Delly - Esclave Ou Reine

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BIBEBOOK DELLY ESCLAVE… OU REINE ?

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    DELLY

    ESCLAVE OU REINE ?

  • DELLY

    ESCLAVE OU REINE ?

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1339-7

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  • CHAPITRE I

    C vent du sud-ouest humide et tide, les nuages cou-raient sur lazur ple en voilant tout instant le soleil de no-vembre qui commenait dcliner. En ces moments-l, lobs-curit se faisait presque complte dans le petit cimetire bizarrementresserr entre lglise et le presbytre, deux constructions aussi vn-rables, aussi croulantes lune que lautre. Le feuilles mortes excutaientune danse folle dans les alles et sur les tombes, les saules agitaient leursmaigres branches dpouilles, les couronnes de perles cliquetaient contreles grilles dpeintes, le vent siait et gmissait, tel quune plainte de tr-pass. . .

    Et la grande tristesse de novembre, des souvenirs funbres, de cesjours o lme des disparus semble oer autour de nous, la grande tris-tesse des tombes sur laquelle lesprance chrtienne seule jee une lueurrconfortante planait ici aujourdhui dans toute son intensit.

    La jeune lle qui apparaissait sous le petit porche donnant accs de l-

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  • Esclave ou reine ? Chapitre I

    glise dans le cimetire devait ressentir puissamment cee impression, carune mlancolie indicible sexprimait sur son visage, et des larmes vinrent ses yeux des yeux dOrientale, immenses, magniques, dont le regardavait la douceur dune caresse, et le charme exquis dune candeur, dunedlicatesse dme quaucun soue dltre ntait venu eeurer.

    Ctait une crature dlicieuse. Son visage orait le plus pur type cir-cassien, bien que les traits nen fussent pas encore compltement forms car elle sortait peine de ladolescence, et sur ses paules ses cheveuxnoirs, souples et lgers, oaient encore comme ceux dune llee.

    Elle descendit les degrs de pierre couverts dune moisissure verdtreet sengagea entre les tombes. Son allure tait souple, gracieuse, un peuondulante. La robe dun gris ple presque blanc, dont elle tait vtue, met-tait une note discrtement claire dans la tristesse ambiante. Le vent lafaisait oer et soulevait sur le front blanc les frisons lgers qui schap-paient de la petite toque de velours bleu.

    La jeune lle sarrta devant un mausole de pierre, sur lequel taientinscrits ces mots : Famille de Subrans. Elle sagenouilla et pria lon-guement. Puis, se relevant, elle t quelques pas et tomba de nouveau genoux devant une tombe couverte de chrysanthmes blancs.

    Au-dessous de la croix qui dominait cee spulture tait grave ceepitaphe :

    Ici reposedans laente de la rsurrectionGabriel-Marie des Forcilsretourn Dieu lge de dix-huit ansLa jeune lle inclina un peu la tte et lappuya sur ses petites mains

    jointes. Des larmes glissaient sur ses joues et tombaient sur les eursblanches.

    Gabriel, comme vous me manquez ! murmura-t-elle.Derrire elle, dans lalle troite, une femme en deuil savanait. Elle

    vint sagenouiller prs de la jeune lle et, entourant de son bras les paulesencore graciles, mit un long baiser sur le beau front qui se levait vers elle.

    Vous ne loubliez pas, chrie, petite Lise quil aimait tant ! dit-elledune voix toue par les sanglots.

    Loublier ! Oh ! madame !

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  • Esclave ou reine ? Chapitre I

    Elle pleurait. Sur les eurs blanches, les larmes de la mre se mlaient celles de lamie denfance. Lise commena le De profundis. Le rponssortit comme un soue insaisissable des lvres frmissantes de M desForcils. Les yeux bleus plis par tant de larmes verses elle tait veuveet venait de perdre son dernier enfant se xaient sur la croix avec uneexpression de douleur rsigne.

    Requiescant in pace ! dit la voix tremblante de Lise.Le bras de M des Forcils se serra un peu plus contre ses paules. Lise, il doit tre au ciel ! Mon Gabriel tait un saint ! Oh ! oui ! dit Lise avec ferveur.Elles demeuraient l, appuyes lune contre lautre, insouciantes du

    vent qui sacharnait sur elles. Devant leurs yeux svoquaient la mincesilhouee de Gabriel, son n visage la bouche souriante, ses yeux bleussrieux et si doux, si gravement tendres, et qui, souvent, semblaient re-garder quelque mystrieux et airant au-del.

    Gabriel des Forcils avait t un de ces tres exquis que Dieu envoieparfois sur la terre comme un reet de la perfection anglique. Je nelui connais quun dfaut, cest de ne pas avoir de dfauts , avait dit unjour le vieux cur de Proulac, en manire de boutade. Fils respectueuxet trs tendre, chrtien admirable, sachant sacrier de la meilleure grcedu monde la solitude o se plaisait son me contemplative pour se fairetout tous dans la vie active, il tait ador de tous : domestiques, paysans,pauvres quil secourait avec la plus dlicate charit ; relations de sa mre,matres et camarades de collge.

    Lise de Subrans avait six ans, lorsque, pour la premire fois, elle s-tait trouve en prsence de Gabriel. Ds ce moment, sa petite me avaitt conquise par lme fervente de ce garonnet dont les yeux semblaientreter un peu de la lumire cleste. Chez elle, entre un pre indirentet une belle-mre appartenant de nom la religion orthodoxe russe, maisnen pratiquant en ralit aucune, Lise vivait en petite paenne, sauf uneprire htive que lui faisait dire de temps autre, Micheline, la jeunebonne prigourdine. Mais lme enfantine, chercheuse et rchie, avaitune soif consciente de vrit et didal, et elle stait aache aussitt ces deux tres dlite, M des Forcils et Gabriel, qui vivaient de lune etde lautre.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre I

    Pour Lise, Gabriel avait t le conseiller, le guide toujours cout. C-tait lui, ladolescent moralement mri avant lge et cependant demeurpur comme le lis des champs, qui avait form lme de cee petite Lise, me vibrante et dlicate entre toutes, me tendre, aisment mystique,mais un peu timide, se repliant sur elle-mme devant le choc prvu et laquelle il avait dit : La force de Dieu est avec vous. Faites votre devoiret ne craignez rien !

    Au moment o il allait contempler en elle lpanouissement de sonuvre, Dieu lavait rappel lui. Lise lavait vu une dernire fois sur sonlit de mort, et il tait si calme, si angliquement beau quelle navait puque murmurer, en tombant genoux :

    Gabriel, priez pour moi !Ces mmes paroles, elle les rptait toujours, instinctivement, prs

    du tombeau de lami disparu, comme elle let fait sur la spulture dunsaint. Elle venait souvent ici, et, comme autrefois, lui conait simplementses petits soucis, ses rexions sur tel fait, telle lecture, ses joies ou sestristesses spirituelles. La voix douce et ferme ne lui rpondait plus, maisune impression apaisante se faisait en elle, comme si lme anglique la-vait eeure et miraculeusement fortie.

    Elle se rencontrait ici avec M des Forcils, et ctait, pour la mre d-sole, une consolation indicible de presser quelques instants sur son curcelle que Gabriel avait aime la manire des anges lenfant timide, s-rieuse et dlicieusement tendre qui comprenait mieux que tout autre sadouleur et pleurait avec elle le disparu.

    Ne restez pas plus longtemps, ma chrie, dit-elle tout coup. Il y aici un vritable courant dair, et vous tes peu couverte. Allez, petite Lise,et merci.

    Lisemit un baiser sur la joue trie, jeta un dernier regard sur la tombeet se leva. Elle sortit du cimetire, sengagea dans une ruelle troite quidirectement menait dans la campagne. Une longue alle de chnes com-menait quelque distance. Tout au bout se dressait une gentilhommirequelque peu dlabre, mais dassez bel air encore. Des armoiries presqueeaces se voyaient au-dessus de la porte. Cee demeure avait t jadis lepatrimoine des cadets de la famille de Subrans. Tandis qu la Rvolution,leur chteau de Bozac, quelques kilomtres de l, tait pill et dmoli, la

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  • Esclave ou reine ? Chapitre I

    Bardonnaye restait en leur possession, et Jacques de Subrans, le pre deLise, avait t fort heureux de trouver le vieux logis pour venir y mourir,aprs avoir dissip sa sant et sa fortune personnelle dans la grande vieparisienne.

    Sa veuve y tait demeure et y levait ses enfants avec laide dunprcepteur. Lise ntait que la belle-lle de Catherine de Subrans. Le vi-comte Jacques avait pous en premires noces la cousine de celle-ci, lajolie Xnia Zoubine, russe comme elle, qui tait morte seize mois aprsson mariage dun accident arriv lpoque de ses anailles et dont ellene stait jamais bien remise.

    Lise, en rentrant cet aprs-midi-l, trouva se belle-mre dans le salongarni de vieux meubles fans, o elle se tenait habituellement pour tra-vailler. Entre les longs doigts blancs garnis de fort belles bagues, passaitune grande partie des vtements et du linge de la famille. Le personnel setrouvait restreint la Bardonnaye, o lon vivait sur le pied dune stricteconomie. Catherine Zoubine tait, lpoque de son mariage, une richehritire, comme sa cousine Xnia. Mais, en ces dernires annes, ceefortune, de mme que celle venant Lise de sa mre, avait t en partieanantie au cours des troubles et des pillages de Russie. Ce quil en restaitsusait faire vivre simplement la famille la campagne, grce au gniede femme dintrieur que stait dcouvert la vicomtesse aprs la ruinede son mari, elle qui avait t leve en grande dame intellectuelle etaurait plus facilement soutenu une thse philosophique quexcut unereprise ou confectionn des contures.

    lentre de sa belle-lle, M de Subrans leva un peu son visagemaigre, au teint blafard, dont la seule beaut avait toujours t les yeuxbleus trs grands, gnralement froids, mais qui savaient se faire fort ex-pressifs lorsquune motion agitait Catherine.

    Tu as t bien longtemps, Lise ! Je me suis arrte un peu au cimetire, maman. Nexagre pas ces visites, mon enfant. Avec ta nature un peu mys-

    tique et impressionnable, cela ne vaut rien. Je pense quil sera bon, lan-ne prochaine, de sortir quelque peu de notre existence de recluses, pourcommencer te faire connatre le monde.

    Lise eut un geste de protestation.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre I

    Oh ! maman, je naurai que seize ans. Aussi nest-il pas question dune vritable prsentation. Il sa-

    gira simplement daccepter quelques invitations des chtelains voisins. . .Tiens, il vient de men arriver une de M de Crigny. Elle me demandefort aimablement dassister la chasse courre qui se donnera chez euxla semaine prochaine. Cela tintresserait-il, Lise ?

    Je ne sais, maman. Je nai pas ide. . . Sil faut voir tuer une pauvrebte, je vous avoue que je nprouverai quune impression pnible.

    Nous pourrons nous dispenser dassister ce dernier acte. . . Et, r-exion faite, je vais rpondre M de Crigny par une acceptation.

    Lise, qui stait rapproche de sa belle-mre, se pencha pour prendresa main.

    Mais vous nallez plus dans le monde, maman ! Il ne faut pas quepourmoi, qui ny tiens gure, je vous assure, vous vous croyiez oblige dyreparatre, au risque dy retrouver peut-tre des souvenirs douloureux.

    Cest mon devoir, Lise. Je ne puis tenfermer ici, car un jour il faudrasonger ton tablissement, et ce nest pas dans notre solitude que lespouseurs viendront te chercher. Monte dans ta chambre, regarde ce quite manque pour ta toilee, et, sil le faut, nous irons Prigueux demain.

    Elle baissa de nouveau la tte sur son ouvrage. Jamais il navait existchez elle dexpansion lgard de sa belle-lle, mais Lise avait toujourssenti quelle veillait sur elle avec un dvouement qui existait peine ce degr pour ses propres enfants, trs passionnment aims pourtant,puisquelle navait pu encore se dcider se sparer deux, et, de mmeque Lise, les faisait instruire au logis.

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  • CHAPITRE II

    L . Le cerf, forc prs du carrefour des Trois-Htres, gisait maintenant sans vie, et le premier piqueur prsen-tait sur sa cape le pied de la victime une grande dame anglaiseque les Crigny comptaient au nombre de leurs htes.

    Cela ne vaut pas vos chasses de lUkraine, prince ? demanda Robertde Crigny, ls an des chtelains, en sadressant celui des chasseursque le hasard de la poursuite avait amen prs de lui, au moment de l-hallali.

    Celle-ci ma fort intress, je vous assure. La chasse, sous quelqueforme que ce soit, est ma passion.

    Celui qui parlait ainsi tait un homme de vingt-huit trente ans, dontla haute taille ne semblait pas exagre en raison de lharmonie de sesformes et de la souple lgance de toute sa personne. Une lgre barbeblonde terminait son visage aux traits fermes, dune singulire nergie.La bouche tait dure, le front hautain, les gestes gracieux et souples, trs

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  • Esclave ou reine ? Chapitre II

    slaves. Mais les yeux surtout frappaient aussitt dans cee physionomie.De quelle couleur taient-ils ? Bleus ? Oui, on laurait dit unmoment. Puis,tout coup, on les aurait dclars verts, dun trange vert changeant, mys-trieux et troublant. Dautres fois, on les avait vus noirs, cela dans lestrs rares moments o, en public, le prince Ormano avait laiss paratrequelque irritation.

    En tout cas, ctait un nigmatique regard, trs froid, ddaigneux etsans douceur, mais fascinant par son tranget mme et par lintelligencerare qui sy exprimait.

    Trs chic, ce prince Ormano ! Mais je doute que sa femme ait theureuse ! chuchota une jeune femme loreille de sa voisine, une noblerusse, relation dhiver des chtelains, tandis que cavaliers et voitures sedirigeaient vers un grand pavillon de chasse o devait tre servi le lunch.

    Mais dtrompez-vous ! Il tait parfaitement bien avec elle, la com-blait de bijoux et de toilees, la menait constamment dans le monde et nela quiait gure. Seulement il exigeait quelle net pas dautre volontque la sienne, dautres ides et dautres gots que les siens.

    Eh bien ! si vous trouvez a amusant ! Cela dpend des caractres. Olga Serkine, quil avait pouse seize

    ans, tait une petite crature passive, trs prise de son mari, je crois, etcompltement domine par lui. Il me semble quelle na pas d sourir dece despotisme.

    tait-elle jolie ? Admirable ! Elle tenait dune aeule circassienne une beaut telle

    quon en rencontre bien peu de par le monde. Et comment est-elle morte ? Je ne sais pas au juste. . . Un accident dans le domaine que le prince

    possde en Ukraine. Elle prit, et avec elle son unique enfant. Et le mari ne fut pas dsespr ? Dsespr, lui ! Peut-tre a-t-il prouv quelque motion, je veux

    dumoins lesprer, mais jai ou dire quil navait jamais eu ce momentun autre visage que celui que vous lui voyez aujourdhui. Certainement,il manque un organe cet homme-l : cest le cur. Tous ceux qui lontconnu sont unanimes le dire.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre II

    Cest dommage, car autrement il est remarquable. Je lai entenducauser, il est tonnamment intelligent et rudit. Croyez-vous quil songe se remarier ?

    Je lignore. Il lui faudrait en ce cas tomber sur une seconde Olga,car autrement, hum !. . . je crois que le mnage ne marcherait pas long-temps, avec une pareille nature. Malgr tout, il se trouverait quand mmebien des femmes qui accepteraient sa demande, blouies par son titre,sa haute position sociale, ses immenses richesses et cee existence deluxe ran qui est la sienne. Javoue que, pour ma part, tout cela nau-rait pas compens lesclavage dans lequel tait tenue la princesse Olga.Lme rude des vieux Moscovites sunit chez cet homme au despotismeoriental. Pour lui, je le lui ai entendu dclarer un jour, la femme estun tre trs infrieur, un joli objet que lon pare pour le plaisir des yeux,que lon place dans sa demeure comme on le ferait dune belle statue oudune uvre dart remarquable, et qui doit possder toute la souplesse etlhumilit ncessaires pour plier sans un murmure sous la volont et lescaprices de son seigneur et matre. Mais ne lui parlez jamais, je ne dis pasdes femmes savantes, grands dieux ! mais simplement dune femmebien instruite, quelque peu intellectuelle, ayant des ides personnelles, seprtendant non semblable lhomme, mais dirente, et son gale pour-tant.

    Savez-vous quil est erayant, votre compatriote, comtesse ! Brr !ce nest pas moi qui lui chercherai une seconde femme !. . . Les Crignylont connu Cannes, nest-ce pas ?

    En eet. Il possde l-bas une merveilleuse villa o, du temps dela princesse Olga, il donnait des ftes inoubliables. Il vit l avec sa sur,la baronne de Rhlberg, veuve dun diplomate allemand, les deux ls decelle-ci, plus une cousine pauvre, personnage terne qui fait partie du mo-bilier des direntes rsidences du prince Ormano.

    En causant ainsi, les deux amazones arrivaient prs du pavillon dechasse, coquee btisse Louis XV autour de laquelle se groupaient les in-vits descendant de cheval ou de voiture. Le prince Ormano venait demere pied terre, et, jetant la bride de son cheval un piqueur trs em-press, on savait le noble tranger trs gnreux, sarrtait un instanten promenant autour de lui un regard la fois investigateur et indirent.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre II

    Ce regard simmobilisa tout coup. Il venait de rencontrer, au milieudun groupe, la maigre silhouee de M de Subrans, et, prs delle, leravissant visage de sa belle-lle.

    La vicomtesse et Lise taient arrives un peu en retard et avaient re-joint en fort les autres quipages. On les regardait beaucoup, car depuisdes annes M de Subrans ne sortait plus et nentretenait avec les chte-lains du voisinage que des relations espaces. Mais, surtout, la beaut deLise excitait lintrt et ladmiration.

    Est-ce que je rve ? murmura la comtesse Soblowska loreille desa voisine. Je vois l une toute jeune lle qui ressemble extraordinaire-ment la dfunte princesse Ormano.

    Cest M de Subrans. Sa mre tait russe, comme sa belle-mre, dureste. Je crois que leur nom tait Zoubine.

    Zoubine ? En eet, deux comtesses Zoubine, deux cousines, ontpous successivement un Franais. . . Mais alors, ces dames seraient cou-sines du prince Ormano ?. . . Et, jy pense, cee ressemblance sexplique !Olga Serkine tait lle dune Zoubine.

    Voyez, il se dirige vers elle. Une pareille ressemblance doit lmo-tionner, cependant !

    Mais le plus perspicace des observateurs naurait pu saisir aucune im-pression de ce genre sur le visage impassible du prince Ormano, tandisquil savanait vers M de Subrans.

    La vicomtesse, en tournant la tte, laperut tout coup quelques pasdelle. Une teinte un peu verdtre couvrit son visage, sur lequel courut unfrmissement, et pendant quelques secondes une lueur deroi parut dansson regard.

    Vous ne vous aendiez pas me rencontrer ici, Catherine Pau-lowna ? dit-il en la saluant.

    Elle balbutia : En eet, jignorais que vous fussiez en villgiature dans ce pays. Je suis depuis cinq jours lhte du marquis de Crigny. . . Voulez-

    vous me prsenter votre belle-lle ?. . . Car je suppose que jai devant moila lle de Xnia Zoubine ?

    Ses yeux sabaissaient sur Lise, toute dlicate et si exquise dans sa toi-lee de drap souple, dun bleu doux. La jeune lle frmit sous ce regard

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  • Esclave ou reine ? Chapitre II

    trange, indnissable, o nexistaient ni admiration ni douceur, maisseulement la satisfaction de lhomme qui a trouv enn lobjet rare long-temps cherch.

    La teinte verdtre saccentua sur le visage de Catherine, tandis quellerpondait dune voix presque teinte :

    Oui, cest la lle de Xnia. . . Lise, ton cousin, le prince Serge Orma-no.

    Le prince prit la petite main que Lise, glace sa vue, ne songeait pas lui orir et la porta ses lvres. Mais il sinclinait peine, et ce geste, chezlui, tait accompli avec une telle hauteur, une si visible condescendance,quil perdait toute sa signication habituelle de courtoisie respectueuseou aectueuse, selon les cas.

    Jai beaucoup connu votre mre, ma cousine. Elle venait passer sou-vent les vacances Kultow, mon domaine de lUkraine, alors que jtaisun trs jeune garon. Ce fut mme l que furent clbres ses anaillesavec le vicomte de Subrans.

    Et, sans aendre une rplique que Lise, compltement raidie par unetrange timidit, aurait eu grand-peine trouver, il sloigna pour re-joindre M. de Crigny qui discutait avec quelques-uns de ses htes surles pripties de la chasse.

    Maman, vous ne mavez jamais parl de ce cousin ? murmura Lise.Elle levait les yeux vers sa belle-mre. Et elle seraya la vue de ce

    visage altr.avez-vous ? tes-vous sourante, maman ? Oui, un peu. . . Mes palpitations me reprennent. Nous ferions mieux

    de rentrer, je crois.Elles prirent htivement cong de M de Crigny, qui les reconduisit

    leur voiture en leur exprimant tous ses regrets. Le prince Ormano lesregarda partir et les suivit quelques instants des yeux, tandis que lqui-page sloignait.

    Cee jeune lle cee llee plutt est dj idale ! t observerquelquun prs de lui.

    Cest exact, dit-il froidement.Et il se dirigea vers lentre du pavillon de chasse, suivi par de nom-

    breux regards, car ce grand seigneur slave, de si haute mine et de phy-

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  • Esclave ou reine ? Chapitre II

    sionomie si nigmatique, excitait la plus vive curiosit chez les invits dumarquis de Crigny.

    Dans la voiture qui emportait les habitantes de la Bardonnaye versleur demeure, Lise examinait avec un peu danxit le visage de sa belle-mre. M de Subrans avait dj eu quelques petites crises cardiaques, etle mdecin avait prescrit dviter les fortes motions.

    Mais quelle motion avait-elle pu prouver aujourdhui ? Ce princeOrmano, dont elle navait jamais parl ses enfants, devait tre presqueun tranger pour elle. . . moins quil ne lui rappelt quelques souvenirspnibles. Lise savait que sa belle-mre avait perdu ses parents et un frreunique, alors quelle tait dj jeune lle. Peut-tre Serge Ormano setrouvait-il prsent au moment de ces malheurs, sur lesquels Catherine nestendait pas en longs dtails.

    M de Subrans, levant tout coup les yeux, rencontra le regard in-quiet de Lise.

    Ne te tourmente pas, mon enfant, dit-elle de la mme voix teintequelle avait tout lheure en rpondant au prince. Ce ne sera rien. Jentais dj pas trs bien ce matin, jaurais d mabstenir. . .

    Mais oui, maman ! Pourquoi ne mavez-vous rien dit ? Il aurait tbien plus raisonnable de rester tranquillement la maison.

    Certainement, si javais pu prvoir. . .Ses mains maigres frmirent, et un tremblement agita ses lvres.Lise ne sen aperut pas, et se rassura en voyant qu larrive au logis

    M de Subrans avait presque repris sa mine habituelle, sauf un cerneassez prononc autour des yeux.

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  • CHAPITRE III

    U dautomne inondait la grande pice assez nueque lon dnommait salle dtude la Bardonnaye. Le crnepoli deM. Babille, le prcepteur, en tait tout illumin et brillaitdu plus vif clat. Mais le brave homme nen avait cure. Tout en humantdlicatement, de temps autre, une prise de tabac, il meait tous sessoins dans la correction dune version latine que venait de terminer Lise, la plus intelligente petite cervelle fminine que jaie jamais connue ,dclarait-il volontiers orgueilleusement.

    Car il tait er de lane de ses lves, le bonM. Babille ! Certes, Alb-ric, un garon de douze ans, turbulent et entt, et sa sur Anouchka nemanquaient pas dintelligence, mais ils ne possdaient pas la vive compr-hension de Lise, son ardeur au travail, et, non plus, cee dlicate bontqui avait toujours empch la charmante Lise de sunir aux gamineriesquils imaginaient envers le prcepteur, dont les petites manies et les pe-tits ridicules excitaient leur verve parfois inconsciemment mchante.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre III

    En ce moment, Albric, pench vers Anouchka, lui montrait le crneblouissant. La petite lle clata de rire. M. Babille leva un peu les yeux,murmura un chut plein dindulgence, puis se remit sa correction.

    Mais Lise regarda ses cadets dun air svre, et, aussitt, ils se remirentau travail. Cee sur ane, si belle, si douce, exerait sur eux un vritableascendant et, pour rien au monde, ils nauraient voulu faire pleurer leurLise , comme ils lappelaient en leurs moments de clinerie.

    Mademoiselle Lise, ceci est absolument parfait ! scria dun ton detriomphe M. Babille en levant entre ses doigts, brunis par le contact dutabac, la feuille couverte de la charmante criture de Lise. la bonneheure, voil une lve qui me fait honneur ! Ah ! quand vous aurez tra-vaill encore deux ans, quelle jolie instruction vous aurez !

    Un coup de sonnee linterrompit. Lise se leva vivement en donnantun petit coup sur son tablier de percale rose un peu frip.

    Il faut que jaille ouvrir, Micheline et Josee sont en course.Elle sortit dans le vestibule et se dirigea vers la porte, quelle ouvrit

    au moment o retentissait un second coup de sonnee, sec et impatient.Elle eut un sursaut et un involontaire mouvement de recul en voyant

    devant elle le prince Ormano.Il se dcouvrit en demandant : Pourrais-je voir M de Subrans, ma cousine ? Mais oui, je pense. . . Voulez-vous entrer, prince ?Il ne protesta pas contre lappellation crmonieuse, mais enveloppa

    dun regard dominateur la jeune crature toute rougissante et gne de-vant lui.

    Elle le prcda jusqu la porte du salon, quelle ouvrit en disant : Je vais prvenir ma mre.Il se dtourna un peu, la regarda de nouveau dun air singulier. . . Vous lappelez votre mre ? Est-ce elle qui la exig ? Non, cest moi qui lui ai toujours donn ce nom, puisquelle ma

    leve, rpliqua-t-elle, trs surprise. Ah ! oui, au fait ! dit-il entre ses dents.Tandis quil pntrait dans le salon, mieux meubl que lautre, o lon

    introduisait les trangers, Lise entra dans la pice voisine et sapprochade sa belle-mre occupe ses raccommodages.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre III

    Maman, le prince Ormano vous demande.Louvrage schappa des mains de M de Subrans, et son visage re-

    vtit la mme teinte bizarre que la veille, au moment o son parent staitapproch delle. Mais, sans prononcer un mot, elle se leva et, ouvrant laporte de communication, entra dans le salon.

    Le prince, qui se tenait debout au milieu de la pice, la laissa savancervers lui. Son regard aigu semblait fouiller jusquau fond de lme de ceefemme, qui se raidissait visiblement pour ne pas baisser les yeux.

    Voici longtemps que nous ne nous tions vus, Catherine Paulowna,dit-il dun ton de calme froideur.

    Pas plus que la veille, ils ne se tendaient la main, et qui et vu lunen face de lautre ces deux cousins, aurait eu conscience quune barriremystrieuse les sparait.

    En eet, Serge. . . Je ne me doutais pas que. . . que vous viendriez ici,chez moi. . .

    Sa voix tait rauque et ses yeux se dtournaient un peu comme pourfuir le regard de ces prunelles vertes.

    Aussi nest-ce pas pour vous que jy viens, Catherine. Je nai pasperdu mon habitude dautrefois daller droit au fait, surtout avec lesfemmes, qui aiment, en gnral, sgarer dans mille petites circonlocu-tions plus ou moins hypocrites. Voici donc ce que je dsire : la lle de macousine Xnia ressemble dune faon extraordinaire Olga, ma dfuntefemme. Pour ce motif, jai lintention de faire de cee enfant la princesseOrmano.

    M de Subrans recula de plusieurs pas, en xant sur lui des yeuxdilats par la stupfaction.

    Vous voulez. . . pouser Lise ! Une enfant, comme vous dites, car ellena pas seize ans !

    Cest prcisment pour cela. cet ge, je la formerai mon gr,ainsi que jai fait nagure dOlga.

    Et commeM de Subrans demeurait sans parole, en le regardant dunair ahuri, il ajouta dun ton sec :

    On croirait vraiment que je vous dis la chose la plus extraordinairedu monde !

    Mais, Serge. . . songez que vous ne la connaissez pas.

    15

  • Esclave ou reine ? Chapitre III

    Elle ressemble Olga ; elle sera pour le moins aussi belle quelle, etelle est assez jeune pour tre encore mallable. Cela me sut. Lintelli-gence mest indirente, et quant au caractre, quel quil soit, je saurai letransformer selon mes gots.

    Alors. . . elle serait peut-tremalheureuse ? balbutiaM de Subrans.Il eut un ironique plissement de lvres. Une femme est-elle jamais malheureuse quand son mari lentoure

    de luxe, la comble de toilees et de bijoux, la conduit dans les ftes lesplus brillantes ?

    Cela ne surait pas Lise, peut-tre. Elle est trs srieuse et trspieuse.

    Les sourcils du prince se rapprochrent. Pieuse ? quelle religion appartient-elle ? Elle est catholique. Cela na pas dimportance. Une femme ne doit avoir dautre religion

    que celle de son mari, et, ds quelle sera devenue la princesse Ormano,Lise suivra le culte orthodoxe.

    Le regard ear de M de Subrans se posa sur limpassible visage deSerge.

    Vous. . . vous lobligeriez quier sa religion ? balbutia-t-elle. Parfaitement. Pour mon compte, je nai point de croyances, mais

    mes traditions de famille et de race mimposent la pratique apparente dela religion de mon pays. Il en doit en tre de mme pour ma femme.

    Serge, elle ne voudra jamais ! Renoncez cee ide, cest impos-sible ! Lenfant ne serait pas heureuse, dailleurs. . .

    Une lueur irrite passa dans les yeux de Serge, qui, en ce moment,semblrent presque noirs.

    Pour qui me prenez-vous, Catherine ? elquun aurait-il inventque javais rendu Olga malheureuse ?. . . elle qui avant de rendre le derniersoupir, me baisait les mains en murmurant : Serge, vous mavez donndu bonheur ! Jamais elle na eu un souhait formuler, car je la devanaistoujours. Jagirai avec Lise comme jai agi envers elle. Jentends demeurertoujours le matre absolu ; mais, en retour, je donne ma femme toutesles satisfactions convenant une cervelle fminine.e pourrait-elle de-mander de plus ?

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  • Esclave ou reine ? Chapitre III

    e vous laimiez autrement, peut-tre, murmura M de Subrans.Une sorte de demi-sourire ironique glissa sur les lvres de Serge. Et que je sois son humble serviteur, comme tant de nigauds le sont

    lgard des femmes ? Jai un tout autre respect de ma supriorit mas-culine, et, avant toute chose, jentends tre obi, sans discussion.

    Et vous dites quelle sera heureuse !Le prince eut un mouvement dimpatience. Oui, elle le sera, parce que je saurai lui enlever toute ridicule sen-

    sibilit, si elle en a ! Olga tait douce, aimable, caressante, mais jamais jenai souert de voir une larme dans ses yeux, ni un pli sur son front. Ellesy tait trs vite accoutume, et me montrait toujours un visage sereinet souriant. Si je ne lavais dirige ainsi ds les premiers jours de notreunion, jaurais risqu de voir apparatre des pleurs, des bouderies, descaprices, tout ce que je hais.

    Alors, votre femme navait mme pas le droit de pleurer ? Je me suis conduit de telle sorte envers elle quelle na jamais eu

    aucun motif raisonnable de verser des larmes, dit-il froidement.Pendant quelques secondes, M de Subrans demeura bouche close,

    ahurie par cee dclaration faite du ton le plus srieux. Serge, ce nest pas possible ! murmura-t-elle enn. Lise est trop

    jeune ; elle est de sant dlicate. . . Elle aura chez moi tous les soins ncessaires, ne craignez rien. Je ne

    tiens aucunement avoir une femmemalade. Mais rellement, Catherine,jadmire votre sollicitude pour la lle de cee pauvre Xnia !

    Une singulire ironie se glissait dans laccent du prince, dont le regardaigu ne quiait pas le visage de Catherine qui se couvrait dune pleurerayante.

    Il est vrai que je la soigne demonmieux, dit-elle dune voix toue,et je voudrais quelle ft heureuse.

    Elle le sera par moi. Non, Serge, non ! Dabord, elle ne voudra jamais changer de reli-

    gion. . .Les sourcils du prince se froncrent. Comptez-vous donc pour quelque chose la volont dune enfant ?

    Dailleurs, cet ge, une forme quelconque de religion importe peu.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre III

    M de Subrans joignit les mains. Ne me demandez pas cela, Serge ! Je ne puis faire le malheur de

    cee pauvre petite. . . En vrit, voil qui est trs aeur pour moi ! dit-il dun ton dir-

    ritation mordante. propos, est-il exact que Xnia soit morte des suitesde cet accident singulier dont elle faillit prir nagure Kultow ?

    Un aolement passa dans le regard de M de Subrans. Sa main saisitle dossier dune chaise et sy cramponna. . .

    Je. . . je ne sais. . . balbutia-t-elle en dtournant les yeux. On me la dit. . . Savez-vous quIvan Borgue est toujours fort et

    alerte et quil a conserv une mmoire extraordinaire, surtout pour lesfaits un peu anciens, tels, par exemple, que votre sjour et celui de Xnia Kultow ?

    Elle tremblait des pieds la tte, et ses yeux fuyaient toujours le regardtincelant, telle une bte traque sous les prunelles du dompteur.

    Il est trs bavard, ma volont seule enchane sa langue. Cest heu-reux pour vous, Catherine, car le jour o je lui dirais : Peu importe, Ivan,parle ta guise , il aurait peut-tre le mauvais got de faire des rvla-tions sensationnelles, qui seraient plutt dsagrables pour vos enfants,nest-il pas vrai, Catherine Paulowna ?

    Cee fois, elle le regarda, en levant les bras dans un geste de suppli-cation.

    Serge, par piti !. . . Nest-ce pas assez du remords qui me ronge ?Jai fait mon possible pour rendre Lise heureuse. . .

    Mais en la trompant odieusement. Et ne pensez-vous pas quellesera plus sa place prs de moi, qui suis un honnte homme, que sous letoit de la femme qui a tu sa mre ?

    Un gmissement schappa de la poitrine de M de Subrans. Serge !. . . oh ! je vous en prie ! bgaya-t-elle.Il continua impassiblement : Cee raison seule me ferait un devoir denlever dici cee jeune

    lle. Vous allez donc lui faire part de ma demande, et demain nous seronsancs.

    Cee fois elle ne protesta pas. Elle tait dompte par larme myst-rieuse qui rendait Serge tout-puissant sur elle.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre III

    Je lui parlerai, dit-elle dune voix rauque. Ce sera raisonnable, car si elle ne devenait pas ma femme, je me

    croirais tenu de lui faire connatre certaines choses qui rendraient im-possible pour elle un plus long sjour ici. Mais du moment o elle serala princesse Ormano, peu importe, vous garderez votre secret, et vosenfants nauront pas le dplaisir de. . .

    Je lui parlerai, Serge, rpta-t-elle.Et ses doigts se crisprent si fortement au dossier de la chaise que les

    ongles senfoncrent dans le bois. Cest bien. Comme je ne tiens en aucune faon terniser les an-

    ailles, vous vous arrangerez de faon que le mariage puisse tre clbrdans unmois. Il le sera dabord lglise catholique, cest une concessionque je veux bien faire, puisque, jusquici, Lise a pratiqu cee religion quiest celle de ce pays et qui tait celle de son pre. Puis, un de nos prtresviendra bnir ici notre union selon nos rites.

    Et. . . si elle refuse absolument, sur ce point-l ? murmura M deSubrans.

    Il eut un impatient mouvement dpaules : Une enfant ! comment peut-elle avoir une opinion arrte sur telle

    ou telle religion ? Cela ne signie rien du tout, Catherine. Elle sy ferasans dicult, dautant plus quelle ma paru fort timide.

    Oui, elle est timide et trs douce. Cest une nature charmante. Tant mieux ! Elle me semble raliser, de toutes faons, mon idal.

    demain, Catherine.Sans plus lui tendre la main qu larrive, il se dirigea vers la porte.

    Comme il allait sortir, elle le rejoignit tout coup. Vous. . . vous ne la ferez pas trop sourir, Serge ? dit-elle dun ton

    de supplication.Il eut un mouvement irrit. Prtendez-vous vous moquer de moi, Catherine ? Je nai aucune

    ide de passer pour un Barbe-Bleue, sachez-le. Olga a t heureuse prs demoi, Lise le sera de mme. . . Et rappelez-vous que, de toutes faons, ceeenfant ne restera pas ici maintenant. Vous navez pas d oublier, nest-cepas ? que la devise des princes Ormano est : Prisse la terre entire, etlhonneur mme des miens, pourvu que ma volont saccomplisse ?

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  • Esclave ou reine ? Chapitre III

    Elle courba la tte sans rpondre, et il sortit du salon.Alors elle saaissa sur un sige et enfouit son visage entre ses mains. Cest areux !. . . areux !. . . murmura-t-elle. Pauvre petite Lise,

    dois-je donc te sacrier ? Oui, car je sais trop bien quil mera sa mesure excution. Alors mes enfants seraient dshonors. . . Et Lise, elle-mme,serait si malheureuse, en apprenant que. . . Oh ! quelle torture que ce poidsque je trane ! gmit-elle en se tordant les mains. Pourquoi faut-il que cethomme soit venu y ajouter encore !. . . Il est vrai que, peut-tre, Lise seraprs de lui plus heureuse que je ne le crois. Charmante comme elle lest,il laimera, si froid que soit son cur. Elle lamnera des ides moinsintransigeantes. . .

    Elle essayait ainsi de se rassurer, de se persuader mme que Lise trou-verait le bonheur dans cee union. Aprs tout, il tait vrai quelle avaitentendu dire quOlga semblait trs heureuse, et quelle aimait beaucoupson mari. Pourquoi nen serait-il pas de mme pour Lise ?

    Je vais lui parler. . . Il y a bien la question de religion, mais elle sar-rangera avec lui. Aprs tout, il ne cache pas quil est indirent et ne tient la sienne que par tradition. Ds lors, il se laissera chir, si elle sait syprendre.

    Elle se leva, ouvrit la porte et appela : Lise !Puis elle entra dans la pice voisine et sassit sa place habituelle,

    mais en tournant le dos au jour, car elle avait conscience de laltrationde son visage.

    Vousmavez appele, maman ? dit Lise en savanant dun pas lger. Oui, mon enfant. Assieds-toi ici, et coute-moi. . . Je vais droit au

    but. Le prince Ormano, voyant en toi le vivant portrait de sa premirefemme, ta cousine et la sienne, te demande en mariage.

    Lise eut un sursaut de stupfaction en xant sur sa belle-mre sesbeaux yeux ears.

    Oh ! maman. . . Cest une plaisanterie ! mon ge ! Olga navait pas seize ans quand Serge la pouse. Oh ! non, non !. . . dites-lui non, maman ! scria spontanment Lise

    avec un petit frisson deroi. Lui qui me fait si peur !Les mains de M de Subrans eurent un frmissement.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre III

    Cest un enfantillage de ta part, Lise. Serge est un homme de hautevaleur, et, de toutes faons, ce sera pour toi un mariage magnique. Lesprinces Ormano sont de vieille race souveraine et les tsars, en leur enle-vant cee souverainet, leur ont laiss de nombreux privilges ainsi quedes biens immenses. Tu seras entoure de luxe, tu auras toutes les satis-factions imaginables. Serge te conduira dans lemonde, il te fera voyager. . .Tu seras heureuse, tu verras, mon enfant.

    Elle parlait dun ton monotone, comme si elle rcitait une leon lon-guement apprise, et en dtournant les yeux du regard stupfait et erayde Lise.

    Maman !. . . mais je ne veux pas ! Cest impossible, voyons, maman !On ne se marie pas mon ge !

    La surprise avait dabord domin chez elle, mais maintenant ctaitla terreur en comprenant que, rellement, cee chose inconcevable taitsrieuse.

    Mais si, Lise ! Ne moblige pas te rpter les mmes choses, monenfant ! Je suis si lasse !

    Lise se pencha un peu pour essayer de voir le visage de sa belle-mre. Cest vrai, vous semblez bien fatigue, maman !avez-vous ? Ce cur, toujours, dit M de Subrans dune voix un peu haletante.

    Il me faudrait du calme. . . et ce nest pas aujourdhui que jen aurai. . .surtout si tu te montres rcalcitrante, Lise.

    Maman, est-ce possible que vous vouliez cela ? scria Lise avecangoisse. Je ne connais pas ce prince Ormano. . .

    Mais moi, je le connais ; je sais quil a rendu sa premire femmeheureuse. Certes, il est dapparence trs froide, mais que signie cela ?Les belles protestations, les douces paroles ne cachent souvent que despiges. De plus, vu ta jeunesse, il ne sera pas mauvais pour toi davoir unmari srieux, qui saura te diriger. . . Ne prends pas cet air navr, Lise ! Necroirait-on pas que je te condamne au supplice ?

    Lise tordit machinalement ses petites mains. Il me fait peur !. . . Et puis, jamais encore je navais pens que je

    puisse me marier. Cela me semblait si, si lointain ! Je me considrais tou-jours comme une enfant. . . Et, tout dun coup, vous venez me dire quilfaut que je devienne la femme de cet tranger, qui memmnera o il vou-

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  • Esclave ou reine ? Chapitre III

    dra, loin dici, loin de vous tous ! Oh ! maman ! dites-lui non, ne pensezplus cela, je vous en prie !

    M de Subrans abaissa un peu ses paupires, comme si la vue du douxregard implorant lui tait insoutenable.

    Tu es folle, Lise ! Certes, tu navais aucune raison jusquici de penserau mariage ; mais, du moment o une occasion inespre se prsente, ilimporte de ne pas la laisser chapper.

    Mais, maman, je suis sre que le prince Ormano nest pas catho-lique !

    Non, naturellement. Mais tu seras marie dabord selon le rite de tareligion, ainsi quil est habituel pour les unions mixtes.

    Je ne puis pouser quun catholique ! scria Lise avec un geste deprotestation.

    e tu es ridiculement exagre, ma pauvre enfant ! Ta mre et moitions-nous catholiques ? Cela a-t-il empch que je vous laisse suivre tous trois la religion de votre pre ?

    Mais. . . lui. . . voudrait-il ? murmura Lise.Les paupires de Catherine bairent un peu. Cest lui-mme qui ma dit que votre mariage serait bni lglise

    catholique, rpondit-elle dune voix sourde. Tu verras quil nest pas siterrible quil en a lair. Avec de ladresse, qui sait ? tu en feras peut-trece que tu voudras, petite Lise !

    Elle essayait de sourire, mais si elle navait pas t place contre-jour, la jeune lle aurait vu avec surprise quel douloureux rictus tordaitses lvres ses lvres menteuses qui trompaient une enfant innocente.

    Lise cacha son visage entre ses mains. Est-ce possible !. . . est-ce possible que, tout dun coup, je doive

    me dcider !. . . Mais je puis rchir quelques jours, maman, demanderconseil ?

    Le visage de Catherine se contracta. Demander conseil !. . . sonconfesseur, sans doute ? i sait si ce prtre ne viendrait pas se mere la traverse ! Il fallait, tout prix, arracher lenfant une promesse.

    Rchir ! Lise, le prince veut une rponse ce soir. Comprends-tu, ilretrouve en toi sa premire femme quil a beaucoup aime, et depuis quil

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  • Esclave ou reine ? Chapitre III

    ta vue, il ne vit plus, dans la crainte dun refus. Pense donc, Lise, ce seraune charit de consoler ce veuf, de lui rappeler Olga. . .

    Les mots sortaient avec peine des lvres dessches. bout de force,M de Subrans laissa tomber sa tte sur le dossier du fauteuil.

    Maman, maman ! dit Lise avec angoisse.Catherine tait vanouie. La jeune lle appela Albric, lenvoya cher-

    cher le mdecin, puis essaya de faire revenir elle sa belle-mre. Mais lasyncope durait encore quand arriva le docteur Mourier.

    Est-elle donc plus malade, docteur ? demanda Lise lorsque, Mde Subrans ayant repris ses sens, le mdecin sloigna aprs avoir critquelques prescriptions.

    Un peu plus, oui. . . Il faudrait lui viter les grandes contrarits, lestrop fortes motions. A-t-elle eu quelque chose de ce genre aujourdhui ?

    Oui, peut-tre, murmura Lise en rougissant. Cest cela. Elle a besoin dune grande tranquillit desprit, je ne vous

    le cache pas, mademoiselle Lise. ce prix, elle peut vivre des annes aveccee maladie.

    Lise, en revenant vers la chambre de sa belle-mre, se sentait toutetrouble. tait-ce donc sa rsistance ce mariage qui avait occasionncee secousse dont, visiblement, le docteur se montrait inquiet ? Alors,si un malheur survenait, si Albric et Anouchka devenaient orphelins, ceserait elle, Lise, qui en serait la cause ?. . .

    e faire, mon Dieu ?. . . que faire ? murmura-t-elle perdument.En lentendant entrer, Madame de Subrans tourna vers elle son visage

    dfait. Tu vois, enfant, en quel tat prcaire est ma sant, dit-elle dune

    voix toue. Un jour ou lautre, je puis men aller dans une crise, dansune syncope. Tu resterais sans proche parent. . . Tandis que, marie, tunaurais besoin de personne, et je partirais plus tranquille pour toi. . .

    La main brlante de Lise se posa sur celle de sa belle-mre, qui trem-blait convulsivement.

    Vraiment, si jacceptais ce mariage, vous seriez satisfaite, maman ?Un oui presque imperceptible passa entre les lvres de Catherine. En ce cas, puisque vous pensez que cest un bien pour moi, jpou-

    serai le prince Ormano, dit Lise dune vois un peu teinte.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre III

    En mme temps elle se penchait, orant son front aux lvres de sabelle-mre.

    Catherine eut un geste pour la repousser, mais, se raidissant, elledonna un baiser lenfant quelle venait de sacrier aux exigences im-pitoyables de Serge Ormano.

    Va, Lise, dit-elle dun ton aaibli. Laisse-moi, jai besoin de me re-poser. Et ce soir, jcrirai un mot Serge.

    Lise sortit du salon et, gravissant rapidement lescalier, entra dans sachambre, une grande pice simplement meuble quelle entretenait elle-mme avec beaucoup de soin. Elle se jeta genoux devant son crucix et,prenant sa tte deux mains, se mit pleurer.

    Mon Dieu, mon Dieu, est-ce possible !. . . Je ne pourrai jamais ! jaitrop peur !. . . Oh ! Gabriel, priez pour moi ! dites, cher Gabriel, priez pourvotre petite Lise !

    n

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  • CHAPITRE IV

    L P des voies impntrables qui confondent les pr-visions de la sagesse humaine. Comme Lise, le lendemain ma-tin, sen allait au presbytre pour parler au cur de Proulac,elle apprit que le vieux prtre, frapp dapoplexie cee nuit mme, tait lagonie.

    Ainsi, celui qui aurait pu clairer la pauvre petite conscience inexpri-mente manquait tout coup. Lise navait mme pas la ressource dallerprendre conseil prs de M des Forcils. La mre de Gabriel se trouvaitpour un mois Bordeaux, chez sa sur malade.

    Lise aendit donc, avec une secrte terreur, la visite annonce de l-tranger qui allait devenir son anc. Elle essayait de se rassurer en sedisant que M de Subrans paraissait connatre Serge Ormano et quellene lengagerait pas un mariage qui ne lui paratrait pas prsenter de suf-santes garanties. Elle avait une trs grande conance en sa belle-mre,quelle savait trs srieuse et qui lui avait toujours tmoign du dvoue-

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  • Esclave ou reine ? Chapitre IV

    ment et de la sollicitude. De plus, Lise, petite me humble, dante delle-mme et consciente de son inexprience, qui tait rellement encoresur beaucoup de points celle dune enfant, par suite de lexistence reti-re quelle menait et de la mthode dducation aucunement moderne enusage la Bardonnaye, estimait que la docilit un jugement plus mrfaisait partie de ses devoirs.

    Elle navait donc aucune vellit de se rvolter contre ce mariagepresque impos par sa belle-mre. Pourtant quand, dans laprs-midi, elleentendit lautomobile du prince Ormano sarrter devant la maison, elledevint toute ple et regarda dun air perdu M de Subrans.

    Catherine dtourna les yeux de ces merveilleuses prunelles si lo-quentes, semblables celles de la gazelle du dsert, lorsque, traque, elleimplore le chasseur impitoyable. Elle avait la physionomie dune per-sonne qui sort dune grave maladie et, quand le prince fut introduit, toutson corps eut un long frisson.

    Voil votre ance, Serge, dit-elle dun accent un peu rauque, endsignant la jeune lle qui stait avance machinalement, mais baissaitles yeux pour retarder le moment o il faudrait rencontrer ce regard quilui avait caus une impression deroi.

    Cest fort bien, dit la voix brve de Serge. Jen suis heureux, Lise. . .Mais levez donc les yeux, je vous prie. Olga me laissait toujours lire jus-quau fond de son regard, je dsire que vous agissiez de mme.

    Elle obit, et ses grands yeux timides et apeurs se posrent sur lafroide physionomie de son anc. Pendant quelques secondes, il parutcontempler avec une sorte de satisfaction altire la dlicate crature trem-blante devant lui. Puis ltrange nuance verte de ses yeux changea, se tpresque bleue, tandis que sa main se posait sur la sombre chevelure deLise, en un geste qui tait peut-tre une caresse, mais qui avait beaucoupplus lapparence dune prise de possession.

    Vous ntes encore quune enfant, Lise. Vous serez, je lespre, trssoumise et tout ira fort bien. . . Vous semblez sourante, Catherine ? Nevous croyez pas oblige de vous fatiguer demeurer ici. Je serais dsol degner qui que ce ft, pendant ce temps de anailles que nous rendronstrs bref, nest-ce pas ?

    M de Subrans ne protesta pas. De fait, elle nen pouvait plus. Puis, ne

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  • Esclave ou reine ? Chapitre IV

    valait-il pas mieux laisser seuls les ancs ? Peut-tre ainsi une tincellejaillirait-elle ente eux.

    Cependant, un tel vnement ne semblait pas devoir se produire. Leprince Ormano avait avanc Lise un fauteuil et avait pris place prsdelle. Avec sa haute taille, il semblait la dominer et lcraser. Posant salongue main ne sur lpaule de la jeune lle, il se mit linterroger surson existence, sur ses occupations, sur ses tudes. Comme elle rpondaitdune voix trangle par lmotion, il linterrompit. . .

    Avez-vous peur de moi, Lise ? demanda-t-il dun ton presque doux.Elle murmura en rougissant : Un peu, oui. Pardonnez-moi. . . Cela ne me dplat pas, condition que cee crainte ne vous para-

    lyse pas et ne vous enlve pas lusage de la voix. Jai lintention de vousrendre trs heureuse, pourvu que vous soyez docile la direction que jevous donnerai.

    Je ferai ce que vous voudrez, dit-elle doucement.Elle se rappelait tout coup les conseils de lAptre sur la soumission

    requise de lpouse envers lpoux, et songeait quelle, si jeune, avait plusque dautres besoin de sy conformer.

    Serge continua son interrogatoire. Il eut un hochement de tte satis-fait en apprenant quelle parlait couramment le russe et lallemand, maisfrona le sourcil au seul mot de latin.

    Vous me ferez le plaisir doublier cela, dit-il froidement. Rien nedonne davantage une femme un air de pdantisme, ce que je dtestele plus au monde. Du reste, votre instruction me parat en voie dtrepousse trop loin. Heureusement, il est temps encore dendiguer.

    Vous. . . vous ne me permerez plus de travailler ? balbutia-t-elle. Ah ! certes non ! Salir vos doigts des crivasseries inutiles votre

    sexe, fatiguer vos beaux yeux des tudes ridicules ! Ce nest pas moi quiautoriserai jamais cela, Lise !

    Des larmes quelle ne put retenir vinrent aux yeux de la jeune lle.Serge eut un mouvement dirritation, et il parut Lise que sa main

    sappesantissait lourdement sur son paule. coutez-moi, et que ceci soit dit une fois pour toutes : accoutumez-

    vous ne plus pleurer propos de tout et de rien, comme le font si vo-

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  • Esclave ou reine ? Chapitre IV

    lontiers les femmes, car rien nest plus insupportable.Elle courba la tte et essaya de refouler ses larmes. Mais elles aug-

    mentaient au contraire, et glissaient lentement sur ses joues et jusque surle corsage de voile blanc quelle avait revtu aujourdhui en lhonneur deses anailles.

    Une lueur dmotion, presque imperceptible, parut un instant dans leregard du prince. Il eut un mouvement pour se pencher vers Lise. Mais,se ravisant, il senfona dans son fauteuil en disant dun ton calme :

    and vous serez plus raisonnable, nous causerons, petite lle tropimpressionnable.

    Il sortit de sa poche un tui dor dlicatement cisel et, louvrant, y pritune cigaree. Bientt une mince spirale de fume sleva et une odeur den tabac oa dans la pice.

    Du coin de lil, Serge observait sa ance. Elle tenait toujours la ttebaisse, mais les pleurs schaient sur ses joues un peu empourpres.

    Lise !Elle leva ses yeux, encore embus de larmes, et regarda successive-

    ment, dun air interloqu, ltui qui lui tait prsent et le visage du princeOrmano.

    Vous ne fumez pas ? Oh ! non ! dit-elle dun ton ear. Cest cependant chose frquente dans notre pays, et il faudra vous

    y accoutumer, car il me plat de voir parfois une cigaree entre de jolieslvres.

    Elle semblait si absolument abasourdie, et suoque mme, quun l-ger sourire vint aux lvres de Serge.

    Cela parat vous tonner prodigieusement, petite Lise ? Il est vraiquema cousine Catherine ne fumait jamais, mais votremre, en revanche,tait une fervente de la cigaree.

    Lise dit timidement : Vous avez beaucoup connu maman. . . prince ? Appelez-moi Serge. Oui, je lai vue pendant plusieurs annes, du-

    rant mes sjours Moscou et Ptersbourg. Jtais trs jeune, alors. Ellevint aussi une anne, Kultow, avec sa cousine Catherine. Dj elle taitance au vicomte de Subrans. . . Donnez-moi votre main, Lise. Jai pu

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  • Esclave ou reine ? Chapitre IV

    trouver Prigueux une fort jolie bague, en aendant que je vous enchoisisse une autre Paris.

    Il glissa au petit doigt frmissant le cercle dor orn dun rubis et debrillants ; puis, gardant sa main entre les siennes, et la caressant commecelle dun enfant bien sage, il se mit lui dcrire Cannes, les ftes qui sydonnaient, les relations qui taient les siennes le tout avec la condescen-dance dun homme srieux qui veut bien soccuper amuser une petitelle.

    Cee aitude ne varia aucunement par la suite. Lise tait constam-ment traite en enfant. Parfois, sans motif apparent, il lui montrait unefroideur svre, et la tremblante petite ance, tout perdue, cherchaiten vain ce quelle avait pu dire ou faire contre son gr. Dj elle sentaitsappesantir sur elle une inexible volont. Serge la considrait commelui appartenant et parlait en matre.

    Lise, venez avec moi dans le jardin. . . Gardez votre coiure den-fant, je prre cela pour le moment. . . Je vous emmne en automobile Prigueux. . .

    Tout cela du ton premptoire dun homme accoutum voir tout plierdevant sa volont.

    M de Subrans avait cependant essay dobjecter que cee prome-nade deux ntait pas conforme aux usages franais, mais il avait r-pondu simplement par un ironique sourire, et, les deux jours suivants,avait emmen Lise un peu plus loin encore.

    Catherine courbait la tte. Le prince Ormano lui avait trop bien faitcomprendre quelle, moins que tout autre, pouvait se targuer de droits sursa belle-lle.

    Un matin, en arrivant la Bardonnaye, Serge trouva sa ance occu-pe repriser du linge. Ctait une tche quelle assumait souvent pouraider sa belle-mre, et elle le faisait de grand cur, car lempressement soulager autrui ou lui faire plaisir tait un des traits de sa belle petitenature.

    quoi travaillez-vous l ? dit schement le prince. Voulez-vous bienme laisser cela !

    Et, prenant la serviee des mains de Lise tout abasourdie, il la jeta auloin sur une chaise.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre IV

    Je ne veux pas que vous vous abmiez les doigts des horreurspareilles, ajouta-t-il. Seules, quelques broderies dlicates seront tolrespar moi.

    La pauvre Lise se trouvait compltement dsempare. tait-ce doncvraiment une existence oisive et inutile qui lui tait prpare, elle silaborieuse, et qui aimait tant le travail sous toutes ses formes ? Seule,la musique semblait trouver grce devant Serge Ormano, et encorene permeait-il pas une musique trop savante qui ne convenait pas une cervelle fminine, avait-il dclar avec son habituelle hauteur ddai-gneuse.

    Six jours aprs les anailles, M de Subrans, Lise et le prince par-tirent pour Paris. Serge avait dcid quil fallait y aller commander letrousseau et les toilees de la future princesse. Catherine et sa belle-lledescendirent dans un htel de la rive gauche, o, chaque jour, une desvoitures du prince Ormano vint les chercher pour les conduire dans lesmagasins les plus renomms. Ctait Serge lui-mme qui choisissait lestoilees, chapeaux, fourrures. Il lui imposait son got qui tait, du reste,trs sr, car il avait le sens trs vif de la beaut la petite ance crain-tive, un peu ahurie, elle qui navait jamais t plus loin que Prigueux, etignorait toutes les recherches du luxe et de la vanit qui stalaient devantelle. Son avis ntait jamais demand.and Serge avait dcid, tout taitdit, il ne restait qu sincliner.

    Pourtant, un jour, Lise sinsurgea. Elle avait t avec sa belle-mreessayer des toilees de bal chez un des plus clbres couturiers parisiens.Mais, quand elle vit le dcolletage assez prononc qui avait t fait, ellerougit et dit vivement :

    Jamais je ne porterai cela ! Il faudra faire monter ce corsage plushaut, madame.

    La premire sexclama :Mais ce nest rien, cela, mademoiselle ! Cest un dcolletagemodr.

    Vous avez des paules dlicieuses, bien quun peu frles encore, il faut lesmontrer, lgrement, tout au moins.

    Non, je ne le veux pas, dit Lise dun ton ferme. Vous changerez cecorsage, je vous prie.

    Mon enfant, nexagre pas ! murmura son oreille M de Subrans

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  • Esclave ou reine ? Chapitre IV

    pour qui une semblable dlicatesse dme demeurait incomprhensible,car, jeune lle, elle avait t follement mondaine. Songe dailleurs queSerge sera trs mcontent.

    Je lui en parlerai moi-mme. Mais jamais je ne porterai cela, ditrsolument Lise.

    Lui en parler ! Ctait facile dire, mais autrement dicile faire !Pourtant, telle tait lnergie latente dans lme de Lise quelle nhsitapas, le soir de ce jour, aborder la question la n du dner, pris dans lepetit salon dun restaurant la mode o le prince avait conduit sa anceet M de Subrans.

    Ds les premiers mots, Serge frona les sourcils. est-ce que cela ? Vous avez dcid ce changement de votre

    propre autorit ? Mais non, vous le voyez, Serge, puisque je vous en parle.Ses lvres tremblaient un peu, et elle tait dlicieusement touchante

    ainsi, avec ses beaux yeux craintifs, timidement levs vers lui.Les sourcils blonds se dtendirent, Serge leva lgrement les paules. . . Folle petite lle ! Je veux bien tre indulgent pour cee fois, dautant

    plus que vos femmes de chambre auront vite fait de remere les chosesen tat quand il le faudra. . . Mes compliments sur lducation srieuseque vous lui avez donne, Catherine ! ajouta-t-il avec une imperceptibleironie, en se tournant vers sa cousine.

    Il traitait gnralement M de Subrans en quantit ngligeable, ne luitmoignant quune stricte politesse et paraissant la considrer peu prsuniquement comme le chaperon de Lise. Catherine, nature cependant au-toritaire, se soumeait passivement toutes ses volonts, tranant Lise demagasin enmagasin, malgr son tat de fatigue que lair de Paris augmen-tait encore, et suivant aveuglment ses instructions au sujet des achats faire pour la jeune ance. Serge, par le secret quil dtenait, la gardaitcompltement en sa puissance.

    Les deux femmes taient extnues lorsque, au bout de dix jours, ellesreprirent le chemin de Proulac, sans que Lise, durant cee course conti-nuelle de fournisseur en fournisseur, et pu voir de Paris ce quelle dsi-rait surtout connatre : les muses, les glises, les monuments historiqueset les environs, tels que Versailles et Saint-Germain, dont les noms han-

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  • Esclave ou reine ? Chapitre IV

    taient sa jeune intelligence o ltude de lhistoire se trouvait toute fracheencore.

    Le prince Ormano tait parti pour Ptersbourg, o lappelaientquelques aaires. Il ne reparut la Bourdonnaye que trois jours avantle mariage. Ce temps avait paru bien court Lise, qui se sentait plus l-gre et plus elle-mme en sachant loin, trs loin ce anc pour lequel elleprouvait une crainte insurmontable. Combien la date redoute appro-chait vite !

    Oh ! maman, ny a-t-il pas moyen de faire autrement ? murmura-t-elle en prenant cong de sa belle-mre, un soir o langoisse ltreignaitplus fortement.

    Le visage blafard de M de Subrans se crispa un peu, tandis quellerpondait :

    Mais non, Lise, il ny a aucune raison pour cela. Voyons, Serge esttrs bon pour toi. Sa nature est autoritaire, mais il taimera beaucoup situ es gentille et bien soumise, comme il convient ton ge.

    Jai peur de lui, soupira Lise. and je pense quil va memmenersi loin de vous !

    Ctait une pense qui la faisait frissonner, tandis quau matin du jourredout sa belle-mre, dont le visage tait areusement altr, laidait revtir la longue robe de soie souple garnie dadmirables dentelles, ex-cute daprs un dessin fait par le prince Ormano. Sur les paules de latremblante petite marie, M de Subrans jeta un vtement tout en renardblanc, dun prix inestimable, que Serge avait rapport de Ptersbourg. . .Et, la sortie de lglise, bien des regards envieux couvrirent la jeunepouse ainsi royalement vtue. Mais dautres personnes hochrent latte en regardant la physionomie altire et ferme du prince Serge, et lebeau visage de Lise, si ple et si doux.

    Cest unmariagemagnique. . . mais sera-t-elle heureuse ? songeait-on.

    Et M des Forcils, revenue pour assister au mariage de sa petite amie,pleura et pria de toute son me pendant la crmonie ; car, en rencontranttout lheure au passage les beaux yeux quelle connaissait si bien, elle yavait lu une sourance profonde et une douloureuse anxit.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre IV

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  • CHAPITRE V

    U tait tombe le matin et poudrait encore lesarbres dpouills du cimetire, les alles troites, les tombesqui semblaient ainsi toutes pares, comme pour accueillir lanouvelle marie qui venait douvrir la vieille grille rouille.

    Aprs la seconde bndiction nuptiale donne par un pope dans le sa-lon de M de Subrans, Lise, sur lordre du prince Ormano, tait montean dchanger sa robe blanche contre un costume de voyage. Et tandisquelle shabillait en refoulant ses larmes, il lui tait venu lirrsistible d-sir daller prier encore une fois sur la tombe de Gabriel.

    Le prince avait dit quils ne partiraient que dans une heure. Elle avaitle temps de courir jusquau cimetire et de revenir bien vite, avant quilsen apert.

    Maintenant, agenouille, la tte entre ses mains, elle voquait devantcee tombe langlique visage de Gabriel, et ses yeux graves et profondsqui avaient conquis Dieu lme de la petite Lise. e ntait-il l au-

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  • Esclave ou reine ? Chapitre V

    jourdhui pour encourager sa pauvre petite amie ! Oh ! si elle avait pu en-tendre sa chre voix, avant de sen aller avec cet tranger, nigme vivantedevant laquelle searait son jeune cur !

    Elle tendit la main et cueillit un des chrysanthmes blancs qui de-meuraient encore euris, grce au soin quen prenait la vieille servantede M des Forcils, tombe peu prs en enfance depuis la mort de Ga-briel, son petiot chri .

    Je la garderai en souvenir de vous, mon ami Gabriel ! murmura Liseen posant ses lvres sur la eur. Et vous qui tes un saint, vous prierezpour votre pauvre Lise, vous la protgerez. . . Oh ! mon Dieu, soyez maforce ! Voyez comme je suis petite et faible. . .

    Elle tait si absorbe quun bruit de pas, dailleurs assourdi par laneige, ne lui avait pas fait lever les yeux, jusqu ce que larrivant setrouvt quelques pas delle. Alors elle eut une exclamation toue enreconnaissant le prince Ormano.

    e faites-vous ici ?La voix tait dure, les yeux que rencontra le regard perdu de Lise

    parurent la jeune femme presque noirs. Je suis venue prier une dernire fois sur la tombe dun ami,

    rpondit-elle dune voix un peu teinte. Un ami ? comment cela ? Expliquez-vous.Elle dit alors comment elle tait entre en relations avec M des For-

    cils et son ls, comment Gabriel et elle avaient sympathis aussitt, etquel chagrin lui avait caus sa mort. Elle tremblait, beaucoup moins cause de la bise froide que du saisissement d lapparition inopine deson mari, et, oubliant de se relever, elle semblait agenouille devant luicomme une pauvre petite agnelle devant quelque fauve sans piti.

    Il lcoutait, impassible, et, quand elle eut ni, il dit seulement, dunton net et glac :

    Il faudra oublier tout cela, Lise.Un earement passa dans le regard de la jeune femme. Oublier Gabriel ! Oh ! Serge ! Il le faudra. Toute trace de votre existence antrieure doit dispa-

    ratre de votre mmoire, car jai droit toutes vos penses, et jentends

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  • Esclave ou reine ? Chapitre V

    les possder toutes. Vous ne devez plus avoir quun but dans lexistence :cest de mobir et de me plaire. Maintenant, levez-vous et suivez-moi.

    Sa main ferme et pourtant trangement souple se posa sur celle deLise et la dtacha sans violence de la grille laquelle elle se crispait. Lajeune femme se releva machinalement. Le regard aigu du prince se posasur son autre main, ferme comme si elle retenait quelque chose.

    avez-vous l, Lise ? Une eur, murmura-t-elle.elle eur ?Du geste, elle dsigna les chrysanthmes. Vous lavez cueillie ici, vous lemportiez comme souvenir ?Elle inclina armativement la tte. Sa gorge tait tellement serre

    quil lui semblait impossible de prononcer un mot. Donnez-moi cela !Elle leva un regard dangoisse sur le hautain visage de Serge. Pourquoi ? balbutia-t-elle. Parce que je le veux. Donnez !Mais elle serra plus fort la eur entre ses doigts tremblants, et, ins-

    tinctivement, essaya de reculer comme pour chapper Serge.Hlas ! une poigne vigoureuse tenait sa frle petite main !elle tait

    peu de chose prs de cet homme dans tout lpanouissement de sa triom-phante force masculine !

    Donnez, Lise ! rpta-t-il.Sa voix tait froide, trs calme, mais Lise frissonna sous le regard dur

    et troublant qui saachait sur elle.La main de la jeune femme sentrouvrit, laissant voir la eur blanche.

    Mais elle ne la tendit pas Serge. Ce fut lui qui la prit entre ses doigtsgants. Il la jeta terre et appuya son talon dessus.

    Voil ce que je fais des eurs du souvenir .ant une pareillersistance ma volont, je me dispense de la qualier. Mais je vous engage ne plus recommencer une scne de ce genre.

    Il lui prit le bras, et, le serrant sous le sien, emmena la jeune femmevers la porte du cimetire.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre V

    Elle se laissait faire, incapable de rsister. Mais son pauvre cur bon-dissait de douleur et deroi, et des larmes samoncelaient sous ses pau-pires frmissantes.

    Devant la porte aendait la superbe automobile du prince Ormano.Serge y t monter sa femme, et sassit prs delle en jetant cet ordre auchaueur :

    toute vitesse !Presque sans bruit, lautomobile sloigna, et, peine hors du village,

    prit une allure folle.Lise, dabord, ny t pas aention. Elle concentrait sa pense sur cee

    pauvre eur, qui gisait l-bas sur le sol neigeux, pitine, mconnaissable, la eur de Gabriel, blanche et pure comme lui.

    Et les larmes brlantes glissaient, une une, sur son visage ple etdsol, sans quelle songet la dfense qui lui avait t intime nagure,sans quelle remarqut le regard dimpatience irrite qui se posait sur elle.

    Mais tout coup, elle sursauta, et ses yeux stupfaits allrent dupaysage fuyant, inconnu delle, aux objets quelle remarquait seulementmaintenant, poss sur la banquee de devant : la magnique pelisse de zi-beline que le prince avait voulu quelle emportt pour le voyage, et le sac une merveille dlgance rane quil lui avait rapport de Russie.Elle avait laiss ces deux objets dans sa chambre, comptant les prendreau retour du cimetire.i donc avait eu lide de les descendre et de lesmere dans la voiture sans laendre ? Le sac ntait mme pas ferm. . .

    Elle leva vers son mari ses yeux encore gros de larmes, en murmuranttimidement :

    Est-ce que. . . nous ne retournons pas tout de suite la Bardonnaye,Serge ?

    Ni tout de suite, ni plus tard, dit-il dun ton sec.Elle se redressa brusquement. Vous ne voulez pas dire que. . . que je vais partir sans les revoir, sans

    les embrasser ? balbutia-t-elle. Parfaitement, cest cela mme. Ces adieux taient inutiles et jau-

    rais encore eu supporter la vue de ces larmes que vous fait verser unesensibilit rellement eur de peau. Vous pourrez crire un mot Mde Subrans, une fois Cannes, je vous y autorise.

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  • Esclave ou reine ? Chapitre V

    Lise jeta un regard dsespr vers le paysage qui passait avec unevitesse vertigineuse.

    Mais ce nest pas possible ! Je ne peux pas men aller comme cela !dit-elle dune voix trangle. Je vous en prie, Serge, revenons !. . . Je neserai pas longue, le temps seulement de les embrasser, de leur dire. . .

    Il dtourna les yeux des belles prunelles implorantes, et un pli de co-lre vint barrer son front.

    Taisez-vous, Lise, cessez ces supplications ridicules ! Il me plat da-gir ainsi, vous navez qu vous soumere, dautant mieux que vousavez vous faire pardonner votre rvolte de tout lheure, pour laquelleil nest pas mauvais que vous ayez une punition.

    Les petites mains jointes retombrent, les paupires sabaissrent surles yeux noirs qui se remplissaient de nouveau de larmes. Lise senfonadavantage dans son coin, en appuyant sur ses mains tremblantes son vi-sage glac par lmotion douloureuse. Elle savait maintenant quen cetpoux qui avait ce matin, par la voix du prtre, promis amour et pro-tection Lise de Subrans, elle ne trouverait quun matre despotique etimpitoyable.

    Son cur baait coups prcipits, et grand-peine, elle touaitles sanglots qui ltranglaient. Une vague de sourance dsespre mon-tait en elle. . . Oh ! si cee automobile, dans sa course erne, pouvaitse briser, et quelle, Lise, ft rduite en miees ! L-haut, elle retrouve-rait Gabriel, elle serait loin de cet homme erayant, qui lui interdisaitjusquaux larmes !

    elle allait donc tre sa vie ?e deviendrait-elle sil lui fallait trem-bler ainsi constamment devant lui ?

    Une prire perdue montait ses lvres, vers le Dieu que Gabriel luiavait appris connatre. Jamais, mieux quen cet instant, elle navait euune telle conscience de sa propre faiblesse, en mme temps que de la forcetoute-puissante qui, du haut du ciel, veillait sur elle et sinsuait en sajeune me chancelante sous la douleur.

    Peu peu, la fatigue, la vue fuyante du paysage dhiver, la tideur quirgnait dans la voiture, le subtil parfum dOrient que le prince Ormanoaectionnait, provoquaient chez la jeune femme une torpeur qui nit parse changer en sommeil. Serge, lui aussi, fermait les yeux. Mais il ne dor-

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  • Esclave ou reine ? Chapitre V

    mait pas, car sa main dgante caressait frquemment sa barbe blonde,en un geste qui lui tait habituel dans ses moments de contrarit.

    Un cahot rejeta tout coup Lise contre son mari. Serge abaissa lesyeux vers la tte dlicate qui reposait maintenant contre son paule. Lisene stait pas rveille. Sur son visage se voyaient encore des traces delarmes. Mais elle tait de ces femmes que les larmes nenlaidissent pas,quelles ne rendent que plus touchantes. Un peu de vre empourpraitses joues, sur lesquelles ses longs cils sombres jetaient une ombre douce.Sa petite bouche gardait jusque dans le sommeil une contraction doulou-reuse, et un tout petit pli de sourance se voyait sur son front blanc.

    Pendant quelques secondes, Serge la contempla. Il se pencha tout coup et ses lvres eeurrent les paupires closes. Mais il se redressabrusquement, le visage plus dur, le front contract. Il prit deux mainslexquise petite tte, et doucement, en un mouvement presque impercep-tible, il la reposa sur les coussins de la voiture, sans que la jeune femmese rveillt.

    Alors, se dtournant, il sappuya laccoudoir de velours, en xantvaguement sur le paysage neigeux son regard sombre et soucieux.

    n

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  • CHAPITRE VI

    S , sans un arrt autre que celui ncessit par le d-ner, vers sept heures, lautomobile du prince Ormano arrivait la gare de Lyon un quart dheure avant le dpart du rapide quidevait emmener Cannes les nouveaux poux.

    Cee allure folle avait bris et ahuri Lise, et ce fut presque commeune inconsciente quelle descendit de voiture et suivit son mari jusquautrain, o les aendaient Vassili, le valet de chambre favori du prince, etDcha, la premire femme de chambre de la dfunte princesse Olga, quipassait maintenant au service de Lise.

    Vaguement, la jeune princesse distingua une femme dune cinquan-taine dannes, maigre, au visage rid, qui sinclinait profondment pourlui baiser la main. Elle se laissa conduire au sleeping-car, dshabiller etcoucher ; elle rpondit machinalement aux ores de service de Dcha : Merci, je nai plus besoin de rien, je voudrais essayer de dormir. . . Mais quand elle fut seule, le sommeil ne vint pas et elle passa une nuit

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  • Esclave ou reine ? Chapitre VI

    vreuse, pleine dangoisse, en se remmorant les incidents de la journecoule, laitude glaciale dont ne stait pas dparti le prince durant lereste du voyage, il lavait traite visiblement comme un enfant en pni-tence, et surtout cee scne du cimetire, si cruelle ! Oh ! quel hommetait-il donc, celui qui lui ordonnait doublier les morts et lenlevait auxvivants sans lui permere un adieu !

    Elle tait si dfaite le matin, que Dcha lui demanda avec inquitudesi elle tait malade. . . Et cee mme question sortit des lvres de Serge,lorsque, une fois coie et habille, elle le rejoignit dans le wagon-salon,o Vassili avait prpar le th.

    Trs fatigue, seulement, Serge. Je nai pas dormi une minute ceenuit.

    Elle lui tendait lamain, dun joli geste timide et hsitant quil prit peut-tre pour un geste de soumission, car sa physionomie si froide sadoucitlgrement.

    qui la faute, mchante enfant ! Pourquoi navoir pas t plus rai-sonnable hier et mavoir oblig la svrit ? Je pardonne aujourdhui,mais noubliez pas cee leon, Lise.

    Il la baisa au front et la t asseoir prs de lui, tandis que Vassili servaitle th. Pendant le reste du voyage, il reprit laitude de condescendance la fois ddaigneuse et lgrement caressante quil avait eue en gnral aucours de ses anailles. Hier, Lise tait lenfant insoumise que lon punit,aujourdhui ctait lenfant sage et repentante, envers laquelle un matremagnanime voulait bien montrer quelque indulgence.

    Mais, tout en forant ses lvres au sourire, Lise demeurait au fond ducur mortellement triste, et cee impression ne fut pas modie par lesoleil radieux, par la vue de la vgtation mridionale, par la traversedes luxueux quartiers de Cannes dans la voiture qui aendait le prince etsa femme la gare.

    Cependant une exclamation admirative lui chappa lapparition dela merveille qutait la villa Ormano.

    Ma demeure vous plat, petite Lise ? demanda Serge dont lind-nissable regard revenait sans cesse vers elle.

    Oh ! beaucoup ! que cest beau !. . . Je naurais jamais pens quilexistt quelque chose de semblable !

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  • Esclave ou reine ? Chapitre VI

    Vous tes destine en tre le plus charmant ornement, Lise.tait-ce un compliment ? Rien, dans le ton froid ni dans la physiono-

    mie du prince, ne pouvait le lui faire croire. Il semblait plutt lui traceren quelques mots un programme.

    La voiture sarrtait devant le double perron de marbre blanc, au piedduquel tait range la domesticit, en trs grande partie russe. Serge aida descendre la jeune femme, qui jetait un regard ear sur tous ces gensrespectueusement courbs. Lui faudrait-il donc, en tant que matresse demaison, commander tout ce monde ?

    Brivement, Serge lui nomma lintendant, la femme de charge, le ma-jordome, les principaux de ces serviteurs dont le matre lui-mme neconnaissait pas au juste le nombre, qui le suivaient dans tous ses dpla-cements et saugmentaient encore dautres units durant ses sjours enUkraine, par suite de lloignement du domaine et de limmensit du ch-teau qui exigeait un personnel norme.

    Cee formalit accomplie, le prince et Lise pntrrent dans le vesti-bule dont les dlicates colonnes de marbre blanc disparaissaient presquesous les eurs, et de l dans un salon o se tenaient trois personnes : unejeune femme et deux garonnets de dix douze ans.

    Serge avait parl comme dune chose sans importance de la prsencechez lui de sa sur et de ses neveux. Il navait jamais t question queMde Rhlberg vnt assister son mariage. Son frre semblait la considreren quantit trs ngligeable, et Lise savait par sa belle-mre quelle taitinsigniante, trs apathique et dassez faible sant.

    Tout cela en eet se lisait sur la physionomie de la belle femme blonde,un peu forte, au teint trop blanc et aux yeux bleus hsitants et sans ex-pression, que Serge prsenta en ces termes :

    Ma sur, Lydie Vladimirowna, baronne de Rhlberg.Lydie orit sa belle-sur unemain garnie de bagues tincelantes, en

    prononant, dune voix lente, quelques paroles de bienvenue, trs banales,auxquelles Lise, malgr son motion, neut pas de peine rpondre. Puisles deux enfants baisrent la main de leur oncle et de leur nouvelle tante.Lan, un gros garon blond et egmatique, ressemblait sa mre. Maisle petit Sacha tait un joli enfant brun, frle et un peu ple, aux yeux grisintelligents et vifs, qui se xrent avec une nave admiration sur la jeune

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  • Esclave ou reine ? Chapitre VI

    princesse. Venez vous reposer maintenant, Lise, dit le prince Ormano.Comme elle se dtournait pour obir cee invitation, elle se trouva

    en face dune personne qui venait dapparatre silencieusement, glissantsur lpais tapis dOrient. Ctait une femme denviron vingt-cinq ans,petite, maigre, lgrement contrefaite et vtue dune robe de soie noiretoute unie. Une volumineuse chevelure dun blond de lin, trs souple ettrs soyeuse, couvrait sa tte, fort petite, et semblait lobliger la tenirpenche de ct. Le teint tait blanc, couverte de taches de rousseur, lestraits ns, bien forms, sauf le nez, trop mince. De longs cils blond-ple sesoulevrent et Lise entrevit dtranges prunelles jaunes, qui lui causrentla plus dsagrable impression.

    Ah ! cest vous, Varvara ! dit la voix brve de Serge. . . Lise, VarvaraPetrowna Douglo, ma cousine.

    Lise lui tendit sa main, dans laquelle Varvara mit ses longs doigts auxongles aigus, dont la vue rappela involontairement la jeune femme lesgries dun loup captur un des hivers prcdents aux environs de P-roulac. Elle remarqua en outre que M Douglo avait une aitude trshumble, quelle tenait les yeux modestement baisss et quelle scartaaussitt comme une ombre discrte, sans que son cousin part songer lui adresser un mot de plus.

    Dcha et Sonia, la seconde femme de chambre, aendaient leur jeunematresse dans lappartement qui avait t celui de la premire femme.Tentures etmobilier avaient t changs, mais ils taient absolument sem-blables aux prcdents. Le prince Ormano voulait sans doute que toutlui rappelt la dfunte, autour de cee jeune femme qui tait le vivantportrait dOlga.

    Reposez-vous, Lise, tchez de dormir, dit-il en prenant cong delle.Nous dnons huit heures. En vous veillant sept, il vous restera untemps susant pour vous habiller.

    and les camristes leurent revtue dune robe dintrieur, Lise s-tendit sur une chaise longue, dans le salon qui prcdait sa chambre etqui tait, comme celle-ci, une merveille du luxe le plus dlicat. Pourtant,combien cee atmosphre rane semblait lourde la jeune femme ! Leschanes dor sont toujours des chanes, et, dj, elle sentait quelles len-

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  • Esclave ou reine ? Chapitre VI

    serraient impitoyablement.Sa fatigue tait telle quelle sendormit presque aussitt. Ce sommeil

    durait encore sept heures, lorsque Dcha entrouvrit doucement la portepour informer sa jeune matresse quil tait temps de songer sa toilee.

    Pauvre petite princesse, elle repose encore ! murmura-t-elle en sa-dressant Sonia qui se tenait derrire elle. Cela me fait de la peine dela rveiller. Elle tait si fatigue et si triste !. . . Tiens, regarde donc, Sonia,comme elle est jolie en dormant !el cur faut-il avoir pour tourmenterune mignonne colombe comme cela ?

    Dcha avait prononc ces derniers mots dans un chuchotement, maisSonia laissa chapper un geste deroi et un chut terri, en jetant uncoup dil autour delle.

    Marraine, soyez prudente ! Si on vous entendait !. . .Elle avana un peu la tte, et regarda son tour la dormeuse. Lise

    reposait dans une aitude charmante, en appuyant sa tte sur le dlicatpetit bras blanc qui ressortait de la large manche de prcieuse dentelle.Ses cheveux sombres tombaient en deux longues naes sur la robe ot-tante, en soyeuse toe blanche, que couvraient presque des ots de den-telle. Sa physionomie fatigue stait dtendue sous lempire du repos,un peu de rose montait son teint satin, dune blancheur nacre. Peut-tre faisait-elle en ce moment quelque doux rve, car ses petites lvressentrouvraient lgrement, comme pour un sourire.

    Elle est plus belle encore que la princesse Olga ! chuchota Soniadun ton admiratif.

    Cest vrai. Mais elle sourira davantage, dit Dcha en hochant latte.

    Pourquoi, marraine ? Parce quelle doit avoir plus dme. On voit cela dans ses yeux. . .

    Non, Sonia, je nai pas le courage de la rveiller maintenant ! Si elle faitun joli rve,mieux vaut quelle le continue un peu, pauvremignonne prin-cesse. sept heures et demie, nous aurons encore le temps de lhabiller,en nous dpchant beaucoup.

    Les deux femmes de chambre avaient disparu depuis un long mo-ment, lorsquune porte souvrit sans bruit, laissant apparatre le princeOrmano. Il tait en tenue du soir, comme toujours pour le dner, mme

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  • Esclave ou reine ? Chapitre VI

    en famille. Il sarrta quelques pas de la chaise longue et, longuement,contempla Lise.

    Il passa tout coup la main sur son front et, tournant le dos, se mit arpenter lentement le salon. Sur le tapis, son pas samortissait. De temps autre, il jetait un coup dil sur la dormeuse, et ses sourcils avaient unfroncement dimpatience. Il sarrta enn dans une embrasure de fentreet se mit bare une marche lgre sur la vitre, en ptrissant de son talonle tapis signe de forte irritation.

    Dcha entra pour voir si la jeune femme tait enn veille. Mais ellesloigna aussitt sur un geste impratif du prince.

    Son Altesse na tout de mme pas os la rveiller ! murmura-t-elle loreille de Sonia. Elle dort comme une petite bienheureuse ! Et lui at-tend. . . Il aend ! Seigneur ! il saura bien lui faire payer cee patience-l,qui est trop tonnante chez lui pour ne pas cacher quelque chose !

    Huit heures sonnrent, et Lise dormait toujours. Sous le talon deSerge, un grand creux stait form dans la laine blanche du tapis semde eurs roses.

    Cest ridicule ! murmura-t-il tout coup.Dun pas rsolu, il savana vers la chaise longue. Sa main se posa sur

    lpaule de la jeune femme. . . Lise ! appela-t-il.Un sursaut la secoua. Ses paupires se soulevrent et ses grands yeux

    apparurent, un peu vagues dabord, puis erays en reconnaissant celuiqui tait l.

    Vous oubliez lheure, dit froidement Serge.Elle se redressa vivement sur la chaise longue. Cest vrai ?. . . Est-il trs tard ? Huit heures viennent de sonner. Huit heures ! dit-elle dun ton deroi. Pourquoi ne ma-t-on pas

    rveille ? Pardonnez-moi, Serge, mais. . . Laissons cela et allez vite vous faire habiller. Pour ce premier jour

    jaccepte daendre. Mais ce nest pas mon habitude, Lise.Les femmes de chambre rent des prodiges de clrit et bientt la

    jeune femme vint rejoindre son mari. Dans cee toilee du soir, dun

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  • Esclave ou reine ? Chapitre VI

    blanc crmeux, Lise, avec son visage repos par le sommeil, tait idale-ment belle.

    Serge lenveloppa dun long regard, et un sourire vint ses lvres enrencontrant les yeux, un peu inquiets, qui se levaient vers lui. Il prit lapetite main tremblante et la posa sur son bras.

    Cest trs bien ainsi, Lise. Je ferai de vous la plus charmante desprincesses et la plus parfaite des pouses.

    Pendant le dner, servi avec tous les ranements imaginables, laconversation fut languissante. Le prince parlait peu, sa sur galement.ant Varvara, elle nouvrait pas la bouche et personne ne paraissaitsonger lui adresser la parole. Toujours vtue de la mme robe noiremontante, qui formait un sombre contraste avec les toilees du soir queportaient Lise et M de Rhlberg, elle semblait un personnage trs terneet gardait une aitude tout fait eace. Une fois seulement, Lise rencon-tra son regard, et ces yeux bizarres lui rent une impression si singulirequelle vit avec plaisir les longues paupires de Varvara demeurer retom-bantes tout le reste de la soire.

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  • CHAPITRE VII

    L , , parfum, venait caresser le visage ros de Lise,assise prs de son mari dans la voiture qui les emportait verslglise. La veille, comme elle sapprtait sinformer prs deSerge de lheure laquelle elle pourrait remplir son devoir dominical, lui-mme avait pris les devants en la prvenant quelle et se tenir prtepour venir avec lui la messe.

    Il lui avait paru tonnant quun homme comme lui se donnt la peinedaccompagner un oce dune religion autre que la sienne la jeunefemme quil traitait si visiblement en crature infrieure. Mais elle enavait prouv une joie relle, de mme que de le voir pour elle un peumoins raide, presque aimable par instants, durant cee premire journe la villa Ormano. Il lui avait fait faire en voiture une longue prome-nade travers Cannes, en sarrtant chez un joaillier o il avait choisi,sans consulter le got de Lise, un bracelet quil avait aach lui-mmeau poignet de la jeune femme. Ctait une souple et large chane dor or-

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  • Esclave ou reine ? Chapitre VII

    ne de diamants et dadmirables rubis. Ce bijou superbe semblait lourdsur le dlicat poignet, et Lise, qui il ne plaisait pas, lavait mis ce matin contrecur, dans la crainte seulement de froisser son mari si elle senabstenait.

    De mme qu larrive la gare, de mme quau cours de la pro-menade de la veille, on regardait beaucoup Lise des voitures que croisaitcelle du prince Ormano. Ladmiration se lisait sur tous les visages. Etune lueur dorgueilleuse satisfaction venait clairer la froide physiono-mie de Serge, qui jetait de temps autre un coup dil indnissable surla dlicieuse crature assise ses cts.

    La voiture sarrta devant lglise toute blanche qui slevait au milieude la verdure dun jardin. Lise remarqua avec surprise les deux clocherssurmonts de bulbes et les nombreuses croix grecques qui se rptaientpartout. Comme cee glise tait dirente de celles quelle avait vuesjusquici !

    De luxueux quipages sarrtaient, des hommes de haute mine, desfemmes au type slave, richement vtues, en descendaient. Comme eux,Serge et Lise pntrrent dans une nef claire par le jour tombant dunecoupole. Lil de Lise fut tout dabord air vers le fond par de grandesportes en bois prcieux et des rideaux cramoisis. Puis ils distingurent,sur les murs blancs, dimmenses images dor et dargent.

    e cee glise tait singulire !. . . Et comme laitude des dles dif-frait de celle laquelle tait accoutume Lise ! Ils navaient pas de livreset se plaaient au hasard, sans sagenouiller ni sasseoir. Sans cesse, ilsfaisaient damples signes de croix, mais au vif tonnement de Lise, ilstouchaient lpaule droite avant la gauche. Il y en avait qui se proster-naient et frappaient de leur front le tapis pais qui couvrait le sol, puis ilsrecommenaient se signer en tournant la tte vers les images rutilantes.

    Dans un banc plac droite du sanctuaire, plusieurs personnes ap-parurent de hauts personnages sans doute, car une porte spciale leuravait livr passage.

    Des chants commenaient, trs graves, en langue russe, les portes dusanctuaire glissrent sans bruit. Un prtre apparut un prtre g, lalongue barbe blanche, qui parut Lise trs dirent de tous ceux quelleavait vus jusquici, par le type de physionomie et par la forme de ses

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    vtements sacerdotaux blouissants dor.Et bien plus trange encore tait sa faon docier. Lise ne sy re-

    connaissait plus du tout. Puis, comme les chantres, ce prtre employait lalangue russe.

    Elle leva vers son mari un regard interrogateur et stupfait. Serge, de-bout, croisait les bras sur sa poitrine. Lui ne faisait pas