Des émirats à la conquête du ciel - Supconcours · Le principal volet des mesures an-noncé...

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8 | dossier MARDI 9 JUIN 2015 0123 Des émirats à la conqu ête du ciel Emirates, Etihad, Qatar Airlines… En moins de dix ans, les compagnies du Golfe ont conquis le tiers du mar ch é long-courrier entre l’Europe et l’Asie, et s’attaquent désormais à l’Amérique. Les acteurs historiques hurlent à la concurrence déloyale Un A380 de la compagnie Emirates, à Dubaï. BLOOMBERG/GETTY IMAGES guy dutheil T rois sœurs contre trois sœurs. En mars, American Airlines, United et Delta, les trois plus importantes compagnies aé- riennes américaines, ont bru- talement mis les pieds dans le plat. Rapport à la clé, elles ont dénoncé la concurrence, qualifiée de déloyale, de leurs rivales venues du Golfe : Emirates, Qatar Airways et Etihad. En colère, elles brandis- sent leur réquisitoire de 55 pages, aboutisse- ment de deux années d’enquête, qui prou- verait que les « trois sœurs » du Golfe auraient bénéficié de 42 milliards de dollars (environ 37,2 milliards d’euros) de subven- tions publiques. L’ire des compagnies américaines a été notamment provoquée par les velléités d’expansion de leurs rivales d’Abou Dhabi, du Qatar et de Dubaï. Après l’Europe et l’Asie, les compagnies du Golfe visent désor- mais le marché américain. « Elles nous atta- quent parce que nous avons commencé à opérer des vols vers les Etats-Unis depuis deux à trois ans », reconnaît Thierry Aucoc, vice-président d’Emirates chargé de l’Eu- rope et de la Russie. La compagnie de Dubaï vient tout juste de lancer une liaison directe vers Washington au départ de Milan. Mais les compagnies américaines ne sont pas les seules, ni les premières, à pointer du doigt les trois compagnies du Golfe. Les pre- mières victimes ont été européennes. Air France-KLM et Lufthansa ont, elles aussi, décidé de se battre par communiqués ven- geurs et lobbying intensif. Ces réactions sont à la mesure de la peur que suscite l’essor des compagnies du Golfe. Il faut dire que la montée en puis- sance d’Etihad, d’Emirates et de Qatar Airways a été fulgurante. En 2008, elles ne détenaient que 22 % de parts de marché du trafic passagers sur la zone Europe, Moyen- Orient, Inde et Asie du Sud-Est, leur princi- pale aire de chalandise. A l’époque, dans la région, Air France-KLM, British Airways et Lufthansa faisaient la loi, avec 23 % du mar- ché. Loin devant les meilleures compagnies asiatiques, qui culminaient à 15 %. Sept ans plus tard, la hiérarchie a été totale- ment bouleversée. Les transporteurs du Golfe ont raflé un tiers du marché. Les « his- toriques » européennes et leurs rivales asia- tiques sont loin derrière, avec respective- ment 16 % et 11 % de parts de marché. Une croissance considérable Et le fossé ne cesse de se creuser, au point de sembler désormais insurmontable. Les trois groupes proche-orientaux « ont un taux de croissance considérable », constate, mi-admiratif mi-catastrophé, un cadre diri- geant d’une grande compagnie européenne. Elles sont même en plein boom. Depuis plu- sieurs années, leur croissance est à deux chiffres. De 15 % à 20 % par an, quand celle des compagnies européennes ne dépasse pas 3 % à 5 % par an. Par ailleurs, quand Air France-KLM et Lufthansa accumulent pertes et dettes (198 millions d’euros perdus en 2014 pour Air France-KLM), plans sociaux et grèves, dans le Golfe, l’heure est à l’opulence. Emi- rates vient ainsi d’annoncer que, « du PDG, Tim Clark, au dernier des balayeurs, cha- cun va recevoir un bonus de neuf semaines de salaire ». La compagnie peut être géné- reuse. Début mai, elle a annoncé qu’elle avait réalisé le deuxième meilleur résultat annuel de son histoire, avec un bénéfice de 1,2 milliard de dollars. Aides d’Etat Pour les compagnies américaines et euro- péennes, jalouses de la bonne santé de leurs rivales du golfe, cette forme éblouissante proviendrait pour une large part des mil- liards d’euros de subventions dont elles auraient bénéficié. Une concurrence dé- loyale qui fausse le marché. Air France-KLM dénonce ainsi les « aides directes considéra- bles qui seraient condamnées comme aides d’Etat dans l’Union européenne ». Les compagnies du Golfe, financées par des monarchies pétrolières, sont accusées de ne pas payer leur pétrole au juste prix. El- les sont aussi suspectées de ne verser qu’un « coût marginal » pour leurs infrastructu- res. Surtout, elles bénéficieraient « des rede- vances aéroportuaires parmi les plus faibles cent quarante. C’est le chiffre qui fait se dresser les cheveux sur la tête des patrons d’Air France. « En 2023, Emirates aura cent qua- rante A380 » dans sa flotte, s’in- quiète la compagnie, présidée par Frédéric Gagey. De quoi transporter des milliers de passagers. D’autant que le Su- per-Jumbo d’Airbus serait l’avion préféré de ces derniers : lorsqu’ils ont le choix, ils optent générale- ment, dit-on, pour un voyage en A380. Un avion admiré pour son envergure et réputé pour son confort, sa luminosité et le silence de sa cabine. Air France a des raisons de s’in- quiéter. Et même plus encore qu’elle ne le croit. Emirates a choisi d’augmenter le nombre de passagers transportés par un A380. Le 1 er décembre, la com- pagnie de Dubaï prendra livraison de son premier Super-Jumbo re- configuré selon ses vœux pour proposer 615 sièges. Le plus grand nombre de passagers pour un ap- pareil commercial. Une version « bi-classe » Pour loger autant de passagers, Emirates a supprimé la première classe et réduit le nombre de fau- teuils en « business ». Cette version « bi-classe » est entièrement con- forme aux desiderata de la compa- gnie émiratie. Le premier A380 bi- classe devrait desservir Copenha- gue au départ de Dubaï. Il viendra soulager des Boeing 777, « toujours pleins » sur cette destination. Avec son carnet de commandes en bandoulière, Tim Clark, prési- dent d’Emirates, réclame de façon récurrente un A380 NEO. Un Su- per-Jumbo remotorisé pour être beaucoup moins gourmand en carburant. On dit qu’il serait aussi intéressé par un avion plus al- longé, pour transporter plus de passagers. Une manière de faire baisser le coût du siège par kilo- mètre et par personne. « Emirates participe à la concep- tion de l’A380 en tant que plus gros client. Il y a en permanence des in- génieurs d’Emirates auprès d’Air- bus », reconnaît Thierry de Bailleul, directeur général d’Emi- rates France. La compagnie de Dubaï a pres- que droit de vie et de mort sur l’A380. « S’il n’y avait pas les com- mandes d’Emirates, il n’y aurait pas de programme A380. Nous sé- curisons tout le programme », rap- pelle Thierry de Bailleul. Avec ses cent quarante A380 commandés, Emirates compte pour 44 % du to- tal des commandes engrangées par Airbus pour cet avion. L’A380 est devenu le fleuron d’Emirates. En 2015, la compagnie va voir sa flotte long-courrier se gonfler de 28 appareils supplé- mentaires, parmi lesquels 12 Su- per-Jumbo. En 2016, vingt A380 bi-classe devraient rejoindre la flotte d’Emirates. A titre de com- paraison, Air France ne compte aujourd’hui que dix A380 dans sa flotte. p g. d. L’A380, navire amiral d’Emirates

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Des émirats à la conquête du cielEmirates, Etihad, Qatar Airlines… En moins de dix ans, les compagnies du Golfeont conquis le tiers du mar ché long-courrier entre l’Europe et l’Asie, et s’attaquent désormais à l’Amérique. Les acteurs historiques hurlent à la concurrence déloyale

Un A380 de la

compagnieEmirates,

à Dubaï. BLOOMBERG/GETTY

IMAGES

guy dutheil

Trois sœurs contre trois sœurs.En mars, American Airlines,United et Delta, les trois plusimportantes compagnies aé-riennes américaines, ont bru-talement mis les pieds dans le

plat. Rapport à la clé, elles ont dénoncé la concurrence, qualifiée de déloyale, de leursrivales venues du Golfe : Emirates, Qatar Airways et Etihad. En colère, elles brandis-sent leur réquisitoire de 55 pages, aboutisse-ment de deux années d’enquête, qui prou-verait que les « trois sœurs » du Golfeauraient bénéficié de 42 milliards de dollars(environ 37,2 milliards d’euros) de subven-tions publiques.

L’ire des compagnies américaines a éténotamment provoquée par les velléitésd’expansion de leurs rivales d’Abou Dhabi,du Qatar et de Dubaï. Après l’Europe et l’Asie, les compagnies du Golfe visent désor-mais le marché américain. « Elles nous atta-quent parce que nous avons commencé àopérer des vols vers les Etats-Unis depuisdeux à trois ans », reconnaît Thierry Aucoc, vice-président d’Emirates chargé de l’Eu-rope et de la Russie. La compagnie de Dubaï vient tout juste de lancer une liaison directevers Washington au départ de Milan.

Mais les compagnies américaines ne sontpas les seules, ni les premières, à pointer dudoigt les trois compagnies du Golfe. Les pre-

mières victimes ont été européennes. Air France-KLM et Lufthansa ont, elles aussi,décidé de se battre par communiqués ven-geurs et lobbying intensif.

Ces réactions sont à la mesure de la peurque suscite l’essor des compagnies duGolfe. Il faut dire que la montée en puis-sance d’Etihad, d’Emirates et de QatarAirways a été fulgurante. En 2008, elles nedétenaient que 22 % de parts de marché du

trafic passagers sur la zone Europe, Moyen-Orient, Inde et Asie du Sud-Est, leur princi-pale aire de chalandise. A l’époque, dans larégion, Air France-KLM, British Airways etLufthansa faisaient la loi, avec 23 % du mar-ché. Loin devant les meilleures compagniesasiatiques, qui culminaient à 15 %.

Sept ans plus tard, la hiérarchie a été totale-ment bouleversée. Les transporteurs du Golfe ont raflé un tiers du marché. Les « his-

toriques » européennes et leurs rivales asia-tiques sont loin derrière, avec respective-ment 16 % et 11 % de parts de marché.

Une croissance considérableEt le fossé ne cesse de se creuser, au point

de sembler désormais insurmontable. Lestrois groupes proche-orientaux « ont untaux de croissance considérable », constate,mi-admiratif mi-catastrophé, un cadre diri-geant d’une grande compagnie européenne.Elles sont même en plein boom. Depuis plu-sieurs années, leur croissance est à deuxchiffres. De 15 % à 20 % par an, quand celle des compagnies européennes ne dépasse pas 3 % à 5 % par an.

Par ailleurs, quand Air France-KLM etLufthansa accumulent pertes et dettes(198 millions d’euros perdus en 2014 pourAir France-KLM), plans sociaux et grèves,dans le Golfe, l’heure est à l’opulence. Emi-rates vient ainsi d’annoncer que, « du PDG,Tim Clark, au dernier des balayeurs, cha-cun va recevoir un bonus de neuf semaines de salaire ». La compagnie peut être géné-reuse. Début mai, elle a annoncé qu’elleavait réalisé le deuxième meilleur résultat annuel de son histoire, avec un bénéfice de1,2 milliard de dollars.

Aides d’EtatPour les compagnies américaines et euro-

péennes, jalouses de la bonne santé de leursrivales du golfe, cette forme éblouissanteproviendrait pour une large part des mil-liards d’euros de subventions dont ellesauraient bénéficié. Une concurrence dé-loyale qui fausse le marché. Air France-KLMdénonce ainsi les « aides directes considéra-bles qui seraient condamnées comme aidesd’Etat dans l’Union européenne ».

Les compagnies du Golfe, financées pardes monarchies pétrolières, sont accusées de ne pas payer leur pétrole au juste prix. El-les sont aussi suspectées de ne verser qu’un« coût marginal » pour leurs infrastructu-res. Surtout, elles bénéficieraient « des rede-vances aéroportuaires parmi les plus faibles

cent quarante. C’est le chiffrequi fait se dresser les cheveux sur la tête des patrons d’Air France.« En 2023, Emirates aura cent qua-rante A380 » dans sa flotte, s’in-quiète la compagnie, présidée parFrédéric Gagey.

De quoi transporter des milliersde passagers. D’autant que le Su-per-Jumbo d’Airbus serait l’avion préféré de ces derniers : lorsqu’ils ont le choix, ils optent générale-ment, dit-on, pour un voyage en A380. Un avion admiré pour son envergure et réputé pour sonconfort, sa luminosité et le silencede sa cabine.

Air France a des raisons de s’in-quiéter. Et même plus encore qu’elle ne le croit. Emirates a choisi d’augmenter le nombre de

passagers transportés parun A380. Le 1er décembre, la com-pagnie de Dubaï prendra livraisonde son premier Super-Jumbo re-configuré selon ses vœux pourproposer 615 sièges. Le plus grand nombre de passagers pour un ap-pareil commercial.

Une version « bi-classe »

Pour loger autant de passagers, Emirates a supprimé la première classe et réduit le nombre de fau-teuils en « business ». Cette version« bi-classe » est entièrement con-forme aux desiderata de la compa-gnie émiratie. Le premier A380 bi-classe devrait desservir Copenha-gue au départ de Dubaï. Il viendrasoulager des Boeing 777, « toujours pleins » sur cette destination.

Avec son carnet de commandesen bandoulière, Tim Clark, prési-dent d’Emirates, réclame de façonrécurrente un A380 NEO. Un Su-per-Jumbo remotorisé pour être beaucoup moins gourmand encarburant. On dit qu’il serait aussiintéressé par un avion plus al-longé, pour transporter plus depassagers. Une manière de faire baisser le coût du siège par kilo-mètre et par personne.

« Emirates participe à la concep-tion de l’A380 en tant que plus grosclient. Il y a en permanence des in-génieurs d’Emirates auprès d’Air-bus », reconnaît Thierry deBailleul, directeur général d’Emi-rates France.

La compagnie de Dubaï a pres-que droit de vie et de mort sur

l’A380. « S’il n’y avait pas les com-mandes d’Emirates, il n’y auraitpas de programme A380. Nous sé-curisons tout le programme », rap-pelle Thierry de Bailleul. Avec sescent quarante A380 commandés,Emirates compte pour 44 % du to-tal des commandes engrangées par Airbus pour cet avion.

L’A380 est devenu le fleurond’Emirates. En 2015, la compagnie va voir sa flotte long-courrier segonfler de 28 appareils supplé-mentaires, parmi lesquels 12 Su-per-Jumbo. En 2016, vingt A380bi-classe devraient rejoindre la flotte d’Emirates. A titre de com-paraison, Air France ne compteaujourd’hui que dix A380 dans saflotte. p

g. d.

L’A380, navire amiral d’Emirates

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8 | france MERCREDI 10 JUIN 2015

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Le plan Valls pour amadouer les PMELe premier ministre a annoncé, mardi 9 juin, une série de mesures « pour lever les freins à l’emploi »

Une session de rattra-page. Après avoir reçul’ensemble des parte-naires sociaux, le pre-

mier ministre, Manuel Valls, en-touré d’une partie de son gouver-nement, a annoncé, mardi 9 juin, un important volet de mesures enfaveur des très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes en-treprises (PME).

Celles-ci s’estimaient les gran-des oubliées des projets de loi sur la croissance et l’activité, porté par le ministre de l’économie, Em-manuel Macron, et sur le dialoguesocial et l’emploi, défendu par le ministre du travail, François Reb-samen. Or, le gouvernement enconvient, si les TPE et PME repré-sentent un fort gisement d’em-plois potentiel, c’est aussi là que les freins à l’embauche se font le plus sentir, malgré la – timide – re-prise de l’activité et de la crois-sance.

Le gouvernement est donc dé-cidé à entraîner un mouvement en matière d’embauches dans lesTPE et PME en les soulageant à la faveur d’un plan que Matignon présente comme « une sorte de “job act” à la française ». S’il ap-porte des garanties de sécurisa-tion aux entrepreneurs, il n’en-tend pas, cependant, ouvrir laboîte de Pandore du contrat de travail. Seule concession sur ce point : les contrats à durée déter-minée seront désormais renouve-lables deux fois, et non plus unecomme actuellement, pour une durée maximale de 18 mois.

« Corridor indemnitaire »

Le principal volet des mesures an-noncé mardi porte sur les indem-nités prud’homales en cas de licen-ciement contesté. Le projet de loi Macron avait déjà amorcé une ré-forme de la procédure, renforçant l’exigence de conciliation et ins-taurant un référentiel indicatif pour la fixation des indemnités dues par l’employeur au salarié. Cette fois, le gouvernement va plus loin en créant un barème im-pératif, assorti d’un plancher et d’un plafond selon la taille de l’en-treprise et l’ancienneté du salarié. Celui-ci ne remet pas en cause les

indemnités légales de licencie-ment, qui restent inchangées.

Pour les entreprises de moins de20 salariés, une ancienneté de 2 à 15 ans donnera droit à une indem-nité comprise entre 2 et 6 mois. Au-delà de 15 ans d’ancienneté, elles’étagera entre 2 et 12 mois. Pour une ancienneté inférieure à 2 ans, l’indemnité maximale sera d’un douzième de mois par mois d’an-cienneté.

Pour les entreprises de plus de20 salariés, entre 2 et 15 ans d’an-cienneté ouvriront droit à 4 à 10 mois d’indemnité. Au-dessus de

15 ans d’ancienneté, la fourchette sera comprise entre 4 et 20 mois d’indemnité. En dessous de 2 ans, le maximum sera d’un sixième de mois par mois d’ancienneté. L’exa-men parlementaire déterminera le montant des indemnités pour les entreprises à partir d’un seuil de 250 ou 300 salariés.

Pour contourner l’obstacle cons-titutionnel de la liberté d’appré-ciation du juge, le gouvernementa donc fait le choix d’un « corridorindemnitaire ». L’exécutif sou-tient que les plafonds retenussont supérieurs à la moyenne des indemnités actuellement appli-quées, qui peuvent varier du sim-ple au double, pour des cas simi-laires, selon les juridictionsprud’homales. Les fourchettesadoptées, cependant, sont encore plus larges, pouvant varier d’un à six, avec des planchers extrême-ment bas. Avant même que les dé-tails de cette grille ne soient con-nus, les syndicats de salariés – y compris la CFDT – avaient dit être en désaccord avec l’idée d’un ba-rème obligatoire. Les montants

retenus par l’exécutif pourraientles conforter dans leur hostilité àun tel dispositif.

Seuil de 11 salariés

L’autre dispositif majeur de ce plan porte sur les effets de seuil. Pour les TPE, les obligations socia-les jusqu’à présent fixées aux en-treprises de plus de 9, 10 ou 11 sala-riés sont uniformisées au seuil de 11 salariés. Cela concerne le verse-ment transport, la participation à la formation continue, la contribu-tion au financement des presta-tions complémentaires de pré-voyance et les cotisations sociales sur les salaires des apprentis. En outre, jusqu’à 50 salariés, les seuilsdu régime d’imposition et les coti-sations sociales seront gelés pen-dant trois ans.

Diverses mesures complètent cevolet « lever les freins à l’emploi ». Pour les apprentis, la période d’es-sai de 2 mois sera désormais effec-tive à partir du premier jour passé dans l’entreprise, alors qu’actuelle-ment est prise en compte, pour la plupart des apprentis, la période

en centre de formation.Le plan Valls revient également

sur une disposition, inscrite par lesparlementaires dans la loi trans-posant l’accord national interpro-fessionnel (ANI) de janvier 2013 surl’emploi. Celle-ci prévoit que les sa-lariés refusant de signer l’avenant à leur contrat de travail dans le ca-dre d’un dispositif de maintien de l’emploi sont considérés comme licenciés économiques. Les signa-taires de l’ANI estiment que le légis-lateur a, sur ce point, détourné l’es-prit de l’accord. Pour le gouverne-ment, cela a considérablement li-mité le nombre d’accords de maintien de l’emploi, en raison du coût pour les entreprises, con-

Christian Eckert, secrétaire d’Etat au budget, Michel Sapin, ministre des finances, et Manuel Valls, premier ministre, à l’Elysée, mardi 9 juin. CHARLES PLATIAU/AFP

Matignon

présente ce plan

comme

« une sorte

de “job act”

à la française »

traintes de procéder à des plans so-ciaux dès lors que le nombre de personnes concernées dépassait dix, ce qui entravait ensuite les éventuelles embauches futures.

L’Etat va porter à 100 000 lenombre de formations prioritairespour les demandeurs d’emploi dans des métiers qui recrutent et qui manquent de candidats.

Enfin, des mesures d’urgencecontre la fraude aux détache-ments de travailleurs vont être pri-ses pour rendre solidairement res-ponsable le donneur d’ordre. L’ac-cès aux commandes publiques pour les TPE et PME va être facilité,ainsi que la création ou la reprise d’entreprise. L’ensemble de ces mesures devraient être intégrées par voie d’amendements gouver-nementaux dans le projet de loi Macron, dont la deuxième lecture doit commencer le 16 juin à l’As-semblée nationale, et dans le texte Rebsamen, dont le Sénat s’empa-rera le 22 juin. p

bertrand bissuel,

bastien bonnefous

et patrick roger

le plan de manuel valls en faveur desTPE et des PME devrait s’attaquer à l’un desdossiers les plus brûlants dans le monde des micro-entreprises : celui du régime so-cial des indépendants (RSI), dont les dys-fonctionnements, chroniques depuis desannées, plongent dans une colère noiredes milliers de petits patrons. Lundi 8 juin, le premier ministre s’est vu remettre un « rapport d’étape » rédigé par deux dépu-tés, Sylviane Bulteau (PS, Vendée) et Fa-brice Verdier (PS, Gard). Il leur avait confié, début avril, une « mission d’évaluation » afin d’améliorer le fonctionnement de ce système de Sécurité sociale, issu de la fu-sion en 2006 de plusieurs caisses et qui couvre quelque 6 millions de travailleurs indépendants (artisans, commerçants, professions libérales, etc.). Certaines destrente préconisations formulées par lesdeux parlementaires devaient être reprisesdans les annonces faites, mardi, par M. Valls.

Il y a urgence. Retards dans l’enregistre-ment des inscriptions, appels de cotisationerronés, relances injustifiées, services in-joignables… Les ratés du RSI, même s’ils sont en nette diminution d’après le rap-

port de Mme Bulteau et de M. Verdier, ali-mentent un climat d’exaspération relayé par l’opposition. Le 9 mars, plusieurs mil-liers de personnes ont défilé à Paris pour exprimer leur ras-le-bol ; quelques élus desRépublicains s’étaient glissés dans le cor-tège tandis que les deux députés FN, Ma-rion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard, avaient fait une brève apparition au début de la manifestation. Depuis, le méconten-tement n’est pas retombé : ainsi, des com-merçants et des artisans ont bloqué, lundi, les accès au siège régional du RSI à Rennes.

Temps partiel thérapeutique

Soucieux d’éteindre l’incendie, le premier ministre a laissé filtrer, lundi, dans un com-muniqué, quelques-unes des mesures « àmettre en œuvre rapidement » : généralisa-tion des médiateurs qui avaient été expéri-mentés dans certaines régions pour traiter les dossiers complexes, amélioration de l’accueil téléphonique… D’autres décisionsdevraient suivre sur la base du rapport défi-nitif que Mme Bulteau et M. Verdier ren-dront à la mi-septembre. Elles pourraientêtre inscrites dans un projet de loi de finan-cement de la Sécurité sociale (PLFSS).

Pour améliorer la couverture santé des in-dépendants, les deux parlementaires sug-gèrent de leur accorder la possibilité d’un temps partiel thérapeutique quand ils ne sont pas en mesure de travailler à temps complet à cause d’un problème de santé. Ils proposent aussi de ramener à trois le nom-bre de jours de carence en cas d’arrêt-mala-die, afin qu’il soit identique à celui des sala-riés du privé.

« Il n’y aura pas de grand soir du RSI », a dé-claré M. Verdier, lundi, à l’issue de sa ren-contre à Matignon avec le premier ministre et plusieurs membres du gouvernement. Ledéputé du Gard a souligné la nécessité d’avancer pas à pas, dans une perspective delong terme et en soupesant les impacts de la réforme en cours. Toutes les difficultés neseront pas résolues « en un claquement de doigt », a prévenu Mme Bulteau. Les deux parlementaires ont précisé que les hypo-thèses d’un rattachement du RSI au régime général de la Sécurité sociale ou à la Mutua-lité sociale agricole seraient étudiées, tout en rappelant que les indépendants étaient attachés à la préservation du système dans sa « configuration actuelle ». p

b.bi.

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0123MARDI 9 JUIN 2015 dossier | 9

au monde », s’indigne encore Air France, qui reproche à Aéroports de Paris les tarifstrop élevés qu’il doit acquitter.

La situation n’est « pas si simple », analysetoutefois Stéphane Albernhe, président du cabinet de conseil Archery Strategy Consul-ting (ASC). Selon lui, « là où les compagnies du Golfe font la différence avec la concur-rence, c’est sur leurs coûts de personnels. Cen’est pas leur facture de carburant qui faitl’écart. » Le différentiel de coûts serait « de 20 % à 30 % » en leur faveur.

Par ailleurs, relève Stéphane Albernhe,« les compagnies américaines n’ont pas deleçon à donner avec leur Chapitre 11 ». Cettemesure de protection des sociétés en faillite outre-Atlantique, dont elles ont tou-tes ou presque bénéficié, permet « de net-toyer leurs mauvaises dettes, de se recapita-liser et de repartir à l’assaut du marché ».

Cet argument a d’ailleurs été mis en avantpar le patron d’Etihad, James Hogan, qui a affirmé, le 2 juin, que les trois compagnies américaines ont reçu depuis l’an 2000 des avantages totalisant plus de 70 milliards dedollars des autorités américaines et par desprocessus judiciaires, comme le Chapitre 11.

Des avions à tour de brasLes compagnies européennes n’ont pas

ces facilités. Leur peur est désormais palpa-ble. Une note interne d’Air France, queLe Monde a pu se procurer, relève « une in-quiétude mondiale ». Il y a de quoi. En dixans, Emirates, Qatar Airways et Etihad sontdevenues des géantes du secteur aérien.Rien que sur le trafic entre l’Europe et leGolfe, leurs capacités ont explosé de 430 %entre 2004 et 2015. Air France-KLM, BritishAirways et Lufthansa ne peuvent pas sui-vre. Leurs capacités n’ont progressé que de23 %.

Et, à l’avenir, le ciel ne semble pas se déga-ger. Au contraire. Les compagnies du Golfeachètent des avions à tour de bras. Avec leslow cost, elles comptent parmi les meilleu-res clientes d’Airbus et de Boeing. Notam-ment des long-courriers. A elles trois, ellesont passé commande de 596 avions gros-porteurs. Air France-KLM, British Airways et Lufthansa sont à la peine, avec seule-ment 181 long-courriers en commande.

Les trois sœurs pourraient même faire ex-ploser les compteurs à l’occasion du Salondu Bourget qui ouvrira ses portes mi-juin –Airbus a promis une avalanche de comman-des. Leur objectif est de « prendre des partsde marché sur les passagers à haute contri-bution, ceux de première et de businessclass », explique M. Albernhe d’ASC.

Air France ferme des lignesLes effets sont déjà perceptibles. Pour la

première fois en 2014, la recette unitairelong-courrier, le gain par passager, d’AirFrance a baissé. Et la compagnie argue quecette concurrence a un prix et un coût so-cial. Alexandre de Juniac, le PDG, a sorti sacalculette. En 2015, le manque à gagnerpour sa compagnie devrait s’élever à un milliard d’euros.

Le coût des fermetures de ligne (AbouDhabi, Doha, Djeddah, Madras, Hanoï, Ph-nom-Penh) devrait atteindre 200 millionsd’euros. Un montant auquel s’ajoutent800 millions de croissance évaporée. AirFrance aurait perdu 2,5 millions de passa-gers. De quoi remplir « 13 avions quiauraient pu rejoindre la flotte », se désole la

compagnie. Au total, ce sont « au minimum2 000 emplois directs » chez Air France qui ont disparu.

Plus qu’Emirates et Qatar Airways, c’estsurtout Etihad qui semble visée par Air France-KLM et Lufthansa. Il y a un an, lesdeux compagnies ont adressé une lettre commune à la Commission européennepour faire respecter « des règles du jeu équi-tables ».

Outre les aides financières déguisées, el-les suspectent Etihad de prendre le con-trôle de fait de compagnies européennespar des participations minoritaires. Coupsur coup, la compagnie d’Abou Dhabi estentrée au capital d’Aer Lingus, de DarwinAirlines, d’Air Berlin, d’Air Serbia et enfind’Alitalia.

Pour l’heure, le marché français est relati-

plus de six ans après la crise fi-nancière, en 2008, les compagnies aériennes américaines se sont res-tructurées, certaines ont fusionnéet toutes sont de nouveau renta-bles. American Airlines, United Air-lines, Delta Air Lines, et Southwest Airlines, qui concentrent désor-mais près de 90 % du trafic passa-gers aux Etats-Unis, n’entendentpas que de nouveaux concurrentsviennent remettre en question le travail accompli au prix, parfois, de faillites retentissantes.

L’ennemi ? Emirates, EtihadAirways et Qatar Airways, accuséesde venir chasser sur les terres amé-ricaines, alors qu’elles touche-raient de généreuses subventionsde leur gouvernement respectif. Ledifférend a éclaté en janvier, lors-que les américaines ont demandéau gouvernement de BarackObama de stopper cette concur-rence qualifiée de « déloyale ». El-les demandent en particulier de re-voir les accords Open Sky (« cielouvert »), qui libéralisent l’accèsau ciel américain.

Le conflit commercial a atteintson apogée en février, lorsque lePDG de Delta, Richard Anderson, a dérapé en faisant un parallèle osé avec les attentats du 11 septem-bre 2001. Alors qu’un journaliste luifaisait remarquer que les compa-

gnies américaines avaient ellesaussi touché des aides lorsqu’elles se sont placées sous la protectiondu chapitre 11 de la loi sur les failli-tes des entreprises, le patron estsorti de ses gonds : « Il y a une cer-taine ironie de la part des compa-gnies de la péninsule Arabique à par-ler de cela, étant donné que notre secteur a été ébranlé par les atten-tats du 11-Septembre, qui ont été per-pétrés par des terroristes de cette pé-ninsule. » Ambiance.

Renégociation d’Open Sky ?

Depuis, le différend ne cesse de s’en-venimer. Le 16 mai, lors d’une con-férence de presse commune entre les compagnies américaines, DougParker, le patron d’American, a dé-noncé le coup de force actuel des compagnies du Golfe, qui auraient augmenté leur activité aux Etats-Unis de 25 % depuis janvier, dans une logique de « ce qui est pris n’estplus à prendre », avant que leur dé-veloppement ne soit éventuelle-ment bloqué par Washington.

Les compagnies américaines fontvaloir que leur part de marché versl’Asie du Sud et du Sud-Est a baissé de cinq points depuis 2008, alorsque celles d’Emirates, Qatar et Eti-had auraient grimpé, dans le mêmetemps, de 40 % sur ces destinations.Elles s’inquiètent également de la

concurrence que ces compagniesexercent sur leurs partenaires euro-péens comme Air France et Lufthansa.

Jeff Smisek, le patron d’United,souligne, lui, que les compagniesaméricaines ont les moyens de lut-ter contre des rivaux étrangers, mais pas contre les gouvernements des monarchies pétrolières. Plus de 42 milliards de dollars (37,3 mil-liards d’euros) d’aides diversesauraient été versés depuis 2004.

Faux, rétorquent les compagniesdu Golfe. Dans un document remisaux autorités américaines le 2 juin, Etihad Airways affirme ainsi que« les capitaux et les prêts de [leurs] actionnaires ne sont pas des subven-tions sous quelque forme que ce soit.Il s’agit des moyens que le gouverne-ment d’Abou Dhabi a judicieuse-ment investis dans un modèle éco-nomique gagnant ».

L’administration Obama reste pru-dente quant à la renégociation d’Open Sky, tandis que les associa-tions de consommateurs voient plu-tôt d’un bon œil cette concurrence, dans laquelle s’est engouffrée la compagnie américaine low cost Jet-Blue, qui a déjà noué des partena-riats avec les trois compagnies du Golfe. p

stéphane lauer

(new york, correspondant)

La concurrence du Golfe inquiète les Américains

2005 2014 2005 2014* 2005 2014* 2005 2014*

Compagniesdu Golfe

British Airwayset Iberia

Air France KLM

Air France KLMBA et IberiaLu�hansa

EmiratesEtihad

Qatar Airways

Lu�hansa

=1 million

de passagers

Etihad

(Abu Dhabi)

Qatar

Airways

Emirates

(Dubaï)

NOMBRE DE PASSAGERS TRANSPORTÉS PAR COMPAGNIE EN 2005, PUIS EN 2014, EN MILLIONS

MANQUE À GAGNER POUR AIR FRANCE LIÉ À LA CONCURRENCE DU GOLFE DEPUIS DIX ANS

CHIFFRE D’AFFAIRES 2014EN MILLIARDS D’EUROS

MARGE OPÉRATIONNELLE2013, EN %

ÉVOLUTIONDES CAPACITÉS

AÉRIENNESENTRE L’EUROPE

ET LE GOLFE(2004-2011)

SOURCES : COMPAGNIES, AIRLINES BUSINESS, LE MONDE

* Y compris les compagnies low cost :

Vueling pour British Airways et Iberia,

Transavia pour Air France KLM,

Germanwings pour Lu�hansa

Compagnies du Golfe : une croissance impressionnante... ... qui inquiète les Européens

D’énormes moyens, des aides contestées

30

6

4

2,3

0,5

25

2020

Emirates BAet Iberia

AFet KLM

Lu�hansa Emirates BAet Iberia

AFet KLM

Lu�hansa

18

81

77

64 64

51

87

106

+ 350 % + 20 % + 36 % + 108 %

+ 430 %

+ 23 %

1MILLIARD D’EUROS

DE CHIFFRE D’AFFAIRES

2,5MILLIONS

DE PASSAGERS

13AVIONS

(NON ACHETÉS)

2 000EMPLOIS DIRECTS

DANS LA COMPAGNIE

140A380 DANS LA FLOTTED’EMIRATES EN 2023

42MILLIARDS DE DOLLARS

La compagnie de Dubaï

est le premier client d’Airbus

pour ce gros-porteur

C’est, selon une étude des grandes entreprises

aériennes américaines, le montant

des aides directes versées par les Etats

du Golfe à leurs compagnies

nationales (2004-2014)

« NOTRE BUSINESS MODEL EST

DE RELIER CHAQUE VILLE DU MONDE

À DUBAÏ »THIERRY ANTINORI

vice-président d’Emirates, chargé

du commercial

vement protégé. Malgré les demandes in-sistantes des trois sœurs, les autorités n’ac-cordent des droits de trafic – les autorisa-tions de desservir des destinations enFrance pour des compagnies étrangères – qu’au compte-gouttes. Emirates proteste, car elle n’a droit qu’à un maximum de 32vols hebdomadaires, alors que ses avionssont pleins à 90 %.

Fuite des cerveauxMais ce blocage des droits de trafic ne de-

vrait pas perdurer, croit savoir Emirates.« Cela va finir par se décrisper. Il n’y a pas eud’ouverture pendant le plan Transform chezAir France pour ne pas provoquer les syndi-cats », analyse le vice-président de la com-pagnie. Mais maintenant que Transformest terminé…

« Notre business model est de relier chaqueville du monde via Dubaï », indique ThierryAntinori, vice-président d’Emirates, chargédu commercial. Il prévient : « Pas questionde changer notre business model pour ache-ter des droits de trafic. » Si la France bloque,« nous recevons des demandes de partout enEurope » pour ouvrir des lignes, ajoute le numéro deux d’Emirates. Après Milan, lacompagnie va ouvrir une ligne vers Birmin-gham en Grande-Bretagne.

Selon lui, le succès d’Etihad, d’Emirates etde Qatar Airways tient avant tout à leur dy-namisme commercial, par rapport aux com-pagnies européennes qui seraient trop ti-morées. « Sur les vingt premières destina-tions en Asie desservies par Emirates, dix sontdes villes où Air France ne va pas », accuse M. Aucoc. Sous-entendu : nous ne prenons rienà personne. Elles s’appuient pour cela sur leur situation géographique idéale entrel’Europe et l’Asie, et ont bien su mettre en va-leur le côté « Babylone des sables » de villes comme Dubaï, nouveau temple du luxe et du shopping.

Autre signe du succès des compagnies duGolfe : elles attirent les meilleurs cadres diri-geants. Souvent venus… d’Air France. C’est le cas des trois Thierry d’Emirates, Antinori, deBailleul et Aucoc, qui sont tous passés parAir France avant de s’envoler pour le Golfe.

Et la fuite des cerveaux continue. Al’automne 2014, c’est Bruno Matheu, ancien patron du long-courrier d’Air France, qui a rejoint Etihad. Enfin, dernier en date, Frédé-ric Gossot, en charge de la zone Moyen-Orient pour Air France, une fois encore, vient de démissionner pour aller chez Qatar Airways. Voraces, les trois sœurs ne pren-nent pas que des passagers à leurs consœurseuropéennes. p

Page 4: Des émirats à la conquête du ciel - Supconcours · Le principal volet des mesures an-noncé mardi porte sur les indem-nités prud’homales en cas de licen-ciement contesté. Le

0123MERCREDI 10 JUIN 2015 économie & entreprise | 3

HSBC se sépare de quelque 50 000 salariésLa banque britannique a annoncé un vaste plan de restructuration et un changement de modèle économique

londres - correspondance

HSBC revient aux sour-ces. La banque britan-nique a annoncémardi 9 juin un grand

plan de restructuration, visant àse recentrer sur son berceau del’Asie, à se retirer de Turquie et du Brésil et à fortement réduire saprésence dans la banque d’inves-tissement. Cette réorganisation signifie la suppression de 22 000 à25 000 emplois d’ici 2017, particu-lièrement dans le « back office ». Ilfaut y ajouter 25 000 emplois qui viennent des ventes des filialesturque et brésilienne, déjà annon-cées mais pas encore effectives. Au total, la banque va donc perdreprès de 20 % de ses effectifs, qui s’élèvent actuellement à258 000 équivalents temps plein.De quoi économiser de 4 à 4,5 milliards d’euros par an.

Secouée par les scandales, tou-chée par le coût des amendes et des nouvelles régulations bancai-res, HSBC vacille. Si l’établisse-ment a fait preuve d’une très forte solidité pendant la crise finan-cière, et n’a jamais perdu d’argent, sa rentabilité est très sérieuse-ment entamée. « Nous acceptons que le monde a changé et nous de-vons changer avec lui », reconnaît Stuart Gulliver, son directeur gé-néral.

Le dernier scandale en date, dé-voilé par Le Monde en février et surnommé « SwissLeaks », venait de sa filiale suisse. Des milliers de clients avaient utilisé la banque pour échapper à l’impôt, voire ca-cher les revenus d’activités illéga-les. Un fichier contenant leurs noms avait été transmis à la jus-tice française par l’un de ses an-ciens employés, révélant l’am-pleur du scandale.

HSBC souligne qu’elle s’est déjàlargement restructurée. L’affaire suisse remonte aux années

d’avant la crise financière. A l’épo-que, l’établissement s’était déve-loppé trop rapidement, laissantune vaste autonomie à chaque fi-liale, pays par pays. Si bien que de graves dérives avaient eu lieu : en Suisse dans sa banque privée, maisaussi au Mexique où les cartels de la drogue avaient utilisé l’institu-tion financière pour blanchir leur argent.

Priorité aux multinationales

Dès 2011, M. Gulliver a réorganisé son établissement. Il a recentraliséles activités, pour rétablir un con-trôle plus direct. Il a aussi forte-ment réduit certaines activités annexes : en Suisse, par exemple, le nombre de comptes détenus parla banque privée a été réduit de deux tiers. Au total, HSBC s’est reti-rée d’une quinzaine de pays et asupprimé 40 000 emplois. Elle conserve aujourd’hui une pré-sence dans 73 pays.

Néanmoins, la rentabilité n’estpas suffisante, au goût de M. Gulli-ver. En 2011, il tablait sur un retour sur un investissement (« return onequity ») de 12 % à 15 % par an poursa banque. En 2014, il a dû se con-tenter de 7,3 %. « Notre réorganisa-tion n’a pas été suffisante », recon-naît-il. Son objectif, pour 2017, est de repasser au-dessus de 10 %.

La nouvelle restructuration a étéprésentée mardi dans cet esprit. L’établissement abandonne son

que – et le commerce de l’opium –,revient à ses origines.

C’est dans cette logique que lesfiliales en Turquie et au Brésil vont être vendues. La banque en-tend cependant conserver une présence minimale au Brésil, pour servir ses principaux clients.En revanche, après avoir forte-

ment hésité, elle a choisi de rester au Mexique.

En France, la banque estime queses activités ne sont pas assez ren-tables. Le rendement y est actuel-lement inférieur à 10 %. Pour l’améliorer, l’objectif est « d’opti-miser » la présence dans l’Hexa-gone, sans que l’établissement ne précise exactement ce que cela si-gnifie.

Enfin, HSBC va sévèrement ré-duire sa présence dans la banque d’investissement. Celle-ci repré-sente actuellement presque 40 %de ses actifs. L’objectif est de pas-ser à moins d’un tiers d’ici 2017.

Cela représente des coupes bru-tales. La banque d’investissement doit se débarrasser d’environ 125 milliards d’euros d’actifs, soit31 % de son activité. Elle entend seconcentrer sur ses activités quiaident ses grands clients, mais se retirer des marchés annexes. Pas

question pour HSBC d’être enconcurrence avec les Goldman Sachs de ce monde : le modèle économique n’est pas le même.

Enfin, HSBC continue à mettredans la balance un possible démé-nagement de son siège. Celui-ciest à Londres depuis 1992 et l’ac-quisition de Midland Bank. Maisla banque a annoncé en avril qu’un départ, peut-être vers Hon-gkong, était à l’étude. Elle ne cachepas son agacement face aux nom-breuses régulations imposées aux banques britanniques : quasi-séparation de la banque de détailde la banque d’investissement,impôt exceptionnel… Le risqued’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne fait aussi partie de ses inquiétudes. HSBCannonce que la décision sur le siège sera prise d’ici à la fin de l’an-née. p

eric albert

Le siège d’HSBC à Londres. La banque a annoncé, en avril, qu’un départ, peut-être vers Hongkong, était à l’étude. ERIC TSCHAEN/REA

ambition d’être « la banque locale du monde » : trop lourd et tropcher à organiser. Il entend désor-mais donner la priorité aux multi-nationales, pour les aider dans leurs activités. Sa spécialité, l’aide aux exportations et au finance-ment du commerce, doit être ren-forcée.

Son objectif est d’être présenteautour de dix « couloirs » interna-tionaux, dans lesquels se fait la majorité du commerce actuelle-ment. La plupart rejoignent l’Asie et l’Amérique du Nord et, dans une moindre mesure, l’Europe.

La banque veut en particulier seconcentrer sur le delta de la ri-vière des Perles, au sud de laChine, où la croissance économi-que est la plus forte. Elle entend également se développer dans les pays de l’Asie du Sud-Est. HSBC, née il y a 150 ans à Hongkong pouraider à financer l’Empire britanni-

La justice française réclame toujours 1 milliard d’euros à la banqueLes juges estiment que la banque avait les moyens de connaître les agissements de sa filiale suisse et exigent le versement d’une caution

L e régisseur des recettes dutribunal de Paris n’a tou-jours pas reçu son chèque

de 1 milliard d’euros. Et pour cause. La banque britannique HSBC Holdings PLC se fait tirerl’oreille, et attend un arrêt de lacour d’appel de Paris, prévu le 15 juin, pour prendre une décisionà ce sujet.

Le 8 avril, les juges GuillaumeDaïeff et Charlotte Bilger avaient pourtant intimé l’ordre à la mai-son mère d’HSBC Private Bank, sa filiale suisse, de verser, d’ici au20 juin, une caution record de 1 milliard d’euros, au titre de sa double mise en examen pour « complicité de blanchiment ag-gravé de fraude fiscale », et « com-plicité de démarchage illégal ». La banque a fait appel de cette déci-sion.

D’après les ordonnances de pla-cement sous contrôle judiciaire,dont Le Monde a pris connais-sance, le parquet financier et lesdeux juges semblent pourtantsûrs de leur fait et y présentent leurs arguments. Après avoir mis en examen la banque suisse HSBC PB, pour avoir, en 2006-

2007, recruté illégalement desclients français, pour ensuite les inciter à dissimuler leurs fonds àGenève, Lugano ou Zürich – c’est l’affaire SwissLeaks, révélée en fé-vrier par Le Monde –, les magis-trats avaient décidé, le 8 avril, depoursuivre également la maison mère britannique, HSBC Hol-dings PLC, suspectée d’avoir cou-vert les activités de sa filiale. Le parquet national financier (PNF),devant le peu d’empressement dela direction d’HSBC de se lancerdans une procédure de recon-naissance préalable de culpabi-lité, avait fini par requérir le ren-voi de la banque devant le tribu-nal correctionnel.

« Rétention »

Pour justifier la caution de 1 mil-liard d’euros, le parquet financiera regretté, dans ses réquisitionsdu 7 avril, que pour sa défense, « HSBC Holdings a remis deux feuilles caviardées n’offrantaucune vision globale de l’activité France de la banque HSBC ». Selonla magistrate Ariane Amson, « HSBC Holdings PLC disposait desmoyens juridiques et institution-

nels nécessaires à l’exercice d’un véritable contrôle de sa filiale ». Le parquet pointait donc, à propos de la banque britannique, « un manquement délibéré aux obliga-tions imposées par la loi en ma-tière de lutte contre le blanchi-ment ». La magistrate rappelait que pour des faits du même type, HSBC Holdings PLC avait verséen 2012 aux autorités américainesla somme de 1,2 milliard d’euros.

Dans la foulée, les juges Daïeff etBilger rédigeaient leur ordon-

nance, le 8 avril. Ils stigmatisaienteux aussi le peu de coopérationde la banque, leur volonté de ne pas révéler certains documents, et disaient ceci : « Leur rétention affaiblit la valeur probante des dé-négations de Holdings » et « pour-rait résulter d’une politique délibé-rée de Holdings de ne rien vouloirsavoir ».

De fait, la banque britannique abien, selon plusieurs extraits desdiscussions au sein du comité exécutif groupe mondial, eu con-naissance des activités suspectesde sa filiale, et du vol de donnéesopéré par Hervé Falciani. « Hol-dings peut quand elle veut », résu-ment les juges, qui estiment à2,27 milliards d’euros les avoirsdétenus chez HSBC par des rési-dents français.

Ils postulent donc que HSBCHoldings risque une amende fixée, selon eux, « entre 1,135 mil-liard d’euros et 655 millionsd’euros ». Fort de ces argumentsjuridiques, le parquet général deParis avait requis le 1er juin la con-firmation du cautionnement de1 milliard d’euros imposé au groupe bancaire, dont celui-ci

avait donc fait appel.Plusieurs enquêtes sont tou-

jours en cours sur le plan mon-dial. Notable exception, seule laSuisse a choisi de clore le dossier,après trois mois d’une enquête éclair. Lors d’une conférence depresse, le 4 juin à Genève, le pro-cureur général, Olivier Jornot, adéclaré que la procédure pourblanchiment était « close » et quela banque avait accepté de payerune « contribution volontaire de40 millions de francs suisses[38 millions d’euros] », au titre de« bénéfices indus ».

Une somme qui paraît bien fai-ble, au regard des bénéfices réali-sés par HSBC PB, rien qu’enSuisse : 1,6 milliard d’euros en 2013. « Beaucoup de faits con-cernaient des anciens clients, dontles comptes étaient clôturés, il est difficile de mettre en évidence desactes de blanchiment internatio-nal », s’est justifié Yves Bertossa, le premier procureur du canton.Les magistrats français ne sem-blent pas partager ce senti-ment. p

gérard davet

et fabrice lhomme

« HSBC Holdings

a remis deux

feuilles

caviardées

n’offrant aucune

vision globale de

l’activité France

de la banque

HSBC »

LE PARQUET FINANCIER

réquisitions du 7 avril

L’établissement

abandonne

son ambition

d’être « la banque

locale du

monde » : trop

lourd et trop cher

à organiser

HSBC, née il y a

150 ans à

Hongkong pour

aider à financer

l’Empire

britannique – et

le commerce de

l’opium –, revient

à ses origines

LES DATES

29 MAI 2008 Enquête judiciaire ouverte en Suisse.

26 JUIN 2009 Eric de Montgolfier, procureur de Nice, ordonne une enquête préliminaire pour blanchiment.

18 NOVEMBRE 2014 HSBC Private Bank est mise en examen à Paris, comme personne morale.

10 MARS 2015 Le parquet national financier requiert le renvoi en correctionnelle de HSBC PB.

8 AVRIL 2015 HSBC Holdings PLC, maison mère britannique, est mise en examen à son tour.

90 000C’est le nombre de postes en équivalent temps plein qui auront dis-paru, en sept ans, chez HSBC. Avec la vente des activités de la ban-que au Brésil et en Turquie et les annonces de suppressions d’em-plois ce mardi – près de 25 000 –, les effectifs devraient atteindre 258 000 et un peu plus de 200 000 en 2017.

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4 | économie & entreprise MERCREDI 10 JUIN 2015

0123

Les avions du Golfe et des Etats-Unis, rois du ciel3,3 milliards de passagers transportés en 2014 dans un secteur aérien qui connaît de fortes disparités

Les dirigeants des compa-gnies aériennes ont re-trouvé des raisons de sou-rire. Les chiffres du trafic

aérien révélés à l’occasion de l’ouverture de la 71e assemblée gé-nérale de l’Association internatio-nale du transport aérien (IATA), lundi 8 juin, à Miami, en Floride,incitent à l’optimisme. On n’a ja-mais autant pris l’avion qu’aujourd’hui. Cette année, lescompagnies devraient transpor-ter plus de 3,5 milliards de passa-gers, contre 3,3 milliards il y a unan. Cet afflux, s’il fait décoller lesavions, ne se traduit toutefois pas au niveau du chiffre d’affaires glo-bal des sociétés, puisque c’est une très légère baisse de leurs revenusqui est attendue cette année. Enrevanche, profitant notammentde la baisse du prix du pétrole, cesmêmes compagnies affichent desprofits record.

Les revenus du secteur aériendevraient se replier à 727 milliardsde dollars, contre 733 milliards un an plus tôt, selon les prévisions dela IATA. C’est la diminution de la recette unitaire, le gain par passa-ger, qui explique ce paradoxe.

Vive concurrenceEn effet, emportées par la vive concurrence à laquelle elles se li-vrent, les compagnies ont été conduites à répercuter sur leurstarifs l’essentiel de leurs écono-mies de carburant. En témoigne le recul de la recette unitaire d’Air France-KLM, qui a encore baissé de 6 % en mai.

Pour autant, les bénéfices, eux,s’envolent. Selon IATA, les profits des transporteurs aériens de-vraient presque doubler en 2015, pour atteindre 29,3 milliards dedollars (environ 26 milliardsd’euros). En 2014, ces profits cu-mulés avaient atteint 16,4 mil-liards de dollars. Il est vrai que la facture de carburant des compa-gnies devrait être réduite de15,6 %, soit 191 milliards de dol-lars, contre 226 milliards de dol-

lars en 2014. Le prix du baril estétabli à 78 dollars cette année, contre 116 en 2014.

Comme chaque année, Tony Ty-ler, directeur de IATA, a tenu à tempérer les enthousiasmes. Il arappelé que « quand le transport aérien gagne 8 dollars par passa-ger, Apple gagne 160 dollars par client ».

Comme chaque année, le boomgénéral du transport aérien mas-que des disparités régionales. Toutes les compagnies n’avan-cent pas au même rythme. Le plus fort rebond est à mettre aucrédit des compagnies américai-nes. En 2015, les bénéfices avant

impôts des American, United et autres Delta Airlines devraients’élever à 15,7 milliards de dollars,contre 11,2 milliards en 2014. Les profits les plus élevés du secteur !

Les compagnies d’outre-Atlanti-que sont en plein renouveau.Preuve en est leur profit par pas-sager, en hausse constante de-puis trois ans, et qui atteint 18,12 dollars. Trois fois la perfor-mance des compagnies euro-péennes.

Ces dernières sont clairement àla traîne, avec un revenu par pas-sager de seulement 6,30 dollars.Mince consolation, leurs bénéfi-ces sont orientés à la hausse

en 2015. Ils devraient atteindre5,8 milliards de dollars.

Pour Tony Tyler, la performanceau ralenti des transporteurs euro-péens n’est pas une surprise. Se-lon lui, quatre facteurs entravent leur progression : « Des taxes trèsélevées, une régulation onéreuseet des efforts vains pour mettre enplace un ciel unique européen aux-quels s’ajoutent les coûts des sanc-tions liées à la crise entre la Russieet l’Ukraine qui réduisent leursmarges. »

Pendant que les compagnieseuropéennes font presque du sur-place, leurs grandes rivales ve-nues du Golfe ne connaissent pas

la crise. D’une année sur l’autre, leurs profits avant impôts ontplus que doublé, pour s’établir à1,8 milliard de dollars en 2015, con-tre 0,7 milliard de dollars un an plus tôt. Mieux, appuyées sur une forte augmentation de leurs capa-cités, elles ont réussi à presque tri-pler leur revenu par passager.

Passe d’armesLe regain des compagnies améri-caines et la montée en puissancecontinue des compagnies duGolfe les poussent à l’affronte-ment. La conférence d’ouverture de l’assemblée générale de IATA aété le théâtre d’une petite passe

d’armes. Akbar Al-Baker, PDG deQatar Airways, a tancé les « com-pagnies américaines et européen-nes qui réclament des mesuresprotectionnistes ».

Le patron de la compagnie duQatar a regretté que, dans son in-tervention, M. Tyler n’ait pas rap-pelé que, lors de l’assemblée géné-rale de IATA « en 2008, toutes les compagnies avaient demandé plus de libéralisation du secteuraérien ».

Douglas Parker, PDG d’Ameri-can Airlines a répliqué à M. Al-Ba-ker. « S’il est avéré que les compa-gnies du Golfe sont subvention-nées, nous agirons », a indiqué lepatron d’American Airlines, touten précisant que « pour l’instant,cette affaire est du ressort desautorités américaines ».

Avant cet accrochage verbal avecM. Parker, le patron de Qatar Airways avait déjà suscité l’ire de ladirection d’Air France-KLM. Pré-sent à Miami, Alexandre de Juniac,le PDG du groupe, ne décolérait pas d’avoir appris que celui qui préside aux destinées d’un de ses principaux concurrents venait tout juste d’être fait, vendredi 5 juin, officier de la Légion d’hon-neur par le président de la Républi-que.

Qatar Airways est la compagniede lancement de l’A350, le tout der-nier long-courrier gros porteur d’Airbus. p

guy dutheil

SNCM : des manœuvres de dernière minuteAlors que le tribunal de commerce de Marseille doit désigner, mercredi 10 juin, un repreneur pour la compagnie, deux nouvelles offres pourraient encore différer la décision

A vis de grand frais sur laSNCM. Alors que le tribu-nal de commerce de Mar-

seille doit désigner, mercredi10 juin, un repreneur pour la com-pagnie maritime en difficulté, plusieurs événements pourraient décider les juges consulaires à re-porter une nouvelle fois leur déci-sion, au grand dam de certains ac-teurs du dossier. Techniquement, le tribunal a jusqu’au 28 novem-bre, date de fin de la période d’ob-servation, pour statuer sur le sort de la SNCM.

Premier motif de report, les syn-dicats de la compagnie refusent lestrois offres de reprise déposées parDaniel Berrebi, un armateur fran-co-tunisien, Christian Garin, l’ex-président du port de Marseille, et Patrick Rocca, un entrepreneur corse. Selon la CFE-CGC, celles-ci « ne présentent pas de garanties in-dustrielle et financière de pérennité,comme de garanties pour les per-sonnels repris ». Les syndicats dé-noncent une hémorragie sociale programmée : seuls 780 à 900 sa-lariés, sur les 2 000 de la compa-gnie en CDI, seraient repris selon l’offre retenue.

Résultat : la CGT a déposé unpréavis de grève reconductible à compter du 11 juin, « selon la déci-sion que prendra le tribunal de commerce », indique un courrier adressé à la SNCM. « Les trois offresde reprise actuelles sont irreceva-bles pour les salariés », estime la

CGT, qui réclame un « nouvel appeld’offres, lancé sans délais, [afin]d’étudier un plan de continuation avec un périmètre plus large socia-lement et industriellement ». Les syndicats militent pour que l’Etat, propriétaire de 25 % de la compa-gnie, au côté de Transdev (66 %) et des salariés (9 %), augmente sa participation au capital afin de ga-rantir l’emploi et l’activité.

Perspective d’une grève dure

La perspective d’une grève dure ef-fraie des deux côtés de la Méditer-ranée. Lors d’un précédent mou-vement social, en juin 2014, les na-vires de la SNCM étaient restés à quai durant plus de deux semai-nes, désorganisant le transport de fret avec la Corse. Dans une étude révélée le 19 mai, la CGPME a es-timé que cette grève avait fait per-dre 60 à 75 millions d’euros d’acti-vité à l’économie insulaire et « prèsde 4 000 emplois ».

Les juges consulaires doiventaussi composer avec deux offres de dernière minute. La première émane de STEF, un géant européende la logistique. Dans une note de six pages sans en-tête et sans si-gnature, adressée le 1er juin au tri-bunal, ce spécialiste du transport frigorifique plaide pour un renvoi de la décision « à fin septembre », estimant qu’« un choix précipité sans la moindre adhésion du per-sonnel ne peut que déboucher sur un conflit majeur, avec blocage to-

tal de l’approvisionnement de la Corse ».

Déjà propriétaire de La Méridio-nale, la compagnie co-délégataire avec la SNCM du service public de desserte maritime de la Corse, STEF se dit prêt à jouer le rôle de « facilitateur » afin de « monter un tour de table » pour sauver la com-pagnie. Sans s’engager, le groupe dirigé par Francis Lemor évoque un projet reprenant six navires et 800 salariés, pour un prix entre 15 et 20 millions d’euros, soit peu ou prou ce qui est proposé par les autres candidats.

L’autre offre émane d’un consor-tium de huit entreprises insulai-res, parmi lesquelles Europcar Corse, la brasserie Pietra, Gedimat,le groupe SCA Corse-Leclerc, etc. Celles-ci disent représenter 60 % du trafic maritime corse et générerplus d’un milliard d’euros de chif-fre d’affaires. Dans une lettre adressée le 5 juin au tribunal, ces entreprises assurent que leur offre « pourrait être largement supé-rieure (…), tant du point de vue fi-nancier que social et commercial », sans donner de détails. Le consor-tium réclame lui aussi un report de la décision du tribunal afin d’af-finer sa proposition.

Pour sérieuses qu’elles soient,ces manœuvres de dernière mi-nute intriguent. Les difficultés de la SNCM sont connues depuis longtemps et la compagnie cher-che un repreneur depuis son dé-

pôt de bilan, le 28 novembre 2014. « Pourquoi attendre le dernier mo-ment, si ce n’est pour empêcher qu’un repreneur soit désigné ? », s’interroge un proche du dossier. De fait, STEF lorgne depuis long-temps les actifs de la SNCM. Dans un rapport parlementaire publié fin 2013, Stéphane Richard, ancien patron de Transdev (ex-Veolia Transport), aujourd’hui PDG d’Orange, assurait que M. Lemor « ne s’intéressait à la SNCM que pour la faire disparaître ». Inter-rogé, le groupe STEF n’a pas sou-haité s’exprimer.

De plus, la Commission euro-péenne a clairement indiqué qu’il n’était pas question de prolonger après l’été la période de redresse-ment judiciaire de la SNCM. « Dansune telle hypothèse, la SNCM conti-nuerait à percevoir pendant cette période des compensations de ser-vice public (…) favorisant la conti-nuation du versement d’aides illé-gales », a indiqué Bruxelles dans un courrier adressé fin avril à Pa-ris. Or, la compagnie a été condam-née en 2013 et 2014 à rembourser 440 millions d’euros (600 mil-lions avec les intérêts) d’aides pu-bliques jugées indues. « Reporter ladécision, c’est prendre le risque que Bruxelles exige l’exécution de ces condamnations et mette à mort la SNCM », assure un bon connais-seur du dossier. Verdict attendu mercredi. p

cédric pietralunga

A l’aéroport international de Pékin, en 2014. NG HAN GUAN/AP

Emportées par

la concurrence,

les compagnies

ont été conduites

à répercuter

sur leurs tarifs

l’essentiel de

leurs économies

de carburant

L’HISTOIRE DU JOUR

Le Crédit municipal ne sera plus la banque des exclus

I l ne fait pas bon être la banque des exclus en temps de crise.Faute d’avoir pu résister face à la montée des impayés et laconcurrence des grandes banques, la filiale bancaire du Cré-

dit municipal de Paris – cette célèbre institution de prêts sur gage,adossée depuis 1992 à la Mairie de Paris – est en passe de cesser ses activités.

Lundi 8 juin, le conseil d’administration de CMP Banque adonné mandat à son directeur général, Philippe Zamaron, d’étu-dier « les conditions de la mise en œuvre d’un projet de gestion ex-tinctive de ses activités ». C’est la fin programmée, donc, pour cette banque sociale, centrée sur la restructuration de crédits pour des exclus mais aussi des fonctionnaires et des salariés de droit privé à revenus modestes. Et qui a accumulé les pertes de-puis 2012, avec encore 3,2 millions d’euros de déficit en 2014.

Le Crédit municipal précisait, mardi, que seules CMP Banque etl’activité de rachat de créances sontvouées à fermeture. L’établissementpublic principal, lui, « se porte bien etpoursuit ses activités : prêts sur gage,épargne solidaire et microcrédits », af-firme le groupe.

Un comité d’entreprise s’est réunimardi pour étudier l’avenir des 123 sa-lariés de CMP Banque, que la Ville deParis s’est engagée à reclasser : au Cré-dit municipal, à la ville (dans les SEM)

ou dans le secteur privé. Un point sera fait avec les élus lors du conseil de Paris des 29 et 30 juin, qui permettra d’en savoir plus sur l’impact financier pour la Ville.

La diversification dans la banque de l’ex-mont-de-piété – dontl’histoire tourmentée a débuté en 1637 – trouve ses origines au milieu du XXe siècle, lorsqu’il s’est agi d’aider les Parisiens en dif-ficulté. En 1954, le Crédit municipal est le premier à proposer du crédit aux Français…

Mais c’est en 2004, à la création de CMP Banque, que sont pous-sés les feux sur la banque et le rachat de crédits. S’il fonctionne audébut, le modèle est vite mis à mal par l’arrivée sur le marché de grandes banques. Celles-ci captent les clients les plus rentables, laissant les plus fragiles au Crédit municipal, piégé par ses bas ta-rifs. La crise et le bond des risques d’impayés font le reste. p

anne michel

CMP BANQUE A ACCUMULÉ LES PERTES DEPUIS 2012, AVEC 3,2 MILLIONS DE DÉFICIT EN 2014

Page 6: Des émirats à la conquête du ciel - Supconcours · Le principal volet des mesures an-noncé mardi porte sur les indem-nités prud’homales en cas de licen-ciement contesté. Le

0123MERCREDI 10 JUIN 2015 économie & entreprise | 5

Les Chinois investissentle vin françaisLes acheteurs de l’empire du Milieu font désormais jeu égal avec les Britanniques

Début janvier, JamesZhou, 54 ans, proprié-taire d’une entreprised’emballages cotée à

Shenzhen, s’est porté acquéreur du château Renon. Une propriété avec 8 hectares de vignes, située à Tabanac (Gironde), en appellation cadillac-côtes-de-bordeaux. Fin décembre 2014, toujours en appel-lation cadillac, le château de Birot, et ses 25 hectares de vignes, chan-geaient de mains pour entrer dansle giron du groupe de tourisme chinois New Century. Quasi simul-tanément, la famille Mau vendait son château Preuillac en AOC mé-doc à un Chinois, qui n’a pas sou-haité être identifié et posséderait déjà deux châteaux dans le Libour-nais.

C’est indéniable, les Chinois s’in-téressent aux propriétés viticoles françaises avec un tropisme mar-qué pour le Bordelais. Et leur poidscommence à être significatif, comme en atteste l’étude, publiée mardi 9 juin, par Vinea Transac-tion. Ce réseau national spécialisé dans les transactions viticoles s’estpenché sur les investissements

étrangers dans le vignoble fran-çais. Son étude porte sur 600 000 des 750 000 hectares plantés de vi-gne, soit 80 % de la surface globale.Sont sortis du champ la Champa-gne, l’Alsace, le Jura, la Savoie et la Corse, mais aussi les vignobles destinés à l’élaboration du cognac et de l’armagnac.

Disparités régionales

Il ressort que les investisseurs chi-nois font jeu égal avec les Britanni-ques. Ils détiennent respective-ment 21 % et 22 % des propriétés passées sous pavillon étranger. Viennent ensuite les Belges (17 %), les Suisses (9 %), puis les Alle-

mands et les Américains, tous deux à 6 %. Sachant que, globale-ment, les acheteurs internatio-naux détiennent 2 % du vignoble français, soit 12 000 hectares. Un pourcentage, somme toute, assez faible, mais qui cache de grandes disparités régionales.

La montée en puissance de l’em-pire du Milieu a été rapide et a d’abord concerné la Gironde. Même si la première pierre du jeu de go a été posée dans le vignoble bordelais en 1997, par le Hongkon-gais Peter Kwok qui s’emparait

alors du château Haut-Brisson, à Saint-Emilion, c’est à partir de 2011que le rythme s’est accéléré. Le nombre de transactions y étant depuis, en moyenne, d’une à deux propriétés par mois. Un engoue-ment qui a coïncidé avec le boom de la consommation de vin de Bor-deaux en Chine et qui concerne aussi le « château ».

Selon Vinea, en Gironde, les Chi-nois représentent désormais 47 %des investissements étrangers,devant les Belges (21 %) et les Bri-tanniques (11 %), pourtant précur-

seurs. A noter que cette région, à cause de la notoriété de ses appel-lations et crus, est très prisée des acheteurs étrangers : ils y possè-dent 194 domaines et châteaux et 5 000 hectares de vignes, soit4,6 % de la surface du vignoble.

Le Bordelais n’est dépassé quepar la Provence. Le cocktail soleil etrosé incite les investisseurs à s’of-frir propriétés, pinèdes et vignes. Dans cette région, 5 % des vigno-bles et 10 % des propriétés battent pavillon étranger. Les Britanni-ques y gardent une longueur

d’avance avec 24 % des investisse-ments, suivis par les Suisses (18 %) et les Allemands (11 %). Certains sont plus médiatisés que d’autres. L’arrivée très médiatisée du coupled’acteurs américains Angelina Jo-lie et Brad Pitt avec l’acquisition dudomaine de Miraval à Correns (Var) et de ses 50 hectares de vignesa fait la promotion de leur rosé.

Pour sa proximité avec la Médi-terranée, les étrangers plébiscitent aussi le Languedoc-Roussillon. C’est dans cette région que les su-perficies acquises sont les plus im-portantes avec 2 130 hectares, maiscela ne représente que 1 % de la sur-face de cet immense vignoble. Il sedistingue en étant le plus cosmo-polite. Si les Britanniques, les Suis-ses et les Belges forment le trio de tête, on recense aussi Chinois, Rus-ses, Australiens ou Néo-Zélandais.

Puis vient la vallée du Rhôneavec 1 300 hectares, achetés princi-palement par les Britanniques, les Belges et les Hollandais. En queuede peloton, le Val de Loire, avec seulement 244 hectares achetés.

Reste le cas de la Bourgogne, làoù le prix des vignobles peut dé-passer les 10 millions l’hectare. Dans cette région, plutôt préser-vée, les investisseurs étrangerssont de plus en plus nombreux à taper à la porte même s’ils ne dé-tiennent encore que 0,7 % du vi-gnoble. Le rachat, par un homme d’affaires chinois de Macao, d’une propriété bénéficiant de l’appella-tion gevrey-chambertin en 2012, avait suscité la polémique. Mais ce sont les Américains qui semblent plébisciter ces grands vins. Ils re-présentent 23 % des investisse-ments juste derrière les Britanni-ques (26 %). Dernier exemple, en date, le domaine Serene de l’Ore-gon vient de racheter à un Suisse lechâteau de la Crée. Soit 10 hectares des plus grands noms de ce terroir prestigieux. p

laurence girard

Depuis 2011,

le nombre de

transactions est,

en moyenne,

d’une à deux propriétés

par mois

La coopérative Tereos pénalisée par la chute du prix du sucreLe groupe voit son bénéfice s’effondrer, accélère ses diversifications et souhaite fusionner avec son concurrent Cristal Union

L es sucriers subissent deplein fouet l’effondrementdu prix du sucre. Ils sont en-

trés dans une zone de fortes turbu-lences. La coopérative Tereos, pre-mier acteur français de ce secteur, connue pour ses marques Beghin Say et La Perruche, n’échappe pas àla règle. Ses résultats pour son an-née fiscale 2014-2015, achevée fin mars 2015, publiés mardi 9 juin, sont en fort recul. Son chiffre d’af-faires affiche une baisse de 8 %, à 4,3 milliards d’euros. Quant au ré-sultat net, il s’effondre passant de 176 à 17 millions d’euros. La marge a, elle, littéralement fondu passantde 14,7 % à 10,5 %. De plus, Alexis Duval, le président du groupe coo-pératif, ne s’attend pas à une amé-lioration des résultats en 2015.

M. Duval n’hésite pas à rappelerque les activités de Tereos, en lien direct avec les matières premières agricoles, sont par nature cycli-ques. C’est pour se prémunir con-tre ces aléas que le groupe a diver-sifié ses activités. Partant de ses ra-cines betteravières françaises, il a investi dans le sucre de canne en s’implantant au Brésil. Puis s’est lancé dans la transformation de ces produits en alcool et en étha-nol. Enfin, il a développé ses sa-voir-faire dans la transformation de blé, maïs, manioc ou pommes de terre en alcool, éthanol, amidonou produits sucrants.

Mais la martingale ne joue plus.« Nous sommes face à une conjonc-ture exceptionnelle. Il y a une con-jonction de cycles de prix très bas sur l’ensemble de nos métiers », re-connaît M. Duval. Le sucre tout d’abord. Après une cinquième an-née d’excédent de production, les stocks sont au plus haut depuis dixans, et les cours mondiaux au plus

bas depuis sept ans. En Europe, la chute est brutale, le prix à la tonne étant passé de 730 à 400 euros, soitson plus bas historique, en l’espacede deux ans. Mais les marchés de l’alcool et de l’éthanol ne font pas meilleure figure, les prix étant plombés par le plongeon du cours du pétrole. « L’éthanol est à son plusbas depuis six ans », souligne M. Duval. Enfin, la demande euro-péenne pour l’amidon et ses déri-vés est en berne. « Il y a une surca-pacité industrielle de 20 % sur ce marché de l’amidon, suite à des grosses fermetures d’usines de fa-brication de papier et de carton en Europe », ajoute M. Duval.

Equation financière tendueLe président de Tereos trouve néanmoins des motifs de satisfac-tion. Les rendements agricoles ontété bons. Entre la betterave et la canne à sucre, la production de su-cre a progressé de 4,3 % à 3,9 mil-lions de tonnes, ce qui ferait de la coopérative picarde le troisième acteur mondial sur ce marché. La production d’alcool, d’éthanol et d’amidon progresse. Mais ces aug-mentations ne compensent pas la faiblesse des prix. M. Duval se féli-cite d’avoir lancé des programmes

Cristal Union, la coopérative

française

convoitée

par Tereos,

a froidement

refusé l’offre

de mariage

d’économie d’énergie dans ses usi-nes et un projet de cogénération au Brésil. Ils ont joué le rôle d’amortisseur.

Mais l’équation financière dugroupe s’est tendue. Les investisse-ments dans cette industrie sont lourds. Tereos a investi 100 mil-lions d’euros dans la construction d’une amidonnerie de maïs au Brésil et quasiment autant dans la mécanisation de la canne à sucre. Il a acheté avec son partenaire Wil-mar une amidonnerie de maïs en Chine pour 100 millions d’euros etconstruit une autre usine dans ce pays. Puis a développé une pré-sence industrielle en Indonésie. Résultat, la dette atteint 2 milliardsd’euros. Même si elle est stable, le ratio dette/Ebitda scruté par les fi-nanciers s’est, lui, dégradé passant de 2,8 à 4,5. En décembre 2014, l’agence Standard & Poor’s (S&P), qui a mis sous surveillance les su-criers européens et brésiliens, a abaissé la note de Tereos.

S&P s’inquiète de l’impact de lafin des quotas sucriers européens décrétée en 2017. La production de-vrait encore augmenter, pesant sur les cours et donc sur la rentabi-lité des sucriers. Tereos se prépare à cette échéance. Il a acheté le dis-tributeur britannique Napier et s’est lancé dans le négoce de sucre. Surtout, il souhaite fusionner avecson grand rival français, Cristal Union. La coopérative convoitée a froidement refusé cette offre de mariage. « Avec la fin des quotas, la consolidation est inévitable. Il me paraît normal et évident qu’on ait une réflexion au niveau français », affirme M. Duval, qui milite tou-jours pour un rapprochement de Tereos et de Cristal Union. p

l. gi.

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2 | plein cadre VENDREDI 12 JUIN 2015

0123

« AVANT DE REMBOURSER, NOUS

SOUHAITONS VOIR DANS QUELLE MESURE

CELA RÉPOND BIEN AUX OBJECTIFS DE SANTÉ PUBLIQUE »

MATHILDE LIGNOT-LELOUP

responsable de la gestion et de l’organisation des soins

à l’Assurance-maladie

suite de la première page

Selon un rapport publié en 2013 par le Sénat, 600 000 personnes vivent ainsi dans un dé-sert médical, c’est-à-dire à plus de quinze mi-nutes de route d’un généraliste. « Certains habitants craignent qu’on remplace leur mé-decin par un “robot”, mais ce n’est pas du toutl’objectif ! », assure l’élu.

Si l’expérience est concluante, d’autres ca-sernes pourraient être équipées. « Une soixantaine de villages sont confrontés auxmêmes difficultés qu’Aups », constate Marc Giraud, président du conseil départemental du Var. La facture s’annonce élevée : l’acquisi-tion de la « consult station » a coûté220 000 euros au département, et toutes les consultations seront à sa charge, puisquel’assurance-maladie ne rembourse pas en-core les téléconsultations. « C’est un vraifrein », regrette Franck Baudino, le fondateur de H4D, en rappelant que la télémédecine apourtant été reconnue en 2009 par la loi « Hôpital, patients, santé, territoires », et estencadrée par un décret publié en 2010.

Cette start-up n’est pas la seule à s’impa-tienter. Après deux ans de discussions avec les autorités, le géant de l’assurance Axa alancé le 1er juin un service de téléconsultationdestiné aux bénéficiaires de sa complémen-taire santé, soit 1,5 à 2 millions de personnes.Déployé par sa filiale Axa Assistance, quiconseille déjà les voyageurs rencontrant des problèmes de santé à l’étranger, il repose sur une vingtaine de médecins, basés au siège du groupe à Châtillon (Hauts-de-Seine). « Tous ont une activité à l’extérieur – à l’hôpi-tal, en ville ou au SAMU – et travaillent avecnous depuis longtemps », précise NicolasSinz, PDG d’Axa Assistance France.

La consultation, qui prend la forme d’uneconversation téléphonique, pourrait s’enri-chir à l’avenir de photos et de vidéos, pour aider le médecin à établir son diagnostic. Le

cas échéant, les patients reçoivent leur or-donnance par mail, mais les médecins ne dé-livrent pas d’arrêt de travail. Là encore, la con-sultation ne coûte pas un centime à l’assu-rance-maladie. « Elle est gratuite et ne se tra-duira pas par une hausse du tarif des contrats », indique Nicolas Sinz. L’assureur compte surtout dessus pour fidéliser sa clien-tèle dans un contexte très concurrentiel.

Quant à l’impact sur les dépenses globalesde santé des assurés, il « faudra du tempspour voir ce que cela donne », reconnaît AxaAssistance qui s’est engagé auprès de l’ARS(Agence régionale de santé) d’Ile-de-France à réaliser une étude médico-économique.

Pionnier, l’assureur indique avoir été con-tacté par des concurrents qui souhaiteraient bénéficier de son service en marque blanche(c’est-à-dire en sous-traitance). Il réfléchitaussi à répliquer le modèle pour le compte de ses clients à l’étranger. « Nous étudionsplusieurs localisations, dont les Etats-Unis, ré-vèle Nicolas Sinz.

Dans le Landerneau de la e-santé, tout lemonde espère en tout cas que le feu vert ac-cordé à Axa marque un tournant. « Cela fait quatre ans que nous sommes prêts », soupire François Lescure, le fondateur de Medecin-Direct.fr, une société qui propose depuis 2010 un service de « téléconseil médical ». Lanuance ? « Nos médecins, une vingtaine de gé-néralistes et de spécialistes, n’ont pas le droit d’établir un diagnostic ni de prescrire un mé-dicament. Ils répondent aux questions des pa-tients et proposent des hypothèses », expliquece pharmacien, qui n’attend plus que l’agré-ment des autorités pour proposer des télé-consultations en bonne et due forme.

« UNE FRONTIÈRE TRÈS FLOUE »MedecinDirect.fr s’adresse aux bénéficiai-res des complémentaires santé qui ont souscrit à son service, soit environ un mil-lion de personnes. D’autres sites, commeFranceMedecin.fr ciblent au contraire le grand public. Cofondé en 2011 par WilfridEcuer, généraliste et ancien médecin régula-teur du 15 de Grenoble, il permet aux pa-tients de s’adresser à un médecin par un sys-tème de messagerie (au prix de 15 euros la question), par téléphone ou par visioconfé-rence (au tarif de 3 euros la minute). Autreexemple : l’application Boddy. Lancéeen 2014, elle permet aux utilisateurs desmartphone de poser leur question de façonanonyme et de recevoir la réponse d’un mé-decin en moins de deux heures.

« La frontière entre conseil et consultationest très floue », constate Jacques Lucas, du

pirer l’assurance-maladie française ? Celle-ciavance pour l’instant à petits pas. « La basede la consultation, c’est l’examen clinique, rappelle Mathilde Lignot-Leloup, responsa-ble de la gestion et de l'organisation dessoins à l’Assurance-maladie. A distance, lemédecin ne peut donc pas faire la mêmechose. Avant de rembourser, nous souhaitonsqu’il y ait une évaluation et voir dans quellemesure cela répond bien aux objectifs de santé publique. »

La priorité ? Désenclaver les territoires etoptimiser le parcours de soins des personnesâgées en maison de retraite dont l’état de santé requiert de fréquentes visites chez le médecin. L’article 36 de la loi de financementde la sécurité sociale de 2014, lui permet de-puis quelques mois de prendre en charge desactes de télémédecine à des fins d’expéri-mentation. Leur évaluation sera conduite par la Haute Autorité de santé (HAS) et un rapport devra être présenté au Parlementavant le 30 septembre 2016.

Le conseil départemental du Var, qui avaitprésenté le dossier Aups, est de son côté re-parti bredouille. p

chloé hecketsweiler

conseil national de l’ordre des médecins. Soninquiétude ? La montée en puissance d’une offre 100 % privée qui exclut une partie des patients. « Nous ne sommes pas contre la télé-médecine, d’ailleurs les médecins en font déjà quotidiennement lorsqu’ils répondent à leurspatients au téléphone, mais nous souhaitonsque ces consultations soient encadrées et pri-ses en charge par l’assurance-maladie », expli-que ce cardiologue.

OPTIMISER LES DÉPENSES DE SANTÉEn Suisse, la question ne se pose pas : l’assu-rance-maladie est obligatoire, mais l’Etat ne s’en mêle pas. Pour optimiser les dépenses desanté, les assureurs ont très tôt misé sur lestéléconsultations. Le marché est dominé par Medgate, le plus grand centre de téléméde-cine d’Europe. Basé à Bâle, il emploie 70 mé-decins, qui ont réalisé 4,5 millions de télé-consultations depuis 2000. Bilan : après triage des appels, 55 % des patients ont puêtre traités à distance et n’ont pas eu besoin de se rendre ensuite chez un médecin.

Medgate chiffre l’économie à 21 %, parta-gée entre l’assureur et l’assuré qui bénéficied’une ristourne sur son contrat. De quoi ins-

Un médecin ausculte, depuis Houston (Texas), un patient à bord d’une plate-forme pétrolière en mer de Chine méridionale, au large de la Malaisie. MICHAEL STRAVATO/

NYT-REDUX-REA

Les promesses de la télémédecineFace à la pénurie de médecins, des communes, en France, testent les consultationsà distance

un smartphone en guise de mé-decin ? Pour les geeks de la Silicon Valley, c’est désormais business as usual grâce à Doctor on Demand. Depuis décembre 2013, cette start-up, basée à San Francisco, leur propose une application pour con-sulter à distance un généraliste ou un pédiatre. La consultation coûte 40 dollars (35,30 euros), soit le tiers d’une consultation classique.

« Les généralistes sont une denréerare aux Etats-Unis. Il faut enmoyenne 22 jours pour obtenir unrendez-vous, explique Pat Basu, di-recteur médical de Doctor on De-mand. Du coup, pour le moindre bobo, les patients sont contraintsd’aller aux urgences où l’attente est interminable et l’addition élevée,2 000 dollars en moyenne. »

Pour ce pionnier, qui a fait ses ar-mes chez Virtual Radiologic, uneplate-forme d’interprétation à dis-tance d’imageries médicales, les consultations virtuelles sont la« nouvelle frontière » de la méde-

cine. « Elles permettent d’établir undiagnostic dans 95 % des cas, et seuls5 % de nos patients sont réorientésvers un médecin de ville », précise-t-il. En cas de besoin, le généraliste peut rédiger une ordonnance et latransmettre à la pharmacie la plusproche. Seules les substances addic-tives, comme certains antalgiques lui sont interdites.

1 400 médecins à temps pleinLongtemps sceptiques, les compa-gnies d’assurances se sont laisséesconvaincre. En avril, la première d’entre elles, UnitedHealthcare (20 millions de patients), a annoncéqu’elle rembourserait les consulta-tions de Doctor on Demand à partirdu 1er janvier 2016. De grandes en-treprises ont aussi franchi le pas :en août, le géant américain des mé-dias Comcast a annoncé qu’il pren-drait en charge les consultations deses employés.

Doctor on Demand, qui comptedéjà « plusieurs centaines de milliers

de clients », selon Pat Basu, a aussi séduit plus de 1 400 médecins. Toustravaillent à temps plein pour lastart-up. « La flexibilité et la possibi-lité de travailler depuis leur domicile attirent de nombreux candidats », constate Pat Basu, qui reçoit chaquesemaine plus de cinquante CV. « Ilstouchent 30 dollars par consulta-tion, soit à peu près ce qu’il leur reste sur une consultation à 110 dollars, une fois payées les charges liées aucabinet », précise-t-il. A la fin de l’an-née, leur rémunération varie entre 150 000 et 200 000 dollars.

Surfant sur son succès, la start-upa récemment lancé des consulta-tions avec des psychologues et des entretiens avec des sages-femmes afin d’aider les jeunes mamans à al-laiter leur bébé. Elle a levé, depuis sacréation, 24 millions de dollarsauprès de grands fonds de capital-risque californiens, dont Venrock et Google Ventures, le fonds d’investis-sement du moteur de recherche. p

c. hr

« Doctor on demand », le médecin de poche

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0123JEUDI 11 JUIN 2015 économie & entreprise | 3

Le plan Valls laisse les petits patrons sur leur faimSi les organisations patronales saluent les mesures en faveur des PME, les entrepreneurs sont circonspects

Mais qu’est-ce qu’ilssont encore alléschercher… » Au télé-phone, Béatrice

Veyrac soupire ostensiblement. La gérante de Soud Hydro, un sous-traitant aveyronnais d’Airbus, spé-cialisé dans la mécanique lourde etl’hydraulique, n’est pas précisé-ment emballée à l’idée d’un nou-veau train de mesures pour stimu-ler les embauches dans les TPE (très petites entreprises) et les PME, annoncé, mardi 9 juin, par le premier ministre, Manuel Valls. « Les petits patrons n’ont pas besoinde nouvelles lois, le plus souvent inadaptées aux TPE-PME, mais de plus de flexibilité. Que nos ministresviennent plutôt passer une journée avec nous, sur le terrain ! », assène la chef d’entreprise de 10 salariés.

Sur les dix-huit mesures annon-cées – instauration d’un barème pour les indemnités des

prud’hommes, aide de 4 000 euros aux TPE pour l’em-bauche d’un premier salarié, re-groupement des obligations de formation à onze salariés au lieu de neuf ou dix… –, certaines trou-vent toutefois grâce à ses yeux. Comme la possibilité de renouve-ler un contrat à durée déterminée (CDD) deux fois plutôt qu’une. « C’est une souplesse importante quand on manque de visibilité à long terme sur son carnet de com-mandes. » En revanche, le barème prud’homal, qui fixe jusqu’à vingt mois de salaire maximum par année d’ancienneté les indem-nités dues à un salarié, ne lui sem-ble pas central. « Quand j’embau-che quelqu’un, je ne pense pas au fait que ça puisse se finir aux prud’hommes ! »

« Ce n’est pas le choc attendu »Comme Mme Veyrac, les petits pa-trons se veulent circonspects, mais saluent tout de même le pragmatisme du « Small Business Act » de M. Valls – en référence au plan lancé aux Etats-Unis dans les années 1950 pour faciliter les affai-res des petites entreprises. Desti-nées aux 140 000 PME et aux 2,1 millions de TPE françaises, ces annonces ont été bien reçues par les principales organisations pa-tronales, qui y voient la reconnais-sance d’une partie de leurs reven-dications. C’était d’ailleurs l’objec-tif du gouvernement que de « muscler » les lois Macron et Reb-samen au profit des TPE-PME, qui concentrent la moitié des emplois salariés en France – quitte à se met-tre à dos les syndicats et l’aile gau-che de la majorité.

Le Medef a ainsi salué « de bon-nes initiatives ». « L’aide de 4 000 euros va dans le bon sens, même si les chefs d’entreprise préfè-rent généralement une baisse structurelle des charges », indique Thibault Lanxade, vice-président du Medef chargé des TPE-PME. « Cependant, ce n’est pas le choc at-tendu en termes de compétitivité des entreprises », nuance M. Lan-xade, qui met en garde contre

toute remise en question des bais-ses de charges prévues par le pacte de responsabilité – une piste ac-tuellement à l’étude au sein du gouvernement.

De son côté, la CGPME a salué« de réelles avancées ». « Il y a des mesures vraiment positives, comme celles sur les prud’hommes,qui mettent fin à l’insécurité juridi-que du chef d’entreprise, ou la possi-bilité de renouveler deux fois les CDD. Aujourd’hui, 86 % des embau-ches se font de cette manière », sou-ligne Jean-Eudes du Mesnil, le se-crétaire général de la CGPME. Quant aux 4 000 euros pour toute première embauche, « il s’agit d’unréservoir d’emplois important : plusd’un million de personnes [avocats, prestataires informatiques…] sont aujourd’hui indépendants, sans aucun salarié », explique M. du Mesnil. La CGPME regrette des « demi-mesures », comme la per-sistance des seuils sociaux, no-tamment à 50 salariés. Une dispo-sition que la loi Rebsamen sur le dialogue social ne devrait pas re-mettre en question.

Sur le terrain, les petits patronsauraient souhaité que l’arsenal à leur disposition aille plus loin. « Au-delà de la peur du tribunal qu’ont souvent les patrons de PME, c’est plutôt la question de la forma-tion des chefs d’entreprise qu’il fau-drait se poser. Je connais des pa-trons qui se sont fait avoir aux prud’hommes pour des raisons de procédure, simplement parce qu’ils n’étaient pas assez informés en la matière », souligne Abdenour Ain Seba, patron d’IT Partner, une PMEinformatique lyonnaise de trente-

sept salariés. Mme Veyrac se dit, elle,favorable à davantage de souplesseen ce qui concerne les normes im-posées aux TPE : « Il faudrait tenir compte des efforts des entreprisesen matière de sécurité ou de RSE [responsabilité sociétale des entre-prises] dans l’attribution des mar-chés publics, et les traduire en allé-gements de charges. Aujourd’hui, l’Etat ou les collectivités locales ne regardent que le prix le plus bas ! »

Patron d’une agence de commu-nication de quinze salariés à Tou-louse, Daniel Luciani salue les en-gagements pris mardi par le gou-vernement concernant le respect des délais de paiement et de finan-cement à court terme, par le biais de Bpifrance. « Tout ce qui peut fa-ciliter les relations entre grands groupes et PME va dans le bon sens.Mais on voit encore trop de multi-nationales qui choisissent des sous-traitants sur un critère de chiffre d’affaires minimal, puis relèvent soudainement leur seuil, pour en écarter certaines », déplore-t-il.

L’aide de 4 000 euros ? Elle nechange pas grand-chose, selon M.

Ain Seba : « Si j’embauche un colla-borateur en CDI, c’est pour une du-rée moyenne de cinq ans. Ce ne sontpas 4 000 euros qui vont motiver ma décision, c’est mon carnet de commandes ! », précise celui qui est aussi vice-président du conseil économique, social et environne-mental de Rhône-Alpes.

C’est bien là que le bât blesse.« Les principaux freins à l’embau-che aujourd’hui, ce sont la faiblesse du carnet de commandes et les su-reffectifs hérités de la crise [150 000postes environ]. Les entreprises nous le disent clairement : elles pourraient produire plus sans em-baucher », confirme Eric Heyer, économiste à l’Observatoire fran-çais des conjonctures économi-ques. Dès lors, les mesures annon-cées mardi ne peuvent qu’avoir unimpact limité sur l’emploi, selonlui. « Ce qui m’inciterait à embau-cher davantage ? C’est simple : des allégements de charges, qui sont enaugmentation exponentielle, et un carnet de commandes rempli », conclut Mme Veyrac. p

audrey tonnelier

« Quand je recrute, je ne

pense pas au faitque ça puisse

se finir aux

prud’hommes ! »

BÉATRICE VEYRACgérante de Soud Hydro

Le coup de pouce au CDD conforte une forme d’embauche déjà prépondérante

L e « Jobs Act » à la françaiseannoncé, mardi 9 juin, parle premier ministre, Ma-

nuel Valls, pourrait provoquer une envolée des contrats à duréedéterminée (CDD). « Notre volontéest que ce programme constitue àla fois un véritable levier de déve-loppement économique et un acte de confiance envers les TPE-PME [les très petites et les petites et moyennes entreprises], afin de lesinscrire dans une croissance dura-ble, sereine, et riche en emplois », a déclaré M. Valls en présentant sonplan pour les PME.

Parmi les mesures annoncées fi-gure notamment la possibilité de renouveler un CDD deux fois (aulieu d’une), dans une durée maxi-mum de dix-huit mois.

Le plan propose également uncoup de pouce financier aux créa-tions de CDD : 4 000 euros serontaccordés, sur deux ans, aux entre-prises sans personnel (elles sont environ 1,2 million) si elles recru-tent un premier salarié et si la du-rée du contrat signé d’ici au8 juin 2016 est supérieure à douzemois. Cette dernière disposition

vaudra aussi pour les nouveaux contrats à durée indéterminée (CDI).

Dans la réalité, le CDD s’est déjàimposé, depuis 2008, comme la première forme de recrutement dans les entreprises. Loin devant le CDI. Selon les derniers chiffres communiqués par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares),publiés en mai, les CDD représen-taient 86 % des embauches en France au quatrième trimestre2014, un record historique.

« Flexibilisation »

Cette propension des entreprises à privilégier les CDD concerne particulièrement les jeunes et lesseniors : les moins de 25 ans sont 86,4 % à être recrutés dans le ca-dre d’un tel contrat, les 50 ans et plus 87 % ; soit plus de 5 points de différence avec les 25-49 ans, quisont de nos jours embauchés à 81,2 % en CDD.

Renouvelés, remplacés, les CDDparticipent, avec les autres motifs de sortie d’une entreprise (démis-sions, licenciements, retraites,

ruptures conventionnelles), à ce qu’on appelle « le taux de rotationde la main-d’œuvre » : celui-ci re-présentait 16,3 % du nombre total de salariés au quatrième trimes-tre 2014, selon le ministère du tra-vail. Il a quasiment doublé depuis la fin des années 1990, où il variait

entre 8 % et 9 %.Il pourrait augmenter encore

avec ce « Jobs Act » à la française. « Les employeurs peuvent être ten-tés de recruter davantage en CDD,remarque Yannick L’Horty, pro-fesseur d’économie à l’université Paris-Est. Mais l’effet d’aubaine

peut aussi être limité, dans la me-sure où la part de ces contrats dansle recrutement est déjà très éle-vée », explique-t-il.

« Dans un contexte de veille dereprise, le moment est particulière-ment opportun pour prendre des mesures de flexibilisation du mar-ché du travail », ajoute M. L’Horty.En attendant que les besoins enmain-d’œuvre se confirment à travers des commandes plus fermes, cela peut donner aux em-ployeurs la possibilité de s’assu-rer de la reprise en renouvelant les CDD déjà en place.

Reste qu’aujourd’hui, la struc-ture du marché du travail est en-core largement dominée par le CDI. Le stock des emplois est très majoritairement composé de contrats à durée indéterminée.L’Insee indique qu’ils représen-taient 76,8 % de l’emploi total en 2013 (derniers chiffres disponi-bles), et les CDD 8,4 %, y compris les emplois aidés (l’intérim repré-sentant pour sa part 2 %, les ap-prentis 1,6 %, les non-salariés 11,2 %). p

anne rodier

Six embauches sur sept se font en CDDPART DES CDD DANS LES EMBAUCHES, EN %

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L’ESSENTIEL

PROLONGEMENT DES CDDLes employeurs pourront renou-veler un CDD ou un contrat d’in-térim deux fois au lieu d’une (dans la limite de dix-huit mois), et ce quelle que soit la taille de l’entreprise.

BARÈME POUR LES PRUD’HOMMESLes indemnités prononcées par les juges prud’homaux iront de deux à vingt mois de salaire maximum par année d’ancien-neté, selon le temps passé par le salarié concerné dans l’entre-prise et la taille de cette dernière (moins de 20 salariés ou de 20 à 300 salariés).

PRIME À L’EMBAUCHELes TPE qui embauchent leur premier salarié en CDI ou en CDD de plus de douze mois d’ici le 8 juin 2016 recevront une aide de 4 000 euros sur deux ans.

REGROUPEMENTS DE SEUILSLes seuils de 9 et 10 salariés dé-clenchant des obligations sup-plémentaires, notamment en termes de formation profession-nelle et d'indemnité transport, seront relevés à 11 salariés.

« Les principaux

freins

à l’embauche

sont la faiblesse

du carnet

de commandes et

les sureffectifs »

ÉRIC HEYERéconomiste à l’OFCE

LEXIQUE

« JOBS ACT »Le « Jobs Act » à la française fait référence au programme lancé en 2011 par le président améri-cain, Barack Obama. Il s’agissait alors de répondre « au besoin ur-gent de créer des emplois ». Le taux de chômage s’élevait alors à 9,1 % de la population active aux Etats-Unis. Le « Jobs Act » américain prévoyait de réduire de moitié les charges sociales des petites entreprises, d’exemp-ter celles qui embauchaient ou qui augmentaient les salaires et il proposait un crédit d’impôt de 4 000 dollars (2 900 euros) pour le recrutement d’un chômeur de longue durée.

Page 9: Des émirats à la conquête du ciel - Supconcours · Le principal volet des mesures an-noncé mardi porte sur les indem-nités prud’homales en cas de licen-ciement contesté. Le

10 | france MERCREDI 17 JUIN 2015

0123

Le casse-tête du prélèvement à la source« La décision est irrévocable », affirme au « Monde » M. Sapin, qui précisera mercredi les modalités du dispositif

Le prélèvement à la source,c’est pour bientôt. Fran-çois Hollande a confirmé,dimanche 14 juin, dans

un entretien au quotidien régio-nal Sud-Ouest, que le prélèvementà la source de l’impôt sur le re-venu serait « engagé dès 2016 pour être pleinement appliquéen 2018 ». Mercredi, en conseil desministres, Michel Sapin, ministre des finances, devrait préciser les modalités de mise en œuvre de cette réforme, véritable serpent de mer de la perception de l’impôtdepuis… plus de quarante ans.

« Le gouvernement est convaincu– et l’opinion avec lui – que la rete-nue à la source représente un élé-ment décisif de modernisation de notre système fiscal. (…) Le gouver-nement considère que la retenue à la source est un élément essentiel de modernisation de notre disposi-tif fiscal et il est persuadé que, dansun Parlement soucieux de progrès et épris de réformes, il trouvera les concours nécessaires pour mener cet aménagement à son terme. » Celui qui s’exprime ainsi s’appelle Valéry Giscard d'Estaing, alors mi-nistre de l’économie et des finan-ces, lorsqu’il présente à l’Assem-blée nationale, le 23 octobre 1973, le projet de loi de finances pour 1974. Il ne sera pas suivi par le Par-lement et le président Giscard d’Estaing, élu sept mois plus tard,ne mettra jamais en œuvre ce que le ministre appelait de ses vœux.

Bis repetita ? Après avoir remisésa promesse d’engager une granderéforme fiscale en fusionnant l’impôt sur le revenu et la CSG,

après avoir endossé les hausses d’impôt des deux premières an-nées de son quinquennat, après que la tardive tentative du précé-dent premier ministre, Jean-Marc Ayrault, de « remettre la fiscalité à plat » eut fait pschitt, M. Hollande serait-il tenté d’abattre la carte d’une réforme que l’« opinion », à en croire les sondages, voit plutôt favorablement… pour le quin-quennat suivant ? Au risque qu’elle s’enlise dans les tourbillonsde la prochaine présidentielle.

Difficultés

Non, assure M. Sapin, chargé d’en préfigurer les modalités. « La déci-sion est irrévocable », affirme au Monde le ministre des finances. Il n’en reste pas moins que la mise en œuvre recèle de multiples diffi-cultés. Pour lever ces difficultés, précisément, le gouvernement a décidé de procéder par étapes. Les premières dispositions devraient figurer dans le projet de loi de fi-nances pour 2016 qui sera pré-

senté à l’automne. « Nous allons mettre noir sur blanc les questions auxquelles il va falloir répondre pour ne pas gâcher une bonne idée,indique M. Sapin. Ce que d’autres ont été capables de faire, il n’y a pasde raisons qu’on ne puisse pas le faire. »

Ces questions sont connues. Ac-tuellement, le contribuable s’ac-quitte de ses impôts, lorsqu’il est imposable, sur les revenus de l’an-née précédente, par tiers ou en dix mensualités s’il est mensualisé. Avec le prélèvement à la source, l’impôt sera collecté au moment du versement du revenu. Par qui ? C’est la première difficulté. Par l’employeur, comme c’est le cas dans la plupart des pays qui ont déjà adopté ce système ?

Comment, dès lors, garantir laconfidentialité des données, pro-téger des informations – sur son patrimoine, sa situation familiale – que le salarié n’a pas nécessaire-ment envie de porter à la connais-sance de son employeur ? Plu-sieurs pistes sont à l’étude pour le-ver cet obstacle.

Le prélèvement, par exemple,pourrait être effectué par la ban-que qui tient le compte du contri-buable, ce qui éviterait de faire in-tervenir l’entreprise dans le pro-cessus et, du même coup, la soula-gerait d’une charge administrativesupplémentaire.

Comment, ensuite, opérer untraitement à la source sur des reve-nus qui peuvent être salariaux, perçus régulièrement chaque mois, et d’autres revenus récur-rents ou annualisés, comme ceux

du capital ? Comment régler la question de la transition d’un mode de prélèvement à un autre ? En 2017, les contribuables s’acquit-teront de l’impôt sur leurs revenusde 2016. En 2018, s’ils sont prélevésdirectement sur les revenus qu’ils perçoivent, qu’en sera-t-il des reve-nus de 2017 ? Hors de question, bien entendu, de leur appliquer une double imposition. Est-ce qu’au contraire ils bénéficieront d’une « année blanche », c’est-à-dire qu’ils seraient exemptés de payer l’impôt sur les revenus de 2017 ? Le gouvernement ne l’exclutpas, mais uniquement pour les re-venus salariaux, afin d’éviter les ef-fets d’optimisation sur les autres

types de revenus. Mais se pose alors la question constitutionnelle de l’égalité devant l’impôt.

Conjugalisation

Enfin, comment, dès lors que le prélèvement est individualisé, préserver le principe de conjugali-sation de l’impôt sur lequel reposele système fiscal français ? « Nous avons un impératif absolu, précise M. Sapin. Nous ne mettons pas en œuvre le prélèvement à la source pour réformer les principes actuels ni pour augmenter les impôts. Nous nous inscrivons dans un con-texte de baisse des impôts. Je veux absolument tordre le cou à l’idée qu’il s’agit de rendre l’impôt indo-

lore pour mieux l’augmenter. »Dans tous les cas, le prélèvement

à la source ne mettra pas fin à la dé-claration, mais, pour favoriser la transition, le gouvernement en-tend encourager la déclaration en ligne et la mensualisation, sans pour autant les rendre obligatoi-res. L’administration de Bercy a commencé à travailler sur un « Li-vre blanc » qui sera mis à la dispo-sition du Parlement afin de cadrer le débat sur les modalités du prélè-vement à la source. Une fois fran-chies ces étapes préalables, il sera mis en œuvre à partir du 1er jan-vier 2018. « C’est irrévocable », ré-pète M. Sapin. p

patrick roger

Marine Le Pen annonce la création d’un groupe au Parlement européenLe groupe, que la présidente du FN essayait de constituer depuis un an, comptera 36 eurodéputés. Jean-Marie Le Pen n’en fera pas partie

L a question relevait du mar-ronnier depuis un an.« Nous n’avons absolument

aucune inquiétude sur l’existence future de notre groupe », assurait une Marine Le Pen bravache, le 28 mai 2014, au lendemain de la victoire de son parti aux élections européennes en France. C’est seu-lement mardi 16 juin que la prési-dente du Front national devait an-noncer la création d’un groupe au Parlement européen, lors d’une conférence de presse organisée en compagnie du néerlandais Geert Wilders, leader du Parti pour la li-berté (PVV).

Il aura donc fallu plus d’un anpour vaincre les réticences, cha-cun craignant d’être allié à plus in-fréquentable que lui. Dès le départ,le FN pouvait compter sur quatre partis (le PVV, les Italiens de la Li-gue du Nord, les Autrichiens du FPÖ et un eurodéputé belge du Vlaams Belang). Mais il manquait deux partis issus de deux autres pays pour respecter l’obligation de compter au moins sept nationali-tés. Hors de question, en effet, de s’allier avec le Jobbik hongrois ou les Grecs d’Aube dorée, qui ne se si-tuent pas dans la ligne de dédiabo-lisation souhaitée par le FN de Mme

Le Pen. « Nous n’avons pas voulu former un groupe technique mais politique. Nous ne voulons pas le faire à n’importe quel prix », expli-quait récemment Edouard Ferrand, chef de file de la déléga-tion frontiste au Parlement euro-péen. Selon les informations du Monde, ces cinq partis vont s’allier avec une Britannique exclue du parti europhobe UKIP en mars après que son assistant eut été sus-pecté de fausses factures, et deux Polonais issus du Congrès de la Nouvelle Droite (KNP). Le KNP, ré-

puté jusque-là infréquentable, s’est débarrassé début 2015 de son encombrant chef de file, le révi-sionniste et homophobe Janusz Korwin-Mikke. Jusqu’ici Geert Wil-ders ne voulait pas s’allier avec lui. « Nous pouvons travailler avec eux, ils ont deux députés qui normali-sent la ligne. Et ils s’occupent de leurvieux chef, comme nous », s’amu-sait il y a peu un dirigeant FN.

Alliés

L’autre partie de la solution est ve-nue de la mise à l’écart de Jean-Ma-rie Le Pen du FN. Ses propos sur leschambres à gaz, « détail de l’his-toire », ou ceux concernant une « fournée » d’artistes anti-FN, dont le chanteur Patrick Bruel, ont heurté les alliés potentiels de sa fille. Sa suspension du parti, le 4 mai, a débloqué la situation. Il nefera pas partie du groupe, tout comme son fidèle compagnon de route Bruno Gollnisch. Symboli-quement, le père et la fille ne se-ront plus assis sur le même banc.

« J’ai été élu sur une liste avec Jean-Marie Le Pen : on m’a dit qu’il n’y se-rait pas, je n’y serai pas non plus, fait valoir M. Gollnisch. Mais je vo-terai comme le groupe, c’est fait en bonne intelligence avec Marine Le Pen. » En 2007, le député européen

avait présidé l’éphémère groupe Identité, tradition et souveraineté. Depuis, le FN avait toujours siégé parmi les non-inscrits. L’ancien président de la délégation FN, Ay-meric Chauprade, ne fait pas non plus partie des signataires de la de-mande déposée à la présidence du Parlement, mais son assistant as-sure que c’est parce qu’il est en dé-placement aux Fidji. La présidencedu groupe, nommé Europe des Na-tions et des Libertés, sera assuréepar Mme Le Pen et le Néerlandais Marcel de Graaff.

Avec 36 eurodéputés, il s’agira duhuitième et du plus petit groupe du Parlement. Il s’ajoutera aux deux autres groupes euroscepti-ques : celui des conservateurs et réformistes européens, autour des tories britanniques, et celui de l’Europe de la liberté et de la démo-cratie directe, autour du UKIP de Nigel Farage. Ce dernier, qui esti-mait en 2014 que « l’antisémitisme est dans l’ADN du [FN] », avait re-fusé de s’allier avec Mme Le Pen, mais avait débauché une eurodé-putée FN tout juste élue pour créerson groupe, à la grande colère de l’entourage de la présidente du FN.

La constitution d’un groupe per-mettra aux eurodéputés FN et à leurs alliés de recevoir entre 20 et 30 millions d’euros de subven-tions Un élément crucial pour le FN, qui fait l’objet d’une enquête préliminaire ouverte en mars à Pa-ris pour abus de confiance, après une dénonciation de la présidencedu Parlement européen. Celle-ci suspecte 29 assistants parlemen-taires du parti de travailler exclusi-vement à Paris pour le FN, tout en étant rémunérés sur fonds euro-péens. p

olivier faye

et jean-baptiste chastand

10,4 MILLIONS DE CONTRIBUABLES MENSUALISÉS EN 2014

75,4MILLIARDS D’EUROS

DE RECETTES FISCALES

36,9MILLIONS

DE FOYERS FISCAUX

SOURCE : MINISTÈRE DES FINANCES

En ligne viaimpots.gouv.fr

Prélèvementà l’échéance

Prélèvement

mensuel 10,4

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LES DIFFÉRENTS MODES DE PAIEMENT DE L’IMPÔT

DES 17,5 MILLIONS DE CONTRIBUABLES IMPOSÉS, EN MILLIONS

Comment

garantir la

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données que le

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envie de porter

à la connaissance

de son

employeur ?

Les eurodéputés

FN et leurs alliés

pourront ainsi

recevoir de 20 à

30 millions

d’euros de

subventions

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NÉE– N

º 17709

– 1,20 EURO - FRANCE MÉTROPOLITAINE --

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY – DIRECTEUR : JEAN-M

ARIE COLOMBANI

MERCREDI 2 JANVIER 2002

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ne nous

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manes

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issassi,

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Ternisien

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France-So

ciété.........

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Carnet.....

..................

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Horizons ..

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Entreprise

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Aujourd’h

ui ..............

.... 13

Abonneme

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... 14

Météorolo

gie ............

... 15

Jeux.........

..................

..... 15

Culture ....

..................

.... 16

Guide cult

urel ..........

.... 17

Radio-Télé

vision ......

... 18

AFGHAN

ISTAN

L’ordina

teur

d’Al-Qa

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NEIGE

Bancd’es

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lanches

La très mauvaise

année des Bourses

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NSLE

MONDE

entier, les

Bourses

ont traversé

une

année 2001 très moroseet surto

ut

trèsvolatile

. AParis,

l’indice

CAC 40 a ainsi perdu 21,97 %, soit

la plus fortebaisse

depuis 1990. A

Londres, l’indice Footsie

a reculé de

16,15 %et,

à Francfort,l’in

dice

DAX de 19,79 %. A cause de l’éclate-

ment de labulle

technologique,

puis de larécessio

n, les marchés

boursiers

américains avaient très

mal commencé l’année. Mais, après

le choc des attentats,Wall Street a

manifestéune étonnante résist

ance

et a fini par rebondir. L’indice Dow

Jones n’a donc baissé, au total, que

de 7,1 %sur l’année. Le Nasdaq

(valeurs technologiques) a tout de

même chuté de 21,05 %.

Lire pa

ge 10

CINÉMA

Le rail d

e

KenLoa

ch

Ce n’estpasun filmquise reven

dique

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ythologie

ferroviaire, celle

de

L’Arrivée du train en gare de La Ciotat

ou de La Bête humaine. O

n voit pe

u de

trains dans The Navigators. K

en Loach

,

fidèle àsonengagem

entpolitique, s’est

attachéà an

alyser les

conséquence

s de

la privatisation,en 1

996, des chemin

s

deferbrita

nniques,

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trant de

s

cheminots pa

sséssoud

aindel’aris

to-

cratie ou

vrière à la précarité.

p. 16

D.R

.

Au nom de Sabra

et Chatila

CHEBL

I MALL

AT

Les médecins,

déçus

par les réponses

du gouvernement,

continuent la grève

Acheté1 10

0 dollars

à uncommerçant

de Kaboul par un journa

listedu

Wall

Street Journal, unordinateur IB

M conte

-

naitles s

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risted’Ou

ssama Ben Laden. Les

services

de rense

ignemen

t américa

ins les dissè-

quent. A

Kaboul,l’accordsur le déploie

-

ment de

la forceinternationale (p

hoto)

a été sig

né,lundi 31déce

mbre

p. 19

Le manteauneigeux

instabledans les

Alpes du

Nordestà l’o

rigine d’avalan-

chesmeurtrières.Pour étu

dierle proces-

susdescouléesblanches

et tenter

de les

prévenir, des chercheurs

ontcons

truità

l’Alpe-d’Huez un

toboggan ca

pable de

reproduirephys

iquement les écoule-

ments. Des prélèv

ements e

t des me

sures

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lesmod

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ériques

pour tou

s lestypes de

neige.

p. 13

ERIK

DE

CAST

RO/R

EUTE

RS

P.G

UYO

T

ILEST

L’UNdes avocats des Pales-

tiniens et Libanais qui poursuivent

Ariel Sharon pour sa responsabilité

supposée dans les massacres de Sa-

bra et Chatila, deux camps palesti-

niens, en septembre 1982. Libanais,

41 ans, Chebli Mallat défend leur

plainte devant la justice belge.

Lire pa

ge 8

Les experts

face aux risques :

le cas des plantes

transgéniquesAlexis Roy

Collection

«Partage

du savoir»

En librairie

OGM: les e

xperts

sont-ils fo

rmels ?

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de la recherche

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Afrique C

FA1000

F CFA, Algé

rie35 D

A, Allemagne

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Antilles-G

uyane 1,5

0 ¤,Autr

iche1,50

¤, Belgiqu

e 1,20 ¤,

Canada

2,50$, D

anemark

15 KRD,

Espagne

1,50¤, F

inlande 2,00

¤,

Grande-B

retagne 1

£, Grèce

1,50¤, Irl

ande1,50

¤, Italie 1,50

¤,

Luxembo

urg1,20

¤, Maroc10 DH,

Norvège

14 KRN,

Pays-

Bas1,50

¤, Portuga

l cont. 1,5

0 ¤,Réun

ion 1,50 ¤

, Suède 1

6 KRS,

Suisse 2,

40 FS, Tu

nisie1,5 D

T, USA (N

Y) 2$, US

A (others

) 2,50 $.

ÀTA

MPA, au

paradisdes

« snowbirds », ces oiseaux d’hi-

ver qui fuient chaque année les fri-

masnord-américains

pourle

soleilde

laFlorid

e, setient,

depuis octobre 2001, un spectacle

d’un autretype qui en dit long sur

la manière dont les Etats-Unis ont

mené, seuls, la guerredu 11 sep-

tembre. C’est là qu’est installéle

cœur opérationnel de la

guerre,

au QGdu Centra

l Command –

« CentCom », pour les intimes –

sous la férule du général Tommy

Franks, responsabledes opéra-

tions milita

ires américaines pour

une zone qui s’étend de l’Afriq

ue

à l’Asie centra

le.

Face au bâtiment du « Cent-

Com » s’étend le« camp de la

coalition », d’où offic

ient les équi-

pes militaires de liaiso

n de chaque

pays membrede la coalitio

n. Ces

délégations étrangères ne

sont

jamais admises dans l’enceinte du

Central Command

Center ; les

seuls autorisés à pénétre

r dans le

saint des saints sont les militaires

britanniques.

Onimaginera

sans peine les

étatsd’âme des milita

ires alliés

cantonnés dans un second rôle,

eux qui avaient crucomprendre,

le12 septembre, lorsq

ue l’OTAN

avait invoqué l’article 5 du tra

ité

de l’Atlantique nord, qu’ils

de-

vaient se tenir prêtsà voler au

secoursdu grand frè

red’outre

-

Atlantique ignoblement attaqué à

peinevingt-q

uatreheures plus

tôt. De même que l’on peut imagi-

ner les désillusio

ns des diplomates

et autres observateurs

politiques

qui avaient ludans le comporte

-

ment de l’administration américai-

ne aussitôt après les attentats du

11 septembre un retour inévitable

et salutairede Washington au mul-

tilatéralism

e si ardemment désiré

par ses partenaires.

Ce retour au multilatéralisme

américainest l’un des mythes du

11 septembre, tout comme est en

train de le devenir,

par un retour

de balancier, l’idée d’un unilatéra-

lisme vengeur et exclusif de la

partd’une administra

tion Bush

naturellement encline à ignorer le

restedu

mondeet forte

ment

encouragée dans ce travers

par

ses récents succès militaires sur le

front

afghan.Les

Etats-Unis

s’orientent en réalité

vers une nou-

velleform

e d’unilatéralisme, un

unilatéralisme pragmatique, utili-

taire, à la carte.

Sylvie

Kauffma

nn

Lire la

suite p

age8

fwww.lemonde.fr/dossier-special

fwww.lemonde.fr/israel-palestiniens

fwww.lemonde.fr/euro

3:HIKKLE=\UVWUZ:?a@l@a@m@a;

M 00147 - 102 - F: 1,20

E

L’Europe a

fait fête à

l’euro

b Nouvelle a

nnée, nou

vellemon

naie: l’eu

ro aété a

ccueilli jo

yeusemen

t dans les

douze pay

s

qui l’ont

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« Une no

uvelle faç

on de viv

re l’Europ

e », déclar

e Jacques

Chirac dan

s sesvœux

aux França

is bLa nu

it oùtout

a basculé

: nosrepo

rtages à Fr

ancfort, Ro

me, Madrid

, Paris...

À L’ISSU

E d’une réunion avec le

directeur de cabinet d’Elisabeth

Guigou,lundi

31décembre,

l’Union nationale

des omniprati-

ciens de France (UNOF) s’est décla-

rée déçue par les réponses du

gouvernement. «Pui

sque nou

s ne

sommes

pasent

endus,

nous allo

ns

poursu

ivrenot

re grèv

e et acce

ntuer

rapide

mentnot

re pressio

n enorg

a-

nisant

desact

ions uni

taires

d’un

nouvea

u genr

e », a déclaré son pré-

sident, Michel Chassa

ng. Le mi-

nistère

a souligné lundi qu’une

concertation avec « l’en

semble

des

profess

ionnel

s desan

télibé

raux »

,

lancée il y a un an, avait abouti à la

rédaction de treize propositi

ons

destinées à réform

er les soins en

ville. Et affir

mé que letotal des

honoraires perçus par les généra-

listes avait progressé

de près de

14 % de 1997 à 2001.Lire pa

ge 7

et notre éd

itorial

page 9

Le nouvel

unilatéral

isme américa

in

fwww.lemonde.fr/cinem

awww.lemonde.fr

65e Année - N˚19904 - 1,30 ¤ - Francemétropolitaine --- Jeudi 22 janvier 2009 Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directeur: Eric Fottorino

Algérie 80 DA,Allemagne 2,00 ¤, Antilles-Guyane 2,00 ¤,Autriche 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun 1 500 F CFA, Canada 3,95 $, Côte d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 25 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,50 ¤,Gabon 1 500 F CFA, Grande-Bretagne 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, Hongrie 650 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤,Malte 2,50 ¤,Maroc 10 DH,Norvège 25 KRN, Pays-Bas 2,00 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 500 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 28 KRS, Suisse 2,90 FS, Tunisie 1,9 DT, Turquie 2,20 ¤,USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 500 F CFA,

Barack et Michelle Obama, à pied sur Pennsylvania Avenue, mardi 20 janvier, se dirigent vers la Maison Blanche. DOUGMILLS/POOL/REUTERS

a Les carnets d’une chanteuse.Angélique Kidjo, née au Bénin, a chantéaux Etats-Unis pendant la campagnedeBarackObamaen2008, et de nouveaupendant les festivités de l’investiture,du 18 au 20 janvier. Pour LeMonde, elleraconte : les cérémonies, les rencontres– elle a croisé l’actrice Lauren Bacall,le chanteur Harry Belafonte… et l’écono-miste Alan Greenspan. Une questionla taraude : qu’est-ce que cet événementva changer pour l’Afrique ? Page 3

a Le grand jour. Les cérémonies ;la liesse ; lesambitionsd’unrassembleur ;la première décision de la nouvelleadministration: la suspensionpendant cent vingt jours des audiencesde Guantanamo. Pages 6-7 et l’éditorialpage 2a It’stheeconomy... Il faudraà lanou-velle équipe beaucoup d’imaginationpour sortir de la tourmente financièreet économique qui secoue la planète.Breakingviews page 13

a Feuille de route.« La grandeurn’est jamais un dû. Elle doit se mériter. (…)Avec espoir et vertu, bravons une foisde plus les courants glacials et enduronsles tempêtes à venir. »Traduction intégraledu discours inaugural du 44e présidentdes Etats-Unis. Page 18aBourbier irakien.Barack Obamaa promis de retirer toutes les troupesde combat américaines d’Irak d’iciàmai 2010. Trop rapide, estiment leshautsgradésde l’armée.Enquête page19

GAZA

ENVOYÉSPÉCIAL

Dans les rues de Jabaliya, lesenfants ont trouvé un nou-veau divertissement. Ils col-

lectionnent les éclats d’obus et demissiles. Ils déterrent du sable desmorceaux d’une fibre compactequi s’enflamment immédiatementau contact de l’air et qu’ils tententdifficilement d’éteindre avec leurspieds. « C’est du phosphore. Regar-dez comme ça brûle. »

Surlesmursdecetterue,destra-cesnoirâtressontvisibles.Lesbom-bes ont projeté partout ce produitchimique qui a incendié une petitefabrique de papier. « C’est la pre-mière foisque jevoiscelaaprès trente-huit ans d’occupation israélienne »,s’exclame Mohammed Abed Rab-bo. Dans son costume trois pièces,cette figure du quartier porte ledeuil. Six membres de sa familleont été fauchés par une bombedevant un magasin, le 10 janvier.Ils étaient venus s’approvisionnerpendant les trois heures de trêvedécrétées par Israël pour permet-tre auxGazaouis de souffler.

Le cratère de la bombe est tou-jours là. Des éclats ont constellé lemur et le rideau métallique de la

boutique. Le père de la septièmevictime, âgée de 16 ans, ne décolè-re pas. « Dites bien aux dirigeantsdes nations occidentales que ces septinnocents sont morts pour rien.Qu’ici, il n’y a jamais eu de tirs deroquettes. Que c’est un acte crimi-nel. Que les Israéliens nous en don-nent la preuve, puisqu’ils sur-veillent tout depuis le ciel », enrageRehbi Hussein Heid. Entre sesmains, il tient une feuille depapier avec tous les noms desmortsetdesblessés, ainsi que leurâge, qu’il énumère à plusieursreprises, comme pour se persua-der qu’ils sont bienmorts.

MichelBôle-RichardLire la suite page 5et Débats page 17

Ruines, pleurs et deuil :dans Gaza dévastée

WASHINGTON

CORRESPONDANTE

D evant la foule la plus considérablequi ait jamais été réunie sur le Mallnational de Washington, Barack

Obama a prononcé, mardi 20 janvier, undiscours d’investiture presquemodeste. Aforce d’invoquer Abraham Lincoln,Martin Luther King ou John Kennedy, ilavait lui même placé la barre très haut. Lediscours ne passera probablement pas à lapostérité, mais il fera date pour ce qu’il a

montré.Unenouvelle génération s’est ins-tallée à la tête de l’Amérique. Une ère detransformation a commencé.

Des rives du Pacifique à celles de l’At-lantique, toute l’Amérique s’est arrêtéesur le moment qu’elle était en train devivre : l’accession au poste de comman-dant en chef des armées, responsable del’armenucléaire,d’un jeunesénateurafri-cain-américain de 47 ans.

Lire la suite page 6Corine Lesnes

EducationL’avenir deXavier Darcos«Mission terminée » :le ministre de l’éducationne cache pas qu’il seconsidérera bientôt endisponibilité pour d’autrestâches. L’historiende l’éducation ClaudeLelièvre expliquecomment la rupture s’estfaite entre les enseignantset Xavier Darcos. Page 10

AutomobileFiat : objectifChryslerAu bord de la failliteil y a quelques semaines,l’Américain Chryslernégocie l’entrée duconstructeur italien Fiatdans son capital, à hauteurde 35 %. L’Italie se réjouitde cette bonne nouvellepour l’économie nationale.Chrysler, de son côté, auraaccès à une technologieplus innovante. Page 12

BonusLes banquiersont cédéNicolas Sarkozy a obtenudes dirigeants des banquesfrançaises qu’ils renoncentà la « part variablede leur rémunération ».En contrepartie,les banques pourrontbénéficier d’une aidede l’Etat de 10,5 milliardsd’euros. Montantéquivalent à celle accordéefin 2008. Page 14

EditionBarthes,la polémiqueLa parutionde deux textes inéditsde Roland Barthes,mort en 1980, enflammele cercle de ses disciples.Le demi-frère del’écrivain, qui en a autoriséla publication, essuieles foudres de l’ancienéditeur de Barthes,François Wahl.Page 20

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0123

LES UNES DU MONDE

Page 10: Des émirats à la conquête du ciel - Supconcours · Le principal volet des mesures an-noncé mardi porte sur les indem-nités prud’homales en cas de licen-ciement contesté. Le

4 | économie & entreprise VENDREDI 12 JUIN 2015

0123

La croissance mondiale reste fragileL’inquiétude grandit, alors que la perspective d’une remontée des taux américains se rapproche

Les grandes institutionséconomiques internatio-nales multiplient les mi-ses en garde au sujet des

turbulences financières et des chocs économiques que pourrait provoquer la remontée, pourtant attendue, des taux américains.

A l’approche de cette échéancehistorique – ce sera la première augmentation en neuf ans si elleintervient, comme c’est probable d’ici à fin décembre –, les discoursapaisants sur la politique moné-taire des Etats-Unis et la qualité dela communication de la prési-dente de la Réserve fédérale (Fed), Janet Yellen, laissent aujourd’hui la place à des analyses d’une tona-lité plus inquiète.

Cette inquiétude doit beaucoupà l’état de la croissance mondiale, qui, huit ans après la crise finan-cière, est jugée « encore modeste »par le Fonds monétaire interna-tional (FMI) et « décevante » par la Banque mondiale. Cette dernière a présenté, mercredi 10 juin, des prévisions revues à la baisse – elle mise désormais sur + 2,8 %en 2015 contre + 3 % en janvier – dans son rapport semestriel surles Perspectives économiquesmondiales. Le Fonds fera de même début juillet.

Reprise américaine ambiguë

Sept ans après la crise financièrequi a plongé la planète dans la ré-cession, l’économie mondialereste fragile. Partout, ou presque,la reprise manque de vigueur.

Les pays en développement vi-vent leur cinquième année de ra-lentissement. La Chine a jusqu’ici évité l’atterrissage brutal, mais elle a sans conteste tourné la pagede l’euphorie. Le Brésil est tombé en récession. Quant à la Russie, elle peine à redémarrer.

Du côté des pays développés, iln’y a de quoi s’emballer. L’Europea du mal à rebondir franchement et la reprise américaine est ambi-guë. Et, même si la remontée destaux américains ne sera lancéeque lorsque le redressement éco-nomique des Etats-Unis sera cer-tain, elle peut néanmoins casser la reprise ailleurs, en particulier dans la zone euro. C’est la raison pour laquelle l’Organisation de coopération et de développementéconomiques (OCDE) avait invité au printemps la Fed à la prudence.

L’épisode du « Taper tantrum »de mai-juin 2013, qui vit Ben Ber-nanke, alors patron de la Fed, con-

firmer la prochaine fin des achats massifs d’actifs et provoquer des turbulences financières en chaînedans les émergents, a marqué les esprits. Et atteste qu’un événe-ment, même anticipé de longue date par les marchés, peut déclen-cher une volatilité importante etdes sorties de capitaux.

Le relèvement des taux améri-cains peut lancer une course au rendement des investisseurs, ac-croître la volatilité, alourdir lescoûts d’emprunt dans les pays en développement et entraîner des inversions de flux de capitaux.

Ainsi, d’après la Banque, une re-montée de 1 % des taux longs américains, intégralement réper-cutée dans la zone euro, au Royau-me-Uni et au Japon, provoquerait une chute des entrées de capitauxdans les pays émergents : de l’or-dre de 1,8 point de produit inté-rieur brut (PIB) au bout d’un an(soit une diminution de 40 %).

Si la hausse des taux dans lespays avancés hors Etats-Unis de-vait se limiter à 0,7 %, comme en 2013, les flux de capitaux vers les économies émergentes, de l’ordre de 1 000 milliards de dol-lars (825 milliards d’euros)en 2014, ne diminueraient que de 30 %. Ce qui est déjà colossal.

Enfin, s’ils ne bougeaient pas outrès peu, en raison des politiques monétaires accommodantes con-duites par la Banque centraleeuropéenne (BCE), la Banque d’Angleterre (BoE) et la Banque du Japon (BoJ), les flux de capitaux nechuteraient que de 18 %, soit 0,8 point de PIB.

A l’occasion d’un déplacementen Corée du Sud, Mitsuhiro Furu-sawa, le directeur général adjoint du FMI, est revenu sur les effets possibles de l’augmentation an-noncée des taux américains sur lastabilité financière mondiale. Les risques de contagion financièreexistent, a-t-il reconnu en obser-vant par ailleurs que la volatilité

accrue des marchés, combinée àla dépréciation de certaines devi-ses, compliquait la vie des entre-prises lourdement endettées en dollars et pouvait provoquer ou amplifier les sorties de capitaux.

Le rôle croissant joué par l’in-dustrie de la gestion d’actifs dans l’accès aux marchés est aussi, se-lon lui, de nature à accroître le comportement moutonnier en

cas de ventes panique des inves-tisseurs. « N’exagérons pas ces vul-nérabilités. Elles sont des poches derisque plus que les signes annon-ciateurs de risques systémiques », anuancé le haut fonctionnaire.

Dans les cas les plus graves, il ar-rive que les entrées de capitaux s’interrompent brutalement,plombant la croissance et les fi-nances publiques. Les deux tiers

des trente-trois arrêts brutaux(sudden stops, dans la littérature économique) qui se sont produitsentre les années 1990 et 2000 sesont accompagnés d’une chute dela production de l’ordre de 4,4 % du PIB. De tels épisodes survien-nent généralement dans des pays vulnérables (en raison de leur dé-ficit courant, de leurs faibles ré-serves de change, etc. La déprécia-tion de leur devise, la contraction du crédit au privé, la chute du PIB et le délai requis pour revenir à la croissance de long terme y sontalors plus forts qu’ailleurs.

Parmi les pays en développe-ment, les plus fragiles sont évi-demment les plus pauvres : les trente pays à faibles revenus. En-tre 2000 et 2014, leur croissance, tirée par la hausse du prix des ma-tières premières et par la de-mande chinoise, a été en moyenne de 6,2 % par an. Elle de-vrait rester soutenue d’ici à 2017 car certains des investissements

massifs qui ont été faits, notam-ment en Afrique, pour développerle secteur minier ou l’exploration pétrolière ou gazière se transfor-ment enfin en projets arrivés àmaturité. Cela n’empêche pas que, dans certains pays, la baisse des prix de l’énergie et des mé-taux (– 38 % à – 63 % depuis 2011) aconduit à des abandons purs et simples d’activités.

La capacité de ces Etats à absor-ber les chocs financiers – sorties de capitaux, dépréciation duchange, renchérissement de ser-vice de la dette, balance courantedans le rouge, voire déficits ju-meaux – reste « limitée », selon la Banque mondiale. Elle sera sur-tout fonction de ce que ces pays ont fait pendant le boom des ma-tières premières pour moderni-ser et diversifier leur économie.Dis-moi d’où tu viens, je te dirai dequi ou de quoi tu peux avoirpeur… p

claire guélaud

La remontée des taux, épée de Damoclès pour la FranceA un horizon de cinq ans, la Banque de France chiffre à 40 milliards l’effet d’une hausse d’un point du loyer de l’argent sur la dette française

L a remontée des taux euro-péens n’en finit plus de dés-tabiliser les marchés. Mer-

credi 10 juin, le rendement du Bund (emprunt à 10 ans) alle-mand est ainsi repassé au-dessusde 1 % sur le marché secondaire, où s’échange la dette déjà émise. Une première depuis septem-bre 2014. Jeudi matin, son homo-logue français, l’OAT, dépassait les1,3 %. Ce n’est pas tant le niveau des taux qui inquiète – il y a deux ans, le taux français était supé-rieur à 2,5 % – que l’ampleur de la remontée : le rendement de l’OAT a quadruplé depuis son plus-bashistorique de la mi-avril, à 0,34 % !

Depuis une semaine, la flambées’accélère. Elle est en partie impu-table aux discussions sans fin sur la Grèce, qui ravivent les craintespour l’avenir de la zone euro. Maissurtout, aux inquiétudes quant à un changement de politique mo-nétaire de la Banque centraleeuropéenne (BCE). Le méga-plan d’achat de dettes d’Etat lancé fin mars par son président, Mario

Draghi, afin de soutenir la crois-sance en zone euro et de relancer l’inflation, a envoyé les rende-ments des taux français – comme les allemands, les espagnols ou lesitaliens – au tapis.

Mini-krach obligataire

Ceux-ci évoluent en sens inverse de la demande. Certains qu’ils trouveraient en la BCE un ache-teur en dernier ressort, les gérantsd’actifs et autres hedge funds ont massivement acquis des dettes souveraines, faisant chuter leur rendement. Mais le 2 juin, l’infla-tion a signé son grand retour en zone euro (+ 0,3 % en mai sur un an). Dès lors, les investisseurs se sont mis à redouter un arrêt plus rapide que prévu de l’action ba-zooka de la BCE, provoquant un mini-krach obligataire. Et le retourd’une volatilité (brusques mouve-ments à la hausse ou à la baisse) que les marchés avaient un peu vite oubliée…

Pour l’heure, les observateurs seveulent rassurants. « C’est comme

lors d’un tremblement de terre : il y a des répliques. Mais la tension va retomber », estime Patrick Jacq, stratégiste chez BNP Paribas. Selonlui, trêve estivale aidant, l’offre d’obligations d’Etat devrait dimi-nuer à partir de juillet, faisant aug-menter leurs prix, donc baisser leur rendement.

A la BCE elle-même, l’heure nesemble pas à l’affolement. « Nous allons devoir nous habituer à une volatilité plus élevée », indiquaitM. Draghi le 3 juin. Reste que sur lemoment, cette petite phrase a plu-tôt été interprétée par les investis-seurs comme un aveu d’impuis-sance de la BCE.

Pour les Etats, et notammentpour la France, cette remontée destaux rapproche l’épée de Damo-clès lié au financement de sa gi-gantesque dette publique. A 2 037,8 milliards d’euros à fin 2014,celle-ci représente 95 % du produitintérieur brut (PIB). Et malgré les efforts du gouvernement, rien ne dit qu’elle ne dépassera pas 100 % àl’horizon 2017.

Pas de quoi paniquer toutefois.D’abord, parce que seules les émissions de dette réalisées du-rant la période de taux élevés sontconcernées. La maturitémoyenne de la dette française étant de sept ans, elle n’a pas étéempruntée intégralement aux

taux actuels. Au contraire, la France a vécu ces dernières an-nées un recul historique de ses coûts d’emprunts. Alors que le taux d’émission moyen pour lesdettes de deux ans et plus était de 4,13 % en 2008, il était tombé à 1,3 % en 2014 et plafonne à 0,44 % sur les cinq premiers mois de l’an-née. A court terme, les taux sontmême inférieurs à zéro. Autre-ment dit, la France gagne de l’ar-gent en empruntant ! Selon Jean-François Robin, stratège chez Na-tixis, « 40 % des 47 émissions decette année se sont faites à des taux négatifs ».

Par ailleurs, « en tant qu’Etat,nous pouvons rembourser le capi-tal arrivant à échéance chaque an-née avec de la nouvelle dette. Cela nous a rapporté en 2014 plus d’éco-nomies que les nouveaux em-prunts n’ont créé de surcoût », ré-sume Gilles Carrez, président (Les Républicains) de la commission des finances de l’Assemblée. Lacharge (les intérêts) de la dette de-vrait atteindre 44,3 milliards

d’euros en 2015, contre 45,3 mil-liards (hors Sécurité sociale) l’andernier.

Le gouvernement, lui, reste trèsprudent : dans le projet de loi de finances 2015, le taux moyen desemprunts d’Etat est fixé à 2 %. Même une remontée des taux d’encore un point serait donc neutre pour le budget. Cet écart est d’ailleurs à l’origine de 1,2 mil-liard d’euros d’économies sur les 4 milliards réclamés par Bruxellesdans le cadre du pacte de stabilité.

En revanche, à moyen terme,une remontée pérenne des taux serait désastreuse. « Une hausse d’un point coûterait 2,4 milliards d’euros la première année et 5,3 milliards la deuxième, soit lestrois quarts du budget de la cul-ture », indique M. Carrez. Chris-tian Noyer, le président de la Ban-que de France, chiffrait en mai à 40 milliards d’euros l’effet cu-mulé d’une telle hausse sur l’en-semble de la dette française à un horizon de cinq ans. p

audrey tonnelier

A la Bourse de New York, le 25 avril. Une hausse du loyer de l’argent pourrait accroître la volatilité sur les marchés. RICHARD DREW/AP

Les pays en

développement

connaissent

leur cinquième

année de

ralentissement.

L’Europe, elle, a

du mal à rebondir

SOURCE : BLOOMBERG

JANVIER 2014 11 JUIN 2015

RENDEMENT DES EMPRUNTS

FRANÇAIS À DIX ANS, EN %

1,309

0,349

2,568

La Banque mondiale ajuste ses prévisions

La Banque mondiale a revu à la baisse ses prévisions. Elle prévoit désormais une croissance de 2,8 % pour l’économie mondiale en 2015, soit 0,2 point de moins qu’en janvier, de 3,3 % en 2016 et de 3,2 % en 2017. Pour les pays en développement, la correc-tion est forte en 2015 (4 % au lieu de 4,4 %) mais plus modeste ensuite (5,2 % en 2016, 5,4 % en 2017). « Malgré des conditions fi-nancières favorables, écrit Franziska Ohnsorge, principal auteur du rapport semestriel de l’institution, de nombreux pays en déve-loppement subissent un ralentissement économique prolongé, dû à des pénuries agricoles, d’électricité, de transport, d’infrastructu-res et d’autres services vitaux. Les réformes structurelles y sont donc plus urgentes que jamais. »

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0123VENDREDI 12 JUIN 2015 économie & entreprise | 5

Les Etats-Unis, premiers producteurs d’or noirLes Américains détrônent les Saoudiens, notamment grâce à la hausse de la production de pétrole de schiste

Bob Dudley, le patron deBP, a bien résumé la si-tuation dans la présen-tation de l’édition 2015

de la BP Statistical Review of WorldEnergy, son document de réfé-rence publié mercredi 10 juin: « En 2014, l’évolution la plus signifi-cative dans l’offre [d’énergie] a sans conteste été la poursuite de larévolution des huiles de schiste auxEtats-Unis. » Ils ont enregistré « la plus forte augmentation de la pro-duction pétrolière au niveau mon-dial, devenant le premier pays dont la croissance de la productionannuelle moyenne a été d’au moins un million de barils par jourdurant trois années consécuti-ves ».

C’est ainsi que les Américainsont remplacé les Saoudiens comme premier producteurmondial d’or noir. « Une perspec-tive impensable il y a dix ans », se-lon M. Dudley, illustrant l’incroya-ble boum des shale oil dans des Etats comme le Dakota du Nord etle Texas depuis le début de la dé-cennie. Si l’on y ajoute le gaz, ils produisent plus d’hydrocarburesque les Russes, qui ont longtempsfait la course en tête. Ils retrou-vent ainsi la place qu’ils avaient en 1975, avant que les membres del’Organisation des pays exporta-teurs de pétrole (OPEP) ne les sup-plantent.

La production moyenne a at-teint 11,64 millions de barils parjour (si l’on ajoute les condensatsou gaz naturels liquides), un peu au dessus de celle de l’Arabie saou-dite (11,5 millions). « Les implica-tions de la révolution du schisteaméricain sont profondes », a sou-ligné le patron de BP. Elle a contri-bué pour une très large part à l’augmentation de 2,1 millions de barils de l’offre mondiale, à la su-rabondance du marché et à l’ef-fondrement des prix depuis le pic

de juin 2014, où le baril avait at-teint 115 dollars. Le baril de WTIpour livraison en juillet s’échan-geait, mercredi, à 61,43 dollars sur le marché de New York et le Brent à 65,70 dollars sur l’Interconti-nental Exchange de Londres.

Sans surpriseCette place de numéro 1 du pétrolen’est pas une surprise. En 2012, l’Agence internationale de l’éner-gie (AIE) l’avait annoncée pour avant la fin de la décennie. Ce qui l’est plus, c’est la rapidité avec la-quelle le pays y est parvenu grâce à

l’usage de la technique très contro-versée de la fracturation hydrauli-que et des puits horizontaux, ainsiqu’à l’industrialisation des proces-sus de production : les pétroliers peuvent l’arrêter et la relancer dans des laps de temps assez courts, ce qu’il n’est pas possible de faire dans les gisements des grandes profondeurs marines.

Les Etats-Unis devraient conser-ver cette place plusieurs années. Dans l’immédiat, le Département américain de l’énergie (DoE) pré-voit bien une légère baisse de la production de pétrole de schiste

au second semestre, mais la re-prise est attendue début 2016. Il y aaujourd’hui deux fois et demi moins de plateformes de forage enactivité qu’il y a un an, mais de nombreux puits forés peuvent être mis en production très rapide-ment. Et l’administration améri-caine d’information sur l’énergie (EIA) rappelle qu’il faut remonter à1972, à la veille du premier choc pé-trolier de la fin 1973, pour retrou-ver un niveau de production équi-valent à ce qu’il sera sur l’année 2015. Hors gaz liquides, elle attein-dra 9,43 millions de barils par jour

et 9,3 million en 2016, indique-t-elle dans son dernier rapport.

Déjà indépendant pour le gaz, lesEtats-Unis s’en rapprochent donc pour le pétrole, même s’ils impor-tent encore de pays parfois hosti-les, comme le Venezuela, quelque 6 millions de barils par jour (un tiers de leur consommation). Ces importations ont néanmoins été divisées par deux par rapport à 2005, l’année où les Américains ont été le plus dépendants des res-sources extérieures.

La moindre dépendance desEtats-Unis au pétrole des monar-

chies du golfe arabo-persique n’apas encore eu de conséquences géopolitiques majeures. Mais le sentiment de vulnérabilité res-senti naguère par Washington – qui a toujours fait de l’énergie un sujet stratégique – est désormais vécu par Pékin, toujours plus dé-pendant du Moyen-Orient, de l’Asie centrale et de l’Afrique. En 2010, la Chine est en effet devenu le premier consommateur mon-dial d’énergie. Et, depuis la fin de 2013, le premier importateur d’or noir. Ses énormes besoins en hy-drocarbures et en minerai la pousse à multiplier ses investisse-ments dans de nombreux ports étrangers.

Et à renforcer sa flotte et sa capa-cité de projection militaire pour assurer la sécurité de ses routesmaritimes. Dans un Livre blanc consacré à la stratégie militaire, publié le 26 mai, le gouvernementsouligne que « la sécurité des inté-rêts outre-mer dans l’énergie et les ressources, les voies maritimes stratégiques, ainsi que des institu-tions, du personnel et des actifs présents à l'étranger, est devenue une préoccupation majeure ». Cedocument développe une vision stratégique conférant un rôle glo-bal à ses forces armées et entéri-nant la transformation de laChine en puissance commerciale aux intérêts planétaires. p

jean-michel bezat

Areva-EDF : Philippe Varin pose ses conditionsLe président du groupe nucléaire demande à l’électricien de revoir son offre à la hausse

I l y a quarante ans, Jean-Ber-nard Lévy et Philippe Varinjouaient dans la même équipe

de rugby, celle de l’Ecole polytech-nique. Leurs chemins se sont à nouveau croisés fin 2014, quand le premier a été nommé PDG d’EDF et le second président d’Areva. Mais les deux hommes ne portent plus le même maillot et chacun dé-fend les intérêts de sa « maison » dans le grand mouvement de re-fonte de la filière nucléaire fran-çaise lancé par l’Elysée le 3 juin. Ce jour-là, François Hollande a tran-ché : Areva – en grande difficulté fi-nancière après une perte de 4,8 milliards d’euros en 2014 – de-vra céder au géant de l’électricitéson activité de conception-fabrica-tion de réacteurs regroupée au sein d’Areva NP.

Jusqu’ici discrètes, les tensionsentre Areva et EDF sur la restructu-ration de la filière nucléaire sont apparues au grand jour. M. Varin a pour la première fois reconnu, mercredi 10 juin, devant la com-mission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, qu’il ne souhaitait pas qu’EDF devienne majoritaire, mais « un actionnaire minoritaire stratégique dans Areva NP ». Cela aurait permis, selon lui, de réduire les « risques d’exécu-tion » de l’opération « en conser-vant l’intégrité de sa société ».

Une opération qui, à ses yeux, nesera pas bouclée avant le second semestre 2016, notamment en rai-son d’une enquête de la Commis-sion européenne qui vérifiera que l’arrivée d’EDF n’est pas une aide d’Etat déguisée. Mais si l’on veut boucler un « partenariat stratégi-

que » d’ici un mois, comme le gou-vernement le réclame, il faut un « changement radical » dans la coopération Areva-EDF, prévient M. Varin, qui est aussi administra-teur d’EDF.

Et d’abord une « négociationéquitable » sur la valorisation d’Areva NP. M. Varin souhaite qu’EDF révise à la hausse l’offre « indicative » qu’il a faite le 22 mai pour l’acquisition d’Areva NP, qui représente près de 40 % (3,1 mil-liards d’euros) du chiffre d’affaires d’Areva. Elle est, selon plusieurs sources, un peu supérieure à 2 milliards d’euros, alors qu’Areva NP est valorisé 2,7 milliards dansles comptes. « Nous avons fait une proposition différente [qui] tient compte de la valeur de quarante ans de savoir-faire et des cash-flows[flux de trésorerie] futurs », a-t-il indiqué aux députés.

Le chantier de l’EPR finlandaisM. Varin a annoncé la mise en place au sein du conseil d’Areva – comme EDF l’a déjà fait – d’un co-mité constitué de trois adminis-trateurs indépendants et de DanielVerwaerde, patron du Commissa-riat à l’énergie atomique, premier actionnaire d’Areva, afin de propo-ser une valorisation « acceptable » des activités cédées au groupe d’électricité.

Autre point dur de la négocia-tion : le chantier de l’EPR finlan-dais. « Une épée de Damoclès qui pèse depuis 2003 sur le groupe et qui compromet tout scénario d’avenir », juge M. Varin. Areva a déjà provisionné 4,6 milliards d’euros et le coût d’Olkiluoto est

désormais estimé à plus de 8 mil-liards pour une centrale vendue 3 milliards clés en main en 2003. Le président réclame un « partage équitable du risque » avec EDF.

Une procédure devant une courd’arbitrage internationale a été ouverte il y a plusieurs années pour départager Areva et son client Teollisuuden Voima Oyj (TVO). M. Lévy a prévenu qu’il refu-sait d’exposer son entreprise « auxrisques liés au passé d’Areva, no-tamment en Finlande ». Il se bat pour éviter une facture trop lourde. Non sans rappeler que c’est« à la demande du gouvernement »qu’il a fait une offre de rachat d’Areva NP – un scénario qui n’étaitpas dans sa stratégie au moment où il a pris les commandes d’EDF, fin 2014.

Cette opération risque d’avoir unimpact négatif sur la situation fi-nancière d’EDF, qui a décaissé 4 milliards d’euros de plus qu’il n’aencaissé en 2014 et traîne une dette de 34,2 milliards. « Elle pour-rait augmenter le profil de risque et peser sur ses ratios de crédit », a averti Moody’s. Si l’agence de nota-tion ne conteste pas « la logique stratégique et industrielle derrière le projet de recomposition de l’in-dustrie nucléaire française », elle ensouligne les « risques opération-nels et financiers ». En avril, elle jus-tifiait la baisse de la note d’EDF de« Aa3 » à « A1 » (assortie d’une pers-pective négative) par son exposi-tion croissante aux prix de marchéliée à la fin des tarifs réglementés pour les industriels en 2015.

En revanche, EDF avait répondufavorablement à Areva et à TVO,

qui l’appelaient à la rescousse pourterminer le chantier finlandais et conduire la phase critique des es-sais de l’EPR. Et sur cette activité, l’électricien est prêt à assumer les risques.

Fournisseurs diversifiés

Enfin, M. Varin veut une « négo-ciation équitable » autour de son futur carnet de commandes. Qu’ils’agisse des contrats de retraite-ment des combustibles usés à l’usine de la Hague (Manche) ou d’une augmentation du volume des activités de conversiond’Areva, pour lesquelles Areva a énormément investi et connaît des difficultés pour Comurhex 2(Drôme). EDF, qui a diversifié sesfournisseurs ces dernières années(équipement, combustible…), no-tamment au profit du russe Rosa-tom, doit renforcer sa place de pre-mier client d’Areva, qui assurait en 2014 la moitié de sa fourniture dans l’amont du cycle (uranium, conversion).

Tout ce qu’a dit M. Varin aux dé-putés, le directeur général d’Areva,Philippe Knoche, l’avait signaléaux cadres au lendemain de la dé-cision de l’Etat de céder Areva NP àEDF. Les dirigeants d’Areva n’ont jamais caché que, au terme de cette opération industrielle, le « nouvel Areva » – recentré sur l’extraction, la conversion et l’en-richissement de l’uranium, ainsi que sur le traitement-recyclage des combustibles brûlés dans les centrales – devait avoir un « mo-dèle économique robuste » pour assurer l’avenir. p

j.-m. b.

Champ de pétrole, à Bakersfield, en Californie, en janvier.

JAE C. HONG/AP

Déjà

indépendants

pour le gaz,

les Etats-Unis

s’en rapprochent

pour

le brut

+ 0,3 %C’est le taux d’inflation en France en mai, a annoncé l’Insee, jeudi 11 juin. C’est la deuxième augmentation consécutive sur un an. Le spectre de la déflation, un phénomène que redoutent tous les écono-mistes, s’éloigne ainsi. Cette poussée s’explique notamment par les hausses des prix alimentaires et des prestations touristiques. Quant aux prix des produits pétroliers, après avoir fortement chuté pendant plusieurs mois, ils se sont finalement un peu repris en mai, même s’ils restent bien moins élevés qu’il y a un an. – (AFP.)

CONJONCTURELéger mieux, en France,sur l’emploi salariéL’emploi salarié dans le sec-teur marchand en France s’est stabilisé au premier tri-mestre (700 postes détruits sur un total de près de 16 millions), après un léger mieux au quatrième trimes-tre de 2014 (+ 19 200 postes, + 0,1 %), selon des chiffres dé-finitifs publiés le 11 juin par l’Insee. L’emploi en hausse dans les services compense les destructions de postes dans l’industrie et le bâti-ment. Sur un an, 18 400 em-plois ont été perdus (– 0,1 %). – (AFP.)

ROYAUME-UNIUne loi pour imposer l’excédent budgétaireLe chancelier de l’Echiquier a annoncé, mercredi 10 juin, un projet de loi qui obligerait le gouvernement britannique à dégager un excédent bud-gétaire « en temps normal ». Reconduit dans le gouverne-ment Cameron, George Os-borne n’a pas réussi à respec-ter la loi qu’il avait fait voter en 2010 qui obligeait à élimi-ner le déficit structurel en cinq ans. Le déficit public

a été de 5,2 % du produit inté-rieur brut en 2014-2015.

NUCLÉAIREPlus grosse introduction en Bourse depuis quatre ans en ChineChina National Nuclear Power (CNNP), filiale du géantnucléaire chinois CNNC, a fait, mercredi 10 juin, une en-trée fracassante à la Bourse de Shanghai. Elle a levé 1,9 milliard d’euros, ce qui en fait la plus importante intro-duction en Chine depuis qua-tre ans. L’action de CNNP s’est envolée de 44 % pour sa première séance. – (AFP.)

SPONSORINGNike remplace Adidas auprès de la NBALeader mondial de l’équipe-ment sportif, Nike a signé un contrat de huit ans avec la National Basketball Associa-tion (NBA), propriétaire du championnat américain de basket. Adidas avait annoncé, en mars, qu’il ne renouvelle-rait pas son contrat qui prend fin en 2017. Les ventes de Nike dans le basket ont bondi de 19 % en 2014, à 3,1 mil-liards de dollars (2,7 milliards d’euros). – (Bloomberg.)

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6 | économie & entreprise VENDREDI 12 JUIN 2015

0123

Les entreprises paient de plus en plus tard leurs facturesFin avril, les 120 premiers groupes français accusaient un retard de paiement de 4 milliards d’euros

Patrick Drahi assume.Mauvais payeur, lui ?C’est ce qu’affirment lesfournisseurs de SFR,

l’opérateur téléphonique qu’il a ra-cheté à Vivendi. Depuis son arri-vée, les chèques ne leur parvien-nent qu’avec d’énormes retards, ont-ils expliqué au printemps. Pour être payés, certains se sont vuréclamer des rabais de 30 % !

L’homme d’affaires s’est justifiéle 27 mai devant la commission des affaires économiques de l’As-semblée nationale : SFR était deve-nue « une fille à papa » qui « dépen-sait sans compter », laissant sa maison mère régler rubis sur l’on-gle. « Le papa a changé, et ma fille ne fait pas comme ça. Je vérifie ce qu’elle dépense, et ça, ça prend un peu de temps. » Ces retards créent « des tensions », mais « on n’a planté personne », assure M. Drahi.Les fournisseurs voient les choses autrement. Leur syndicat profes-sionnel, Syntec Numérique, a ap-pelé l’Etat à la rescousse, et une médiation a été ouverte.

Le nouveau magnat des télé-coms n’est pas seul dans son genre. Ensemble, les 120 premiers groupes français accusaient un re-tard de paiement de 4 milliards d’euros à la fin avril, selon une étude du cabinet Altares et de la Médiation interentreprises pu-bliée jeudi 11 juin. En un an, le mon-tant de ces retards a progressé de 19 %. Il a même culminé à 4,2 mil-liards en janvier, avant de redes-cendre un peu. En moyenne, les champions de l’économie acquit-tent leurs factures avec un déca-lage d’environ 13,35 jours et demi, alors qu’il était tombé à 11 jours et demi un an auparavant.

SFR et les poids lourds commeRenault, Nexity, etc., ne sont pas seuls en cause : les retards de paie-ment se sont aggravés dans l’en-semble des entreprises françaises, quelle que soit leur taille.

Un signal très alarmant ? Pas for-cément, estime Thierry Millon, le responsable des études d’Altares. « Cette dégradation peut au con-traire constituer un signe de reprise,avance-t-il. Quand les clients re-viennent, les chefs d’entreprise ont besoin d’acheter des matières pre-mières, de reconstituer leurs stocks, etc., pour assurer la production fu-ture, alors que leur trésorerie est en-core tendue, voire à sec. » C’est à ce moment-là que les dirigeants peu-vent être tentés de retarder leurs paiements.

Cet allongement des délais seraitainsi un indicateur convergent avec d’autres, comme le retour d’une petite croissance au premiertrimestre (+ 0,6 %).

En réalité, note M. Millon, onconstate un clivage de plus en plusmarqué entre deux types d’entre-prises. D’un côté, celles, de plus en plus nombreuses, qui paient en temps et en heure : c’est le cas de 36 % des sociétés françaises actuel-lement, contre 32 % il y a un an. Del’autre côté, les mauvais payeurs, dont le retard moyen tend à s’ag-graver, qu’il s’agisse d’une reprise en main comme chez SFR, d’une difficulté à suivre la reprise, ou

d’un signe de problèmes plus structurels, particulièrement nets dans la construction, un secteur toujours à la peine.

Dans tous les cas, « on ne peut paslaisser la situation perdurer, car ces comportements aboutissent à tuer certains fournisseurs », tranche Pierre Pelouzet, le patron de la Mé-diation interentreprises. Environ une faillite sur quatre est liée à des impayés, indique-t-il.

Comment enrayer le phéno-mène, et amener les donneurs d’ordres à respecter la loi ? Celle-ci prévoit un paiement normal à trente jours, avec la possibilité d’un accord pour le décaler à soixante jours.

Réprobation morale

Pour les groupes en cause, les sanc-tions pénales sont rares, les four-nisseurs hésitant toujours à saisir la justice contre leurs clients. Aussila loi Hamon de mars 2014 a-t-elle instauré, en plus, des sanctions ad-ministratives censées être dissua-sives. Bercy a prévu d’effectuer 2 500 contrôles en 2015. Les noms des coupables seront systémati-quement rendus publics dès qu’il s’agira d’une grande entreprise ou que l’amende dépassera 75 000 euros, a précisé Manuel Valls le 9 juin, dans le cadre de son plan en faveur des PME. Au coût fi-nancier s’ajoutera ainsi la réproba-tion morale, ce qu’on appelle dans les pays anglo-saxons le « name and shame ».

M. Pelouzet, lui, préfère jouerune carte plus positive. En amont, il incite les groupes à signer une charte dans laquelle ils s’engagent à bien traiter leurs fournisseurs. Plus de 500 l’ont déjà fait. Les plus

vertueux peuvent demander à bé-néficier d’un label, accordé après un audit indépendant. Vingt-six groupes l’ont obtenu à ce jour, dont Total et le Crédit agricole. Car-refour vient de le demander.

Et quand le mal est fait, que les re-lations entre les entreprises sont déjà dégradées, M. Pelouzet mise sur la médiation. Un dispositif

créé au printemps 2010, au plus fort de la crise, et qui a prouvé son utilité. « La première année, on a eu100 médiations. En 2014, c’était 1 000, et cela continue à monter en puissance », se réjouit l’ancien di-recteur des achats de la SNCF. Ra-pide, gratuit, confidentiel : ce sys-tème permet de résoudre les con-flits dans trois cas sur quatre. En

mars, il a notamment permis de renouer le dialogue entre But et Cauval, et d’éviter la faillite de cet important fabricant de meubles. Depuis, la situation s’est aussi dé-bloquée entre SFR et ses fournis-seurs. Même si M. Drahi compte garder la haute main sur le carnet de chèques de sa « fille ». p

denis cosnard

Les brevets, « trésor de guerre » du CNRSL’un des Français en lice pour le Prix de l’inventeur européen est issu du centre de recherche

A 63 ans, Ludwik Leibler estl’un des quatre Françaissélectionnés par l’Office

européen des brevets pour le Prix de l’inventeur européen 2015, re-mis le 11 juin. Ce physicien est le concepteur d’un matériau révolu-tionnaire : le vitrimère. Façonna-ble à volonté, il est réparable et re-cyclable à l’infini, contrairement aux plastiques classiques. Aussi lé-ger et résistant que les résines utili-sées dans l’industrie, il pourrait aussi concurrencer les métaux. Ludwik Leibler n’en est pas à son coup d’essai : avec près de 50 bre-vets à son actif, il est aussi l’inven-teur d’un caoutchouc capable de s’auto-réparer et d’une colle à base de nanoparticules qui ressoude des tissus biologiques comme la peau, les muscles ou les organes.

L’intérêt de ces matériaux origi-naux n’a pas échappé aux indus-triels. Arkema est l’un des pre-miers à s’être intéressé aux vitri-mères : le chimiste français a fi-nancé une partie des recherches etses scientifiques développent maintenant des applications. « Nous travaillons sur des peintu-res, des revêtements de sols et des composites », indique Ilias Iliopou-los, directeur scientifique d’Ar-kema en charge des matériaux. L’un des grands marchés selon lui ? Les éoliennes, dont les com-posants sont difficiles à recycler.

Cette success story n’est pas seu-lement celle d’une invention. C’est

aussi celle du CNRS, auquel Lud-wik Leibler est rattaché. De plus enplus, cet organisme public encou-rage ses chercheurs à valoriser leurs travaux : en nouant des par-tenariats avec les industriels, en déposant des brevets ou encore encréant leur propre start-up. « Il faut en finir avec le cliché poussié-reux du scientifique barbu enfermé dans sa tour d’ivoire », plaisante Philippe Baptiste, directeur géné-ral délégué à la science du CNRS.

Le CNRS détient un portefeuillede plus de 4 500 familles brevets. Selon les chiffres de l’Institut na-tional de la propriété industrielle, il a déposé 409 demandes de bre-vet en 2014, contre 277 en 2009, ce qui le place au 7e rang des dépo-sants français, aux côtés de Re-nault, Peugeot ou L’Oréal.

« Un indicateur très regardé »

Pour convertir ces inventions eninnovations, le CNRS autorise des entreprises à exploiter ses tech-nologies. Les 1 500 licences qu’il a accordées lui ont rapporté l’anpassé 9 millions d’euros, soit 1 %de ses ressources propres mais enseul « blockbuster » suffit à dé-multiplier ce résultat. La réfé-rence ? Le Taxotere, un anticancé-reux commercialisé par Sanofi mais issu de recherches menées par le CNRS. Entre 1999 et 2011, lesroyalties perçues sur les ventes dece médicament lui ont rapporté près de 450 millions d’euros !

Trésor de guerre du CNRS, lesbrevets ne sont pas l’arme absolue.« Nous en avons presque trop », souligne Philippe Baptiste. « C’est un indicateur très regardé par le mi-nistère de la recherche, or il ne re-flète qu’imparfaitement notre dy-namisme. On peut toujours dépo-ser plus, mais pour quoi faire ? » s’interroge ce scientifique nommé il y a un an à la tête du centre. « Les grandes entreprises le font pour se protéger de leurs concurrents. No-tre logique est différente. »

Pour accélérer les transferts detechnologies et financer ses tra-vaux, le CNRS signe ainsi de plus en plus de contrats de recherche avec des entreprises. Leur mon-tant a atteint une centaine de mil-lions d’euros en 2014. « Nous avons conclu des accords-cadresavec 25 groupes du CAC 40, et créé des structures communes de re-

cherche, dont le budget global s’élève à 150 millions d’euros. », in-dique Marie-Pierre Comets, di-rectrice de l’innovation et des re-lations avec les entreprises.

Depuis 1999 et la « loi Allègre »,qui autorise ses 11 500 chercheurs à se lancer dans les affaires, plus de 1 000 entreprises ont été crééespar des laboratoires rattachés auCNRS. La moitié ont moins de cinqans. Sans surprise, les secteurs où elles sont le plus nombreuses sontle numérique (38 % du total), la biologie et la santé (24 %), la chi-mie et les matériaux (19 %).

Grâce à une filiale créée en par-tenariat avec Bpifrance et bapti-sée Fist, le CNRS peut prendre des participations dans ces « spin off ». « Nous ne sommes pas des capitaux-risqueurs, mais c’est une façon de soutenir ces projets », précise Jean-René Bailly, directeurdes contrats et des participations.

Quatre sociétés introduites enBourse ont aujourd’hui une capi-talisation boursière de plusieurs dizaines de millions d’euros : Su-personic Imagine (90 millions d’euros), ImmuPharma (58 mil-lions), Innoveox (35 millions d’euros) et Integragen (28 mil-lions). Quatre autres ont été ra-chetées – Lumilog, Varioptic, Photline Technologies et Sensi-tive Object – rapportant au CNRSplus d’un million d’euros en cash, soit plus de cinq fois sa mise. p

chloé hecketsweiler

« Il faut en finir

avec le cliché

poussiéreux

du scientifique

barbu enfermé

dans sa tour

d’ivoire »

PHILIPPE BAPTISTE

directeur général délégué à la science du CNRS

Environ

une faillite

sur quatre est liée

à des impayés

Perceva met la mainsur Variance et LouLe fonds est entré en négociations pour racheter les deux marques de lingerie

S ur les étagères du fonds Per-ceva, à côté des macarons dechez Dalloyau et des roses

de Monceau Fleurs figureront bientôt des soutiens-gorge et des petites culottes. Le fonds spécialisédans le redressement des entrepri-ses en mauvaise posture a an-noncé jeudi 11 juin l’entrée en né-gociations exclusives avec le groupe américain Fruit of the Loom, propriété du milliardaire Warren Buffett, en vue de lui ra-cheter ses activités européennes de lingerie féminine, Vanity Fair Brands Europe (Lou et Variance).

Cette filiale emploie plus de300 personnes en France et en Es-pagne, pour un chiffre d’affaires de55 millions d’euros. « Nous aimonsles belles marques », justifie Jean-Louis Grevet, le président de Per-ceva : « Nous serons propriétaires de Lou et Variance et nous avons demandé une licence exclusive pour commercialiser Vanity Fair et Bestform en dehors de l’Amérique etde l’Asie. » Il souligne : « L’entre-prise ne gagne pas d’argent car elle gère mal sa chaîne d’approvision-nement. C’est à ça que nous allons nous atteler, plutôt qu’à une lourde réorganisation sociale. Nous allons aussi investir sur les marques. »

L’histoire de la fondatrice de Louest des plus romanesques puis-qu’une professeure de gymnasti-

que, Lucienne – surnommée « Lu » –, a eu un coup de foudre pour un entrepreneur, André Fal-ler, en voyageant dans l’Orient-Express. La jeune femme, qui des-sinait et cousait sa propre linge-rie, a convaincu sans difficulté ce-lui qui est devenu très vite son mari de donner une dimension industrielle à son projet.

Convoitises

Ces deux fanatiques de ski se sont installés à Grenoble et leur nou-velle marque de lingerie, Lou, a vite consacré de l’importance à la publicité. N’hésitant pas par exem-ple à demander à Luis Mariano de chanter un mémorable Qui a peur du grand méchant loup ?.

Froufrous et politique ne fai-saient pas toujours bon ménage puisque dans les années 1970, alors que Lou était convoitée par une ribambelle d’acheteurs étran-gers, le général de Gaulle s’était op-posé à ce qu’une telle gloire ne soitplus française. C’est ainsi que la Gé-nérale alimentaire avait racheté la marque en 1971. Avant qu’elle ne change maintes fois de mains de-puis, jusqu’à sa dernière reprise par Berkshire Hathaway (Warren Buffett) en 2002. Lou va de nou-veau battre pavillon français. p

isabelle chaperon

et nicole vulser

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8 | france MARDI 16 JUIN 2015

0123

Alléger le codedu travail : nécessité à droite, tabou à gaucheDans un livre à paraître le 17 juin, l’ancien ministre Robert Badinter et le juriste Antoine Lyon-Caen proposent une « Déclaration des droits du travail »

Haro sur le code du tra­vail. Dans leurouvrage Le Travail etla loi à paraître mer-

credi 17 juin chez Fayard, Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen dénoncent « la complexité crois-sante du droit du travail ». « Le code du travail se veut protecteur et rassurant. Il est devenu au fil desans obscur et inquiétant. Cette in-quiétude collective entrave l’em-bauche », constatent-ils.

Alors que faire ? A droite, le codedu travail est devenu un véritable objet de fantasmes et c’est à qui enfustigera le plus fort les contrain-tes. « Nous devons repenser toutnotre code du travail, déclarait Ni-colas Sarkozy dans un entretien au Figaro, le 1er mars. Je propose enla matière une règle simple : negarder que les droits fondamen-taux des salariés et renvoyer lereste à la négociation d’entre-prise. » En campagne pour la pré-sidence de l’ex-UMP, Bruno Le Maire dénonçait à chacun de sesmeetings les « milliers de pages »du code et proposait de tout réé-crire en partant d’une page vierge.

Chargé du projet du parti Les Ré-publicains, Eric Woerth souhaite qu’une commission pluraliste soitmise en place pour « dresser la listedes dispositions qui pourraient être renvoyées à la négociation col-lective ». « Il faut mettre des parle-mentaires, des experts, un ministre à la forte légitimité autour de la ta-ble et travailler sur ce qui doit êtrerenvoyé aux négociations par en-treprise avant de passer par la voie législative », explique au Monde l’ancien ministre du budget.

Sur son site Internet, FrançoisFillon détaille les dispositions à conserver. « Le code du travail doitêtre recentré sur l’essentiel, c’est-à-dire sur des normes impératives as-surant la protection des droits fon-damentaux des salariés, comme par exemple la durée maximale dutravail. En dehors de ces normes so-ciales fondamentales, le principe sera celui de la liberté convention-nelle et du renvoi au dialogue so-cial dans les entreprises mais aussi dans les branches », analyse l’an-cien premier ministre. On se sou-vient enfin de François Bayrou brandissant lors de l’émission « Des paroles et des actes », sur France 2, en septembre 2014, unexemplaire du code du travail français et un code suisse…

Des paroles aux actes, cepen-dant, l’affaire se révèle plus com-plexe. Déjà, lors de sa campagne pour l’élection présidentielle de 2007, M. Sarkozy s’était engagé àmettre en place un contrat de tra-vail unique. Dans l’exercice de sonquinquennat, il a buté sur sa réali-sation. Plus récemment, dans unentretien aux Echos, le 9 juin, le président du Medef, Pierre Gattaz,plaidait pour « un CDI [contrat à durée indéterminée] sécurisé, pré-voyant des causes prédéfinies de

rupture en cas de chute d’activité »,et pour « assouplir le recours au CDD [contrat à durée détermi-née] ».

« Il n’y a pas en la matière une vé-rité académique », a rappelé le mi-nistre de l’économie, Emmanuel Macron, lors de l’examen du pro-jet de loi sur la croissance et l’acti-vité, soulignant le paradoxe du marché du travail en France. Le stock de contrats de travail exis-tant est constitué à 80 % de CDI ; leflux, lui, est composé à 88 % deCDD, très majoritairement d’une durée inférieure à dix jours. Cela sans tenir compte du recours à l’intérim, à l’autoentrepreneuriat,qui permet d’échapper à toute re-lation de type contrat de travail, et, dans certains secteurs, au tra-vail détaché illégal. « On est en train d’accepter en creux un dua-lisme croissant du marché du tra-vail », constate M. Macron.

« Dégradation »

Le ministre réfute cependant l’idée d’un « contrat unique », portée par certaines organisa-tions patronales et une partie de la droite. « Je ne crois pas à cette formule qui est en fait une nouvelleforme de contrat de travail, préci-se-t-il. Si ça doit devenir une sorte de CDD amélioré, cela conduit à précariser encore un peu plus le marché du travail. »

Denys Robiliard, député (PS) deLoir-et-Cher et avocat spécialiste du droit du travail, avoue que, au vu des « équilibres » qui nourris-sent les évolutions récentes de la législation sociale et « qui vont gé-néralement dans le sens de la dé-

gradation pour les salariés », il de-viendrait « presque conserva-teur ». « Je ne suis pas sûr que lecode du travail soit si complexe que ça, précise-t-il. Il repose surdes règles anciennes et stables quidoivent être conservées. Le licen-ciement doit rester un acte causé. Ce qui explique les mouvements encours, c’est l’inquiétude de voir un statut fort détourné par des con-trats de travail atypiques. On op-

pose le travail et l’emploi : il fau-drait sacrifier les conditions de tra-vail pour préserver l’emploi. Il y a un risque de développement del’économie informelle. Face à ce risque, nous devons chercher à avoir un dispositif qui reste crédi-ble et qui ne soit pas trop facile-ment détournable. »

Désireux de donner plus deplace à l’accord collectif par rap-port à la loi dans le droit du travail,

Manuel Valls a installé, début mai,une commission, présidée par le conseiller d’Etat Jean-Denis Com-brexelle, chargée de s’attaquer aux « rigidités du code du travail ». Ce travail, qui ouvre un vaste chantier sur l’extension du champde l’accord, suscite déjà de fortes réserves à gauche. Ses conclusionssont attendues en septembre. p

matthieu goar

et patrick roger

« Il n’y a pas

en la matière

une vérité

académique »

EMMANUEL MACRON

ministre de l’économie

Depuis 2012, une série de demi-mesures qui ne satisfont personneDe la pénibilité à la justice prud’homale, les réformes de M. Hollande sont jugées trop libérales par les uns, trop timides par les autres

M ise en place d’uncompte pénibilité, ex-tension des ouvertures

dominicales dans le secteur du commerce, refonte de la justice prud’homale… Depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande, l’exécutif a engagé de nombreux chantiers dans le monde du tra-

vail. Certaines de ces réformes ont été adossées à des accords natio-naux interprofessionnels (ANI), conclus par le patronat et les syn-dicats, conformément au souhait du chef de l’Etat d’associer les par-tenaires sociaux à l’élaboration des normes applicables aux entre-prises et à leurs salariés. Quelle est

la portée des dispositions prises ?Les premières s’annonçaient

prometteuses, avec l’ANI sur l’em-ploi, signé en janvier 2013 et trans-posé, cinq mois plus tard, dans la loi, commente Gilbert Cette, pro-fesseur d’économie à l’université d’Aix-en-Provence - Marseille. A ses yeux, le fait d’accorder une place centrale au dialogue social constitue la bonne méthode pour réformer. Avec ce texte, « ils ont en-trouvert des portes que l’on pouvaitpenser fermées », estime M. Cette. « La démarche donnait à penser qu’il y aurait tous les ans des négo-ciations débouchant sur des ac-cords, et qu’on allait enchaîner les mesures courageuses. »

« Pas à la hauteur »

Mais les initiatives suivantes se sont révélées décevantes. D’après lui, la loi sur la formation profes-sionnelle de mars 2014 n’est « pas à la hauteur des enjeux », le fonc-tionnement des organismes qui collectent l’argent n’est pas totale-ment assaini et les prestataires ne font pas l’objet d’une véritable cer-tification.

Les projets de loi, en cours d’exa-men au Parlement, sur le dialogue social et sur la croissance vont, cer-tes, « dans la bonne direction » mais ils ne visent pas assez haut etl’approche retenue est trop politi-que. Selon M. Cette : le gouverne-

lative des gouvernements Ayrault et Valls. Les textes votés depuis mai 2012, ou en cours de discus-sion, « obéissent à une vraie ligne directrice qui n’est pas une ligne de gauche puisqu’ils reposent sur l’idée sous-jacente que la protectiondes salariés constitue un handicap dans la lutte contre le chômage ». Or, ajoute-t-il, « aucune étude ne démontre que le détricotage des droits des travailleurs a une inci-dence bénéfique sur la création d’emplois ».

Certes, concède M. Lokiec, parmiles mesures adoptées au cours des trois dernières années, certaines vont dans le bon sens, comme la taxation des contrats courts, la gé-néralisation des complémentaires santé ou l’encadrement du temps partiel. Mais la philosophie géné-rale des réformes engagées depuis 2012 tend à épouser cette thèse, fausse à ses yeux, « selon laquelle la protection des personnes qui ont un emploi nuit à celles qui en cher-chent un ».

La volonté de l’exécutif d’accor-der plus de place à la négociation collective (en particulier à la négo-ciation d’entreprise) dans l’élabo-ration des normes en dit long éga-lement, pour M. Lokiec. « Sur le pa-pier, c’est peut-être une belle idée mais il faut être très vigilant car ellerisque d’engendrer des règles diffé-rentes, d’une entreprise à une

autre », met-il en garde. Ce méca-nisme-là figure dans le projet de loi Macron à propos des compen-sations salariales au travail domi-nical, qui peuvent être fixées, entreautres, par accord d’entreprise. « Cela favorise la concurrence par les coûts sociaux, le dumping socialentre les entreprises, déplore M. Lo-kiec. On sort de l’idée qu’il faut des règles communes aux travailleurs pour glisser vers un système où les règles changent, d’un employeur àun autre. » p

bertrand bissuel

« Aucune étude

ne démontre que

le détricotage

des droits

des travailleurs a

une incidence

sur la création

d’emplois »

PASCAL LOKIEC

professeur de droit social

LE CONTEXTE

La hiérarchie des normes en droit du travail veut, selon le principe de l’ordre public social, que lorsque deux textes portent sur un même domaine, soit ap-pliqué le plus favorable au sala-rié. Par conséquent, les conven-tions et accords collectifs ne peuvent pas être moins favora-bles aux salariés que les disposi-tions légales ou réglementaires. Toutefois, en vertu du principe de faveur, la convention ou l’ac-cord collectif peut comporter des dispositions plus favorables aux salariés que les lois et règle-ments en vigueur.

M A R C H É D E L’ E M P L O I

Usine Renault, à Douai (Nord), en novembre 2014. OLIVIER TOURON/DIVERGENCE IMAGES

ment a agité « des chiffons rou-ges », par exemple sur la question des obligations sociales des entre-prises en fonction de leurs effec-tifs, dont le gel a été évoqué en 2014, sans concertation préala-ble par le ministre du travail, Fran-çois Rebsamen. Résultat, conclut l’économiste : les syndicats et une partie de la gauche ont protesté, contraignant l’exécutif à revoir à labaisse ses ambitions. Pour M. Cette, il faudrait accorder da-vantage d’espace aux partenaires sociaux, au niveau des entreprises et des branches, et leur laisser la possibilité d’adapter les règles du jeu le plus finement possible.

Professeur de droit social à l’uni-versité Paris Ouest-Nanterre-La Défense, Pascal Lokiec porte un tout autre regard sur l’œuvre légis-

- CESSATIONS DE GARANTIE

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE FRANCE, sis Cœur Défense – TourA – 110 esplanade du Général de Gaulle– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCSNANTERRE 414 108 708), succursalede QBE Insurance (Europe) Limited,Plantation Place dont le siège social est à30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,fait savoir que la garantie financière dontbénéficiait:

CARNOT IMMOBILIER SARL38 Rue Carnot - 86000 POITIERS

SIREN : 383 554 078depuis le 1er janvier 2004 pour ses activitésde : TRANSACTIONS SUR IMMEUBLEET FONDS DE COMMERCE et depuisle 1er juillet 2008 pour ses activités de deGESTION IMMOBILIERE cesserontde porter effet trois jours francs aprèspublication du présent avis. Les créanceséventuelles se rapportant à ces opérationsdevront être produites dans les trois moisde cette insertion à l’adresse de l’Etablis-sement garant sis Cœur Défense – TourA – 110 esplanade du Général de Gaulle– 92931 LA DEFENSE CEDEX. Il est pré-cisé qu’il s’agit de créances éventuelles etque le présent avis ne préjuge en rien dupaiement ou du non-paiement des sommesdues et ne peut en aucune façon mettre encause la solvabilité ou l’honorabilité de laSARL CARNOT IMMOBILIER.

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE FRANCE, sis Cœur Défense – TourA – 110 esplanade du Général de Gaulle– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCSNANTERRE 414 108 708), succursale deQBE Insurance (Europe) Limited, PlantationPlace dont le siège social est à 30 FenchurchStreet, London EC3M 3BD, fait savoir que, lagarantie financière dont bénéficiait la :

SARL TELIMMO TRANSAC

3 rue Du Pont Perronet - 91800 BRUNOY

RCS : 521148650

depuis le 19 Avril 2010 pour son activité de: TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ETFONDS DE COMMERCE cessera de por-ter effet trois jours francs après publicationdu présent avis. Les créances éventuelles serapportant à ces opérations devront être pro-duites dans les trois mois de cette insertion àl’adresse de l’Etablissement garant sis CœurDéfense – TourA – 110 esplanade du Généralde Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX. Ilest précisé qu’il s’agit de créances éventuelleset que le présent avis ne préjuge en rien dupaiement ou du non-paiement des sommesdues et ne peut en aucune façon mettre encause la solvabilité ou l’honorabilité de laSARL TELIMMO TRANSAC.

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0123MARDI 16 JUIN 2015 france | 9

Royaume-Uni : pas de code du travail

A u Royaume­Uni, les rela­tions de travail ne sontpas régies par un code du

travail, mais par des textes épars etsurtout par la jurisprudence. La loi ne fait pas obligation de signer un contrat de travail, mais seulement,dans les deux mois de l’embauche,un document récapitulant les con­ditions essentielles de la relation entre employeur et salarié. Pen­dant les deux premières années, cedernier ne peut pas contester en justice le caractère « raisonnable » d’un licenciement. Aussi la ques-tion de la période d’essai (qui peut atteindre 2 ans) et même la distinc-tion entre CDI (le plus courant) et CDD ont une importance relative.

Le licenciement est possiblepour « incompétence », faute, mo-tif économique et même « toute autre raison substantielle ». Les sa-

lariés privés d’emploi (sauf en cas de faute ou démission) ont droit à une indemnisation à condition de rechercher activement un autre travail. Le montant des indemni-tés de chômage est forfaitaire et se limite à 72,40 livres sterling par se-maine (100 euros) pour les plus de 25 ans et à 57,35 livres (79 euros) pour les 16-24 ans. Les indemnités sont versées pendant un maxi-mum de 182 jours et sont réser-vées aux personnes ayant versé unminimum de cotisation durant lesdeux années précédant leur perte d’emploi. En outre, aucun foyer ne peut percevoir par semaine plus de 500 livres (690 euros) d’alloca-tions et aides sociales.

Le demandeur d’emploi doit jus-tifier de ses recherches tous les 15 jours au Jobcenter Plus et, après treize semaines de chômage, il ne

peut quasiment plus refuser un emploi. Une réforme progressive-ment mise en œuvre jusqu’en 2017fusionne l’ensemble des alloca-tions et crédits d’impôts accordés sous condition de ressources dans une nouvelle prestation nommée « universal credit », qui vise à sim-plifier et à renforcer l’incitation à lareprise d’emploi.

Le Royaume-Uni est l’un despays d’Europe où la main-d’œuvre est la moins chèreet la plus flexible. Le pays admetaussi sans grande controverseque, selon l’Office national desstatistiques, le marché du travail britannique compte 1,8 millionde « contrats à zéro heure » ne ga-rantissant aucun horaire de tra-vail ni salaire. p

philippe bernard

(londres, correspondant)

Espagne : deux réformes-chocs

A u plus fort de la crise éco-nomique, l’Espagne aadopté deux réformes du

marché du travail. Celle qui fut vo-tée en 2011 par le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero fut durcie en 2012 par l’exécutif conservateur de Ma-riano Rajoy. Afin de réduire « l’hé-morragie du chômage », alors que plus de 22 % des actifs étaient sansemploi, de limiter l’usage excessif des contrats temporaires et de« faire perdre la peur d’embau-cher » aux entreprises, le gouver-nement a décidé d’abaisser les coûts de licenciement.

Les indemnités, en cas de licen-ciement « non justifié », sont pas-sées de 45 jours par année tra-vaillée et 42 mensualités au maxi-mum, à 33 jours par année tra-vaillée et un maximum de 24 mensualités. Dans les cas où l’en-treprise enregistre une baisse du chiffre d’affaires durant trois tri-mestres consécutifs ou simple-ment prévoit des pertes à venir, el-

les se limitent à 20 jours et un maximum de 12 mensualités.

La réforme a autorisé les décro-chages des conventions collectivesen cas de difficultés économiques et supprimé la demande d’autori-sation administrative préalable aux plans sociaux. Les entreprises ont été autorisées à imposer des baisses de salaire après deux tri-mestres de baisse des ventes. Si le travailleur refuse de s’y soumettre,il perd son emploi.

Le gouvernement a réduit le tauxd’indemnisation des chômeurs. Durant les 180 premiers jours, les prestations de chômage corres-pondent à 70 % du salaire de base, et à 50 % par la suite. Elles sont li-mitées à 21 mois, et leur montant est plafonné à 1 090 euros pour unchômeur sans enfant, 1 240 euros avec un enfant et 1 400 euros avec deux enfants ou plus.

Dans le même temps, pour sti-muler l’embauche, plusieurs aides ont été mises en place, sous la forme de déductions de charges

sociales et de bonifications. Les chefs de petites et moyennes en-treprises peuvent déduire fiscale-ment l’équivalent de 50 % de la prestation chômage que le tra-vailleur aurait perçue, durant un an. Si une entreprise embauche unpremier salarié de moins de 30 ans, elle bénéficie de 3 000 euros de réduction de char-ges sociales et de 4 500 euros s’il s’agit d’un chômeur de longue du-rée de plus de 45 ans. Quant aux chômeurs, s’ils trouvent un em-ploi à temps partiel, ils peuvent cu-muler 25 % de leurs prestations et leur salaire durant un an.

Après la mise en place de ces me-sures, les salaires ont rapidement baissé, mais le chômage a conti-nué d’augmenter jusqu’à attein-dre son maximum en 2013, à près de 26 % des actifs. Il a commencé à diminuer en 2014 et s’élevait, au premier trimestre 2015, à 23,8 % des actifs. p

sandrine morel

(madrid, correspondance)

Allemagne : la création des mini-jobs

E n Allemagne, il y a trois mo-tifs principaux pour un li-cenciement : économique,

pour motif personnel et pour faute grave. Dans les deux pre-miers cas, l’employeur doit respec-ter un préavis compris entre un et sept mois, en fonction de l’ancien-neté du salarié dans l’entreprise.

Si le licenciement individuel estjustifié, il ne donne pas droit à une indemnisation. S’il ne l’est pas, le salarié doit en principe pouvoir être réintégré. En cas delicenciement collectif, un plan so-cial est négocié avec le comité d’entreprise. L’indemnité est en principe d’un demi-mois de sa-

laire par année d’ancienneté.Mis à part l’introduction d’un sa-

laire minimum de 8,50 euros par heure depuis le 1er janvier, les prin-cipales réformes du contrat du tra-vail remontent aux lois Hartz IV de 2002-2003, où figure la créa-tion des mini-jobs. Des emplois à durée déterminée ou indétermi-née mais dont la rémunération nedoit pas dépasser 450 euros par mois. Le salarié concerné ne paie pas de cotisation. L’employeurverse 13 % du salaire à la caisse d’assurance-maladie et 15 % à la caisse d’assurance-retraite.

Ces mini-jobs sont conçuscomme transitoires ou comme

des emplois d’appoint pour ceux qui ont déjà un emploi régulier, ce qui n’est pas toujours le cas, et peu-vent donc finir par créer des « re-traités pauvres ». Contrairement à la France, il n’y a pas d’exonéra-tions sociales pour les bas salaires. En revanche, quand une personne ou une famille gagne trop peu pour vivre décemment, l’Etat l’aide financièrement. Pour cette raison, on a parfois vu, avant l’in-troduction du salaire minimum, l’Etat porter plainte contre un em-ployeur parce qu’il jugeait les salai-res pratiqués trop bas. p

frédéric lemaître

(berlin, correspondant)

Italie : le « job act » de Renzi

P our Matteo Renzi, premierministre italien, la réformedu travail est derrière lui

mais ses effets se font sentir à tousles niveaux. En décembre 2014, le Parlement a autorisé le gouverne-ment à agir par décrets pour met-tre de l’ordre dans les dizaines de contrats précaires qui régissaient le code du travail transalpin.

Baptisée « job act », cette ré-forme fait du contrat à durée indé-terminée (CDI) la norme en ma-tière de nouvelles embauches. Il s’accompagne de protections croissantes au fur et à mesure del’ancienneté du salarié dans l’en-treprise et permet des exonéra-tions de cotisations sociales im-portantes pour l’employeur.

Pour parvenir à ses fins, M. Renzia dû batailler ferme pendant de longs mois contre ses « fron-

deurs » du Parti démocrate (PD, gauche), dont il est le premier se-crétaire, et les syndicats. Con-vaincu que la rigidité du droit était une des causes du chômage de masse, notamment chez les jeu-nes (plus de 40 % des 18-25 ans), il aabattu un des totems de la gauche au risque de se voir affubler du sur-nom de « Thatcher italien » : l’ar-ticle 18 du code du travail, qui per-met à un travailleur s’estimant li-cencié « sans cause juste » de poursuivre son entreprise devant le tribunal afin d’être réintégré.

Même si cette possibilité était as-sez peu utilisée (quelque 3 000 caspar an), ce droit, introduit dans les années 1970, était considéré comme une conquête sociale in-tangible pour les uns et un frein à l’embauche pour les autres. Silvio Berlusconi n’a jamais pu s’y atta-

quer malgré plus de dix années passées au pouvoir… Une nouvelleforme de rupture négociée a égale-ment été créée. La réforme dessineaussi les contours d’une sorte de RMI et devrait offrir plus de garan-ties aux femmes enceintes.

Selon le gouvernement, les pre-miers résultats sont encoura-geants. Plus de 100 000 CDI auraient été signés, même s’il s’agit souvent de contrats recon-vertis pour bénéficier des exoné-rations de charges. De 13 % de la po-pulation active, le chômage est passé le mois dernier à 12,5 %. Maisla réforme a aussi eu un « coût po-litique ». De 40 % des voix aux élections européennes de mai, le PD est passé à 23 % aux régionales partielles du 31 mai… p

philippe ridet

(rome, correspondant)

Siège de la Fédération française de ski nautique et de wakeboard à Paris,

en juin. ANTONIN LAINÉ/DIVERGENCE IMAGES

— loi macron

demain, certainsd’entre vous vivrontpeut-être dansdes déserts judiciaires,sans avocat.

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2 | plein cadre MERCREDI 17 JUIN 2015

0123

LA COUR EST DE PLUS EN PLUS CONFRONTÉE

AUX SUJETS DE SOCIÉTÉ COMME

LE STATUT DE L’EMBRYON, LES

DROITS DES INTERNAUTES…

bruxelles - bureau européen

Les uns après les autres, les pluséminents magistrats de l’Unionse succèdent à la tribune, égre-nant des discours savants sur lajurisprudence communautaire.Jean-Marc Sauvé, vice-président

du Conseil d’Etat français, ouvre le bal. Lui succède Andreas Vosskuhle, président de la Cour constitutionnelle fédérale allemande…En ce début du mois de juin, on fête, avec quelques mois d’avance, le départ du prési-dent de la Cour de justice de l’Union euro-péenne (CJUE), Vassilios Skouris. En octobre prochain, à 67 ans, le juge grec achèvera son quatrième mandat à la tête de la Cour.

Dans la vaste salle d’audience de la Cour, aucachet très années 1970, l’assistance écoute religieusement. Peu de journalistes ont fait ledéplacement – des Allemands, nous glisse-t-on, les seuls à suivre d’aussi près l’actualité de la CJUE. Au cœur de cette institution com-munautaire plantée sur le plateau du Kir-chberg, le quartier européen de Luxem-bourg, on se sent très loin du bruit médiati-que. Ici, « on rend la justice, on ne fait pas de politique », nous assure-t-on.

Pourtant, au fil des arrêts et des décisionsrendus, cette discrète institution communau-taire, gardienne du droit européen, a pris une importance considérable. Surtout dans les domaines économiques et sociétaux. Ses ju-ges – qui ont rang de commissaires – sont dé-sormais considérés comme les plus puissants– et les plus redoutables – personnages de l’Union.

L’AUTORITÉ DES ARRÊTSUn exemple ? Mardi 16 juin, la Cour rendait unarrêt dans l’affaire dite « Gauweiler ». Elle a fi-nalement considéré que le mécanisme mis enplace par la Banque centrale européenne (BCE) pour sauvegarder la stabilité de la zone euro (le programme OMT « opérations moné-taires sur titres »), était compatible avec les traités. C’est grâce à l’annonce de ce pro-gramme (encore jamais mis en œuvre), per-mettant à la BCE de racheter sans limite aux investisseurs leurs dettes souveraines, que la Banque a réussi à stopper la spéculation sur ladésintégration de l’euro, en septembre 2012. Cet arrêt, attendu depuis des mois, était une vraie épée de Damoclès sur la tête de Mario Draghi, président de la BCE : si les juges n’avaient pas confirmé la conformité de l’OMT, les marchés auraient pu très mal réa-gir, surtout en plein conflit entre la Grèce et

ses créanciers… Il y a aussi eu l’arrêt « Dano », le 11 novembre 2014, qui a beaucoup contrariédans les rangs des conservateurs britanni-ques et des membres europhobes du parti UKIP, puisqu’il dit que les textes européenspermettent tout à fait de limiter le tourisme social sans avoir à remettre en cause le prin-cipe de la libre circulation des personnes. Unedécision qui pèsera forcément quand com-menceront les négociations entre le premier ministre David Cameron et Bruxelles, pour redéfinir le « contrat » britannique avecl’Union européenne.

Autre décision marquante : l’arrêt « GoogleSpain », du 13 mai 2014, qui a fait connaître l’institution luxembourgeoise jusqu’à Washington et dans la Silicon Valley. C’estsans doute la décision d’une autorité publi-que, quelle qu’elle soit, qui, à date, a eu l’im-pact le plus conséquent sur la manière de fonctionner du géant américain de l’Internet. La Cour a reconnu pour la première fois une forme de « droit à l’oubli » pour les utilisa-teurs du moteur de recherche. Ils peuvent dé-sormais exiger de Google que certaines infor-mations les concernant n’apparaissent pas dans ses résultats de recherche. Quitte pourcela à saisir la justice de leur Etat. Pour se con-former à ces nouveaux droits, Google a dû mettre en place un ensemble de procédures. « Il l’a fait en moins de deux semaines, cela montre toute l’autorité des arrêts de la Cour vis-à-vis des opérateurs économiques », cons-tate avec satisfaction le juge français de la Cour, Jean-Claude Bonichot – chaque pays a son juge, il y en a donc 28 en tout à la Cour.

« Nous avons connu trois grandes généra-tions d’arrêts. Il y a d’abord eu les arrêts fonda-mentaux, dans les années 1950 et 1960 [le Tri-bunal a été créé en 1952]. Il s’agissait d’asseoir la primauté du droit communautaire sur les droits nationaux. Cela n’avait rien d’évident à l’époque », rappelle le juge Bonichot. A partir des années 1970, apparaissent les premières décisions liées à la constitution du marchécommun, à la libre circulation des personnes,à l’augmentation des compétences de la Com-mission européenne. C’est d’ailleurs pour s’occuper des affaires liées à la concurrence

gorie. Désormais, les deux juridictions sont de plus en plus confrontées aux grands sujets de société : le statut de l’embryon, les droits des internautes (l’arrêt Google Spain), mais aussi, dans quelques semaines, un arrêt con-cernant Facebook. Il s’agit de savoir si des par-ticuliers peuvent exiger que leurs données personnelles sur Facebook ne soient pas stoc-kées aux Etats-Unis, mais en Europe. Si la ré-ponse est oui, c’est le modèle économique du réseau social qui pourrait s’en trouver modi-fié. « Le Tribunal va aussi être confronté, dans les années qui viennent, aux affaires résultant de la contestation de la régulation bancaire et de l’union bancaire mises en place suite à la crise financière », prévient le juge belge à la Cour, Koen Lenaerts.

La CJUE est une mécanique étonnante. Surun total de 2 144 personnes, elle compte 1 000traducteurs, le plus gros contingent de ce typeau monde. « Attention, ce sont des juristes-lin-guistes », nous reprend Gilles Despeux, du ser-vice de la communication de la CJUE. Ici, onconsidère qu’il faut d’abord disposer d’un ba-gage en droit. C’est une langue en soi ».

La CJUE est pourtant en proie, ces derniersmois, à une agitation singulière. Une guerrefeutrée mais féroce entre juges. Les uns, em-menés par le président Skouris, plaident pour une ambitieuse réforme, avec doublement dunombre des juges au Tribunal. La Commis-sion et le Conseil européen, qui ont leur mot àdire, soutiennent le projet. Mais des eurodé-putés la contestent, et des juges du Tribunal aussi, ce qui fait désordre… « Nous devons ré-soudre ce différend qui n’a que trop duré, pourrester l’institution de l’Union qui fonctionne le mieux », glisse une source interne, pro-ré-forme… p

cécile ducourtieux

qu’est créé le Tribunal (en 1989), pour déchar-ger la Cour. Il traite ainsi tous les recours des entreprises ou des Etats contre les décisions de la Commission européenne (amendes pour abus de position dominante ou aides d’Etat illicites). Ce tribunal est lui aussi com-posé de 28 juges, autant que d’Etats membres de l’UE.

MÉCANIQUE ÉTONNANTELa Cour proprement dite (qu’on appelle « la Cour-Cour » à Luxembourg, pour la distin-guer de la CJUE, le nom de l’entité administra-tive qui chapeaute les deux juridictions, Cour et Tribunal) s’est recentrée sur les demandesen renvoi préjudiciel (quand une justice natio-nale demande à la Cour son interprétation du droit européen). Les arrêts Dano, GoogleSpain ou Gauweiler ressortent de cette caté-

Salle d’audience de la Cour de justice de l’Union européenne. FRED MARVAUX/REA

A Luxembourg, des juges de plus en plus puissants

La Cour de justice de l’Union européenne, qui vient d’autoriserle dispositif de stabilisation de la BCE, s’implique désormaisdans tous les grands débats, et ses décisions sont redoutées

examen réussi pour Mario Draghi, le patron de la Ban-que centrale européenne (BCE). Mardi 16 juin, la Cour dejustice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que les« opérations monétaires sur titres » (OMT), ce pro-gramme d’achat de dettes souveraines conçu en 2012 par la BCE, était « compatible avec le droit de l’Union ».Cet arrêt suit la position prise mi-janvier par l’avocat gé-néral de la CJUE.

Fait de gloire de M. Draghi, le programme OMT est laconséquence directe du discours prononcé en juillet 2012, au plus fort de la crise des dettes souveraines.Alors que la flambée des taux espagnols et italiens faisait– déjà – planer le spectre d’une explosion de la zone euro,le Florentin avait juré de faire « tout ce qu’il faudrait » pour sauver la monnaie unique. Deux mois plus tard, laBCE s’engageait à racheter, sans limite, la dette de tout Etat en difficulté (sur le marché secondaire), à condition que celui-ci se plie à un plan d’aide européen.

Jamais activé, l’OMT a toutefois agi comme un puissantpare-feu sur les marchés, faisant chuter les rendements des emprunts des pays du Sud. « Les marchés ont comprisle message : aucun spéculateur ne gagne contre une ban-que centrale, qui peut émettre autant de monnaie qu’elle lesouhaite. C’est grâce à l’OMT que M. Draghi a sauvé la zoneeuro », résume Eric Dor, économiste à l’école de manage-

ment Iéseg. Aujourd’hui encore, malgré le retour des in-certitudes liées à un « Grexit », c’est le programme OMT, ou tout du moins ce qu’il a révélé de la détermination de la BCE, qui assure un calme relatif sur les marchés – mal-gré les déboires d’Athènes, les taux européens sont bienloin de leur niveau de 2012.

L’arrêt de la CJUE va à l’encontre de l’avis de la Courconstitutionnelle allemande de Karlsruhe. En fé-vrier 2014, cette dernière avait considéré que la BCE outrepassait son mandat : l’OMT revenait à financer di-rectement les Etats, et entretenait un dangereux mé-lange des genres en se mêlant de politique économique, et non plus seulement monétaire. Les Sages allemands avaient toutefois renvoyé la question à Luxembourg.

Karlsruhe devra encore trancher définitivement laquestion de la conformité de l’OMT à la constitution alle-mande. Mais début mai, les mêmes plaignants (avocats, professeurs…) ont déposé un nouveau recours, cette fois contre le « quantitative easing » (QE), la politique de ra-chats d’actifs massifs engagée par la BCE en mars afin de relancer l’inflation. « Juridiquement, ce programme est plus facile à défendre : il entre directement dans le cadre dumandat de la BCE [assurer une inflation proche de 2 %] » explique Clément Genès, économiste chez Kepler. p

audrey tonnelier

La Cour juge conformes les rachats de dettes de la BCE

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4 | économie & entreprise MERCREDI 17 JUIN 2015

0123

La fortune des plus riches nuit à la croissanceDes économistes du FMI contestent la théorie libérale du « ruissellement » dans une étude sur les inégalités

Les tenants de la théorie du« ruissellement » ou« trickle down », selon la-quelle les revenus des

plus riches contribueraient à la croissance, ont du souci à se faire :des économistes du Fonds moné-taire international (FMI) contes-tent ouvertement cette approche. Dans une étude sur les causes etles conséquences des inégalités,présentée lundi 15 juin, ils établis-sent au contraire que, plus la for-tune des riches s’accroît, moins forte est la croissance.

Lorsque la part de gâteau des20 % les plus aisés augmente de 1 %, le produit intérieur brut (PIB) progresse moins (– 0,08 point) dans les cinq ans qui suivent. Autrement dit, les avantages des plus riches ne ruissellent pas vers le bas, contrairement aux convic-tions des économistes néolibé-raux qui défendirent les politi-ques de Margaret Thatcher et deRonald Reagan et les baisses d’im-pôt pour les hauts et très hauts re-venus. En revanche, une augmen-tation de même importance (+1 %) de la part des revenus déte-nue par les 20 % les plus pauvres est associée à une croissance plus forte de 0,38 point.

Le fossé s’est creusé

Cette corrélation positive vaut aussi pour la classe moyenne. Probablement soucieux de ne pasêtre accusés d’angélisme, les auteurs de ce travail, qui lance ledébat au FMI sans engager pour l’instant l’institution, prennent soin de faire remarquer qu’un « certain degré d’inégalité peut nepas être un problème dans la me-sure où cela incite les individus à exceller, à se battre, à épargner et àinvestir pour aller de l’avant ». Ils tirent, par ailleurs, de leurs tra-vaux la conclusion générale que les dirigeants politiques doiventfaire porter leurs efforts sur les plus pauvres et sur la classemoyenne pour réduire les inégali-tés et soutenir la croissance.

L’Organisation de coopérationet de développement économi-ques (OCDE) est parvenue à des

conclusions similaires. Dans un travail de décembre 2014, repris en mai dans son troisième rap-port sur les inégalités intitulé In ItTogether : Why Less InequalityBenefits All (« Tous concernés :pourquoi moins d’inégalité béné-ficie à tous »), elle établit que l’augmentation des inégalités en-tre 1985 et 2005 a coûté en moyenne près de 4,7 points de croissance cumulée dans les pays avancés, moins du fait de l’envo-lée des revenus des plus riches

que du sort réservé aux 40 % lesplus défavorisés.

L’institution a révélé que laFrance, bien qu’en positionmoyenne, a été le troisième de ses34 pays membres pour l’augmen-tation des inégalités entre 2007 et2011. Autrement dit, pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. L’Observatoire des inégalités a dressé un état des lieux dans sonpremier rapport sur les inégalités en France du 4 juin.

L’étude du FMI est plus large quecelle de l’OCDE puisqu’elle porte sur un échantillon d’une centainede pays : économies avancées, émergents et pays en développe-ment. Elle permet donc de pro-gresser dans la compréhension dela dynamique des inégalités et de ses moteurs. Ses auteurs font ob-server que globalisation finan-cière et progrès technologiques sont associés, partout, à une aug-mentation de la part des revenusdétenue par les 10 % les plus ri-ches, désormais neuf fois plus im-

portante que celle détenue par les10 % les plus pauvres.

Dans les pays avancés, le fosséentre riches et pauvres s’est creusé comme jamais depuis plusieurs décennies. Dans les pays émer-gents et en développement, en re-vanche, l’augmentation des inéga-lités s’explique d’abord par le fait

que les revenus des classes moyen-nes supérieures ont rejoint ceux des classes supérieures, comme enChine et en Afrique du Sud.

La concentration de la richessemondiale est spectaculaire. Près de la moitié de celle-ci, soit 110 000 milliards de dollars (97 441 milliards d’euros), est déte-

nue par 1 % de la population. Dans une étude sur la richesse mondialeen 2015 rendue publique lundi, le Boston Consulting Group (BCG) ré-vèle à ce propos que le nombre de millionnaires en dollars a crû de 16 % en un an et que l’Asie-Pacifi-que (hors Japon) devrait être la ré-gion comptant le plus de million-naires en 2016, devant l’Amérique du Nord.

Politique fiscale redistributive

Les grands perdants de ces évolu-tions qui ont été amplifiées par la crise de 2007-2008 sont les classes moyennes, victimes de la polarisa-tion des revenus du travail aux ex-trémités de l’échelle des revenus (les plus qualifiés et les peu ou pas qualifiés, généralement protégés dans les pays avancés par l’exis-tence d’un salaire minimum.) Les économistes du FMI observent parailleurs que l’assouplissement du marché du travail va de pair avec une inégalité croissante et l’enri-chissement des 10 % les plus aisés. Ils en concluent que la flexibilité du marché du travail bénéficie auxplus riches et réduit le pouvoir de négociation des travailleurs pau-vres. Les organisations syndicales ne disent pas autre chose…

Ces résultats sont cohérents avecune autre étude du Fonds, non en-core publiée, selon laquelle, dans les économies avancées, le décro-chage du salaire minimum par rapport au salaire médian va de pair avec une hausse des inégalitéset la diminution du taux de syndi-calisation est fortement corrélée à la hausse des revenus des 1 % plus riches.

Pour réduire les inégalités, les ex-perts du FMI recommandent dans les pays émergents et en dévelop-pement de donner aux plus pau-vres accès aux services financiers. Dans les pays avancés, l’accent doitêtre mis sur le développement du capital humain et des compéten-ces et sur une politique fiscale plusredistributive, par le biais des im-pôts sur la fortune et la propriété, ainsi que sur une fiscalité des reve-nus plus progressive. p

claire guélaud

La Russie fait le grand ménage dans son secteur bancaireDepuis le début de l’année, 30 établissements se sont vu retirer leur licence. Lundi 15 juin, la Banque centrale russe a baissé son taux directeur

moscou - correspondante

S emaine après semaine, unebanque ou un établisse-ment financier disparaît du

paysage russe. En 2014, 86 se sont vu retirer leur licence, et 30 rien que durant les cinq premiers mois de cette année, selon le dé-compte de la Banque centrale de Russie (BCR).

Le 10 juin, RSKB, Invest-Eco-Bank, accusées de mener une po-litique « à haut risque » d’un pointde vue financier, et la société d’in-vestissement Euro-Invest, jugée coupable de ne pas respecter lesnormes anti-blanchiment, ont ainsi à leur tour rejoint la liste des damnés de l’économie russe, vic-times de malversations, pour lesuns, de la crise qui frappe le pays depuis bientôt un an, pour les autres. A peine huit jours aupara-vant, trois autres établissementsde taille moyenne – Metrobank, OPM-Bank et Sibnefte Bank –avaient été rayés de la carte.

Pour autant, 753 banques et 57organismes de crédit continuent de se partager le marché en Russieoù, depuis une vingtaine d’an-nées et la fin de l’ex-URSS, le sec-teur bancaire a littéralement ex-plosé. Mais avec une régularité de métronome, la BCR exécute sa partition en retirant, les unes après les autres, à l’issue d’enquê-

tes, les autorisations des établis-sements indésirables : à ce jour, 99 banques ont été passées en re-vue par ses limiers. « Nous met-tons de l’ordre, soutient Vassili Po-zdichev, vice-gouverneur de la Banque centrale. Nous vérifionsqu’elles ne sont pas impliquées dans des opérations douteuses deblanchiment et de transfert vers des paradis fiscaux, et si elles ont assez d’actifs de qualité pour com-penser les dépôts et les crédits. »

Crise du rouble

« C’est une tendance qui a com-mencé à la mi-2013 mais qui, avecla crise, est devenue beaucoup plusactive, note Natalia Orlova, ana-lyste chez Alfa-Bank. Les 200 plus grandes banques concentrent 95 %du marché, les autres sont des ban-ques de poche et mieux vaut en avoir 200 solvables que 700 à ris-que. » Même les banques les plus

importantes ne sont désormais plus à l’abri.

Le secteur a été lourdement af-fecté par la crise monétaire de dé-cembre 2014, lorsque le rouble a dégringolé entraînant un mouve-ment de panique et une ruée vers l’euro ou le dollar. La demande en devises avait atteint 20,8 milliards de dollars (18,5 milliards d’euros), soit le double du mois de novem-bre, selon la BCR. Les Russes reti-raient leur argent, le convertis-saient et le ramenaient « à la mai-son ou dans un coffre ». Aux heuresles plus noires de décembre, ce mouvement s’élevait à plus d’un milliard de dollars par jour…

Nombre de foyers et d’entrepri-ses se sont retrouvés dans l’inca-pacité de rembourser leurs dettes,obligeant les banques à consti-tuer d’importantes provisions.Mais, comme dans le même temps, la BCR avait augmenté

drastiquement son taux directeurà 17 %, ce remède de cheval avaitprovoqué un coup de frein brutal de l’activité de crédit et mené àdes faillites bancaires.

Depuis, le paysage s’est éclaircimais la situation reste fragile. Lundi 15 juin, la Banque centrale a, pour la quatrième fois consécu-tive, abaissé son taux directeur à 11,5 % tout en prévenant des « ris-ques persistants de ralentissement économique considérable ». Lessanctions internationales empê-chent les grands établissements de se financer à l’étranger. Les cours pétroliers n’ont pas retrouvéleur niveau pour redonner de l’oxygène à l’économie. Et la fuitedes capitaux, malgré l’amnistie promise par Vladimir Poutine, qui a fait l’objet d’un décret publié le 8 juin, est évaluée à 32,6 milliards de dollars (28,7 milliards d’euros) rien que pour les trois premiers mois de cette année.

Le 22 mai, la mise en faillite deTransportny, créée en 1994 et membre du club fermé des 100 premières banques, a donc fait l’effet d’un coup de tonnerre,conduisant à verser à ses clients une compensation de 40 mil-liards de roubles (651 millionsd’euros), montant jamais égalédans le pays. « Nous prenons biensûr en compte l’importance systé-mique de l’établissement mais

nous ne sauverons pas obligatoire-ment une grande banque, tout dé-pend du degré de ses fautes et del’ampleur des dégâts, assure le vi-ce-gouverneur de la BCR, M. Po-zdichev. Dans le cas de Transpor-tny, nous avons découvert qu’elle accordait des crédits à des entre-prises fictives, mais nous avons mis trois mois à le prouver carmême les entreprises fictives pos-sèdent des comptes. » D’autres banques en difficulté ont dû êtrerenflouées sur fonds publics – legouvernement a mis en place un programme à cet effet de1 000 milliards de roubles (16,3 milliards d’euros) – et plu-sieurs ont été rachetées.

Du moins, le système de com-pensation a-t-il atténué le choc. En Russie, les dépôts des particu-liers sont garantis par l’Assurance

des dépôts (ASV) dont le conseil des directeurs, composé de repré-sentants du gouvernement et de la Banque centrale, est présidé parle ministre des finances, Anton Si-louanov. Or, cet organisme, fondé en 2004, qui a déjà relevé au 1er janvier le seuil des dépôts ga-rantis de 700 000 roubles à 1,4 million, voit fondre ses réser-ves, alimentées par une cotisationdes banques. « L’agence n’a plus d’argent, s’est alarmé, le 2 juin,l’économiste Alexei Mikhaïlov, ancien député du parti libérald’opposition Iabloko. Pour la pre-mière fois depuis sa création il y adouze ans, ce fonds s’est déclaré defacto en déficit. (…) Le montant desindemnités versées a été multiplié par six au 1er janvier, pour atteindre423,3 milliards de roubles. » Con-séquence : l’agence a dû deman-der une substantielle rallonge.

Assurant que la « politique decontrôle strict » menée par la BCR est « d’autant plus nécessaire dans le contexte économique difficile », M. Pozdichev prévient que « cel-le-ci va se poursuivre ». « Le plus im-portant est que la population gardeconfiance dans le système bancaireet le régulateur, déclare-t-il. En mars déjà, les dépôts ont recom-mencé à augmenter de 0,1 %, puis 0,2 % en avril, puis 1,2 % en mai. » Un signe encore bien précaire. p

isabelle mandraud

« Nous vérifions

que les banques

ne sont pas

impliquées dans

des opérations

douteuses »

VASSILI POZDICHEV

Vice-gouverneur de la Banque centrale

Envolée des revenus des plus riches

Etats-Unis Pays développés Pays émergentsRoyaume-Uni

Allemagne France Suède Japon Inde Afriquedu Sud

Indonésie Chine

SOURCES : FMI, OCDE

PART DES REVENUS DÉTENUS PAR LES 1 % LES PLUS RICHES, EN % INÉGALITÉ DES REVENUS

ENTRE LA CLASSE MOYENNE

ET LES 20 % LES PLUS RICHES, EN %1980 1990 2000 2010

Les 20 %les plus riches

Classe moyenne

20

15

10

0

5

4

2

1

– 2

– 1

0

3

L’assouplissement

du marché du

travail va de pair

avec une inégalité

croissante et

l’enrichissement

des 10 %

les plus aisés

Recul de 2,2 % de l’activité

L’activité économique en Russie au premier trimestre s’est con-tractée plus fortement que prévu. Le produit intérieur brut (PIB) a reculé de 2,2 % sur un an, selon une nouvelle estimation offi-cielle, publiée lundi 15 juin. L’estimation préliminaire de l’institut des statistiques Rosstat, publiée mi-mai, fait état d’une baisse de 1,9 % par rapport au premier trimestre 2014. La Banque centrale russe a, quant à elle, indiqué, lundi, qu’elle s’attend à une chute du PIB de 3,2 % sur l’ensemble de cette année.

17 millions

C’est le nombre de foyers dans le monde possédant plus d’un mil-lion de dollars (plus de 885 943 euros) en 2014, selon une étude du Boston Consulting Group (BCG) publiée lundi 15 juin. Ces ménages détiennent 41 % de la richesse mondiale. Ils étaient 15 millions en 2013. Les Etats-Unis comptent le plus grand nombre de foyers millionnaires (sept millions). Au total, la richesse des ménages a augmenté de 12 % en 2014 pour atteindre 164 000 milliards de dol-lars. L’Asie-Pacifique (hors Japon) a connu la plus forte croissance : elle devrait devenir la zone la plus riche du monde en 2016, devant l’Amérique du Nord, jusqu’à capter, en 2019, les deux tiers de la ri-chesse mondiale des ménages.

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4 | économie & entreprise JEUDI 18 JUIN 2015

0123

Les firmes américaines ont un gros appétit d’Europe Les acquisitions d’entreprises du Vieux Continent par des acteurs non européens sont en hausse de 66 %

La reprise en Europe, cesont les entreprises amé-ricaines, voire asiatiques,qui y croient le plus. Et el-

les entendent bien en profiter en rachetant leurs concurrenteseuropéennes, avant que les prix ne s’envolent.

Depuis le 1er janvier 2015, des ac-teurs non européens ont an-noncé pour 230 milliards de dol-lars (204 milliards d’euros) d’ac-quisitions sur le Vieux Conti-nent, soit une hausse de 66 % parrapport à la même période l’andernier, selon les pointages deThomson Reuters au 16 juin : unrecord absolu.

Ces acquéreurs venus d’ailleursn’ont peur ni des gros morceauxni des récalcitrants. Le chimisteMonsanto – le producteur du fa-meux désherbant « Roundup »décrié par la ministre de l’écolo-gie, Ségolène Royal – fait ainsi lesiège de son concurrent suisseSyngenta : sa dernière proposi-tion est évaluée à 47 milliards dedollars.

De son côté, le fabricant améri-cain de médicaments génériques Mylan cherche à convaincre son alter ego Perrigo de convoler pourun mariage à 36 milliards de dol-lars. Quant au hongkongais Hut-chison Whampoa, il a acquis en mars, pour 15 milliards de dollars, l’opérateur mobile britannique02, propriété jusque-là de l’espa-gnol Telefonica.

Les entreprises américaines semontrent les plus boulimiques :elles ont représenté les deux tiers des opérations annoncées sur descibles européennes en 2015. « Les groupes américains regardent versl’Europe, y compris en France, car ils sont en avance sur le cycle éco-nomique ce qui leur donne d’avan-tage de visibilité pour investir », té-moigne Hubert Preschez, ban-quier conseil à la Société générale.

« Comme le multiple moyen devalorisation est plus bas en Europequ’aux Etats-Unis et que le dollar s’est fortement apprécié face à

l’euro, il y a une opportunité en ter-mes de valeur à investir en Eu-rope », renchérit Hernan Cris-terna, coresponsable des fusions-acquisitions dans le monde chezJPMorgan. « Cet environnement fi-nancier favorable constitue une fe-nêtre de tir pour les industriels qui attendaient le bon moment pour mettre en œuvre des rapproche-ments stratégiques », abonde Phi-lippe Deneux, qui dirige Medio-banca en France.

Plus proies que prédateurs

Le Royaume-Uni, la Suisse et l’Ir-lande sont en tête des cibles décla-rées, mais, tous les experts des fu-sions-acquisitions le confirment, les groupes tricolores sont biensur la liste de course. D’ailleurs en avril, le transporteur lyonnaisNorbert Dentressangle est passé dans le giron de XPO, une firme duConnecticut. Saint-Gobain vient d’entrer en négociations exclusi-ves avec le fonds américain Apollopour lui céder le fabricant de bou-teilles de verre Verallia. Sachant que l’une des opérations phares de 2014 en France avait été le ra-chat des activités énergétiques d’Alstom par General Electric.

« Les groupes américains cher-chent des opportunités d’acquisi-tion en Europe dans les secteurs peu concentrés, comme les servi-ces, la santé ou encore les biens deconsommation », témoigne So-phie Javary, responsable du « cor-porate finance » pour l’Europe chez BNP Paribas.

Mais les Américains ne sont pasles seuls à rôder : « J’étais en Asierécemment et j’ai vu des dirigeants d’entreprises chinoises déterminés à mettre l’Europe au cœur de leur stratégie d’investissement. Ils re-gardent sans a priori tous les pays, avec l’idée d’acheter une entreprise européenne à qui ils puissent ouvrir le marché chinois », pour-suit la banquière. Après le Club Med, Fosun cherche ainsi des ci-bles en France dans le secteur des maisons de retraite. « Il y a un

grand intérêt des groupes chinois pour des institutions financières enEurope », ajoute Jérôme Calvet, co-président de Nomura en France.

Si les acheteurs des pays loin-tains se méfient parfois du pro-tectionnisme tricolore, ils sontvite rassurés. « Nous sommes ré-gulièrement sollicités pour don-ner un éclairage sur la portée dudécret Montebourg relatif aux in-vestissements étrangers enFrance », relate Antoine Gosset-Grainville, associé du cabinetd’avocat d’affaires BDGS : « Si lenombre de secteurs a été élargi,les motifs de restriction, eux, res-tent les mêmes, à savoir l’ordre

public et la sécurité. La vérité, c’estque la France est un pays trèsouvert pour les groupes étrangers,beaucoup plus qu’on ne le pense. »

Au total, les entreprises françai-ses font plus figure de proies quede prédateurs. Cap Gemini a tra-versé l’Atlantique à contre-cou-rant, en mettant la main sur Igate pour 4 milliards de dollars. D’autres pourraient suivre. Airbusregarde Sikorsky, le fabricant d’hé-licoptères. Et Alstom a mandaté Rothschild pour étudier le dossierdu canadien Bombardier qui pré-pare l’introduction en Bourse deses activités ferroviaires. p

isabelle chaperon

L’usine de General Electric de Belfort, le 28 mai. LIONEL VADAM / L’EST RÉPUBLICAIN

Les créations d’autoentreprises en chute libreLe nombre de nouvelles structures est à son plus bas niveau. En cause, la réforme de 2014

L’ âge d’or de l’autoentre-prise est-il déjà révolu ?Sept ans après sa mise en

place, ce dispositif, qui a rencontréun énorme succès et permis à1,9 million de Français de devenirleur propre patron, attire de moins en moins. Les créations sont en chute. Une « catastrophe »,selon Grégoire Leclercq, le prési-dent de la Fédération des autoen-trepreneurs, qui estime indispen-sable une nouvelle réforme pour redonner son éclat à ce régime.

Les chiffres publiés mardi 16 juinpar l’Insee sont frappants. En mai, seuls 15 459 microentrepreneurs, la nouvelle appellation des autoentrepreneurs, ont créé leur structure. C’est 29 % de moins qu’un an auparavant, et le plus basniveau mensuel depuis les débuts de ce dispositif, au printemps 2009.

Coiffeurs, infographistes, ven-deurs de prêt-à-porter ou encore tatoueurs : à l’époque, de nom-breux Français avaient profité de l’instauration des autoentrepri-ses. Pour tenter l’aventure, rien de plus simple. Un formulaire à rem-plir sur Internet, et il devenait pos-sible de travailler, d’encaisser des honoraires. Pas de chiffre d’affai-res ? Pas de charges. Et pour les en-treprises engrangeant des reve-nus, des charges limitées, faciles à acquitter. Un cadre idéal pour exercer une activité à temps par-tiel et obtenir un complément de revenus.

En mars 2010, près de44 000 travailleurs indépendantsavaient ainsi fondé une autoentre-prise. Après ce pic, le niveau des créations avait un peu reflué, sestabilisant autour de 25 000 par mois. Les autoentreprises repré-sentaient alors plus de la moitié detoutes les nouvelles entreprises.

Candidats « rebutés »

Depuis quelques mois, le rythme des créations ralentit nettement.La raison ? « Ce recul coïncide avec la mise en place de la loi de 2014 qui a modifié le régime des autoentrepreneurs », constate Pierrette Schuhl, de l’Insee. Na-thalie Carré, spécialiste du sujet aux chambres de commerce et d’industrie, est plus affirmative. « La loi entrée en vigueur en janvier

a changé la donne, dit-elle. Le dis-positif est moins simple et les can-didats hésitent. »

Le texte porté par l’ancienne mi-nistre Sylvia Pinel a effectivementposé des contraintes nouvelles.Plus possible de s’inscrire d’unsimple clic. Une inscription à lachambre de commerce ou à celledes métiers est nécessaire, demême que l’ouverture d’uncompte bancaire séparé. Des taxes ont été ajoutées, ainsi qu’unstage obligatoire de quatre à cinq jours pour les artisans. Ceux-ci doivent, en outre, souscrire une assurance.

De quoi réjouir les artisans clas-siques, qui avaient longtemps dé-noncé une concurrence déloyalede la part des autoentrepreneurs. « Monter une entreprise était de-

venu presque trop facile, et cer-tains se sont lancés sans avoir as-sez réfléchi, juge pour sa part AlainBelais, le directeur général de l’Agence pour la création d’entre-prises. Après l’effervescence ini-tiale, le nombre de nouvelles struc-tures revient à des niveaux plusraisonnables. Cela n’a rien d’in-quiétant. »

A la Fédération des autoentre-preneurs, M. Leclercq est d’un tout autre avis. « C’est fou : le gou-vernement nous parle de choc de simplification, et c’est l’inverse qui se produit !, s’exclame-t-il. Les pro-cédures ont été complexifiées. Celarebute les candidats, les chiffres de l’Insee le prouvent. Résultat, les gens vont se remettre à travailler au noir… » A ses yeux, il serait né-cessaire de modifier la loi, pour revenir à la simplicité initiale.

Une proposition écartée à Bercy,où l’on veut attendre la pleine ap-plication de la loi Pinel, en 2016, avant de tirer un bilan. « Il ne faut pas changer la législation tout letemps », appuie Laurent Grand-guillaume, le député (PS) qui avaittrouvé un terrain d’ententeen 2013, lorsqu’une première ten-tative de réforme avait suscité la colère des « poussins » autoentre-preneurs. « Ceux qui créent leur ac-tivité ont besoin de stabilité et devisibilité », plaide-t-il. Mais si les créations poursuivent leur chute, le gouvernement ne pourra pas rester sans rien faire. p

denis cosnard

900C’est le nombre de mini-satellites commandés à Airbus Group par OneWeb, qui veut offrir l’accès à Internet haut débit à des milliards de personnes. 700 satellites, chacun pesant près de 150 kg, seront mis en orbite autour de la Terre à partir de 2018. Les autres sont prévus pour des remplacements. Financé en partie par Virgin de Richard Branson et le fabricant de puces américain Qualcomm , le projet coûtera entre 1,5 et 2 milliards de dollars (1,3 et 1,8 milliard d’euros). Les dix pre-miers satellites seront assemblés à Toulouse, les autres aux Etats-Unis.

PRÊT-À-PORTERGérard Darel placée en redressement judiciaireDétenue à 90 % par le fonds Advent, la marque de prêt-à-porter Gérard Darel a été pla-cée en redressement judi-ciaire par le tribunal de commerce de Paris pour une durée de quatre mois et cher-che un repreneur, ont déclaré mardi 16 juin des sources proches du dossier. Grevée par 100 millions d’euros de dettes, la marque ne peut plus respecter ses engage-ments envers ses créanciers. – (Reuters.)

AÉRONAUTIQUEAirbus Helicopterslance le X6Airbus Helicopters a annoncé le 16 juin au Salon du Bourget le lancement du développe-ment d’un nouvel hélicoptère de transport de 19 places, le X6, destiné à remplacer le Su-per Puma. Le X6 « visera d’abord le marché civil et pa-rapublic », en particulier le secteur pétrolier et gazier, et entrera en service après 2020.

AUTOMOBILEBolloré s’associe à PSA dans l’autopartageBolloré a annoncé, mercredi 17 juin, un partenariat avec PSA Peugeot-Citroën. Le constructeur va assembler, dans son usine de Rennes,la Bluesummer, un cabriolet de quatre places, à partir de septembre au rythme de 3 500 unités par an.Les deux groupes vont aussi collaborer dans le domaine de l’autopartage.

AGROALIMENTAIRELe bénéfice de Rémy Cointreau bondit de 50 %Très secoué par le plongeon des ventes de cognacen Chine il y a un an, Rémy Cointreau se remet en selle. Selon les résultats de l’exercice 2014-2015 publiés mercredi 17 juin, le bénéfice net du groupe de spiritueux a bondi de 50 % à 92,6 mil-lions d’euros. Toutefois, son chiffre d’affaires baisse de 6,4 % à 965 millions d’euros.

10 000

20 000

30 000

40 000

50 000

JANV. 2009 MAI 2015JANV. 2011 JANV. 2013

12 553

43 498

32 963

28 440

16 99716 142

27 868

30 838

15 459

CRÉATIONS D'AUTOENTREPRISES EN FRANCE

SOURCE : INSEE

Coty pourrait devenir le numéro 1 du parfum

Le parfumeur américain Coty pourrait devenir le numéro un mondial du parfum. Il a remporté la mise aux enchères organi-sées par son compatriote Procter & Gamble pour la vente de plu-sieurs lignes de produits de beauté, pour un total de 12 milliards de dollars (10,64 milliards d’euros), a affirmé, mardi 16 juin, le quotidien New York Post. Les marques de cosmétiques concernées englobent notamment les parfums (de Calvin Klein à Marc Jacobs ou Lady Gaga), mais aussi Max Factor ou les shampoings Wella. Depuis trois ans, Procter & Gamble a mis en place un pro-gramme d’économies de 10 milliards de dollars, et la cession de ces marques de beauté en fait partie. Si elle se confirme, cette opération marquerait l’entrée de l’amé-ricain Coty dans la cour des grands du secteur, puisque, selon le cabinet Dealogic, ce groupe dépasserait L’Oréal dans les parfums.

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0123JEUDI 18 JUIN 2015 économie & entreprise | 5

La Poste se convertitaux maisons de services publicsPrès de 500 bureaux de poste pourraient être transformés d’ici à 2016

La Poste s’impose commele meilleur allié de l’Etatpour maintenir les servi-ces publics dans les zones

rurales. Selon nos informations, l’entreprise publique, qui est aussila première société de services de proximité en France, propose au gouvernement de transformer 982 de ses 9 400 bureaux de posterépartis sur le territoire en mai-sons de services publics.

Sur les 982 sites proposés par LaPoste, 500 environ pourraient êtreretenus par l’Etat, au terme d’un processus de sélection qui sera pi-loté, au cours des prochaines se-maines, par les préfets. Ce sont eux qui auront la responsabilité dedélivrer les labels, après concerta-tion avec les élus locaux et les autres opérateurs de services pu-blics intéressés par ces maisons.

Concept né il y a environ vingtans, mais resté longtemps encal-miné faute de volonté politique et de technologies adéquates, les maisons de services au public ont vocation, afin de mutualiser les coûts, à regrouper sous le même toit des opérateurs nationaux et locaux, tels qu’EDF, GDF-Suez, la SNCF, Pôle emploi, la Caisse natio-nale d’assurance-maladie (CNAM),la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) ou encore la Mu-tualité sociale agricole. Ces opéra-teurs peuvent être présents physi-quement ou par l’entremise d’or-

dinateurs et de tablettes connec-tés à des services ou à des conseillers.

Le développement de tels espa-ces, déjà amorcé sous la précé-dente majorité, constitue l’un des axes forts du plan Valls présenté le 13 mars pour la défense des campagnes. Alors qu’il existe déjà 362 maisons de ce type en France, et que 150 autres sont en cours de création, le premier ministre aporté l’objectif à 1 000 d’ici à la finde 2016. L’offre de La Poste tombe donc à point nommé… 500 bu-reaux de poste suffiraient à at-teindre le but fixé.

Chute de l’activité courrier

Pour l’opérateur postal, l’intérêt d’une telle mise à disposition, ré-munérée, de ses bureaux et de sespersonnels est évident. Alors quela loi l’a obligé à maintenir17 000 points de contact sur le ter-ritoire (bureaux de plein exerciceou agences et relais plus légers, gérés avec des communes ou descommerçants), mais que la chute du courrier affecte la fréquenta-tion aux guichets, il s’agit de trou-ver de quoi revitaliser son réseau. Et rééquilibrer ses comptes.

Il y a urgence, face aux nouvellesperspectives de baisse du cour-rier, escomptées autour de 6 % à 7 % l’an, et au boum des opéra-tions dématérialisées. Les 982 bu-reaux ciblés sont situés dans des

sés. Une telle transformation pa-raît bien accueillie par les élus lo-caux de tous bords et par les syn-dicats postaux, qui s’étaient montrés critiques face à de précé-dentes initiatives de diversifica-tion (ventes de produits divers,nouveaux services à domicile…). Ils y voient cette fois une optionconforme à la culture postale. Etce, même si cette reconversion neréglera pas tous les problèmes del’opérateur, loin s’en faut.

De son côté, grâce à La Poste,l’Etat peut donner un coup d’accé-lérateur à son plan de soutien à la ruralité, en réimplantant des ser-vices publics dans des endroits délaissés. L’aide du groupe postal apparaît d’autant plus opportune que les communes, hôtes actuels des maisons de services publics, sont dans une situation finan-cière tendue. Elles ne sont donc pas mécontentes de passer la main.

Bruxelles à l’action contre l’évasion fiscale La Commission européenne présente un plan de lutte sur la fiscalité des multinationales

J ean-Claude Juncker, présidentde la Commission euro-péenne, et Pierre Moscovici,commissaire européen aux

affaires économiques et monétai-res, voulaient passer à l’offensive avant l’été. C’est chose faite.

Sept mois après les révélationsde l’enquête « LuxLeaks », qui a misau jour, en novembre 2014, les avantages fiscaux accordés par le Luxembourg à de grandes entre-prises, et forcé l’institution com-munautaire à réagir, un plan d’ac-tion contre l’évasion fiscale des multinationales a été présenté, mercredi 17 juin.

Ce plan pose en substance les ja-lons d’une future réforme de l’im-pôt sur les sociétés et comprend la publication d’une liste noire de pa-radis fiscaux, qui, point impor-tant, n’est pas une liste élaborée par la Commission européenne sur la base de critères propres. Mais une liste recensant le top 30 des juridictions non coopératives identifiées par les Etats membres.

Toutes sont des pays ou territoi-res extérieurs à l’Union euro-péenne. Parmi eux, on retiendra les noms du Liechtenstein, d’An-dorre, de Monaco ou encore ceux de Panama, des îles Vierges britan-niques et des Bermudes…

En mars, déjà, une première ini-tiative anti-évasion fiscale a été en-gagée par Bruxelles, avec le dépôt d’une directive visant à imposer la transparence des « rescrits fis-caux » (accords passés entre une

administration fiscale et les entre-prises). Les ministres européens l’ont approuvée en avril et discu-tent actuellement de ses détails.

Cette fois, et même s’il n’y a pasencore de texte législatif, Bruxelless’attaque au dur : les principes ré-gissant la taxation des entreprises et l’assiette de l’impôt sur les socié-tés. La Commission européenne s’inscrit d’ailleurs, ce faisant, dans les travaux plus conséquents en-gagés par l’Organisation de coopé-ration et de développement éco-nomiques (OCDE) au nom du G20 (Groupe des 20 plus grandes puis-sances économiques), avec le fa-meux plan d’action anti-optimisa-tion fiscale agressive des multina-tionales dit BEPS, en cours d’adop-tion.

Procéder par étapes

Ainsi, concrètement, des consulta-tions publiques sont lancées, dont la première vise une plus grande transparence fiscale et posera la question de la mise en place d’un reporting des activités – et des im-pôts dûs – pays par pays. Cette con-sultation devrait être clôturée dé-but 2016.

Une deuxième consultation por-tera sur la mise en place de règles communes pour imposer les so-ciétés… Il s’agit en fait ni plus ni moins, pour Bruxelles, de relancer la directive ACCIS (Assise com-mune consolidée pour l’impôt sur les sociétés), encalminée au Con-seil européen du fait de vetos de

pays tels l’Irlande ou les Pays-Bas. Une petite révolution fiscale, donc.

Conscient que, malgré le « mo-mentum politique » créé par « Luxleaks », il n’aurait aucune chance d’aboutir sur un tel sujet conflictuel en reproposant le même texte, le commissaire Mos-covici a décidé de procéder par éta-pes. Mais son idée est bien, une fois la consultation effectuée, de proposer un texte de loi, pour har-moniser le calcul de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Puis de s’attaquer aux mécanismes de consolidation. Et ce, probable-ment l’année prochaine.

« C’est la seule manière d’espérerparvenir à un résultat », indique-t-on à la Commission. Face à l’op-position prévisible d’un camp fé-déré autour de l’Irlande et des Pays-Bas, certains comme la France et l’Allemagne entendent pousser les feux.

A peine présenté, le plan Mosco-vici suscite des commentaires contrastés. Les Verts, groupe poli-tique parmi les plus en pointe sur le sujet fiscalité au Parlement

européen, saluent la volonté poli-tique affichée par Bruxelles d’avancer sur les propositions de base taxable. Mais ils déplorent unmanque d’ambition s’agissant du reporting pays par pays, élément capital de transparence, laissé à la consultation.

Ainsi, pour Eva Joly, « la décisionde ne pas s’engager sur le reporting financier pays par pays marque le peu de détermination de Pierre Moscovici ». « Alors que ce projet nenécessite pas l’unanimité, et qu’il s’applique déjà aux banques euro-péennes, et qu’il a franchi une pre-mière étape au Parlement euro-péen, déclare la députée euro-péenne, Moscovici avait la possibi-lité d’appuyer cette avancée. En ne le faisant pas, il encourage son re-port. C’est un acte manqué. »

De plus, pour Eva Joly, « une véri-table liste noire des paradis fiscaux [assumée par la Commission] est nécessaire. Elle doit intégrer les pa-radis fiscaux membres de l’UE ».

Le député européen belge vert,Philippe Lamberts, va plus loin, es-timant le projet poussif : « Face à lamenace de veto d’Etats membres, laCommission marque le pas. La co-lère des citoyens grandit, les scan-dales s’accumulent. Comment tolé-rer que quelques capitales, au nom de la protection de leurs industries nationales, prennent en otage la lutte contre le dumping fiscal ? »

cécile ducourtieux

(bruxelles, bureau européen)

et anne michel

Pour Eva Joly,

une vraie liste

noire des paradis

fiscaux devrait

intégrer les Etats

membres de l’UE

communes de 1 500 habitants enmoyenne – souvent d’anciens chefs-lieux de cantons – où ils ac-cueillent moins de 70 personnes par jour… Cette moyenne masquedes situations critiques (parfoismoins de quarante visites quoti-diennes).

L’idée est donc de profiter de ceplan national de maisons de ser-vices publics pour consolider cesbureaux fragiles mais dont la plu-part ont été récemment moderni-

L’HISTOIRE DU JOUR

Un nouveau roi sur « le trône de l’horlogerie suisse »

L’ assemblée générale ordinaire de Rolex devait introni-ser mercredi 17 juin Jean-Frédéric Dufour (46 ans)comme nouveau directeur général de Rolex. Cet an-

cien dirigeant de Zenith (LVMH) « prend place sur le trône del’horlogerie suisse » s’est réjoui son ex-patron, Jean-Claude Bi-ver, qui dirige la division horlogère de LVMH. Succédant à GianRiccardo Marini (68 ans), M. Dufour devient donc le cinquièmedirecteur depuis la création de Rolex en 1905. Ce n’était pas ga-gné, bon nombre pariaient sur la nomination, en interne, de Daniel Neidhart, en charge des filiales étrangères.

Rolex conserve jalousement un statut de fondation privée etne vend que des montres, seulement en cinq modèles, rappel-lent Ashok Som et Christian Blanckaert dans The Road to Luxury(édition Wiley, 2015). Le groupe cultive un art consommé du se-

cret. Si l’on sait qu’il emploie plus de10 000 salariés dans le monde, rienne filtre sur le montant pharaoniquede ses investissements industriels,ou sur ses résultats financiers. Leclassement Millward Brown évaluesa valeur (une combinaison de per-formance financière, du produit, deson positionnement…) à 8,5 milliardsde dollars (7,5 milliards d’euros)en 2015, soit au cinquième rang mon-dial du luxe, après Louis Vuitton, Her-mès, Gucci et Chanel. Les analystes

évaluent en général les ventes à environ 5 milliards de dollars.En 2012, le contrôle officiel suisse des chronomètres avait, se-

lon Le Temps, certifié qu’avec plus de 798 000 calibres la manu-facture genevoise produisait le plus de mouvements de mon-tres mécaniques au monde. Depuis, comme tous ses concur-rents suisses, Rolex a souffert de la lutte anticorruption menée par Pékin – les montres de luxe ayant longtemps constitué un cadeau idéal pour les fonctionnaires corrompus. La Chine serale dossier le plus compliqué de M. Dufour.

L’un de ses prédécesseurs, André Heiniger, avait eu l’excellenteidée dans les années 1960 de continuer à croire aux montres mé-caniques, tout en nouant des partenariats avec le gratin des spor-tifs mondiaux et des personnalités des arts. Rien n’a changé. p

nicole vulser

JEAN-FRÉDÉRIC DUFOUR DEVIENT LE CINQUIÈME DIRECTEUR DE ROLEX, DEPUIS SA CRÉATION EN 1905

LES CHIFFRES

17 000C’est le nombre total de points de contact que possède La Poste sur le territoire et que la loi l’oblige à maintenir, sous la forme de bureaux ou d’implan-tations plus légères, agences postales communales ou Relais Poste.

9 400Le nombre de bureaux de poste de plein exercice ; celui des agences communales (gérées avec des communes) et des Re-lais Poste (ouverts chez des commerçants) s’élève à 7 600.

Certes, le financement de cesnouvelles maisons restera mu-tualisé entre l’Etat, les collectivi-tés et les opérateurs. Mais la fac-ture sera moins élevée qu’aupara-vant car les locaux et le personnelseront ceux de La Poste. Quant au fonds national de péréquation postale, créé pour garantir la pré-sence de l’activité partout enFrance, il pourra être sollicité.

Ainsi, selon les calculs du gou-vernement, ces nouvelles mai-sons hébergées dans les bureaux de poste devraient coûter32 000 euros par an en moyenne, au lieu de 45 000 à 50 000 euros pour les anciennes.

Interrogé par Le Monde, l’entou-rage de Sylvia Pinel, la ministre dulogement, de l’égalité des territoi-res et de la ruralité, confirme que le partenariat avec La Poste sera lancé lors du conseil des minis-tres du 24 juin. Une communica-tion sur le sujet sera alors faite parla ministre.

Le cabinet de Mme Pinel soulignequ’« il reviendra aux préfets deconduire les discussions avec les opérateurs désirant entrer dans ce partenariat, et avec les élus, pour sélectionner les sites les plus op-portuns ». Si le plan se déroulesans accroc, un tiers des maisonsde services publics « nouvel âge » pourraient ouvrir avant la fin de l’année. p

anne michel

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6 | idées JEUDI 18 JUIN 2015

0123

Une seule question : qui finira par payer ?

par xavier ragot

L a gestion des dettes publiques serale débat européen des années à ve-nir. Si la Grèce occupe toutes les

énergies, ce n’est pas à cause des mon-tants en cause, faibles au regard de la ri-chesse européenne. Les véritables enjeuxsont les solutions qui vont être choisies, car elles seront décisives pour les autrespays, et donc pour la construction budgé-taire européenne, dans les dix prochai-nes années. Qui paiera pour les dettes pu-bliques ? Plus important encore : qui dé-cidera qui va payer ?

Une première solution est de fairepayer les générations futures. Il suffitpour cela soit de laisser l’endettementpublic augmenter, par exemple dans les pays du sud de l’Europe, soit de restructu-rer les dettes publiques pour allonger leur maturité. Cette option pourrait être moins scandaleuse qu’il n’y paraît, si unecroissance économique élevée devait faire décroître le coût futur de la dette parrapport au revenu disponible. C’estd’ailleurs ce choix qui avait été fait par lespays européens dans l’après-guerre. Maisil semble aujourd’hui injuste pour deux raisons. Tout d’abord, la croissance fu-ture pourrait être durablement faible dans les années à venir : les innovationsdans le domaine du numérique, par exemple, pourraient ne pas générer une croissance élevée des recettes fiscales ; la « stagnation séculaire » nous guette. D’autre part, les générations futures de-vront déjà payer le coût de la transition énergétique et des conséquences du changement climatique. Leur infliger une double peine pourrait passer pourl’égoïsme d’une génération.

Il reste trois autres options : le défaut,la monétisation et la mutualisation.

Le défaut sur les dettes publiques n’estpas inconcevable. Cela correspond à unetaxe sur les détenteurs de la dette publi-que. Au lieu de les taxer pour leur payer ensuite les intérêts sur la dette, les inté-

rêts ne sont simplement pas payés. Comme les détenteurs de la dette publi-que sont les ménages les plus riches, cette taxe est globalement une taxe pro-gressive sur la richesse. Mais il est possi-ble qu’un défaut souverain affecte prin-cipalement les classes moyennes, car lesménages les plus riches sont plus aptes àprotéger plus rapidement leur richesse.Par exemple, peu de ménages français sesont posé la question du sort de leur as-surance-vie en cas de défaut de pays européens. Ensuite, un défaut souverainpeut mettre en faillite des banques sai-nes, mais qui possèdent des quantitésimportantes de dettes publiques. Les avancées de l’union bancaire et de la ré-glementation financière européenne ré-duisent ce risque, mais l’expérience de lafaillite de Lehman Brothers aux Etats-Unis montre que l’on n’en maîtrise pastous les effets.

LA RENTE DE SEIGNEURIAGE

La monétisation est une hypothèse de plus en plus discutée parmi les écono-mistes. Les banques centrales, nationa-les ou européenne, pourraient achetermassivement les dettes publiques pour les effacer, les Etats ne payant pas les banques centrales ou les payant avec lamonnaie créée par les banques centraleselles-mêmes.

En réalité, les dettes publiques ne sontpas effacées, mais payées par d’autres. Car si les Etats ne paient pas les banques centrales, celles-ci vont générer moinsde ressources et donc moins de profits. Comme les profits des banques centralessont distribués aux Etats – ce que l’on ap-pelle la rente de seigneuriage –, cela re-vient à diminuer les ressources des Etatset donc à faire payer les contribuablesnationaux.

Si la dette publique est payée par lacréation monétaire, cela générera de l’in-flation, qui est une taxe sur la monnaie détenue par les ménages. Si une haussede l’inflation est aujourd’hui souhaita-ble, les effets redistributifs de la taxe in-

flationniste sont en revanche mal con-nus. Cette taxe semble être progressive,mais il n’est pas sûr qu’elle affecte les re-venus les plus élevés. L’intérêt de la mo-nétisation est cependant qu’elle estmoins visible : le rachat des dettes par les banques centrales ne demande pas dedébat au Parlement, par exemple.

EFFORTS PARTAGÉS

La mutualisation est la dernière option. Imaginons que les pays européens n’émettent plus de nouvelle dette, mais que toute nouvelle dette soit émise di-rectement au niveau européen, sousforme d’« eurobond » par exemple. Les intérêts sur cette nouvelle dette seraientpayés par un nouvel impôt européen surle revenu, permettant de diminuer lesimpôts nationaux. Dès lors, ce sont lesdétenteurs des revenus les plus élevés enEurope (les Allemands par exemple) quipaieraient pour les budgets publics défi-citaires. Alors que les Allemands ont choisi de faire décroître rapidement leur dette publique et que leur population se réduit, on devine qu’il pourrait être diffi-cile de les convaincre de payer pour lesautres. Il faut soit montrer que les effortssont justement partagés au nom d’unesolidarité européenne, soit que la survie de la zone euro est en jeu et qu’il y va de leur intérêt particulier de participer àl’effort commun.

Où placer le curseur entre les trois op-tions ? Certes, l’efficacité économique dechacune d’entre elles est différente. Maisla question n’est pas là. L’impôt, expliciteou implicite, renvoie à une vision de la justice sociale : la contribution de cha-cun et chacune aux besoins publics. La solution choisie est moins importanteque le débat qui permettra d’accepter, oupas, cet impôt futur. Car quelle que soitl’option retenue, les intérêts sur les det-tes publiques européennes seront en très grande partie payés par les citoyenseuropéens. p

Acceptons la sagessedes traités

Tous les pays développés ont adopté l’objectif d’un déficit structurel zéro. Pour de bonnes raisons

par jean-marc daniel

L es dirigeants politiques justi-fient souvent les dérives descomptes publics en distin-

guant une « bonne dette », qui fi-nance les investissements et prépare l’avenir et la croissance, d’« une mau-vaise dette », qui finance le fonction-nement et sacrifierait plus ou moinsl’avenir au présent. Or le salaire d’unchercheur, dont le travail débouche sur du progrès technique et donc de la croissance potentielle, correspondà du fonctionnement, alors que laconstruction d’un pont ne menantnulle part est un investissement…

Pour l’économiste américain Ri-chard Musgrave (1910-2007), le rôle de l’Etat est de répondre aux attentesde la population en termes de réparti-tion des revenus, de gestion des ex-ternalités et de régulation de la crois-sance par le lissage du cycle économi-que. Le raisonnement sur les financespubliques doit s’inscrire pleinement dans cette logique cyclique. Cela con-duit à concentrer l’approche budgé-taire sur le déficit, les dépenses et lesrecettes plus que sur la dette en tantque telle.

« STABILISATEURS AUTOMATIQUES »

Un déficit doit s’analyser comme la somme d’un déficit conjoncturel, cor-respondant à l’évolution du cycle – que l’on peut qualifier de « bon » dé-ficit –, et d’un déficit structurel, cor-respondant à la détérioration de longterme de la situation des finances pu-bliques. L’objectif de la politique bud-gétaire est de faire en sorte que le dé-ficit structurel soit nul.

Pour y parvenir, le mieux est

d’adopter la procédure dite des « sta-bilisateurs automatiques » : il fautfaire voter aux Parlements des dé-penses évoluant selon le taux decroissance potentielle de l’économie.Simultanément, il faut adopter une fiscalité assise sur les évolutions derevenu de façon que son rendementsoit proportionnel au PIB réel. Enfin,il faut maintenir une structure desdépenses et des recettes publiquestelle que l’équilibre budgétaire struc-turel soit assuré, c’est-à-dire quel’équilibre budgétaire soit effectiflorsque le PIB réel atteint le niveau duPIB potentiel.

Ce cadre est devenu la référence ul-time de l’Europe au travers des traités(Maastricht, Amsterdam, et surtout letraité sur la stabilité, la coordinationet la gouvernance - TSCG). Mais elle n’est pas la seule à raisonner ainsi. LeFonds monétaire international, l’Or-ganisation de coopération et de déve-loppement économiques et la plu-part des pays développés admettent désormais que l’enjeu des politiques budgétaires est de respecter la disci-pline du déficit structurel nul.

Une des conséquences de cette rè-gle est de se demander si la structuredes dépenses publiques est conformeaux missions essentielles de l’Etat. End’autres termes de s’interroger sur lepérimètre du secteur public, afin d’or-ganiser l’allégement de ses tâches.

L’accumulation de dette et le main-tien d’un déficit structurel importantréduisent la capacité des Etats à ré-pondre au prochain retournement conjoncturel. Il faut donc très rapide-ment s’orienter vers des politiquesbudgétaires en stabilisateurs auto-matiques pour éviter l’accroissementde la dette, et les compléter par des vagues de privatisations permettantd’amorcer sa baisse. p

¶Jean-Marc Daniel

est économiste à l’Institut de l’entreprise

et professeur à l’ESCP-Europe

Faire défaut, monétiser la dette ou la mutualiser au seinde la zone euro… Dans tous les cas, les contribuables seront taxés. Mais pas les mêmes

S’affranchir du piège de la detteAllonger jusqu’à 15 ou 30 ans la durée des emprunts permettrait d’éliminer les effets anxiogènes de la dette actuelle, sans cesse renouvelée

par jean-hervé lorenzi

et pierre-xavier prietto

L a dette a, aujourd’hui, un rôleidéologique fascinant. Utiliséeen 2009 comme bouée de sauve-

tage par tous les gouvernements pouréviter une réédition de la crise de 1929,elle est devenue, brutalement, le cœur du problème. Elle est surtout devenuepolitique, avec l’éternel rapport de forceentre créancier et débiteur, comme l’il-lustre la crise grecque. Comment éviter alors, que la dette, vue d’abord commeun élément favorable, ne devienne en-core plus anxiogène et dramatique pourles économies de la zone euro ?

Car tout le monde en convient encoreplus aujourd’hui – où la volatilité destaux soulignée par Mario Draghi crée une incertitude très dangereuse –, la

dette publique est un piège. Elle est vé-cue comme une contrainte absolue àtoute politique économique active, carelle ramène tout à un objectif premier, légitime par ailleurs : réduire les déficitspublics. Elle est un facteur anxiogène, simplement parce qu’il faut réémettreune nouvelle dette chaque année afin derembourser les dettes échues. Or, la ré-duction du ratio « dette publique surPIB » au niveau du début des années2000 prendra des décennies.

Bien des économistes ont proposé dessolutions, tentant toutes de résoudre leproblème au niveau de la zone euro avecpour idée centrale la mutualisation desdettes, par le biais des euro-obligations,ou au moins celle de leur partie « ac-ceptable ».

Une autre résolution, proposée parl’économiste Hélène Rey, consiste no-tamment à revoir la gouvernance de la zone euro et à financer la dette par des recettes à venir. Mais ces initiatives s’inscrivent toutes dans un contexte derisque de taux d’intérêt élevés, surtout dans les pays déjà largement endettés.

Notre proposition est de nature diffé-rente, puisqu’elle s’applique à chacundes pays de la zone euro, dont la France.La voie que nous préconisons, et quiprend tout son sens dans cette périodeexceptionnelle de taux d’intérêt très fai-

bles, est de jouer sur la durée des dettes.Il s’agit en fait d’une voie ancienne, em-

pruntée dès le XVIIIe siècle par le Royau-me-Uni. La dette britannique fut en faitgérée largement à l’aide d’une dette per-pétuelle, y compris, en partie, jusqu’au début du XXe siècle. En 1882, 88 % de la dette était pour une part majeure à long terme et financée à 3 %. Les bons du Tré-sor à 3 et 6 mois ne représentaient que 0,7 % de ce total.

Rappelons que cette dette a représentéprès de 250 % du PIB britannique pen-dant un siècle… Cette tradition de ges-tion se maintient encore aujourd’hui enpartie, puisque la durée moyenne de ladette britannique est le double de lafrançaise.

EFFETS NÉGATIF ET POSITIF

Aujourd’hui, un Etat européen doit allon-ger la durée de cette dette, notammenten émettant à beaucoup plus long terme.Il se trouverait alors confronté à un effetnégatif et à un effet positif. L’effet négatifest une augmentation du coût de la dette,due à des taux d’intérêt plus élevés, puis-que à plus long terme. Mais l’effet positif est que le montant des émissions à réali-ser par la suite sera beaucoup plus faible. Ainsi, on restreint de manière très sensi-ble l’angoisse liée aux émissions répétiti-ves d’emprunts importants, à l’incerti-

tude sur les taux d’intérêt auxquelles el-les auront lieu, et au risque de subir une brutale hausse du coût de la dette en casde hausse des taux d’intérêt. Il s’agit de modifier totalement l’approche actuelle de la gestion de la dette, sans pour autantremettre en cause la réduction des défi-cits publics.

Concrètement, que donnerait cettestratégie pour la France ?

La durée moyenne de la dette françaiseest de 7,8 années, et le taux d’intérêt moyen du stock de dette publique est de2,18 %. Prenons pour hypothèse de crois-sance et de réduction des déficits celleretenue aujourd’hui par le gouverne-ment, soit un taux de croissance de 1,5 %à partir de 2018, une inflation de 1 % etun accroissement de la dette de zéro. Sil’on décidait que toutes les nouvellesémissions des trois prochaines années (180 milliards d’euros en 2015, 167en 2016 et 152 en 2017) auront une duréesoit de quinze ans, soit de trente ans, etque pendant les sept premières années nous y ajoutons 50 milliards du stock dela dette, on aboutirait aux résultats sui-vants.

Certes, le fait d’émettre pour une du-rée de vie plus longue entraînera un sur-coût. Pour une dette à 15 ans, le surcoûtserait d’un peu plus de 700 millionsen 2015, 1 milliard pour 2016 et 900 mil-

¶Jean-Hervé Lorenzi

et Pierre-Xavier Prietto sont

membres du Cercle des économistes

¶Xavier Ragot

est président de l’Observatoire français

des conjonctures économiques

et chercheur au CNRS

Les économistes de dix institutions de réflexion de sensibilités variées analysent les solutions aux surendettements des Etats

Au-delà de la Grèce, la dette est européenne

lions pour 2017, et environ du double si l’on retient l’hypothèse à 30 ans. De telschiffres pourraient conduire le ministredes finances à rejeter cette solution. Etpourtant, il aurait tort. Car cette straté-gie a des résultats autrement plus signi-ficatifs : elle élimine le caractère anxio-gène de la dette et diminue de manièretrès significative les appels au marché :les nouvelles émissions seraient toutesinférieures à 100 milliards dans les huitannées suivantes puis, par la suite, infé-rieures à 50 milliards. On le voit, le légersurcoût de départ est bien moins crucialque le fait de ne plus vivre face à un murde dette à refinancer. Surtout, cela per-met d’immuniser la dette française con-tre une remontée des taux.

Pourquoi alors ne pas profiter de l’in-croyable faiblesse actuelle des taux àlong terme pour éloigner, tout en main-tenant l’objectif d’équilibre des comptespublics, cette épée de Damoclès qui pèsesur les générations futures ? p

Voir les autres contributions sur Lemonde.fr

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0123VENDREDI 19 JUIN 2015 économie & entreprise | 3

La zone euro à l’épreuve des intérêts nationauxUn Eurogroupe, c’est dix-neuf ministres des finances qui portent aussi leurs contraintes politiques locales

La zone euro n’a pas uneposition unique sur laGrèce. Un Eurogroupecomme celui organisé

jeudi 18 juin à Luxembourg, c’est 19 ministres des finances qui s’ex-priment aussi en fonction de leur contexte politique local. Et le pa-tient grec est loin d’être vu par-tout avec le même regard.

Il suffit d’observer la surpre-nante visite du chancelier autri-chien à Athènes, mercredi, pour leconstater. Premier chef de gou-vernement européen à se rendre en Grèce depuis l’élection d’Alexis Tsipras en janvier, Werner Fay-mann, un social-démocrate du SPÖ, a délivré un message de com-passion qui tranche avec le ton, plus dur, des chancelleries euro-péennes. Il faut « trouver des solu-tions qui n’accroissent pas davan-tage la pauvreté et le chômage », a-t-il expliqué.

Il faut dire que M. Faymann avaitaussi en tête des préoccupations internes. Il cherche actuellement à rassurer son aile gauche, de plusen plus déstabilisée depuis la ré-cente décision du SPÖ de la régiondu Burgenland, sur la frontière avec la Hongrie, de s’allier au FPÖ,la principale force d’extrêmedroite. Ses partenaires de gouver-nement conservateurs de l’ÖVP, etnotamment le ministre des finan-ces Hans Jörg Schelling, qui sera au Luxembourg, sont beaucoup plus critiques envers M. Tsipras.Un eurodéputé conservateur a d’ailleurs appelé le chancelier « à ne pas prendre à revers les contri-buables autrichiens ».

Cet exemple montre bienqu’autour de la table, ce sont moins un débiteur et ses créan-ciers qui se font face que 19 minis-tres des finances tous issus des ur-nes. C’est sans doute cette don-née-là – ces autres points de vue, tout aussi légitimes et pleins d’ar-rière-pensées politiques – qu’Alexis Tsipras et Yanis Varoufa-kis, son ministre des finances, ont mal anticipée quand ils ont com-mencé la négociation, brandissanten étendard le « mandat démocra-tique » que leur avait confié le peu-ple grec. Tour d’horizon des créan-ciers et de leur positionnement.

Une Allemagne pas si solide Parun étrange retournement de si-tuation, Angela Merkel, diaboli-sée en Grèce durant la campagneélectorale, apparaît aujourd’hui comme l’un des principaux sou-tiens à Alexis Tsipras dans la me-

sure où elle veut à tout prix éviter un « Grexit ». La position de lachancelière n’est pas simple. D’abord parce que le vote au Bun-destag de toute nouvelle mesure en faveur de la Grèce est loin d’être une formalité. En février, 32 députés de la CDU/CSU ont voté contre la prolongation dudeuxième plan d’aide à Athènesou se sont abstenus.

Mais aussi parce que les Alle-mands sont très majoritairement exaspérés par le sujet grec. Depuisjanvier, la Grèce fait quasi quoti-diennement la « une » des jour-naux, des plus sérieux au tabloïd « Boulevardpresse ». Et, selon unsondage publié le 12 juin par lachaîne publique ZDF, 70 % des Al-lemands sont « contre de nouvel-les concessions de l’Union euro-péenne à la Grèce ». Seuls 24 % y sont favorables.

Le passif des pays passés par desplans d’aide Après avoir eu re-cours à des plans d’aide exté-rieure pour surmonter la crise de 2009, des pays comme l’Espagne, le Portugal, l’Irlande ou Chypreont dû accepter des sacrifices. Maintenant qu’ils vont mieux, ils n’imaginent pas qu’Athènes béné-ficie du traitement de faveur qui leur a été refusé.

La montée du parti anti-austé-rité Podemos en Espagne, qui a soutenu la candidature d’AlexisTsipras, semble inciter le gouver-nement espagnol à se montrerparticulièrement ferme. En Ir-lande, le ministre des finances, Michael Noonan, a déclaré mardisoir que « la Grèce aurait sombré depuis longtemps sans la solida-rité des contribuables européens ».

Le Portugal, passé par une sé-vère cure d’austérité, est toutaussi dur que Madrid avec la Grèce. « Nous savons pourquoi ils [les institutions européennes] mènent la vie si dure aux Grecsdans les négociations avec les ins-titutions européennes. Pas seule-

ment parce qu’ils ne veulent pasd’alternative réelle à l’austérité,mais parce qu’ils veulent transfor-mer les Grecs et la Grèce en vaccin contre le changement en Espagne, en Irlande, en Europe… », a accuséMarisa Matias, eurodéputée duBloc de gauche portugais, en mars, lors d’un meeting de Pode-mos en Andalousie.

Des pays à majorité sociale-dé-mocrate plus conciliants en ap-parence Après l’élection d’Alexis Tsipras fin janvier, la France etl’Italie semblaient être les pays lesplus susceptibles de se montrer conciliants avec le nouveau gou-vernement grec. La sensibilité po-litique de leur gouvernement et leur prudence en matière de ré-duction des dépenses publiques promettait, sur le papier, une plusgrande proximité.

Le ton a vite changé. Le gouver-nement Tsipras s’est aliéné l’Italie quand Yanis Varoufakis, ministre des finances, a déclaré que la dette de l’Italie n’était pas viable… Pas très opportun, alors que la Pénin-

sule a retrouvé un peu de crois-sance (+ 0,3 %) après trois ans de ré-cession, que le chômage a dimi-nué, qu’elle a réformé son marché du travail, et qu’elle n’entend pas ruiner sa réputation retrouvée en volant au secours d’Athènes, même si sa dette (135 % du PIB) la fragilise encore sur les marchés. Résultat : le président du conseil, Matteo Renzi, est resté discret sur la crise grecque.

Paris s’est plus impliqué. Le mi-nistre des finances, Michel Sapin,

et le commissaire français Pierre Moscovici ont notamment voulu jouer les intermédiaires, les « traits d’union », entre Athènes et ses créanciers les plus durs.Avec comme objectif de satisfaire une aile gauche déjà très re-muante et très critique de la rigu-eur allemande, alors que la Franceest elle-même dans une situation budgétaire difficile. D’autant que les sondages montrent que lesFrançais sont plutôt compréhen-sifs face aux demandes grecques.Mais, même à Paris, le discours s’est durci ces dernières semaines.

L’intransigeance des petits paysEn Slovaquie, 90 % des retraitésperçoivent entre 350 euros et 500 euros et le salaire minimum est de 385 euros. Ces chiffres, infé-rieurs à ceux de la Grèce, expli-quent à eux seuls pourquoi lepays est l’un des plus intransi-geants face à Athènes. Même si l’actuel premier ministre social-démocrate, Robert Fico, a accepté en juin 2012 de ratifier le Méca-nisme européen de stabilisation

(qui avait fait chuter le gouverne-ment libéral sortant) et d’y contri-buer à hauteur de 660 millions d’euros, il ne souhaite en aucun cas remettre au pot ni effacer sacréance. « Je ne me vois pas de-mander à mes concitoyens de payer les erreurs d’autres Euro-péens quand on connaît le niveau des salaires et des retraites des Slo-vaques », expliquait M. Fico au Fi-nancial Times en février.

Davantage préoccupés par lacrise en Ukraine que par les com-bats de Syriza, les représentants des pays baltes sont tout aussi peutolérants. Et en Finlande, qui af-fronte une sévère crise économi-que, le nouveau gouvernement, sorti des urnes en avril, comprenden son sein des membres du partieurophobe des Vrais Finlandais qui ont toujours été très critiques envers la Grèce. Helsinki s’apprêteen outre à réduire fortement lesdépenses publiques. Autant dire qu’il sera difficile de faire accepterdans le même temps aux Finlan-dais d’aider encore la Grèce. p

service international

« On n’a pas peur, on ne fait pas marche arrière, on vaincra ! »Ils étaient environ 7 000 manifestants, mercredi à Athènes, venus soutenir leur gouvernement dans ses négociations avec les créanciers

athènes - envoyée spéciale

I l régnait une atmosphèrebon enfant, mercredi 17 juindans la soirée, devant le Par-

lement grec à Athènes, parmi lesquelque 7 000 personnes venuesmanifester leur soutien au pre-mier ministre, Alexis Tsipras,dans son bras de fer avec sescréanciers. Bella ciao à la sono,des grappes de gens dissertant iciet là, parfois un verre à la main.

Une ambiance qui contrastaitétrangement avec la gravité desregards, la profondeur des paro-les, le tranchant des slogans. « Onn’a pas peur, on ne fait pas mar-che arrière, on vaincra ! », pou-vait-on lire ici. « Aucun sacrifice àla dette et à l’euro », lisait-on là.Ailleurs : « Un souffle de dignité.Nous voulons retrouver nosvies. »

Jusqu’en 2010, la vie de SofiaVassila, 52 ans, était celle d’un couple de fonctionnaires avectrois enfants et 3 000 euros de re-

venu mensuel pour s’en occuper.« On était de la classe moyenne.Les réformes nous ont laminés »,lâche-t-elle, la mine défaite. Lessalaires ont subi des coupes dras-tiques.

« Avec 1 200 euros à deuxaujourd’hui, les nouveaux impôtsà payer, j’ai du mal à donner à mesenfants juste l’essentiel. Car les mensualités à rembourser pournotre prêt immobilier, elles, n’ontpas baissé ! » Il a fallu réduire lesdépenses. Plus de téléphone por-table, plus de vacances, plus deprojet. Comment, alors, accepterde payer une TVA de 10 % plus chère sur l’électricité comme ledemandent les créanciers ? « Ilfaut que notre gouvernementréussisse, sinon que deviendrons-nous ? »

Vangelis Maraki a 38 ans, maisen paraît dix de plus. Ce sontpeut-être ses quatre ans de chô-mage qui pèsent sur son visage.Ou la rudesse du quotidien alorsque lui, sa femme, ses deux filles

et son frère vivent à cinq sur unseul salaire. Celui de Nancy quitravaille dans une crèche,aujourd’hui pour « 730 euros parmois, contre 1 250 il y a cinq ans,vous vous rendez compte ? » De son sac, elle tire soudain unecarte de visite : « Le soir, je faisaussi manucure et pédicure à do-micile pour gagner un peu desous. »

Comme elle, personne ici ne ré-vèle plus son salaire qu’en évo-quant celui « d’avant 2010 », datedu premier « plan de sauvetage »de la Grèce et du plan d’austéritéimposé en échange par ceux qu’on appelait alors la “Troïka”(FMI, Banque centrale euro-péenne, Commission euro-péenne) et appliqué par le pre-mier ministre socialiste GeorgesPapandréou (Pasok). « Les traî-tres », assène Vangelis à la fois contre ce dernier et contre l’ex-premier ministre conservateurAntonis Samaras, au pouvoir jus-qu’en décembre 2014.

Aux législatives de janvier, Van-gelis n’a pourtant pas voté Sy-riza : « Je suis plutôt à droite, pluspatriote. » Il affiche sur sa poi-trine un badge de Panos Kammé-nos, ministre de la défense et lea-der des Grecs indépendants, unparti de droite populiste qui a faitalliance avec Syriza après les élec-tions. « Mais je soutiens Tsipras :ses prédécesseurs étaient à quatre

pattes devant la “Troïka”. Lui estdebout. »

Cette fierté de voir enfin un chefdu gouvernement tenter de tenirtête aux créanciers de leur pays est dans toutes les bouches. Jus-que dans celle de Sofia M., retrai-tée de 68 ans, venue manifesterpour la première fois son soutien à Syriza avec sa petite-fille. « Je suis là parce que le gouvernementse bat pour nous. Il faut qu’il sachequ’on est avec lui. Son combat est juste », explique-t-elle en louantla détermination d’Alexis Tsiprasà ne pas tailler de nouveau dansles retraites et à sauver l’EKAS,cette prime dans la ligne de mire des créanciers, sans laquelle son frère handicapé ne vivra plus qu’avec 300 euros par mois.

« Tsipras nous donne de l’espoir »

Mais ce mercredi soir, place Syn-tagma, beaucoup des manifes-tants semblent confiants dansl’issue de la crise. A l’image de Pa-nos, 31 ans, cheveux savamment

arrangés, qui se fait porte-parole de son groupe d’amis en se di-sant « sûr que les négociateursvont parvenir à un accord. C’estdans l’intérêt de tous ». Ce comp-table ne redoute pas même lesconséquences d’un défaut depaiement. « On n’a plus rien à per-dre. L’appauvrissement est tel queplus, ce ne serait pas supportable.C’est une bataille que l’on doit me-ner et j’espère que les Européens fi-niront par nous entendre. »

« Syriza, Syriza », chantonnedoucement Georgios Triandafi-lou, 47 ans, fonctionnaire au mi-nistère de l’environnement. « Tsi-pras nous donne de l’espoir. Voilà ce que j’ai déjà gagné : pouvoir es-pérer. Je sais qu’il est pris à lagorge, qu’il ne pourra pas faire tout ce qu’il a promis. Mais qu’ilfera au mieux pour le peuple, paspour son intérêt personnelcomme les anciens partis. Depuisqu’ils ne sont plus au pouvoir, jerespire mieux. Je me sens libre. » p

aline leclerc

« Je soutiens

Tsipras : ses

prédécesseurs

étaient

à quatre pattes

devant

la “Troïka”.

Lui est debout »

VANGELIS MARAKI

chômeur manifestant

A Athènes, le 17 juin, un manifestant brandit des pancartes contre les créanciers de la Grèce. DIMITRIS MICHALAKIS POUR « LE MONDE »

Les pays passés

par des plans

d’aide extérieurs

n’imaginent pas

qu’Athènes

bénéficie

d’un traitement

de faveur

Le gouvernement

finlandais sorti

des urnes en avril

comprend

des membres

d’un parti

europhobe

très critique

envers la Grèce

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4 | économie & entreprise VENDREDI 19 JUIN 2015

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« L’expansion du crédit a endommagé la croissance »Pour Boris Cournède, de l’OCDE, en un demi-siècle, les ménages ont trop reçu, les entreprises pas assez

ENTRETIEN

Au cœur de la dernièrecrise, le secrétaire gé-néral de l’Organisationde coopération et de

développement économiques (OCDE), Angel Gurria, a engagé l’institution à réfléchir à de nou-velles approches face aux défiséconomiques. Le rapport « Fi-nance et croissance inclusive », qui s’inspire de cette démarche,analyse le rôle-clé de la finance dans l’économie au cours des cin-quante dernières années. Il mon-tre que l’expansion du crédit est allée trop loin et a endommagé la croissance de long terme.

La chef économiste de l’OCDE,Catherine Mann, a présenté, mer-credi 17 juin à Londres, les conclu-sions de ce travail, évoquées ici par Boris Cournède, l’un desauteurs de l’étude.

Quels sont les enseignements du rapport « Finance et crois-sance inclusive » présenté par l’OCDE ?

Nous le savons : la finance est unélément central des économies modernes. Il n’est pas de crois-sance sans un secteur financierqui fonctionne bien. A contrario, l’excès de crédit n’est pas bon. Or, au cours du dernier demi-siècle, les prêts aux ménages et aux en-treprises des banques et autres in-termédiaires financiers ont aug-menté trois fois plus vite que l’ac-tivité économique.

Dans la plupart des 34 paysmembres de l’OCDE, qui sont tousdes économies avancées, l’expan-sion du crédit est allée trop loin. Ily a eu un trop grand recours au crédit bancaire et un recours in-suffisant au financement par ac-tions ou aux financements de marchés (obligations…).

Les ménages ont trop reçu, gé-néralement sous forme de crédits

hypothécaires, et les entreprisespas assez. Cela a endommagé la croissance de long terme.

Notre rapport montre que, lors-que le crédit bancaire augmente de 10 points de PIB, la croissance ralentit de 0,3 point. A l’inverse, lorsque le financement, à traversles actions, augmente de 10 pointsde PIB, le taux de croissance po-tentielle s’accroît de presque 0,2 point.

Peut-on soutenir que le crédit s’est trop développé quand tant de PME souffrent de ne pas y avoir accès ? Ne craignez-vous pas qu’on vous accuse de prendre fait et cause pour le fi-nancement de marché et la fi-nance dérégulée ?

Le fait que les PME et/ou des en-treprises d’avenir puissent encoreavoir du mal à obtenir des prêts deleurs banques ne veut pas dire

que nous ayons tort. L’existence de poches d’accès difficile au cré-dit relève du court terme. Notre rapport s’intéresse au long terme.

Par ailleurs, nous ne faisons pasl’apologie de la finance dérégulée,nous plaidons pour une forme d’équilibre entre les différentessources de financement de l’éco-nomie. Nous savons pertinem-ment que le financement par ac-tions peut avoir un effet négatif

sur l’activité lorsqu’il dépasse les100 % du PIB. Mais la plupart despays de l’OCDE n’y sont pas.

En quoi l’excès de crédit est-il néfaste à l’activité ?

L’expansion rapide du crédit aucours des cinquante dernières an-nées a conduit à financer des pro-jets dont la rentabilité n’était pas avérée et qui étaient moins por-teurs pour l’avenir.

Dans les pays qui ont développéun arsenal de politiques publiquesencourageant les investissements dans l’immobilier, par exemple, les financements en direction des nouvelles entreprises et des pro-jets porteurs de croissance sont fréquemment insuffisants.

Que recommandez-vous ?Les pays à forte tradition ban-

caire doivent s’appuyer plus sur lefinancement par actions et créer un terrain plus équilibré. Leursentreprises pourront alors choisirlibrement entre dette et actions.

La responsabilité de la puis-sance publique est d’assurer une plus grande neutralité fiscale en-tre ces deux modes de finance-ment, alors qu’aujourd’hui une entreprise se finançant par endet-tement peut réduire son impôtsur les sociétés.

Un financement plus équilibrépasse aussi, par un soutien moinsaffirmé aux groupes financiersd’importance systémique, les fa-meux « too big to fail », qui de-vraient disposer de plus de fondspropres et transmettre aux régu-lateurs des plans de résolution or-donnés organisant leur liquida-tion en cas d’extrême difficulté. Il ne faut pas qu’une faillite à la Leh-man Brothers puisse se répéter. p

propos recueillis par

claire guélaud

Etats-Unis : la Fed veut s’assurer de la solidité de la reprise avant de remonter ses tauxLa Réserve fédérale a revu à la baisse sa prévision de croissance de l’économie américaine

new york - correspondant

S ans surprise, la Réserve fé-dérale (Fed) a laissé ses tauxdirecteurs inchangés, mer-

credi 17 juin, à l’issue d’une réu-nion de deux jours de son comité de politique monétaire, laissantentier le suspense d’un resserre-ment monétaire d’ici à la fin decette année.

« Aucune décision n’a été prisepar le comité [de politique moné-taire] sur le bon moment pour un relèvement [des taux] », a affirmé Janet Yellen, la présidente de la Fed, lors d’une conférence depresse à Washington, ajoutant que « cela dépendra[it] de l’évolu-tion des données ».

Or pour le moment les signauxrestent encore mitigés. Si la Fedestime que l’économie améri-caine est en train d’accélérer par rapport au trou d’air du premier trimestre, elle affirme avoir be-soin de davantage de preuves tan-gibles de l’amélioration du mar-ché de travail et de l’accélération de l’inflation avant de passer à l’action. « Les conditions [pour un relèvement des taux] ne sont pasencore réunies », a-t-elle martelé.

La banque centrale américaine ad’ailleurs sensiblement revu à la baisse ses prévisions de crois-sance pour 2015. Alors que, en mars, elle prévoyait encore un produit intérieur brut (PIB) desEtats-Unis en hausse de 2,3 % à 2,7 %, elle estime désormais qu’il

ne devrait progresser que de 1,8 % à 2 %. Cela sous-entend qu’après ladéception du premier trimestre,durant lequel l’économie améri-caine a reculé de 0,7 %, celle-ci de-vrait nettement accélérer dans la deuxième partie de l’année, sans doute sur un rythme qui sera voi-sin de 3 %.

La Fed s’est montrée égalementun peu plus pessimiste qu’il y atrois mois concernant l’évolution du marché du travail. Les offres d’emploi ont beau être au plushaut depuis 2000, tandis que la moyenne mensuelle des créa-tions d’emploi est de 217 000 de-puis le début de l’année, la banquecentrale estime que le taux de chômage devrait se situer en-tre 5,2 % et 5,3 % de la population active à la fin de l’année, contre une fourchette de 5 % à 5,2 % danssa précédente prévision.

Faiblesse des investissements

Malgré des signes encourageants, le marché du travail fait encore preuve de fragilité dans certainsdomaines : les salaires ne progres-sent pas aussi rapidement qu’on pourrait l’espérer dans une situa-tion de quasi-plein emploi, tandis que le nombre de chômeurs delongue durée et celui des tra-vailleurs à temps partiel restentencore élevés.

Si la banque centrale fait étatd’une croissance « modérée » des dépenses des ménages et d’uneamélioration du secteur immobi-

lier, elle a pointé la faiblesse desinvestissements des entreprises et s’est également inquiétée des effets de la hausse rapide du dol-lar sur l’économie américaine.

Le renchérissement du billetvert pèse sur les exportations ; ce qui a tendance à ralentir la crois-sance, tandis que la baisse desprix des importations tend à maintenir l’inflation à des ni-veaux éloignés de l’objectif de 2 % que s’est fixé la Fed.

La situation internationalepourrait également influer sur les décisions de l’institution. Ainsi, l’incertitude sur un accord entrela Grèce et ses créanciers fait peserdes risques de « perturbations » sur l’économie mondiale. Même si Mme Yellen a souligné que lesEtats-Unis étaient exposés de fa-çon limitée au problème grec,« dans la mesure où il y a un impactsur l’économie de la zone euro ou sur les marchés financiers mon-diaux », un défaut du pays aurait « sans aucun doute des retombées

sur les Etats-Unis et sur nos pers-pectives », a-t-elle souligné.

Pour l’instant, si les perspectivesde croissance continuent de s’améliorer aux Etats-Unis, Mme Yellen a déclaré qu’« unehausse des taux cette année » se-rait « possible ». La plupart desanalystes tablent sur le mois de septembre, alors que les taux sontproches de zéro depuis décem-bre 2008. Mais au-delà du calen-drier, se pose également la ques-tion du rythme. La présidente de la Fed a tenté de dissuader les in-vestisseurs d’« exagérer » la pre-mière hausse des taux qui sera dé-cidée prochainement. Elle a souli-gné, que même après celle-ci, la politique de la Fed serait encore largement accommodante.

D’ailleurs, de plus en plus demembres du comité de politiquemonétaire sont favorables à une seule hausse d’ici à la fin de l’an-née, même si une majorité milite pour deux. Toutefois, lors de sa conférence de presse, Mme Yellen aprévenu qu’il « ne fallait pas s’at-tendre à des hausses mécaniques de 0,25 point », rappelant que cel-les-ci seraient guidées par l’évolu-tion de la conjoncture.

Wall Street, où les indices ontclôturé en légère hausse, a plutôt bien accueilli le message de Mme Yellen, qui doit à fois convain-cre les marchés financiers de l’im-minence d’une hausse des taux etles rassurer sur son impact. p

stéphane lauer

Malgré

des signes

encourageants,

le marché

du travail fait

encore preuve

de fragilité

« Il faut

une forme

d’équilibre entre

les différentes

sources

de financement

de l’économie »

BORIS COURNÈDE

économiste à l’OCDE

L'HISTOIRE DU JOUR

Et le géant Wallmart céda aux sirènes des paradis fiscaux

Bruxelles, bureau européen

I l était une fois une « belle » américaine qui, pour ne pas payerd’impôt – ou le moins possible – aux Etats-Unis et dans laplupart des pays où elle travaillait, avait échafaudé, dans le

plus grand secret, un complexe montage financier. Dans son en-treprise de camouflage, la « belle » avait cédé – sans trop de diffi-culté, tant elle était demandeuse – aux appels d’un certain nom-bre de sirènes, installées dans les paradis fiscaux. Elle avait sur-tout été sensible aux attraits de l’une d’elles, installée au cœur del’Europe, sur les hauteurs du Grand-Duché du Luxembourg.

45 milliards de dollars

Cette histoire – un brin romancée – est celle de Walmart. Legéant de la distribution, plus gros employeur au monde, a im-planté 22 sociétés depuis 2009 au Luxembourg, même si ellen’y vend aucun produit. Au total 45 milliards de dollars (40 mil-liards d’euros) d’actifs sont logés dans le Grand-Duché, où le conglomérat n’aurait payé que 1 % d’impôts sur des bénéfices estimés à 1,3 milliard de dollars, entre 2010 et 2013.

Ces révélations ont été faites, mercredi 17 juin, par l’associationAmericans for Tax Fairness. Elles ont été relayées par le groupe des Verts au Parlement européen et ont conduit à un appel au lancement d’une enquête de la Commission européenne sur le traitement fiscal préférentiel accordé par Luxembourg, assimila-ble, selon Americans for Tax Fairness, à des aides d’Etat illégales.

L’enquête approfondie de l’association montre que Walmart aétabli 78 filiales aux allures de coquilles vides dans des Etats ré-putés être des havres fiscaux. D’autres Etats membres del’Union européenne sont cités : les Pays-Bas abritent cinq socié-tés, tandis que l’Irlande, Chypre et l’Espagne en accueillent cha-cune une. Quatre autres sont localisées en Suisse.

L’enquête souligne aussi qu’au moins 25 des 27 compagniesde Walmart implantées en dehors des Etats-Unis (Chine, Ja-pon, Royaume-Uni, Brésil) sont chapeautées et détenues par des filiales établies dans des paradis fiscaux. Soit, au total, prèsde 77 milliards de dollars d’actifs sur les 85 de sa division inter-nationale, logés en très grande partie au Luxembourg et, dansune moindre mesure, aux Pays-Bas.

Or, relèvent les auteurs, la plupart de ces filiales étaient in-connues jusqu’ici. Le groupe aurait contourné la législation enne déclarant pas ces filiales contribuant pour plus de 10 % auxbénéfices du groupe. p

jean-pierre stroobants

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0123SAMEDI 20 JUIN 2015 économie & entreprise | 3

Grèce : la BCE agite le risque de panique bancaireAlors que les retraits de capitaux ont atteint un milliard d’euros jeudi, le sort des banques grecques inquiète

bruxelles - bureau européen,

athènes - correspondance

L’heure est à l’urgencedans la zone euro, mena-cée par une crise grecquequi pourrait vite dégéné-

rer. L’Eurogroupe qui s’est tenu à Luxembourg jeudi 18 juin n’a dé-bouché sur aucun accord « réfor-mes contre argent frais » entre Athènes et ses créanciers. Et ladate fatidique du 30 juin à laquellela Grèce doit rembourser près de 1,6 milliard d’euros au Fonds mo-nétaire international (FMI) alors que ses caisses sont vides, appro-che à grands pas.

Jeudi soir, il a été décidé de con-voquer à Bruxelles un sommet des chefs d’Etat et de gouverne-ment de la zone euro, lundi 22 juin. D’ici là, une nouvelle réu-nion des ministres des finances de l’union monétaire sera organi-sée, a confirmé, vendredi matin, Michel Sapin, le ministre français des finances. « On espère encoreune issue positive, mais il faut être préparés au pire », a déclaréGeorge Osborne, en arrivant à laréunion Ecofin des ministres des finances de l’Union européenne, vendredi 18 juin, à Luxembourg.

Quant à la Banque centrale euro-péenne (BCE), elle devait en ur-gence se pencher sur le sort des banques grecques. Selon des sour-ces européennes convergentes, l’institut de Francfort a convoqué une réunion téléphonique d’ur-gence, vendredi 19 juin en début d’après-midi, sur l’état du système bancaire hellène.

Selon ces mêmes sources, la BCEa été sollicitée par la Banque cen-trale de Grèce (BdG) pour aug-menter encore le plafond des« ELA » (Emergency Liquidity As-sistance), le programme de finan-cement d’urgence aux banques grecques. Il s’agit là du dernier moyen de financement de l’Etat grec, qui ne peut plus lever de la dette à court terme sur les mar-chés financiers. L’agence depresse grecque ANA démentait jeudi soir cette information.

Malgré une nuit de rumeurs surune fermeture éventuelle des ban-ques en Grèce dès ce week-end ou lundi, on ne voyait pas de queue devant les guichets vendredi ma-tin. Le plafond de l’ELA (à 84,1 mil-liards d’euros) est largement suffi-sant pour couvrir les besoins du système bancaire national, af-firme le gouvernement grec.

« Certains responsables d’institu-tions européennes diffusent dans une presse complaisante des con-tre-vérités pour tenter de créer une panique bancaire dans notre pays et faire ainsi pression sur nous pourconclure l’accord qu’ils souhaitent nous imposer », affirmait jeudi soirune source gouvernementale grecque, depuis la Russie où elle accompagnait le premier ministre Alexis Tsipras, en voyage officiel.

Dialogue de sourdsCes derniers, jours, si l’on en croit les chiffres qui circulent à Bruxel-les et à Athènes, les banques grec-ques ont subi des sorties de capi-taux plus fortes que d’habitude. Lundi 15 et mardi 16 juin, elles se seraient élevées à 850 millions d’euros selon le quotidien des af-faires Ekathimerini. Elles sont montées, selon nos informations, à 800 millions mercredi et à un milliard jeudi, soit plus que les 1,1 milliard que la BCE a mis dans lesystème mercredi en augmentant une nouvelle fois le plafond de l’ELA. Les seuls chiffres officiels disponibles sur les sorties de capi-taux, ceux de la BdG, font état d’une fuite de 30 milliards d’euros entre novembre 2014 et fin avril.

Quoi qu’en dise Athènes, l’alertesur les banques est assez sérieuse pour que le vice-président du gou-vernement, Yannis Dragasakis, ait organisé jeudi une rencontre avec les représentants des banques grecques, réunion au cours de la-quelle il se serait montré optimistesur la conclusion d’un accord dansla semaine à venir.

La BCE pourrait décider d’aug-menter de nouveau le plafond des ELA, ce qu’elle fait toutes les semai-nes ou presque depuis qu’a com-

mencé, en février, le bras de fer en-tre le gouvernement de la gauche radicale d’Alexis Tsipras et ses créanciers internationaux (BCE et Commission et FMI). L’institut de Francfort peut continuer à le faire tant qu’il juge le système bancairegrec solvable. Dès lors que ce ne sera plus le cas, il devra interrom-pre ce programme, comme le lui imposent ses statuts.

Un contrôle des capitaux de-vait-il être évoqué, ce vendredi, à laréunion d’urgence de la BCE ? Les créanciers d’Athènes étudient de-puis quelques jours ce scénario, qui permettrait, en limitant les re-traits d’argent, de préserver la sol-vabilité des banques grecques. Mais cette décision relève du seul gouvernement grec. C’est à lui, sur recommandation du gouverneur de la Banque de Grèce, de proposercette mesure.

Ces inquiétudes sur le front desbanques auront-elles raison de la « résistance » de Tsipras à signer l’accord « réformes contre argent frais » proposé par les créanciers du pays depuis début juin ? Jeudi soir, au sortir de l’Eurogroupe à Luxembourg, c’était toujours le dialogue de sourds qui semblait se poursuivre.

Pour l’heure, les créanciers cam-pent sur leurs positions, estimant avoir mis sur la table une proposi-tion « équitable et juste » pour re-prendre les termes du président del’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem. Ils assurent avoir fait suffisam-ment de concessions, proposant un surplus primaire de 1 % en 2015 (la marge de manœuvre budgé-taire) quand ils visaient initiale-ment 3,5 %, et exigeaient une ré-forme des retraites et de la TVA. Athènes répète qu’il n’est pas ques-tion de couper dans les petites pensions et de taxer l’électricité à 23 %. Et demande aux créanciers de s’engager dans une renégocia-tion de l’énorme dette du pays (plus de 320 milliards d’euros).

« Il reste une issue. On est toutprès d’un accord, à condition de se remettre au travail avec les négo-ciateurs grecs dès demain, avec un Eurogroupe lundi matin, ou ce week-end, pour préparer le terrain du sommet de lundi », voulait croire une source diplomatique jeudi soir. « [Yanis] Varoufakis a fait des propositions, assez intéres-santes. »

Car le ministre des finances grecn’est pas venu les mains vides à Luxembourg, contrairement à ce

qu’il avait dit avant l’Eurogroupe de jeudi, mais avec cinq pages et une « proposition radicale » de créer un conseil budgétaire indé-pendant surveillant l’exécution budgétaire. « C’est le geste de bonne volonté à l’égard des parte-naires » de la Grèce, a dit M. Varou-fakis jeudi soir.

Pour autant, met en garde le mi-nistre des finances, un « acci-dent » sur la dette est de plus enplus probable. « Nous sommesdangereusement proches de l’étatd’esprit où l’on accepte un acci-dent », a-t-il ajouté. « J’ai demandéà mes collègues de ne pas accepter une telle façon de penser. »

Sans accord dans les jours quiviennent, la Grèce ne pourra pastoucher tout ou partie des 7,2 mil-liards d’euros qui doivent encore lui être versés dans le cadre dudeuxième plan d’aide à la Grèce, etne pourra probablement pas rem-bourser le FMI le 30 juin. ChristineLagarde, la directrice générale du Fonds, qui participait à l’Euro-groupe jeudi, a prévenu : si le 30 juin, Athènes n’a pas payé, « le FMI considérera qu’il s’agit d’un dé-faut de paiement », il n’y aura pas de délai de grâce. Les conséquen-ces ? Le blocage des prêts du FMI

au pays, mais surtout, sans doute, une accélération vertigineuse des sorties de capitaux des banques grecques, menacées d’insolvabi-lité, et un contrôle des capitaux s’iln’est pas intervenu avant.

« On s’approche de la fin de lapartie », a mis en garde jeudi Pierre Moscovici, le commissaireeuropéen à l’économie. « Notre scénario central, c’est un accord, mais oui, les institutions se prépa-rent à toutes les éventualités » a re-connu Jeroen Dijsselbloem, le pré-sident de l’Eurogroupe. p

cécile ducourtieux

et adéa guillot

Les Grecs ne savent plus s’il doivent rester confiants ou céder à la paniqueA Athènes, jeudi et vendredi matin, il n’y avait pas de files devant les banques pour retirer de l’argent

athènes - envoyée spéciale

C omment commence unepanique bancaire ? Quandles épargnants vident

leurs comptes, ou dès qu’ils se de-mandent s’ils ne devraient pas le faire ? L’absence d’accord entre Athènes et ses créanciers (Fondsmonétaire international, Banque centrale européenne, Commis-sion européenne) fait non seule-ment redouter chaque jour un peu plus un défaut de paiement de la Grèce, voire une sortie du pays de la zone euro (le fameux« Grexit »), mais aussi une fuitesoudaine des capitaux provoquéepar cette perspective, et son co-rollaire : la ruée vers les banques des petits épargnants. Jeudi 18 juin, il n’y avait toutefoisaucune queue devant les distribu-teurs d’Athènes et ceux du centre-ville donnaient bien les euros de-mandés. Mais le doute commen-çait à gagner les esprits.

« Hier, j’ai été toucher ma retraite,

mais le distributeur n’a rien voulu savoir, il ne donnait pas de billets, raconte Thassos, vieil homme af-fable venu de l’île de Tinos, de pas-sage en ville. J’ai d’abord pensé qu’ilne fonctionnait pas. Mais des amis m’ont dit que certains étaient blo-qués ou bridés par les banques pourprévenir un mouvement de pani-que ! » S’il n’est pas sûr de les croire,il reconnaît qu’ils ont réussi à le faire douter : « Je ne vais rien retirerpour le moment, mais je ne dépose-rai plus rien non plus. »

Jeanine Tallone, 75 ans, ancienprofesseur, n’a pas attendu que la rumeur se confirme : « Mon frère m’a appelée de France pour me dired’aller chercher mon argent. » Troismille euros hier, 3 000 euros de-main, « car on ne peut malheureu-sement pas tout tirer d’un coup ! » En l’écoutant, son amie Lina Chris-toforou, 50 ans, traductrice au chô-mage, s’amuse d’abord : « Mais où voudrais-tu que je mette mes quel-ques billets ? En Belgique ? Je ne fe-rai jamais ça ! », dit-elle, tran-

chante. Avant de se raviser sur-le-champ : « Bon, peut-être que de-main j’irai chercher mon argent de la Banque nationale et je le dépose-rai chez Alpha Bank, c’est plus sûr »,dit-elle, avant de s’interroger : « Est-ce que je deviens dingue ? »

Rester confiant ou céder à la pa-nique, se demander chaque jour si l’on sous-estime le danger ou si on le surestime, tel est le grand di-lemme pour nombre de Grecs. « On en a assez de cette situation, c’est complètement absurde », con-

fie Maro Michalakakos, artiste, ve-nue se détendre à un cours de danse traditionnelle. « Un jour on te dit que c’est la fin, le lendemain qu’on ressuscite… Il n’y a plus rien desûr. Rien !, insiste-t-elle. Tout le monde a besoin d’un peu de certi-tude quand même pour avancer dans la vie… »

« Un cauchemar »C’est d’avoir constaté qu’il ne s’était « jamais senti autant en danger » qui a poussé Constantin Dalianis à rejoindre, jeudi soir, la place Syntagma pour la première manifestation de sa vie, à 44 ans. Comme lui, près de 7 000 person-nes, dont beaucoup de néophytes, étaient venus dire : « Nous voulonsrester dans la zone euro » ou en-core « La Grèce doit payer ce qu’elle doit ». Et ce, au lendemain d’une manifestation de même ampleur, au même endroit, des soutiens d’Alexis Tsipras dans son bras de fer avec les créanciers.

« Depuis cinq mois, avec ce gou-

vernement, nous vivons un cauche-mar, explique ce directeur artisti-que dans une agence de publicité. Ils ont un système de pensée totale-ment archaïque. Plutôt que ceux qui travaillent dur, ils préfèrent pro-téger ceux qui veulent toucher de l’argent sans rien faire et partent à la retraite à 50 ans ! On en a marre de payer des taxes pour qu’ils se lacoulent douce », s’indigne-t-il, ré-sumant le point de vue de la majo-rité des manifestants.

« Et, maintenant, il nous emmènedroit vers une sortie de la zone europarce qu’il préfère un “Grexit” plu-tôt que de reconnaître devant le peuple que toutes ses belles pro-messes sont intenables. » Son télé-phone sonne. Il est 21 heures. Son père l’informe que l’Eurogroupe s’est terminé sans accord. Son vi-sage se ferme un peu plus. « Et, ce qui fait peur, c’est qu’on voit bien qu’il n’y a aucun plan. Revenir à la drachme ? Mais qui a vraiment ré-fléchi aux conséquences ? »

Aucun des Grecs rencontrés

Christine Lagarde et Mario Draghi, à Luxembourg, jeudi 18 juin.THIERRY MONASSE/AFP

VERBATIM

“ Le fameux “Grexit” ne peutpas être une option, ni pour

les Grecs ni pour l’Union euro-péenne. Ce serait un processus ir-réversible, ce serait le début de la fin de la zone euro. »

Alexis Tsipras, le premier minis-tre grec, dans une interview pa-rue vendredi dans le quotidien autrichien Kurier

n’arrive à se figurer sa vie après un« Grexit », et c’est bien ce qui rend cette perspective effrayante. Ceux-là évoquent une désolation d’après-guerre, des gens mour-rant de faim. D’autres voient s’exi-ler toutes les forces vives. « J’ai des traites à payer la semaine pro-chaine, des projets à rendre. Mais jene sais pas si les banques seront ouvertes, si je pourrai travailler. Onne peut plus rien planifier… », dé-plore Théodore Zoumboulakis, 50 ans, architecte. Venue manifesteravec lui, sa belle-mère respirait l’inquiétude : « Je pense à mes huit petits-enfants, à leur avenir. Il faut qu’ils soient européens. »

Son avenir, Constantin Dalianisle voit « noir foncé ». « Mes fils ont 5ans, je voudrais qu’eux connaissentun jour une Grèce qui fonctionne, dont on soit fier. » Il enveloppe du regard la masse de manifestants. Savoir qu’on n’est pas seul à s’in-quiéter a étrangement quelque chose de rassurant. p

aline leclerc

« Je pense à mes huit

petits-enfants,

à leur avenir. Il

faut qu’ils soient

européens »

UNE MANIFESTANTE

A Athènes, le 18 juin

Accord pour un gazoduc russe en Grèce

Le ministre grec de l’énergie, Panagiotis Lafazanis, et son homo-logue russe, Alexandre Novak, ont signé, vendredi 19 juin, un ac-cord pour la construction d’un gazoduc russe en Grèce, avec fi-nancement russe. Le document, au stade du protocole d’entente, prévoit la création d’une coentreprise, détenue à parts égales par les Grecs et les Russes, qui sera chargée de la cons-truction de ce gazoduc, entre 2016 et 2019.

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4 | économie & entreprise SAMEDI 20 JUIN 2015

0123

L’investissement vient enfin soutenir la reprise Selon l’Insee, les marges des entreprises vont s’améliorer, mais le reflux du chômage n’est pas pour 2015

Voilà qui devrait donnerle sourire à FrançoisHollande, à l’heure oùle président de la Répu-

blique cherche de bonnes nouvel-les à annoncer. D’autant que cel-le-ci intervient sur le terrain trèsstratégique des résultats écono-miques. L’investissement des en-treprises tricolores devrait enfin décoller au second semestre, se-lon la note de conjoncture publiéejeudi 18 juin par l’Institut nationalde la statistique et des études éco-nomiques (Insee).

« De nombreux facteurs sont fa-vorables à ce redémarrage. Lesconditions de demande interne etexterne [liée à la reprise dans la zone euro] sont plus positives. Le taux de marge des entreprises de-vrait également augmenter, grâce aux effets combinés du crédit d’im-pôt compétitivité emploi [CICE], du pacte de responsabilité et de labaisse du prix du pétrole. Enfin, les conditions de financement des so-ciétés se sont encore assouplies [enraison de la politique monétaireaccommodante de la Banque cen-trale européenne (BCE), qui faci-lite l’accès au crédit] », indiqueLaurent Clavel, chef de la division synthèse conjoncturelle au sein de l’Insee.

Tonalité optimiste

Pour l’heure, il s’agit d’un frémis-sement. L’investissement des en-treprises ne devrait en effet croî-tre que de 0,3 % au deuxième tri-mestre, car leurs capacités de pro-duction sont « encore peu intensément utilisées », note l’Insee. Mais le second semestredevrait voir une accélération plus sensible (+ 0,6 %, puis + 0,8 %).Quant aux marges des sociétés, elles devraient culminer à 31,3 %au deuxième trimestre, contre29,7 % au quatrième trimestre de 2014.

Surtout, avec l’investissement,c’est le second étage de la fusée qui décolle. Jusqu’à présent, le dé-but de reprise français tenait es-sentiellement au rebond de la consommation, dopée par la hausse du pouvoir d’achat des ménages, elle-même liée au recul du pétrole et de l’inflation.

L’investissement des entrepri-

ses restait atone : de nombreux secteurs souffraient encore desurcapacités. Quant à la fameuse« confiance » nécessaire aux pa-trons pour se projeter dans l’ave-nir, elle faisait cruellement dé-faut. Or, sans investissement, im-possible d’espérer une reprise du-rable avec, un jour, un effet massifsur le chômage…

« L’investissement des sociétésdevrait prendre le relais de la con-sommation au second semestre, car un certain nombre de freins se sont levés », résume Vladimir Pas-seron, chef du département de la conjoncture à l’Insee.

Cette embellie transparaît dansles intentions d’investissement des chefs d’entreprise de l’indus-

sement des entreprises devrait croître de 0,9 % en moyenne surl’année contre + 4 % en 2010 et 2011. Quant à l’investissement desménages – immobilier essentiel-lement –, il devrait encore reculer (– 4,7 %) contre + 1,5 % en 2010 et +1 % en 2011.

L’aléa grec

De plus, « l’accélération de l’inves-tissement pourrait être plus pous-sive si le taux des capacités d’utili-sation ne croît pas au cours des prochains trimestres », prévient Vladimir Passeron – autrement dit, si la production n’est pas assezvive pour nécessiter de pousser les feux. Les indices du climat des affaires montrent en outre un dé-

calage entre l’industrie, tirée par les entreprises exportatrices, au plus haut depuis l’été 2011, et le bâ-timent et les services, toujours à la traîne. Sans oublier l’éventua-lité d’une déstabilisation de lazone euro en cas d’issue malheu-reuse sur la Grèce, qui pourrait tout remettre en question…

Ces bémols expliquent l’opti-misme modéré de l’Insee sur le front de l’emploi. L’emploi mar-chand devrait progresser de41 000 postes en 2015, après un re-cul de 45 000 en 2014.

Mais il faudra attendre le secondsemestre pour que le taux de chô-mage se stabilise, à 10,4 % de la po-pulation active (il atteignait 10,3 %au premier trimestre). La fameuse

inversion de la courbe n’inter-viendrait en 2015 que « si le décou-ragement des chômeurs seniors perdure », estime doctement l’Insee. Une référence aux deman-deurs d’emploi les plus âgés dont beaucoup, par lassitude, renon-cent à chercher du travail, mino-rant mécaniquement les chiffres du chômage…

Enfin, un certain nombre d’esti-mations de l’Insee qui reposent sur des déclarations d’intentionex ante de la part des patrons de-mandent à être vérifiées. C’est le cas des conséquences du CICE, quidevrait être à l’origine de 80 000 créations d’emplois sur l’année, ou des effets des mesures de sura-mortissement annoncées au mois d’avril.

« Il y a dix ans, on n’aurait pasparlé de phase de reprise avec de tels chiffres. On reste sur une crois-sance faible ! Mais elle devrait être suffisante en fin d’année pour en-traîner une hausse de l’emploi et stabiliser le chômage », conclut M. Passeron.

Cet enthousiasme, réel maismodéré, était perceptible au salonPlanète PME, qui réunissait les pe-tits patrons à l’initiative de la CGPME, à Paris, les 17 et 18 juin.

« Les mesures du gouvernementfrançais vont dans le bon sens, mais les affaires restent extrême-ment calmes », indique Pierre Ku-chly, à la tête d’ERA-SIB, une entre-prise de robinetterie indus-trielle du Val-d’Oise. « Il faut conti-nuer à insuffler de la confiance », renchérit Christophe Plée, prési-dent de la CGPME de Polynésiefrançaise. Avant de glisser en sou-riant : « Vous allez voir, les socialis-tes vont finir par aimer les entre-prises… » p

audrey tonnelier

6,525

27,5

30

32,5

35,0

7,0

7,5

8,0

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9,0

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30,2

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29,7

31

France entièrePrévisions

France métropolitaine

PIB Consommation des ménages Investissement des entreprises

– 1,0

– 0,5

0,0

0,5

1,0

1,5

2,0

2,5

3,0

3,5

SOURCE : INSEE

L’investissement des entreprises prend le relais de la consommation des ménagesTROIS INDICATEURS MIS EN COMPARAISON, GLISSEMENTS ANNUELS, EN %

Le chômage devrait se stabiliser au second semestre 2015TAUX DE CHÔMAGE, EN % DE LA POPULATION ACTIVE

Une amélioration des marges des entreprisesTAUX DE MARGE TRIMESTRIELLE, EN POINTS

Prévisions

Prévisions

2002 2004 2006 2008 2010 2012 2015

2013

T1 T2 T3 T4

2013T1 T2 T3 T4

2014T1 T2 T3 T4

2015T1 T2 T3 T4

T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4

2014 2015

31,2

+ 1,9 %

+ 1,6 %

trie manufacturière. Mais aussi, fait nouveau, dans les services où,depuis avril, les opinions sont au-dessus de leur moyenne de long terme en la matière.

Au total, la croissance françaisedevrait rester « relativement sou-tenue » en 2015, assure l’Insee, qui a par ailleurs confirmé sa prévi-sion d’une hausse de 1,2 % du pro-duit intérieur brut (PIB) sur l’an-née. Fin 2015, la tendance devrait même atteindre + 1,6 % par rap-port à fin 2014.

Cette tonalité optimiste doitpourtant être relativisée sur lon-gue période. « La croissance ne re-trouvera pas son rythme de 2010 et2011, qui était d’environ 2 % par an », avertit M. Clavel. L’investis-

Les sociétés de conseil déplorent les entraves à leur compétitivitéLe syndicat Syntec Conseil Management demande au gouvernement une baisse des charges et une adaptation du crédit d’impôt CICE

L e manque de compétitivitéde la France ne vient pasque des usines vieillissan-

tes et des industriels aux produitstrop bas de gamme. Les sociétésde conseil, ces maisons qui sem-blaient à la pointe de l’efficacité avec leurs armées de jeunes con-sultants et de brillants stratèges, sont elles aussi concernées. Comme d’autres, elles seraient même menacées de voir leurs équipes et leurs centres de déci-sion délocalisés dans des paysplus compétitifs.

Tel est du moins le constat inat-tendu que les responsables de Bain, Accenture, EY, Sia Partners ou encore BearingPoint dressent eux-mêmes. A présent, ils son-nent l’alarme. Jeudi 18 juin, lors d’une assemblée générale excep-tionnelle de leur syndicat profes-sionnel, Syntec Conseil en Mana-gement, ils ont adopté un « Ma-nifeste » synthétisant leurs in-quiétudes et les demandes qu’ils adressent à l’Etat pour redresserle cap.

« C’est un peu comme le rapportsur la compétitivité de l’industrieremis par Louis Gallois au gouver-nement fin 2012, mais pour les ser-vices à forte valeur ajoutée », expli-que Hervé Baculard, patron de

Kea & Partners et président de Syntec Conseil. Son espoir est que,comme le rapport Gallois à l’ori-gine du « pacte de compétitivité » de François Hollande, ce « Mani-feste » amène les pouvoirs publicsà agir en faveur du conseil « madein France ». Pour montrer la voie, le syndicat, qui réunit environ 80 cabinets, s’est d’ailleurs re-nommé, jeudi soir, « Consult in France ».

En bons consultants, les diri-geants du syndicat ont com-mencé par réunir des données et poser un diagnostic. Le résultat decet audit est nuancé. Contraire-ment à certains pans de l’indus-trie, le secteur du conseil n’est pasen péril imminent. La croissance est revenue, les entreprises ga-gnent globalement de l’argent.

Derrière cette bonne santé gé-nérale, cependant, deux types de sociétés sont davantage à la peine.A commencer par les cabinets de conseil en stratégie. « Les clients acceptent de moins en moins de payer 2 500 ou 3 000 euros par jour pour des performances par-fois difficiles à vérifier », analyse Marc Lhermitte, de EY, l’ex-Ernst& Young.

A côté des grandes marquescomme McKinsey, Bain ou Bos-ton Consulting Group, plusieursacteurs de moindre taille ontd’ailleurs été rachetés ces derniè-res années, à l’image de Booz, re-pris par PricewaterhouseCoopers(PwC). Cela pourrait bientôt être lecas du cabinet Kurt Salmon, trèsactif dans l’Hexagone. Son pro-priétaire, un fonds britannique,en négocie la vente.

Les sociétés de services infor-matiques sont, elles aussi, soumi-ses à une forte pression. Lesclients considèrent souvent leurs prestations comme des produitsde base et négocient âprement lestarifs.

Face à cette pression sur les prix,« les cabinets français sont désa-vantagés par des charges salaria-les nettement plus élevées qu’en Al-lemagne ou qu’au Royaume-Uni »,

estiment les responsables de Syn-tec Conseil. Un écart qui, seloneux, pénalise à la fois les salariés et les cabinets eux-mêmes.

« Un consultant français ga-gnera ainsi 32,40 euros brut parheure, contre 36,40 euros pour soncollègue allemand », indique Syn-tec. Quant aux cabinets, l’impor-tance des coûts salariaux fait que « leur résultat après impôts est en moyenne de l’ordre de seulement 5 % du chiffre d’affaires en France,au lieu de 10 % en Allemagne ou auRoyaume-Uni », précise M. Bacu-lard.

Cercle vicieux

Cette marge est jugée insuffisantepour investir à la fois en recher-che, dans l’acquisition ou le déve-loppement de réseaux à l’étran-ger, et dans le recrutement des meilleurs consultants. Si bien que, à l’instar d’une partie de l’in-dustrie, certains cabinets seraientpiégés dans un cercle vicieux,obligés de sous-investir et de dé-localiser pour résister à la guerre des prix, et courant sans cesse à larecherche de leur compétitivité perdue.

Comment en sortir ? Dans son« Manifeste », la profession ré-clame avant tout une baisse des

charges. Elle propose que le crédit d’impôt pour la compétitivité etl’emploi (CICE) bénéficie à tous lessalaires inférieurs à trois fois le smic, au lieu de 2,5 fois aujourd’hui, ce qui permettraitd’alléger le coût de près de 65 % des consultants. Elle demandeaussi à ce que les clients de taillemoyenne puissent intégrer lesprestations de conseil dans l’as-siette du crédit d’impôt innova-tion et du crédit d’impôt export. Cela réduirait la facture réellepour les entreprises de taille in-termédiaire, qui font moins appelaux cabinets de conseil en France qu’ailleurs.

Enfin, contrairement à la plu-part des patrons qui militent pourque l’Etat se fasse le plus discret etle plus économe possible, ceux des cabinets de conseil invitent les pouvoirs publics à leur com-mander davantage de presta-tions ! « A l’inverse des idées re-çues, le secteur public français in-vestit peu pour sa transformation, et achète deux fois moins de con-seils qu’en Allemagne, trois fois moins qu’au Royaume-Uni », plaide M. Baculard. Pas sûr que ce message-là soit le mieux accueilli à Bercy. p

denis cosnard

L’importance des

coûts salariaux

pénalise les

cabinets français

face à leurs

rivaux allemands

ou britanniques

« Il y a dix ans,

on n’aurait pas

parlé de phase

de reprise avec

de tels chiffres »

VLADIMIR PASSERON

chef du département conjoncture de l’Insee

LES CHIFFRES

+ 2,9 %La progression du chiffre d’affai-res des sociétés de conseil – il s’est établi à 5,2 milliards d’euros – en France en 2014, se-lon les données de Syntec Con-seil en management, leur syndi-cat professionnel. Il devrait encore grimper de 4 % à 6 % en 2015. Auparavant, ces entrepri-ses avaient souffert de la crise et leur activité avait même connu deux années de recul, en 2009 et en 2012. Mais depuis, la crois-sance est repartie.

5 000Le nombre d’embauches que la profession devrait effectuer en France au cours de l’année 2015. Ce sont surtout des jeunes diplô-més qui seront recrutés.

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0123MARDI 23 JUIN 2015 économie & entreprise | 5

Une crise, des scénariosDéfaut de paiement, contrôle des capitaux, “Grexit”, les questions qui se posent à Athènes et à ses créanciers

Sans accord rapide, laGrèce pourrait ne pas êtreen mesure de rembour-ser les 1,6 milliard d’euros

qu’elle doit au Fonds monétaireinternational (FMI) le 30 juin. Un incident de paiement qui pour-rait avoir des conséquences dra-matiques, pour Athènes commepour la zone euro. Tour d’horizondes questions qui se posent.

La perspective du contrôle des capitaux

Les Argentins l’avaient sur-nommé le « corralito », du nom de ce petit enclos dans lequel on enferme le bétail avant de l’em-mener à l’abattoir. C’est dire si le contrôle des capitaux, instaurédans le pays en faillite fin 2001, fut peu apprécié. En cas de crise financière, la mesure reste toute-fois un mal nécessaire. Adoptéelors de la crise asiatique des an-nées 1990 en Malaisie ou enThaïlande, en Islande en 2008 ou à Chypre en 2013, la restrictiondes sorties d’argent doit éviter un« bank run », des retraits massifsd’argent qui conduiraient à labanqueroute des banques et à l’assèchement de l’économie.

En freinant les retraits, on cher-che aussi à endiguer la chute de lamonnaie lorsque le pays n’appar-tient pas à une union monétaire ou que sa devise n’est pas, ou plus, arrimée à une autre mon-naie comme le dollar.

Décidé dans l’urgence, le dispo-sitif est rarement éphémère (en-tre six mois et deux ans en moyenne) et peut s’éterniser (jus-qu’à six ans et demi en Islande).Rétablir la libre circulation de ca-pitaux nécessite en effet de res-taurer la confiance d’épargnantset d’investisseurs échaudés. Con-frontée à des sorties massives de capitaux en 2014 - 2015, la Russie a évité d’en arriver là en mettant àcontribution sa banque centralepour canaliser la chute du rouble.

La semaine dernière, en Grèce,les retraits bancaires se seraient élevés entre 4 et 6 milliards d’euros. La Grèce pourrait donc ne plus avoir d’autre option que ce « mal nécessaire ».

Que prévoit le FMI en cas d’incident de paiement ?

La directrice générale du FMI,Christine Lagarde, l’a dit : il n’y aura pas de délai de grâce pour la Grèce. Autrement dit, les disposi-tions prévues en cas d’incident depaiement seront appliquées à la lettre. Elles peuvent théorique-ment conduire dans les deux ans à l’exclusion de l’Etat concerné,sous réserve de l’approbation du conseil d’administration du Fonds, ce qui ne s’est jamais pro-duit. Sur les 322 milliards d’euros de dette grecque, le FMI en dé-tient 32 milliards.

Dans son rapport 2014 sur sesopérations financières, le Fonds précise qu’en cas d’incident de paiement, l’administration du FMI demande au pays concerné lerèglement rapide de ses arriérés. Dans l’attente, tout accès aux res-sources financières du FMI ettoute demande d’aide lui sont in-terdits. Dans le mois suivant la constatation d’un défaut, le direc-teur général ou la directrice géné-rale notifie ce dernier au conseild’administration, dont les 24 ad-ministrateurs représentent les 188 Etats membres du FMI.

« Compte tenu de l’importancedes sommes en jeu (1,6 milliard d’euros sur les 9 milliards dus parla Grèce en 2015 au FMI), cette dé-claration au conseil d’administra-tion serait faite rapidement », pré-cise au Monde le Fonds.

En l’absence persistante de rè-glement des arriérés, la directrice générale peut, au bout de deuxmois, déposer une plainte qui est examinée par le conseil d’admi-nistration dans le mois qui suit.

En général, l’accès aux ressources générales et aux droits de tiragespéciaux (DTS) du FMI est sus-pendu. Une déclaration d’inéligi-bilité peut être prise dans l’année suivant le défaut, une communi-cation étant alors faite à toutes lesinstitutions financières à ce sujet.

La procédure suit en théorie soncours : déclaration de non-coopé-ration et suspension de toute as-sistance technique au bout de quinze mois ; suspension dudroit de vote et de la représenta-tion un an et demi après l’inci-dent de paiement ; exclusion du FMI au bout de deux ans. Toute-fois, plusieurs pays, notamment latino-américains, ont présenté des arriérés, sans jamais avoir été exclus.

Du défaut de paiement au « Grexit »

C’est le scénario noir : si elle nerembourse pas ses créanciers, la Grèce pourrait devoir quitter lazone euro. De fait, sans accordavec la « Troïka » d’ici au 30 juin, Athènes pourrait se retrouver endéfaut de paiement partiel. La nouvelle tranche d’aide de 7,2 milliards d’euros promise ne serait alors pas versée. Et le paysne pourra pas rembourser les1,6 milliard d’euros qu’il doit au

FMI. « Les agences de notation ne dégraderaient pas automatique-ment la note grecque, car le FMI est un créancier à part », remar-que Diego Iscaro, économiste chez IHS Global Insight.

Les finances publiques grecquesse sont tellement dégradées cesderniers mois que même une nouvelle aide pourrait ne pas suf-fire. Et le remboursement des3,5 milliards d’euros dus à la BCE le 20 juillet s’annonce lui aussidélicat. « Quel que soit le scénario, la réaction de la BCE sera détermi-nante », commente M. Iscaro.

Les banques grecques ne survi-vent que grâce aux financements d’urgence ELA (« emergency li-quidity assistance ») accordés par la BCE, par le biais de la Banque deGrèce. Un défaut de paiement, même partiel, pourrait amener l’institut monétaire à considérer que les banques grecques, qui dé-tiennent 23 milliards d’euros de créances sur les pouvoirs publicsdu pays, ne sont plus solvables. Etsuspendre les ELA, ce qui as-phyxierait aussitôt les établisse-ments bancaires hellènes.

Outre l’instauration du contrôledes capitaux, le gouvernement Tsipras pourrait alors envisager plusieurs options pour remédier à l’assèchement des liquidités. « La première serait de payer re-

traités et fonctionnaires avec des reconnaissances de dette, qui se-raient acceptées pour le paiement des impôts et des achats cou-rants », estime Eric Dor, écono-miste à l’IESEG. Si son utilisation reste temporaire, cette forme de monnaie parallèle offrirait un dé-lai supplémentaire au pays pour négocier avec ses partenaires. Dans ce cas de figure, le défaut de paiement ne conduirait pas auto-matiquement au « Grexit ».

Deuxième option, convertir lebilan des banques grecques en nouvelle monnaie – la drachme –,avec laquelle la banque de Grèce financerait alors les établisse-ments bancaires. Les dettes pri-vées et publiques soumises audroit grec ainsi que les salaires, loyers et prix dans le commerceseraient également convertis.Mais une telle mesure se ferait dans la panique et s’accompagne-rait d’incertitudes juridiquesénormes. La réintroduction de ladrachme équivaudrait de facto à une sortie de la zone euro.

L’ennui, c’est qu’il n’existeaucune procédure dans les traités communautaires permettant de quitter l’union monétaire ou d’enexpulser un membre. En d’autres termes : un « Grexit » organisé et se déroulant dans le calme seraitpeu probable.

Les conséquences d’un « Grexit » pour la zone euro

Jamais un pays n’est sorti de lazone euro – ce n’est d’ailleurs pas prévu par les traités. Si la Grèce de-vait abandonner la monnaie uni-que, les conséquences financières en seraient toutefois limitées. Le risque d’une contagion à d’autres pays, comme l’Espagne ou le Por-tugal, est en effet bien moindre qu’en 2012, lorsque la zone euro ne disposait d’aucun instrument de solidarité. Depuis, la mise enplace du Mécanisme européen de stabilité et de programmes de ra-chats de dette par la BCE devrait permettre d’éviter que le défaut grec fasse plonger d’autres pays.

Sur le plan politique, un« Grexit » aurait des conséquencesravageuses. Cela montrerait que la construction européenne n’est pas irréversible. L’Union euro-péenne, qui est contestée par des partis europhobes en progression sur tout le continent, en sortirait un peu plus déstabilisée. Une fra-gilité politique qui affaiblirait la confiance des marchés dans la monnaie unique. p

marie charrel,

jean-baptiste chastand,

claire gatinois

et claire guélaud

« Dans le dossier grec, plus personne n’agit de façon rationnelle »Pour l’économiste Agnès Benassy-Quéré, professeur à Paris-I, un « Grexit » ne supprimerait pas le problème grec pour l’Europe

Pour Agnès Benassy-Quéré, professeur à l’uni-versité Paris-I Panthéon-Sorbonne et présidente

déléguée du Conseil d’analyse éco-nomique (CAE), le problème grec ne se réglera pas en recourant seu-lement à des mesures d’austérité.

Les négociations entre Athènes et ses créanciers se poursui-vent. Etes-vous optimiste ?

Dans ce dossier, plus personnen’agit de façon rationnelle. On pourrait aboutir à un « Grexit »,alors que ni Athènes ni ses créan-ciers n’y ont intérêt. On discute sur moins de 2 milliards, à compa-rer aux 300 milliards de dette queles Grecs ont vis-à-vis de l’Europe.

Mais la souveraineté des unss’oppose à la souveraineté des autres. D’un côté, le gouverne-ment grec, soutenu par la popula-tion, qui retire toutefois ses dé-pôts des banques. De l’autre, les pays européens qui ne veulent passe voir contraints de payer pour la Grèce, surtout les plus pauvres. Pensez, les dépenses de retraites grecques représentent 16 pointsde PIB, c’est deux fois plus qu’en Slovaquie par exemple ! Les salai-res sont également moins élevés à

Bratislava qu’à Athènes. Ne par-lons pas de certains membres émergents du Fonds monétaire international [FMI], vent debout contre les inégalités de traitementqu’engendre la crise grecque. LeFonds avait été bien plus dur du-rant la crise asiatique de 1997.

Comment en est-on arrivé là ?Le Parlement européen n’a pas le

pouvoir d’imposer une solution. Résultat : le sort de la Grèce se re-trouve entre les mains d’une insti-tution technocratique, la Banque centrale européenne [BCE], qui, dans le cadre de son mandat, as-sure la stabilité monétaire.

Par deux fois, la semaine der-nière, elle a relevé le plafond de re-financement des banques grec-ques pour leur éviter la faillite, compte tenu de l’ampleur des re-traits. Elle n’avait pas d’autre choix, car elle ne peut pas décider seule de faire sortir la Grèce de la zone euro en interrompant la fourniture de liquidités. Tant qu’il y a un espoir d’accord, aussi mincesoit-il, la BCE poursuit son action.

Y a-t-il encore un espoir ?La date du 30 juin à laquelle

Athènes doit rembourser 1,6 mil-liard d’euros au FMI n’est pas si im-portante, car un défaut sur le FMI ne signifie pas automatiquement un défaut sur les autres dettes. En revanche, en juillet, la Grèce doitrembourser plus de 6 milliards à laBCE. Même, en cas d’accord à l’ar-raché, il est sans doute déjà trop tard pour mettre en place un vraitroisième plan d’aide à la Grèce : l’été arrive, il faudrait qu’il soit ra-tifié par le Bundestag allemand…

Mais il reste encore quelquesfonds de tiroir. Environ 10 mil-liards d’euros de réserves du deuxième plan d’aide, destinés à recapitaliser les banques grec-ques, n’ont pas été utilisés. Le pro-

blème, c’est que le niveau de crédi-bilité du gouvernement grec estaujourd’hui nul.

Là où Tsipras a raison, c’estqu’on ne réglera pas le problèmegrec en recourant uniquement à des mesures d’austérité. En Ir-lande, en 2010 [au moment du renflouement du pays par le FMI],la baisse des salaires a entraîné unrebond de la compétitivité, donc des exportations, et l’économie est repartie dès 2011. La Grèce est un pays fermé, le poids des em-plois publics est très important, etles exportations très faibles.

En Grèce, il faut des réformes enmatière de justice, de concurrence.Les prix baissent depuis deux ans, mais, depuis 2009, ils ont aug-menté de plus de 6 % quand les sa-laires reculaient de 15 % !

La question des retraites, sur la-quelle achoppent les discussions, est édifiante : le pays investit sur-tout pour ses concitoyens âgés, ce n’est pas un signe positif pour sa croissance. Trente pour cent des fonctionnaires sont à la retraite avant 55 ans ! Dans le même temps, le système de protection sociale est faible, donc de nom-breuses familles vivent grâce à laretraite des grands-parents. C’est

tout le système qui est à revoir.

Faut-il imposer le contrôle des capitaux ?

C’est au Parlement grec d’en déci-der, et il n’y est pas incité tant que la BCE poursuit son soutien. En ef-fet, chaque jour, les fuites de capi-taux hors de Grèce engendrent desdettes de la banque centrale de Grèce à l’égard de l’eurosystème. Ce montant atteint environ 100 milliards d’euros, et renforce lepoids de la Grèce dans les négocia-tions : si demain la Grèce sort de lazone euro, les Européens ne récu-péreront pas cet argent.

Que coûterait un « Grexit » à la France ?

L’exposition de la France au ris-que grec (Etat et Banque de France) est de l’ordre de 1 000 euros par personne. Ce n’estpas négligeable, même si, en casde défaut, tout ne serait pas perdu.

Les Allemands redoutent-ils un « Grexit » ?

Les Allemands en sont persua-dés : un « Grexit » renforcerait la zone euro, car cela montreraitqu’on ne peut pas impunément transgresser les règles de l’union

monétaire. Un « Grexit » aurait surtout pour conséquence d’af-faiblir la zone euro, en montrant que l’appartenance à la monnaie unique n’est pas irréversible.

Et il ne supprimerait le pro-blème grec. Prenez la question des migrants qui arrivent en Eu-rope par la Grèce : le pays ne pourra plus s’en occuper, ce sera àl’Europe de le faire. Les consé-quences sociales et humanitairesd’un « Grexit » seraient majeures.

Faut-il craindre une contagion aux marchés ?

A court terme, la zone euro dis-pose des instruments pour l’éviter(QE – quantitative easing –, OMT – opérations monétaires sur titres –,MES – Mécanisme européen de stabilité). Mais, au prochain choc, les marchés réagiraient sûrement avec violence, faisant de nouveau bondir les rendements des em-prunts d’Etat les plus fragiles. Si le « Grexit » se produit, ce sera l’échec de l’intégration euro-péenne. Nous ne disposons pas des bonnes institutions pour me-ner à bien cette dernière et il faut les créer. p

propos recueillis par

audrey tonnelier

« Là où Alexis

Tsipras a raison,

c’est qu’on ne

réglera pas

le problème grec

en recourant

uniquement

à des mesures

d’austérité »

Manifestation de soutien au gouvernement grec, à Athènes, dimanche 21 juin. ANGELOS TZORTZINIS/AFP

L A C R I S E G R E C Q U E

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4 | économie & entreprise MERCREDI 24 JUIN 2015

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Les entrepreneurs accros à la dette sont de retourPatrick Drahi, le fondateur d’Altice, a construit son empire à coups d’acquisitions financées par les marchés

Patrick Drahi, le fonda-teur d’Altice, proprié-taire de SFR-Numerica-ble qui a dévoilé une of-

fre surprise de quelque 10 mil-liards d’euros pour racheter Bouygues Telecom, fait partie de cette génération d’entrepreneurs prêts à utiliser la dette à haute dose pour accélérer leur carrière. Avec la bénédiction des marchés.

Aux yeux des investisseurs, eneffet, les quelque 33 milliardsd’euros d’emprunts d’Altice nesont pas un problème car le ty-coon a démontré par le passé sa capacité à augmenter les margesdes entreprises tombées dans sonescarcelle. Moody’s a d’ailleurs in-diqué lundi 22 juin que sa revue en cours portant sur la dette deSFR-Numericable n’était pas affec-tée, compte tenu des « importan-tes réductions de coûts potentiel-les ».

« C’est un cercle vertueux. A cha-que transaction réussie, Patrick Drahi diminue le risque de la sui-vante. Il renforce son capital et sonaction s’apprécie, et finalement, même si la dette s’empile, son ratiod’endettement reste stable », ana-lyse un banquier. Depuis sa pre-mière cotation en janvier 2014, la valeur d’Altice en Bourse a étémultipliée par cinq, passant de 6 à32 milliards d’euros.

Le polytechnicien connaît aussibien le câble que la grammaire desmarchés, dettes ou actions. Il a même recruté ces dernières an-nées plusieurs collaborateurs chez Morgan Stanley, sa banque d’affaires préférée. Loin de se mé-fier de cet emprunteur insatiable, les grandes banques, elles, se bat-tent pour lui octroyer l’équivalentd’un prêt relais lorsqu’il se lance àl’assaut d’une cible.

Les Morgan Stanley et autres JP-Morgan, qui n’ont pas vocation àconserver ce type d’engagements sur leur bilan, parient sur une re-distribution rapide auprès d’in-vestisseurs friands de « pa-pier Drahi ». En avril 2014, l’opéra-teur avait ainsi suscité une de-mande de 70 milliards d’euros lors de son émission de dette de 16 milliards d’euros consécutive au rachat de SFR : un record dansla catégorie spéculative. Ce fai-sant, M. Drahi avait versé aux ban-

ques un pactole de 237 millions dedollars (environ 210 millions d’euros) de commissions, selon le magazine Institutional Investor.

Brûler les étapes

Ce modèle permet à M. Drahi de brûler les étapes. « En France, cela étonne de voir des entrepreneurs mettre en œuvre leur stratégie de manière accélérée, y compris par recours à la dette. Mais ce phéno-mène est assez répandu à l’étran-ger », témoigne Daniel Rudnicki Schlumberger, en charge des fi-nancements avec effet de levier chez JPMorgan. « Aux Etats-Unis, ily a toujours eu de la dette en quan-tité pour celui qui a une idée diffé-renciante et du savoir-faire », ajoute un autre banquier.

Débarquant du Connecticut oùil s’est créé en 2011, XPO Logistics,

avec une capitalisation boursière de quelque 4 milliards de dollars, a ainsi pu mettre 3,2 milliardsd’euros sur la table – et une prime irrésistible de 37 % – pour racheterle transporteur français NorbertDentressangle, fondé il y a trente-cinq ans à Lyon par le patriarche éponyme.

Comme M. Drahi, Bradley Ja-cobs, le propriétaire du logisticienaméricain, est précédé d’une ré-putation de « serreur de boulons »qui séduit les apporteurs de capi-taux. Selon Thomson Reuters, lafirme américaine a réalisé 14 ac-quisitions depuis 2012. Avant XPO, M. Jacobs avait suivi unestratégie similaire dans le traite-ment de déchets puis la location de gros équipement.

De son côté, l’homme d’affairesaméricain Martin Franklin – dont

le père était un proche collabora-teur du célèbre raider anglaisJimmy Goldsmith – a d’abord bâti,à partir de 2001, à coups d’acquisi-tion son conglomérat Jarden, comptant une centaine de mar-ques, des bougies Yankee Candleaux skis K2. En 2013, il a démarré un autre projet, Platform Spe-cialty Products, visant à établir un

poids lourd dans la chimie de spé-cialité. « Nous créons pour le long terme », aime à répéter l’indus-triel, qui a déjà racheté pour 6,5 milliards de dollars d’actifs chimiques en un an et demi.

Ces « consolidateurs » qui utili-sent les marchés de dette pour avancer à marche forcée ont tou-jours existé aux Etats-Unis. Lestaux bas leur permettent d’accélé-rer encore. En outre, des indus-triels européens peuvent désor-mais suivre ces modèles de déve-loppement. « La fluidité des mar-chés permet aux entreprises européennes d’aller chercher des fi-nancements auprès des investis-seurs américains, qui sont beau-coup plus mûrs que leurs homolo-gues en Europe dans l’analyse desentreprises plus risquées », souli-gne Jean Beunardeau, patron

d’HSBC en France. Le verrier irlan-dais Ardagh multiplie ainsi les ac-quisitions. Il a repris en 2014 les activités américaines du françaisVerallia, filiale de Saint-Gobain.

Mais il y a des limites : en mai,l’irlandais a dû renoncer à se por-ter candidat au rachat des activi-tés européennes de Verallia compte tenu de son endettement trop lourd. En Allemagne, c’est legroupe immobilier Deutsche An-nington qui s’affiche sur tous les fronts pour talonner Unibail-Ro-damco en Europe.

Autre temps, autres mœurs.Dans les années 1980, la dette était aussi une denrée nécessaire aux bâtisseurs d’empire. Mais les Bernard Arnault ou François Pi-nault allaient la puiser à la source inépuisable du Crédit lyonnais. p

isabelle chaperon

L’emploi au cœur du mariage entre SFR et Bouygues TelecomEmmanuel Macron devait rencontrer, mardi 23 juin, Patrick Drahi, PDG d’Altice, pour évoquer le volet social de l’opération

U ne fumée blanche sorti-ra-t-elle du conseil d’ad-ministration de Bou-

ygues ? Mardi 23 juin, le groupedoit décider s’il entre en négocia-tion avec son concurrent Altice pour la cession de sa filiale Bou-ygues Telecom. Patrick Drahi, le patron d’Altice, la maison mère deNumericable-SFR, a proposé un peu plus de 10 milliards d’eurospour le plus petit des quatre opé-rateurs français en termes d’abonnés. Si l’opération devait seconcrétiser, elle donnerait nais-sance à un poids lourd qui, avecplus de 30 millions d’abonnésmobile, détrônerait Orange de sa place de numéro un.

En attendant la décision de Bou-ygues, la pression politique monte autour des protagonistesde la transaction. Lundi, Manuel Valls a fait savoir que le gouverne-ment ne pourrait donner son sou-tien à l’opération si une série de cinq conditions n’était pas rem-plie. « Nos priorités pour le secteur des télécommunications sont clai-res : l’emploi, qui doit être préservé et développé ; l’investissement (…), parce qu’il faut couvrir tout le terri-toire avec le déploiement de la fi-bre, de la 3G d’ici à la fin 2016 ; la

vente des fréquences pour dévelop-per la 4G ; l’innovation parce qu’il faut investir dans l’avenir et la qua-lité du service pour le consomma-teur », a notamment déclaré le premier ministre.

Solennel, M. Valls en a même ap-pelé à un « totem » d’Arnaud Mon-tebourg, l’ancien ministre du re-dressement productif. « Tous les acteurs doivent participer – c’est çale patriotisme économique – au re-dressement de notre pays », a mar-telé le chef du gouvernement. Et d’ajouter : « Nous ne pouvons pas favoriser des opérations qui se sol-deraient par du chômage et par la perte de qualité dans [ce secteur]. »

Pour répondre à ces préoccupa-tions, M. Drahi devait se rendre à Bercy, mardi, en fin de journée pour y rencontrer Emmanuel Ma-cron, le ministre de l’économie.

Dans un entretien aux Echos du 22 juin, Eric Denoyer, le directeur général de Numericable-SFR, a af-firmé que des engagements se-ront pris pour l’investissement et l’emploi, sans donner plus de pré-cision sur ce volet social. Ce point préoccupe les salariés des deux groupes comme les pouvoirs pu-blics à deux ans de l’élection prési-dentielle.

« L’entreprise Bouygues Telecomest une quasi-sœur jumelle de SFR, ce qui nourrit de grandes craintes[pour l’avenir] », relève Olivier Le-long, responsable CFDT chez SFR.L’impact d’une telle opération surl’emploi est aujourd’hui difficileà évaluer, d’autant que le schéma évoqué fait entrer dans la boucle Free, qui pourrait reprendre cer-tains actifs.

« Doublons »

« L’expérience montre qu’on n’a ja-mais vu un rapprochement de cette taille sans casse sociale »,ajoute M. Lelong. Ce dernier es-time qu’environ 3 000 emplois pourraient être supprimés sur les près de 20 000 que compterait lenouvel ensemble.

Outre l’attachement de MartinBouygues à une filiale qu’il a lui

même créée en 1994, un an après la mort de son père, Francis, plu-sieurs critères risquent de déter-miner le choix des administra-teurs du groupe.

Ces derniers devront avant toutdéterminer si Bouygues Telecompeut continuer à survivre seul dans un secteur très concurren-tiel. S’ils décident que cette solu-tion n’est pas viable, ils devront seprononcer sur le montant pro-posé par l’acheteur, le mode de fi-nancement et le risque d’exécu-tion vis-à-vis de l’Autorité de la concurrence. « La décision ne se prendra pas uniquement sur leprix », prévient une source prochedu dossier.

Surtout, les administrateursvont devoir se poser la questionde l’emploi. Sont-ils prêts à en-voyer près de 8 000 salariés tra-vailler pour Patrick Drahi ? Ce-lui-là même que les dirigeants deBouygues avaient affronté pen-dant cinq semaines épiques il y a un peu plus d’un an pour le rachatde… SFR.

« Nous avions l’impression d’en-trer dans une période de stabilité, indique Bernard Allain, déléguéForce ouvrière (FO) de BouyguesTelecom. Cela inquiète d’avoir une

annonce pareille de la part d’unconcurrent sans aucun signe préa-lable. »

« Il existe des doublons entre lesentités. Il y aura sans doute unplan de départs… », s’alarme un sa-larié de Bouygues Telecom qui a travaillé jusqu’à assez récemmentchez SFR. Pour lui comme pour lessyndicats, ce sont les méthodes utilisées par les équipes de M. Drahi pour améliorer la profi-tabilité et rembourser la dette qui suscitent le plus de craintes. « SiBouygues Telecom vient s’ajouterà l’ensemble actuel Numericable-SFR, issu lui-même de fusions pasencore totalement abouties, ce sera un sacré bazar. A SFR, j’ai vu

les moyens diminuer avec, à la clef,une baisse de la qualité de serviceaux clients », poursuit le salarié.

Le niveau d’endettement dugroupe de M. Drahi fait craindre aux personnels que l’entreprise nes’écroule comme un « château sur du sable », selon les mots de Mi-chel Sapin, le ministre des finan-ces. « Nous avons l’impression que c’est un “Jean-Marie Messier 2.0” [ex-patron de Vivendi qui avait ac-cumulé les rachats] », déclare Ber-nard Allain. Altice a multiplié les emprunts pour financer sa fréné-sie d’acquisitions. Sa dette frôlera les 40 milliards d’euros en cas de rachat de Bouygues Telecom.

M. Drahi va devoir dissiper cemalaise et ces interrogations lorsde son entretien avec M. Macron, lequel a déjà fait connaître ses ré-serves. Mais les salariés sont scep-tiques. « Ce ne sera pas le premier membre du gouvernement à dire son désaccord avec une fusion et qui devra faire avec », pointe, désa-busé, Damien Bornerand, respon-sable CGT chez SFR. Des syndicats qui, eux aussi, demandent à ren-contrer le ministre de l’écono-mie. p

sarah belouezzane

et anne eveno

LES DATES

Les levées de fonds d’Altice

NOVEMBRE 2013Numericable entre en Bourse à Paris et lève 650 millions d’euros

JANVIER 2014Altice entre à la Bourse d’Amsterdam et lève 1,3 milliard d’euros

AVRIL 2014Altice et Numericable obtiennent 15,6 milliards d’euros sur les marchés de la dette spéculative pour financer le rachat de SFR

FÉVRIER 2015Altice recueille 4,8 milliards d’euros pour financer le rachat de Portugal Telecom

Ces

« consolidateurs »

qui utilisent

les marchés de

dette ont

toujours existé

aux Etats-Unis

La pression

politique monte

désormais

autour des

protagonistes

de la transaction

« Nous avons

l’impression

que Patrick Drahi

est un

“Jean-Marie

Messier 2.0” »

BERNARD ALLAIN

délégué FOde Bouygues Telecom

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0123JEUDI 25 JUIN 2015 france | 11

La Cour des comptes agace le gouvernementBercy conteste les analyses sévères des magistrats de la Rue Cambon sur la situation des finances publiques

Les rapports de la Cour descomptes se suivent et seressemblent. Fin mai,dans celui consacré au

budget de l’Etat, elle fustigeait une maîtrise des dépenses en trom-pe-l’œil. Le rapport sur la situation et les perspectives des finances pu-bliques, présenté mercredi 24 juin, s’inscrit dans la même veine. « Confrontée, comme ses partenai-res, à la nécessité de consolider ses finances publiques au sortir de la crise financière, la France a effectuéun effort structurel moindre, note la Cour. Au total, la dépense publi-que en volume a vu sa progression depuis 2010 seulement infléchie en France, alors qu’elle a baissé chez ses principaux partenaires euro-péens. » La Cour des comptes a sa doxa, et elle n’en dévie pas.

En dépit de conditions économi-ques en voie d’amélioration, elle juge la réduction – « encore modé-rée » – du déficit prévue en 2015 « possible sans pour autant êtreacquise ». Cet objectif de réduc-tion du déficit public (3,8 %) re-pose, à ses yeux, « sur des mesuresd’économies encore mal identi-fiées ». La pertinence des investis-sements publics – qui restent éle-vés – n’est pas suffisamment éva-luée et les instruments de pro-grammation des finances publiques demeurent limités, pestent les magistrats financiers.

Au point que le gouvernement,las de se voir sempiternellement réprimandé, nourrit sa riposte et répond point par point aux criti-ques formulées par la Cour. Fini le temps où l’exécutif et la majorité de gauche nouvellement élus comptaient sur le rapport com-

mandé à la Cour des comptes sur l’état des finances publiques à leurarrivée pour engager une politi-que de « redressement dans la jus-tice » des comptes publics. Oubliésles regrets de n’avoir pas suffisam-ment, à l’époque, pris appui sur cet audit pour justifier les efforts qui allaient ensuite être réclamés.

« Une analyse incomplète »

Les remontrances récurrentes des magistrats de la Rue Cambon aga-cent passablement Bercy. Qu’im-porte que l’institution financière soit présidée par un ancien députésocialiste, Didier Migaud, ancien président de la commission des fi-nances, surtout si ses saillies ont pour effet de conforter l’opposi-tion dans ses critiques vis-à-vis de l’impuissance du gouvernement. Le ministre des finances, Michel Sapin, et le secrétaire d’Etat chargé du budget, Christian Eckert, ont donc pris leur plume pour joindre une longue réponse aux observa-tions de la Cour des comptes. Et contester ses conclusions.

« L’analyse de la Cour propose uneanalyse incomplète qui minore les résultats obtenus en matière de maîtrise de la dépense publique,

écrivent-ils. La Cour ne prend passuffisamment en compte le fait quedes mesures de redressement d’am-pleur ont été prises dès le projet de loi de finances pour 2014 (…), que ces mesures ont été amplifiées par la suite… » Le tout est rédigé en ter-mes technocratiques dont toute virulence est exclue. Pas suffisam-ment, cependant, pour masquer ladivergence d’appréciation entre les magistrats financiers et Bercy.

En privé, les cabinets des deuxministres se montrent beaucoup plus diserts. « La Cour des comptesémet une analyse critique. C’estbien de faire des analyses critiques ex ante. Ensuite il faut aller aux ré-sultats et voir, ex post, si oui ou non les critiques étaient justifiées, remarque le cabinet de M. Sapin. Face à une Cour des comptes qui nous dit qu’il y a des risques, l’im-portant est d’être en mesure de lui démontrer – c’est ce qu’on fera –

que, cette année comme les annéesprécédentes, nous tenons les enve-loppes de dépense que nous noussommes fixées. »

Le budget, un débat politique

Du côté du gouvernement, on n’apprécie guère que la Cour des comptes réduise l’évolution mo-dérée des dépenses publiques en 2014 à deux facteurs excep-tionnels : la baisse de la charge desintérêts de la dette et la diminu-tion des dépenses d’investisse-ment des collectivités territoria-les. Et, surtout, qu’elle ignore lesefforts structurels engagés. « La si-tuation des finances publiques est certainement plus flatteuse que la tonalité générale du rapport de la Cour des comptes le laisse enten-dre, relève l’entourage du minis-tre. Dans un contexte de croissanceextrêmement faible, le déficit struc-turel, corrigé du cycle économique,

a été ramené à 2,1 % du produit in-térieur brut, soit le point le plus basdepuis l’année 2000. L’effort d’éco-nomies a été réel et porté par l’en-semble des administrations publi-ques, à commencer par l’Etat. »

Désormais, le gouvernementprend un malin plaisir à rappelerles avis, pas toujours pertinents, émis par le Haut Conseil des fi-nances publiques, que préside également M. Migaud. « Personne n’est infaillible. Pour cette année, il jugeait que 1 % était une prévision de croissance excessive ;aujourd’hui, avec 1 %, on est au-dessous du consensus des institu-tions économiques, souligne-t-onà Bercy. L’important pour nous est d’être en mesure de démontrer le sérieux de notre gestion budgé-taire. Depuis le début du quin-quennat, ce gouvernement n’a pas à rougir de sa gestion des finances publiques. »

En filigrane, le gouvernement,au-delà de sa réponse à la Courdes comptes, nourrit déjà son ar-gumentaire vis-à-vis de la droitequi, régulièrement, l’accuse de ne pas engager de « réformes struc-turelles ». « Il faut bien s’entendre sur ce qu’on entend par des réformesd’économies structurelles, note l’en-tourage de M. Sapin. Nous faisons des réformes structurelles dans toute une série de domaines de ladépense publique, sur lesquelles il n’est pas évident de communiquer.A écouter la droite, on a un peu le sentiment que, pour elle, ça veut dire réforme qui fait très mal et quise voit beaucoup. » Le débat bud-gétaire, pour qui en douterait, est un débat très politique. p

patrick roger

JUSTICEUne nouvelle enquête ouverte sur les notes de taxi d’Agnès SaalLe parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire, le 8 juin, sur un possible détour-nement de fonds publics d’Agnès Saal, quand elle était directrice générale du Centre Georges-Pompidou, entre jan-vier 2013 et avril 2014. La jus-

tice s’interroge sur 38 000 euros de notes de taxi présentées en quinze mois. L’avocat de Mme Saal et la di-rection du Centre Pompidou n’ont pas souhaité commen-ter cette révélation. Mme Saal est déjà l’objet d’une enquête similaire concernant des notes de taxis quand elle pré-sidait l’Institut national de l’audiovisuel. – (AFP.)

LE CONTEXTE

COLLECTIVITÉS TERRITORIALESDéficit redresséPour la première fois depuis 2010, les dépenses des collectivi-tés territoriales (251,5 milliards d’euros) ont diminué en 2014, de 0,3 % par rapport à l’année pré-cédente. Leurs recettes (247 mil-liards d’euros) ont en revanche progressé de 1,4 %. Leur déficit s’est ainsi redressé, passant de 8,5 milliards d’euros en 2013 à 4,5 milliards en 2014.Ce recul du déficit des collectivi-tés territoriales résulte de la baisse de 5,2 milliards (-8,6 %) de leurs dépenses d’investissement (55,2 milliards d’euros en 2014).

Dépenses en hausse La réforme de la fiscalité locale intervenue en 2010, le gel d’une partie des dotations de l’Etat auxcollectivités territoriales entre 2011 et 2013 et la baisse de ces dernières en 2014 ont infléchi le rythme d’évolution des recettes. Parallèlement, la croissance des dépenses de fonctionnement est restée soutenue. En 2014, elles ont augmenté de 2,2 %, après une hausse de 3 % en 2013. La masse salariale, quant à elle, a progressé de 3,9 % en 2014, après une augmentation de 3,2 % en 2013.

Loi Macron : les sénateurs se posent en défenseurs des professions réglementéesLe projet de loi du ministre de l’économie sera à nouveau examiné au Sénat à partir du 30 juin

R etour au Sénat. Après le dé-bat avorté en deuxièmelecture à l’Assemblée natio-

nale – le premier ministre ayant fait usage de l’article 49-3 de la Constitution avant même l’ouver-ture de la discussion en séance –, leprojet de loi sur la croissance et l’activité repasse entre les mains des sénateurs. Mais le texte qui leur revient, même s’il intègre unepartie de leurs amendements adoptés en première lecture, a lar-gement été recomposé à la main de la commission spéciale de l’As-semblée et du gouvernement.

De quoi braquer la majorité sé-natoriale de droite qui, à l’issuedes 210 heures de débat en com-mission et en séance en premièrelecture au Sénat, nourrissait l’es-poir qu’un sort plus favorable se-rait réservé à ses propositions. C’était du moins ce pour quoi mi-litaient le président du Sénat, Gé-rard Larcher, le président du groupe UMP – devenu depuis LesRépublicains (LR) –, Bruno Re-tailleau, et le président de la com-mission spéciale, Vincent Capo-Canellas (UDI), contre l’avisd’une partie de leurs troupes,

tentée par une opposition plusfrontale.

Les groupes LR et UDI devaientdonc se positionner sur l’attitudequ’ils adopteraient en deuxièmelecture avant la reprise des tra-vaux de la commission, mardi23 juin. Certains, à droite, étaienten effet partisans de coupercourt au « dialogue » en adop-tant d’entrée une motion de rejet.Ils n’ont pas été suivis. « Il ne s’agit pas de s’appliquer le 49-3 ànous-mêmes, explique M. Re-tailleau. On a obtenu un certain nombre d’avancées mais qu’on juge totalement insuffisantes. Le Sénat va reprendre ce que l’Assem-blée n’a pas pu faire. »

Marges de manœuvre étroites

Munis de ce mandat visant à me-ner le débat à son terme – la dis-cussion en séance commencera le30 juin, elle est prévue pour durer cinq jours –, les membres de lacommission ont auditionné,mardi, le ministre de l’économie, Emmanuel Macron. Le ministre a centré son propos sur les nou-veautés et les modifications ap-portées en deuxième lecture à l’Assemblée, détaillant les pointsd’accord, d’accord partiel ou de désaccords avec le Sénat. « Profi-tons de ce nouvel examen pour parfaire ce projet de loi. Un texte lé-gislatif n’est jamais vitrifié, jamais figé », a-t-il conclu, assurant vou-loir « préserver l’esprit de dialogue et de respect qui a présidé lors de nos débats précédents ».

Dans les faits, les marges demanœuvre sont cependant étroi-tes. Il est clair que, sur les mesures concernant le droit du travail, il n’est pas question pour le gouver-nement de bouger le « point d’équilibre » arrêté avec sa majo-

rité à l’Assemblée. « Pour nous, l’équilibre a été trouvé, il n’y aurapas de remise en cause », explique le cabinet de M. Macron. Sur le vo-let des professions réglementées, en revanche, il se dit prêt à discu-ter « sur la base d’amendements qui sécuriseraient le dispositif maispas pour réduire l’ambition ».

« Macron a rendez-vous avec leSénat sur les professions régle-mentées. Il devrait saisir cette oc-casion pour avancer sur les notai-res car il est encalminé sur cettequestion. Un dialogue a été en-tamé, il faut vraiment bouger », défend M. Capo-Canellas. « Sur les notaires, nous nous battrons jus-qu’au bout, renchérit M. Re-tailleau. Les professions réglemen-tées ont été les boucs émissaires, un marqueur de gauche pour faire avaler aux électeurs de gauche des mesures libérales. »

Après l’audition du ministre, lacommission a adopté conformes une centaine d’articles restant en discussion. Un peu plus de180 amendements ont été adop-tés, principalement sur les profes-sions juridiques. Ainsi les séna-teurs souhaitent que l’Autorité de la concurrence délivre un avissimple, non contraignant, surl’élaboration de la carte de libre installation des notaires, des huissiers et des commissaires-priseurs. Ils veulent également poser quelques limites à la possi-bilité pour les avocats de plaider au-delà du barreau dont ils res-sortent. « Nous avons essayé de ré-diger des amendements qui puis-sent ensuite être retenus par l’As-semblée », assure M. Capo-Canel-las, déterminé à faire du deuxième passage au Sénat « une lecture utile quoi qu’il arrive ». p

p. rr

La France

a fait un effort

structurel

moindre que

ses partenaires

européens,

note la Cour

2010 2011 2012 2013

France

Allemagne

Italie

Royaume-Uni

Espagne

2014

La dépense en volume continue de progresserÉVOLUTION DE LA DÉPENSE PUBLIQUE RÉELLE, EN BASE 100

SOURCE : COUR DES COMPTES D’APRÈS EUROSTAT

102,3

97,8

95,7

93,8

87,4

100

50 av. d’Italie

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2 | plein cadre JEUDI 25 JUIN 2015

0123

« EN FRANCE, LA FORMATION

PROFESSIONNELLE EST COMPLEXE

D’UTILISATION ET PAS ASSEZ FINANCÉE »

MARC FERRACCI

chercheur au Crest-Ensae

Pas évident de trouver des genspour m’aider ! Pour les week-ends, je prends des extras, maisbeaucoup ne reviennent pas uneseconde fois… » Jeune patrond’un bar parisien, Matthieu ne

pensait pas rencontrer tant de problèmespour embaucher. Quelques mois après avoir repris son premier établissement, il décou-vre les difficultés de la vie de chef d’entre-prise. « Aujourd’hui, je fais tout, de la compta-bilité aux cocktails en passant par le mé-nage… », déplore le quadragénaire, qui auraitpourtant les moyens de recruter un salariéà temps partiel.

C’est loin d’être un cas isolé. Les chiffres desdemandeurs d’emploi pour mai, publiés mercredi 24 juin, devaient le confirmer. A l’heure du chômage de masse, où 5,6 mil-lions de Français pointent chez Pôle emploi,dont plus de 3,5 millions sans aucune acti-vité, de nombreuses entreprises ont du mal àpourvoir les postes vacants.

En septembre 2014, François Rebsamen, leministre du travail, avait évoqué « 350 000 emplois non pourvus » – un chiffreproche des 368 262 offres présentes sur le site Internet de Pôle emploi. Mais cette décla-ration, lancée dans le contexte d’une initia-tive pour durcir le contrôle des chômeurs, avait fait polémique. Peu après, Pôle emploi mettait en garde contre une « vision stati-que » des offres non pourvues, soulignant qu’il s’agit d’un flux constant de proposi-tions déposées et retirées, selon que le recru-tement se fait finalement en interne, que les contours du poste évoluent, ou que le candi-dat trouve un emploi par un autre canal…

PARCOURS DU COMBATTANTLe Medef, qui recense depuis trois ans les be-soins des entreprises dans son enquête « Tendance emploi compétence » évalue, pour sa part, à 330 000 le nombre d’« aban-dons de recrutements » en 2014. L’organisa-tion patronale a lancé, l’an passé, une campa-gne de publicité intitulée « Beau travail », pour valoriser une centaine de métiers « entension », de l’expert en cybersécurité auplombier, en passant par l’infirmier.

« Il est très difficile d’obtenir une informa-tion statistique fiable. Les offres de Pôle em-

ploi surévaluent sans doute la réalité, car cer-taines, déjà pourvues, restent quelque temps en ligne. Mais elles la sous-évaluent aussi : de nombreux employeurs passent par d’autres canaux », estime l’économiste Marc Ferracci,chercheur au Crest-Ensae.

Au reste, « les chiffres évoluent avec la con-joncture », indique-t-on au Medef. Les em-bauches jugées difficiles devraient être moins nombreuses cette année, selon l’en-quête annuelle de Pôle emploi sur les be-soins en main-d’œuvre. « Leur part s’établit à32,4 % [des recrutements], soit 10 points de moins qu’en 2012 », lit-on dans l’étude.

Pour justifier ce parcours du combattant,les patrons pointent d’abord les lacunes de laformation à la française. « La grande majo-rité des chefs d’entreprise interrogés évoquel’inadéquation entre le poste proposé et les compétences des postulants », précise-t-onau Medef. « En France, la formation profes-sionnelle est complexe d’utilisation et pas as-sez financée », abonde M. Ferracci.

Une difficulté flagrante dans les métierstechniques. Anne-Charlotte Fredenucci di-rige Anjou Electronique, une PME familiale qui fabrique des ensembles câblés, commeles commandes de vol du Rafale. « Il n’y a pasde formation au câblage en France. En 2014, nous avons embauché huit personnes aprèsque Pôle emploi leur a payé une formation de trois mois, à laquelle nous avons ajouté six mois chez nous », indique-t-elle.

Les métiers du social sont aussi particuliè-rement touchés. « La moitié de mon person-nel doit avoir un diplôme d’auxiliaire de puéri-culture ou (pour l’encadrement) d’éducateur

Les petites entreprises, elles, rencontrentdes difficultés spécifiques de visibilité etd’attractivité. « Beaucoup d’ingénieurs ont en tête l’image de la PME à papa, peu dynamique,où l’international est un gros mot. Quand onleur montre la réalité, ils apprécient l’absence de hiérarchie et la vitalité de ces sociétés. Elles correspondent parfois plus à leurs valeurs que les multinationales qui font bien sur la carte devisite », raconte Séverine Toussaint, qui aanimé durant trois ans le club PME de l’Ecolecentrale, avant de fonder ZIA, un cabinet deconseil d’accompagnement des PME àl’export. C’est tout le défi des Petits Poucets de l’économie : « Il faut faire du sur-mesure,avoir une politique de recrutement attirante, se démarquer », conseille Mme Toussaint.

Car les emplois non pourvus ne sont pasuniquement un problème de candidats. « Lesdifficultés à recruter viennent aussi de défautsde communication. Les patrons de PME sont souvent trop introvertis ; ils ont du mal à allervoir à l’extérieur. Surtout, ils n’ont pas assez detemps à y consacrer », constate Christian Jan-son, patron de Sedepa, un petit équipemen-tier automobile des Yvelines.

« DÉCALAGE ENTRE OFFRE ET DEMANDE »Le facteur humain joue aussi. « Une petite so-ciété comme la nôtre [trente salariés] a besoinde gens polyvalents, qui mettent les mains dans le cambouis. C’est de plus en plus difficile à trouver, notamment chez les cadres. Nous passons donc par un cabinet de recrutement spécialisé dans les PME, qui comprend mieuxnos problématiques », explique Pierre Kuchly,à la tête d’ERA-SIB, une entreprise de robinet-terie industrielle du Val-d’Oise. Du côté de Pôle emploi, les choses s’organisent :4 000 conseillers vont se consacrer d’ici à cetété à l’accompagnement des entreprises dansleur recrutement, notamment les TPE-PME.

Cependant, à en croire les économistes, uncertain volant de postes non pourvus est iné-vitable. « On retrouve ce décalage dans tous les pays. Il est lié au fait que le marché nes’ajuste pas parfaitement entre l’offre et la de-mande », explique M. Ferracci. « Même avecune croissance quasi nulle ces trois dernières années, on a eu 23 millions de contrats signés [dont 86 % à durée déterminée] chaque an-née. Il y a donc des emplois qui se créent », in-dique Eric Heyer, économiste à l’Observatoirefrançais des conjonctures économiques.

Selon Pôle emploi, seules 6 % des offresn’aboutiraient pas faute de candidat adé-quat. Un chiffre qui tombe à 3 % si on y ajouteles entreprises ayant trouvé un salarié en moins de deux mois. « On ne réduira pas ce chiffre à zéro, mais on peut le faire baisser enjouant sur les incitations à la mobilité, en amé-liorant la formation professionnelle et en al-louant davantage de moyens à l’accompagne-ment des chômeurs », selon M. Ferracci. p

audrey tonnelier

de jeunes enfants. Or, la région Ile-de-France a bloqué l’ouverture de nouvelles écoles au motifque trop de gens formés à Paris repartent en-suite exercer en province », dit Sylvain Fores-tier, patron de La Maison bleue, qui gère des crèches pour les entreprises et les mairies.

Les professionnels de métiers qui ont levent en poupe, comme les commerciaux ou les informaticiens, sont aussi très courtisés. « Quand nous voulons recruter des déve-loppeurs, nous devons les “draguer” rien que pour qu’ils acceptent de nous rencontrer, té-moigne Frédéric Durand, patron de Diabolo-com, un petit éditeur d’applications logiciel-les. Jusqu’à récemment, les carrières techni-ques étaient moins valorisées que le marke-ting ou la gestion de projet. Alors qu’aux Etats-Unis, les stars, ce sont les développeurs. »

C’est le grand défaut du système de forma-tion hexagonal. « En France, on a tout misé sur l’intellectuel. L’apprentissage et le travail manuel ne sont pas reconnus », regrette un baron de la métallurgie. Un décalage résumé par M. Ferracci avec cet exemple : lors de l’épreuve de français de l’examen du CAP, on demande aux élèves de… commenter unpoème en vers. « Certes, il ne faut pas négligerles matières générales. Mais il faudrait lesadapter au cursus », déplore le chercheur, quirappelle que l’inadéquation de la formation des apprentis aux besoins de leur métier est la cause de près de la moitié des ruptures decontrat d’apprentissage en Ile-de-France.

« Ce n’est pas que les gens ne veulent pasprendre le boulot. C’est que nous n’arrivons pas à les attirer dans la bonne formation. Ilfaut pouvoir évaluer celles-ci à l’aune de l’em-ployabilité de ceux qui en sortent », souligne un patron. « En France, on croit encore que quand on travaille avec ses mains, c’est qu’onn’a pas assez de tête pour faire autre chose », peste Mme Fredenucci.

Autres freins au recrutement : le défaut demobilité géographique, en lien avec les rigi-dités du marché du logement, et le manqued’attractivité de certains métiers. « Quand les postes ne demandent pas beaucoup detechnicité ou de formation, comme la restau-ration, ce sont les conditions de travail qui re-butent », observe Pierre Cogniaux-Cagnon, patron d’Aceos, société spécialisée dans les achats groupés pour les PME.

La campagne « Beau travail »du Medef, lancée en mai 2014,était destinéeà valoriser, auprès des demandeurs d’emploi,les métiers« en tension ».HAMILTON/REA

Patron cherche salarié, désespérément

La France connaît un chômagede masse, comme devaientle confirmer les chiffres publiés mercredi 24 juin. Et pourtant,près de 350 000 emploisne sont pas pourvus

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4 | économie & entreprise VENDREDI 26 JUIN 2015

0123

Partout en France, les taxis font grève contre UberL’Etat semble impuissant à appliquer la loi Thévenoud, qui interdit les services comme ceux d’UberPop

Jeudi 25 juin au matin, denombreux blocages routiersétaient mis en place enFrance par des chauffeurs detaxi. A l’aéroport Roissy-

Charles-de-Gaulle, l’accès à trois terminaux était bloqué peu après 6 heures, tandis que le périphéri-que parisien a dû être fermé mo-mentanément dans les deux sensvers 7 heures dans sa partie ouest.

Plusieurs syndicats de taxisavaient appelé à une journée de grève, avec des rassemblementsfixes à des points clés à Pariscomme dans de grandes villes de province. Ils protestent contre UberPop, le service de transport assuré par des particuliers avec leur véhicule de tous les jours. Ber-nard Cazeneuve, ministre de l’in-térieur, a répété mercredi 24 juin àl’Assemblée nationale que ce ser-vice proposé par la société améri-caine Uber est en « situation d’illé-galité absolue », mais il continue de prospérer et a récemment été étendu à de nouvelles villes.

« Concurrence déloyale »

Cette impuissance de l’Etat attise la colère des taxis, qui voient dansUberPop une concurrence dé-loyale faite par des non-profes-sionnels, soumis à aucune charge.De fait, il n’est même pas sûr quela loi Thévenoud, votée àl’automne 2014, soit applicable pour interdire UberPop. La Cour de cassation a transmis mardi 23 juin au Conseil constitutionnel une question sur la conformité à la Loi fondamentale de l’article ré-

primant pénalement cette acti-vité. Dans sa précipitation, le légis-lateur semble avoir mal distingué le covoiturage du type BlaBlaCar des activités de taxi clandestin.

Les taxis sont aussi vent deboutcontre le développement des vé-hicules de tourisme avec chauf-feurs (VTC). Même si la loi Théve-noud a réglementé leur activité,en leur interdisant par exemple lamaraude électronique ou en les obligeant à retourner vers leur point d’attache, les entreprises de VTC continuent à pousser leurspions sur le marché français. Aux côtés d’Uber, une bonne dizaine

de sociétés se déploient aujourd’hui face aux taxis.

D’AlloCab à SnapCar en passantpar Green Tomato Cars, CabDriver,LeCab, Chauffeur-privé, Marcel, ouCinq-S, c’est la folle expansion avant une inéluctable consolida-tion. Mais, pour l’instant, il est trèsdifficile d’obtenir des chiffres d’af-faires étayés. D’ailleurs, six ans après l’ouverture du marché du transport de personnes, il est en-core extrêmement difficile de ti-rer un bilan de cette libéralisation.

Les taxis, profession très régle-mentée, perdent du terrain face à cette nouvelle concurrence, légale

ou non. « Depuis deux ou troisans, notre chiffre d’affaires baisse de 15 % par an », assure Didier Ho-grel, président de la Fédération nationale du taxi. La baisse aurait été de 30 % rien que cette année. Selon les Taxis Bleus, une centralede réservation traditionnelle, laprise en charge dans les rues aurait chuté de 20 %, et le volume des courses précommandées de 5 %. « Le prix des licences de taxiest, lui, en chute libre, passant à Pa-ris d’un plus haut à 245 000 euros, contre un prix moyen actuel autour de 190 000 euros », assure Yann Ricordel, le directeur géné-

ral de Taxis Bleus.Personne ne sait quantifier ne

serait-ce que le nombre d’acteurs et de chauffeurs sur le marché. Les derniers chiffres de l’Insee datent de 2011. Selon les sources, il y aurait de 2 000 à 6 500 chauffeurs indépendants travaillant pour les sociétés de VTC, à côté des 17 700 taxis recensés en Ile-de-France. Certains évoquent le nombre de 10 000 conducteurs en incluant des chauffeurs d’UberPop. Quant au volume d’affaires du secteur, tous acteurs confondus, il serait autour de 3 milliards d’euros, juge un observateur. Les seuls VTC re-

présenteraient de 50 à 100 mil-lions d’euros de chiffre d’affaires.

Seule certitude, selon l’Insee, lechiffre d’affaires de l’ensemble de ce secteur, taxis et VTC confon-dus, a augmenté de 10 % entre 2010 et 2015. La croissance du marché est du côté VTC. D’ailleurs, les sociétés de VTC ne peinent pas aujourd’hui à trouverdes capitaux pour financer leur développement. A l’inverse, « lesbanques demandent davantage de garanties pour prêter pour l’achat d’une licence de taxi », constate Didier Hogrel. p

philippe jacqué

Les marins de Calais en colèreLe projet d’Eurotunnel pour ses ferries laisserait 270 à 300 salariés sur le carreau

A Calais (Pas-de-Calais), lessemaines à venir s’an-noncent chaudes. Mardi

23 juin, certains marins en colère ont déjà bloqué le port et le tunnel,provoquant une pagaille monstre et la suspension du trafic des trains et des ferries. Des migrants en ont par ailleurs profité pour prendre d’assaut des camions im-mobilisés. « Ce n’était qu’un en-cas », a averti mercredi, Eric Ver-coutre, du Syndicat maritime Nord, en annonçant « des actions fortes » susceptibles de « déstabili-ser l’économie dans notre région ».

Objectif des marins : faire plierJacques Gounon, le PDG d’Euro-tunnel. Ils veulent que l’exploitant du tunnel sous la Manche renonceà vendre ses deux principaux fer-ries au groupe danois DFDS, une transaction qui risque d’entraîner des centaines de suppressions d’emplois. Mais M. Gounon reste pour l’heure inflexible.

Au cœur du litige, les trois fer-ries dont Eurotunnel est proprié-taire depuis 2012. Lassé des atta-ques des autorités britanniquesde la concurrence – elles refusent que l’entreprise française soit pré-sente à la fois sur l’eau et sousl’eau –, Eurotunnel a décidé, en janvier, d’abandonner l’essentielde son activité maritime entre Ca-lais et Douvres, et elle a lancé unappel d’offres pour la vendre. Ré-sultat : à la mi-mai, la société a an-noncé qu’elle allait confier deux de ses trois bateaux à DFDS, l’un

des deux autres opérateurs déjà présents sur place. Eurotunnel ne compte garder qu’un ferry, qui as-surera uniquement le transport de marchandises.

Problème : cette solution s’an-nonce douloureuse sur le terrainsocial. La SCOP SeaFrance, qui ex-ploite les ferries pour le compte d’Eurotunnel sous la marque My-FerryLink, emploie aujourd’hui 577 personnes. DFDS n’est prêt à en reprendre que 202.

Bassin d’emploi sinistré

« C’est notre meilleure proposition pour minimiser l’impact social », indique son directeur général, Niels Smedegaard. « Au départ, no-tre intention était de ne reprendre que deux navires coques nues, pourles substituer aux deux nôtres, pré-cise l’un de ses proches. Devantl’enjeu local, nous avons acceptéde reprendre aussi des marins, et de garder trois navires sur place. »

Une grosse centaine de salariéspourrait par ailleurs s’occuper du Nord-Pas-de-Calais, le ferry que doit conserver Eurotunnel. Au to-tal, cela laisserait environ 270 à 300 salariés sur le carreau, dans un bassin d’emploi déjà sinistré.

Mercredi, la tension est montéed’un cran, quand il est apparuqu’Eurotunnel n’avait, semble-t-il, pas choisi la solution la mieux-disante en matière sociale.Dans un dossier remis mercredi à l’administrateur judiciaire, legroupe britannique P & O a en ef-

fet proposé, lui, de reprendre 350 à 390 personnes. P & O s’est-il montré socialement généreux en sachant que son offre avait déjà été écartée par Eurotunnel, et qu’il n’aurait donc pas à tenir sapromesse ? « Jacques Gounon va devoir s’expliquer », commente Thierry Haxaire, de Forceouvrière (FO).

De nombreuses voix tentent defaire revenir Eurotunnel sur sa dé-cision. Les plus virulents sont les marins de la SCOP SeaFrance.

Déjà en redressement judiciaire,leur PME est vouée à une liquida-tion rapide, son unique contrat, celui avec Eurotunnel, arrivant à échéance le 2 juillet. Le Syndicat maritime Nord, qui tient le con-seil de surveillance de la SCOP, es-saie depuis des mois de monter un tour de table pour racheter les trois navires. Il a obtenu l’aide de la région Nord - Pas-de-Calais, qui se dit prête à débloquer 10 mil-lions d’euros. Mais Eurotunnel aécarté depuis longtemps cette so-

lution mi-publique, mi-privée, qui lui paraît peu crédible, et n’en-tend pas l’examiner de nouveau.« Les promesses d’aides évoquées récemment sont tardives et inuti-les, et ne font qu’entretenir de faux espoirs », a commenté son PDG mercredi.

Les syndicalistes peuvent semontrer d’autant plus combatifs qu’ils ont reçu des appuis inatten-dus. La maire de Calais, la sarko-zyste Natacha Bouchart (Les Répu-blicains, LR), a apporté, mardi, son soutien « aux marins qui bloquent le port », alors même qu’elle est en principe chargée de maintenir l’or-dre public. Pour elle, priorité à la sauvegarde des emplois. Député du Pas-de-Calais, Daniel Fasquelle (LR), a lui aussi demandé à Euro-tunnel de « revoir sa copie ».

Même le secrétaire d’Etat auxtransports, Alain Vidalies, qui s’était fait traiter d’« escroc » et de « bon à rien » lors de sa rencontre d’avril avec les syndicalistes de SeaFrance, a appelé mardi Euro-tunnel à rechercher « d’autres so-lutions » que la vente des deux fer-ries à DFDS.

Le PDG d’Eurotunnel ne semblepas prêt à bouger pour autant. Peu lui importe, visiblement, d’être impopulaire à Calais, tant qu’il a le sentiment d’agir pour le bien de son groupe et de ses actionnaires.Or ceux-ci sont derrière lui : en Bourse, l’action Eurotunnel a grimpé de 43 % en un an. p

denis cosnard

Dans leur lutte

contre

Eurotunnel,

les syndicalistes

ont reçu le

soutien inattendu

d’élus locaux

Manifestation de chauffeurs de taxi, à Bordeaux, le 25 juin. JEAN-PIERRE MULLER / AFP

« Depuis deux ou

trois ans, notre

chiffre d’affaires

baisse de 15 %

par an »

DIDIER HOGREL

président de la Fédérationnationale du taxi

+ 9 %C’est l’augmentation des investissements directs étrangers (IDE) en 2014 vers l’Asie émergente et en développement, selon l’édition 2015 du rapport annuel de la Conférence des Nations unies sur le Commerce et le développement (Cnuced), rendu public mercredi 24 juin. Ces flux de capitaux ont atteint le record de 500 milliards de dollars, la Chine continentale en étant le premier pays bénéficiaire, suivie par Hongkong. La moitié des dix premiers bénéficiaires d’IDE sont des pays en développement. L’Asie s’est aussi affirmée en 2014 comme la première région qui investit dans le monde, devant les pays développés.

DÉFENSEL’Arabie saoudite achète 23 hélicoptères d’Airbus A l’issue de la rencontre du prince héritier Mohammed Ben Salmane, également mi-nistre saoudien de la défense, avec le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, mercredi 24 juin, l’achat de 23 hélicoptères Airbus H145 des-tinés aux missions de police, de gendarmerie et de secours du royaume pour 500 mil-lions d’euros a été officialisé. Parmi les autres contrats en discussion, M. Fabius a an-noncé l’engagement de Riyad d’acquérir 30 patrouilleurs ra-pides afin de « venir complé-ter les capacités des gardes-côtes saoudiens, aujourd’hui confrontés à des menaces croissantes ». Il reste à s’ac-corder sur le prix.

PRÊT-À-PORTERLe bénéfice semestriel de H&M bondit de 19 %Le groupe suédois de prêt-à-porter affiche une très belle santé : il a publié jeudi 25 juin

un bénéfice après impôts de 10,06 milliards de couronnes suédoises (1,09 milliard d’euros) sur la période 1er dé-cembre 2014-31 mai 2015, en hausse de 19 % par rapport à la même période de l’année précédente. Ses ventes ont crû, au pre-mier semestre de son exer-cice décalé, de 23 % à 86,14 milliards de couronnes suédoises (9,33 milliards d’euros). En incluant l’effet de change, le chiffre d’affaires a progressé de 12 %.

AUTOMOBILEToyota rappelle 2,9 millions de véhicules supplémentairesLe constructeur japonais a annoncé jeudi 25 juin le rap-pel de 2,86 millions d’auto-mobiles supplémentaires dans le monde, surtout en Europe, en lien avec les air-bags défectueux de son com-patriote Takata. Sont concer-nés 24 modèles produits entre avril 2003 et décem-bre 2008.

LES DATES

FÉVRIER 2014 Uber lance UberPop, un service de mise en relation avec des par-ticuliers s’improvisant taxis.

SEPTEMBRE 2014 Vote de la loi Thévenoud, censée interdire les activités du type UberPop.

OCTOBRE 2014Condamnation d’Uber à 100 000 euros d’amende pour « pratique commerciale trom-peuse » et assimilation d’UberPop à du covoiturage.

DÉCEMBRE 2014 Le tribunal ne suspend pas Uber-Pop et transmet des questions prioritaires de constitutionnalité sur la loi Thévenoud.

JUIN 2015 La justice relaxe un chauffeur UberPop, jugeant non caractérisé le délit d’exercice illégal de la pro-fession de taxi.

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0123SAMEDI 27 JUIN 2015 débats | 15

¶Nathalie Kosciusko-Morizet est députée de l’Essonne, vice-présidente déléguée des Républicains et présidente de ce groupe au Conseil de Paris.

Au boulot | par selçuk

Pour sauver croissance et emploi, accompagnons la fin du salariat !

par nathalie kosciusko-morizet

L e débat politique se cristallise depuis plu-sieurs années sur la volonté plus ou moinsassumée de mettre un terme à la dualité

des contrats de travail pour ériger à leur place unobjet censé répondre à toutes nos frustrations : lecontrat de travail unique. A cet objet, dont le but serait principalement de mettre un terme à la fracture entre des insiders en CDI et des outsi-ders qui enchaînent des CDD, s’ajoute la rengainede la division par deux, dix, ou même cent de no-tre code du travail, jugé trop gros par rapport à ceux de nos voisins européens. On ne peut que soutenir ces arguments : les entreprises se plai-gnent de la lourdeur du droit du travail et esti-ment qu’il constitue à lui seul un frein à l’embau-che, les salariés lorgnent jalousement vers le CDI,le Graal, alors que 86 % des embauches se font ence moment en CDD en France.

Pourtant, pendant que les politiques rivali-sent de propositions sur le contrat de travail unique, une dynamique alternative traverse les esprits, prônant la fin du salariat comme mode de travail majoritaire. Le glissement progressif du salariat vers d’autres modes de travail est latraduction ultime de la nouvelle force qui sous-tend l’économie : la liberté. Associée à la techno-logie, qui automatise, spécialise, professionna-lise, réduit les distances et « ubérise » les proces-sus, l’envie de liberté conditionne aujourd’huiles nouvelles relations au travail.

Je n’idéalise pas la situation. Il s’agit parfoisd’un choix forcé. Comme pour certains quadrasou quinquas qui, après une longue expérience du salariat et la perte de leur emploi, se lancent dans une nouvelle carrière d’indépendant. Plu-sieurs chemins, volontaires ou subis, enthou-siastes d’emblée ou contraints d’abord, condui-sent à ces nouveaux modes de travail. Mais, de toute façon, le fait est là : il existe un mouvementprofond, puissant, croissant, de remise en cause du salariat comme modèle dominant.

Autrement dit, la question n’est pas de savoir sicette mutation est souhaitable ou si elle ne feraque des gagnants. C’est une réalité, poussée parun besoin des entreprises, un mouvement tech-nologique, mais aussi un désir générationnel quitend vers toujours plus d’indépendance. Notre rôle en tant que politiques n’est pas de contester ou d’approuver cette dynamique, mais bien de créer les conditions pour que cet élan soit anti-cipé et accompagné, notamment en termes de protection sociale.

Le contrat de travail est un objet de subordina-tion uniforme, normé, renvoyant à des fiches de poste, des tâches, des horaires que toute per-sonne doit accepter si elle prétend être un salarié.La durée légale du travail est une norme que toutle monde s’attache à contourner, par le truche-ment des heures supplémentaires (payées ou non), par les congés imposés, par les horaires dé-calés. Ce monde de contraintes collectives est en train d’évoluer sous nos yeux.

Le principe de subordination n’est plus adaptéà la réalité économique. C’est une révolutionmanagériale, qui s’adapte de façon élastique auxbesoins ponctuels de l’entreprise. Le mariage en-tre l’employeur et le salarié n’est plus un chemindéterministe que seule la retraite peut rompre.De nombreuses start-up refusent de répliquer les modèles de subordination de leurs aînés. C’est une tendance sociétale, portée par les géné-rations Y et Z, qui sont les nouveaux patrons d’industrie.

Au-delà du salariat se trouve un monde où cha-cun à un service à offrir : je suis comptable, une entreprise recherche ma compétence, je négocie de gré à gré avec elle une mission de cinq mois, trois ans, quatre jours sur un pied d’égalité. J’ai une entreprise de graphisme, je décide de mu-tualiser mes fonctions de communication avec la start-up de vélos électriques qui partage mes

locaux, et nous commandons ensemble une prestation. On passe de l’économie du produit à l’économie de l’usage, et le travail n’est pas épar-gné par ce mouvement : on recherche une com-pétence pour un projet ponctuel comme on cherche un covoiturage, sans engagement, par pur pragmatisme.

L’économie collaborative doit nous guiderdans notre réflexion sur l’effacement du salariat. Les générations Y et Z n’aspirent pas à appartenirà une entreprise, ils souhaitent faire partie d’un clan d’experts, partager entre eux leurs connais-sances, démultiplier leurs champs d’interven-tion. Ils sont fidèles et utilitaristes, pensent par projet, refusent de transiger : ce sont les nou-veaux capitalistes.

UN PARADIGME DÉSUETCe mouvement, qui suppose à moyen terme quechacun devienne un agent économique libre de négocier pour lui-même ses missions, de définir ses règles du jeu, nous appelle à sortir de notreparadigme désuet, avec l’entreprise qui fixe ses règles et le salarié qui rêve de les contourner. Le modèle britannique est précurseur : le self em-ployment y représente aujourd’hui 15 % de l’em-ploi total, contre 7 % en 1966.

Le salariat n’a pas toujours été la norme. Il estprobable qu’il gardera une place importante dans notre modèle économique. Mais un autre système, contractuel, individualisé, pragmati-que, est possible pour celles et ceux qui le dési-rent. Les contrats ne seront pas normés, car cha-que négociation se fera de gré à gré. On pourra of-frir ses services à plusieurs employeurs, avec unmême contrat. Les droits sociaux seront des droits de citoyens, associés à une protection so-ciale attachée à l’individu, indépendante de l’en-treprise. Le régime social des indépendants de-vra à ce titre être profondément réformé. L’orga-nisation du travail dans les entreprises connaîtraaussi de fortes mutations.

C’est la liberté de tous ceux qui font l’entre-prise, du plus haut au plus bas de l’échelle, qui la fera évoluer vers des sources de croissance et stopper les carcans qui étouffent aujourd’hui l’emploi en France. Nos débats actuels sur le con-trat de travail ont un temps de retard. Pour prépa-rer l’avenir et le retour de la croissance économi-que, le politique doit prendre acte que la liberté est le nouvel aiguillon du marché du travail. p

Un autre mouvement profond et prometteur traverse les esprits des salariés et des employeurs : celui de la fin du salariat comme mode de travail majoritaire

Alors que la droite prône le contrat unique et que le gouvernement veut réformer les prud’hommes, suffirait-il de casser la « rigidité » et la « lourdeur » supposées du code du travail pour retrouver la croissance ?

Faut-il réformer le droit du travail ?

Préservons un système qui protège les employés

par emmanuel dockès

L e labor law bashing, soit la critique férocedu droit du travail, est tellement ten-dance ! Ce vieux truc qu’est le droit du tra-

vail ne serait qu’un ramassis obèse de choses ar-chaïques, complexes et dépassées. Il serait la cause de tous les maux et en particulier du chô-mage. Décapitons-le !

Quoique aucun lien entre protection des tra-vailleurs et taux de chômage n’ait jamais pu être démontré, ce refrain est ancien et efficace. Il a déjà permis d’importantes régressions. Beau-coup de salariés ne savent même plus quel sera leur emploi du temps d’une semaine sur l’autre, parfois d’un jour à l’autre. Les limitations du temps de travail sont truffées d’exceptions. L’ex-ternalisation de la main-d’œuvre se voit ouvrirrégulièrement de nouveaux cadres. La protec-tion de la stabilité de l’emploi qu’offrait le droit du licenciement est en chute libre. Et il convient d’accélérer les « réformes », autrement dit les at-teintes aux droits des salariés.

Deux discours principaux et contradictoiresenveloppent ce programme inquiétant d’un voile de pseudo-rationalité. Le premier discours est celui de la fin du travail subordonné. L’évolu-tion de la nature des tâches et celle des organisa-tions productives pousseraient les travailleurs àêtre désormais self employed, moins dépen-dants, plus libres. Les vieilles protections se-raient ainsi devenues archaïques ou inutiles. Cette remise à jour de la vieille pensée, très XIXe siècle, du contrat de travail entre égaux n’est, hélas, qu’une contre-vérité.

Les temps sont durs et la subordination n’estpas en voie de résorption, bien au contraire. La part de l’emploi non salarié est stable à un niveautrès bas. Le chômage de masse et la crise de la syndicalisation ont plutôt placé les travailleurs dans une situation de faiblesse accrue. Depuis la fin des années 1980, la gestion et l’évaluation despersonnes se sont fortement individualisées. Certains types de contrôles, notamment par les technologies de l’information et de la communi-cation (TIC), se sont banalisés. Et les temps pro-fessionnels et personnels sont plus poreux que jamais. Tous ces facteurs et quelques autres ont

produit une subordination plus précise, plus in-vasive, en droit comme dans la pratique. Cette évolution regrettable devrait imposer la recher-che de protections mieux adaptées. Au lieu de quoi, le pouvoir est nié, masqué, minoré. Ce qui lui permet de mieux se répandre. Comme le di-sait Baudelaire, « la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas ».

Le deuxième discours est peut-être plus dange-reux encore puisqu’il s’appuie, lui, sur une réa-lité : celle de la complexité. Le droit du travail s’estgonflé de milliers de règles redondantes, abscon-ses et contradictoires. Le constat de l’inflation lé-gislative peut tout aussi bien être fait à propos dudroit commercial, du droit de la santé et même du code de la route. Il demeure que la lourdeur juridique du code du travail est une réalité déplo-rable, pour les employeurs comme pour les sala-riés, et que toute clarification serait bienvenue. Mais il convient de ne pas confondre œuvre de clarification et œuvre de destruction.

DES ACQUIS MUTILÉS ET RÉDUITSOr cette confusion se banalise dangereusement. De manière symptomatique, deux auteurs pour-tant classés à gauche, MM. Robert Badinter et An-toine Lyon-Caen, ont récemment poussé le mé-lange des genres plus loin que personne avant eux n’avait osé le faire. Dans un petit opuscule (Le Travail et la loi, Ed. Fayard, 2015), ces deux émi-nents juristes défendent un droit du travail cons-truit pour défendre la « liberté d’initiative de l’en-trepreneur », son « pouvoir de soumettre les sala-riés » et l’« efficacité » de l’« organisation produc-tive ». Il n’est plus question de protection des faibles, ni de cohésion sociale, ni de lutte contre les inégalités, ni de préservation de la paix. Ce droit du travail mutilé dans son esprit peut être réduit dans sa teneur.

Pour les PME, selon ces auteurs, le code du tra-vail « pourrait, dans une large mesure, être cir-conscrit » à une cinquantaine de principes, les-quels seraient les « poutres maîtresses », le « noyau dur » du droit du travail en général. Lesprincipes retenus par les auteurs ne compren-nent plus le droit de grève, ni l’obligation de sécu-rité de résultat de l’employeur. L’entretien préa-lable au licenciement devient facultatif. Le smic n’est pas mentionné. Le principe de faveur est abandonné. Aucune référence n’est faite aux trente-cinq heures, ni même aux quarante heu-res. Celles-ci sont remplacées par la libre fixationd’une « durée normale » du travail par conven-tion collective. Les durées maximales du travail elles-mêmes peuvent être accrues par conven-tions collectives, sans que les auteurs évoquent de limite supérieure impérative. Ces cinquante principes ne sont pas les « poutres maîtresses »du droit du travail. Ce sont au mieux les cendres de ces poutres.

Avec un tel programme de simplification par lefeu, au lieu du consensus espéré, les auteurs n’ont jusqu’ici bénéficié que de l’appui marqué de Pierre Gattaz, président du Medef. Le gouver-nement a, lui, adopté une position prudente et renvoyé, pour de futures réformes, aux conclu-sions de la commission Combrexelle, qui doi-vent être rendues en septembre 2015. L’inquié-tude est toutefois de mise, d’autant que l’un des auteurs susvisés, Antoine Lyon-Caen, est aussi membre de cette commission.

En un temps où les inégalités ne cessent decroître, le rappel du Royaume-Uni des années 1980, de l’Australie des années 1990 ou plus ré-cemment de l’exemple grec permet d’imaginer ce qu’une destruction abrupte du droit du travailpourrait produire en France. La simplification d’un code du travail pléthorique serait utile, même s’il est ridicule de compter sur elle pour ré-soudre la dramatique question du chômage. Mais elle ne devrait être tentée qu’avec prudence,dans le souci d’un renforcement des protections essentielles des travailleurs. Or telle n’est pas la voie dans laquelle nous sommes, aujourd’hui, engagés. La destruction des protections du droit du travail est, plus que jamais, à l’ordre du jour. p

Entre ceux qui veulent réformer le code du travail et ceux qui surfent sur l’idée de fin de l’emploi subordonné, on risque la destruction de notre édifice

¶Emmanuel Dockès est professeur de droit du travail à l’université Paris-Ouest-Nanterre.

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4 | économie & entreprise SAMEDI 27 JUIN 2015

0123

UberPop :l’étroite marge de manœuvre du gouvernementAucune décision de justice n’a pour l’instant interdit ce service qualifié d’ « illégal » par M. Hollande

Si on avait voulu mettre enscène l’impuissance del’Etat, on ne s’y serait paspris autrement. Jeudi

25 juin, pendant que quelques manifestations de taxis étaient lethéâtre d’incidents violents, Ber-nard Cazeneuve (ministre de l’in-térieur) à Paris, le premier minis-tre, Manuel Valls, à Bogota (Co-lombie), et le président FrançoisHollande depuis Bruxelles, ont àl’unisson rappelé que le service

UberPop était « illégal » et qu’il « devait être fermé ». Le lende-main, la société américaine Uberorganisait à Paris deux sessionsd’information/recrutement pour les Franciliens qui souhaitent de-venir chauffeur UberPop.Comme si de rien n’était…

Près de 3 000 chauffeurs detaxi, soit un peu moins de 6 % destaxis déclarés, ont lancé jeudi desopérations dans toute la France.Mais le blocage des accès de l’aé-roport Roissy - Charles-de-Gaulle, et certains blocus, comme à la porte Maillot, à Paris,ont donné lieu à des actes d’uneviolence incroyable. Selon le mi-nistère de l’intérieur, dix person-nes ont été interpellées, sept po-liciers ont été blessés et soixante-dix véhicules ont été dégradés aucours de cette journée.

Aucune jurisprudence

La principale revendication des syndicats de taxi porte sur l’inter-diction d’UberPop. Ce servicelancé en France, en février 2014, par la société américaine Uber adéjà conquis plus de 400 000 uti-lisateurs. Au moyen d’une appli-cation gratuite sur un smart-phone, UberPop met en relationles clients avec des particuliers qui s’improvisent chauffeurs detaxi avec leur véhicule de tous les jours. Sans avoir besoin d’investir dans une licence de taxi et sans lescontraintes réglementaires impo-sées aux véhicules de transport avec chauffeur (VTC), UberPop est en mesure de proposer des tarifssouvent deux fois moins chers.

Depuis plus de six mois que legouvernement proclame l’illéga-lité de ce service, aucune décision de justice n’est venue aujourd’hui l’interdire. La loi du 1er octobre prévoit la condamnation des per-sonnes qui organisent la mise en relation de clients pour un serviceassuré ni par des taxis ni par desVTC à « deux ans de prison et300 000 euros d’amende ».

Cette activité n’ayant qu’un and’existence, aucune jurispru-dence établie ne permet aux tri-bunaux d’agir vite. Ainsi, la cour d’appel de Paris qui devait se pro-noncer sur la demande de sus-pension d’UberPop a décidé, le31 mars, de surseoir à statuer, en attendant que le Conseil constitu-tionnel se prononce sur l’articlede la loi définissant ce délit.Aucune décision de justice ne pourra intervenir sur ce point avant le dernier trimestre.

Le gouvernement, qui s’est ma-nifestement laissé surprendrepar la virulence du mouvement de jeudi, se devait de donner des gages sans attendre la justice. A

l’issue d’une réunion qui s’est te-nue jusque dans la soirée placeBeauvau, en présence de BernardCazeneuve, d’Alain Vidalies, se-crétaire d’Etat aux transports, etdes organisations de taxis, le tons’est apaisé.

M. Cazeneuve a demandé aupréfet de Paris de prendre un ar-rêté interdisant UberPop. En soit,cela ne change pas grand-chose puisque les préfets de Gironde etdu Nord ont déjà pris au prin-temps des arrêtés en ce sens, etles Bordelais comme les Lilloispeuvent toujours rouler en Uber-Pop. « L’arrêté va demander auxforces de l’ordre de procéder à lasaisie du véhicule à titre conserva-toire en cas de flagrant délit », as-sure un conseiller du ministre del’intérieur qui précise que la garde des sceaux « a envoyé une instruction aux procureurs » afind’agir en ce sens. En cas de fla-grant délit, la police devra alorsalerter le procureur qui pourraautoriser cette saisie conserva-toire. Seul un tribunal pourra ul-térieurement prononcer la con-

fiscation du véhicule.Cette volonté de tout mettre en

œuvre pour décourager les chauf-feurs UberPop, à défaut de pou-voir sanctionner la société Uber, est saluée. L’Union nationale desindustries du taxi, l’une des prin-cipales organisations, a affirmé que « le climat de confiance a étérétabli » et a appelé à une reprise du travail des chauffeurs. La Chambre syndicale des artisansdu taxi a également appelé ven-dredi à la « levée du blocus ».

Sur RTL vendredi 26 juin, M. Ca-zeneuve a annoncé avoir déposéune plainte contre les dirigeantsd’Uber pour incitation à des acti-vités illégales. Une procédure quisera nécessairement longue et

qui n’entravera pas la stratégied’Uber qui intègre les frais de jus-tice et les amendes dans sescoûts de développement.

Il est d’ailleurs probablequ’Uber dédommage ses chauf-feurs dont le véhicule serait saisiou confisqué. Jusqu’ici, dans lescentaines de procédures enga-gées contre des chauffeurs Uber-Pop à la suite de contrôles de po-lice, Uber a systématiquementremboursé les amendes et payéles avocats.

Alors que « les taxis de rue, nonaffiliés à une centrale, ont proba-blement perdu 30 % de leur chiffred’affaires depuis un an », estimeSerge Metz, le PDG des Taxis G7, la question est de savoir combiende temps ils vont patienter en at-tendant que le gouvernementparvienne à l’interdiction effec-tive de ce concurrent « illégal ».Une première rencontre entre leministre de l’intérieur et Thi-baud Simphal, le directeur géné-ral d’Uber France, devrait être prochainement programmée. p

jean-baptiste jacquin

Manifestation de chauffeurs de taxis à Paris, le 25 juin. LOÏC VENANCE / AFP

Uber intègre les

frais de justice

et les amendes

dans ses coûts de

développement

LES CHIFFRES

55 000taxis sont enregistrés en France, dont 17 700 à Paris, un chiffre stable.

2 800chauffeurs ont pris part aux ma-nifestations du jeudi 25 juin, se-lon l’AFP.

400 000Nombre d’« utilisateurs régu-liers » en Ile-de-France revendi-qué par UberPop, un an après son lancement, et un million avec ses services de VTC.

44 Valorisation en milliards euros d’Uber.

Europcar fait ses premiers pas en BourseEurazeo a introduit sur le marché parisien, vendredi, plus de 50 % d’actions du loueur de voitures pour un montant de 404 millions d’euros

V endredi 26 juin, Europcara fait son entrée à Euro-next. Eurazeo, son pro-

priétaire depuis 2006, a mis sur lemarché plus de 50 % des actions àun prix de 12,25 euros l’unité. « C’est une opération à 879 mil-lions d’euros, dont 475 millionsd’euros d’augmentation de capital,et 404 millions de cessions d’ac-tion », précise avec satisfaction Philippe Germond, le PDG de l’en-treprise pour qui la Bourse est une première. Eurazeo pourra vendre encore pour 132 millions d’euros d’actions s’il le souhaite.

Le premier loueur européen(1,9 milliard d’euros de chiffre d’af-faires en 2014) est valorisé à 1,75 milliard d’euros, net de la dette, soit 250 millions d’euros de plus qu’anticipé par les analystes. Quel chemin pour Europcar, lancé ini-tialement par Raoul-Louis Mattei en 1949. En 1970, il passe dans le gi-ron de Renault, avant d’atterrir en 1988 dans celui de la Compa-gnie des wagons-lits, qui fera en-trer Volkswagen dans le capital. En 1999, l’allemand rachète la tota-lité du loueur, avant de le céder sept ans plus tard à Eurazeo pour 3 milliards d’euros, dont 1,8 mil-

liard de dettes. A l’époque, l’entre-prise détenait 26 % du marché européen, aujourd’hui, sa part est de 19 %…

Repartir à la conquête

La valeur d’Europcar est passée en neuf ans de 1,2 à 1,75 milliard d’euros. Et la dette, prévue avantl’opération à 600 millions d’euros fin 2015, devrait fondre grâce à l’in-troduction en Bourse et l’augmen-tation de capital. « Cette opération va donner les moyens d’accélérer notre développement, ainsi que no-tre plan de transformation lancé en 2012, assure Philippe Germond. Nous prévoyons 3 % à 5 % de crois-sance organique sur la période 2015-2017, pour un marché en pro-gression de 2 % à 3 %. »

La restructuration financière dela société va lui donner les coudéesfranches pour repartir à la con-quête. « Il n’y aura pas d’acquisitiontransformante, mais il pourrait y avoir des acquisitions ciblées qui permettront de renforcer notre em-preinte géographique ou de com-pléter notre offre, poursuit le PDG. Nous sommes également intéres-sés par les nouveaux services de mobilité. Nous détenons déjà 25 %

de Car2Go Europe, l’offre d’autopar-tage de Daimler, et un peu plus de 70 % d’Ubeeqo, leader de l’autopar-tage sur le marché des entreprises. »Grâce à l’entrée en Bourse, Europ-car dispose de 80 millions d’euros à investir pour des acquisitions ou des partenariats stratégiques.

A l’image de ses concurrents dusecteur, comme Avis qui s’est of-fert Zipcar ou Enterprise qui a ra-cheté le service d’autopartage IGO,Europcar ne veut plus se canton-ner à la seule location de voiture. « Nous évoluons d’un modèle de loueur, qui est déjà une forme d’autopartage, à celui de fournis-seur de services de mobilité. Avec l’augmentation du coût de posses-sion des voitures, nous sommes convaincus que l’ensemble de ces services ont un grand avenir. »

Quant aux services de locationentre particuliers, comme Drivy ou OuiCar, le patron d’Euro-pcar botte en touche. Le chiffre d’affaires de ce secteur naissant re-présente moins de 1 % de celui de la location en France, estimée à 2 milliards d’euros. « Ce sont des services distincts, pas concur-rents », dit-il. p

philippe jacqué

L'HISTOIRE DU JOUR

Grâce à la SNCF, Ouicar fait une queue de poisson à Drivy

C’ est la réponse du berger à la ber-gère. Ouicar, la start-up pionnièrede la location de véhicules entre

particuliers – lancée dès 2009 sous le nom deZilok Auto –, a répondu jeudi 25 juin au leaderdu marché, Drivy. Moins d’un mois après l’augmentation de capital de 8 millionsd’euros et le rachat de divers concurrentsfrançais et allemands par ce dernier, Ouicar aannoncé une augmentation de capital de 28 millions d’euros. En 2012 et 2014, l’entre-prise avait déjà levé 4,5 millions d’euros.Aujourd’hui, c’est la SNCF – déjà présente àson capital, via le fonds Ecomobility Ventures– qui investit cette somme. Du même coup, legroupe public achète 75 % du capital.

La start-up, qui espère être à l’équilibreen 2017, est ainsi valorisée à plus de 37 mil-lions d’euros, pour un chiffre d’affaires pro-pre estimé actuellement à quelque 2 millionsd’euros.

Pour la SNCF, cet investissement rentredans la stratégie du « porte-à-porte » qu’elle entend développer d’ici à 2020. « La SNCF estun connecteur de mobilité, expliqueGuillaume Pepy, son président. Nous ne pro-posons pas seulement des trajets de train,mais une suite de solutions de mobilité. »

En plus du train ou du bus longue distance,la SNCF offre désormais toute la palette des services complémentaires : voiture avec chauffeur, taxi, covoiturage (iDVroom), véhi-cule d’autopartage (en partenariat avec Zipcar ou Wattmobile) ou location de voiture tradi-tionnelle (Avis) ou entre particuliers (Ouicar)…

Pour Ouicar, « la SNCF est une opportunité

d’améliorer la visibilité du service de notre plate-forme de marché, explique Marc Si-moncini – cofondateur de Ouicar avec Ma-rion Carrette –, aujourd’hui à la tête du fondsJaïna Capital. Pour réussir sur ce marché, ilfaut attirer un maximum de propriétaires devéhicules. Et offrir le service le plus fluide pos-sible. Avec les moyens apportés par la SNCF,Ouicar pourra améliorerson offre et renforcer sonrôle de leader du marché. »

D’ici à 2018, les nou-veaux moyens doiventpermettre à Ouicar d’atti-rer les propriétaires de100 000 véhicules.Aujourd’hui, avec 20 000véhicules, 400 000 mem-bres et 500 000 journéesde location cette année, lastart-up connaît une croissance à trois chif-fres. L’argent servira donc à accompagner son développement, en recrutant 25 person-nes d’ici à 2016. Les effectifs devraient attein-dre 45 personnes.

« Ensuite, nous avons plusieurs axes de déve-loppement, explique Marion Carrette. Outre l’amélioration de notre outil et l’étude d’une ex-pansion internationale, nous étudions plu-sieurs marchés, comme marier l’offre de par-king et la location entre particuliers notam-ment avec Effia, la filiale de la SNCF gestion-naire de taxis. » Sur ce marché, pléthore d’acteurs se sont déjà lancés comme Tripn-drive, TravelerCar ou… Drivy. p

ph. j

LA START-UPA ANNONCÉ UNE AUGMENTATION DE CAPITAL DE 28 MILLIONS D’EUROS

Page 31: Des émirats à la conquête du ciel - Supconcours · Le principal volet des mesures an-noncé mardi porte sur les indem-nités prud’homales en cas de licen-ciement contesté. Le

0123MARDI 30 JUIN 2015 économie & entreprise | 3

Périls sur la zone euroLes banques grecques sont fermées jusqu’au 6 juillet et les retraits limités à 60 euros par jour et par personne

suite de la première page

Quelles sont les marges de manœuvre des différents ac-teurs ? Le Grexit peut-il être en-core éviter ? Quels sont les périls de la semaine à venir ? Tour d’ho-rizon des questions que la crise grecque soulève.

Bruxelles lance sa « campagnede vérité » en Europe, la Franceespère encore un accord Cer-tains, notamment à Paris, espé-raient encore lundi matin le re-tour à la table des négociations deTsipras, et peut-être, la tenue d’unsommet en urgence de la zoneeuro dans la semaine pour con-clure un accord, avec cette fois, une discussion – réclamée depuis des mois par Tsipras –, sur la ques-tion de l’allégement de la dette grecque. « Il faut qu’on continue à discuter. Pour la Commissioneuropéenne, la porte des négocia-tions est toujours ouverte », a dé-claré M. Moscovici sur RTL

Pour qu’une telle séquencefonctionne, il faudrait d’abord que le gouvernement grec re-vienne très vite à la table des né-gociations, et qu’il appelle à voter « oui » à un accord pour le réfé-rendum. Dans l’entourage deJean-Claude Juncker, le ton était différent. « Tsipras a fermé encore une porte hier soir lors de son allo-cution télévisée, en ne revenantpas sur son appel à voter “non” à l’accord », explique une sourceeuropéenne. « Un sommet euro-péen est très improbable ».

M. Juncker devait cependant,lundi dans la journée, lancer une « campagne de la vérité », pour « vendre » aux Grecs l’accord qui était proposé à Tsipras. Un draftde l’accord a d’ailleurs été publiéen grec sur le site de la Commis-sion, dimanche. M. Juncker devaitaussi souligner que cet accord, s’ilétait accepté en Grèce, s’accompa-gnerait d’un package financierd’environ 15 milliards d’euros de prêts. Et que Bruxelles est en outre prête à débloquer des mon-tants considérables, en fonds structurels, pour le pays (35 mil-liards d’euros, d’ici 2020), dont près d’un milliard dès 2015. M. Ju-nker devait expliquer que si Athè-nes avait signé l’accord, ses parte-naires européens auraient été prêts à discuter, sous conditions,de l’épineuse question de la rené-gociation de la dette, quand Tsi-

pras demande depuis des semai-nes un engagement formel sur ce sujet.

Pour les dirigeants européens,aujourd’hui, le seul moyen d’évi-ter le Grexit reste que les Grecs vo-tent « oui » massivement.

Les dirigeants européens prêtsà renforcer la zone euro C’est le souci principal des dirigeants européens : éviter qu’une crise fi-nancière et bancaire en Grècecontamine le reste de la zone euro. C’est ce dont ont discuté les ministres des finances en format « 19 moins 1 » (Yanis Varoufakis ayant quitté l’Eurogroupe suite à la rupture des négociations), àBruxelles, samedi soir. Les ban-ques européennes sont très peuexposées aux obligations grec-ques, depuis qu’elles ont accepté en 2012 d’effacer une grosse partiede leur créance sur Athènes. Mais,en Bulgarie, en Roumanie, à Chy-pre, des filiales de banques hellè-nes pourraient être victimes de rapatriement de liquidités à leurs maisons mères, ce qui mettrait enrisque leurs clients. La Commis-sion aurait donné son feu vert àces pays pour que, dans les heuresou les jours qui viennent, ils déci-dent d’une limitation des flux de capitaux.

Les dirigeants européens pour-raient par ailleurs communiquer pour dire que, même sans laGrèce, la zone euro sera préser-vée. C’est d’ailleurs en prévision de ce scénario catastrophe que M. Juncker, président de la Commis-sion, Donald Tusk, président du Conseil, Jeroen Dijsselbloem et Mario Draghi pour la BCE ont pu-blié, en début de semaine der-nière, leur « plan » pour une plusgrande intégration de l’Unionmonétaire.

Soixante euros par jour et parGrec En instaurant des barrières– les retraits aux distributeurs

sont limités à 60 euros par jour et par personne –, le gouvernement grec espère mettre un terme à la fuite des dépôts qui menace la sol-vabilité des banques : depuis2010, plus de 80 milliards d’euros ont quitté le pays !

Des économistes jugent néan-moins que la mise en place d’un contrôle des capitaux intervienttrop tard, tant les établissements sont affaiblis. En cas de faillite probable, le superviseur bancaireeuropéen, logé au sein de la BCE, pourrait retirer sa licence ban-caire à l’établissement concerné. Mais la gestion à proprement par-ler de la faillite incomberait à la banque centrale de Grèce.

Lourd impact pour la vie quoti-dienne L’instauration du con-trôle des capitaux aura un impact direct sur le quotidien des Grecset l’économie, car la limite des re-traits bancaire est très basse. A Chypre, où le contrôle des capi-taux a été instauré en mars 2013, elle était de 300 euros. Même si les Grecs ont largement anticipé la mesure en mettant du cash de côté, les paiements au jour le jour,habituellement en liquide, de-viendront problématiques. Lestouristes, eux, ne sont pas concer-nés par ces limitations, a indiqué le gouvernement.

Ce sont surtout les PME, déjà af-fectées par la pénurie de crédit, qui souffriront : leurs fournis-seurs exigent souvent des paie-ments en espèces, avant la livrai-son… Or, plus le contrôle des capi-taux dure dans le temps, plus il risque de pénaliser la reprise. « Ce genre de mesure décourage les in-vestisseurs étrangers, qui veulent éviter que leurs fonds se retrouventbloqués dans le pays », explique M. Dor.

Mais l’économie grecque nepourra pas se passer d’investisse-ments étrangers pour se relever.

Le non-paiement du FMI du30 juin aura peu de conséquen-ces directes Il est désormais quasicertain qu’Athènes ne sera pas en mesure de rembourser les 1,6 milliard d’euros qu’elle doit au FMI le 30 juin. En théorie, le défautde paiement ne serait pas notifié officiellement par le fonds avantle 30 juillet, ce qui offrirait un peude temps en plus pour les négo-ciations. La directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a néan-

moins laissé sous-entendre que laGrèce ne bénéficierait peut-être pas de ce délai.

Dans tous les cas, cet « accidentde paiement » devrait avoir peud’impact, car le FMI est considéré comme un créancier à part. Les agences de notation ont déjà fait savoir qu’elle ne dégraderait pas lanote du pays.

La zone euro ne va pas s’effon-drer sous nos yeux Malgré les craintes de Grexit, la zone eurotiendra bon. D’abord, parce que les dirigeants politiques dans leurensemble s’y sont engagés. En-suite, parce que la crise d’aujourd’hui, aussi dramatique soit-elle, est circonscrite à la Grèce, alors qu’en 2010 et 2012,l’ensemble des pays « périphéri-ques » de la zone euro étaientdans la tourmente : Irlande, Espa-gne, Portugal, Italie.

Les conséquences à long termepour la zone euro sont en revan-che bien plus incertaines. La crise grecque pourrait mettre un coup d’arrêt à l’intégration commu-nautaire et à la construction de l’union monétaire, qui ne serait

dès lors plus perçue comme irré-versible.

Défaut de paiement ne veut pasforcément dire Grexit Surtout s’il reste limité au FMI. Mais si la Grèce échoue à rembourser les 3,5 milliards d’euros qu’elle doit à la BCE le 20 juillet, sans que les né-gociations n’aient progressé d’un pouce, Athènes se retrouvera à court de liquidité. Pour continuer à payer les fonctionnaires et verserles retraites, le gouvernement grecserait dès lors contraint d’impri-mer une ou plusieurs monnaies parallèles. Une forme de Grexit.

La Grèce risque de plonger dansl’instabilité politique L’inter-ruption des négociations et les di-visions au sein de la majorité vont-elles plonger la Grèce dans lechaos, comme le redoutent cer-tains à Bruxelles ? Tout le week-end, la rumeur d’une éventuelle démission du président de la ré-publique, ce qui aurait de fait pro-voqué des élections et stoppé net le processus du référendum, a couru à Athènes. Mais lundi ma-tin, ce scénario était qualifié d’ab-surde par des sources proches duprésident. La détermination du gouvernement Tsipras de mener à terme la consultation populaire semblait intacte.

Les questions et scénarios politi-ques sur « le jour d’après » étaient àla Une de toute la presse. Le princi-pal parti d’opposition (Nouvelle Démocratie-ND) estime qu’en cas de « oui » massif à l’accord des créanciers, Tsipras n’aurait d’autre choix que de démissionner.

« Comment pourrait-il gouverner etappliquer un accord qu’il aura com-battu de toutes ses forces ? », se de-mande-t-on à la ND, qui appellera dans ce cas soit à de nouvelles élec-tions, soit à la formation d’un gou-vernement d’Union Nationale sans élections, ce que la constitu-tion prévoit. Tsipras n’est cepen-dant en rien obligé de renoncer à son mandat. « Nous respecterons lavolonté du peuple », martèle-t-il de-puis vendredi.

« Que le gouvernement reste ounon après n’est pas la questionpour nous », tempère le député Haris Theoharis d’un autre parti d’opposition, To Potami. « L’im-portant c’est d’obtenir un OUI au référendum car Si le NON à l’accorddes créanciers devait l’emporteralors quoi ? On reprend le chemindes négociations forts de notre nouvelle légitimité démocratique ?Et après ? On se heurtera aux mê-mes objections des créanciers et Tsipras nous dira encore que l’Eu-rope veut nous humilier et nousdemandera de rester en dehors del’eurozone ».

Pour l’instant, le gouvernementrefuse d’ouvrir son jeu sur ce qu’ilfera au lendemain du référen-dum. « Tout dépendra des résul-tats » estimait ce week-end le mi-nistre de l’intérieur Nikos Voutsis.Mais Tsipras a répété à maintes re-prises qu’il ne souhaitait pasd’élections anticipées : ce premiergouvernement de la gauche en Grèce ne doit pas se résumer àune courte parenthèse. p

adéa guillot,

marie charrel

et cécile ducourtieux

« Cette crise est un test cardinal pour l’union monétaire »Jean Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, estime que l’Eurogroupe s’est montré « trop rigide » avec le gouvernement grec

ENTRETIEN

P our Jean Pisani-Ferry, com-missaire général de FranceStratégie, organe de ré-

flexion rattaché à Matignon, le ris-que d’une sortie de la Grèce de la zone euro comme celui d’une sor-tie du Royaume-Uni de l’Union européenne mettent en péril l’in-tégration communautaire.

Les négociations entre Athènes et ses créanciers sont au point mort. L’Eurogroupe s’est-il montré trop ferme avec la Grèce ?

Je dirais plutôt qu’il s’est montrétrop rigide. Il a commis deux er-reurs. La première est d’avoir voulu séparer les négociationssur l’adaptation du plan d’assis-tance en cours à d’éventuelles fu-tures discussions sur l’allégementde la dette.

On a perdu des mois à négociersans parler de l’éléphant qui était dans la pièce d’à côté. Ce n’était pastenable, puisque la question de la dette est une priorité pour Athè-

nes Par ailleurs, les discussions se sont encore une fois concentrées sur l’ajustement budgétaire, et ontmoins porté sur les enjeux écono-miques comme la lutte contre les rentes, pourtant essentielle. Le gouvernement grec, qui a toute sa part de responsabilité dans cette affaire, et l’Eurogroupe ont échouéalors qu’un recalibrage intelligent du programme aurait permis d’y intégrer les nouvelles priorités po-litiques.

Même si l’on en ignore encore l’issue, quelles conséquences lacrise grecque peut-elle avoir sur la zone euro ?

Cette crise est un test cardinalpour l’union monétaire. Aujourd’hui, deux grandes vi-sions s’affrontent sur le sujet.Pour certains, notamment en Eu-rope du Nord, la confiance dans lamonnaie dépend avant tout du respect des règles communes : sila Grèce les piétine, l’euro est me-nacé. Il faut donc trancher :comme disent les Allemands,mieux vaut une fin effrayante

plutôt qu’un effroi sans fin.Pour d’autres, notamment en

France, une sortie de l’euro mine-rait la confiance dans la monnaie, puisque celle-ci ne serait plus vue que comme un arrangement ré-versible. La difficulté est qu’il y a une part de vérité dans chacune deces deux interprétations.

Quel serait le coût d’une sortie d’Athènes de l’euro pour l’union monétaire ?

Il faut distinguer le choc à courtterme sur les marchés financiers, avec le risque de contagion qu’il comporterait, et l’impact plus per-manent. A court terme, la zone euro est mieux équipée qu’en 2012pour faire face, notamment car la Banque centrale européenne (BCE)dispose de l’OMT [le programme des « opérations monétaires sur ti-tres »] : elle serait en mesure de ra-cheter massivement et de façon il-limitée des titres de dette publi-que, afin de mettre à l’abri les autres pays qui pourraient être at-taqués. Cela ne veut pas dire que ceserait facile. A long terme, le risque

serait que le regard que tous les ac-teurs portent sur la monnaie euro-péenne change. Celle-ci risquerait de n’être plus vue comme une construction politique, mais comme un super-système de taux de change fixe dont on aurait ap-pris, très concrètement, comment il peut être dénoué.

Pour éviter de valider cette dan-gereuse vision des choses, il seraitdès lors indispensable de franchir rapidement un pas ambitieuxdans l’intégration, en particulier par un partage plus poussé desrisques financiers, ou même uncouple eurobonds-veto ex ante sur les budgets nationaux.

Un « Grexit » planifié et se dé-roulant dans le calme ne ren-drait-il pas l’euro plus solide ?

C’est une vue de l’esprit. Lechaos est rarement serein.

Quels sont les dysfonctionne-ments de la monnaie unique mis au jour par cette crise ?

La Grèce a porté à l’extrêmetous les errements de la première

décennie de l’euro. Les salaires yont cru plus vite que la producti-vité, la croissance a été portée parle boom du crédit et l’augmenta-tion des dépenses publiques, tan-dis que le secteur exportateur,qui n’était déjà pas bien robuste,s’est étiolé.

L’erreur qu’ont commise les par-tenaires du pays est de ne pas avoir été suffisamment vigilants face à ces développements. La le-çon à en tirer, pour les pays candi-dats est que la monnaie uniqueoffre d’incroyables facilités lespremières années, mais peut se transformer en piège si l’écono-mie n’est pas agile.

« Brexit », « Grexit » : l’Union européenne et la zone euro ont-elles perdu leur sens et leur attractivité ?

Le cas du Royaume-Uni n’a rienà voir. Les eurosceptiques britan-niques se sont saisis du mécon-tentement populaire, ils ontréussi à lier la question de l’appar-tenance à l’Union européenne à celle de l’immigration, et ils ont

ainsi organisé la convergence du vieil isolationnisme et du nou-veau populisme.

Mais il est vrai que l’Unioneuropéenne est aujourd’hui con-frontée à un sérieux défi. Elles’est construite sur la promessed’apporter la paix et la prospéritéà ses membres. Elle ne parvientpas à garantir la paix et la sécu-rité à ses frontières, et le produit intérieur brut par tête de la zone euro ne retrouvera son niveau de2007 que l’année prochaine. Unestagnation en moyenne pendantprès d’une décennie, c’est une si-tuation comparable à celles desannées 1930.

Il ne faut pas s’étonner que lescitoyens européens soient fu-rieux. Voilà pourquoi, au-delà des débats institutionnels, la pre-mière priorité européenne doit être, par-delà le rebond conjonc-turel, de retrouver le dynamisme économique et d’organiser le re-tour d’une croissance saine et bien répartie. p

propos recueillis

par marie charrel

M. Juncker serait

prêt à discuter

sous conditions

avec Athènes

de la question de

la renégociation

de la dette

Ce sont surtout

les PME, déjà

affectées par la

pénurie de crédit,

qui souffriront

du contrôle

des capitaux

Evolution du PIB

EN %

06 15

5,5

07

3,5

08

‒ 0,2

09

‒ 3,1

10

‒ 4,9

11

‒7,1

12

‒ 7

13

‒ 3,9

14

0,6

2,9*

SOURCE : FMI * PRÉVISION

Evolution de la dette grecque

EN MILLIARDS D’EUROS

2006 2011 2013 2015

171*

107,5

170,3 157,2

SOURCE : FMI * PRÉVISION SOURCE : EUROSTAT* PRÉVISION

EN % DE LA POPULATION ACTIVE

Évolution du chômage

31 JANVIER 2006 31 MARS 2015

25,6*

9,5

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4 | économie & entreprise MARDI 30 JUIN 2015

0123

La semaine folle où l’Eurozone est passée du plan A au plan BD’Eurogroupes en mini-sommets, Athènes et ses créanciers n’ont pas réussi à éviter la rupture

bruxelles - bureau européen

Symbole terrible. Samedi27 juin à Bruxelles, l’Euro-groupe « de la dernièrechance » fait une suspen-

sion de séance, en fin d’après-midi. Il est censé valider un accord« réformes contre argent frais »,indispensable pour éviter le dé-faut de l’Etat grec à l’égard du Fonds monétaire international (FMI), le 30 juin. Son président, leministre des finances des Pays-Bas, Jeroen Dijsselbloem, an-nonce, grave, que les négociationsavec Athènes sont rompues.

Ses collègues reprennent leurconversation, pour parler cette fois « plan B » – contrôle des capi-taux, décisions à prendre pouréviter une déstabilisation de la zone euro… Mais à dix-huit, sansle représentant de la Grèce, Yanis Varoufakis. Comme si là, en quel-ques instants, le pays avait, suite à l’annonce surprise du référen-dum, la veille, par le premier mi-nistre grec, Alexis Tsipras, signé sasortie de l’union monétaire.

« C’est une triste journée pourl’Europe », avait d’ailleurs déjà re-gretté M. Dijsselbloem, samedi midi, avant que la réunion de l’Eurogroupe ne commence.

Depuis février, la négociationétait difficile, la confiance était té-nue entre le gouvernement grec de la gauche radicale et des créan-

ciers peu enclins au compromis. Mini-sommets et Eurogroupes s’enchaînaient, un peu pour rien.Mais, laborieusement, les pointsde vue semblaient se rapprocher.

L’accord était même à portée demains, le 21 juin. Après un week-end de discussions marathon, Athènes envoyait une liste de ré-formes conforme à ce qu’atten-daient ses partenaires, susceptible d’être validée par le FMI, la Banquecentrale européenne (BCE) et la Commission de Bruxelles.

Avec un objectif de surplus pri-maire (avant paiement des dettes)de 1 % en 2015 (2 % en 2016, 3 % en 2017), une réforme des retrai-tes permettant d’économiser prèsde 1 % du produit intérieur brut (PIB) par an, une réforme de la TVA équivalant à 1 % du PIB de re-cettes supplémentaires annuel-les. Martin Selmayr, le directeurde cabinet de Jean-Claude Junc-ker, le président de la Commis-sion européenne, avait pu twee-ter : « Bonne base pour discussion,accouchement aux forceps ».

Clash final

A Bruxelles, on espérait que le sommet du lendemain, réclamé par M. Tsipras, donnerait l’impul-sion politique nécessaire. Puis qu’un Eurogroupe « de procé-dure », le 24 juin, entérinerait l’ac-cord. Au pire, une dernière valida-tion serait nécessaire lors du Con-

seil européen des chefs d’Etat et degouvernement, les 25 et 26 juin.

Les négociations ont été âpres,durant cette semaine quasi inin-terrompue de rendez-vous au sommet. M. Juncker a passé qua-torze heures enfermé avec M. Tsi-pras au treizième étage du Berlay-mont, le siège de la Commission, avec alternativement ou enmême temps Mario Draghi, le président de la BCE, et ChristineLagarde, la directrice générale du FMI. Cette dernière réclamait un calendrier précis des réformes àmettre en œuvre ? Elle les a re-çues, jeudi midi. Les Grecs résis-taient sur la réforme des retrai-tes ? Ils ont obtenu que la prime EKAS sur les petites retraites ne soit éliminée qu’à la fin de 2019.

Mais la Grèce et ses créanciersn’avaient toujours pas complète-ment convergé, vendredi, à la veille de l’Eurogroupe du 27 juin. En début de soirée, les négocia-

teurs s’étaient à nouveau enfer-més, dans un bâtiment de la Com-mission, pour une nouvelle nuit blanche. Côté bailleurs de fonds, des concessions étaient encore envisagées, selon nos informa-tions, notamment sur la TVA ap-pliquée au secteur hôtelier, qui aurait pu « repasser » de 23 % à 13 %. Mais en fin de soirée, les Grecs apprennent l’appel au réfé-rendum sur leur smartphone et quittent aussitôt la pièce…

M. Juncker, éprouvé par cettefolle semaine, était déjà couché. Il apprend la nouvelle à son réveil, samedi. Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, a, lui, été prévenu par la chance-lière Angela Merkel, qui venaitd’être informée, alors qu’elle re-gardait à la télévision les prolon-gations du match de Coupe du monde de football féminin oppo-sant la France à l’Allemagne…

M. Tsipras a-t-il pris sa décisionparce qu’il s’est rendu compte qu’il n’aurait pas les concessions qu’il voulait concernant la dette de son pays ? Depuis des mois, lui et son ministre des finances,M. Varoufakis, en réclament larestructuration. Certains, parmi les plus compréhensifs à l’égard d’Athènes – la France, la Commis-sion –, plaidaient pour que les créanciers s’engagent par écrit à renégocier cette dette dans les mois qui viennent. Une promesse

que se refusaient à faire des payscomme l’Allemagne ou la Slova-quie, même si le FMI y était prêt.

Est-ce le « package financier » liéaux réformes qui a découragé le premier ministre grec ? Vendredi, les créanciers ont mis sur la table une rallonge de cinq mois du pland’aide plus environ 15,5 milliardsd’euros d’emprunts. De fait, il nes’agissait pas d’argent nouveau, mais de prêts déjà affectés à la Grèce, qui ne serviraient tout auplus qu’à rembourser le FMI et la BCE jusqu’à la fin de 2015.

Certaines sources, côté négocia-teurs, assuraient, samedi, avoir des doutes sur la volonté de négo-cier de M. Tsipras. En tout cas, le clash final, samedi, donne tortà ceux qui ont cru qu’on pourraitfaire la synthèse entre ceux qui veulent changer l’Europe et ceuxqui veulent conserver les mêmes règles du jeu. p

cécile ducourtieux

Samedi 27 juin,

le président de

l’Eurogroupe,

M. Dijsselbloem,

annonce,

soudain, l’arrêt

des négociations

L’HISTOIRE DU JOUR

Les conseils de Dominique Strauss-Kahn sur la dette grecque

P our certains, ce sont les conseils d’un économiste avisé.Pour d’autres, c’est l’hôpital qui se moque de la charité.Samedi 27 juin, Dominique Strauss-Kahn, patron du

Fonds monétaire international (FMI) entre 2007 et 2011, a publiésur Twitter une note intitulée « Apprendre de ses erreurs ».

« Le FMI a fait des erreurs et je suis prêt à prendre ma part de res-ponsabilités », y dit-il, avant d’énumérer lesdites fautes. La pre-mière : avoir considéré le cas grec comme « un problème classiquede crise budgétaire et de balance des paiements ». La seconde :« avoir sous-estimé la profondeur des faiblesses institutionnellesde la Grèce ».

Comment sortir de l’impasse ? Pourl’ancien professeur d’économie, il con-viendrait que la Grèce ne reçoive plus denouveau financement de la part del’Union européenne ni du FMI, maisqu’elle bénéficie plutôt d’une extensionde la maturité et d’une réduction nomi-nale massive de sa dette publique.

Sur le fond, les recommandations pro-diguées par l’ancien patron du FMI, plu-tôt audacieuses, sont partagées parnombre d’économistes, jugeant la dettegrecque insoutenable. Mais le plus sur-

prenant est le calendrier qu’a choisi « DSK » pour revenir dans le débat public. Cela faisait en effet des mois qu’il ne s’était pas ex-primé sur l’économie mondiale.

Le 21 juin, il a déclenché une pluie de commentaires ébahis enouvrant un profil Twitter, inauguré par un mystérieux message :« Jack is back » (« Jack est de retour »). Certains y ont vu une réfé-rence à Jack Bauer, l’inépuisable héros de la série américaine « 24 heures chrono ». D’autres y ont vu un clin d’œil à John F. Ken-nedy, que l’on surnommait Jack, ou encore à Jack l’éventreur…

Difficile, en tout cas, de ne pas voir là le signe que M. Strauss-Kahn prépare son retour dans le débat économique, quelques jours après que le tribunal correctionnel de Lille l’a blanchi des accusations de proxénétisme dans l’affaire du Carlton. Sur Twit-ter, DSK suit les actualités de cinq personnes uniquement, dont les deux Nobel d’économie Joseph Stiglitz et Paul Krugman. Rienque ça… p

marie charrel

SUR LE FOND, LES RECOMMANDA-TIONS DE L’ANCIEN PATRON DU FMI SONT PARTAGÉES PAR NOM-BRE D’ÉCONOMISTES

260 milliards d’euros de prêts depuis 2010La France détient, à elle seule, 11,4 milliards d’euros de prêts directs à la Grèce

D epuis 2010 et le début dela crise de la dette grec-que, les créanciers publics

d’Athènes ont mis plus de 260 mil-liards d’euros sur la table. Sur cette somme, l’immense majorité pro-vient des autres pays de la zone euro, qui ont fourni près de 230 milliards. Le solde provient du Fonds monétaire international (FMI).

Ce financement s’est découpé endeux plans d’aide. Le premier a étédécidé dans l’urgence le 2 mai 2010. 110 milliards d’euros (dont 80 milliards d’euros issus de pays de la zone euro) ont permis à la Grèce de financer son déficit, qui avait été largement sous-estimé dans les statistiques officielles. Après l’annonce de ces trucages, à l’automne 2009, les taux d’intérêt demandés par les banques à la Grèce avaient bondi, empêchant Athènes de se financer sur les mar-chés. En parallèle de ce plan d’aide,l’Union européenne a mis en placele 9 mai 2010 un Fonds européen de stabilité financière (FESF) de

750 milliards d’euros, qui doit per-mettre d’éviter que la crise de la dette grecque se propage à d’autrespays.

Rassurer les marchés

Le fonds doit rassurer les marchés en garantissant le financement de leur dette. Le premier plan d’aide à la Grèce devait courir jusqu’à mai 2013. Il s’est accompagné d’une sévère cure d’austérité pour le pays, les créanciers exigeant uneréduction drastique des dépenses publiques, surveillée en perma-nence par les représentants de la fameuse « Troïka ».

Mais, dès 2011, les créanciersconstatent que le premier plan d’aide ne suffira peut-être pas, la Grèce étant incapable de retournerfinancer sa dette sur les marchés. Le 12 mars 2012, la zone euro et le FMI s’entendent pour lancer un deuxième plan d’aide, pour un montant de 130 milliards d’euros. En comptant les ajustements en cours de route, ce sont même 164,5 milliards d’euros (dont

144,7 milliards d’euros issus des fonds européens) qui auront été dépensés sur toute la durée de ce programme, censé venir à son terme fin 2014. C’est le déblocage de l’ultime tranche – 7,2 milliards d’euros – de ce plan qui est à l’ori-gine du blocage actuel.

Alors que le premier programmeétait financé par des prêts bilaté-raux entre Etats, cette fois-ci c’est le FESF qui prend le relais. Celui-ci est devenu entre-temps le Méca-nisme européen de stabilité (MES),mais il est toujours financé par les pays de la zone euro. En parallèle, la dette de la Grèce est restructu-rée, les créanciers privés subissant une décote de 50 % de leurs titres. Près de 200 milliards d’euros de dette grecque sont effacés et un nouveau programme de réduc-tion des dépenses publiques est imposé à Athènes.

Au total, la dette hellène attei-gnait fin 2014 près de 320 milliardsd’euros. Sur cette somme, 144 mil-liards d’euros étaient dus au FESF, 53 milliards d’euros aux Etats euro-péens et 27 milliards d’euros à la Banque centrale européenne (BCE), soit en tout 224 milliards d’euros directement ou indirecte-ment dus aux Européens. La France, elle, détient 11,4 milliards d’euros de prêts directs à la Grèce et est engagée à hauteur de 32 mil-liards d’euros via le FESF.

Cette dette est toutefois généra-trice d’intérêt. La France a par exemple perçu 700 millions

d’euros d’intérêts entre 2010 et 2013 de la part de la Grèce. Ce calculne prend pas en compte le coût du financement de l’argent que la France a dû emprunter pour le prê-ter aux Grecs. Les intérêts de la dette grecque ont par ailleurs été plusieurs fois réduits pour soute-nir le pays et les Etats ont même décidé que la BCE reverserait à la Grèce les intérêts qu’elle perçoit.

Les intérêts du MES ont, eux, étésuspendus pendant dix ans.

Tous ces « coûts » sont cepen-dant théoriques, étant donné qu’il s’agit de prêts et non de dons. Si la Grèce finit par rembourser les Etats et le MES à temps, la Grèce n’aura pas coûté grand-chose aux Européens. En revanche, si le pays est obligé de sortir de la zone euro, les Etats devront sans doute re-noncer à une partie de leurs créan-ces et ils afficheront alors des per-tes sèches. Même en cas de main-tien, il semble peu probable que la Grèce puisse retourner dans les prochains mois sur les marchés. Laquestion d’une restructuration de la dette – et donc d’une perte pour les Etats de la zone euro – se poseraalors inévitablement. p

jean-baptiste chastandPascal Lamy dénonce le rôle du FMI

Pascal Lamy, l’ancien directeur de l’Organisation mondiale du commerce de 2005 à 2013, a regretté que l’Union européenne ait associé le Fonds monétaire international (FMI) aux négociations avec la Grèce. « J’ai toujours pensé que c’était une erreur », a dit celui qui fut le directeur de cabinet de Jacques Delors à la Com-mission européenne (1985-1994), dimanche 28 juin sur TV5 Monde dans « Internationales », dont Le Monde et RFI sont parte-naires. « Le problème de la Grèce n’est pas un problème de dette. Le pays est à plat et il faut le reconstruire », a déclaré M.Lamy. Il enjoint au Conseil européen de « ne pas regarder cette affaire sous un angle financier ou budgétaire, qui est l’affaire des techni-ciens ».

Page 33: Des émirats à la conquête du ciel - Supconcours · Le principal volet des mesures an-noncé mardi porte sur les indem-nités prud’homales en cas de licen-ciement contesté. Le

0123MARDI 30 JUIN 2015 économie & entreprise | 5

Les Grecs divisés sur le référendum du 5 juilletEntre débat politique et constitutionnel, le vote de dimanche soulève de nombreuses questions

athènes - correspondance

Impossible que le gouverne-ment renonce au référen-dum. » Le ministre grec del’intérieur, Nikos Voutsis, ne

pouvait être plus clair dimanche 28 juin au matin, quelques heuresavant que la fermeture des ban-ques ne soit officiellement an-noncée en Grèce.

Le « chantage » des créanciersn’entamera pas « le processus dé-mocratique du référendum » ni « lelibre arbitre du peuple », a renchérile premier ministre, Alexis Tsi-pras, un peu plus tard dans la soi-rée. Une réponse sans équivoque à ceux qui, comme le leader con-servateur de l’opposition, AntonisSamaras (Nouvelle Démocratie –ND), appellent le premier minis-tre à renoncer à son projet. « Ce ré-férendum est une mascarade, un coup d’Etat constitutionnel », ac-cusait dimanche M. Samaras.

De fiévreux débats ont en-flammé la Grèce tout au long duweek-end après l’annonce parAlexis Tsipras de l’organisation d’un référendum sur la proposi-tion d’accord des créanciers du pays, le 5 juillet. Au sein de la po-pulation d’abord, divisée entreceux – et ils sont nombreux – qui se félicitent de ce sursaut démo-cratique et ceux qui redoutent que le référendum achève une économie grecque en récession.

« Je soutiens Tsipras, même si cesoir est un soir difficile », expli-quait entre émotion et indigna-tion un jeune homme venu tenterde retirer un peu d’argent « pour

la semaine » au guichet de la Ban-que nationale grecque (Ethniki), laseule distribuant encore des devi-ses dimanche soir. Et sa jeune compagne de 22 ans d’ajouter : « Jefais la queue depuis trente-cinq mi-nutes déjà. C’est un sentiment étrange mais nous nous relève-rons, et je voterai contre l’accord des créanciers. Je ne supporte pasce qu’ils nous infligent en ce mo-ment. »

Quelques mètres plus loin, ArisKitsos, 42 ans, fustigeait lui « l’ir-responsabilité » de Tsipras « qui vaconduire la Grèce hors de l’Euro-zone ». Des arguments repris dansdes termes plus farouches de part et d’autre du champ politique.« Vous conduisez tout droit le paysà la drachme, le costume européenne sied pas à Syriza », s’est em-porté, samedi soir, le député con-servateur Kyriakos Mitsotakis (ND) au Parlement, lors de l’inter-minable discussion (douze heu-res !) qui a précédé l’adoption à la majorité absolue (178 voix sur les300 sièges du Parlement) du prin-cipe du référendum. Les créan-ciers « ne nous demandaient pasde faire des compromis mais de re-

noncer à notre dignité politique »,a répondu le premier ministre,Alexis Tsipras.

Toute la rhétorique de la trèscourte campagne à venir d’ici au5 juillet s’est cristallisée lors de cette séance parlementaire. Entre d’un côté les tenants du « non » à la proposition d’accord des créan-ciers, le gouvernement donc, qui estime que le peuple doit résisteraux pressions européennes d’im-poser à la Grèce une nouvelle cured’austérité qui ne ferait que l’ap-pauvrir davantage. Et de l’autre lestenants du « oui » à l’accord, quiestiment qu’en le refusant le pays s’exposerait à une sortie de la zone euro. « Si le 5 juillet, la ré-ponse était en faveur d’un compro-mis avec les créanciers, comment justifierez-vous de rester au pou-voir après avoir fait campagne sur le “non” ? », a demandé, samedi soir, Makis Voridis, un député ND transfuge d’un parti d’extrême droite.

« Jouer à fond sur le Grexit »

Un appel sans détour à des élec-tions auquel les députés de Syriza n’ont pas répondu tout en insis-tant sur le fait que le premier mi-nistre respectera la réponse dupeuple, quelle qu’elle soit. « Nous savons que l’Europe et les conser-vateurs vont jouer à fond sur le Grexit, mais les Grecs résisteront »,estime une source gouvernemen-tale.

Alors que les citoyens se divi-sent et que les politiques se déchi-rent, les médias, eux, tournent en boucle sur la constitutionnalité,

ou non, du référendum. « C’est vrai que l’on frôle la limite de ceque prévoit la constitution maissans la violer ouvertement », sou-tient le constitutionnaliste, Nikos Alivizatos. Selon M. Samaras, lefait de poser une question sur un texte « que les créanciers ont retiréet qui, d’ailleurs, n’a jamais été riend’autre qu’un texte de travail » se-rait anticonstitutionnel. « C’est vrai que c’est inédit et que cela peutposer problème. Surtout si Tsiprasveut changer la question du réfé-rendum, ou si les textes sur les-quels se fonde cette question chan-gent entre-temps, alors il faudra recommencer la consultation par-lementaire », explique M. Aliviza-tos.

Sur le fond cette fois, la Constitu-tion interdirait de faire un réfé-rendum sur des questions budgé-taires. « En vérité, la Constitution reste floue sur ce que l’on peut qua-lifier de mesure préservant l’intérêtgénéral – la justification officiellede ce référendum –, ce qui laisse de la marge à l’interprétation, mêmesi, à titre personnel, je m’interroge

sur un texte portant à 80 % sur desquestions budgétaires », répond leprofesseur. Une polémique surune éventuelle démission du pré-sident de la République, qui auraitentraîné de nouvelles élections et mis fin au projet de référendum, s’est éteinte d’elle-même tard di-manche lorsque le président, Pro-kopis Pavlopoulos, a signé le dé-cret autorisant le référendum.

Restent les questions pratiques.Le gouvernement arrivera-t-il en moins d’une semaine à organiser techniquement le scrutin ? A en-voyer dans chaque bureau de voteles listes électorales ou les bulle-tins de vote et, surtout, à garantir la meilleure information possible des citoyens ? Car un référendum doit normalement être précédéd’un débat national public. « Noustournons autour de ces questions depuis des mois, les Grecs saventde quoi nous parlons », assure legouvernement. « Comment peser et décider dans l’urgence sur une question engageant l’avenir du pays ? », regrette Haris Theoharis, du parti d’opposition To Potami.

Tous le savent : cette semaines’annonce longue et tendue. « Le populisme, à droite comme à gau-che, m’attriste et je me demande cequ’il restera de nous, de notre nouscollectif, après tout cela », se dé-sole Paraskevi, 78 ans, une retrai-tée venue samedi faire sa teinturemensuelle dans un petit salon d’un quartier du centre d’Athènes.Et de conclure : « Ce qui me peine leplus, c’est cette Europe qui n’arrive pas à s’entendre. » p

adéa guillot

« Ce référendum

est une

mascarade,

un coup d’Etat

constitutionnel »

ANTONIS SAMARAS

chef de l’opposition

« Reprendre notre destin en main est plus important que conserver l’euro »Pour les électeurs de Syriza, le vote du 5 juillet représente un vrai dilemme, entre fidélité au parti de M. Tsipras et doutes sur l’avenir

REPORTAGE

athènes - envoyée spéciale

C omme il aimerait ne pasavoir de doutes Ilias, cegrand gaillard de 30 ans,

qui travaille dans une multinatio-nale de tabac et traîne comme un ado dans une taverne d’Athènesavec deux amis qui lui ressem-blent. Comme il aimerait rêver, ainsi qu’il l’a fait en janvier en dé-posant dans l’urne un bulletin Sy-riza, et suivre son héros devenupremier ministre jusqu’au bout de sa logique, en votant “non” à son référendum ! Non à l’humi-liation de la Grèce par les « amis »de Bruxelles. Non à l’austérité im-posée par la force. Et merde aux technocrates.

Seulement voilà : le doute s’estimmiscé dans son esprit et il re-connaît avoir soudain la trouille. « J’ai peur du précipice et du retour à la drachme. Peur à l’idée qu’ilfaille tout reconstruire. Peur de l’in-connu. A notre âge on peut recom-mencer à zéro. Mais pensons à nos parents et à tous les retraités. Ils ris-quent de tout perdre. » Le voilà en plein dilemme : « Voter “non” me paralyse. Voter “oui” revient à an-nuler mon vote de janvier. »

Son ami et collègue Makis estloin d’avoir ces angoisses. C’est avec conviction qu’il votera “non”. « Parce que l’euro ne mar-che pas, c’est aussi simple que ça. On ne fait pas ce constat de gaieté de cœur, on est juste réalistes. De-puis cinq ans tout s’effondre. Alors changeons de cap ! » De cap ?Parce que dire “non” serait aussi dire “oui” à quelque chose ? « Oui à l’espoir. Avec un retour à la dra-chme et quitte à ne pas manger grand-chose pendant six mois. »C’est terrible, dit-il, cette angoisse

du peuple à l’égard du change-ment. Même quand il est exploité,méprisé, malheureux. « Cela me fait penser à une famille dont le père maltraiterait le fils, et où cedernier, malgré la violence, conti-nuerait d’aimer son père, et de croire en la famille car c’est tout ce qu’il connaît. » Eh bien voilà, con-tinue-t-il : la Grèce est dans la si-tuation de ce fils et elle doit avoir le courage de dire : « Ça suffit ! Ça fait mal, ce n’est pas normal, c’estmême inacceptable. »

Du courage

Du courage. C’est le mot qui re-vient chez les partisans du “non”, plutôt admirateurs de la décision, voire « du panache » d’Alexis Tsi-pras. Et ce n’est pas l’annonce, di-manche 28 juin au soir, de la fer-meture temporaire des banques, qui va les retourner.

C’est en tout cas ce que penseYorgos, un jeune salarié partisan de Syriza, que l’on rencontre de-vant le distributeur central de l’Al-pha Bank où se pressent, avant le brusque arrêt de la machine, une centaine de personnes. « C’est sain,un référendum dans une démocra-tie. Franchement, si ce n’est pas maintenant qu’on demande au peuple de se prononcer sur son ave-nir, ce sera quand ? »

Un autre homme éructe dans lafoule, énervé, grossier, le ventre

« J’ai peur

du précipice

et du retour

à la drachme »

ILIAS

salarié d’un cigarettier

proéminent. « 40 ans d’hommes politiques corrompus et irrespon-sables qui se sont goinfrés aux frais de l’Etat, et voilà le résultat : on se retrouve la nuit à faire la queue de-vant une banque ! Lamentable ! » Ilvotera “non”. Non à l’Europe arro-gante. Et Oui au retour à la Grèce d’antan, avec sa drachme, sa cul-ture, et un entre-soi qu’il appelle de ses vœux en souhaitant l’expul-sion des immigrés.

Bien sûr, celui-là n’a pas voté Sy-riza. Il serait plutôt du parti d’ex-trême droite partisan du “non”. Tout ce que déteste Marina, une étudiante qui pourtant, elle aussi, votera “non”. Parce qu’elle refuse cette austérité imposée par l’Eu-rope dont personne ne voit pas la fin et qu’il n’y a plus de perspec-tive. « Les 20 ans de mes parents étaient joyeux, prometteurs, faciles.Si l’en en juge par ma situation de cesoir, faisant le tour d’Athènes dans l’espoir de trouver trois billets, ma vie sera plus dure que la leur. »

C’est à 23 heures enfin, dans lecafé Green Park qu’un collectif d’artistes occupe depuis dix jours, que l’on croise Leonidas Kourma-das, un éditeur de 35 ans, boule-versé par l’importance du mo-ment. Lui aussi dit “non” au plan des Européens « car cela ne mar-chera pas et que cela nuit à la dé-mocratie. » Lui aussi trouve « in-supportable, en tant que citoyen » que son vote n’ait plus aucune im-portance puisque tout est encadré ailleurs par des entités non grec-ques et non élues. Et lui aussi es-time « que reprendre notre destin en main est plus important que conserver l’euro ». Il en est boule-versé. « C’est le choix de la difficulté,sans aucune doute. Mais dans la di-gnité et selon ma conscience. » p

annick cojean

« Tsipras et ses ministresnous précipitent dans le mur »Tripoli et Kalamata ont majoritairement voté à droite en janvier. Ici, on dit ne pas vouloir d’une sortie de la zone euro, qui « serait terrible »

REPORTAGE

tripoli, kalamata -

envoyée spéciale

C omme la majorité desélecteurs du sud du Pélo-ponnèse, Ilias, 36 ans, n’a

pas voté pour Syriza aux derniè-res élections. A Tripoli, où il ré-side, c’est le parti de droite Nou-velle Démocratie (ND) qui est ar-rivé en tête du scrutin du 25 jan-vier. « Je ne sais plus trop si j’aisoutenu le Pasok [Parti socialiste] ou ND », fait semblant de tergiver-ser cet avocat, avant d’admettrequ’il a glissé dans l’urne un bulle-tin de la formation de l’ancien premier ministre, Antonis Sama-ras. « Au nom de la stabilité. »

C’est avec flegme qu’il a accueillila décision d’Alexis Tsipras de sou-mettre le plan d’aide au pays à un référendum le 5 juillet. Il était dansun bar, le 27 juin, lors de l’annoncedu premier ministre. « Je vais voterdimanche prochain, mais je ne sais pas encore quoi. »

Ilias et son épouse, notaire, fontpartie de la frange aisée de la po-pulation. Ils reconnaissent que leur situation est différente de celle de la majorité des Grecs. « Je comprends leur réaction, mais je neveux pas que l’on quitte la zone euro. » Selon une rumeur récur-rente à droite, la formation de M. Tsipras nourrit secrètement ledessein d’un retour à la drachme. « Ça serait terrible, notre monnaie serait forcément dévaluée, impac-tant notre pouvoir d’achat à l’inter-national. Le fruit de notre travail perdrait de sa valeur… »

Cette éventualité ne terrifie pasYorgos, plus préoccupé par une sortie totale de l’Union euro-péenne. Lui aussi a soutenu ND. « Le Pasok a brandi l’arme du réfé-

rendum en 2011, Syriza le fait en 2015 », dit le jeune homme pourjustifier son propos. L’annonce de la tenue d’une consultation popu-laire l’a laissé « sans voix ».

Pour ce vendeur de 31 ans, lavraie menace est celle d’une divi-sion du peuple. « Je déteste l’extré-misme, or ce vote nous pousse dansnos derniers retranchements. » Evoquant l’histoire douloureuse du pays, il craint que cette situa-tion ne fasse le lit des néonazis d’Aube dorée. « A aucun moment on nous explique quelles vont être les conséquences de notre choix. Tsipras nous force à prendre une décision dans la précipitation. »

« Je n’ai plus confiance »

A moins d’une centaine de kilo-mètres de là, à Kalamata, fief de l’ancien premier ministre Sama-ras, les positions semblent plus ar-rêtées. Un étrange ballet se joue,dimanche 28 juin, dans les rues de la ville généralement vides entre 14 heures et 17 heures. « Savez-vousoù je peux trouver un distributeur de billets ? », demande, comme tant d’autres, une vieille dame à la mine inquiète aux passants qu’ellecroise. La réponse est toujours la même : « Je ne sais pas. Celui-ci est vide. » Devant l’un des distribu-teurs, une file se forme progressi-

« Je déteste

l’extrémisme, or

ce vote nous

pousse dans nos

derniers

retranchements »

YORGOS, 31 ANS

vendeur

vement. En vain. « Je suis allée cher-cher 1 200 euros hier, je voulais prendre 500 euros aujourd’hui », raconte une femme d’une soixan-taine d’années.

Un groupe de personnes âgéesobserve la scène depuis la terrasse d’un café. Tous ont voté pour la droite en janvier. L’inquiétude pal-pable à Kalamata, ils la partagent.« J’attends l’ouverture des banques pour récupérer mes fonds, raconte Dimitris, 60 ans, négociant en meubles. Depuis deux ans déjà, je retire progressivement mon ar-gent. Je n’ai plus confiance. »

« Depuis la victoire de Syriza, jeme sens de moins en moins en sécu-rité, renchérit son amie Marika. L’attitude du gouvernement me conforte dans mon choix initial. Tsipras et ses ministres sont incons-cients. Ils nous précipitent dans le mur. » Attachée à la présence de la Grèce dans l’Union européenne et dans la zone euro, elle reconnaîtles défauts des précédents exécu-tifs : « Mais, au moins, Nouvelle Dé-mocratie était capable de dialo-guer. La gauche radicale ne fonc-tionne qu’à coups d’esclandres. »

Elle regardait la télévision quandles programmes ont été interrom-pus pour relayer l’annonce du ré-férendum. « J’étais paniquée, je n’enai pas dormi de la nuit. » Le lende-main, elle a appelé l’un de ses deuxfils. Employé d’une multinatio-nale à Athènes, ce dernier, âgé de 46 ans, a accueilli la nouvelle avec la même frayeur. Comme sa mère, il ira voter le 5 juillet pour peser enfaveur du « oui ». Si le « non » l’em-porte, il partira à l’étranger. A une semaine de l’échéance, personne n’ose prévoir l’issue du vote : « Dans tous les cas, il y aura un effetdomino sur le reste de l’Europe. » p

aude lasjaunias

VERBATIM

“La dignité du peuple grecface au chantage et à l’injus-

tice enverra à toute l’Europe un message d’espoir et de fierté.

Alexis Tsipras premier ministre grec lors de son allocution dedimanche soir

“La seule véritable questionpour ce référendum doit

être : “pour ou contre” le main-tien de la Grèce dans la zone euro ? J’appelle à l’union natio-nale.

Antonis Samaras leaderde l’opposition conservatrice(Nouvelle Démocratie)

“Alexis Tsipras est en traind’exaucer le vœu d’une par-

tie de cette Europe qui veut se débarrasser de la Grèce depuis déjà des années. L’a-t-il seule-ment compris ?

Haris Theoharis porte-paroledu groupe de centre gauchede To Potami

« On frôle

la limite de

ce que prévoit la

Constitution mais

sans la violer

ouvertement »

NIKOS ALIVIZATOS

constitutionnaliste

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6 | économie & entreprise MARDI 30 JUIN 2015

0123

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ROLAND BARTHES

Des risques de contagion limités mais bien réelsEn cas de faillite de la Grèce, les banques, les PME et les épargnants pourraient être les plus touchés

Certains y voient un « Le-hman Brothers » enpuissance, l’étincelle quimettra le feu aux mar-

chés financiers, à l’euro et au pro-jet européen tout entier. La possi-ble banqueroute de la Grèce a beau être un scénario préparé de-puis des années, elle intrigue, in-quiète et terrifie. Jamais un paysde la zone euro n’avait encore été « lâché » par ses partenaires.

« Objectivement, il y a peu de ris-que de contagion », assure Patrick Artus, économiste de la banque Natixis. De fait, la plupart des ban-ques européennes se sont débar-rassées des titres de dette grecquequ’elles détenaient, notamment après la restructuration de la créance du pays en 2012.

La faillite de la Grèce, dont ladette dépasse désormais 320 mil-liards d’euros, affecterait donc es-sentiellement les Etats euro-péens, le Fonds monétaire inter-national (FMI) et la Banque cen-

trale européenne (BCE). « Mais il y a toujours des mouvements irra-tionnels sur les marchés. On nepeut exclure que “M. Mushimori’’, gérant à Tokyo, ait la trouille lundi matin », reconnaît M. Artus.

Cette peur, si elle se traduit enpanique, pourrait faire de la faillite grecque une maladie con-tagieuse se propageant à toute l’Europe et au-delà. La premièrecourroie de transmission, ce sont les banques, poumon de l’écono-mie. La mécanique infernale del’angoisse a déjà commencé à Athènes, obligeant le pays à impo-ser dimanche 28 juin un contrôle des capitaux et une limitation desretraits pour éviter que l’argent ne sorte des banques et du pays.Les files d’attente devant des gui-chets fermés s’allongent. Lesépargnants sont pris au piège.

Ces Grecs ont des raisons de s’af-foler. En cas de faillite de l’Etat, les banques hellènes, qui détiennent 30 milliards d’euros de créances

grecques, auraient un genou àterre. Déjà fragilisés par la fuite des capitaux depuis plusieurs se-maines, les établissements pour-raient ne pas se remettre d’une telle « paume ». Or, certaines de ces banques détiennent des filia-les dans des pays étrangers, comme en Roumanie, à Chypre ou en Bulgarie.

Va-t-on observer ces mêmes fi-les d’attente devant les guichets à Bucarest, à Nicosie, à Sofia ? Fau-dra-t-il imposer un contrôle des capitaux pour éviter que les filia-les ne soient elles aussi assé-chées ? Ce scénario pourrait-ilmettre en danger ces pays ?

Traque du « maillon faible »

La faillite de la Grèce, événement inédit en zone euro, ne manque-rait pas, aussi, d’affoler les ache-teurs de titres de dettes souverai-nes. La traque du prochain « maillon faible » de l’union mo-nétaire, un Etat fragile et endetté susceptible d’être abandonné à son sort, pourrait alors reprendre.S’agira-t-il du Portugal, tout juste sorti d’un plan d’aide ? De l’Espa-gne, en pleine réinvention de son modèle économique ? De l’Italie et de sa dette à plus de 2 000 mil-liards d’euros ? Tout pays « sus-pect » pourrait voir ses taux d’in-térêt monter en flèche.

Lundi matin, les tensions se fai-saient déjà sentir sur le marché des dettes souveraines. Pour unEtat déjà en délicate posture, la sanction des marchés peut faireplonger l’économie en récession : le financement du déficit se ren-

chérit, le coût du crédit pour les particuliers et les entreprises s’en-vole et toute l’économie se grippe.

Il reste enfin ce que l’écono-miste Philippe Dessertine, profes-seur à l’Institut d’administrationdes entreprises de l’université Pa-ris-I-Panthéon-Sorbonne, décrit comme « des petits caillots àmême de remonter jusqu’au cœur ». Des PME menacées parune possible faillite de la Grèce.De fait, si la plupart des grandes multinationales ont quitté le sol grec, il reste des petites entrepri-ses investies à Athènes ou en af-faires avec un entrepreneur grec qui devront vite renoncer à voir leurs factures honorées après le drame économique et social que vivra la Grèce.

Chiffres en main, M. Artus as-sure que tout cela n’a pas de quoi affoler le reste de l’Europe. Les ex-portations de la Grèce précise-t-il, représentent 0,3 % des exporta-tions de la zone euro. Et la dette extérieure du pays (hors dette d’Etat) ne dépasserait pas les 100 milliards d’euros. Un chiffre

élevé dans l’absolu mais « géra-ble », selon lui.

De plus, au fil des ans, les Etatsde la zone euro se sont dotés d’un arsenal destiné à jouer les pare-feu en cas de nouvelle crise. Pour contrer les attaques spéculati-ves sur les titres de dette souve-raine, la Banque centrale euro-péenne pourrait ainsi dégainerl’OMT (opérations monétaires surtitre), un dispositif l’autorisant à racheter de la dette d’un Etat lors-que celui-ci est mis en danger.

Il faut pour cela que le pays fasseappel à l’aide de l’Europe, mais rien n’empêche la BCE d’inonder le marché de liquidités et de ra-cheter des titres souverains par le biais d’une opération dite de « quantitative easing » ou « QE ». Assez pour calmer la fièvre des in-vestisseurs et faire retomber le ni-veau des taux d’intérêt. MarioDraghi, président de la BCE, a déjà averti les spéculateurs qu’il feraittout ce qui est en son pou-voir pour sauver l’euro.

Quant aux banques, la paniquedes épargnants doit être endiguéepar une garantie universelle des dépôts prévue dans le cadre de l’union bancaire, à hauteur de100 000 euros.

Impossible, pourtant, d’aborderl’idée de la banqueroute grecque avec sérénité. « Ces solutions sont faites pour ne jamais avoir à s’en servir », commente M. Dessertine,qui se souvient que, lors de la faillite de la banque d’affaires Leh-man Brothers, on pensait aussi, « avoir tout prévu ». p

claire gatinois

Au fil des ans,

les Etats

de la zone euro

se sont dotés

d’un arsenal

destiné à jouer les

pare-feu en cas

de nouvelle crise

La Banque centrale européenneprise entre deux feuxL’institution maintient son aide aux banques grecques, sans l’accroître. Athènes l’accuse de l’avoir forcée à décréter un contrôle des capitaux

L e pire cauchemar de MarioDraghi, le président de laBanque centrale euro-

péenne (BCE), est peut-être sur le point de se réaliser. Dimanche 28 juin au soir, le premier minis-tre grec, Alexis Tsipras, a placé l’institution sur le banc des accu-sés, aux côtés des ministres des fi-nances de la zone euro. « Les ré-centes décisions de l’Eurogroupe etde la BCE n’ont qu’un objectif : ré-primer la volonté du peuple grec », a dénoncé M. Tsipras sur Twitter, peu après avoir annoncé la ferme-ture des banques et l’instauration du contrôle des capitaux.

Une accusation terrible. Maisest-elle justifiée ? Question de point de vue. Pour certains obser-vateurs, la décision prise par la BCE, un peu plus tôt dans l’après-midi, à savoir de maintenir les fi-nancements d’urgence (les « ELA ») accordés aux banques grecques mais sans les augmen-ter, a cristallisé les difficultés du système bancaire et contraintAthènes à instaurer le contrôledes capitaux.

Ces dernières semaines, l’insti-tution avait régulièrement relevéle plafond des liquidités d’ur-gence (jusqu’à 89 milliardsd’euros), de manière à ce qu’elles couvrent les fuites des dépôts, plus élevées de jour en jour. Maiselle a changé de ton dimanche, encessant de remonter ce plafond.

Mais quoi qu’en dise le gouver-nement Tsipras, la BCE n’a pas tel-lement eu le choix. « Elle ne pou-vait pas continuer de tenir à bout de bras les banques en dehors de tout cadre contractuel européen », estime Jean Pisani-Ferry, le patronde France Stratégie. L’institution, en somme, était obligée de pren-dre acte de la brutale interruptiondes négociations entre Athènes et

ses créanciers ce week-end, et del’annonce, vendredi 26 juin, d’un référendum sur la poursuite ou non du plan d’aide européen par M. Tsipras.

Le choix du gouvernement grecde faire campagne pour le « non »a soulevé l’ire de la Bundesbank, la banque centrale allemande, quimilite pour que la BCE suspende totalement les ELA. Ce n’est pour-tant pas la stratégie que M. Draghia choisi de suivre. Depuis l’arrivéede la gauche radicale de Syriza au pouvoir, en février, l’institution tente de minimiser le rôle politi-que et central qu’elle occupe mal-gré elle dans le dossier grec.

Rester sur la même ligne

Le 4 février, elle avait coupé son principal robinet de financement aux banques hellènes – mais tout en leur garantissant l’accès aux ELA –, pour éviter que les politi-ques européens ne se défaussent sur elle. Son pari était alors qu’en les mettant au pied du mur, elle contraindrait les partenaires de la zone euro à prendre une décision au plus vite.

« Malgré les critiques du gouver-nement Tsipras à son égard, elle se montre bien plus conciliante qu’ellene l’avait été avec l’Irlande ou Chy-pre », estime Frederik Ducrozet, auCrédit agricole CIB. L’institution ne veut surtout pas être celle qui ti-rera sur la gâchette en poussant Athènes hors de la zone euro.

Que fera-t-elle ces prochainsjours ? Selon toute vraisemblance, elle restera sur la même ligne : ten-ter de regagner les coulisses en laissant les politiques européens sur le devant de la scène, dans l’es-poir qu’un accord de dernière mi-nute soit conclu. D’après une source européenne, aucune nou-velle décision sur les ELA ne de-

vrait être prise avant mercredi 1er juillet. La veille, la Grèce aura probablement échoué à rembour-ser le 1,6 milliard d’euros qu’elle doit au FMI. « Mais cela ne chan-gera rien pour la BCE, qui a déjà in-tégré ce scénario, estime Nicolas Véron, économiste au think tank Bruegel. Pour elle, la véritable échéance sera le référendum du 5 juillet, s’il a bien lieu. »

D’ici là, la BCE devrait rester en« stand-by ». Si le « oui » l’emporte (que les Grecs votent pour la pour-suite des réformes et le maintien dans la zone euro), l’institution poussera un soupir de soulage-ment et maintiendra, voire relè-vera le plafond de ses ELA. Si, en re-vanche, les Grecs votent « non », elle n’aura pas d’autre choix que deréviser sa position.

« En théorie, les ELA ne peuventêtre accordées qu’à des banques solvables », rappelle Eric Dor, éco-nomiste à l’école de management Iéseg. Jusqu’ici, M. Draghi s’est en-gagé à les maintenir tant qu’un ac-cord serait en vue. Un « non » au référendum, cumulé au non-rem-boursement du FMI, changerait la donne. « La solvabilité des banquesgrecques serait de fait dégradée », explique M. Dor.

Maintenir les ELA mettrait alorsen péril la santé financière de la banque centrale, comme sa crédi-bilité. Sur un vote à la majorité des deux tiers du conseil des gouver-neurs, elle déciderait probable-ment de durcir les conditions d’ac-cès aux ELA. Puis de les réduire. Pour continuer à payer les fonc-tionnaires et verser les retraites, la Grèce, privée de liquidités, n’auraitalors pas d’autres choix que d’im-primer une ou plusieurs mon-naies parallèles. Un premier pas vers le « Grexit »… p

marie charrel

LES CHIFFRES

320milliards d’euros

Montant total de la dette publique grecque, soit 180 % de son produit intérieur brut.

30milliards d’euros

Estimation de la part de dette grecque détenue par les banques d’Athènes.

1,6milliard d’euros

Montant que la Grèce doit rembourser au Fonds monétaire international le 30 juin, faute de quoi le pays sera déclaré en défaut de paiement.

« Lundi noir » sur les marchés

Au lendemain de l’échec patent des négociations entre la Grèce et ses créanciers, faisant planer le risque d’un défaut d’Athènes et de sa sortie de l’euro, un « lundi noir » se profilait sur les marchés financiers, le 29 juin. En Asie d’abord, où les Bourses de Shanghaï et Tokyo affichaient vers 9 heures, heure de Paris, des chutes de l’ordre de 3 %. En Europe ensuite, où les places de Paris, Londres et Francfort dégringolaient de 4,7 %, 2,2 % et 3,9 % à l’ouverture. Le désordre régnait aussi sur le marché des devises. Plus inquié-tant, l’angoisse des investisseurs se reflétait sur le marché des dettes souveraines où les taux d’emprunt à dix ans de l’Espagne, de l’Italie ou du Portugal remontaient en flèche, comme aux pires moments de la crise de la zone euro, tandis que les taux des em-prunts français et allemands, érigés en valeur refuge, reculaient.

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Précarité : la voie du plein-emploi ?Sécurité de l’emploi ou précarité croissante du travail ?

Avec la crise, les pays sont confrontés à un vrai débat de fond sur les réformes à mener pour résorber le chômage, entre

une protection accrue des travailleurs et un assouplissement des contrats pour favoriser les embauches

Des salariés d’un McDonald’smanifestent, en avril, au centre de Sheffield,en Angleterre. C.MATHESON/REPORT

DIGITAL-REA

Et si le travail était la solution ? »,interrogent cette année les Ren-contres économiques d’Aix, quise dérouleront du 3 au 5 juillet.Le travail à tout prix ? Dit autre-ment, vaut-il mieux être un tra-

vailleur pauvre ou un chômeur pauvre ? Un travailleur précaire, incertain sur son lende-main, ou un chômeur certain de ne jamais revenir dans l’emploi protégé ?

Des questions qui ont inspiré toutes les ré-formes du marché du travail depuis quinzeans en Europe : en Allemagne dès le début des années 2000, en Irlande et au Royaume-Uni, où l’on a laissé les « contrats zéro heure » se développer. Mais aussi dans des pays où les règles ont toujours été très pro-

tectrices des salariés, comme l’Espagne, le Portugal et l’Italie. La France, elle, n’a « paschoisi de développer les recrutements précai-res et les très bas salaires », dit Véronique De-prez Boudier, chef du département travail etemploi chez France Stratégie. « On a cherché à privilégier la qualité et la quantité de travailpour qu’un maximum de personnes occupe des emplois de qualité. L’objectif était d’assu-rer un niveau de revenus plus homogène. Est-ce que le prix à payer est d’avoir plus de 10 % de chômage ? »

Devant l’échec de la stratégie française,tandis que l’Allemagne, le Royaume-Uni,l’Autriche sont revenus au plein-emploi, laquestion ne peut plus être éludée : la préca-rité au travail est-elle la nouvelle voie du

plein-emploi ? Outre-Rhin, l’assouplisse-ment du recours aux CDD, intérim et autres contrats courts de toute nature a été aucœur des réformes Hartz de 2002 à 2005, quiont créé les « mini-jobs » à 450 euros sanscotisations et sans couverture sociale, les « midijobs » à 800 euros, avec cotisations al-légées et couverture sociale, et même les « ein euro jobs », réservés aux chômeurstouchant une indemnité pour les travaux d’intérêt public.

UNE NOUVELLE DYNAMIQUE

Comme le résume la note « Trésor éco »consacrée aux réformes Hartz : avec 2,5 mil-lions d’emplois créés entre 2004 et 2012, l’Al-lemagne a vu son chômage divisé par deux et son taux d’emploi atteindre 73,3 % en 2013quand la France est à 64 %. « A court terme, ces réformes ont un impact positif sur l’em-ploi parce qu’elles font revenir sur le marchédu travail des personnes qui s’en étaient reti-rées », explique Andrea Bassanini, écono-miste à l’OCDE.

Augmenter le taux d’emploi fut aussi l’ob-jectif de la politique de l’emploi menée au Royaume-Uni depuis les années 1990, etplus encore depuis la crise, comme l’expli-que Stephen Wyber, conseiller social à l’am-

bassade du Royaume-Uni à Paris : « L’objectifa été d’enrichir la croissance en emplois enaugmentant le taux d’emploi et ce, quellesque soient la qualité et la qualification de ces emplois. » Cette hausse a, en effet, surtout profité à des personnes peu ou moyenne-ment qualifiées, qui se sont retrouvées dans des emplois à temps partiel ou en indépen-dant. En Allemagne, c’est près de 8 millions de personnes qui occupent un mini-job à450 euros par mois, parfois en second em-ploi ou en complément d’autres revenus. Le pari de ces politiques est que le retour à l’em-ploi permet à celui qui est sorti du marchédu travail d’entrer dans une nouvelle dyna-mique, comme le résume Jean-Hervé Lo-renzi, président du Cercle des économistes : « Il faut accepter d’entrer dans un emploi àdes conditions moindres, car cela permet de se former. Et au bout de quelque temps, la ré-munération tend à rejoindre la productivitéréelle de l’employé. »

Mais au bout de combien de temps ? Ditautrement, ces emplois précaires et peupayés sont-ils des tremplins vers des em-plois stables et de qualité ? Ce serait le cas si les employeurs étaient prêts à abandonner les avantages de ces statuts. En Allemagne,relève le récent rapport Pisani-Enderlein, les

« EST-CE QUE LE PRIX À PAYER,

EN FRANCE, EST D’AVOIR PLUS

DE 10 % DE CHÔMAGE ? » VÉRONIQUE DEPREZ

BOUDIERchef du département travail et emploi chez

France Stratégie

Assouplissementdes licenciementséconomiquesLimitation des CDDFlexibilité des horaires

Réforme de février 2010Baisse des indemnitésde licenciement

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

ESPAGNE

Suppression de l’autorisation administrative de licenciementRéduction des indemnitésde licenciement de 42 à 24 moisPériode d’essai allongéeà un an dans les PME

Réforme Ley de février 2012Prévalence des accords d’entreprises sur les accordsde branches et sectoriels

Assouplissementdes licenciements économiquesExonération de chargesà l’embauche

Limitation des pouvoirsdu juge sur les licenciementscollectifs

2002

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Job-AQTIVMeilleur profilage des chômeurs

Hartz I Contrôle, formation, reclassement des chômeursExtension des recours au CDD

ALLEMAGNEHartz IIAide à la création d’entreprise des chômeurs Création des mini et midi jobs

Hartz IV : janvier 2005Création des « Ein-Euro Jobs »Fusion des allocations-chômage

Hartz IVBaisse des cotisations sociales contre une hausse de 3 points de la TVA

Hartz IIIAutonomie accrue donnée au servicepublic de l’emploiEncadrement renforcé des chômeursDurcissement de l’indemnisation du chômage

Hartz IVRéduction de l’indemnisation du chômage

2006-2010Abandon des préretraites

2002

SOURCE : OCDE

SOURCE : TRÉSOR

Principales réformes du marché du travail dans quatre pays européens, depuis 2002

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faibles cotisations salariales sur les mini-jobs ont surtout incité les employeurs à ymaintenir leurs employés, car à partir de 800 euros, le taux des cotisations sociales double. « Selon les conclusions de la Fonda-tion allemande pour la recherche sociale, re-lève Marc Ferracci, économiste au Crest et membre du Cercle des économistes, lesmini-jobs ne sont une passerelle vers des CDI à temps plein que pour moins de 10 % de leurstitulaires. »

En fait, note Hélène Garner chez FranceStratégie, en Allemagne, « on ne sort pas des mini-jobs. En France aussi, on voit bien que latransition entre un emploi précaire et un em-ploi stable est à la fois rare et de plus en plus longue ». Selon les enquêtes Emploi del’Insee, pas plus de 18,4 % des titulaires d’un contrat temporaire en 2011 occupaient unCDI en 2012. En 2007, ce chiffre atteignait24 %. Le fameux tremplin serait-il devenu une trappe à précarité ? Or l’installation dans ces statuts pose plusieurs problèmes.Marc Ferracci : « La précarité est multidimen-sionnelle, et porte à la fois sur la situationprésente et à venir. » C’est, entre autres, être condamné à toucher un salaire très bas, en raison des exonérations de charges qui leur sont attachées. C’est avoir moins de droits à l’indemnisation contre le chômage, moins d’accès à la formation professionnelle. Laprécarité, ce n’est donc pas seulement uncontrat court : c’est un phénomène cumula-tif, un engrenage.

C’est également un problème pour les sys-tèmes d’assurance-chômage ensuite. « Lasurutilisation des CDD, qui représentent 84 % des embauches, génère des périodes de chô-mage automatiques entre deux contrats, ditStéphane Carcillo, économiste à l’OCDE. Pour les employeurs, c’est un moyen de trans-férer sur l’assurance-chômage, donc sur les autres, le coût de leur flexibilité. »

EMPLOIS COURTS ET PEU QUALIFIÉS

Enfin, à long terme, les effets sur l’économiede l’explosion de ces emplois courts et peu qualifiés sont ambivalents : ils rendent cer-tes l’économie ultra-flexible et permettent de mieux traverser les périodes de crise. Mais dans le même temps, ils orientent du-rablement l’économie vers cette sous-quali-fication de l’emploi. A l’échelle de l’entre-prise, une société qui n’emploie que desCDD n’investit pas dans la formation et ne construit pas de vraie spécialisation.

A l’échelle d’un pays, cela peut commen-cer à poser problème, comme aujourd’hui au Royaume-Uni, où la hausse du travailprécaire et peu qualifié pèse déjà sur lesgains de productivité du pays. « La produc-tivité a tellement ralenti que les salaires réelsn’ont pas augmenté comme ils auraient dû le faire dans une situation de plein-emploi »,note l’Insee dans sa dernière Note de con-joncture.

Et ce d’autant que le sous-emploi a luiaussi augmenté. Depuis la crise, selon Infla-tion Report de mai 2015 de la Bank of En-gland, le nombre d’heures travaillées parsalarié est nettement inférieur au nombred’heures désirées par ces derniers. « Aujourd’hui, reconnaît Stephen Wyber à l’ambassade du Royaume-Uni, le défi pourles cinq prochaines années est d’élever laqualification de la population pour accélérerles gains de productivité et la qualité des em-plois. »

Les Allemands ont bien compris le risqueet n’ont pas précarisé tout l’emploi : « Seulsles CDD et l’intérim ont été flexibilisés à l’ex-trême, note Eric Heyer, économiste à l’OFCE.On a précarisé les précaires, mais les CDI al-lemands restent plus protecteurs que les CDIfrançais. L’Allemagne a voulu préserver ses emplois qualifiés dans l’industrie, où le CDIest la forme dominante du contrat de tra-vail, et lui permettre d’abaisser ses autrescoûts, en particulier dans les services, en concentrant la flexibilité sur les emplois tem-

poraires et peu qualifiés. »C’est pourquoi les politiques de précarisa-

tion du travail à outrance, qui limitent la casse en période de crise, ne peuvent être que transitoires. Ces derniers mois, on a vu réapparaître des verrous dans les pays qui avaient ouvert en grand les vannes du tra-vail atypique. Depuis le début de l’année, l’Allemagne a un smic universel à 8,50 euros.Et les Pays-Bas, qui ont durci la possibilité derecourir aux contrats courts, ont limité à sixmois le « travail sur appel », autre nom du « contrat zéro heure ».

« RÉFORME DU CDI »

L’époque du tout-précaire est déjà passée. Enrevanche, l’assouplissement des CDI a un ef-fet de long terme plus bénéfique sur la crois-sance. Même si, dans un tout premiertemps, il contribue à détruire plus d’em-plois, le rebond des embauches ne venant qu’après coup. Un mécanisme particulière-ment net dans les périodes de reprise écono-mique, comme aujourd’hui. « Dans l’accélé-ration du cycle économique, explique An-dréa Bassanini de l’OCDE, la réforme du CDI et l’assouplissement du droit du licenciement accroissent la richesse en emplois de la re-prise, en particulier en emplois de qualité, car ils poussent les entreprises à prendre des ris-ques. » Et d’ajouter : « Cette réforme a poureffet d’accroître la productivité et, partant, la croissance. »

L’effet de la réforme du CDI, que le gouver-nement français n’a pas voulu envisager, estd’autant plus bénéfique qu’en favorisant le passage du CDD au CDI elle contribue à cas-ser le dualisme du marché du travail entre ultra-protégés et ultra-précaires. C’est cequ’a voulu faire l’Italie, avec son « Jobs Act » de 2014, qui a abaissé le coût du licencie-ment des CDI, tout en assouplissant le re-cours au CDD. « L’idée est de recréer de la con-tinuité entre les deux en répartissant le risqueéconomique de la fin d’un contrat entre les CDI et les CDD », explique Marc Ferracci.

C’était précisément l’inspiration du con-trat unique proposé, dès 2003, par les écono-mistes Olivier Blanchard et Jean Tirole. Sé-curiser le coût des licenciements en créant un barème d’indemnisation aux prud’hom-mes est une manière d’y aller, mais à petits pas. Ainsi, précariser le travail n’apparaît plus comme une voie durable vers le plein-emploi.

Car même en Allemagne ou au Royaume-Uni, les clés du plein-emploi étaient ailleurs : les Allemands ont bénéficié de la croissance soutenue en Europe au début desannées 2000 et le Royaume- Uni a pu déva-luer sa monnaie pour soutenir la sienne.

Le réseau allemand des économistes dutravail, IZA, a démontré que c’était surtout l’amélioration du service de l’emploi, en par-ticulier le fait d’avoir doublé le temps d’enca-drement des chômeurs, qui avait accru for-tement les chances d’un chômeur de retrou-ver un emploi. Au Royaume-Uni, ce sont les « job centers », où ont été regroupées la for-mation, l’orientation et les prestations auxchômeurs, qui ont été déterminants.

En fait, à long terme, c’est la sécurisationqui marche : celle du chômeur qui se voit pris en main jusqu’au bout. Celle de l’em-ployeur qui sait où il va quand il prend un risque sur quelqu’un. Mais il y a des maniè-res très différentes d’y arriver, comme l’ex-plique Eric Heyer : « Soit à la scandinave, en accordant une indemnisation du chômage généreuse et un encadrement efficace de re-tour à l’emploi. Soit à l’américaine, où le gou-vernement assure une croissance économi-que de 3 % l’an qui garantit au chômeur de trouver rapidement un emploi. Cette priorité absolue à la croissance est au cœur du con-trat social américain : l’environnement dutravail est précaire, mais chacun sait que l’Etat fera tout ce qui est en son pouvoir pour éviter les périodes de récession longues. » p

valérie segond

2002-2008Création des job centers

Avant les années 20001996 : création des indemnités-chômage1998 : plafond du temps de travail à 48 heures par semaine avec possiblité d’y déroger

ROYAUME-UNI

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Contrôle accru des chômeurset effort sur leur formation

Aide à l’entrepreneuriat

« Future Jobs Fund » : subvention des emplois jeunes « Universal Credit » : fusion des allocations pour inciter au retour à l’emploi « Work Program » : rémunération des organismes de placement privés selon leurs résultats

2012-2014Réforme des prud’hommes : limitation des recours,plafonnement des indemnitésAssouplissement des licenciements collectifs

2002

Réforme BiagiLimitation des contrats de projetPrivatisation des agences de l’emploi

Introduction du temps partagé, de la locationde main-d’œuvre,du travail à la demande

ITALIE

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Réforme ForneroAugmentationdes cotisationssur les CDD

Jobs Act de 2014Création d’un CDI à « protection croissante », avec exonération de charges à l’embauche

Restrictiondes contratsprécaires

Améliorationdu montantet de la durée d’indemnisation

Suppression de l’obligationde réintégration des salariés licenciés de façon illégitimeIndemnisation des chômeurssur un barème forfaitaire

Création de la rupturenégociéeAssouplissementdu recours aux CDD(max. 36 mois)

2002

SOURCE : UK EMBASSY

SOURCE : FRANCE STRATÉGIE

« Il va peut-être falloir repenserla place du travail dans nos vies »

ENTRETIEN

S ociologue britannique etprofesseur à l’université deCambridge, Anthony Gid-

dens, 77 ans, fut un grand inspira-teur de Tony Blair. Invité du Cercle des économistes aux rencontres d’Aix, il livre ses interrogations sur l’impact des transformations du travail sur la société.

Comment le changement des conditions de travail, avec plus de précarité de l’emploi et plus d’isolement dans le travail, peut-il toucher la société ?

Les lieux de travail deviendrontde plus en plus décentrés, et la dis-tinction entre le lieu de travail et lamaison tendra à s’effacer comme c’est le cas dans de larges pans de l’économie du partage. Les qualifi-cations qui, hier, exigeaient du temps pour se développer, pour-ront devenir obsolètes en un jour. Il va falloir repenser la Sécurité so-ciale, comme peut-être la place du travail dans nos vies. Nous ne fe-rons pas l’économie d’une ré-flexion sur le revenu universel.

L’intelligence artificielle est en passe de remplacer des mil-lions d’emplois ? A quoi res-semblera une société où le tra-vail devient rare ?

Ce n’est pas la première fois qu’il

y a des débats sur la fin du travail. La seule chose, c’est que nous ne savons pas aujourd’hui ce que seral’impact de l’automatisation et de l’intelligence artificielle. De nou-veaux emplois apparaîtront je pense, et en grand nombre, en mé-decine, dans les services à la per-sonne, et ailleurs. Il n’y a jamais euautant de seniors qui travaillent, probablement aux dépens des jeu-nes. Ainsi, il n’est pas sûr que la masse des travailleurs soit con-damnée à vivre dans la précarité, même si personne ne sait vrai-ment aujourd’hui vers quoi on va.

On oppose de plus en plus tra-vail et emploi. Qu’est-ce que cela révèle pour vous ?

Dans le passé, seule une mino-rité, en haut de l’échelle, considé-rait que le travail était une voca-tion, une source profonde de satis-faction. Pour beaucoup, en parti-culier pour les hommes, la valeur du travail était ailleurs : un statut, une certaine stabilité, un lieu où aller, une occasion d’interagir avec d’autres, etc. Il est possible que celasoit partagé par de plus en plus de monde. Pour les docteurs ou les sa-vants, il y aura encore des carrièresconstruites sur un investissement durable. Cependant, il est probableque nous soyons dans un monde de chocs imprévisibles où les qua-lifications acquises patiemment et

chèrement, et ce même les plus poussées, ne seront plus un rem-part contre l’insécurité.

Les droits des travailleurs en CDI constituent-ils les nou-veaux privilèges ?

Dans le passé, les travailleurs ma-nuels étaient embauchés sur des contrats courts, comme les doc-kers à Liverpool qui signaient pourdes emplois à la semaine, voire à lajournée. N’idéalisons pas le passé ! Mais le précariat semble bel et biens’étendre à de plus en plus de mé-tiers. Et la fracture entre les bons jobs et les autres semble de plus enplus large. Mais il n’y aura pas de « nuit du 4 août ».

Il nous faut réfléchir à de nouvel-les stratégies, car notre manière deprotéger contre l’insécurité de l’emploi a perdu en efficacité. A une époque de changements per-manents, « Protéger le travailleur, non l’emploi » est un bon principe :ainsi en est-il du salaire minimum,pour autant qu’il n’empêche pas lacréation d’emplois ; de l’investis-sement dans l’employabilité ; et des entreprises qui traitent leurs employés comme des parties pre-nantes et non comme des actifs je-tables. Il va falloir beaucoup d’ima-gination en politique, car c’est un processus qui semble n’en être en-core qu’à ses balbutiements. p

propos recueillis par v. se

CDI, indemnités, flexibilité…Cinq idées reçues sur les réformes

Q ue nous disent les tra-vaux du département dela recherche du Bureauinternational du tra-

vail ? Le rapport « Les réformesdepuis la crise de 2008 », pré-senté par son directeur, RaymondTorres, lors des journées de tra-vail du Conseil d’orientation pourl’emploi, qui ont eu lieu en juin, àParis, permet de distinguer le ouidu non dans des questions sou-vent abordées sous le prisme de l’idéologie.

Les réformes ont-elles eu ten-dance à réduire les protections du CDI ?Oui. Les réformes ont eu ten-dance à réduire les protections duCDI, à accroître le recours aux em-plois temporaires, à rendre lesheures de travail moins prévisi-bles, à privilégier les accords d’en-treprise, à faciliter les licencie-ments collectifs en cas de difficul-tés économiques de l’entreprise et à réduire les indemnités de li-cenciement, en montant comme en durée. Plus le taux de chômageétait élevé, plus la protection de l’emploi a été diminuée.

Les réformes sont-elles venues broyer les chômeurs ?Non. Car, dans le même temps, lesréformes ont eu tendance à ren-forcer les politiques dites « acti-ves », c’est-à-dire l’aide aux chô-meurs : en clair, leur formation, leur accompagnement par le ser-vice public de l’emploi, les sub-ventions à la reprise d’un emploi, les politiques en faveur des jeu-nes, etc. Comme s’il y avait eu unecontrepartie à l’abaissement desprotections. Les politiques del’emploi en Europe se sont, en ce sens, inspirées des modèles scan-dinaves, davantage qu’anglo-saxons.

Tous les pays européens ont-ils réduit l’indemnisation du chô-mage ?Non. Les politiques ont modifié letaux de remplacement, l’éligibi-lité à l’indemnisation, ou sa du-rée. Mais, fait notable, il y a euautant de protection accrue quede réduction de l’indemnisation.Cinq pays ont accru l’indemnisa-tion des chômeurs pendant lacrise : l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, le Royaume-Uni et

l’Italie. Quatre de ces cinq payssont quasiment au plein-emploi. En 2012, la part des chômeurs ins-crits indemnisés est en moyenne, en Europe, sensiblement la mêmequ’en 2008.

La flexibilité est-elle forcément bonne pour l’emploi ?Oui et non. Ce n’est pas toujoursle cas. Globalement, plus la pro-tection a été abaissée, plus l’em-ploi s’est révélé élastique à lacroissance. Mais pas pour tous les types de contrats. Car, plus on adiminué la protection des em-plois temporaires, moins les ré-formes ont contribué à créer de l’emploi.

Réformer fonctionne-t-il quel que soit l’environnement ?Non. Les conditions démogra-phiques et, surtout, macroéco-nomiques dominent les effets decourt terme des réformes. Et lesréformes du marché du travailont davantage d’effet sur l’emploisi elles sont accompagnées de ré-formes du marché des biens etservices. p

v. se.