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Le Gnomonist Le Gnomoniste Volume XVIII numéro 4, décembre 2011 Des dessins de cadrans solaires … un peu à la manière de Spinoza par André E. Bouchard 6 Fig. 1- Voici un extrait de la pré- face du texte de la cinquième partie (et de sa traduc- tion) de l’Éthique de Baruch Spinoza. Le livre a été publié en latin (en 1677), après la mort de son auteur . André E. Bouchard 1-Des influences et des inspirations Pourtant deux lectures de commentateurs de l’Éthique de Spinoza me confirmaient dans cette direction, et m’invitaient à écrire un essai sur l’utilisation de mes dessins. Pour le moment, je ne retiens que des élé- ments s’appliquant à la compréhension et à l’expres- sion de mes idées sur le cadrans solaires. Mais je suis et demeure conscient de leur caractère non spécifique à la gnomonique! a) La lecture de Joseph Ratner faisant ressortir le passe-temps du philosophe pour le dessin: For mental recreation, he (Spinoza) read wideley in literature, observed the habits of insects, with the microscope as well as tne naked eye. Depuis 1993, année correspondant avec le début de mes réflexions sur la gnomonique, sur ses objets (les cadrans solaires) et sur la problématique du temps en général, j’utilise le dessin comme moyen privilégié pour appuyer mes réflexions. Le dessin me paraissait plus approprié que la photographie pour capter mes premières impressions et orienter mes perceptions vers des réflexions. Je suivais en cela l’expérience acquise bien avant cette date. En effet, j’ai favorisé le dessin dans mes notes de cours et d’enseignement (1968- 1978), et j’ai multiplié son usage en rédigeant mes car- nets de notes de voyages (1968-2011). J’utilisais cette « méthode du croquis ou de l’esquisse» en pensant à l’un des mes auteurs préférés . le philosophe hollandais d’Amsterdam: Baruch Spinoza (1633-1677). « Plus nombreux sont les objets auxquels se rapporte une image, plus celle-ci est fré- quente, c’est-à-dire plus souvent elle s’avive, et plus elle occupe l’Esprit » (Spinoza, Éthique, V, -Proposition 11, page 376). J’avoue qu’avant ces dernières années je n’ai jamais réussi à lire Spinoza qu’à petites doses, mais chacune de ces lectures me donnait la sensation qu’il me trans- mettait des outils d’une précision hors normes pouvant permettre de voir et comprendre toutes les choses très fines composant la réalité. Je crois pouvoir affirmer que cela s’applique à presque toutes mes idées sur les cadrans solaires! Par contre, j’aurai aimé dessiner tou- jours et abondamment. Même si mes activités profes- sionnelles auront été dans les domaines de la gestion et de la recherche, mes hobbies sont la plupart du temps identifiés ou basés sur le dessin. Sans préten- tion, j’ai utilisé en amateur cette technique d’illustra- tion (dans mes notes de cours; mes cahiers de bord personnels pour mes projets (de films, de murale, d’ex- positions de toiles à l’huile); mes carnets de voyages; mes exercices d’apprentissage des idéogrammes japo- nais; mes cahiers de notes en gnomonique, etc. …) De plus l’article actuel procède aussi de la genèse de d’autres sources d’inspiration. J’en parlerai rapide- ment, avant d’exposer quelques réflexions sur l’utilisa- tion du dessin et verrai à conclure avec des exemples multiples, tirés de mes cartons ou de mes fichiers.

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L e G n o m o n i s tL e G n o m o n i s tee Volume XVIII numéro 4, décembre 2011

Des dessins de cadrans solaires … un peu à la manière de Spinoza

par

André E. Bouchard

6

Fig. 1- Voici un extrait de la pré-face du texte de la cinquième partie (et de sa traduc-tion) de l’ Éthique de Baruch Spinoza. Le livre a été publié en latin (en 1677), après la mort de son auteur .

André E. Bouchard

1-Des influences et des inspirations

Pourtant deux lectures de commentateurs de l’Éthique de Spinoza me confirmaient dans cette direction, et m’invitaient à écrire un essai sur l’utilisation de mes dessins. Pour le moment, je ne retiens que des élé-ments s’appliquant à la compréhension et à l’expres-sion de mes idées sur le cadrans solaires. Mais je suis et demeure conscient de leur caractère non spécifique à la gnomonique!

a) La lecture de Joseph Ratner faisant ressortir le passe-temps du philosophe pour le dessin:

” For mental recreation, he (Spinoza) read wideley in literature, observed the habits of insects, with the microscope as well as tne naked eye.

Depuis 1993, année correspondant avec le début de mes réflexions sur la gnomonique, sur ses objets (les cadrans solaires) et sur la problématique du temps en général, j’utilise le dessin comme moyen privilégié pour appuyer mes réflexions. Le dessin me paraissait plus approprié que la photographie pour capter mes premières impressions et orienter mes perceptions vers des réflexions. Je suivais en cela l’expérience acquise bien avant cette date. En effet, j’ai favorisé le dessin dans mes notes de cours et d’enseignement (1968-1978), et j’ai multiplié son usage en rédigeant mes car-nets de notes de voyages (1968-2011). J’utilisais cette « méthode du croquis ou de l’esquisse» en pensant à l’un des mes auteurs préférés . le philosophe hollandais d’Amsterdam: Baruch Spinoza (1633-1677).

« Plus nombreux sont les objets auxquels se rapporte une image, plus celle-ci est fré-quente, c’est-à-dire plus souvent elle s’avive, et plus elle occupe l’Esprit » (Spinoza, Éthique, V, -Proposition 11, page 376).

J’avoue qu’avant ces dernières années je n’ai jamais réussi à lire Spinoza qu’à petites doses, mais chacune de ces lectures me donnait la sensation qu’il me trans-mettait des outils d’une précision hors normes pouvant permettre de voir et comprendre toutes les choses très fines composant la réalité. Je crois pouvoir affirmer que cela s’applique à presque toutes mes idées sur les cadrans solaires! Par contre, j’aurai aimé dessiner tou-jours et abondamment. Même si mes activités profes-sionnelles auront été dans les domaines de la gestion et de la recherche, mes hobbies sont la plupart du temps identifiés ou basés sur le dessin. Sans préten-tion, j’ai utilisé en amateur cette technique d’illustra-tion (dans mes notes de cours; mes cahiers de bord personnels pour mes projets (de films, de murale, d’ex-positions de toiles à l’huile); mes carnets de voyages; mes exercices d’apprentissage des idéogrammes japo-nais; mes cahiers de notes en gnomonique, etc. …)

De plus l’article actuel procède aussi de la genèse de d’autres sources d’inspiration. J’en parlerai rapide-ment, avant d’exposer quelques réflexions sur l’utilisa-tion du dessin et verrai à conclure avec des exemples multiples, tirés de mes cartons ou de mes fichiers.

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Fig. 2 Un montage de quelques-uns de mes dessins d e voyages (de 1987 à 2000)

Fig. 3 La méthode est empruntée à Camus et Gottelan d, Cadrans solaires de Paris , Paris 1993, p. 24 « Pourquoi le dessin a-t-il été préféré à la photo? »; et quel ques photos de ma participation, à Paris en 2009, lors d e la rencontre annuelle de la Commission des Cadrans so-laires de la Société astronomique de France . Le dessin dans mon carnet montre le cadran vertical déclinant de la cour du Méridien du Lycée Henri IV.

André E. Bouchard

On the Improvement of the Understanding and the Ethics, both of which were only pub-lished posthumously.We know from other peoples’souvenirs and memories of the phi-losopher that he also drew. He enjoyed draw-ing. He carried a sketchbook around with him. After his sudden death – perhaps from silico-sis, a consequence of his grinding lenses – his friends rescued letters, manuscripts, notes, but apprently didn’t find a sketchbook. Or, if they did, get lost” in « Bento’s Sketchbook », John Berger, Verso, London,2011, p.5) “As long as a man is affected by the image of anything, he regards the thing as present, al-though it may not exist, nor will he regard it as past or future save in so far as its image is con-nected with the image of time past or future. Where the image of the thing considered in itself is the same whether it refers to time present, past or future, that is the constitution of the body, or, the emotion is the same whether the image of the thing be present, past or future. As so the emotion of pleasure or pain is the same whether the image of the thing be present, past or future.” (Spinoza, Éthique, partie IV, Proposition 12, Démonstration).

b) Une lecture très récente de John Berger qui prétend avoir retrouvé le cahier de dessins de Spinoza ::

”The philosopher Baruch Spinoza (1632-1677) – gene-rally known as Benedict (or Bento) de Spinoza –earnt his living as a lens-grinder and spent the most intense years of his short life writing

He also sometimes drew ink or charcoal sketches of his visitors and himself. A fairly plausible rumor has it that Rembrandt was his teacher. Unfortu-nately, all of Spinoza’s sketches were destroyed” , in “The Philosophy of Spinoza”, edited by Joseph Ratner, Tudor Publishing Company, 1927, (p.XX, The Life of Spinoza).

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Fig. 4 Quelques dessins de mon répertoire portatif de cadrans solaires du Québec

André E. Bouchard

Ils peuvent être infidèles, mauvais, maladroits ; mais ils furent et restent un acte d’intelligence autre, comme la nécessité d’une sorte d’idéogramme – le regard, la vue, la présence, la pensée de l’œuvre passent sponta-nément et nerveusement par la main.

Ces dessins sont de petite taille (celle d’une carte pos-tale). Ils sont souvent accompagnés d’indications plas-tiques (formes et couleurs) et géographiques (grandeurs et localisation). Ils agissent comme des aide-mémoire, apportant un monde de réduction de la réalité perçue et choisie par mes yeux et par ma main.

Je n’ai jamais exploité pleinement ce talent naturel, : je dessine mais j’envie ceux qui excellent dans l’art du croquis. Ma mère dessinait avec adresse et spontanéi-té ; à main levée, elle était capable de dessiner un por-trait à la manière des grands maîtres.

2-Quelques réflexions sur l’utilisation du dessin pour faire la découverte des cadrans:

-Le dessin est une technique et un art consistant à re-présenter visuellement, en deux dimensions, person-nages, paysages, objets ou idées, par des formes et des contours, en excluant a priori la couleur.

-Dessiner consiste essentiellement à délimiter par des traits les contours de l'objet à représenter. Ceci impli-que une démarche d'interprétation et de synthèse : passer d'un objet à trois dimensions à un dessin à deux dimensions nécessite un choix de représentation exprimé par une perspective,

-Le défi du dessin consiste à montrer, à rendre visible sur le papier ou sur la surface à dessiner, non seule-ment de manière discrète les choses reconnaissables, mais aussi de montrer l’extension de leur substance. Cette activité demande du temps, de l’observation et de la contemplation de l’objet à reproduire. -Quand je dessine les cadrans solaires, je me sens plus près des gens et des choses, un peu comme les arbres trouvent leur chemin vers la lumière. Mais les gens aussi se rapprochent de moi, me regardent des-siner; apportent souvent des commentaires et me questionnent parfois sur le pourquoi d’une telle acti-vité. -Le dessin, pour moi, est le meilleur moyen de frap-per l’esprit, étant souvent celui de frapper l’œil. -Dessiner, non seulement pour rendre quelque chose d’observé visible aux autres, mais aussi pour accom-pagner quelque chose d’invisible vers sa destination incalculable. -L’utilisation des dessins: je regarde les choses et les mots, que j’avais observés par mes propres yeux. -Regarder un cadran, ou regarder quelqu’un qui fabrique un cadran, est une autre façon de laisser le temps qui passe, en ne faisant rien. Mais quand je les dessine, je suis entièrement occupé, sans m’occuper du temps qui passe trop vite. -J’avais oublié plusieurs de ces dessins, mais je suis frappé, en les consultant, par le mouvement spontané qui m’a conduit à les réutiliser pour cet article. J’é-prouve encore le besoin d’un commentaire dessiné, passant par une sensation très évocatrice de l’intelli-gence propre à ma première émotion. Peu m’importe la qualité de ces dessins.

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Fig. 5 Quel-ques dessins pour la prépa-ration de l’ex-position de Dorval (2011)

André E. Bouchard

Mais ce qui me frappe maintenant, c’est la sorte de mémoire que ces dessins éveillent en moi : mémoire intérieure quasi physique des figures et de la lumière. Ces dimensions s’activent, comme une présence quasi tactile de l’évocation, où la main et l’œil agissent comme un trait, dans l’espoir de me souvenir et de dé-couvrir les dimensions cachées des cadrans solaires que je regarde et analyse.

3-Des utilisations concrètes de mes dessins de cadrans

-La préparation matérielle d’expositions de cadrans

Jusqu’à maintenant sur l’Île de Montréal, j’ai organisé deux expositions de cadrans solaires et je discute d’un autre projet pour le printemps prochain.

-Ainsi en 2008 pour les activités des « Journées de la culture » du Centre culturel Saint-Germain d’Outre-mont, et - en 2011 (du 8 septembre au 6 novembre, avec Beverley Rankin, l’animatrice culturelle et res-ponsable des expositions du Musée d’histoire et du pa-trimoine de Dorval); et je projète une autre exposition pour avril 2012, dans une Bibliothèque publique d’un arrondissement de Montréal, à l’Île Bizard, en collabo-ration avec la Société du Patrimoine et histoire de l’Île Bizard et de Sainte-Geneviève. Dans tous ces cas men-tionnés, j’utilise les dessins des cadrans de la CCSQ

pour me représenter les gabarits des cadrans déjà créés en 3 dimensions, et pour faire des suggestions concrè-tes selon les disponibilités d’espace et de volume des salles d’exposition..

-Un répertoire portatif de cadrans pour mes exposés et conférences

La CCSQ a eu, dès le début de 1994, l’idée d’établir un répertoire des cadrans connus sur le territoire du Québec. M’inspirant alors du travail titanesque du re-gretté M. Robert Sagot, ancien président de la Com-mission des cadrans solaires de la Société astronomi-que de France, j’ai constitué un système de fiches avec description et illustration des cadrans retenus dans la compilation québécoise des cadrans. C’était quelques années avant l’utilisation de l’internet et du site Web de la CCSQ.

Malgré l’utilisation de photos sur le Web en 1996, j’ai continué à dessiner les cadrans dans mes carnets, et ces cahiers servaient d’illustrations dans mes exposés et mes conférences. Mes dessins servent toujours, même si mon iPad (tablette électronique de feu Steve Jobs de la compagnie Apple) est devenu avec le projecteur de fichiers PowerPoint, une espèce de prolongement obligé dans mes présentations publiques, tant locales qu’internationales.

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Fig. 6 Dessins d’une visite de cadrans à Hartford, Connecticut, USA, lors d’une rencontre annuelle de la North American Sundial Soc iety. (NASS). À gauche, il s’a-git du cadran de la Memorial Library de Newington; à dr. C’est le cadran dessiné par Robert Adzema pour le Samuel S.T. Chen Art Cent er, situé sur le campus de la Central Connecticut University, à New Britain. Dans mon carnet, j’ai indiqué le temps pris pour faire les croquis: 8 minutes respec tivement dans chacun des cas.

André E. Bouchard

choisir les mots les plus justes, et couper les répé-titions…

Cependant sans mon des-sin du 16 juillet 1998, je ne crois pas que j’aurais eu autant d’impressions pour nourrir mes ré-flexions. Mon carnet rap-porte, en effet, un détail intéressant:j’ai mis près d’une heure à le dessiner, à le figer sur papier

C’est évident qu’une prise de photo n’aurait pris que quelques secondes pour enregistrer ce cadran sur la cartouche électronique de ma caméra. J’ai donc la plus profonde conviction que le temps mis pour dessiner le cadran de la Platz Mozart de Salzbourg m’aura permis une meil-leure compréhension de ses caractéristiques, et un questionnement plus ex-haustif.

Finalement, c’est un support à mes activités d’observa-tion et de réflexion. Prenons, par exemple, l’article du Gnomoniste (XVIII-3, septembre 2011, p.18-21), « Un cadran baroque du XVIIe siècle à Salzbourg », et voi-ci, en quelques mots, quel a été le germe de sa rédac-tion et de sa présentation. J’ai d’abord choisi le dessin du cadran de la Mozart Platz, (griffonné le 16 juillet 1998, entre 7h48 et 8h38) ; puis j’ai trouvé une photo de ce même cadran (choisie sur le site Web des ca-drans autrichiens) ; ensuite, j’avais trié du livre Aes-thtics des extraits à même les citations du philosophe Beardsley, notées sur mes fiches de lecture, portant sur les caractéristiques de l’art baroque.. Enfin, mon ana-lyse culturelle s’est déduite et complétée presque natu-rellement en paragraphes de mon article. Bien sûr, il m’a fallu travailler les phrases, préciser ma pensée,

J’ai eu la chance, à quelques reprises dans ma vie, de rencontrer des gens avec du génie créatif.. Il m’ont changé et rendu meilleur. Les grands créatifs nous ou-vrent des portes. C’est ainsi avec Spinoza!

mes dessins.

-Un moyen d’expression pour faciliter les illustrations de mes articles dans le Gnomoniste.

c-Un aide-mémoire pour discuter des divers types de cadrans

Comme Spinoza, j’ai pris l’habitude d’apporter mes carnets lors de visites de cadrans. J’ai une collection variée d’épures, de dessins, d’esquisses et de caricatu-res de cadrans solaires. Deux visites de cadrans de la North American Sundial Society m’ont permis d’amas-ser plusieurs illustrations : à Toronto (en 1996) et à Hartford, Connecticut, (en 1999). Deux rencontres in-ternationales (en Europe), à Oxford (2003) et à Paris (2009) m’ont permis de compléter mes collections de cadrans de Belgique, d’Autriche, de République chè-que et d’Allemagne. Au fond de tout cela, je me faisais cette réflexon : j’ai des centaines de photos de cadrans d’ici et d’ailleurs ; mais les seuls cadrans dont je me souvienne vraiment sont ceux qui ont fait l’objet de