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DESHOMMES,DESVINSETDESÉMOTIONS

NicolasdeRabaudy

Deshommes,desvins

etdesémotions

Mémoiresd’unamateurdegrandscrus

PréfacedeJacquesPuisais

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sera-t-ilprêtàboire?Quinzeanssuffisent-ils?Vingtans?Lors d’un autre dîner chez Taillevent, François Pinault,

l’actuel propriétaire, avait fait servir un 1928 et un 1929 deLatourdont la jeunessenousavait ébloui : les tanins sauvagesdisaitJeanTroisgros,abrupts,anguleuxs’étaientfondusdanslecorps du Pauillac. Douceur, élégance, finesse, une tellemétamorphoseduvinnousavaitlaisséspantois.

Dessouvenirsdes1964,1966,1971,1982,unchef-d’œuvrele 1990massif,me revenaient enmémoire tandis que la fouledes invitéssemettaitenquêted’uneplaceà tableet labonne,carilnes’agissaitpasdeprocéderselonsondésir:àBordeaux,leritueldeschâteauxrépondàuneétiquettestricte,legratinnese mélange pas avec les sans-grade… et les œnophiles deNouvelleZélande,deTaiwanoudeSingapour.

Àlatabled’honneur,MmeFrançoisPinault,sanssonmari,avait à ses côtés les édiles de la municipalité, des officielsgalonnéset autres seigneursde laCommanderieduBontemps,duMédoc, desGraves et duSauternais,maîtres d’œuvrede lacérémonie. Aux trente tables rondes de huit couverts, lesFrançaistenaientlehautdupavé,chacuneétaitprésidéeparunchâtelainousonreprésentant,bienheureuxdefigurerdanscetteassemblée de l’aristocratie du bouchon. À la presseinternationaleétaitoffertcedînerd’apparatetderaresflacons,cequienrehaussaitl’intérêtpourlesprofessionnelsenquêtedefructueuxcontacts.

Ainsi,MichelBettane,latêtepensantedelaRevuedesVinsde France (à l’époque) et du Guide Bettane Desseauve, cedernier en conversation avec Mme Pinault étaient-ils trèsentourés–onfaisaitlaqueueàleurtablepourleursoufflerunmot. « Il y a long-temps qu’on ne vous a pas vu au château àSaint-Estèphe, venez tester les premières mises en bouteilles,pas pour les noter bien sûr,mais pour vous faire une idée du

millésime, c’est une bonne expérience, le vin dans sajeunesse…»MichelBettaneacquiesçait,bonconvive.

Entendantcesphrasesincitatives,undictondeJean-MichelCazes,propriétaireduChâteauLynch-BagesàPauillac,legrandmaître en tenue d’apparat de la Commanderie me revint àl’esprit:«Iln’estpasindispensablequelevindanssonenfancesoitmauvaispourqu’ilsoitbonetdélicieuxparlasuite,danssamaturité.»PourlePauillacdeLatour,levindanssaprématuritén’étaitquepromesses.

La languedeShakespeare et celle d’Hemingway fleurissaittout près du cercle des puissants et des nantis : les marchésanglo-saxons étaient encoreprioritaires et l’objet de toutes lessollicitations des propriétaires et négociants, l’astre RobertParkerprogressaitdanslesesprits–hélas,ilétaitabsent.

Tandis que l’on servait le consommé chaud destiné à fairepasser la suite des agapes, je cherchais Michel Dovaz,l’historien des vins de Bordeaux, une sommité dansl’appréhension, la description, la connaissance des vins deGironde–ilétaitl’auteurd’uneEncyclopédiedescrusclassésdeBordeaux, une bible – et je l’aperçus au fond de la salle,assisàunetabled’anonymes.Aucunepersonnalitéconnuedanslelandernaugirondinn’yfigurait.

Dans l’entourage de la puissance invitante, ignorait-on quiétaitl’écrivainfranco-suisse,sonpassélelettréœnophileettoutce que son talent de conteur avait fait pour la défense etl’illustration–lanotoriété–desvinsdesAOClocales?

Desurcroît,ilvenaitdepublierChâteauLatour,unouvragede référence qui retraçait la trajectoire du premier cru, desoriginesaurachatdudomaineparFrançoisPinaulten1993,uncoupdemaîtrepourl’ex-négociantenbois,unBretondupeuplemonté à Paris. Oui, ce gros livre, une somme, aurait dû êtredéposésurlachaisedechacundesinvités,c’étaitleprésentde

circonstance, le « must » pour des œnophiles confrontés à lasève,àlapuissance,àl’envoûtementdesvinsduchâteau.

MmePinault, souriante,maîtressedemaison, soucieusedechoyer ses hôtes, aurait eu de quoi être fière de présenter, dedédicacercebeaulivredontchacunedespagesracontaitlasagamouvementéeduPauillacsicherauxcitoyensdeSaMajesté–ennombredanslasalle–etqueleflair,lachanceetl’argentdumilliardairefrançaisavaientfaitrevenirdanslecercledeschefs-d’œuvre de l’Hexagone. Après tout, Latour aurait pu nouséchapper à jamais et qui sait, devenir la propriété d’un tycoonjaponais comme le Château Lagrange à Saint-Julien ou leChâteauBeychevelleàmoitiénippon.

L’ouvrage avait-il déplu aux propriétaires ? La questionméritait d’être posée à l’auteur. Debout devant moi, MichelDovaz,sacrinièreblancheetsonairmalicieux,l’humoursuisseluiavais-jeditun jour,m’annonça, toutdego,qu’iln’avaiteuaucune réaction de la famille Pinault – motus, le silence.Stupéfaction de ma part. Dovaz n’en savait pas plus. Lespropriétaires avaient-ils parcouru, feuilleté, lu l’ouvrage ?Mystère.

À la seconde,MmeFrançois Pinault apparut, tout sourire,cherchantquelqu’un.Qui?Jem’avançaisverselle.

– Mme Pinault, merci pour cette soirée. Connaissez-vousl’honorableMichelDovazquiaécritlelivre,lasommesurvotrechâteau?LegrandlivredeLatouretdesondestinquivientdeparaître?

–Ahnon.– Le voici devant vous. C’est l’auteur Michel Dovaz, un

Monsieur dans l’univers des Bordeaux, un écrivain, un savantquebeaucoupd’entrenousadmirons.

–Ah trèsbien. Je suisheureusedevous saluer,dit-elle enser-rantlamaindeDovaz.

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Squer,ilchoisitlefoiedeveauépais,leplusgoûteuxdeParis;chezÉricFréchonauBristol,ilexigelavolailleenvessie;chezLasserre,lesmacaronisfarcisaufoiegras,etlorsdesondernierbrigadatpoursescompèresduClubdesCent,ilacommandéàGuy Savoy une poularde Albufera au riz basmati, l’une despréparations emblématiques de la noble cuisine française – lariche volaille portée aux nues par l’assistance, moins blaséequ’onnelecroit.

«Àl’hôpital,jesouffretoutelajournée,j’aidelapeine,desangoisses à l’heure de la consultation, quand je vois mesmaladesatteintsd’uncanceravancé»susurre-t-ilenconfidence.«Jemeressourcelesoirparlebiaisdepréparationsculinairesquim’aident à vivre, à supporter le poids des souffrances, desincertitudes, des traitements lourds infligés àmespatients.Oùvais-je trouver en moi l’énergie, la force de convaincre,nécessaire à mon métier, à mon sacerdoce ? Pour certains, lamusique, la politique, le sport, la peinture, la culture vivantesont des adjuvants. Pour moi, c’est l’art culinaire qui meressource,c’estl’artdudon,del’amouretdupartage.»

La bombance revêt pour le professeur de cancérologie unejustificationàtable:ilenabesoinpourfairefaceàsespatients,c’estunsoutiendécisif.

«Montravaildebase,faceauxravagesducancer,consisteàpersuadermesmaladesquelaviemérited’êtrevécue,mêmesileprixàpayerestcoûteux,exorbitantentermesdefrustrations,depénibilité,depeurs»souligne-t-il.« Je soutiensqu’unmaladeen grave danger lit à l’intérieur de moi, avec une incroyablevista,uneintuitionlumineuse.Ilfautquejesoisàlahauteur.Lavie vécue à travers moi doit être belle, exaltante pour lesamoindris.»

AndréMalrauxl’abiendit:«Lavienevautrien,maisriennevautlavie.»

« Pour un cancérologue, la vie a une valeur inestimable,ajoutet-il.Sauverquelqu’uncoûteunefortuneà lasociété,descentaines de milliers d’euros – pour le cancer du sein parexemple.Ce qui est encore plus coûteux, c’est quand il n’y apasdeguérison.EnFrance, le cancer est lapremière causedemortalitéprématurée,avant65ans,etleschiffresdoublenttousles vingt ans. Cent cinquantemillemorts par an, 30milliardsd’euros.»

Dans son livre, Le vrai régime anti-cancer (Odile Jacob,2010), traduit dans trente pays, David Khayat – trente-deuxannéesdecombat,souventdésespéré,contrecefléau–indiqueque«noscomportementsalimentaires,prisau sens large, sontresponsablesdebonnombredecancersquenousdéveloppons,disons20%.»

Tout est dans la diversité et dans la prévention, notionscapitales.Cequ’ilfautéviter:

• Le tabac, 30% des cancers. Un cigare de temps en tempsn’estpasnocif.

• L’excèsd’espadon,dethonrouge,deflétan,desaumonquicontiennenttropdemétauxlourdsetdetoxiques.

• L’excès de laitages, qu’il s’agisse du lait ou de produitsfermentés,fromages,yaourts.

• Lebêta-carotènedanslescomplémentsnutritionnels.Sivousfumez, ce produit est nuisible. Pas d’exagération dans lesfruitsetlégumes.

• LavitamineEdans lescocktailsvitaminiquesaugmente lesrisquesdecancer.

• L’excèsd’alcoolsforts,jamaisplusde30grammesd’éthanolparjour.

• L’excès de poids, puissant facteur d’augmentation decertainscancers.

• L’arsenic dans l’eau du robinet ainsi que les nitrites etnitrates polluants et certaines charcuteries industrielles, àévitersystématiquement,hautementcancérigènes.

• Lesangcontenudanslaviande,aprèsunboudinnoiretunecôte de bœuf pleine de jus, essayez de prendre ensuite uncomprimé de phosphate de calcium qui réduit l’effetcancérigènedel’hémoglobineingurgitée.

• Les matières grasses riches en acides gras polyinsaturés,l’huiledecolza,depérillaetdegrainesdechanvre.

•Lesgrillades,lesbarbecuesetlacuisineauwok:lemarquageden’importequelalimentparlecontactdelaflamme(plusde500°C)créedessubstancesparticulièrementnocives.Demêmepourl’emploiduwokgénérantdestempératurestropélevéesetcancérigènes.

Listedesalimentsanti-cancer:

• Airelles, ail, algues, artichauts, avocats, badiane, bananes,betteraves, bouillon de légumes, câpres, champignons,chocolatnoir,chouchinois,chou-fleur,chouxdeBruxelles,conserves de légumes et tomates, coriandre, courgettes,cresson, crevettes, graines d’épeautre, fenouil, gingembre,grenade, huile d’olive, kiwis, lentilles, livèche, menthe,mûres, navets, nectarines, noix, noix muscade, œufs,oignonsblancs,oignonsrouges,olivesvertes,orge,oursins,paillettesde levuredebière,paincomplet,pamplemousses,pastèque, persil, piment, poivre, poivrons, quinoa, radisnoirs, raisin, riz, roquette, sésame, thé, tofu, tomates,

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sacréenuancequialepouvoird’éleverlesvins.Unchampagneancien,PolRoger1921,Bollinger1928,restituesasignaturedevinseptentrional.

D’un noble sauternes ambré, en dépit de la puissance dubotrytiset compte tenude l’époustouflantéventaild’arômesetde saveurs, la fraîcheur affleurera, évitant toute impression demollesse. Yquem en est la parfaite illustration. C’est lagourmandiseduliquoreux,sasensualitésuavequinoushappe,noussaisitmaisc’estlafraîcheurquidéclenche,plusieursfois,l’actedeboire.C’estpourquoi,ilnousfaitvibrer,accéderàunesortedegriserie,destupéfactionàrépétition:Yquemsedégusteseul, impérial, même si une palette de préparations peutl’agrémenter. À table, il s’agit de manger et de boire – etl’Yquemreposeàpeinerafraîchidansnosverresàpied.

Danslelangagedel’œnophiliemoderne,laminéralitéafaitsonapparition, caractérisant legoûtdepierreà fusil employéejadis,reléguéeaumagasindesaccessoires.«Laformuleévoquelapréhistoireet…Astérix leGaulois»ajouteMichelBettane,un agrégé qui a des lettres et fameux dégustateur journaliste.Tout vin blanc sec d’AOC digne de ce nom se doit d’êtreminéral, associé au fruité de base, d’un autre âge. Les goûtsévoluentavecl’œnologie.

Enallantau-delàdecettenuance,onchercheàdéterminerlesalé,letendu,lafermetéduvin,ledurcommeleminéraletlescaillouxdusol.Voilàquiestsavantetvousposeundégustateur.Onaperçucequivientdes entraillesdu terroir, lamatriceduvin,sonessenceenunmot.

Pourquoipas?C’est la langue, le logosqui fontexister levin, culturellement. Le hic est que la minéralité, si en vogue,s’inscrit dans l’univers des vins rouges, une extension verbaleplus qu’énigmatique. Qu’est-ce que le minéral dans lescabernets, lemerlot, le petit verdot, la syrah, lemourvèdre, le

pinotnoir…?Dansunvignobledesoleil,d’épices,degariguesoùlamaturitédesgrappesestuneconstante,larecherchedelaminéraliténesautepasaupalais.Unefigurederhétorique?

Lafraîcheur,enrevanche,dansunLafite59,unMouton45,unLatour 61, baignés des ventsmarins,mérite d’être décelée,saluée,louée:c’estlatracepalpabledesajeunesse.Disons-le,levinsesouvientpourlapostérité.Iln’estquepeuaffectéparlesstigmatesdutemps.Letermedeminéralitéest-ilapproprié?Il est peu signifiant et surtout il n’est qu’un détail dans ladescription générale de ces trois vins : il y a tant à dire, àadmirerdansunMouton1945!

Des crus fameux comme Haut-Brion, Pichon Lalande,Léoville Barton, Haut Marbuzet, Sociando Mallet présententunefraîcheurdestyleenbouche,c’estcequifaitleurprix,leurcharme, leur raffinement–cepourquoion lespréserveenvuededégustationsàmarquerd’unepierreblanche.

L

6.

L’ITINÉRAIRED’UNBUVEURDEBORDEAUX,RAYMONDOLIVER

AUGRANDVÉFOURÀPARIS,AVRIL1977

e vin délie les langues.Georges Lepré, chef sommelierdu grand restaurant et moi-même écoutons le célèbre

cuisinierévoquerquelquessouvenirs.RaymondOliver,enplusde sa science inégalable, est un conteur admirable, plein desaveuretdevie.Lisezsesréponsesàcesquestions.

Question:Àquelâgeavez-vouscommencéàboireduvin?RaymondOliver :À cinq ans, j’étais précoce comme les

gens des pays de vins.Nousbuvions duSauternes à table dèsmonenfance,lejourdePâquesetàNoël,aucoursderepasdefamille traditionnels : Pâques, c’était la lamproie ; Noël, lespoules grasses ou le chapon (la dinde était une volaille desLandesplusquedelaGironde),etlesenfantsavalaientunpetitverre à liqueur de Sauternes. Il faut dire que dans les pays devignobles,onnecraintpasl’alcoolisme.NeufbouteillesdevinparjouràPerpignan,celanefaisaitpaspeurauxpaysans.

Q.:VousêtesdevenuungrandamateurdeSauternesetvousl’êtesresté…

R. O. : Je suis devenu un bon connaisseur de Sauternes,maisj’aieudespériodes,descyclesdansmesgoûtsenmatièredevin.J’aiconnul’époquedesclassesélémentaires.Jesuisalléà l’écoledeLangondansunétablissementprivé,quiétait tenu

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Rabac, marches à pied, monastères, chutes d’eau et palaisdioclétiens,levinestàl’honneurdès11h30dumatindanslethéâtredeveloursrougedunavireblancquiglissesurleseauxsans qu’on s’aperçoive qu’il a levé l’ancre : miracle de latechnologieitalienne.

Ce matin donc, les vignobles de Croatie et quatre vinsblancs,unrougeetunliquoreuxenpetitflaconde33centilitres.Véritable encyclopédie du vin, Poussier a visité ces terroirssouvent pentus, escarpés comme àAmpuis, le long duRhône,chez Marcel Guigal et Michel Chapoutier que le maîtresommelier au babil infini a d’ailleurs promené avec d’autresprofessionnels de la viti-culture française, le verre à la main,chezdesvigneronscourageuxd’Istrie,deSplitetducentredelaCroatie, « un eldorado de la culture de la vigne que lesEuropéens, amateurs de bouteilles rares, devraient mieuxconnaître.»

Deboutsur lascène,unmicroauborddes lèvres,Poussierdécrit le Malvoisie 2010, proche du Vermentino corse, auxarômesdecitron,d’uneremarquablefraîcheur,13,5°d’alcooletdix annéesdematuration àprévoir, unblanc ensorcelant.Puisvient un autre blanc de Hvar aux parfums d’amande, de cire,récoltéà600mètresd’altitude,unexploit–c’esticiqu’estnéleviognier cher à Marcel Guigal. Suivent un autre MalvoisieAmphoraauxgoûtsdepaind’épices, etun rougePlavac2007assimilableàunvindeToscaneouduPiémontparsonampleur,sonfruitéharmonieux,àservirsurunagneau,unperdreauouunlièvreàlaroyale.Légerrafraîchissementàprévoirsansbloquerlestanins.«Latempératured’unvinestcomparableàlacuissond’une viande, ditOlivier Poussier, il s’agit de trouver le justemilieu.»

L’apothéose vient avec un blanc passerillé ProsekHectorovich, un vin de dessert, sans alcool ajouté, titré à 14°,

emballantpourseseffluvesd’épices,d’abricot,procheduTokayhongroisàfairevoisineravecunetarteTatin,unecrèmebrûlée,etaussi,ajoutet-il,«bonchoixsurlecanardApiciusaumieletdattesd’AlainSenderens.»

Éblouissant toutau longdecetteheuredecoursmagistral,Poussierconnaîtnonseulementlastructuredesvins,maisaussilesvigneronsdont ilcite lesnoms:MarinoMatesic(DomaineKabola),MorenoCoronica…ainsiqueledistributeurValadeàBordeaux. L’homme en noir ne s’est pas contenté d’unmonologue détaillé, évocateur du style de ces flacons un brinexotiques, il veut les faire connaître, les faire acheter par desamateurs,dessommeliers,descavistes,desrestaurateurscarlesgrandsvinsontvocationàêtrebus,appréciéshorsdeleurrégiondeproduction.Poussierrecèleenluiuneâmedeprophètedeladivebouteille. Il boit pour autrui et pourque lesvigneronsdesescarnetsviventdeleurtravail.

Audéjeunersur lepont6,aubordde lapiscine turquoise,sardinesetespadongrillés,blanquettedeveau,œufsàlaneige,il a pris soin de monter du théâtre deux blancs – dontl’admirable Prosek Hectorovich – et le Plavac aux taninsadoucispar le temps.Partageetgourmandisedans les effluvesd’ail.J’enviensàlequestionnersursesplusfameuxsouvenirsde dégustation, là où il y a eu de l’émotion, un choc, unevibrationparticulière.

UnMadèreHenriques&Henriques1900.«Jenesavaispasoù j’étais, ce qui pénétrait dans ma bouche, j’étais troublé,interloquéparlacomplexitéduvin.Avais-jeàfaireàunAcetobalsamicodeModène,unetellepureté,unetonalitéaromatiqueextraordinaire, j’étais perdu. Je pense souvent à ce Madèrefabuleux. Aussi à un Tokaji Oremus de 6 Puttonyos 1977,absolument magique par sa définition, équilibre parfait entresucreetvin,unefantastiqueémotion.»

Un Mission Haut-Brion 1929, « en pleine jeunesse, uneexpression pleine, complexe, il y a tout dans ce Graves, engrandeforme.Unvinvieuxneveutpasdirefoutu!»

« J’adore Bordeaux et ses vins. Le climat océanique a lepouvoirdemodifier la situationgéographiquedecesmultiplesterroirs.Onadesvinsde latitudenorddansunclimatsudiste,c’estleprivilègedescrusdeGironde,d’oùlajustematuritédesvins, et leur longévité. La façade atlantique est un formidablerectificateurduclimat.Sansl’influencedel’océan,desvents,dufleuve – les vignobles comme Beychevelle, Latour, Las Casesquivoientlarivière–Bordeauxneferaitpasdesvinsaussifrais,aussidigestes.L’Atlantique,c’est lagrandechancedecesvinsdegastronomie,depurplaisir.»

Mais dans l’esprit de Poussier, au cœur de sa réflexionappuyéeparl’expérience(20ans),iln’yapasquedesrougesdelarivegaucheetdroite.«Jerespectebeaucouplesgensquiontla téméritédeproduiredesvinsdeSauternesetBarsaq. Il fautde la dévotion, de l’acharnement. Songez donc aux petitsrendements, moins de 27 hectos à l’hectare, le règlement del’AOC,c’estplussouvent15,àquois’ajoutentunefermentationcomplexeenmilieusucré,c’estl’équilibresucre,acidité,alcoolet l’élevage longsousbois,36moispourYquem,unensemblededéfispermanents.»

«Pourmoi,cesvinsd’orquiviventtrèslongtemps,unsiècleetplus,nesontpasreconnusàleurjustevaleur.LeChâteaudeFargues 1989, une émotion sublime, l’équilibre fascinantd’Yquem alors qu’il est né ailleurs, dans un terroir différent.Inoubliablesensation.»

Le grand sommelier, aux propos enthousiastes, loin duconsensus mou, de l’approbation béate, demande aux édilesgirondins une plus nette implication dans la défense, lapromotiondesvinsliquoreuxduSauternais.«Dansl’AOC,les

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coteauxenChampagne,leshommesetlesfemmesattachésàcelabeurà cielouvertontde lapeineetduchagrincarducorpsmeurtri, les larmes mouillent les joues des jeunes pousses auvisage ravagé. Les cadeaux de la nature viticole ne se laissentpascaptercommeça.Lefolkloreestompelapénibilité.

Ce jour-là, en Champagne, sous un soleil discret, unecinquantainedevendangeursentenuebleueetfoulardrouge,lesfemmesenrobelongued’époque,lacoiffeancestralesurlatête,commémorentlacueillettedeseptembre1910.SurlecoteaudeSaran,onrendhommageauxvendangeursdejadis–lesécateura remplacé la serpette. On a revêtu les costumes de l’époque,sabotset tabliers,unecarrioleàdeuxchevauxlongelechemindes vignes, trois musiciens sont là qui rythment les allées etvenues, le mouvement de la cueillette, l’heure est à la bonnehumeur, à la joie de voir les paniers d’osier se remplir degrappes ciselées de chardonnay ; en bouche, l’acidité et lafraîcheurexcitentlespapilles.Lesraisinsdujournourrissentleshommesetlesfemmesquiaidentàrentrerlarécoltedelafindel’été.

Oui, lavendangereprésentelecouronnementdel’œuvredel’année. Pour les vignerons, c’est leur raison de vivre. Toutconverge dans les travaux et les jours vers le ramassage desgrappes sur les ceps, cent jours après la fleur. Et la grandeénigme, les premiers jours, reste l’état sanitaire des raisins,l’aspect général de la grappe, la couleur et la consistance desgrains, la saveur, le dosage des sucres et de l’acidité, le degréalcooliquepotentiel.

Néeselonlescapricesduciel, laqualitédelarécoltevaried’une année sur l’autre. Au début du siècle, le jour del’ouverturedelavendangeétaitdécidéenmairie,selonl’avisduconseilmunicipal:c’étaitlebandesvendanges.

En1910,lavigneavaitbeaucoupsouffertdesintempérieset

larécoltefutquasimentinexistante.Lecoupfuttrèsdurpourlesouvriersd’usinesetmineursquivenaients’aérerenChampagne.C’estpourquoi,unsiècleplustard,lamaisonMoëtetChandon,encepremierjourdelacueillette2010,aconviéunepoignéedechampagnophiles à participer au dépouillement des ceps, àcroquer les premières baies et à remplir les cagettes biennettoyées des feuilles et grains pourris avant d’expédier larécolte au vendangeoir de Cramant, construit au début duXXesiècle, en contrebas des vignes exposées plein soleil, à micoteau, une situation rêvée pour la maturation de la matièrepremière.

Leschardonnaysdecevillageviticole,procheduChâteaudeSaran,propriétédeMoëtetChandon,sontlacrèmedelacrèmepour l’assemblage des crus à venir, pour l’architecture descuvéesdues à lamaestriades chefsde cave, à sonpalais, à samémoire.

Que sera le vinde2010, un champagnenonmillésimé, unmillésimehistorique–unDomPérignonprestigieux, unMoëtdelégendecommele2003ouunmodesteadjuvantdansl’élabo-rationfinaledubrut?Waitandsee.

Chef des caves Moët, Benoît Guez, un long trentenaireminceauphysiquedejeunepremier,serefuseàtoutpronostic.À ce stade du ramassage, de l’épluchage, du transport descagettes, il s’avoue dans l’incapacité de dire quoi que ce soit.Toutsefera,larécolteachevée–1300hectaresdevignes,rienque pour celles de Moët et Chandon, soit le tiers desapprovisionnements – et les raisins pressés, répartis selon lestroiscépagesautorisés,lescrusetlesparcelles:lavéritéfinaleseracelledugoût,deladégustation,despapilles.Toutcelarestetrèsempirique.Commentserait-ceautrement?

Devant nous, dans la cour ensoleillée du vendangeoir, les

grainssontversésdanslepetitpressoiràmaindesannées1900,la machine tourne, broie les fruits et le jus sort d’un mini-robinet,mincepressée,siémouvanteàlamper, lefruitéàpeineacide nous désaltère en guise d’apéritif avant la traditionnellepotée champenoise, escortée, elle, debrut blancpuisde rosé :voici le champagne à la pétillance vive, né ici, savouré prochedeslieuxdesonéclosion–commesinousbuvionsduLafite,duMargaux ou de l’Yquem aux châteaux. Nulle altération par letransportoulesconditionsdestockage.

Dansl’après-midi,augigantesquecentredepressuragedelaMontagnedeReims, lesquaranteouvriersfont les trois-huitetpendantdeuxsemaines,lespressoirsautomatiséspardesrobotsvont livrerpar jour l’équivalentde500000bouteillesdebrut.Tout a changé depuis l’avant-guerre 1914-1918, le champagneest devenu un vin de masse distribué dans 120 pays et pourMoët,laproductionavoisineles30millionsdebouteillesparan–unbouchonsaute toutes lesminutessur laplanète.Voilàunvin illustrissime façonné par des méthodes et technologiesindustrielles mais contrôlé par des ingénieurs de l’artisanatchampenois,guidés,orientésparl’œil,lenezetlabouche.C’estl’homme qui décide. Un exemple : comment de cette forêt decuves au repos distinguer ce qui fera le Moët Impérial, lemillésimé ou le Dom Pérignon de demain – et le rosé avecl’ajoutdevinrougedel’AOC?

On ignore si « Moët est le champagne le plus aimé dumonde » ainsi que le proclame un document maison, on saitseulement que pour une telle quantité de bouteilles, la qualitéest là et au fond de la brousse africaine, dans un lodge duKenya, après un safari photos, un magnum de la marqued’Épernay représente beaucoup plus que du champagne à lamoustille ensorcelante : un peu de la civilisation du vin, del’âmedelaFrance.CevindeChampagneexigedel’élévation.

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baronne,ilsaitqu’ilpasseradutempsàClarkedèslesweek-endde printemps. Et puis Benjamin et Ariane adopteront le cru,ainsi que leurs enfants, car la vigne est une terre humaine,vivifiantepour lemoral.L’œuvredeClarkecontinuerapar-delàletemps.»

Lebaron,disparubrutalementle4novembre1997,auravul’aboutissement de son projet si incertain quand il s’est lancé« comme un bleu » dans ce néant de ronces. Les grandsmillésimes du château, 1983, 1985, 1986, 1988, 1990, 1995,1996,1998,2000,2005,2009quiont faitdeClarke le leaderdesvinsdeListrac,devenuuncrubourgeoisséduisant,plaisantetchar-meur,Edmondenasavouréquelques-uns,lescomparantàLafitelorsderepasàPregny,àParischezlui,auchâteauafindemontreràseshôteslesprogrèsaccomplis–etrienenpouvaitmieux le combler. Bernard Esambert, président de la banquependant17ans,peutentémoigner.

Le Rothschild pionnier, solitaire en 1973-1974, contestédans son choix médocain, peu encouragé par ses proches, lesbanquiers de Paris et Genève, était sorti vainqueur de cetimprobableparisurlevindeClarkeréaniméparquelqu’unquin’avaitpasfroidauxyeux.

« Clarke a été l’œuvre de ma vie » nous a-t-il confié àMegèveenaoût1995.À l’ombredescepsdemerlot, toutprèsde son bureau aux trophées de chasse,EdmonddeRothschildreposeenpaix,dusommeildujuste.

TRANSMISSIONRÉUSSIEÀBENJAMINETARIANE,ILSONTADOPTÉLEDOMAINE.

Tous deux se plaisent comme Edmond dans la propriétérothschildienne au parc truffé d’œuvres d’art, de sculptures

contemporaines, issues de la collection familiale en constanteévolution grâce aux fondations gérées par Ariane, la blondeépousedeBenjamin,qui s’est forgéeuneculturemultiforme–de l’art chinois vivant aux peintres de l’école italienne del’époquecontemporaineetauxbandesdessinéesd’EnkiBibal.

En trente-quatre millésimes produits, Clarke a atteint unesortedematurité,derégularitédeconstancedanslaqualitéquienontfaitunevaleursûredanslagalaxiedescrusdumédoc.

L’ami d’enfance de Benjamin, Bertrand Otto, un quadrapénétré des exigences du cru, rigueur des sélections etrayonnement du vin sur la planète (60 pays acheteurs), YannBuchwalter, l’hommedes vignes et de la vinification, élève deMichelRolland, conseillerœnologue, écouté parBenjamin, etGeorges Alnot, directeur des ventes pilotent Clarke, Peyre-Lebade, Malmaison dans le Médoc, et les Laurets à Saint-Émilionacquisen1999,toutceladansl’espritetlesouvenirdubaronEdmond.

L

13.

LESOIROÙLECRUCLASSÉDEPAUILLACAÉTÉPRÉSERVÉ

e chic, levrai confort dans certainshôtelsdevacances,c’est d’appeler le room service afin de faire servir le

dînerdansvotrechambre.Voilàquiévitedesevêtird’unetenueadaptée et de se plier au « dress code » de rigueur. Dans lepassé,lachaînedesRelais&ChâteauximposaitlesoirlavesteetauroyalLouisXVde l’HôteldeParisàMonaco, lacravateétait obligatoire.En cas d’absence, undesmaîtres d’hôtel lui-mêmecravatéà l’anglaisevousproposaitunassortimentchoisichez les meilleurs fournisseurs, encore fallait-il porter unechemiseadéquate.

Danslapetitehistoiremonégasque,onrapportelecasdecegardien de but chauve, portier de l’équipe nationale, qui a étérefoulétroisfoisauLouisXVpourcausededébardeurimpéni-tent,colléà lapeau :pasquestionde le retirernide lecacherpar une chemise blanche cravatée et un blazer, idéal pour lespropriétaires de yachts géants, mouillant en contrebas, sur leportHercule.Malfagoté,dehorsMonsieur.

Le repas à l’hôtel dans votre chambre, c’est comme chezvous,àcettedifférenceprèsqueledînerdoitêtrecommandéetqu’ilvousseraapportéàl’heurequivoussied,àvotreguise.Enpeignoir, robe de chambre ou survêtement après la gym, lapiscineou le jogging, faceaux flammesde lacheminée, sur laterrasse aménagée, vêtu comme bon vous semble, le rituel dudîners’an-nonce léger,décontracté,éloignéduformalisme,des

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on le verra. Le sauveur, ce sera ce chef humain, très humain,Meilleur Ouvrier de France, qui va l’aider, l’encourager, lesoutenirpourlesconcoursvineuxquivontmeublerlesnuitsetlesjours.AuconcoursduMeilleurSommelierduMonde,ilnesera devancé que par Markus del Monego, un Allemand ausavoirimpression-nantmaissanslaprestance,l’écouteduclient,lacompétenced’Éricdontlejuryn’apasvulaclasse.

À la Poularde, belle cuisine bourgeoise, double étoilée,soignée, abondante, Étéocle, gendre du maître JoannèsRandoing (93 ans en 2012) a senti qu’il devait associerBeaumardàsescréationsdeplatsetauxmariagesdesaveurs.Levin est l’ornement des repas, ce qui enrichit les moments detable. Et Beaumard, avant sa tragédie personnelle, a étécuisinier:unatoutcapital.

«Quandils’estprésentéàmoi,recommandéparRaymondGarcia, un négociant en vins, je n’ai pas remarqué son brasrepliéversl’épaule»sesouvientlechefpatrondelaPoularde,séduit en quelques minutes par l’allant, l’enthousiasme deBeaumard.

«J’avaissentienluiunetellemotivation,unesiforteenvied’intégrer notre restaurant, une flamme si vive que je lui aidonnéd’embléelaplacedechefsommelieràlaPoularde,cequia transformé radicalement la vie quotidienne de l’hôtel-restaurantdeMontrond-les-Bains.»

Carentrelechefforézien,àlanaturegénéreuse,unecrèmed’homme,et lefutursorcierde ladivebouteilles’est tisséunerelation fraternelle fondée sur le respect et la communauté devues. « Ça ne vous gêne pas, chef, ma main invalide ? » aquestionnéBeaumard,lepremierjouràlaPoularde.«Non,pasdutout,pourmoi tonhandicapn’existepas.Tul’asdominéettuenas faitunatoutdevant laclientèle.»GillesÉtéoclen’enrevient pas de sa dextérité : il faut voir Beaumard nouer ses

lacets,commes’iln’étaitpasmanchot.Ce handicap terrible l’a fait aimer du public,

indéniablement. Ce grand corpsmalade est diminuémais centfoispluschaleureuxquesesconfrèresennoir–d’ailleursÉricnetravaillepasendeuil,ilaimelesbellesétoffes,lescostumesrayés,lespochettesblanchesetleschaussuresBerluti.C’estleBrummellde la sommellerie française,mûparune« forteresseintérieure»(RaymondSoubieparPhilippeLabro).Lehandicap,bizarrement, a enrichi sa relation avec autrui. Les cœurss’ouvrent devant ce qui a été son drame – la souffrancesublimée,unhommegrandiparsonmanque.

À21ans,ÉriclogeàlaPoulardechezsespatrons.C’estlefils spirituel d’Étéocle qui va former avec le Breton un duogagnant : Étéocle, cuisiner très classique – poulardeAlbufera,chaussonsauxtruffes,homardbretonenmultiplespréparations– adapte sapartition auxvins sélectionnésparBeaumard.Dèsles premières semaines, il a toute latitude pour faire entrer lesvins de son choix ; en premier lieu du Bourgogne, le terroirprivilégié du sommelier au nez prodigieux.Des chefs-d’œuvreremplissent la cave car le sommelier s’est fait un nomdans laLoiredeMontrondles-Bains.

LesvisitesdevignoblesenFranceetenEuropese fontentandem.«Oùva-t-onlundi,danslaCôtedeNuits?»demandeÉtéocle, curieux et attentif. « Oui, en Bourgogne, on arendezvous près deBeaune à huit heures, il faut partir à cinqheuresdumatin.»«Pasdeproblème»acquiescelechefpatron,entraînédanslemouvement.

Auprogramme,soixante-dixvinsgoûtésdanslajournée.Parsouci d’économie, Beaumard suggère de dormir dans lamêmechambre,commelepapaetsonrejeton.Lelongdesvignoblesdela côte aux fameuses appellations, le sommelier questionne :«Voussentezquelquechose,lapuissancetelluriquedessols,le

géniedesterroirs?»Devant le portail d’entrée de la Romanée Conti, il fait

arrêter la voiture et ramasse trois cailloux, totems du sublimepinot noir. Chez les propriétaires les plus renommés, àcommencer par Aubert de Villaine, on leur offre, en plus dudernier-néenbarrique,desmillésimesd’exception.ChezHenriJayer, le patriarche du Cros Parantoux et autres grandsvignobles, ils font durer la dégustation toute la nuit :charcuteries, fromages, et flacons de rêve. Ils se quittent à sixheuresdumatin,danslajoieetleslarmes.AvecBeaumard,lessentimentssontàfleurdepeau.Étéocleestremué,transfiguré.

Grâceà l’amitiéduchefpatronqui recherchedessponsorspourlescompétitionsdelasommellerieinternationale(voyagesauÉtats-Unis,Canada,Australie,AfriqueduSud…),Beaumardvas’approcheràViennedutitremondial,écartédelapremièreplaceparunebourdecommiseparun intervenant,dans le rôledu client qui réclame… une bière. Incongruité malchanceusepourÉric(vice-championdumonde)qui,avecle temps,auraàaffronter des chasseurs de tête venus pour le débaucher deMontrond-les-BainsversleCinqduGeorgeVdontilestpromu,dèsl’ouverture,directeuretchefsommelier–adieulaPoularde.Regretséternels.

« J’ai eu avec Éric treize ans de bonheur et de partage »confie Gilles Étéocle, un voile de tristesse dans la gorge.« J’étais décidé à lui céder mon hôtel-restaurant, avec desfacilitésdepaiement.»Hélas.

«Lejourdelaséparation,ledépartdeBeaumard,monmarietÉricsesontenfermésseulsdansunpetitsalondel’hôtel,etils se sont serrés dans les bras et ils ont pleuré » raconteMoniqueÉtéocle, l’épouse,mèrede trois enfants.QuipeutnepasaimerlecherBeaumard?

AuCinq, j’ai rencontré un seigneur doté d’un supplément

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chef Paolo lui enseigne les bases de la cuisine, la techniquemanuelle, la précision des gestes, la pasta et ses garnitures,l’huile d’olive et ses parfums… Il emmagasine, il avance, ilgagne en dextérité. L’été, l’école l’envoie dans une aubergeautrichienne – déjà la tentation des voyages. Premièrerécompense : en Sicile, il est fait Meilleur jeune cuisinierd’Europe.

C’estlà,pendantlesépreuves,qu’ilfaitlaconnaissancedeGiuseppe Vaccarini, Meilleur Sommelier du Monde 1976,enseignant à l’école Carla Porta. « Ce sont les mots deVaccarini, son langage strict qui m’ont éveillé l’esprit :puissance, émotion, harmonie, sensations et surtout l’équilibredesvins.»

Lapratiquede lacuisineavaitéludé l’universviticoleet lacompréhensiondusangdelaterre.«J’aibumonpremierverreavecGiuseppe,àl’aveugle,cefutunGewurztraminervendangestardives. C’est lui qui a assuré ma préparation aux diversconcours de sommeliers.Grâce àGiuseppe, j’ai étémis sur lavoielumineuse,secrèteetdifficileduvin.»

Premierouvragelu:L’EncyclopédiedesVinsdel’AnglaiseJancis Robinson. Puis il est accueilli à Roanne chez lesTroisgros,ungrandrestaurantauxinfluencesitaliennesgrâceàl’épouseduchefPierre,néeForte,experteenspaghettialdenteet risotto al onda. « Voilà le meilleur restaurant italien deFrance » s’est exclamée Nadia Santini, la chef patronne duPescatore, le trois étoiles de Canneto sull’Oglio, dans lapériphérie de Mantoue. Sur les monts du Forez, Enricoprogresse dans la connaissance des vins de Loire et deBourgogne, les trésors du domaine de la RomanéeConti sontinscritssurlasomptueusecartedesvins.Desplatsd’anthologie,insoupçonnéspourleurtypicité.

Puis, direction le nord de l’Europe, le Matsalem, le

restaurant du Grand Hôtel de Stockholm où il affine sesconnaissancesviticolesenallantdedégustationsendécouvertes,leverreàlamain,danslesambassadesd’Argentine,desUSAetd’Allemagne – premières découvertes des vins, àl’internationale.

Désormais,levinetsesmystèressesontemparésd’Enrico–ceserasavie.Ununiversqu’ilappréhendesibienqu’ils’inscrità de singuliers concours, tel le Master of Port qui le sacreMeilleur Sommelier d’Italie, il a vingt ans. À peine adulte etdéjà sur la plus hautemarche du podium. En 2002, il est éluMeilleurSommelierd’Europe(aprèsavoirétésecond).

AuCinqduFourSeasonsGeorgeVàParis, dans l’ombred’ÉricBeaumard, lementor, le compagnon de dégustations, leprofesseur au sourire permanent qu’il a connu à la Poularde àMontrond-les-Bains, voilà un redoutable tandem où chacun aenrichil’autre.Parfaiteillustrationducompagnonnageàlafran-çaise, la sommellerie est une science du palais où il s’agit defaire partager à l’autre ses impressions, ses sensations et seschoix.QuelPulignyMontrachetàlacarte,quelcru?Quelportovintage ? Quel champagne de vignerons ? Il s’agit d’êtrecomplémentaireetdejustifiersespointsdevue.

«Septansenduo,etpuishuitanssommelierauGeorgeV,dans une osmose complète, une philosophie éprouvée desmariagesdesmetsetdesvins»confieEnricoquirendhommageàBeaumard,uncœurd’or.Soixantemillebouteilles,deuxmilleréférences parmi les meilleurs vins du monde. Un singulierchallengepourunnouveaupalace,inventéen1928,oùlachèreetlesvinsjouentaupremierrang.

Là, il se frotte aux voyages dans les vignes. Partout sur leglobe.ÀpiedenArgentine,sacaudos,commeunmarcheur,unroutard de l’œnologie, la rencontre inoubliable avec desvigneronspaysans–commeenItalie.Levinesttoujourssurla

table,onextraitlejusdelatreilleetonleboitenfamille.Au Chili, non. On invente des vins pour les vendre aux

USA,c’estdel’export.«Ilyadesgensquis’offrentdesprêtsbancaires pour un logement, moi c’était pour découvrir laplanèteVins. » Et accroître son savoir. Chez lui, à Paris, lesmursdesonappartementsonttapissésdecartestiréesd’atlasduvin : la géographie, premier degré de la connaissanceœnologique.D’oùvientceManzanilla?EtceChâteauPalmerparrapportauChâteauMargaux?EtlebrieàcroqueravecunSancerre?

Solitaire de la dégustation, quelquefois accompagnépar sasœur,ilvaparcourirdesdizainesdedomainesdanslebutdeseprésenter au Concours duMeilleur Sommelier duMonde quiaura lieu au théâtre d’Athènes en octobre 2004, devant deuxmillepersonnes.–uneobsession,quelestrèssavantesquestionstrouventuneréponseplausiblesurledisquedurdesamémoire.

Victorieux d’une série d’épreuves d’une formidablecomplexité, après tant d’années d’études, le verre en main, leMilanaisauvisaged’adolescentauraitpuresterauGeorgeV–une courte césure, sept mois, à la VillaMadie de Cassis auxcôtés du chef étoilé, son ami Jean-Marc Banzo d’Aix-en-Provence, où il a échoué – pensez donc, quelle recrue pour leCinqduGeorgeV,unrestaurantdepalaceparisien,oùils’agitdefairevibrerles«richandfamous»enlesfaisantrêvergrâceàdes joyauxde la treille.Cequ’ilaccomplitavec l’énergied’unMilanaisbonteint,maisauboutdeseptans,dansl’atmosphèreouatéedeslieux,ilrendsontablier.

«C’estunmondeclos,unpalaceurbain,onestcoupédelaville, isolé, et peu concerné par la vraie vie.À 29 ans, j’avaisenvie d’autre chose, d’une aventure personnelle, d’un défi, endépit de l’amitié que j’éprouvais pour Jean-Marc Banzo, unhommeduMidi. Le travail saisonnier, la cuisine des poissons

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On commence par le plus jeune. Des incunables de la vignefrançaise :qui lampepareils trésorsd’or rougeenFrance?LaReined’Angleterre?Mieux,AndrewLloydWeber,compositeurdemusique,l’auteurdeCatsunecomédiemusicaleàParisdanslesannées1980, et célèbrecollectionneurdegrandscrus–20000flaconsencave.

Penchésursonverre,lebaronhumelevinsanss’appesantir,ilsaitquelecherBlondinavérifiél’étatdesbouteillesetécartécelles qui avaient un goût de bouchon ou un défaut, les vinsprésentéssontimpeccablesetPhilippedeRothschildfaitglisserlecontenudanssabouched’ungestenet.Ilboitsansmâcherlevin, il a soif.CeMouton1929est encoreadolescent. Il l’avunaître et il est conforme à ce qu’il doit être. Devant nous,éberlués,hésitants,malhabiles,ilsegardebiendenousinfligerlecommentairesavantduchâtelainpropriétaire.Ilnouslaisseànos impressions fugaces, difficiles à fixer. Quelles sont-ellespourmoi?Mystères.Énigmes.

Ces quatre millésimes sont plus vieux que nous qui lessavourons, sans réaction.Rienquecelaest sidérant.Plus tard,j’apprendraiquelevin,c’estl’expérienceduvinetqueleplaisirdeboiredoitêtreformulé.Pluslevinestbon,pluslalangueestéloquente.Avecletempsetlafréquentationdeschais,destablesetdescrus,lesvinsdiffuserontenmoidusens,éveillantl’espritetlejugement–pourboiremieux.

Le temps justement qui patine la matière jusqu’auraffinementsuprême,c’estcequ’évaluelebarontoutaulongdece déjeuner ponctué par quatre moments de l’histoire deMouton.Onlevoitbienàcertainshochementsdetête,ensigned’approbation,etquandilingèreleMouton1900quia72ans,ilditquesajeunessel’apréservédesstigmatesdutemps,etquele propre d’un grand vin de Bordeaux, c’est ce défi lancé,exprimé,perçuàladégustation.Lebaronlèvesonverreetnous

l’imitons,laminuteestsolennelleôcombienéphémèreetvoiléedesilence.Derecueillement.

« Philippe, les yeux clos, se sent pénétré par la forcesensuelle qui se dégage de l’arôme de Mouton. Sensualitésensibleàtoutinstant.Delagraineauverre.»(Vivrelavigne,page210).

À propos d’une bouteille de Mouton 1902, date denaissancedubaron,RaoulBlondinproclame:

–Goûtez-le.Pourmoi,elleamoinsbienvieilliquevous.– La bouteille et moi, nous comparer, est-ce justifié,

raisonnable?Jesuisplusvieuxqu’elle.J’avaissixmoislorsdesvendangesdecemillésime,ditlebaron.J’yétaissansyêtre.

Et Philippe aux saillies fulgurantes se concentre pour ladéguster.Chose faite, la bouteille est approuvée etRaoul sort,portant le Mouton 1902 comme un bébé dans ses bras.Touchant, bouleversant, ce lien entre l’employé et le maître,entre le vigneron à l’œuvre et le propriétaire en charge de lapérennitéduvignoble,desaviecachée.

Ceduoa fondé ledestinquotidiendeMouton,«unshowlyrique où, suspense final, retentit le choc sonore, espéré etannonciateur,lebangdubouchon»(Vivrelavigne,page106).

Ilyeutd’autresséjoursàPetitetGrandMouton, lesdeuxdemeures du cru, la première de 1880 où allait vivre sa fillePhilippine, sonmari JacquesSereyset leurs trois enfants et laseconde,construiteparlebaron,au-dessusdeschais,quiservaitde cadre à ces joutesœnologiques autour des joyaux rubis deMouton. De la culture vivifiée par la présence magique dupropriétaire aux tenues insolites, tel un acteur de théâtre enreprésentation.

Bordeaux,c’estrouge,proclamaitlerénovateurdeMouton.LevinblancoffertàPaulineFairfaxPotter,l’épouseaméricaine

tant aimée était,me semble-t-il, du Rhin, genre Riesling. Elleétaitlaseuleàenboire.Audessert,l’attractionétaitdel’Yquemenpaillettes,unsorbetgivré,cequimettaitenfureurlafamilledeLurSalucesdontleblancliquoreuxàlarobechangeanteavecle temps se trouvait métamorphosé, saccagé, pensait BernardGinestet,parlepassagedanslefroid.

Excentrique, Philippe l’était par samise et ses foucades ;non conformiste, courageux, obstiné, il vivait selon son bonplaisir, « lavie réglée sur lavendangeet son rythmeannuel»,Mouton terre promise. Il avait installé un bureau d’études oùétaient punaisés au mur les projets, les schémas d’expansion,plans et dessins étalés pour les sept années à venir – aprèscinquante-neufannéesd’activités,Philippe,étourdid’hiersetdedemains, pourra-t-il mener tout cela à bien, c’est ce qu’il sedemande, parcourant le cru avec son labrador Rajah, soncompagnondujouretdelanuitquandilsculptaitsespoèmes,LeJeuduje,sesadaptationsthéâtralesanglaisescommeLaNuita sa clarté de Christopher Fry jouée en 1970 chez Renaud-Barraultàl’Odéondontj’avaisrenducomptepourParisMatch,lumineuseMadeleineRenaud.

Decesséjours tropbrefs,uneparenthèsebienfaisantesouslecielpauillacais, jegardeenmémoirel’extrêmegénérositédePhilippe, l’attention qu’il portait aux autres et cette simplicitédans le comportement, l’humour et les confidences très à-propos : « Si je n’étais pas le propriétaire de Mouton, je nepourraisjamaisenproposermidietsoir.»

Carledéjeuneraniméparlequatuordeflaconsdejadisserépétaitpour ledîner…Aucunpropriétairegirondinn’adonnésesvinsderêveavecautantdenatureletsipeud’ostentation–etjamaisunseulflacondeMoutonCadet,neserait-cequepourjuger de l’écart, de lamarge entre le premier vin et le second.Après tout, ce dauphin de moins bonne extraction n’avait été

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Dans les millésimes récents, il n’est pas aisé de faire ladifférence entreYquem et Fargues, lequel est vendu trois foismoinscher.«LarégularitéseratoujoursplusnetteàYquem,ilfaut une sorte d’opulence dans l’équilibre. J’avoue que j’évitemoi-même de me retrouver dans l’obligation de choisir ou dedépartagerdeuxbouteillesdechacundescrus,surtoutsicesontdesmillésimesproches.»

Danslepassé,avantlechangementdepropriétaireen1999,quandiln’yavaitpasdemillésimeàYquem(1992parexemple),iln’yenavaitpasnonplusàFargues.Produireunvinbotrytisétous les ans, avec une régularité constatée, relève du défi. ÀYquem, la constance est dans l’ADN du vin. À Fargues,Alexandreestchez lui,secondépar leprinceEudesd’Orléans,directeurdupatrimoineetlesauternes,nédansunsitepastoral,dit JacquesPuisais, révèleénergie,magieetbeauté, commeunentêtementquotidien.

L

22.

PÉTRUS:L’HUMBLEETLESUBLIME,

VISITEÀJEAN-CLAUDEBERROUET,ŒNOLOGUE,

PRINTEMPS1986

e plus grand rouge du monde, le Pétrus ? Non classé,puisqu’il n’y a pas de classement à Pomerol. L’égal de

Latour, de Mouton Rothschild, de Haut-Brion, de de ChevalBlanc,deMargaux,deLafite,d’Ausonemaissidifférentparlestyleetlesgoûts.

« Le vin de Pétrus appartient au club des premiers crus »noteMichelDovaz, l’excellenthistorienduBordeaux.«C’estunvinquifaitl’unanimité.»

«CommeYquemenSauternais,PétrusreprésentelemodèleparfaitduPomeroletde sesaspirations»écritHughJohnson,l’encyclopédiste anglais mondialement connu. « Il est élaborécommeuneRollsRoyce.»

« On ne prend pas ce vin, c’est lui qui vous prend »remarquelechroniqueurhollandaisHenryDuyker.

«Pétrusestconnudans lemondeentier, il seclasseparmileshuitgrandsrougesduBordelais»affirmeBernardGinestetdanssonlivreLePomerolparuen1984.

Unetelleflopéedelouangespeuteffrayer.Excès?N’est-ce pas le typemême du grand vin, croulant sous les

superlatifs, que l’on doit aborder d’un œil (et d’un palais)circonspects ? Avec cette prudence, ce scepticisme du vraiœnophile qui se méfie de l’emphase des mots. Au diable le

dithyrambepublicitaire!Voyonssurplace.Suivez-moiducôtédeLibournesur leplateaudePomerol,

undespursjoyauxdelavignefrançaise.

ÀPÉTRUS,TOUTESTPETIT,TOUTESTMODESTE,SAUFLEVIN.

Lapropriéténefaitque11,5hectares,4000caissesenvironpar vendange (Château Margaux, 90 hectares pour 22 000caisses).

La production annuelle de Pétrus va de 40 000 à 50 000bouteilles(oumagnums)selonlagénérositédelavendangeetlerejetdesmauvaisescuvées.En68,pasdePétrus;en84,moinsde10000bouteilles.Petiterécolte,prixtrèsélevés.

Lechâteaun’enestpasun.Loinde là…Oualorscen’estqu’unedépendance,lademeuregentillettedujardinier.

Surl’étiquetteduvin,lemotChâteaunefigurepas.Pudeur,timidité,réserve?Imagine-t-onpareillehumilitéenMédoc?

Nous voici devant une maison de poupée aux voletsturquoise,lelongdelarouteàlasortiedeCatusseau-Pomerol:un hall nu, un petit salon doté d’un portrait deMme Loubat,l’ancienne propriétaire décédée en 1961, et au premier étagedeuxpiècesnonhabitées.

En face de la résidence, le chai de vinification et devieillissementoùreposentlesPétrus84etle85–onnepourraitpaslogerunetroisièmerécolte.Toutcelaimpeccablementtenu.

Nombred’employés:deuxménages(mêmepasunePME)etlescadrestechniquesdelasociétéMoueix(Jean-PierreMoueix,Christian,Jean-François,sesfils),copropriétaireducélèbrecruavecMmeLacoste,héritièredeMmeLoubat,lagrandedamedel’appellation.

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fauneméditerranéenne : la quasi-totalité des poissons pêchés,travaillés, bichonnés par ce merveilleux chef est ignorée desmeilleurs gourmets de l’Hexagone. Connaissez-vous lesanémonesdemer,lesgirelles,ledenti,lecanthe,lestotènes,lessarrans, la liche, la pélamide, lesquels meublent les quatremenus et la vaste carte du meilleur restaurant de poissons denotrepays–cecidepuislaretraited’OlivierRoellinger,lerivalbretondeGéraldPassédat?

Lamer,pourlechefpatronduPetitNice,estunlieudeviepoissonnière jusquedans l’intimitéprofonde :quand ilplongeetnagedanslesflotsbleus,ilexplorelesdifférentspaliersquilivrent leurs trésors et, quand ilmonte à cinqheures dumatindans l’embarcation de Christian, le valeureux pêcheur du ValdesAuffes,ilassisteàlacueillettesihasardeusedespélamides,cettevariétédethonrosesifragilequ’ilserviracruàlatranche,agrémentéd’écorcesdebergamote.

Songez qu’il offre la bagatelle de 85 variétés de poissonscontre une dizaine dans n’importe quel étoilé du Michelin !Passédat, un héros des fonds marins. Avec le temps et lafréquentationdel’universliquidedanslarade,aupiedduPetitNice,Passédats’estforgéuneéthiquedecuisinierrespectueuxde la mer et des saisons, son terroir à lui qu’il entendsauvegarder.Toutdansladémarchedecechefpatronauregardd’acierrévèlesonattachementviscéralàlaGrandeBleue,«unescandaleusepoubelleetnonplusunpoumon».

Songezque les gensbalancent de tout, endehors des sacsplastiques, des bouteilles de soda, voici des mobylettes, desmoteurs usagés, des fringues, une véritable honte. « De labarbarie».Etlui,lepetit-filsdeGermain,vitsaviedanslabrisemarine,devant lemouvementdesvagueset l’horizonbleuté. Ilse sent responsable du destin tragique de laMéditerranée, cepour quoi il s’acharne àmettre en valeur ses cadeaux vivants,

pêchésdanslesseuilssuccessifsdesentraillesdelamer.Passédatest,encuisine,l’apôtredelamaréequotidienneet

sondeusexmachina.Unrepaschez lui,au-dessusde lameretde l’écume, reste

uneexpérienceuniquedanslagranderestaurationfrançaise.Dessous-sols marins aux coraux colorés, balayés par les filets deChristian et autres pêcheurs sont prélevées vos nourrituressalées,iodées,vivantes.AuPetitNice,ellesnevoientjamaislaglace,lachairdesloups,langoustesetchaponsdansleurvérité:uneodeàlapureté.

LegéniedeVanGoghestàAmsterdam,MozartàSalzbourg,Tintoret etTitienàVenise, la JocondeauLouvre, legéniedespoissonsenFrance,c’estàMarseille,surlacornicheKennedy,au Petit Nice, là où le loup servi en saison confine au chef-d’œuvre,embelli,rehausséengoûtsparlejusàl’huiled’olive,ail, fines herbes de Lucie Passédat, la divine grand-mère dumaîtrequeux.

QUELSVINS?

La cave abrite 25 000 bouteilles, dont 80%de blancs, cequi ne surprendra personne. Le mariage avec les mets secomplique par la diversité des apprêts, garnitures etaccompagnements. Des poissons et crustacés à la chair densecommeledenti,puissanteensaveurcommelechapon,délicatecommel’anémonedemernes’accommodentpascommeçaavecla dive bouteille à la robe pâle ou dorée claire. Déclinons lesplatspharesde lacartePassédatet lesaccords réfléchis, selonFlorian,sommelierexpertduPetitNice.

• LeloupdepalangreouledentiLuciePassédat :Hermitageblanc,Châteauneufblanc,PulignyMontrachet.

• Le denti à l’endoumoise au jus de bœuf réduit, auberginesBarthélémy : un pinot noir de Bourgogne, genre MoreySaint-DenisdeDujac.

• L’effeuillédechaponaubouillonclairsafrané:unviognierde laVallée duRhône, unCondrieu laDorianedeMarcelGuigalàl’élevageplusdense.

• L’arrivage du palangrier, poisson de petite pêche au fenouilexprimé:unpinotgrisd’Alsacepoursafraîcheur,unblancdu Languedoc comprenant chenin, viognier et grenacheblanc, en hommage à une région viticole, la plus vaste deFrance.

• Lagalinette,lepageotoulecantheauxsucsréduitsdeleurchairsuivantlapêche,lepageotsomptueuxl’été:unélégantProvence blanc de Dominique Hauvette à l’assemblagesavant.

• Les sarrans juste saisis (petits poisons de roche façongirelles) et criste-marine et carotte : le chenin blanc de laLoire,stylelaTailleauxLoupsoulaCouléedeSerrant.

• Le navarin de homard ou le homard breton en mauveabyssaleetlessaucesauxlégumessouventprésentesdanslapalettedePassédat : leSauvignonblancdeTouraine,celuid’Henry Marionnet par exemple ou le Chardonnay del’Étoile de deux ou trois ans, dans le Jura, leChardonnayClessésurmûrideJeanThévenetdansleMacônnais.

• Labouillabaisseentroispaliers,chef-d’œuvreduPetitNice,la meilleure soupe de poissons du monde, architecture etarcen-cieldegoûts.

GéraldPassédatn’appliquepaslachartedelabouillabaisse,

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importantes, on débouche en quantité, avoue-t-il de sa voixdoucequ’ilveutconvaincante.Sivousn’avezqu’unHautBrion1947, unMeursault Perrières 1990, un Latour 1928, un DomPérignonrosé1996,quandvousdécidez-vousàlesdéboucher?UnamimeconfiaitquesonMargaux1961,ilnesavaitpasavecqui le partager. Qui pourrait le goûter à sa juste valeur ? Jemourraisavantquelecontenantdelabouteillenecouledanslegosierdequiconque,hélas.Réflexecourant,navrantpourmoi.Levindescrusd’artvivantcommelestroiscitésplushautontétéimaginés,faits,misenbouteillepourêtrebusetprocurerduplaisir – et du rêve. Que dire d’autre ? Les radins sont desnégateursdejoie.»

Personnene boit aussi bien, aussi voluptueuxqu’Audouzemaisilfautdirequelesmembresdesonentourage,aucoursdewine-dinners et à l’Académie, ont accès à des crus siexceptionnels, si raffinés, si époustouflants – et en nombre –qu’ils en restent médusés, saisis. Des vins d’une vie, bienqu’éphémères, vont demeurer gravés dans leur mémoire – etinstilleront le virus des vins anciens. En octobre 2012, auCrillon, Petrus 67, Mouton Rothschild 82, La Tache 83 etYquem1985,quattuormémorablepourdesbouchescomblées.

Devifs regretspourdes flaconsmortsqui auraientdûêtresavourés en leur temps. C’est là le mystère de l’or rouge oublanc:quandnosvinssont-ilsmûrs,àpoint,prêtsàboire?

I

26.

MÉCHANTEPITANCEDANSLESCIEUX

OULADÉPRIMEAÉRIENNEDUGOURMET

lfaitmoins50danslesnuages,pasétonnantquelacuisineservie à bord de ce Boeing soit surgelée. D’ailleurs,

commentpourrait-il enêtre autrementdans les trois classesdeces aéronefs qui vont d’un continent à un autre ? La cuisinefraîche,mitonnéeaumoment,n’existepratiquementpassurleslongs courriers, à l’exception de quelques lignes prestigieusesdehautvoloùl’oncuit,assaisonneenquêtedugoûtjuste–cefutlecasdelapremièred’AirFranceoùdeschefsstarscommeAlain Ducasse et Guy Martin se sont impliqués avec leursseconds dans des repas de vraie gastronomie comme cesnoisettesd’agneauaux truffes finiesàbord,dignesd’ungrandétoilé.

Sur la ligne très fréquentée de Paris-Maurice, le Boeingd’Air Mauritius offrait un gentil menu qui s’ouvrait sur uneterrine de foie gras au gingembre, escortée de trois feuilles desaladedemâcheetd’unchutneyd’abricotàlafigue.Saisieparlefroid,latranchedefoiegrasneméritaitpassonnomsinoble,ce n’était qu’un méchant pâté bien neutre, et ferme. Aucunmoelleux. Seul, le chutney d’abricot bien aromatisé tirait sonépingledecejeuprétentieux.

Dans l’intitulé des trois plats de résistance, les courgettestenaient la place de garniture légumière. Pour le pigeon à laréglisse, sauce demi-glace, des courgettes et des tomates en

éven-tail ; pour le filet d’agneau poêlé sauce au poivre et à lacrème,descourgettesgrillées,etpour lescrevettescréolesà lanoixdecocoet tomate,descourgettesendésauxépicesetduriz basmati nature. L’hiver en France serait-il la saison descourgettes,hum,hum…Silesfrigosn’existaientpas…

Queboire?Duchampagneenflûtedeplastiquebaladéesdesièges en rangées, impossible de l’identifier. Aucune mentionsurlacartemenu,pasd’informationdesstewardsmauriciens–avaient-ilsledroitd’engoûter?

SuivaientunpetitChablisdebonnefraîcheuretletroisièmevind’uncrubourgeoisduMédocdansunmillésimemoyen.Surl’agneaunoirci par la sur-cuisson, j’avaismesmunitions : unebouteilledePavillonrouge1985duChâteauMargaux,dûmentdébouchéeparmessoinsausalond’AirFrance.

À l’époque, les vrais œnophiles pouvaient encore voyageravec des flacons de leur cave. C’était l’heureux temps de lalibertédeboireenpleincieletd’êtreassuréquelevinseraitlaparure du nonrepas – car même la boule de pain sur ce vol,annihiléeparlefroid,étaitindignedutravaild’unartisandelaboulange. Que dire du camembert pâteux d’une marqueprétentieuse?Lefiletd’agneaudébarrassédesasauceplâtrequiavait toutde lasemelleauraitabîméledeuxièmevindugénialchâteaucheràErnestHemingway.

Donc le Margaux à peine rafraîchi, le plaisir racé duPavillon rouge savouré seul comme un baume, une source deréconfort,c’étaitunpetitairdelaFrancedesvignobles,parvenujusqu’ànous,à10000pieds…Delagriseriecharmeuse.

L’abus des réglementations, le principe de précautionsévissant partout – la bouteille d’eau prohibée et jetée àl’embarquement,unehontequandonsaitlararéfactiondel’eausurleglobe,lesinterdictionsminantleséjourdanslescieux–,tout cela a ruiné le simple agrément de prendre l’avion. Nos

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À

29.

LEMÉLOMANEETL’OENOPHILE,UNJEUÀDEUXÉNIGMES,DEL’OREILLE

ETDELABOUCHE

quoi songe l’œnophile tout au long d’un concert ? ÀPleyel,enécoutantNelsonFreireaupiano,RaduLupu,

Fazil Say aux Champs-Élysées ou le grand orchestresymphoniquedeDanielBarenboimauxprisesaveclaPastoraledeBeethovenpuisleDomJuandeMozart, ilcherchel’accorddelamusiqueetduvin.Quellepartitionpourquelflacon?Oùsont les correspondances, les passerelles entre les deux arts ?Fascinant exercice, illustré par « lamachine à doigts » ou lesaccordsaériensduviolonisteRégisPasquier.

La Vie parisienne d’Offenbach et le champagne de noblepétillance:l’euphorietisseunlienvivantentrel’opéracomiqueetlavivacitédesbulles.Onestdanslemêmeregistre:lajoie,lagaieté,lepartage.

Auparterrede l’OpéraComique, lasalle trèschargéedelarue Favart, Jérôme Savary, metteur en scène de comédiesmusicales, avait fait servir le vin des sacres royaux devant lerideaudescène,etleplaisirduspectacles’enesttrouvéenrichi,renforcéparlaconjonctiondelascèneenmouvementetduvinàbulles.

Auconcert,l’œnophileplongeparlapenséedanssacaveousessouvenirs.Levinletaraudecarilasoif.Laquêtedeladivebouteille adéquate trotte dans son cerveau. Le pinot noir deMoreySaint-Denis enBourgogne,d’uneaustérité atténuéepar

le temps,conviendrait-ilàuneariadeBachouàuneMazurkadeChopin–avez-vousentêted’autresanalogies?

Le chardonnay du Chablis Grenouilles, minéral, évolué –sept ans d’âge –m’évoque la sonate àKreutzer deBeethovenjouéeauviolonparRenaudCapuçon l’autresoirauxChamps-Élysées,mêmeintensitédanslephrasé:legoûtduvinrenvoieàl’expression musicale. C’est ce parallèle intime et caché quecherchel’œnophile,cequilefaitvibrerenécoutantlevirtuose.Le vin touille l’imaginaire et la partition fait surgir desAOC,desflacons.

UndînermetsetvinsauChâteaudeNoirieuxprèsd’Angersmetàl’honneurtroismillésimesduChâteauPalmer,cruclassédeMargaux,1985,1995et2000, troisversionsd’un trèsbeaumédocappréciéàlacourd’Angleterre:c’estlegénéralanglaisPalmer qui au début du xixe siècle a consacré sa vie et safortune à la constitution du cru qui a peu changé côté surfacedesvignes.

J’avais en mémoire la Rhapsodie in Blue de GeorgesGershwin, jouéeàPleyelpar legénialLangLangaumilieudel’orchestre des Pays de Loire dirigé par John Axelrod et enlampant le premiermillésime, le plus jeune, jeme rappelais lesolodeclarinette,unglissandoquidébouchesurl’airfameuxdeThemaninlove–unappelaustyleàlafoiscoulantetpleinducruclassédeMargaux.

Il y a tout dans cette rhapsodie, jusqu’à l’évocation deslumières de Manhattan grâce à la richesse des sons, desinstruments, flûtes, hautbois, clarinettes, saxophones, bassons,cors, trompettes, tuba, cymbales, cordes et piano solo : uneœuvre magistrale à la mesure de la fougue, de la maestriadominée de l’ex-enfant prodige chinois – il jouait du piano àdix-huit mois. À 28 ans, Lang Lang avait plus de 26 ans demétier!

Opulenceduvin,transmiseparlemillésime1985,àlafoispuissant,profondetd’unefinessesiéléganteenfindebouche–Palmer etGershwin, ce rapprochement d’un soir conjuguait latrameduMargauxetlesdifférentsthèmesdel’œuvrejazzyauxenjambéesconquérantes.

Le bouquet final de la rhapsodie suscitait la mêmeméditationqueleressentiduMargaux.Uninstantd’éternité,levinn’étantpasprésentàPleyel, l’œuvredeGershwinlefaisaitsurgir par le biais de la dégustation du Margaux en troisscansions.

Levinsuscité,suggéréparl’œuvremusicaledelarhapsodiehongroise numéro 2 deFranzLiszt pour piano à quatremainsavaitpourinterprètesd’unsoirLangLangetHerbieHancock,lepianiste noir américain qui jouait le concerto pour piano deMozartà11ans,cequileconduisitàrejoindreMilesDavisetsonquintetteen1963,carle jazzaétéaucœurdesonactivitémusicale.

ÀPleyel,leduoaemballélepublicparlerythme,leseffetspianistiques,lesattaquesducymbalumetl’aspecttziganedelapartition.

Au-delàdutempo,desaccordsàquatremains,desrupturesvives,LangLangetHancockonttransmisaupublicunesortedegaieté, de joie pure, renforcées par l’union du duo. À l’unrépondaitl’autredansunesorted’élandeconfraternitémusicalequiallaitbienau-delàdesblanchesetdesnoires.LapuissancedeLiszt transcendait lemomentpianistique : les deux solistesaccomplissaientune sortede fusion inattenduecommesiLisztlespropulsaitdansunailleurscéleste,toutdebeauté.

Queproposerenpointillécommeflaconde référence?Unvind’art?Pourmoi,unchampagneKrugmillésimégenre1982ou1988, une sortede chef-d’œuvrede lagalaxiedes coteaux.Riendeplusévocateur,depluscomplet,lavibrationmagistrale

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Les plus capés se désistent, tel Joël Robuchon, candidat aupostedetoqué.

Finalement, Laurent peut ouvrir avec Philippe Braun aupiano, neveu d’Émile Jung, le Crocodile à Strasbourg, troisétoiles. Dans les mois qui suivent, Philippe Bourguignondécroche le titre de Meilleur Sommelier de France : pourLaurentdont lesvinsvont s’inscriredans ladémarchehautdegammedel’établissement,c’estunatoutdepoids.Illuirevientde mener la politique des achats et Edmond Ehrlich l’envoiesillonnerlesvignobles,nonpasenweek-end,maisensemaine:« Cela fait partie de vos attributions. Le contact avec lesvigneronsgarantit la qualité des vins.Vous êtes l’ambassadeurdeLaurent,onnevoustromperapas.Etpuisvoussaurezcequevousaurezàvendre,entempsetenheure,pourcequiconcernelamaturitédesvins.Vousaveztoutemaconfiance.»

Trapu,voixfermeàl’accentrocailleux,Ehrlichaétél’undeceux qui ont modernisé la gestion de Laurent, un singulierpaquebotauxcinqsalons,réceptionsetbanquets–lesoucidespersonnelsenpriorité.«Ilaétépourmoiunautrepère»confiePhilippeBourguignon.

Au début, Bourguignon habille les mets de vins plus oumoinsappropriésauxplats.Quatrecouverts,deshuîtres,dufoiegras,duhomard,une tarte à la tomate,dubar encroûte,de lalotte aux artichauts, de l’agneau à la provençale, une côte deveau en cocotte, que faire ? « Le sommelier est l’homme descompromisavecsesclientsetcequ’ilsvontmangerconfie-t-il,méditatif.Ildoits’adapter.Premièrebouteille,unSauvignonouunChenin deLoire, puis sur les plats centraux, il faut un vinpasse-partout, un Saumur Champigny, un pinot noir deBourgogneaufruitéprésentservifrais,c’estunarrangementmi-figue mi-raisin, et comme les clients ont à débattre d’affairessérieuses, ils s’en remettent au sommelier.Après tout, il est là

pourétanchernotresoif.Etpourdonnerduplaisir.»L’homme du vin ne saurait se tromper, ou pire, tromper le

client.Laviemystérieuseduvinestunescience,et ilenest ledépositaire.Çamarchecommeceladans les restaurantsdepuisJean Véfour (1830) et même avant lui chez le sieur AntoineBeauvilliers,ancienchefdecuisineduprincedeCondéetfuturofficier de bouche de Louis XVIII, l’un des tout premiersrestaurateursdel’HistoiredeFrance.Beauvilliersfondéen1970par le regretté Édouard Carlier, a été repris par un chefmauricien,rueLamarck(75018),transforméetmodernisé.

« Dans les enseignes de prestige, à forte connotationbusiness comme Laurent, il faut bien voir que la clientèle nes’attable pas seulement pour consommer des nourritureschoisiesetdesvinsdebonneorigine,sinoncesgensresteraientchez eux, dans le cocon familial, souligneBourguignon de savoix posée. Ils sont là pour vendre des Airbus, des armes deguerre, des voitures, signer des contrats d’import-export,recueillirdesavissurlesbanqueschinoises,leyo-yodel’euro,laproductiondecacaoenAfriqueetletourismeàdévelopperauClubMéditerranée…Onbosse,onphosphore,onselance.»

Lerestaurateuret lespersonnelsdesallesontdesfigurantsutilesdansledécordesaffaires.Ilssontlàpourprêterassistanceauxforcesenprésence.Discrétionetrapiditéd’exécution.Etsil’entente à table se révèle fructueuse, positive, poignées demains à l’appui, excellent sera le Médoc, les noisettes dechevreuil délicieuses et le soufflé aux noisettes bombé etmoelleux à l’intérieur. Que du bonheur. Et un pourboireconsistantdonnéparlapuissanceinvitante.

Toutcela,ceconsensusmouneplaîtguèreàBourguignon,soucieux de la judicieuse correspondance entre l’assiette et leverre;pourlui,unpuristedugoût,c’estlabasedesonmétier.Lesommeliern’estpasseulementunouvreurdebouteillesetun

serveurdistingué.Ilporteetdélivrelemessageduvin,l’élanduvinversleplat.

Offrir un Saint-Estèphe sur une brandade de morue, unPortosurunesoupedepoissons,unJurançonsuruncamembert,un champagne vif, vivace sur un sabayon au chocolat, non.L’élèvedeJeanFrambourg,passionnépar le jusde la treilleetsondestinà table, entend s’opposer à cescompromissionsquidénaturentlesvins.Ilvas’agirdelesprotéger,uneidéeforte,unprincipe d’action qui découle du discours innovant du grandprofesseurd’œnologie,lebiologisteJacquesPuisais,lalumièredes œnophiles, nombreux sont les sommeliers et restaurateursquisontlesélèvesduTourangeauàlaparolesavante!

Octogénairedepuispeu,cepersonnageaulangagefleuriestàlafoisunœnologue,unpoèteetunépicurienquin’acessédemiliter pour le juste accord des vins et desmets. Toute sa vied’hédonisteaconsistéàrechercherdesharmoniesàpartird’unvin,leMuscadetetdeshuîtresdebelon,lecanardApiciusetleBanyulsd’AndréParcé, labeuchelledeTouraineet leChinon,leHollandeétuvéetleMédoc,lemaroillesetlechampagne…

L’essentiel de son propos, c’est la mise en valeur du vin,embelli, porté, amélioré par la préparation culinaire ; la tablebienconçue,c’estdel’intelligence,delasensibilitéenactes,durespect appliqué aux éléments solides et liquides et de laculture.

Véritable prophète du plaisir à table, Jacques Puisais afondé sa philosophie sur la priorité concédée aux vins : oncommenced’abordparleblanc,oulepétillant,puisons’efforcededénicherunplatquiconviennelemieuxafinderespecterlevin,unHautMédocsuruneselled’agneau,unMeursaultsurunturbot,unblanc liquoreuxsurun roquefort.Toutest subjectif,dira-t-on, et les gens ont des seuils sensoriels et des goûtsdifférents–pasdevinsurduchocolat,l’eaudésaltérantesuffira

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tabledoublementétoiléedeBéziers,Hernandezentreàl’Oustaude Baumanière aux Baux-de-Provence auprès du maîtresommelierRenéBoxberger,l’initiateur,celuiquiluiatransmislapassionduvraivinparundiscourssimpleet juste.C’est là,auVald’Enfer,qu’ilappréhendeleplaisirsensueldujusdelatreillequ’ilsauracommuniqueràlaclientèletriéesurlevoletdel’Oustau, un des premiersRelais&Châteaux de France, troisétoilesMichelin,sousladirectiondeRaymondThuilier,l’asdugigot en croûte queGeorges Pompidou, alors secrétaire d’ÉtatauTourisme,aideraàsefaireunnometuneréputation,l’Oustaudevantbeau-coupaunatifdeMondoubif(Auvergne).

C’estlàaussi,aucontactdescrusprovençauxméconnusparles « rich and famous » qu’il devine le danger et le ridicule àn’être qu’un buveur d’étiquettes. Sa vie sera consacrée à ladécouverte,àlapromotiondevinsauthentiques.

Toutdanslarestaurationétoilée,hautdegamme,résidedansleslienstissésaufildutemps,lesrelationsprofessionnellesetlapâtehumaine, legoûtdesautresquivousfontpénétrerdansles cercles de l’excellence. À l’époque, au début des années1980,lemondeduvinconcernepeuleschefsdecuisine:ilyades sommeliers et des conseillers spécialisés pourmeubler lescaves.LesAOCrestentlesecteurdeshommesennoir:cesonteux qui génèrent les profits, le bénéfice des restaurants del’Hexagone(50%delarecette).

Ils’agitdesavoircequel’onachètedanslesvignobles,desvins de forte notoriété, à la mode, dans le vent de l’histoirecontemporaine qui feront vibrer les mangeurs aux papillesdélicates–commentplaireàlaclientèle?

Quand François Mitterrand, un fin palais, s’attable auJamin, le premier restaurant de la galaxie JoëlRobuchon, queluisuggérer?DuGrandPuyLacoste,soncrumédocainpréféré.Quand ilesten facedugénéraldeBénouville,grand résistant,

ce dernier réclame des blancs et rouges de Bourgogne de lafamille de Montille, des Meursault Perrières, du ChablisGrenouilles, du Corton Charlemagne, du Corton Grancey,exclusivitédeLouisLatour,del’AloxeCorton,sonpréféré,duBâtardMontrachet…Du très bon, quoi ?Le président, bonnepâte,suitsoncommensal,pasdevagues.

Au Jamin, Antoine Hernandez a été recruté par JoëlRobuchonsansqu’ils se soientvus–grâceà l’interventiondeGuy Savoy et deGuyRenvoisé. La confiance règne quand onbénéficie de telles recommandations. Pour le Biterrois, unsingulierchallenge,d’autantqueJoëlRobuchon,enprovenanceduNikkosurlesquaisdelaSeineoùilaglanédeuxétoilesauxCélébrités, n’était guère connu comme chef patron, il y avaittoutàfairepourbâtirunnometuneenseigne.Côtécuisine,cefut l’éblouissement dès les premières semaines, le formidablemenuà16euroscomprenantlafameusetêtedeveauetlacrèmebrûlée fut le premier signede la démocratisation relativede labonne chère, voulue par le Poitevin. En cela, le chef au frontbombé a marqué l’histoire de la cuisine françaisecontemporaine.

Peuversédans le savoirœnologique,Robuchonquiestunbondescendeurdebrutschampenoissouhaitedesvinsdetoutesles régions. Par l’entremise de Guy Renvoisé, ancien jockey,œnophilebourruquiasesentréeschezlacrèmedesproducteursdevinsfins,lacaves’enrichitdecrusdeBourgogne,deSauzet,de Dauvissat à Chablis, de Vincent Leflaive, des ComtesLafond,delaRomanéeConti,deMeo-Camuzet:singulièrecaved’exception. Avec Jean-Claude Vrinat, l’ami fraternel duTaillevent,disparuen2007,RobuchonachèteunecavehumideàBougival àBougival car le chef du Jamin exige des achats enprimeur,àstocker.Ainsiest-ilcertaind’avoirlesvins.

RuedeLongchamp,lacavepeutlogercinqmillebouteilles

seulement. Souvenirs de ses racines,Hernandez fait entrer desSaint-Chinian, des rouges de Chave, de Gilbert Alquier, duBanyuls de Parcé, des grands bordeaux de 1928, 1929, 1945achetés à un collectionneur, des vieux rhum, du champagneTaittingerdontlafamilleacrééleprixculinaireremportéparlefutur trois étoiles Robuchon qui a tout gagné, côtémédailles,prix, concours… En 2004, il a été fait Officier de la Légiond’HonneurparJean-PierreRaffarin,Premierministreet«pays»duchefaufrontlargeetàl’œilpétillant.

En quelques mois, à peine une année, le Jamin devientl’adresse en vue, la table de luxe où il faut aller : réussir àobtenir une table les jeudis ou vendredis soir relève de laprouesse.Cardepartoutarriventdes réservationspardizaines,l’engouementest telqu’il faut renvoyerdesdollars,desyensàdes impétrants qui, passant par la capitale, veulent quatrecouvertsàdînerle12janvier, le8marsoule15juillet.Hélas,c’estcomplet.Combiendepalaisaiguisésaurontétédéçusparcesrefusintempestifs?

Dans le New York Herald Tribune, Naomi Barry,chroniqueusetrèslue,vaclasserlerestaurantdeJoëlRobuchonpremière ou deuxième meilleure table du monde durant deslustres…À la fin duXXe siècle, aucun restaurateur en Europen’aura eu la vogue, le succès de Joël Robuchon. Desréservationsinterminables.Voulez-vousêtreplacéenjuin,dansquatremois?Voicilesjoursoùvouspourrezavoirunetable…audéjeuner.Ledîner,c’estautrechose.

Quand Robuchon ouvrira le premier Atelier en 2004, ilabandonneralesystèmeperversdesréservations,d’oùlaqueueet des récriminations fréquentes. De la restauration pour tous.C’estcequevoulaitlegrandJoël.

Avec le temps, les gourmets se sont adaptés. En 2012, le

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publiques,leBistrotduSommeliercompte1200références,cequi est comparable aux réserves de la Tour d’Argent ou duTaillevent.Pourunbistrotd’essencepopulaire,ouvert à touteslesbourses,lechallengevautd’êtresignalé.

Avecletemps,leDrômoiss’estmisàl’écriture,discipledeJean-LucPouteau,MeilleurSommelierduMondeen1983,dontLesCarnets de dégustation ont donné lieu à des ouvrages deréférence. Dans Les Grands vins du siècle (Éditions E.P.A.),publié en septembre 1999, le patron du Bistrot du Sommelierclasse les chefs-d’œuvre de la viticulture mondiale en troiscatégories: lesvinsmythiques,lesexceptionnelset lesvinsdel’avenir, une vingtaine, nés de l’énergie de leurs créateurs,MichelChapoutier(Hermitage),AiméGuibert(vinsdepaysdel’Hérault),GérardGauby (Côtes duRoussillon),ClaudePapin(Coteaux du Layon), Yves Cuilleron (Condrieu) et PatrickDucournau(Madiran).

Dans la première catégorie, des monuments historiques :RomanéeConti,Haut-Brion,Lafite,Margaux,Latour,Mouton,Pétrus, Yquem, Bollinger, Dom Pérignon, la Mouline, OpusOne. Dans la seconde : les Bourgognes de Faiveley, Leflaive,desComtesLafond,duMarquisdelaGuiche,deJean-FrançoisCoche-Dury, de Jean-Nicolas Méo, de Lalou Bize-Leroy, deJean-Marie Raveneau et, à Bordeaux, Cos d’Estournel, LynchBages, Palmer, Figeac et, ailleurs, les vins de Gérard et YannChave, d’Henri Bonneau à Châteauneuf, de Provence ou duLanguedoc, lesVouvray deHuet, les vins d’Alsace des damesFaller, et de Zind-Humbrecht… Un classement que l’on peutdiscuter–pourleschampagnes.

Àforcedetremperseslèvres,demouillersespapillesdanslesnectarsdeBacchus,lemaîtresommeliers’estforgéunstylelittérairedévoilantl’histoire,leprésentetlesmillésimesdecestrèsgrandsvignoblesarpentés,leverreenmain.Ilimprègneses

textes de son expérience de dégustateur, de voyageur dans lesrèges,de ses souvenirsde reporterd’un jour. Il racontequ’il asavouréuneRomanéeConti1971surunepastilladepigeonauxépices douces, « un très heureux mariage » souligne l’auteur.«Danscesvins,lagénérositétendredelaBourgogne,»écrivaitGaston Roupnel, le philosophe lampeur de bons crus de sarégion.

«Jamaisuneaussipetitesurfacedevignen’auraproduitunvin, laRomanéeConti, aussi prestigieux, tant par ses qualitésque par sa valeurmarchande. Et cela pendant des siècles. » IlfautlirelesouvragesdePhilippeFaure-Brac.

D

35.

LACAVE,ANTICHAMBREDUCAVEAUETDUBONHEUR,

LAQUÊTEDUFLACONRÊVÉDANSLAPÉNOMBREDESSOUS-SOLS

edeuxchoses l’une:soit lacaveest rangéeparAOC,parcommunesviticoles,parcrus,parmillésimes–très

rare–soitparmarquespourlechampagne,soitc’estunfouillis,unecaverned’AliBabadésordonnée,unesortedefourre-toutdecaisses, de flacons, de bouteilles dépourvues de toutcartésianismeœnologique.

Danscesconditions,lepropriétairesevoitcondamnéàunerecherchetatillonneduvindésiré.OùsecacheceMoreySaint-Denis 2004, ce Beychevelle 1990, cet Hermitage La Chapelle1996 qui ont surgi dansmamémoire ?Où en est ce beau vinacquis dans la forteresse de pierres de la maison Jaboulet, lelongdelarivièrerhodanienne?EtceBillecartSalmon1995quej’ai fait vieillir, selon la recommandation d’Alexandre Bader,DGvolubile–ilamaturéencavedanslesilence–oùenest-il?Diantre,jeleveuxpourleshuîtresaucaviar.

Le pire, ce Pétrus 1990 extrait d’une caisse de douze en1995pourhonorerunéditeuret sonhôtequin’étaitautrequeRobertParkerhimself,invitéàl’Arpège.Unexemplaireuniquedu grand Pomerol, lequel aurait plus de vingt ans – sûrementbonàboiredanscemillésimeemblématique–sijeréussissaisàmettrelamaindessus.

Àchaquefoisquejedescendsausous-sol,enquêted’unou

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Tabledesmatières

Préface

Del’initiationàlaconnaissancedesvinspourautrui

L’hommemillésiméauChâteauLasCases,chezleregrettéMichelDelon

DavidKhayat,cancérologue:del’artculinairepourguérirlesmalades

LaFrance,paysduvincélébréouhonni?PourquoiauPaysdeRabelais,Pasteuretdel’historienRogerDions’acharne-t-onsurlejusdelatreille?

Lafraîcheurdelavie:del’eauvégétalepourlasoifetleplaisir

L’itinéraired’unbuveurdeBordeaux,RaymondOliverauGrandVéfouràParis,avril1977

Desflaconsenvoyage,lesvins,compagnonsduplaisir

LeSavoyardGuyMartin,successeurdeRaymondOliverauVéfour

MeilleurSommelierduMonde2000,OlivierPoussier,duplaisiràlaméditation

10. AubertdeVillaine,lessecretsdelaRomanéeConti

11. Delanaissanceduvinàlavigne,surlescoteauxchampenois,lechampagneuneesthétiquedulibertinage

12. Retoursurl’aventured’EdmonddeRothschildauChâteauClarke,enMédoc,l’œuvredesavie

13. LesoiroùlecruclassédePauillacaétépréservé

14. Del’horreurœnologique,desassoiffésdevin,legosiersec

15. ÉricBeaumard,leprincedessommeliers,gauchermalgrélui

16. PlaidoyerpourMichelJackChasseuil,propriétairedelaplusbellecavedumonde

17. EnricoBernardo,lesvinsjustesd’IlVino,unsommeliercuisiniermilanaisàParis

18. LeBrunellodiMontalcinoàVenise,unedoubleviedansleverre

19. LesourcierPhilippedeRothschild,lalumièreduchai,visiteauChâteauMoutonRothschilden1972

20. LeChâteaud’Yquem:privilèges,rigueur,exigencesd’ungrandcru,voyageauchâteaudesLurSalucesenmai1984

21. AlexandredeLurSaluces,duChâteaud’YquemàFargues,lacontinuitéfamiliale

22. Pétrus:l’humbleetlesublime,visiteàJean-ClaudeBerrouet,œnologue,printemps1986

23. MarcMeneau,nourrirlesgensàVézelay,collinesacréeetterrehumaine

24. AuPetitNiceàMarseille,ladécouvertedepoissonsinconnusetdevinsclassiques

25. FrançoisAudouze,pourl’amourdesvinsanciens,beautésetrésurrections

26. Méchantepitancedanslescieuxouladéprimeaériennedu

gourmet

27. Desgrandscruscommevecteursdecivilisation,delaculturepourmieuxboire

28. Lachuted’unPichonLalande1966oulapunitiondel’œnophile

29. Lemélomaneetl’œnophile,unjeuàdeuxénigmes,del’oreilleetdelabouche

30. PhilippeBourguignon,l’œnophileestunhumanisme,l’itinéraired’undiacreduvin

31. RégalauboutdufilsurlaCroisette,undînerimpossible?

32. Lesvinsd’AntoineHernandezauxAteliersdeJoëlRobuchon,delacompagnieliquidepourdesmetsroyaux

33. DanslesverresdesfortunésdelavieàMonaco,lesvinsd’unpalacedelégendesurleRocher,l’HôteldeParis

34. AuBistrotduSommelier,PhilippeFaure-Brac,dégustateur,auteuretserviteurduvin,del’humilitéetdusavoir

35. Lacave,antichambreducaveauetdubonheur,laquêteduflaconrêvédanslapénombredessous-sols

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Achevéd’imprimerle21décembre2012surlespressesde

LaManufacture-Imprimeur–52200LangresTél.:(33)325845892

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