Derrière l'objectif de Hans Silvester

15
Derrière l’objectif de Hans Silvester Photos et propos 24 18

description

Premier militant écologiste à s’être emparé de l’outil photographique comme d’une arme de persuasion, il est aussi un photographe animalier reconnu comme en témoigne l’immense succès de son livre Les Chats du soleil.

Transcript of Derrière l'objectif de Hans Silvester

Page 1: Derrière l'objectif de Hans Silvester

25€ISBN : 9782-84230-410-2

Derrière l’objectifde Hans SilvesterPhotos et propos

Der

rièr

e l’o

bjec

tif

de H

ans

Silv

este

r

Pour Hans Silvester, la nature est… une seconde nature. On peut voir en lui le premier militant écologiste à s’être emparé de l’outil photographique comme d’une arme de persuasion. Mais son œuvreest également une approche sociologique et patrimoniale, qu’il chronique pendant trente ans l’évolutiondes habitants d’un village basque ou saisisse les derniers rites de peuples primitifs en Éthiopie. Amoureux de la Terre, il l’est aussi des êtres qui la peuplent, y compris les animaux. Ses photos de chevauxou de chats – immenses succès en librairie – en témoignent. Impossible, donc, de réduire le travail de Hans Silvester à un « genre ». Son œuvre est un tout qui nous dit la beauté du monde et témoigned’une grande indépendance : le photographe ne recherche jamais l’effet, il veut décider lui-même de ses reportages et se laisser porter par la chance, bonne fée dévouée à ceux qui, persévérants, la sollicitent.Pour chacune de ces 200 images choisies au sein d’une œuvre foisonnante, toutes saisies sur le vif, toutes composées d’instinct, Hans Silvester confie commentaires, anecdotes et réflexions sur son travail.Ses propos dessinent l’aventure de la création photographique.

La vocation a saisi Hans Silvester dès l’enfance. Né en 1938 en Allemagne, il fait ses gammes à quatorze ans dans l’atelier d’un photographe et obtient son diplôme trois ans plus tard. Il prend la route à travers l’Europe. En 1960 sort Camargue avec un texte de Jean Giono. Les voyages se succèdent et la Provence devient le port d’attache du photographe qui s’y installe en 1962. Reportages au long cours, patience et passion : à travers ses publications dans la presse, ses dizaines d’expositions et une cinquantaine de livres, Hans Silvester, membre de l’agence Rapho depuis 1965, s’affirme ardent défenseur de l’écologie (Calavon, la rivière assassinée), photographe animalier hors pair (Les Chats du soleil) ou témoin capital de traditions vouées à disparaître (Les Peuples de l’Omo). 24

18

Couv. P&P Silvester_Layout 1 04/07/11 17:28 Page1

Page 2: Derrière l'objectif de Hans Silvester

20

Jean et JulieL’homme, Jean, marche devant Julie, sa femme

vêtue du noir qui habille toutes les paysannes,

eux-mêmes précédés de leurs chèvres et de leur

chien. Ils arpentent le chemin d’un pas qu’on

imagine lent et mesuré, comme ces gestes des

milliers de fois répétés. J’aime cette image simple

et linéaire : elle dit la sérénité du temps qui passe,

marque les êtres, les animaux, la terre, sans

jamais les effacer. Plus tard, je les ai pris en photo

sur le banc de leur maison de Lioux. Là, aussi

denses que la pierre sur laquelle ils sont assis,

ils me regardent tout droit. Positions et mouve-

ments semblables, cannes parallèles, miroir ou

ombre l’un de l’autre, ensemble toute une vie,

jamais l’un sans l’autre. Je n’oublierai pas le

contact chaleureux du père Jean, son sourire

malicieux et sa façon de raconter les choses

simples de la vraie vie à la campagne.

01 SILVESTER P.01-41 2_Layout 3 04/07/11 14:57 Page20

Page 3: Derrière l'objectif de Hans Silvester

21

En équilibreL’attitude de ce couple de paysans sur une route

des Alpilles, juchés sur leur carriole, de part et

d’autre des roues, me fait penser à ces balan-

çoires à bascule qui amusent les enfants dans les

jardins publics. L’équilibre de l’un dépend de

celui de l’autre. Il en va très souvent ainsi dans la

vie paysanne où chacun remplit un rôle indis-

pensable pour toute la communauté. Ce qui m’a

fait sourire dans cette scène, c’est le plateau qui

penche un peu du côté de la femme. Les deux

paysans, eux aussi, s’en amusaient et j’ai partagé

avec eux un vrai moment de complicité. Mon

cadrage montre les pattes du mulet, pour que

l’histoire soit bien comprise.

01 SILVESTER P.01-41 2_Layout 3 04/07/11 14:57 Page21

Page 4: Derrière l'objectif de Hans Silvester

Vos papiers!Imposants au premier plan, les gendarmes domi-

nent de toute leur autorité la famille dont ils exa-

minent les documents et qui, écrasée par la

perspective, m’apparaît fragile et méfiante. Une

photo rare car les uns comme les autres n’aiment

pas être vus ensemble ! Je l’ai prise dans le Vau-

cluse, lors d’un contrôle par la maréchaussée qui

arrête les caravanes et vérifie les papiers des occu-

pants. Outre la différence entre les uniformes

impeccables et les vêtements usés, on note aussi

l’opposition très nette des deux mondes dans

les regards : ceux des gitans, soucieux, apeurés,

convergent vers leurs interlocuteurs alors que les

gendarmes n’ont pas enlevé les lunettes noires qui

soulignent leur autorité, leur impassibilité, voire

leur mépris – l’un d’eux regarde ailleurs, l’autre

fume. Être gitan, c’est être coupable. À l’époque,

les gitans doivent posséder des carnets de route

pour pouvoir circuler à peu près librement.

32

01 SILVESTER P.01-41 2_Layout 3 04/07/11 14:57 Page32

Page 5: Derrière l'objectif de Hans Silvester

33

Instantané de la vie nomadeLa scène se passe en Camargue. J’avais décidé

d’accompagner les gitans et je suivais le même

itinéraire qu’eux en Fiat 600. Un matin, alors que

j’avais dormi dans la voiture près de la route,

je me suis réveillé au bruit d’une carriole qui

approchait. Le temps de prendre mon appareil,

elle passait devant moi, la lumière était parfaite.

Les enfants à la fenêtre de la verdine, la petite che-

minée, l’homme marchant au pas de l’âne: un ins-

tantané de la vie nomade. C’étaient des Tsiganes

d’Europe de l’Est en route vers l’Espagne.

01 SILVESTER P.01-41 2_Layout 3 07/07/11 14:36 Page33

Page 6: Derrière l'objectif de Hans Silvester

02 SILVESTER P.42-75_Layout 3 04/07/11 14:47 Page50

Page 7: Derrière l'objectif de Hans Silvester

51

Irlande. MélancolieQuand on arrive d’un pays de soleil, un seul

endroit permet de retrouver de la chaleur en

Irlande : le pub. Je suis venu pour mon reportage

sur les gitans et me voici attablé dans un pub de

Dublin. L’atmosphère rappelle un peu le Sud.

Mais c’est aussi là, entre convivialité, chansons,

cigarettes et Guinness, que se devine l’histoire de

l’Eire, si chargée en malheurs qu’elle en a marqué

les gens d’un fond de mélancolie à noyer dans

la bière. En 1961, il y a encore du spleen derrière

les rires, les exclamations. Et le jeune homme

accoudé devant sa pinte en est pour moi le sym-

bole même avec sa veste sombre, sa main portée

au visage, la cigarette qui prolonge son autre

main et ce verre noir couronné de blanc. Je le vois

dans une solitude extrême, isolé des autres,

perdu dans ses pensées. Mon négatif le révèle, j’ai

fait d’autres photos des hommes présents dans le

bar, toujours en groupe ou deux par deux, avant

de tomber sur lui. Peu de lumière, venue d’une

fenêtre située en hauteur. Je n’utilise jamais de

flash, juste un temps de pose plus long. La fumée

atténue le contraste, la présence des autres buveurs

à l’arrière-plan s’estompe et le contre-jour donne

à l’image une vraie profondeur.

Il arrive qu’une photo échappe au photographe,

qu’elle devienne une icône. C’est le cas de celle-

ci. Elle a été beaucoup publiée car elle reflète

l’âme irlandaise. Ou l’idée qu’on s’en fait.

02 SILVESTER P.42-75_Layout 3 07/07/11 14:41 Page51

Page 8: Derrière l'objectif de Hans Silvester

80

La beauté du diableJ’ai fait ce reportage par hasard sur un site proche

de chez moi. Un agriculteur m’avait expliqué qu’il

ne comprenait plus : on lui avait demandé de

cueillir les plus beaux fruits pour les détruire. On

appelle ça « retirer du marché». Des coopératives

achètent les pommes et les contrôlent soigneuse-

ment pour se débarrasser des meilleures car, s’il

en arrivait trop sur le marché, le prix baisserait.

À Cavaillon, un centre a été créé au bord de la

Durance afin de jeter les fruits. Le « tapis» fait de

l’effet : à la fois joli et terrible. La beauté du diable.

Par souci d’efficacité, j’ai trouvé un avion, j’ai sur-

volé. Cela m’a permis de montrer l’ampleur du

gâchis. Une telle photo provoque forcément une

réaction. Tout le monde est contre l’idée de jeter

de la nourriture, ce n’est pas moral. En voir jeter

tant ne peut que choquer et amener à réfléchir

aux problèmes de répartition. Avec l’autre image,

plan plus rapproché des fruits plus ou moins abî-

més, de facture presque abstraite, on voit com-

ment, aspergés de pétrole, et donc impropres à la

consommation d’éventuels chapardeurs, les fruits

pourrissent peu à peu. Quand l’eau monte, elle

les emporte. Conscient de la difficulté de traiter

un sujet complexe, pour l’écologie j’essaie de

raconter une petite histoire en quelques images,

souvent deux. L’une attire l’œil par sa dimension

graphique (ici le tapis de pommes), l’autre, au-

delà de l’explication qu’elle donne de la première,

est là pour choquer, pour provoquer une réac-

tion. En ce qui concerne l’écologie, depuis qua-

rante ans, je ne crois pas aux demi-mesures, aux

compromis. On a déjà perdu trop de temps.

Le message ne doit viser que l’efficacité.

03 SILVESTER P.76-95_Layout 3 04/07/11 15:49 Page80

Page 9: Derrière l'objectif de Hans Silvester

03 SILVESTER P.76-95_Layout 3 04/07/11 15:49 Page81

Page 10: Derrière l'objectif de Hans Silvester

106

Trois instants uniquesAprès tant d’années d’observation, je peux confir-

mer que l’amour entre chats existe. Et pas unique-

ment l’acte amoureux, brutal, violent, bruyant : les

chats aiment se retrouver, se frôler, être ensemble.

J’ai mis en images tendresse et affection, des com-

portements souvent liés au jeu ou à la toilette. Ali-

gnés sur leur banc, ces trois-là, par leur attitude et

l’effet de la lumière, m’ont offert un incroyable

portrait de famille : même mouvement, mais les

deux premiers baignent dans le soleil à l’inverse

du noir qui semble l’ombre du grand roux. On

parle de toilette de chat par dérision alors que les

chats se nettoient avec minutie, dès leur plus

jeune âge. J’ai été surpris de voir à quel point

les rapports d’affection entre eux rappellent les

nôtres, entre humains. S’il m’est arrivé d’éveiller

leur méfiance, c’était quand des chatons étaient

concernés. Ainsi, au coin d’une marche, un petit

s’est endormi en sécurité sur le dos de sa mère,

tandis qu’elle me surveille, prête à le défendre,

mais reste immobile, peut-être pour ne pas

l’éveiller. Ailleurs, ceux qui ont envahi l’escalier

prennent du bon temps sans la moindre inquié-

tude. Un par marche, ils font la sieste en même

temps. Parce qu’ensemble, c’est mieux? Mais oui,

ils aiment la compagnie. Et puis, la vie peut être

04 SILVESTER P.96-121_Layout 3 04/07/11 16:37 Page106

Page 11: Derrière l'objectif de Hans Silvester

107

rude parfois mais, en attendant, carpe diem.

L’abandon du corps en témoigne, et le sourire à

éclipses dont Lewis Carroll a doté son chat du

Cheshire, pure expression de paix et de béati-

tude. À mes yeux, ces trois photos sont uniques,

irremplaçables, quasi miraculeuses, même si je

les ai un peu méritées en attendant le meilleur

moment, en sollicitant sans trêve le hasard.

Comment les refaire, moi ou quelqu’un d’autre,

d’ailleurs ? Chaque fois, l’image tient à un fil, à

une poignée de secondes. Qu’un des chats mani-

feste quelque humeur, qu’il change de position et

c’en est fini.

04 SILVESTER P.96-121_Layout 3 04/07/11 16:37 Page107

Page 12: Derrière l'objectif de Hans Silvester

146

Le temps de l’innocenceTête contre tête, l’harmonie des ocres et du blanc

s’affirme. Les deux garçons suris se sont décorés

mutuellement. Pratiquée au grand air et en pleine

nature, sans autre miroir que l’eau de la rivière et

le regard des autres, la peinture corporelle est

parfois affaire collective. Chacun exerce alors son

art sur le corps de son voisin. Avant qu’on ne

confie aux jeunes garçons la surveillance du trou-

peau, les dessins sur la peau constituent leur jeu

favori. C’est à qui sera le plus beau, le plus adroit.

Ou le plus rapide : la peinture peut être réalisée

très vite, voire d’un seul geste. Le jeune homme

qui s’est peint le visage en blanc l’a fait en quelques

secondes et j’ai saisi cette spontanéité en me disant

que, devant une glace, son mouvement n’aurait

jamais été aussi fulgurant.

06 SILVESTER P.134-160_Layout 3 04/07/11 16:57 Page146

Page 13: Derrière l'objectif de Hans Silvester

147

J’ai souvent été frappé par le regard de ces enfants :

un regard grave d’animal piégé. Ce n’est pourtant

pas moi qu’ils redoutent, ils m’aiment bien, ils sont

contents de me montrer leur adresse, leur sens des

couleurs. Mais peut-être sentent-ils que le temps

de l’innocence est désormais compté, que s’ouvre,

dans leur monde épargné, une ère de change-

ments qu’annonce ma présence. Lorsque je suis

arrivé chez les Mursis et les Suris, il fallait déjà,

pour entrer à l’intérieur de leur village, payer les

anciens puis, individuellement, les hommes et les

femmes qu’on voulait voir de près. Je ne parle pas

de photographies, seulement de visites. Cela ne

coûtait pas très cher, moins de 5 euros pour les

anciens, puis entre 30 et 50 centimes pour chaque

individu. Mais quelques années plus tôt, ces

peuples n’avaient jamais vu d’argent, ils ne

faisaient que du troc. Maintenant, ils monnaient

aussi leur image sans pour autant être mercan-

tiles. L’autorisation dépend de leur humeur, quand

ils ne connaissent pas leur interlocuteur. Au début,

mes cheveux blancs m’ont aidé. Les anciens ne

pouvaient tout simplement pas refuser leur accord

à un homme du même âge qu’eux. Aujourd’hui,

tous m’accueillent comme un ami et j’ai tellement

confiance en eux que, malgré leur attachement

farouche à leur kalachnikov, j’ai amené avec moi,

l’été dernier, ma petite-fille de quatorze ans.

06 SILVESTER P.134-160_Layout 3 04/07/11 16:57 Page147

Page 14: Derrière l'objectif de Hans Silvester

150

Trois stylesPaul Gauguin, qui a utilisé beaucoup de peinture

sur les corps, aurait aimé ce naturel. Ou encore

Emil Nolde, qui, lui, colorait les visages. Les pein-

tures libres des peuples de l’Omo, si proches de

la peinture moderne, ont été pour moi un choc.

J’y cherche un secret, avec parfois l’impression que

je suis le photographe fait pour cette quête.

Trois photos me permettent de donner une leçon

de peinture suri à travers trois styles différents. Le

plus simple, quotidien mais sujet à d’infinies

variantes, consiste à s’enduire tout le corps de

couleur blanche et à ensuite dessiner en réserve,

en enlevant du bout des doigts de la peinture.

Rayures verticales, horizontales, ondulations,

vagues, tout est permis, comme en témoignent les

trois copains que j’ai photographiés ensemble. Le

jeune homme allongé montre la tendance inverse,

il s’est appliqué et a réalisé patiemment les dessins

compliqués qui fleurissent son corps. Il lui a fallu

trouver un tampon pour la corolle, un autre pour

le cœur, puis apposer l’un et l’autre des dizaines

de fois, avec des colorants différents. Personne n’a

dû l’aider : les copains veulent bien donner un

coup de main de temps en temps, à condition que

cela ne dure pas trop. Maintenant, l’œuvre est en

place, complexe, parfaite, et seule ma photo en

gardera trace. La troisième approche, peut-être

moins spectaculaire, est pour moi la plus éton-

nante. Sur un fond rouge, l’artiste qui a placé des

touches blanches a su s’arrêter au bon moment

pour l’équilibre de sa composition abstraite !

À mon sens, il n’existe rien de plus difficile.

06 SILVESTER P.134-160_Layout 3 04/07/11 16:57 Page150

Page 15: Derrière l'objectif de Hans Silvester

06 SILVESTER P.134-160_Layout 3 04/07/11 16:57 Page151