quand des interprètes doivent être impliqués dans le cadre de traitements médicaux et comment ils doivent être rétribués. Les conventions internationales et les prescriptions légales générales permettent toutefois de conclure qu’il existe un droit aux prestations d’interprétariat. On constate que, dans d’autres pays, ces interventions sont financées selon différents modèles.

Le mode d’indemnisation et de financement des services d’interprétariat a été dès le début une question épineuse. Fontana (2000 : 26 ss) offre une vue d’ensemble des dif-férents modèles d’organisation et de financement choisis pour les premiers services d’interprétariat instaurés dans le domaine de la santé.

Par ailleurs, la question des frais occasionnés en cas de renonciation aux prestations d’interprétariat est tout aussi primordiale. En effet, les difficultés de compréhension coû-tent cher, même si elles ne sont pas aisément chiffrables. La durée des consultations qui font l’objet d’une interpré-tation est prolongée d’environ un tiers (Aubert 2008 : 27). Il est toutefois difficile de tirer des conclusions directes sur le coût d’une thérapie, car des consultations plus courtes, qui nécessitent des traitements ultérieurs en raison d’une mauvaise compréhension, finissent par coûter plus cher.

Une étude préliminaire tente actuellement de dresser un bilan complet des coûts liés à l’interprétariat communau-taire dans le domaine de la santé. On y trouve, d’un côté, les frais occasionnés par les services d’interprétariat et, de l’autre, les frais médicaux engendrés ou évités par ce biais. L’étude analyse le phénomène d’un point de vue essentiel-lement qualitatif, sans citer de chiffres concrets, et montre en particulier à quel point il est difficile d’établir un rap-port coût/utilité dans ce domaine d’application complexe. L’enquête montre que le recours à des interprètes commu-nautaires occasionne certes des coûts supplémentaires à court terme, mais que, à long terme, des économies sont réalisées. En raison de cette compensation financière diffé-

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rée, le recours à des interprètes formés revêt le caractère d’un investissement. À court terme, le bilan coût/utilité de l’interprétariat communautaire est déterminé par les coûts directs et indirects, ainsi que par l’utilité directe. La ques-tion de savoir si l’utilité directe sous la forme d’une effi-cacité accrue des traitements dépasse les coûts indirects que les consultations plus fréquentes pourraient engendrer est déterminante : le monitorage de la santé des migrantes et migrants en Suisse révèle en effet des lacunes lors du premier accès aux prestations médicales, de sorte qu’on peut partir du principe que des services d’interprétariat pourraient inciter les malades allophones à se rendre plus fréquemment chez le médecin. Il est difficile de détermi-ner si les coûts sont compensés par l’utilité directe des services d’interprétariat, raison pour laquelle le bilan coût/utilité à court terme - l’utilité nette -, demeure également indéterminé. Les effets à long terme de l’interprétation communautaire se déploient à mesure que se développent les maladies des patientes et patients allophones. Ces ré-percussions à long terme sont sans aucun doute positives et suscitent ainsi une utilité indirecte qui est supérieure à zéro. S’il s’avérait que l’utilité nette à court terme de l’inter-prétation communautaire est négative, l’étendue de l’utilité indirecte déterminerait si le recours à des interprètes com-munautaires est pertinente sur le plan économique (Gehri et Graf 2009 : VII).

8.1 Bases légales pour les services d’interprétariat dans le domaine de la santéLa loi sur l’assurance-maladie (LAMal) entrée en vigueur le 1er janvier 1996 régit, à l’article 1a, l’assurance-maladie sociale et s’applique à l’assurance obligatoire des soins et à une assurance facultative d’indemnités journalières. Les termes « interprète » ou « traduire/traduction/traducteur » n’apparaissent pas une seule fois dans cette importante base légale ; la loi sur l’assurance-accident (LAA) ne men-tionne pas non plus de prestations de traduction, mais elle ne les exclut pas pour autant, « puisque, contrairement à la LAMal, les fournisseurs de prestations ne font pas l’objet d’une réglementation exhaustive et que l’énoncé des pres-tations prises en charge, notamment le droit de l’assuré à

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8 Qui assume les frais ? Pour quelle prestation ?

un «traitement médical approprié des lésions résultant de l’accident» est formulé de manière plus ouverte que dans le cas de la loi sur l’assurance-maladie » (Achermann et Künzli 2008 : 61, notre traduction).

De l’avis des spécialistes, « il n’existe pas au niveau suisse de solution juridique satisfaisante » (groupe d’experts Migrant Friendly Hospitals [MFH] 2008 : 3) qui permettrait aux hôpitaux publics et aux cabinets médicaux privés de saisir et de financer des prestations d’interprétariat pour les patients allophones. Selon un arrêt non publié du Tribunal fédéral du 31 décembre 2002, cette situation n’est pas près de changer : dans un cas concret, il a estimé qu’il n’était pas conforme au droit de financer les prestations d’inter-prétation dans le cadre de l’assurance de base selon la LA-Mal. Le tribunal a notamment motivé sa décision par le fait qu’une interprétation est assimilable à une mesure d’as-sistance et non à un acte médical (ibid. : 12). Il demeure donc du ressort des établissements de santé de trouver les moyens de financer des prestations pour un montant total de quelque 5 millions de francs (ibid. : 9).

Les professionnels de la santé ne manquent pas de contes-ter l’argumentation du tribunal. À leur avis, il pourrait être indispensable dans certains cas de traduire des documents pertinents ou des consignes médicales afin de garantir l’efficacité et, partant, l’adéquation et le caractère écono-mique d’un traitement ; d’aucuns estiment également que le recours à des interprètes qualifiés engendre des coûts moins élevés que les erreurs de diagnostic dues à des obs-tacles linguistiques (Bischoff et al. 2003a : 511). Toutefois, ces considérations ne permettent pas nécessairement de conclure que les traductions doivent être financées dans le cadre de la LAMal. On pourrait à l’inverse en déduire que les caisses maladies ne sont en aucun cas tenues d’assu-mer le coût du traitement médical de patients allophones, puisqu’il n’y a pas moyen de garantir l’efficacité, l’adé-quation et le caractère économique du traitement sans le recours à un interprète (groupe d’experts Migrant Friendly Hospitals [MFH] 2008 : 12).

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8.2 Arguments juridiques implicites en faveur de l’interprétariatIl existe d’autres domaines où des citoyens entrent en contact avec des institutions étatiques en Suisse, sans qu’il existe de « droit général à la traduction ». La privation de liberté fait exception, puisque tout personne concernée a le droit d’être « informée, dans une langue qu’elle comprend, des raisons de cette privation et des droits qui sont les siens » (ibid. : 12). Selon les professionnels de la santé, dans le domaine médical, des biens tels que le corps et la vie sont concernés et revêtent une importance aussi grande que la liberté ; dans cette optique, l’État aurait le devoir d’assurer un niveau d’in-terprétariat suffisant, également dans le domaine de la santé.

La Suisse a par ailleurs signé diverses conventions internatio-nales, d’où découle l’obligation de proposer une interprétation aux personnes migrantes lors d’une consultation dans un hô-pital ou chez un médecin. Ainsi, le Pacte relatif aux droits éco-nomiques, sociaux et culturels des Nations Unies, entré en vigueur en 1976 (Pacte I) prévoit que tous les habitants d’un État ont accès sans discrimination aux services sanitaires et aux informations en matière de santé ; la Suisse a adhéré au Pacte le 18 juin 1992. Il s’ensuit que dans notre pays, aucun obstacle linguistique ne doit empêcher ni même restreindre l’accès aux soins médicaux (Achermann et Künzli 2008 : 10).

La Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (Convention sur la bioéthique) du Conseil de l’Europe, adoptée en 1996 et ratifiée par la Suisse le 24 juillet 2008, constitue un autre instrument important. La Convention énonce le principe selon lequel une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée a donné son « consentement libre et éclairé ». Or, il ne peut y avoir de consentement éclairé que si la patiente ou le patient comprend son médecin (ibid. : 22). Le consentement éclairé représente un argument juridique de poids et est cité en premier lieu dans la contribution d’Ayer (2006 : 31) : « La clef de voûte des droits des patients est sans conteste constituée par le consentement du patient à tout acte médical portant atteinte à sa personnalité ».

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8 Qui assume les frais ? Pour quelle prestation ?

Divers accords bilatéraux en matière d’assurances sociales ont en outre été conclus avec des États de l’Union euro-péenne. Ces accords prévoient que les autorités, les tribunaux ou les institutions de sécurité sociale doivent traiter les docu-ments (p. ex., demandes, réclamations) même lorsqu’ils sont rédigés dans la langue du partenaire contractuel concerné (ibid. : 24). On peut dès lors conclure de ces directives qu’il existe une obligation de traduction dans le domaine de la santé.

8.3 Cantons sollicités pour le financementDans le système fédéral de santé qui prévaut en Suisse, les législations cantonales régissent les obligations des hôpitaux pour ce qui est de l’admission, du traitement et de l’information. Étant donné que les questions liées à l’inter-prétariat et à son financement ne sont pas réglées par des lois fédérales, chaque canton doit déterminer par lui-même qui doit assumer les coûts des prestations d’interprétation requises dans le cadre d’un traitement médical. À l’instar des juristes Achermann et Künzli, le groupe d’experts Mi-grant Friendly Hospitals démontre que les cantons et leurs hôpitaux publics, pour assurer le financement des presta-tions d’interprétariat, ont le choix entre deux modèles : • Un contrat de traitement passé entre l’hôpital et le ma-

lade « peut notamment prévoir la prise en charge (par-tielle ou intégrale) des éventuels frais d’interprétation par le patient. Il va de soi que le contrat de traitement doit respecter le cadre légal cantonal, notamment la loi sur les hôpitaux et les ordonnances d’exécution ou décrets rela-tifs aux tarifs applicables dans les hôpitaux » (Achermann et Künzli 2008 : 67, notre traduction).

• Si aucun contrat de traitement n’est conclu, les frais d’interprétation ne peuvent être imputés à la patiente ou au patient que s’il existe une base légale en la matière. À cette fin, les cantons optent pour différentes formes de mise en œuvre en prévoyant des niveaux normatifs et des niveaux de détail « conçus de façon variable sur le plan juridique et [...] qui vont de l’ordonnance de l’Assem-blée fédérale à l’ordonnance du département compétent » (ibid., notre traduction).

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Le groupe d’experts Migrant Friendly Hospitals mentionne toutefois une manière supplémentaire d’ancrer le finance-ment des prestations d’interprétariat. Dans le cadre des contrats de prestations conclus dans la perspective de la planification des besoins entre les cantons et les hôpitaux, les premiers peuvent édicter des prescriptions relatives aux prestations dites d’intérêt général. Les prestations d’inter-prétariat pourraient notamment entrer dans cette catégorie. Le groupe d’experts encourage dès lors les directions des hôpitaux à « prendre des initiatives dans le but de complé-ter les contrats de prestations » (groupe d’experts Migrant Friendly Hospitals 2008 : 19). Cette incitation se recoupe avec la recommandation émise par la Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS), dont la présidence recommande aux cantons de promou-voir la communication et de faciliter la compréhension avec les patients allophones. Cette démarche pourrait être entreprise par l’ « intégration de services d’interprétariat qualifiés dans les mandats de prestations avec les hôpitaux à titre de services d’intérêt public », ainsi qu’en promou-vant différentes solutions « qui visent à faciliter l’accès à la traduction interculturelle » dans le domaine de la santé. La CDS concède toutefois que ces solutions peuvent varier d’un canton à l’autre (CDS dans un courrier adressé aux départements cantonaux de la santé le 26 mai 2010).

8.4 Suggestions inspirées de l’étrangerA l’étranger, il existe différentes possibilités d’organiser et de financer des prestations d’interprétariat dans le domaine de la santé. Les modèles de financement varient selon l’expérience, plus ou moins longue, de l’État avec les populations migrantes, en fonction de l’orientation de la politique d’intégration ou de l’organisation de du système de santé. Dahinden et Stants (2007 : 24 ss) distinguent sept modèles, qui s’inscrivent pour l’essentiel dans deux dimensions : les pays devenus assez récemment une terre d’immigration ont tendance à organiser et à financer les prestations d’interprétariat dans le cadre de projets pilotes. Au contraire, des modèles établis et ancrés sur le plan structurel sont généralement en place dans les pays

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8 Qui assume les frais ? Pour quelle prestation ?

qui connaissent une longue tradition d’immigration. La seconde dimension concerne différentes possibilités de financement : d’une part, les prestations d’interprétariat peuvent être financées directement, lorsqu’un gouverne-ment tient à disposition les fonds destinés à ce but. D’autre part, les hôpitaux peuvent se voir attribuer des enveloppes budgétaires, dans le cadre desquelles ils doivent réserver les sommes correspondante pour prestations d’interpréta-riat. De l’avis des professionnels de la santé, l’option des « enveloppes budgétaires » semble offrir une marge de manœuvre accrue aux hôpitaux, tandis que dans le finance-ment direct, l’octroi de fonds est généralement soumis à certaines conditions (ibid. : 28).

Les expériences faites à l’étranger permettent de déduire différentes possibilités pour la Suisse. Le financement au moyen de fonds liés à un projet serait également envisa-geable en Suisse, et il pourrait, comme ce fut le cas en Italie, déboucher avec le temps sur de « premiers ancrages structurels » (ibid. : 30, notre traduction). Dans le système de santé fédéral que connaît la Suisse, un financement central par l’intermédiaire de la Confédération pourrait toutefois être rapidement voué à l’échec, de sorte que les auteurs recommandent une forme mixte de « financement central des hôpitaux au moyen d’enveloppes budgétaires » (ibid. : 31, notre traduction). Enfin, en matière d’ancrage institutionnel de l’interprétariat, la Grande-Bretagne et la Belgique suggèrent une combinaison de postes fixes dans les hôpitaux et d’interprètes engagés à titre complémen-taire pour les langues non desservies.

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8.5 Le moment est-il venu d’ancrer la prestation dans les structures institutionnalisées ?Le financement de l’interprétariat communautaire n’est pas réglementé de façon uniforme dans le domaine sanitaire en Suisse. Or, sur le plan juridique, personne ne doit être privé de soins médicaux indiqués uniquement par manque de connaissances linguistiques. L’information précédant une intervention médicale doit être prodiguée dans une langue comprise par la patiente ou le patient afin que sa décision soit librement consentie. La Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine (Convention de biomédecine) demande un « consentement éclairé », donc librement consenti en connaissance de cause, pour toutes les inter-ventions médicales, qu’elles se fassent dans un hôpital public ou un cabinet privé.

Deux interventions parlementaires, qui demandaient que le financement de l’interprétariat communautaire soit régle-menté sur le plan national par le biais d’une révision de la loi sur l’assurance-maladie (LAMal), ont été rejetées. Plu-sieurs cantons indemnisent ces services en les inscrivant dans leurs conventions de prestations avec les hôpitaux. La gratuité de cette prestation dépend donc, à l’heure actuelle, du lieu où la personne est soignée.

Dans le cadre du mandat confié par le Conseil fédéral pour développer le droit à l’intégration, cette dernière doit davan-tage être institutionnalisée et constituer une tâche transver-sale de l’Etat. Dans ce contexte, le financement de l’inter-prétariat communautaire dans le domaine sanitaire sera rediscuté dans l’optique d’une réglementation nationale.

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9 Recommandations pour la pratique

L’interprétariat dans le domaine de la santé peut être examiné sous des angles divers : sur un plan indivi-duel, il convient de définir les attentes à l’égard des interprètes eux-mêmes ; au niveau de l’organisation, il convient de clarifier comment les prestations d’inter-prétariat peuvent être fournies de manière à la fois ef-ficace et avantageuse. À l’échelle du système dans son ensemble, enfin, la question se pose du bien-fondé juridique et des possibilités de financement.

De nombreuses études attestent de la multiplicité et du niveau élevé des attentes à l’égard des interprètes commu-nautaires et des médiateurs culturels. De longue date déjà, une réflexion a été menée sur la formation des interprètes (communautaires) dans le domaine de la santé (en particu-lier par Weiss et Stuker 1998 : 143 / annexe 3 et par Mader 2000 : 69). Depuis, de grands progrès ont été accomplis pour les possibilités de qualification en interprétariat communautaire ainsi que les fondements économiques et juridiques de l’activité.

9.1 Attentes à l’égard des interprètes communau- taires et des médiateurs culturelsDans l’analyse mandatée par l’OFSP dans le cadre de la Stratégie Migration et santé, Hagenow-Caprez (2008) offre une vue d’ensemble des aptitudes exigée des interprètes communautaires. Lors de l’évaluation des examens passés par les interprètes, l’auteur a découvert que la principale lacune se situait au niveau de la maîtrise de la langue d’interprétariat, à savoir la « langue étrangère » dans la perspective d’un interlocuteur suisse. « Par conséquent, un examen sérieux de la ou des langues d’interprétariat est indispensable pour des raisons de qualité, même si ces aptitudes sont beaucoup moins visibles pour les profession-nels de la santé en Suisse que les compétences dans la langue locale » (Hagenow-Caprez 2008 : 17, notre traduc-tion). Cette découverte débouche sur la recommandation de vérifier suffisamment tôt, si possible dès le recrutement, les connaissances de la langue maternelle d’origine chez immigrés de deuxième génération qui ont passé toute leur vie, ou une partie, en Suisse. Par ailleurs, les profes-sionnels de la santé consultés à l’occasion d’une enquête

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demandent que, pour le brevet fédéral d’interprète commu-nautaire, les examens finaux comprennent une « simulation réaliste d’une intervention en tant qu’interprète », de façon à ce que toutes les aptitudes déterminantes puissent être vérifiées (ibid. : 73, notre traduction). Enfin, Hagenow- Caprez dresse un profil de la personnalité de l’interprète, qui se caractérise par la maîtrise des propres émotions et la capacité à réfléchir à son propre parcours, notamment son vécu migratoire, ainsi qu’aux propres forces, faiblesses et limites (ibid. : 56).

Outre les aptitudes linguistiques au sens strict, les inter-prètes doivent également faire preuve de tact dans les situations de pouvoir et être sensibles à la position qu’ils occupent dans l’interaction parfois délicate entre le méde-cin et le malade. Des codes éthiques et des consignes de comportement dans le sens des « meilleures pratiques » pourraient apporter une aide dans ce domaine (Bischoff et Steinauer 2007 : 347 ; Leanza 2008 : 218).

9.2 Place établie dans la structure du système sanitairePour l’heure, il n’existe ni les bases légales, ni les struc-tures organisationnelles permettant d’assurer une place pérenne aux services d’interprétariat dans le système de santé cantonal. Certes, l’expertise juridique d’Achermann et Künzli (2008 : 2, notre traduction) met en évidence les lacunes à combler et formule des propositions, notamment qu’« au vu de la situation insatisfaisante [...], il convient d’envisager d’autres options pour la mise à disposition d’une infrastructure d’interprétariat suffisante, que ce soit par le biais d’une participation au financement par les pou-voirs publics de centres de compétences pour interprètes communautaires ou par une réglementation explicite de la question de l’interprétariat au niveau des cantons ou en-core, par la recherche d’autres modèles de financement ».

Une banque de données permettant aux médecins d’effec-tuer des recherches d’après leurs connaissances linguis-tiques a été mise en ligne par la FMH (http://www.doc-torfmh.ch/). Cette démarche répond à un souhait exprimé dans le rapport du groupe d’experts Migrant Friendly Hospi-

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9 Recommandations pour la pratique

tals (2008 : 23). Les expériences recueillies par les diffé-rents cantons, notamment Genève, dans le cadre d’une « banque d’interprètes », reçoivent un accueil favorable dans la littérature spécialisée (Bischoff 2002 : 50).

Il est en outre recommandé aux différentes cliniques d’éta-blir des listes de leurs effectifs polyglottes et de les tenir à jour (Bischoff et Steinauer 2007 : 348). De plus, les ouvrages consultés permettent de déduire implicitement qu’il est recommandé aux cliniques de mettre sur pied une instance centrale pour coordonner les services d’interprétariat parce que « les collaborateurs, dans les établissements sans service de coordination central, doivent investir beaucoup de temps et faire preuve d’un grand sens de l’initiative pour organiser l’intervention d’un interprète » (Bischoff, Kurth et Conca-Zeller 2008 : 152, notre traduction). Des directives écrites, destinées à aider les soignants et les médecins à choisir la forme d’interprétariat la mieux adaptée à une situa-tion donnée, seraient également utiles ; la littérature spécia-lisée propose elle-même des critères visant à simplifier le choix du mode d’interprétariat indiqué (Bischoff, Steinauer et Kurth 2006 : 55 ; Bischoff et Dahinden 2007 : 349).

Enfin, les travaux de Bischoff, Steinauer et Kurth (2006), qui incluent en annexe différents principes directeurs, mettent l’accent sur la pratique. Ces lignes directrices s’adressent, d’une part, à l’hôpital (p. ex., un guide pour la création d’une banque de données linguistique interne à l’hôpital, le profil d’une aide à la traduction, des recommandations pour la gestion de la banque de données linguistiques et le suivi des aides à la traduction ; p. 48 à 51). Par ailleurs, ces documents s’adressent aux soignants et aux médecins (p. ex. pour choisir entre une aide à la traduction interne ou ex-terne ; ibid., p. 52 à 57). Enfin, une ligne directive porte sur les aides à la traduction en tant que telles ; ces dernières visent notamment à éviter qu’il y ait interprétation person-nelle des propos ou à attirer l’attention du locuteur sur ses propres adjonctions (ibid., p. 58).

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9.3 Nécessité d’agir sur le plan du financementLa question du financement des services d’interprétariat est étroitement liée aux aspects organisationnels. Une étude récente qui s’intéresse aux coûts et à l’utilité de l’interprétariat communautaire dans le domaine des soins (Gehrig et Graf 2009) offre une base d’argumentation utile. À partir de quatre perspectives différentes, à savoir, l’éthique, le droit, la médecine et l’économie, l’étude cite des motifs pertinents en faveur du recours aux interprètes. D’un point de vue éthique, on revendiquera le fait que toute personne - y compris celle de langue maternelle étran-gère - doit avoir accès sans discrimination aux prestations médicales. Sur le plan juridique, on retiendra que le même accès aux soins médicaux est garanti par le droit internatio-nal public que par le droit constitutionnel suisse. Dans une optique médicale, une compréhension suffisante est indis-pensable parce que les professionnels de la santé « sont tributaires de la perspective de la patiente ou du patient pour évaluer la situation de manière efficace et fondée » (Gehrig et Graf 2009 : III, notre traduction). Par ailleurs, la médecine moderne mise souvent sur des changements de comportement pour renforcer la santé des patientes et patients ; ceux-ci doivent notamment subir des examens de dépistage périodiques et prendre des mesures préventives contre les maladies, telles que la protection contre le soleil, la prévention des caries ou encore une alimentation saine. Une barrière linguistique entre le professionnel de la santé et la patiente ou le patient empêche ainsi que soient sui-vies les recommandations médicales, ce qui peut compro-mettre la guérison. De plus, on peut présumer qu’au vu des effets négatifs générés par le manque de compréhension, les services d’interprétariat revêtent également une utilité économique. En effet, une communication défaillante peut soit conduire à une insuffisance de soins médicaux, laquelle occasionne des coûts disproportionnés en raison de l’aggra-vation de la maladie, soit donner lieu à un excès de soins, notamment parce que les médecins demandent des clari-fications supplémentaires par mesure de précaution quand ils ne sont pas sûrs d’avoir bien compris leur patiente ou

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9 Recommandations pour la pratique

patient. Néanmoins, l’argument économique est longtemps resté une pure hypothèse puisque les analyses calculant le besoin de financement des services d’interprétariat à l’aune des coûts des obstacles linguistiques étaient rares à l’étranger, et inexistantes en Suisse jusqu’à récemment. Une étude préliminaire mandatée par l’OFSP laisse penser que cette hypothèse pourrait se confirmer. Une analyse étendue du rapport coût/utilité de l’interprétariat commu-nautaire, dont l’étude préliminaire examine la faisabilité, pourrait apporter des conclusions définitives.

Par ailleurs, le groupe d’experts Migrant Friendly Hospitals, dans son rapport paru en 2008, présente des recomman-dations fondées et détaillées sur la façon d’ancrer juridi-quement le droit à des services d’interprétariat dans le domaine de la santé et d’assurer leur financement. Les 20 recommandations au total, qui s’adressent à des acteurs aussi variés que la Fédération des médecins suisses (FMH), l’Association des hôpitaux de Suisse (H+) ou l’Office fédé-ral de la santé publique (OFSP), proposent des mesures au niveau législatif, politique, institutionnel, et même scienti-fique.

De ce point de vue, les rapports existants offrent une base étendue et actuelle pour poursuivre, tout en marquant une étape importante, l’ancrage de l’interprétariat dans le domaine des soins.

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Bibliographie

Articles et ouvrages soumis à évaluation :• Achermann Alberto, Künzli Jörg, 2007: Gesundheitsrelevante Rechte inhaftierter Personen im Bereich des Schutzes vor Infektionskrankheiten und Kompetenzen des Bundes zu ihrer Durchsetzung. Studie zuhanden des Bundesamtes für Gesundheit – Sektion Aids.• Achermann Alberto, Künzli Jörg, 2008: Übersetzen im Gesundheitsbereich: Ansprüche und Kostentragung. Bern: BAG, Fachbereich Migration und Gesundheit.• Aubert Marlyse, 2008: Une assistance linguistique qualifiée s‘impose. In: Competence 2008 (1-2), S. 26-27.• Ayer Ariane, 2006: Patients allophones. Le droit à la consultation avec interprète. In: H competence 2006 (4), S. 31-32.• Bachl, Margrit, 2002: Die Sprache ist nur das Hauptproblem. In: Krankenpflege – soins infirmiers 2002 (6), S. 21-23.• Bachl, Margrit, 2006: Grenzen und Möglichkeiten der interkulturellen Mediation: Dolmetschen, vermitteln, schlichten – Wege zur Integration. In: Krankenpflege – soins infirmiers 2006 (11), S. 15-17.• Bericht zur Weiterentwicklung der Integrationspolitik des Bundes, 2010. Bericht des Bundesrates zuhanden der eidgenössischen Räte in Erfüllung der Motionen 06.3445 Fritz Schiesser „Integration als gesellschaftliche und staatliche Kernaufgabe“ und 06.3765 SP-Fraktion „Aktionsplan Integration“.• Bischoff Alexander, Tonnerre Claude, Eytan Ariel, Bernstein Martine, Loutan Louis, 1999a: Addressing language barriers to health care, a survey of medical services in Switzerland. In: Sozial- und Präventivmedizin 1999 (44), S. 248-256. • Bischoff Alexander, Tonnerre Claude, Loutan Louis, Stalder Hans, 1999b: Language difficulties in an Outpatient Clinic in Switzerland. In: Sozial- und Präventivmedizin 44, 1999 (44), S. 283-287.• Bischoff Alexander, 2001: Von einer Sprache zur anderen. Sprachbarrieren und Kommunikation in einer medizinischen Poliklinik. In: Soziale Medizin, 2001 (3), S. 32-37.• Bischoff Alexander, 2002: Gesund werden erfordert verstanden werden. Gute Erfahrungen mit professionellen Dolmetscherdiensten. In: Soziale Medizin, 2002 (4), S. 48-50.• Bischoff Alexander, 2005: Les barrières langagières dans les relations de soin. In: Conti Virginie, de Pietro Jean-François, 2005: L‘integration des migrants en terre francophone. Aspects linguistiques et sociaux. Lausanne: Edition LEP, S. 163-172.• Bischoff Alexander, Bovier Patrick A., Rrustemi Isah, Gariazzo Françoise, Eytan Ariel, Loutan Louis, 2003a: Language barriers between nurses and asylum seekers: their impact on symptom reporting and referral. In: Social Sciences and Medicine, 2003 (57), S. 503-512.• Bischoff Alexander, Perneger Thomas V., Bovier Patrick A., Loutan Louis, Stalder Hans, 2003b: Improving communication between physicians and patients who speak a foreign language. In: British Journal of General Practice, 2003 (53), S. 541-546. • Bischoff Alexander, Loutan Louis, 2004: Interpreting in Swiss Hospitals. In: Interpreting, 2004 (6: 2), S. 181-204.

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• Bischoff Alexander, Hudelson Patricia, 2009: Communicating With Foreign Language – Speaking Patients: Is Access to Professional Interpreters Enough? In: Journal of Travel Medicine, 2009, S. 1-6.• Bundesamt für Statistik (Hrg.), 2008: Ausländerinnen und Ausländer in der Schweiz. Bericht 2008. Neuchâtel: Bundesamt für Statistik.• Dahinden Janine, Chimienti Milena, 2002: Professionelles Sprachmitteln und in- terkulturelles Vermitteln im Gesundheits-, Sozial- und Bildungsbereich. Theoretische Perspektiven. Neuchâtel: Schweizerisches Forum für Migrations- und Bevölkerungs- studien SFM.• Dahinden Janine, Stants Fabienne, 2007: Finanzierung von Dolmetscherleistungen in öffentlichen Spitälern: Ideen aus anderen Ländern. Neuchâtel: Schweizerisches Forum für Migrations- und Bevölkerungsstudien SFM.• Dornheim Jutta, 2002/2007: Kultur als Begriff und als Ideologie – historisch und aktuell. In: Domenig Dagmar (Hrg.), 2002/2007: Transkulturelle Kompetenz. Lehrbuch für Pflege-, Gesundheits- und Sozialberufe. Bern: Hans Huber, S. 29-48.• Eytan Ariel, Bischoff Alexander, Loutan Louis, 1999: Use of Interpreters in Switzerland‘s Psychiatric Services. In: The Journal of nervous and mental disease, 1999 (187:3). S. 190-192.• Expertengruppe Migrant Friendly Hospitals, 2008: Bericht über die Finanzierung von Dolmetschleistungen zugunsten der Angehörigen der Bevölkerung, welche die jeweilige Amtssprache nicht verstehen, in den schweizerischen Gesundheitsinstitu- tionen. Bern: Bundesamt für Gesundheit in Zusammenarbeit mit H+ die Spitäler der Schweiz.• Flubacher Peter, 1994: Eine Übersetzerin in der Hausarztpraxis. Kommunikation mit fremdsprachigen Patienten. In: Soziale Medizin, 1994 (21:1), S. 20-22.• Flubacher Peter, 1997: Ausländische Patienten in der hausärztlichen Praxis: unlösbare Probleme für Arzt und Patient? In: Praxis, 1997 (86), S. 811-816. • Flubacher Peter, 1999: Quelques suggestions pratiques d‘un médecin de famille pour éviter les problèmes liés à la communication „transculturelle“. In: Psychothérapies, 1999 (19: 4), S. 257-265. • Fontana Federica, 2000: Le Rôle socio-économique des médiateurs culturels interprètes (MCI) dans la problématique de l‘hospitalisation des migrants. Université de Lausanne: Institut d‘économie et management de la santé.• Fritschi Tobias, Gehrig Matthias, Egger Theres, Muggli Markus, Mellenberger Cornelia, 2009: Konzept Telefondolmetschdienst für den Gesundheitsbereich. Detailkonzept und Marktanalyse im Auftrag des Bundesamts für Gesundheit BAG. Bern: Büro für Arbeits- und sozialpolitische Studien BASS, PricewaterhouseCoopers PwC.• Gajo Laurent, 2005: Interaction et compétence transculturelle en milieu hospitalier: étude contextuelle des pratiques soignantes dans cinq hôpitaux suisses. Bern: Bundesamt für Gesundheit.

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Ouvrages complémentaires :• Humboldt Wilhelm von, 1836: Über die Verschiedenheit des menschlichen Sprach- baues und ihren Einfluss auf die geistige Entwickelung des Menschengeschlechts. Berlin: Druckerei der Königlichen Akademie der Wissenschaften.• Humboldt Wilhelm von, 1979/1985: Schriften zur Sprache. Stuttgart: Philipp Reclam.• UNESCO, 1982: Erklärung von Mexiko-City über Kulturpolitik. http://www.unesco.de/2577.html• Tannen Deborah, 1994/2001: Talking from 9 to 5. Women and Men at Work. New York: Harper-Collins.• Wittgenstein Ludwig, 1922/1989: Logisch-philosophische Abhandlung. Tractatus logico-philosophicus. Kritische Edition. Hrg.: McGuiness Brian und Schulte Joachim. Frankfurt a.M.: Suhrkamp.

Bibliographie

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Glossaire

• Allophone : qui est de langue étrangère et ne maîtrise pas la langue locale.• Arrière-plan migratoire (personne ayant un) : toute personne résidant en Suisse qui possédait une nationalité étrangère au moment de la naissance, qu’elle soit née en Suisse ou à l’étranger. Ce terme couvre ainsi, d’une part, les étrangers (de première et de deuxième génération) résidant en Suisse et, d’autre part, toutes les personnes naturalisées.• Conciliatrice, conciliateur : selon INTERPRET, personne qui « [est sollicitée] le plus souvent après qu’un conflit a éclaté ». • Étrangère, étranger : est utilisé comme synonyme de « personne de nationalité étrangère ». Désigne l’ensemble des personnes qui ne sont pas de nationalité suisse « résidant en Suisse à un moment donné, quels que soient leur nationalité, leur durée de résidence et leur type d’autorisation de résidence » (Office fédéral de la statistique 2008 : 12).• FMH : Fédération des médecins suisses. À ne pas confondre avec } MFH• Immigrant } migrant• Interprète : « [spécialiste] de la langue ayant une parfaite maîtrise de [sa] langue maternelle ainsi que d‘une ou de plusieurs langues étrangères » (INTERPRET), qui restitue le message dans la langue d‘arrivée. Dans le présent rapport, est utilisé comme synonyme de « traducteur » ou « traductrice ». • Interprète communautaire : selon INTERPRET, « [spécialiste] de l’interprétariat en situation de trialogue qui [permet], au moyen de la traduction orale, la compréhen- sion mutuelle entre interlocuteurs d’origines linguistiques différentes. [Il/elle inter- prète] prenant en compte le contexte socioculturel des interlocuteurs ». • Interprète de fortune ou interprète de circonstance : personne maîtrisant une langue officielle et une langue d’interprétariat amenée à traduire des conversations, sans pour autant avoir suivi une formation d’interprète. • Médiateur culturel, médiatrice culturelle : selon INTERPRET, personne qui informe les populations migrantes et les professionnels de la santé dans les établissements publics des particularités culturelles, des « règles distinctes du système politique ou social, ainsi que des différences dans les usages ». Contrairement à la conciliatrice ou au conciliateur, la médiatrice culturelle ou le médiateur culturel intervient de ma- nière préventive avant qu’un conflit n’éclate. • MFH, Migrant Friendly Hospitals : initiative internationale visant à rendre les hô pitaux aptes à répondre aux besoins des migrantes et migrants. À ne pas confondre avec } FMH• Migrante, migrant : personne née dans un autre pays que celui dans lequel elle réside (= personne née à l’étranger). Définition de l’Office fédéral de la statistique (2008 : 34) fondée sur une définition de l’ONU. Employé en tant que synonyme d’ « immigrant ». N’a pas le même sens que les personnes ayant un } arrière-plan migratoire• Traducteur, traductrice : dans le présent rapport, est utilisé en tant que synonyme de } interprète

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Impressum © Office fédéral de la santé publique (OFSP)Editeur: Office fédéral de la santé publiqueDate de publication: avril 2011

Correspondance :OFSP, Direction Politique de la santé, Projets multisectoriels,Programme national Migration et santé, CH-3003 BerneE-Mail: [email protected]

Publication également disponible en allemand.

Auteur Lucienne ReyLayout: Silversign, visuelle Kommunikation, BernePhotos: © Interpret

Numéro de publication OFSP: GP 12.10 700 d 700 f 30EXT1107

Diffusion:OFCL, Diffusion publications,CH-3003 Bernewww.publicationsfederales.admin.chNuméro de commande : 311.620.f

imprimé sur papier blanchi sans chlore

Des ponts linguistiques pourmieux guérir

L’interprétariat communautaire et la santé publique en Suisse

04.11 700 264705/2