des Musées de Strasbourg Dernières Nouvelles d’Outre-tombe

2
Exposition : Fantasmagorie, les lanternes de peur entre science et croyance Commissariat : Candice Runderkamp-Dollé et Alexandre Tourscher Musée Alsacien de la Ville de Strasbourg Ce journal vous est proposé par le Service éducatif et culturel des Musées de Strasbourg Texte : Adrien Fernique Conception graphique : Philippe Queney Les musées de la Ville de Strasbourg Dernières Nouvelles d’Outre-tombe La fantasmagorie, qu’est-ce que c’est ? Le mot fantasmagorie vient du grec phantasma, « fantôme », et de agoreuô, « je parle ». Il s’agit d’un spectacle dont l’attraction principale est la projection d’images qui s’animent sur un écran. Ces images représentent toute une galerie de fantômes, monstres et squelettes tirés d’un imaginaire macabre. C’est un certain Philidor qui organise la première fantasmagorie en 1792 à Paris, bientôt copié et surpassé quelques années plus tard par le plus connu des fantasmagores, Robertson. Le spectacle s’appuie sur des expériences scientifiques de pointe et une mise en scène très soignée, visant à impressionner voire à effrayer le spectateur. Les fantasmagories se développent dans le monde entier durant le 19 e  siècle, avec des techniques et des effets sans cesse améliorés. On peut comparer la fantasmagorie aux spectacles de magie numérique d’aujourd’hui (qui utilisent écrans et projections) et, évidemment, au cinéma d’horreur. Affiche de la première fantasmagorie de Paul Philidor (détail). À droite, on y voit le fantasmagore lui-même qui procède à des expériences censées faire revenir l’image des morts, janvier 1793 (collection Binetruy, photo Mathieu Bertola) Pourquoi tant de squelettes et de fantômes ? La fantasmagorie apparaît à l’époque de la Révolution française et de la Terreur. C’est une période de grands troubles et de violence (exécutions publiques…) qui casse les repères de la population, notamment vis-à-vis de la mort. C’est aussi la mode d’un imaginaire macabre nourri par le roman gothique venu d’Angleterre et représenté par des artistes préromantiques. De même on retrouve l’ambiance de bâtiments du Moyen-âge en ruine de cette œuvre de Benjamin Zix (Cabinet des Estampes, photo Mathieu Bertola) et sur ces plaques de verre du milieu du 19 e siècle (Collection Binetruy, photo Mathieu Bertola) COUREZ À LA FANTASMAGORIE Depuis quelques temps dans notre ville court une rumeur qui fait se dresser les cheveux d’effroi, mêmes aux plus rationnels d’entre nous. Il semble que la science se soit alliée aux croyances occultes – certains disent diaboliques – pour redonner vie aux âmes défuntes. Une foule nombreuse de curieux et de personnes avides de sensationnel, crédules ou averties, se presse dans ces théâtres si particuliers, où les premiers rôles reviennent non aux vivants, mais aux morts. Charlatanisme, physique, nécromancie ou subversion, que ne dit-on pas au sujet de la fantasmagorie ? Bien sûr, comme pour tout spectacle, il y a une mise en scène, des décors, des accessoires et des comédiens. On propose au public, dans une ambiance sépulcrale, de faire l’expérience de voir revenir d’entre les morts des personnages célèbres, apparaître des fantômes et des ectoplasmes, ainsi que les âmes de personnes défuntes, chères à l’une ou l’autre personne dans la salle. Mais est-ce là le jeu habile d’un physicien peu scrupuleux doublé d’un artiste de talent, ou bien l’expression même d’une frontière poreuse entre le réel et le monde des esprits ? Pour vous éclairer en ces temps troublés, il nous semblait essentiel de proposer dès aujourd’hui un journal exclusivement dédié à ce phénomène, Les Dernières Nouvelles d’Outre-tombe. Dans ce premier numéro exceptionnel, nous vous proposons de découvrir l’univers de ces nécromanciens et autres physiciens dont les inspirations, les inventions et les artifices rendent presque palpables le mystère de la mort. Par ailleurs, ces lignes se veulent également la voix des fantasmagores qui sont invités à y publier des annonces. Enfin, ne manquez pas un mot du compte-rendu du citoyen Poultier en seconde page qui s’est prêté pour vous à l’expérience saisissante de la fantasmagorie. Qu’est-ce qu’un fantascope ? Le fantascope est l’appareil qui permet au fantasmagore de projeter des images sur un écran (à l’époque un rideau). Ce n’est pas une invention de toutes pièces car il se base sur la lanterne magique, créée par le physicien hollandais Christiaan Huygens en 1659. La lanterne magique, encore appelée « lanterne de peur » est une boîte en bois ou en métal surmontée d’une « cheminée ». Dans celle- ci se trouve une lampe dont la lumière est dirigée vers des lentilles. Avant de sortir de la lanterne, la lumière traverse une plaque de verre peinte qu’on insère dans l’appareil, un peu comme une grosse diapositive. La grande nouveauté du fantascope c’est de rendre cette lanterne mobile et invisible pour le public. Pour ce faire, on la place sur des roues. Ainsi on peut faire « arriver » ou « partir » une image qui grandit ou rétrécit. Il existe aussi des modèles que le lanterniste place sur son torse et peut ainsi faire bouger dans tous les sens. À l’apparition des fantasmagories, les projections avec une lanterne magique sont bien connues. Ce sont souvent des colporteurs qui proposent un spectacle itinérant, divertissant mais pas effrayant car l’appareil et le lanterniste étaient visibles de Fantascope, vers 1800 (Collection Binetruy, photo Mathieu Bertola) Cette illustration des Visions du château des Pyrénées : Le chevalier noir, de Catherine Cuthberston attribué aussi à Ann Radcliff, (collection Corvisier) n’est pas sans rappeler cette plaque de verre représentant la mort, France, première moitié du 19 e siècle (Cinémathèque Française, photo Stéphane Dabrowski). tous. Ce qui va fortement impressionner les gens dans la fantasmagorie, c’est le thème des images et la mise en scène très soignée qui accompagne leur projection. Lanterne magique Louis XV, vers 1750 (Collection Binetruy, photo Mathieu Bertola) Phantasmagorie, apparition de Spectres et évocation des Ombres des personnages célèbres, tels que les produisent les Rose-Croix, les Illuminés de Berlin, les Théosophes et les Martinistes. Ceux qui voudront être témoins de ces évocations auront la bonté de se présenter chez Paul Filidort (sic), rue de Richelieu, hôtel de Chartres, n° 31. Il répétera ces évocations deux fois par jour, la 1 re à 5 heures et demi du soir, et la 2 e à 9 heures, à la sortie des spectacles. Le prix d’entrée est de 3 livres. Il prévient les Citoyens que ses opérations n’ont aucune influence dangereuse sur les organes, aucune odeur nuisible et que les personnages de tout âge et de tout sexe peuvent y assister sans inconvénient (1792). Note : Les personnes qui voudraient se procurer des représentations particulières sont priées de faire avertir la veille : elles pourront alors demander l’apparition de telle personne de leur connaissance absente ou morte qu’il leur plaira d’indiquer (1793).

Transcript of des Musées de Strasbourg Dernières Nouvelles d’Outre-tombe

Exposition : Fantasmagorie, les lanternes de peur

entre science et croyance

Commissariat : Candice Runderkamp-Dollé et

Alexandre Tourscher

Musée Alsacien de la Ville de Strasbourg

Ce journal vous est proposé par le Service éducatif et culturel

des Musées de Strasbourg

Texte : Adrien Fernique

Conception graphique : Philippe Queney

Les musées de la Ville de Strasbourg

Dernières Nouvelles d’Outre-tombe

La fantasmagorie, qu’est-ce que c’est ?

Le mot fantasmagorie vient du grec phantasma, «  fantôme  », et de agoreuô, «  je parle  ». Il s’agit d’un spectacle dont l’attraction principale est la projection d’images qui s’animent sur un écran. Ces images représentent toute une galerie de fantômes, monstres et squelettes tirés d’un imaginaire macabre. C’est un certain Philidor qui organise la première fantasmagorie en 1792 à Paris, bientôt copié et surpassé quelques années plus tard par le plus connu des fantasmagores, Robertson. Le spectacle s’appuie sur des expériences scientifiques de pointe et une mise en scène très soignée, visant à impressionner voire à effrayer le spectateur. Les fantasmagories se développent dans le monde entier durant le 19e siècle, avec des techniques et des effets sans cesse améliorés. On peut comparer la fantasmagorie aux spectacles de magie numérique d’aujourd’hui (qui utilisent écrans et projections) et, évidemment, au cinéma d’horreur.

Affiche de la première fantasmagorie de Paul Philidor (détail). À droite, on y voit le fantasmagore lui-même

qui procède à des expériences censées faire revenir l’image des morts, janvier 1793

(collection Binetruy, photo Mathieu Bertola)

Pourquoi tant de squelettes et de fantômes ?

La fantasmagorie apparaît à l’époque de la Révolution française et de la Terreur. C’est une période de grands troubles et de violence (exécutions publiques…) qui casse les repères de la population, notamment vis-à-vis de la mort. C’est aussi la mode d’un imaginaire macabre nourri par le roman gothique venu d’Angleterre et représenté par des artistes préromantiques.

De même on retrouve l’ambiance de bâtiments du Moyen-âge en ruine de cette œuvre de Benjamin Zix (Cabinet des Estampes, photo Mathieu Bertola)

et sur ces plaques de verre du milieu du 19e siècle (Collection Binetruy, photo Mathieu Bertola)

COUREZ À LA FANTASMAGORIE Depuis quelques temps dans notre ville court une rumeur qui fait se dresser les cheveux

d’effroi, mêmes aux plus rationnels d’entre nous. Il semble que la science se soit alliée aux croyances occultes – certains disent diaboliques – pour redonner vie aux âmes défuntes.

Une foule nombreuse de curieux et de personnes avides de sensationnel, crédules ou averties, se presse dans ces théâtres si particuliers, où les premiers rôles reviennent non

aux vivants, mais aux morts. Charlatanisme, physique, nécromancie ou subversion, que ne dit-on pas au sujet de la

fantasmagorie ? Bien sûr, comme pour tout spectacle, il y a une mise en scène, des décors, des accessoires et des comédiens. On propose au public, dans une ambiance sépulcrale,

de faire l’expérience de voir revenir d’entre les morts des personnages célèbres, apparaître des fantômes et des ectoplasmes, ainsi que les âmes de personnes défuntes, chères à l’une ou l’autre personne dans la salle. Mais est-ce là le jeu habile d’un physicien peu scrupuleux doublé d’un artiste de talent, ou bien l’expression même d’une frontière

poreuse entre le réel et le monde des esprits ?Pour vous éclairer en ces temps troublés, il nous semblait essentiel de proposer dès

aujourd’hui un journal exclusivement dédié à ce phénomène, Les Dernières Nouvelles d’Outre-tombe. Dans ce premier numéro exceptionnel, nous vous proposons de découvrir l’univers de ces nécromanciens et autres physiciens dont les inspirations, les inventions

et les artifices rendent presque palpables le mystère de la mort. Par ailleurs, ces lignes se veulent également la voix des fantasmagores qui sont invités à y publier des annonces.

Enfin, ne manquez pas un mot du compte-rendu du citoyen Poultier en seconde page qui s’est prêté pour vous à l’expérience saisissante de la fantasmagorie.

Qu’est-ce qu’un fantascope ?

Le fantascope est l’appareil qui permet au fantasmagore de projeter des images sur un écran (à l’époque un rideau). Ce n’est pas une invention de toutes pièces car il se base sur la lanterne magique, créée par le physicien hollandais Christiaan Huygens en 1659. La lanterne magique, encore appelée «  lanterne de peur  » est une boîte en bois ou en métal surmontée d’une « cheminée ». Dans celle-ci se trouve une lampe dont la lumière est dirigée vers des lentilles. Avant de sortir de la lanterne, la lumière traverse une plaque de verre peinte qu’on insère dans l’appareil, un peu comme une grosse diapositive.

La grande nouveauté du fantascope c’est de rendre cette lanterne mobile et invisible pour le public. Pour ce faire, on la place sur des roues. Ainsi on peut faire «  arriver  » ou « partir » une image qui grandit ou rétrécit. Il existe aussi des modèles que le lanterniste place sur son torse et peut ainsi faire bouger dans tous les sens.

À l’apparition des fantasmagories, les projections avec une lanterne magique sont bien connues. Ce sont souvent des colporteurs qui proposent un spectacle itinérant, divertissant mais pas effrayant car l’appareil et le lanterniste étaient visibles de

Fantascope, vers 1800 (Collection Binetruy,

photo Mathieu Bertola)

Cette illustration des Visions du château des Pyrénées : Le chevalier noir, de Catherine Cuthberston attribué aussi à Ann Radcliff, (collection Corvisier) n’est pas sans

rappeler cette plaque de verre représentant la mort,

France, première moitié du 19e siècle

(Cinémathèque Française, photo Stéphane Dabrowski).

tous. Ce qui va fortement impressionner les gens dans la fantasmagorie, c’est le thème des images et la mise en scène très soignée qui accompagne leur projection.

Lanterne magique Louis XV, vers 1750 (Collection Binetruy, photo Mathieu Bertola)

Phantasmagorie, apparition de Spectres

et évocation des Ombres des personnages célèbres, tels que

les produisent les Rose-Croix,

les Illuminés de Berlin, les Théosophes

et les Martinistes. Ceux qui voudront être témoins de ces

évocations auront la bonté de se présenter chez Paul Filidort (sic), rue de Richelieu,

hôtel de Chartres, n° 31. Il répétera ces évocations deux fois par jour, la 1re à 5

heures et demi du soir, et la 2e à 9 heures, à la sortie des spectacles. Le prix d’entrée

est de 3 livres. Il prévient les Citoyens que ses opérations n’ont aucune influence dangereuse sur les organes, aucune odeur

nuisible et que les personnages de tout âge et de tout sexe peuvent y assister sans

inconvénient (1792).Note : Les personnes qui voudraient se

procurer des représentations particulières sont priées de faire avertir la veille : elles pourront alors demander l’apparition de

telle personne de leur connaissance absente ou morte qu’il leur plaira d’indiquer (1793).

des techniques et du matériel qui existent déjà – y compris en plagiant sans scrupules leurs prédécesseurs ou concurrents – pour en faire un vrai spectacle de divertissement, très nouveau pour l’époque.

La fantasmagorie, ce n’est que de la science ?

Les fantasmagores des années 1790-1800, à commencer par Robertson, se présentent comme des scientifiques ou des physiciens. Et en effet, ils utilisent de nombreuses expériences scientifiques dans leurs spectacles ou comme «  première partie  ». La bouteille de Leyde, par exemple, est utilisée pour créer un circuit électrique fermé dont le courant passe – non sans danger – dans le corps des participants qui se donnent la main. On utilise également le galvanisme pour réactiver des membres morts, notamment de grenouille, en les électrocutant. Cette expérience est rendue célèbre par le roman Frankenstein de Mary Shelley, paru en 1818.

Mais il s’agit d’une science de spectacle, mise en scène aux côtés d’artifices de théâtre. Le but du fantasmagore – même s’il prétend souvent le contraire – n’est pas de démontrer ses expériences, mais bien de maintenir un certain mystère.

Est-ce l’ancêtre du cinéma ?

Tout au long du 19e siècle, les techniques se perfectionnent, les fantasmagores innovent. L’une de ces inventions est le Pepper’s Ghost, présenté pour la première fois sous cette forme en 1862. Il s’agit d’une illusion d’optique permettant de faire apparaître l’image fantomatique d’un comédien sur une scène. L’effet produit ressemble à un hologramme. Dans les années 1880, la fantasmagorie rassemble tous les procédés du cinéma : lumière, son, images, seule la fixation de l’image sur une pellicule lui

Affiche « Adrien Physicien », vers 1825 (Collection Binetruy, photo Mathieu Bertola)

Fonctionnement sur scène du Pepper’s Ghost ou fantôme de Pepper (Le Monde illustrée, Bertrand, 1862)

Comment j’ai pris part à une assemblée de fantômes

Compte-rendu du citoyen Poultier

Dans un appartement très éclairé, au pavillon de l’Échiquier, n° 18, je me trouvai, avec une soixantaine de personnes, le 4 germinal. À sept heures précises, un homme pâle, sec, entra dans l’appartement où nous étions. Après avoir éteint la plupart des bougies, il dit  : « Citoyens et messieurs, je ne suis point de ces aventuriers, de ces charlatans effrontés qui promettent plus qu’ils ne tiennent. J’ai assuré dans le Journal de Paris que je ressusciterais les morts, je les ressusciterai. Ceux de la compagnie qui désirent l’apparition des personnes qui leur ont été chères, et dont la vie a été terminée par la maladie ou autrement, n’ont qu’à parler ; j’obéirai à leur commandement.  » Il se fit un instant de silence. Ensuite un homme en désordre, les cheveux hérissés, l’œil triste et hagard, dit : « Puisque je n’ai pu, dans un journal officiel, rétablir le culte de Marat, je voudrais au moins voir son ombre. »

Quelles images étaient projetées ?

Les plaques de verre de fantasmagorie représentent tout un univers sombre  : squelettes, fantômes, monstres, magiciens… on retrouve des personnages récurrents  : le Diable, la Mort, le cauchemar ou la nonne sanglante. D’autres plaques encore représentaient des portraits standards (par exemple une jeune fille blonde ou un vieillard barbu) qui donnaient l’illusion à une personne, prise au hasard ou non dans le public, de voir le visage d’un être cher disparu. Le fantasmagore se sert encore de plaques de  décor  : bâtiments gothiques en ruine, clairs de lune…

Qu’est-ce qui faisait encore partie du spectacle ?

La projection d’images s’accompagne de nombreux autres éléments sonores, visuels et théâtraux. Ainsi, une grande attention est portée aux bruitages (machine à vent, tôle pour le bruit du tonnerre…) et à la musique. L’armonica de verre, par exemple,

Il existe également des images que l’on peut animer grâce à des mécanismes astucieux, comme ce diablotin qui tire

la langue grâce au petit levier fixé sur la plaque vers 1830 (Collection Binetruy, photo Mathieu Bertola)

Armonica de verre, attribué à Joseph Aloys Schmittbauer, Kar-lsruhe, 1805 (Musée Unterlinden)

Tête de Méduse (Cinémathèque française,photo Stéphane Dabrowski, )

Squelette à la pelle (Musée Alsacien, photo Mathieu Bertola, )

La nonne sanglante vers 1850 (Collection Binetruy, photo Mathieu Bertola)

émet un son cristallin et fantomatique. Cela crée une atmosphère propice à l’imagination.

Les fantasmagores s’entourent également de nombreux artistes et assistants qui l’aident à donner corps à sa mise en scène lugubre. On utilise par exemple un ventriloque pour simuler des voix qui semblent venir de nulle part. Parmi d’autres techniques, on brandit sur une perche au-dessus du public des masques qui s’illuminent d’un coup dans l’obscurité grâce à du phosphore. Avec un autre appareil, le mégascope, on pouvait projeter des objets 3D, voire la tête du fantasmagore lui-même.

Ainsi, tout contribue à créer une ambiance qui rend l’illusion possible, voire crédible, surtout quand ce spectacle était une nouveauté pour le public. Mais évidemment, rien n’est réel, les morts ne reviennent pas lors d’une fantasmagorie.

Les fantasmagores sont-ils des charlatans ?

Les fantasmagores sont ceux qui organisent, mettent en scène et animent un spectacle de fantasmagorie. Ce ne sont pas des charlatans, car ils annoncent bien qu’ils n’ont pas de pouvoirs magiques et que tout s’explique par la science. Ils ne mentent pas, mais comme ils ne montrent par les secrets de leurs spectacles, que tout reste caché, beaucoup de gens pensent que c’est vrai ou bien se posent des questions. Et les fantasmagores profitent allégrement de ce mystère qui garantit le succès de leur spectacle.

Robertson, Philidor, Garnerin, Le Breton, Olivier… sous leur vrai nom ou un pseudonyme, les fantasmagores des premiers temps sont des personnages hauts en couleurs. Ils sont tout à la fois aventurier, voyageur, homme de spectacle ou « monsieur Loyal », scientifique et encore tant d’autres choses. Leur grand talent est d’utiliser

Il s’agit en fait d’une rétroprojection, par l’autre côté de l’écran. Le public ne voit pas le fantascope et croit donc que le monstre ou le squelette surgit du néant.

Le Magasin Pittoresque « La Fantasmagorie. Le physicien Robertson », 1849

(Photo Mathieu Bertola)

Physique expérimentale de Consenlin,

rue de Bussi (sic). Il prévient le public qu’il fera des

Expériences tous les jours à 6h30 du soir, et commencera par celles sur l’Air, les Feux

d’artifices, les Gaz, l’Électricité des nuages, où l’on verra un chat tué par l’électricité.

Il terminera par le Galvanisme et la Fantasmagorie, et démontrera les causes et les effets de tour, et fera connaitre les

instruments. (1801)

manque. Ce sera chose faite dans les années 1890 grâce aux inventions d’Edison, Dickson, Reynaud et des frères Lumière. Le cinéma de Georges Méliès et Segundo de Chomon peut être considéré comme une fantasmagorie filmée. Les thématiques macabres continuent à prospérer dans le cinéma, avec l’horreur et le fantastique, depuis les classiques, comme Nosferatu en 1922, jusqu’aux superproductions contemporaines.

Ce squelette sortant de sa tombe était projeté et agrandit grâce à un mégascope (Mairie de Toulouse, musée Paul-Dupuy,

photo Rodolphe Carreras)

Robertson verse sur un réchaud enflammé deux verres de sang, une bouteille de vitriol, douze gouttes d’eau forte, et deux exemplaires du Journal des Hommes libres. Aussitôt s’élève peu à peu un petit fantôme livide, hideux, armé d’un poignard et couvert d’un bonnet rouge. L’homme aux cheveux hérissés le reconnaît pour Marat. Il veut l’embrasser  ; le fantôme fait une grimace effroyable et disparaît.Un jeune merveilleux sollicite l’apparition d’une femme qu’il a tendrement aimée, et alors il montre le portrait en miniature au fantasmagorien, qui jette sur le brasier des plumes de moineau, quelques grains de phosphore et une douzaine de papillons. Bientôt on aperçoit une femmes les cheveux flottants et fixant son jeune ami avec un sourire tendre et douloureux.Extrait du journal L’Ami des lois du 8 germinal an VI – 28 mars 1798

Fantasmagorie de Robertson,

cour des Capucine, place Vendôme.

Aujourd’hui, séance sur les apparitions, prestiges, illusions, optiques, clair de lune, effets de lumière hydraulique, mélange de

l’eau et du feu, carrosse d’or traîné par une puce vivante ; explication de la Femme

invisible, galvanisme, tentation de saint Antoine, allégorie de serpents qui mordent la lime, avec cette devise : C’est celui qui

fait le mieux qui a le plus de mérite, ballet des Momies. À 7 heures. (1802)

Cabinet de Physique de M. Bienvenu,

rue Neuve-des-Petits-Champs, près celle de

la Loi, n° 29.M. Bienvenu donnera aujourd’hui et les jours suivants une série d’expériences de physique, dégagées de tout appareil scientifique, qui offrent tout ce que la physique a de plus amusant et de plus

utile à la vie humaine ; terminées par les tableaux pittoresques, la fantasmagorie et le ballet des sorciers. On commencera à sept

heures du soir. (1806)

Fréderic Dillaye, Les Jeux de la jeunesse, leur origine, leur histoire et l’indication des règles qui les régissent,

Hachette et Cie, Paris, 1885

(Photo Mathieu Bertola)