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    Marc LeblancCriminologue - Professeur titulaire retrait

    Facult des arts et des sciences - cole de psychoducation

    (1994)

    La dlinquancedes adolescents

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Courriel:[email protected] web pdagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web:http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

    mailto:[email protected]:[email protected]://www.uqac.ca/jmt-sociologue/http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htmhttp://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htmmailto:[email protected]://www.uqac.ca/jmt-sociologue/http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm
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    Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay, bnvole, professeurde sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de :

    Marc LE BLANC, La dlinquance des adolescents, in ouvrage sous la directionde Fernand Dumont, Simon Langlois et Yves Martin, Trait des problmes sociaux.

    Chapitre 13, pages 279 300. Qubec: Institut qubcois de recherche sur la culture,1994, 1164 pages.

    Criminologue, professeur titulaire retraitFacult des arts et des sciences - cole de psychoducation, Universit de

    Montral.

    [Autorisation formelle accorde par lauteur le 18 mai 2005.

    Courriel : [email protected]

    liste partielle des publications de M. Marc Leblanc, criminologue:http://www.psyced.umontreal.ca/personnel/LeBlancMarc.htm

    Polices de caractres utilise :

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    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pourMacintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition numrique ralise le 20 mai 2005 Chicoutimi, Ville deSaguenay, province de Qubec, Canada.

    mailto:[email protected]://www.psyced.umontreal.ca/personnel/LeBlancMarc.htmhttp://www.psyced.umontreal.ca/personnel/LeBlancMarc.htmmailto:[email protected]://www.psyced.umontreal.ca/personnel/LeBlancMarc.htm
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    Table des matires

    Introduction

    1. Le phnomne de la dlinquance

    1.1 La dlinquance officielle

    a) Trajectoire long terme et variations rgionalesb) Les bandes dlinquantesc) Un modle pour rpertorier les facteurs

    1.2 La dlinquance autorapporte

    a) Comparaison des annes 1970 et des annes 1980b) Une explication, I'homostasie

    2. La conduite dlictueuse

    2.1 Le dveloppement de l'activit dlictueuse2.2 Les facteurs cls d'ordre psychologique et social

    a) Familleb) Lcolec) Les pairs dlinquantsd) Les facteurs psychologiques

    2.3 La rgulation personnelle et sociale

    Les avenues de recherche

    Bibliographie slective

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    Marc LE BLANC,

    Criminologue, Universit de Montral

    La dlinquance des adolescents,

    Un article publi dans louvrage sous la direction de Fernand Dumont, Simon

    Langlois et Yves Martin, Trait des problmes sociaux. Chapitre 13, pages 279

    300. Qubec: Institut qubcois de recherche sur la culture, 1994, 1164 pages.

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    Introduction

    Retour la table des matires

    Au Qubec, comme dans la plupart des pays du monde, le problme de ladlinquance des adolescents est de taille. Il se manifeste avec une prvalence levedans la population adolescente et avec une chronicit certaine chez les jeunesdlinquants. C'est un problme urgent parce que les adolescents dlinquantsd'aujourd'hui infligent non seulement un tort inestimable leurs victimes, mais, enplus, ils seront les adultes criminels de demain et de futurs parents. C'est galementun problme difficile parce que de multiples facteurs sociaux et personnelsinteragissent pour la soutenir. Dfinissons d'abord certains termes avant de dcrire lephnomne de la dlinquance et la nature de la conduite dlinquante au cours del'adolescence.

    Ce texte est construit autour d'une dfinition lgale. Il s'agit de la dfinition quepropose la Loi sur les jeunes contrevenants adopte par le Parlement canadien en1982 et applique dans ses grandes orientations depuis 1979 au Qubec. Ladlinquance y est dfinie comme une infraction au Code criminel canadien et auxstatuts fdraux; c'est un champ spcifique d'activits qui mettent en danger l'intgrit

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    de la personne et de ses biens. Comme l'a fait la Commission Charbonneau 1, leterme de dlinquance, dans ce texte, inclut aussi les infractions aux lois et rglements,que ceux-ci soient provinciaux ou municipaux: savoir, des conventions socialesrelatives la conduite d'un vhicule moteur, la frquentation de l'cole et desdbits de boisson, la vie publique, etc., et qui s'appliquent l'ensemble de lapopulation ou uniquement aux adolescents.

    Une dfinition lgale de la dlinquance a plusieurs avantages, dont la clart et leconsensus social2 et, en particulier, elle attire l'attention sur des gestes spcifiquesplutt que sur des tats de la personne, ces derniers constituant le domaine de la Loisur la protection de la jeunesse. Ainsi, entre le milieu des annes 1970 et le milieu desannes 1980, le Qubec a expriment des changements majeurs quant la dfinitionde la dlinquance. Au dpart, la dlinquance des mineurs tait englobante; dans lecadre de la Loi sur les jeunes dlinquants, datant de 1908, elle permettait de dclarer

    dlinquante toute personne de sept dix-sept ans qui manifestait n'importe laquelledes formes d'inadaptation, mme les moins nocives comme les relations sexuellesentre adolescents consentants. Ensuite, elle a fait l'objet d'une dfinition plus limitedans le cadre de la Loi sur la protection de la jeunesse de 1977; il s'agissait desinfractions au Code criminel et des infractions aux lois et rglements des adolescentsde quatorze dix-huit ans. Enfin, la dfinition a t dpartage avec lacomplmentarit de la Loi sur les jeunes contrevenants de 1982, qui traite desinfractions au Code criminel et aux statuts fdraux des adolescents de douze dix-huit ans, et la rvision de la Loi sur la protection de la jeunesse, la mme poque,qui se limite aux situations, l'exclusion de la dlinquance, qui mettent en danger la

    scurit et le dveloppement des enfants de zro dix-huit ans.

    En consquence de l'adoption d'une dfinition lgale de la dlinquance, le termed'adolescent se rfre la priode entre douze et dix-huit ans. Se concentrer surl'adolescence est tout fait raisonnable parce que la participation et la frquence de laquasi-totalit des crimes atteignent leur sommet au cours de cette priode (lesexceptions tant le meurtre, le viol et la fraude 3 ). Toutefois, il arrivera de dborderl'adolescence pour traiter de la latence, la priode entre neuf et douze ans, et de lajeunesse, la priode entre dix-huit et vingt-cinq ans, parce que les antcdents et lesconsquences de la dlinquance des adolescents y sont particulirement significatifs.

    1 J.-P. Charbonneau,Rapport de la Commission parlementaire spciale sur la protection de la jeu-

    nesse, Rapport et annexes, Qubec, diteur officiel du Qubec, 1982.2 Voir la discussion plus labore de M. Frchette et M. Le Blanc, Dlinquances et dlinquants,

    Chicoutimi, Gatan Morin, 1987.3 Voir: M. Le Blanc et M. Frchette, Male Criminal Activity, from Childhood through Youth:

    Multilevel and Developmental Perspectives, New York, Springer-Verlag, 1989.

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    Ce texte comprend deux grandes sections. Une premire section traite duphnomne de masse: niveau, volution et explication de la dlinquance desadolescents au Qubec. La seconde section aborde l'analyse de la conduitedlictueuse des individus, son dveloppement et les facteurs qui l'alimentent.

    1.

    Le phnomne de la dlinquance

    Y a-t-il davantage de dlinquants aujourd'hui qu'hier? Y a-t-il davantage de dlitsde violence? La nature des vols est-elle diffrente en comparaison des annespasses? Les bandes dlinquantes sont-elles plus courantes aujourd'hui? Voilquelques-unes des questions qui reviennent rgulirement dans les mdias et quiinterpellent constamment les gestionnaires et les intervenants qui oeuvrent auprs desadolescents. Au Qubec, des donnes pidmiologiques de bonne qualit sontdisponibles depuis plusieurs dcennies. Des statistiques officielles existent depuis ledbut des annes 1960, en particulier celles tenues par les services de police; en plus,des enqutes auprs d'chantillons reprsentatifs d'adolescents ont t conduites. Ces

    deux sources de donnes seront utilises pour dcrire la dlinquance des adolescents.Malheureusement, les donnes tant officielles qu'autorapportes ont t recueilliesavec plus de rgularit et de fiabilit dans la seule rgion de Montral.

    1.1 La dlinquance officielle

    a) Trajectoire long terme et variations rgionales

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    Toutes les socits occidentales ont vu la dlinquance officielle des adolescents(celle enregistre soit par les statistiques policires, soit par les statistiquesjudiciaires) crotre de faon constante de la fin de la Deuxime Guerre mondiale lafin des annes 1970 et, ensuite, se rsorber sensiblement au cours de la dernire

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    dcennie 4. Au Qubec, l'aide des donnes de la statistique policire, la mmetrajectoire est dcrite par Frchette et Le Blanc 5, le Qubec se situant entre les tats-Unis, dont le taux de dlinquance est le plus lev parmi les socits industrialises,et la Suisse et le Japon, dont les taux sont les plus bas, au mme niveau que la plupartdes pays scandinaves et des pays d'Europe continentale. Au Canada, le Qubec seclasse habituellement en de de la moyenne nationale et de l'Ontario.

    Au cours des annes 1980, les crimes contre la proprit diminuent et ceux contrela personne augmentent (figure 1). Dans les quelque trente dernires annes, cescrimes reprsentaient en moyenne 8% des infractions des adolescents, variant d'uneanne l'autre habituellement entre 6% et 9%; plus rcemment, ils atteignent prs de12% des infractions. Cette volution n'est pas spcifique au Qubec, elle s'observedans tous les pays occidentaux. Son ampleur s'explique, en partie, grce deuxfacteurs: la mise en place de programmes de prvention dfensive en regard des

    crimes contre la proprit et, surtout, les modifications au Code criminel, enparticulier les changements la dfinition des agressions sexuelles. titre d'exemple,en 1985 aucun adolescent n'tait inculp au Qubec pour ce genre de fautes causedes difficults en faire la preuve devant les tribunaux, mais en 1990 ce type de dlitsa repris la place qu'il occupait au cours des annes 1960 et 1970, soit environ 30%des dlits contre la personne. La progression des dlits contre les personnes estcyclique, elle se manifeste la fin de chaque dcennie depuis quarante ans, et leQubec a vraisemblablement atteint le sommet du cycle le plus rcent en 19906.Notons que Mtellus montre que la dlinquance de violence augmente plusrapidement chez les jeunes Hatiens que pour l'ensemble des adolescents qubcois 7;

    de plus, ils commettent proportionnellement plus de dlits avec violence et beaucoupmoins de vols avec effraction.

    Les variations de la dlinquance officielle selon les rgions administratives duQubec sont somme toute assez mineures, cela malgr des disparits importantesquant aux ressources disponibles 8. Les diffrences sont moins d'ordre quantitatif quequalitatif; ainsi, la dlinquance se manifeste par des dlits plus graves et en plus grandnombre Montral que dans les autres milieux urbains 9. Toutefois, il n'en demeure

    4 M. Cusson, Croissance et dcroissance du crime, Paris, Presses universitaires de France, 1990.

    5 Op. cit., p. 2.6 M. Le Blanc, Le cycle de la violence physique: trajectoire sociale et cheminement personnel de

    la violence individuelle et de groupe, Criminologie, XXIII, 1, p. 47-74.7 J. Mtellus, tude exploratoire de la dlinquance des jeunes Hatiens au Qubec, mmoire de

    matrise, cole de criminologie, Universit de Montral, 1988.8 M. Le Blanc,La condition de mineur au Qubec, Montral, Crij, 1985.9 M. Le Blanc et H. Beaumont, Description du fonctionnement du tribunal de la jeunesse de Mon-

    tral entre mai 1981 et avril 1982, Rapport final et annexes techniques, Montral, Crij, 1985 et

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    pas moins qu'une large proportion des dlits graves et des dlinquants se concentrentdans certains quartiers des villes, les communauts les plus dfavorises. Cetteobservation est valable pour toutes les grandes villes des socits occidentales et elleest bien tablie pour Montral et diverses villes du Qubec 10.

    b) Les bandes dlinquantes

    Retour la table des matires

    Les quartiers dfavoriss sont galement les milieux de concentration des

    bandes 11. La bande d'adolescents, qu'elle pratique des activits dviantes ou pas, estun phnomne normal au cours de l'adolescence, et ce, depuis toujours. Ladlinquance, pour sa part, est reconnue comme une activit de groupe, surtout aumoment de l'adolescence. Par exemple, au milieu des annes 1970, 62% des jeunesdlinquants condamns par le Tribunal de la jeunesse de Montral dclaraient fairepartie d'une bande qui tait implique dans des activits dlictueuses; cetteappartenance durait depuis plus d'une anne pour 60% d'entre eux, les bandes avaientun chef bien identifi dans 56% des cas et un rituel prcis d'initiation pour 35%d'entre elles 12.

    Depuis plus d'une centaine d'annes, les bandes dlinquantes font partie de ladescription du phnomne de la dlinquance des mineurs. la fin des annes 1950 etau dbut des annes 1960, ce furent les blousons noirs qui retinrent l'attention; la findes annes 1960 et au dbut des annes 1970, on ne parlait que des Rockers et surtoutdes motards qui sont encore d'actualit dans le monde interlope adulte qubcois;puis, la fin des annes 1970 et au dbut des annes 1980, les Punks, les Skin headset les Hoolans sont venus d'Angleterre et d'Europe; actuellement, les mdias d'ici etd'ailleurs rapportent la prsence de bandes conflictuelles. Les observateurs les plus

    Description du fonctionnement de tribunaux de la jeunesse en milieu urbain entre mai 1981 et

    avril 1982, Rapport final, Montral, Crij, 1985.10 M. Le Blanc et J. Garipy, cologie et inadaptation juvnile Montral, rapport de recherche,

    Groupe de recherche sur l'inadaptation juvnile, Universit de Montral, 1976.11 Voir, pour le Qubec, lanalyse de M. Le Blanc, Le cycle de la violence physique..., loc. cit., et,

    pour les tats-Unis, celle de l.A. Spergel, Youth Gangs: Continuity and Change, dans: M.

    Tonry et M.N. Morris (sous la direction de), Crime and Justice: An Annual Review (Vol. 12),Chicago, University of Chicago Press, 1990, p. 171-275.

    12 Voir M. Frchette et M. Le Blanc, op. cit.

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    anciens de la scne dlinquante qubcoise se rappelleront du phnomneZutsuitdela fin des annes 1940, des Vestes de cuirde la fin des annes 1950, des Motards dela fin des annes 1960 et des Punks l'ore de la prsente dcennie.

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    Figure 1

    Nombre dinfractions au Code criminel au Qubec par catgorie

    Source: Direction gnrale de la scurit publique, Qubec (1981-1991)

    En criminologie, trois sortes de bandes sont dcrites comme courantes dans lesquartiers dfavoriss. Premirement, les bandes conflictuelles qui s'exprimentprincipalement par la violence physique en groupe; elles comptent souvent plusieursdizaines de membres; elles se caractrisent par un noyau central et une priphriemouvante compose de plusieurs strates; le leader charismatique est facilementidentifiable; elles dfendent un territoire; et elles sont aussi reconnaissables par leurhabillement. Deuximement, les bandes criminelles se concentrent sur le vol et lescommerces illicites; elles se composent de cinq quinze individus; elles secaractrisent par une forte cohsion, un leadership structur et une division prcisedes tches selon les habilets; elles sont plus ou moins intgres au milieu crimineladulte; et il leur arrive d'utiliser la violence physique pour dfendre un commerceillicite quelconque. Et, troisimement, les bandes retraitistes centrent leurs activitsautour de la consommation des drogues illicites et des nouveaux mouvementsculturels; la structure de ces groupes est floue et changeante et il en est de mme de laparticipation; le leadership n'est pas identifi un individu en particulier et elles sont

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    plus courantes dans les milieux plus aiss. Ces trois types de bandes sont prsentsdepuis les annes 1950 dans les grandes villes d'Amrique du Nord, d'Europeoccidentale et du Qubec. Il est remarquable, par ailleurs, de constater que les bandesretraitistes et criminelles attirent peu l'attention des mdias. Toutefois, lesintervenants savent bien qu'elles sont continuellement prsentes dans le paysage de ladlinquance. Les bandes conflictuelles, par contre, atteignent la notorit de faoncyclique.

    Les spcialistes invoquent trois catgories de facteurs spcifiques pour expliquerla rapparition cyclique des bandes conflictuelles. Elles tendent fleurir au momentd'une vague d'immigration comme le souligne Miller13. En fait, il est remarquable deconstater qu'en criminologie les oeuvres majeures sur les bandes aux tats-Unisrapportent une tude qui les prsente comme un groupe particulier d'immigrants: ceuxde l'Europe centrale dans les annes 1920, les Italiens dans les annes 1940, les Noirs

    amricains migrant du sud vers le nord pendant les annes 1950, l'arrive dePortoricains au cours des annes 1960, des Asiatiques pendant les annes 1970 et desimmigrants provenant du Mexique et de l'Amrique centrale au cours de la derniredcennie14. Au Qubec, le phnomne actuel des bandes semble galement associ l'immigration rcente, en particulier pour les Hatiens et Jamacains 15.

    En plus de l'immigration, il faut mentionner les changements dans les contextesde socialisation des adolescents. Les bandes conflictuelles se manifestent dans lesmilieux o la monoparentalit est leve, les coles dtriores et les activits deloisirs quasi inexistantes 16. Finalement, un dernier bloc de facteurs est invoqu: les

    transformations des valeurs sociales. Les adultes d'aujourd'hui sont issus de larvolution culturelle de la fin des annes 1960. Celle-ci a mis l'accent sur la tolrancedes dviants, sur la libration de la femme et sur la promotion de la personne. Peut-tre que la gnration actuelle des jeunes ragit aux valeurs de ses parents par desattitudes l'oppos, c'est une hypothse bien connue des sociologues. Les jeunesd'aujourd'hui contestent la tolrance en attaquant brutalement les minorits sexuellesou autres; ils ragissent au fminisme par ce que l'on pourrait nommer lemachosme, le culte de la force brutale et de la domination physique; ils mettent endoute la promotion de la personne au dtriment de la vie collective en se tournantvers leurs pairs et en se rassemblant en bande.

    13 W.B. Miller, Violence by Youth Gangs and Youth Groups as a Crime Problem in Major American

    Cities, Washington, National Institute for Juvenile Justice and Delinquency Prevention, 1975.14 Voir M. Le Blanc, "Le cycle de la violence physique..., loc. cit.15 Voir J. Mtellus, op. cit.16 Voir W.B. Miller, op. cit.

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    c) Un modle pour rpertorier les facteurs

    Retour la table des matires

    Qu'il s'agisse du phnomne de la dlinquance, tel qu'il se manifeste travers letemps dans les statistiques officielles ou au fil des tudes ethnographiques sur lesbandes dlinquantes, le concept d'organisation sociale diffrentielle domine, depuisSutherland 17 l'explication des variations de la trajectoire de la dlinquance desadolescents. La dlinquance serait enracine dans la nature de l'organisation sociale,elle fleurirait dans la mesure de la dsorganisation sociale, de l'individualisme

    politique et conomique, de la mobilit sociale et des conflits de culture. Aucunetude n'a t, jusqu' maintenant, en mesure de vrifier un tel modlemacrosociologique par manque de donnes statistiques appropries. Les chercheursse sont en fait limits l'tude de l'un ou l'autre des facteurs suivants: la structured'ge, les conditions conomiques, la situation politique, le temprament national, lemilieu physique, les contraintes cologiques, la position sociale de divers groupessociaux, l'organisation de la famille, le systme scolaire, les moyens decommunication de masse, les politiques et pratiques d'application de la loi et del'administration de la justice et les occasions de commettre des crimes. Ces facteurspeuvent se regrouper en six domaines principaux; ils sont numrs dans l'ordre de

    leur impact indirect sur le niveau de dlinquance d'une socit: premirement, lemilieu physique et cologique et les conditions conomiques, politiques etdmographiques; deuximement, les lments de structure sociale (famille, cole,etc.) et les caractristiques de la culture; et, troisimement, les occasions incitant lacriminalit et les politiques et pratiques de contrle social.

    17 E. H. Sutherland, Principles of Criminology, Philadelphie, Lippincott, 1934.

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    1.2 La dlinquance autorapporte

    a) Comparaison des annes 1970et des annes 1980

    La dlinquance autorapporte est, pour sa part, stable travers le temps. Lesinfractions criminelles et statutaires, que les adolescents commettent et qui auraientpu conduire une intervention policire ou judiciaire, sont rvles dans les mmesproportions lors de sondages auprs d'chantillons reprsentatifs d'adolescents aucours des annes 1970 et 1980 Montral 18. Quelque 80% des adolescents rapportentavoir particip au moins une infraction au Code criminel au cours de la dernire

    anne et moins de 10% plusieurs d'entre elles (le tableau 1 prsente quelquesdonnes supplmentaires). Des proportions semblables sont signales dans la plupartdes socits occidentales 19. La diffrence entre les garons et les filles est moinsmarque en matire de dlinquance autorapporte, en particulier en ce qui concerneles troubles de comportement et les dlits mineurs, qu'en ce qui a trait ladlinquance officielle 20. Toutefois, contrairement la dlinquance officielle,l'importance de la classe sociale est nulle quant la dlinquance commune, c'est--dire les petits vols, le vandalisme et les bagarres de la trs grande majorit desadolescents.

    b) Une explication, I'homostasie

    Retour la table des matires

    Les activits dlinquantes autorapportes des adolescents sont donc stables entrele milieu des annes 1970 et le milieu des annes 1980. Par contre, une tude de LeBlanc et Tremblay 21 a montr que l'volution des mcanismes de socialisation desadolescents prend les directions suivantes: l'encadrement s'est resserr sur les

    18 M. Le Blanc et R.E. Tremblay, Homeostasis: Social Changes Plus Modifications in the BasicPersonality of Adolescents Equal Stability of Hidden Delinquency, International Journal of

    Adolescence and Youth, 1, 3, 1988, p. 269-291.19 Voir: M. Le Blanc, La dlinquance cache: une alternative la dlinquance officielle, dans:

    Connatre la criminalit: le dernier tat de la question, Presses universitaires d'Aix-Marseille,1983, p. 109-146.

    20 Voir: M. Frchette et M. Le Blanc, op. cit. et M. Le Blanc et R.E. Tremblay, loc. cit.21 M. Le Blanc et R.E. Tremblay, loc. cit.

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    adolescents, la fois dans la famille, l'cole et dans le champ des loisirs; de plus, lesjeunes vivent dans un groupe familial de plus en plus restreint, ce qui se traduit par unplus grand nombre de familles monoparentales et des fratries plus petites; en outre,les conditions conomiques des familles avec des adolescents se sont dtriores. Ceschangements auraient d faire augmenter la dlinquance des adolescents. Encontrepartie, la personnalit modale des adolescents s'est ajuste ces nouvellesralits sociales: les jeunes d'aujourd'hui sont plus ralistes mais aussi plus motifs,plus anxieux et plus exposs l'inscurit. Ces tendances opposes amnent Le Blancet Tremblay soutenir que la dlinquance des adolescents qubcois est dans un tatd'homostasie. Mme si les transformations sociales favorisent l'accroissement de ladlinquance, l'volution de la personnalit modale des adolescents vientcontrebalancer ces forces et la dlinquance se maintient en consquence au mmeniveau.

    2.

    La conduite dlictueuse

    Retour la table des matires

    Au Qubec, il y a un nombre trs important de travaux qui analysent la conduite

    dlictueuse des adolescents. Ces travaux, d'ordre sociologique, psychologique etcriminologique, ont t, pour la plupart, recenss 22. En consquence, nous nouslimiterons ici trois objectifs. Premirement, exposer des rsultats originaux, enparticulier un modle du dveloppement de l'activit dlictueuse chez les adolescents.Deuximement, mettre en vidence les facteurs cls qui ressortent des rechercheslongitudinales, plus spcifiquement ceux relatifs la famille, l'cole et aux pairs. Et,troisimement, rsumer une thorie de la rgulation personnelle et sociale de l'activitdlictueuse. Le lecteur pourra complter cette synthse par l'tude des volumes deFrchette et Le Blanc et Le Blanc et Frchette et par la recension de Loeber et LeBlanc sur les connaissances dveloppementales qui sont disponibles en

    criminologie23

    . Les volumes sur la conduite dlictueuse des adolescents qubcois22 Voir M. Le Blanc, La dlinquance ladolescence, dans: D. Szabo et M. Le Blanc, La crimino-

    logie empirique au Qubec, Montral, Presses de lUniversit de Montral, 1985, p. 96- l33 et M.Le Blanc, La conduite dlinquante des adolescents et son explication, dans: D. Szabo et M. Le

    Blanc, Trait de criminologie empirique, Montral, Presses de lUniversit de Montral, 1993.23 M. Frchette et M. Le Blanc, op. cit. (note 2); M. Le Blanc et M. Frchette, op. cit. (note 3); R.

    Loeber et M. Le Blanc, Toward a Developmental Criminology, dans: M. Tonry et M.N. Morris

    (sous la direction de), op. cit., p. 373-473.

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    proposent notamment une analyse comparative d'un chantillon d'adolescentsconventionnels et d'un chantillon de pupilles du tribunal de la jeunesse.

    2.1 Le dveloppement

    de l'activit dlictueuse

    Retour la table des matires

    Le Blanc et Frchette 24 ont identifi deux processus qui assurent le

    dveloppement de l'activit dlictueuse: l'activation et l'aggravation. Le processusd'activation renvoie la manire dont l'agir dlinquant est stimul ds qu'il s'amorce.Une fois que ce processus a jou, le rsultat est une activit dlictueuse marque parun niveau lev de frquence (l'acclration), de dure (la stabilisation) et de varit(la diversification), avec en plus la prsence de prcocit. Les donnes du tableau 2tablissent l'effet de la prcocit sur la productivit ultrieure chez les jeunesdlinquants. Ce qui est remarquable dans les distributions des mdianes de frquence,de dure et de varit, c'est leur dcroissance monotonique. Ces tendances s'observentgalement pour les adolescents conventionnels 25 et mme chez les prpubres26.

    En somme, l'effet d'activation passe par plusieurs voies. La premire est celle dela stabilisation, la prcocit s'affirme alors source puissante de dure; les activitsillicites sont persistantes mais elles ne sont pas ncessairement abondantes et (ou)varies. La seconde voie est celle de l'acclration, l'apparition de l'agir dlictueux,soit au cours de la latence, soit au milieu de l'adolescence, entranant une frquenceleve; les activits illgales sont alors nombreuses mais elles ne sont pasncessairement varies et (ou) durables. La troisime voie est celle de ladiversification, la prcocit favorisant un degr important de diversit dlictueuse; lesactivits criminelles sont alors htrognes mais elles ne sont pas ncessairementabondantes et (ou) durables. Finalement, la quatrime voie, la plus criminogne detoutes, prend appui sur l'interaction entre la dure, la frquence et la varit sur unfond de prcocit, les activits dlictueuses dbutent tt et par la suite deviennent

    24 DansMale Criminal Activity, op. cit.25 Voir R. Loeber et M. Le Blanc, op. cit.26 Voir M. Le Blanc et P. McDuff, Activit dlictueuse, troubles de comportement et exprience

    familiale au cours de la latence, Montral, Groupe de recherche sur l'inadaptation psycho-socialechez l'enfant, Universit de Montral, 1991.

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    abondantes, varies et durables de par l'effet dynamique de ces trois mcanismes l'unsur l'autre. C'est ainsi que la dlinquance chronique se construit.

    La question de l'aggravation, de l'existence d'une squence spcifique deconduites dlictueuses dans le dveloppement de l'activit dlictueuse, est prementdbattue dans les cercles criminologiques 27. Les analyses de Frchette et Le Blanc etde Le Blanc et Frchette28 sur la dlinquance autorapporte des jeunes dlinquantsmontrent, d'une part, que les types de dlits semblent s'enchaner de faon spcifiqueselon l'ge du dbut, la dure et l'ge d'arrt de l'activit dlictueuse et, d'autre part,que les types de dlits commis, la frquence, la gravit et la violence des activitsdlinquantes changent mesure que l'ge s'accrot. La figure 2 illustre ce phnomned'une autre manire. L'abscisse de cette figure reprsentait l'ge des individus etl'ordonne les types de dlits; l'ordre des dlits tait dtermin par l'ge moyen dudbut de chaque type de dlits. En faisant l'examen de ce graphique, la conclusion

    s'est impose qu'une squence spcifique de dlits existe dans le dveloppement del'activit dlictueuse. Cinq stades de dveloppement de l'activit dlictueusemergent: l'apparition, l'exploration, l'explosion, la conflagration et le dbordement.

    Au dpart, habituellement entre huit et dix ans, les activits dlictueusess'affirment homognes et bnignes, s'exprimant peu prs strictement sous la formede menus larcins; c'est le stade de l'apparition ou de l'mergence. Par la suite, lesessais se poursuivent, gnralement entre dix et douze ans, par une diversification etune aggravation des dlits; avec essentiellement le vol l'talage et le vandalisme,c'est le stade de l'exploration. Ultrieurement, autour de treize ans, une augmentation

    substantielle de la varit et de la gravit ds dlits apparat et quatre nouveaux typesde dlits prennent leur essor, qui sont le vol simple, les dsordres publics, le vol aveceffraction et le vol d'une personne; c'est le stade de l'explosion avec, trs certainementcomme pine dorsale, le vol avec effraction, qui cause de sa longvit plusimportante, constitue le ferment majeur de cette nouvelle expansion. Ensuite, autourde quinze ans, l'htrognit, la varit et la gravit augmentent encore en mmetemps que la rtention est prsente et quatre types de dlits viennent toffer cetteamplification, soit le commerce des drogues, le vol d'un vhicule moteur, le volgrave et l'attaque d'une personne; c'est le stade de la conflagration. Finalement, uncinquime stade se manifeste uniquement au cours de l'ge adulte, celui du

    dbordement vers des formes plus astucieuses ou plus violentes d'agir dlictueux. Deplus, le chevauchement des dures la figure 2 illustre trs bien le phnomne de lartention des dlits d'un stade un autre, particulirement en ce qui concerne lesstades de l'exploration et de l'explosion, de l'explosion et de la conflagration.

    27 Blumstein et al., Criminal Career and Career Criminals (vol. 1 et 2), Washington, D.C.; NationalAcademy Press.

    28 Voir notes 2 et 3.

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    TABLEAU 1La prvalence de la dlinquance Montral en 1974 et en 1985 (en%)

    Total Garons Filles1974 1985 1974 1985 1974 1985

    Dlinquance 84 81 93 90 77 73

    Dlinquance grave 10 10 20 16 2 5

    TABLEAU 2Processus d'activation: mdianes de frquence, dure et varit

    selon l'ge au dbut de l'activit dlictueuse cache

    geDbut

    AcclrationFrquence

    StabilisationDure

    DiversificationVarit

    4 92 18 7

    5 131 14,5 7,5

    6 56 13 6,5

    7 46,5 11,75 4,37

    8 41 11,75 6,33

    9 82,5 9,37 6

    10 18 9 6,25

    11 4,5 5,5 4,512 12 8,5 6,17

    13 11,5 7 5,5

    14 18,5 6,33 4,75

    15 12,75 6 3,75

    16 17 6,75 4

    17 13,5 2,5 2,5

    18 11,5 5 2

    19 7,5 3 4

    20 3,33 0

    21 2 122 4 1

    Source: M. Le Blanc et M. Frchette, Male Criminal Activity, from Childhood

    through Youth: Multilevel and Developmental Perspectives, New York, Springer-Verlag, 1989.

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    2.2 Les facteurs cls

    d'ordre psychologique et social

    Il ne saurait tre question de synthtiser l'ensemble des travaux nombreux sur lethme de l'influence des facteurs sociaux et psychologiques ou mme de rsumer tousceux raliss au Qubec 31. On se bornera plutt souligner quelques progrs rcents.

    a) Famille

    Retour la table des matires

    La documentation criminologique sur le rle de la famille dans la gense de laconduite dlictueuse est abondante, ce qui est tout fait comprhensible car la familleest le premier agent de socialisation de l'enfant. Deux questions reviennent

    constamment dans les crits: quel type de famille est le plus nfaste? Quel facteurfamilial est davantage actif?

    Toutes les tudes s'entendent pour dmontrer que c'est dans les familles brises,en comparaison des familles intactes, que l'on retrouve davantage de dlinquance,tout comme pour les autres formes de troubles de comportement. Toutefois, lesfamilles monoparentales matricentriques prsentent un taux de dlinquance moinslev que les familles reconstitues et beaucoup moins lev que les famillesmonoparentales patricentriques32. Ce que ces auteurs ont aussi tabli, c'est que lefonctionnement psychosocial de la famille est affect de la mme manire par cestypes de familles. Les familles les plus dficientes sont les familles monoparentales

    31 Voir: M. Le Blanc et RE. Tremblay, op. cit.; M. Le Blanc, La dlinquance l'adolescence, loc.

    cit.; M. Frchette et M. Le Blanc, op. cit. (note 2).32 M. Le Blanc, P. McDuff et RE. Tremblay, Types de famille, conditions de vie, fonctionnement

    du systme familial et msadaptation sociale au cours de la latence et de l'adolescence dans les

    milieux dfavoriss, Sant mentale au Qubec, XVI, 1,1991.

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    patricentriques, suivies des familles reconstitues, ensuite des famillesmonoparentales matricentriques et enfin des familles intactes.

    Par contre, le mcanisme en vertu duquel les facteurs familiaux modulentl'activit dlictueuse est indpendant du type de famille. Cinq domaines principaux defacteurs le constituent: les conditions structurelles, la conjugalit, les lienspsychosociaux, l'exposition aux modles dviants et les contraintes sociales 33. Lesanalyses de Le Blanc et Ouimet34 tablissent que les conditions structurelles (statutsocio-conomique, grandeur de la famille, travail de la mre, etc.) et la conjugalit(rapports affectifs entre les parents, discorde, etc.) n'affichent pas de liens directs avecla conduite dlictueuse, mais qu'elles dterminent la qualit des liens entre l'enfant etses parents et l'importance des modles dviants. Ces deux dernires catgories devariables ne manifestent pas davantage de rapports directs avec la conduitedlictueuse; elles modulent plutt les contraintes. Les contraintes intriorises

    (lgitimit des normes familiales, etc.) et imposes (rgles, supervision et sanctions)prsentent les seuls liens directs avec la conduite dlictueuse; plus elles sontdficientes, plus le niveau de dlinquance de l'individu est lev. Elles agissentcomme une sorte de catalyseur de l'impact de l'ensemble des facteurs familiaux.

    Ce mcanisme semble indpendant de l'ge il a galement t observ chez desprpubres35 et du sexe de l'adolescent. Le Blanc et Ouimet montrent qu'ils'applique la fois aux filles et aux garons mme si les facteurs affectifs prsententun poids plus lev chez les filles et la conjugalit, une importance suprieure chezles garons. Quant la valeur prdictive de ces divers domaines de variables, les

    contraintes dominent pour la dlinquance la fin de l'adolescence et les lienspsychosociaux pour expliquer la criminalit adulte36.

    33 Sur chacun des facteurs, voir R. Leober et M. Strouthamer-Loeber, Family Factors as Correlates

    and Predictors of Juvenile Conduct Problems and Delinquency, dans: M. Tonry et M.N. Morris(sous la direction de), Crime and Justice: An Annual Review (vol. 7), Chicago, Chicago UniversityPress, 1986, p. 29-150.

    34 M. Le Blanc et G. Ouimet, Systme familial et conduite dlinquante au cours de l'adolescence

    Montral en 1985, Sant mentale au Qubec, XIII, 2,1988, p. 119-134.35 M. Le Blanc et P. McDuff,L'activit dlictueuse au cours de la latence, op. cit.36 M. Le Blanc Family Dynamics, Adolescent Delinquency and Adult Criminality, Psychiatry,

    55,1, 1992.

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    b) Lcole

    Retour la table des matires

    Si la dlinquance apparat comme une activit illicite courante au cours del'adolescence, elle est peu rpandue en milieu scolaire; par contre, la relation entrel'inadaptation scolaire et la dlinquance s'avre significative et bidirectionnelle 37. LeBlanc et al.38 proposent et vrifient un modle explicatif qui comprend cinqcatgories principales de variables scolaires: les conditions structurelles (l'ducationdes parents etc.), la performance (retard scolaire, rsultats), les liens avec l'cole(attachement au professeur, engagement envers l'cole, etc.), la conduite en milieuscolaire et les sanctions imposes par le milieu scolaire. Les analyses rvlent que

    seules les deux dernires catgories de variables affichent des liens directs avec laconduite dlictueuse; la performance et les liens, tout en interagissant, mdiatisentl'impact des conditions structurelles sur la conduite et les sanctions. Ce modle estvalide pour les deux sexes et divers groupes d'ge; toutefois, quand il s'agitd'expliquer la criminalit adulte, les variables relatives la performance prennent ledessus sur les variables en rapport aux liens psychosociaux 39.

    A priori, on serait port croire que l'abandon scolaire exerce un effet ngatif surla conduite dlictueuse, tout comme les facteurs des cinq catgories prcdentes. l'oppos de cette hypothse, Frchette et Le Blanc 40 montrent bien que dans certains

    cas l'abandon scolaire entrane une rduction de la dlinquance, mais que l'accs autravail doit tre considr comme la source prioritaire de l'intgration sociale la finde l'adolescence. Si l'chec scolaire est un facteur important en soi, c'est l'ensembledu processus de transition de l'cole vers le monde du travail qui doit tre considrpour bien rendre compte de l'volution de la dlinquance. De son succs dpend engrande partie l'abandon de l'activit dlictueuse41.

    37 M. Le Blanc L'cole, mcanisme amplificateur de la dlinquance des adolescents, dans: M.

    Crespo et C. Lessard, ducation en milieu urbain, Montral, Presses de l'Universit de Montral,1985, p. 367-396.

    38 M. Le Blanc, E. Vallire et P. McDuff, Adolescents School Experience and Self-reportedOffending: A Longitudmal Test of a Serial Control Theory, International Journal of Youth and

    Adolescence, 3, 3-4, 1992, p. 191-247.39 M. Le Blanc, E Vallire, P. McDuff, Beyond Experience, Delinquency, and Criminality: The

    Production Power of SeriaI Control Theory for Males, Canadian Journal of Criminology, 1993.40 M. Frchette etM. Le Blanc, op. cit.41 M. Le Blanc, Late Adolescence Deceleration of Criminal Activity and Development of Self and

    Social Control: concomitant Changes for Normative and Delinquent Samples, Studies in Crime

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    c) Les pairs dlinquants

    En criminologie, on a constamment voqu l'influence des pairs, et plusparticulirement des pairs dlinquants, comme facteur central dans l'explication de laconduite dlictueuse. Plusieurs travaux qubcois soutiennent cette position42. Lesamis dlinquants, qu'ils apparaissent d'ailleurs avant ou aprs les premiresmanifestations dlictueuses, semblent constituer une condition tout fait propice audveloppement de la conduite dlinquante. Particulirement si la prsence de pairsdlinquants s'accompagne d'un mode dviant d'occupation du temps libre (peu departicipation aux loisirs organiss, travail aprs l'cole, flnerie, frquentation des

    arcades, etc.) et de certaines activits qui encouragent la conduite dlictueuse(consommation de drogues, dsordres de conduite, activits sexuelles prcoces, etc.).

    d) Les facteurs psychologiques

    Retour la table des matires

    En comparaison des facteurs sociaux prcdents, les facteurs psychologiques

    occupent une place secondaire dans l'explication de la conduite dlictueuse desadolescents 43. Toutefois, ils permettent de distinguer facilement les adolescentsconventionnels des jeunes dlinquants, ces derniers affichant des retardsdveloppementaux majeurs. En plus, Frchette et Le Blanc 44 tablissent que lesfacteurs psychologiques surpassent les facteurs sociaux lorsqu'il s'agit de rendrecompte du dveloppement de la conduite dlictueuse; ils constituent les facteursdominants pour expliquer la dlinquance chronique. Ainsi, la dlinquance communedes adolescents s'expliquerait presque exclusivement par des facteurs sociaux desdomaines de la famille, de l'cole et des pairs, alors que la dlinquance distinctiveserait avant tout la rsultante d'un blocage du dveloppement psychologique vers

    l'allocentrisme.

    and Crime Prevention, 1, 2, 1992, p. 25-56.42 Voir M. Frchette et M. Le Blanc, op. cit.43 M. Le Blanc, M. Ouimet et RE. Tremblay, An Integrative Control Theory of Delinquent Beha-

    vior: a Validation 1976-1985, Psychiatry, 51, printemps 1988, p. 164-176.44 M. Frchette et M. Le Blanc, op. cit.

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    2.3 La rgulation personnelle et sociale

    Retour la table des matires

    Hirschi formulait, dans son volume Causes of Delinquency en 196945, une thoriedu lien social pour expliquer la conduite dlictueuse. Il affirmait que la force du liende l'individu avec la socit garantit sa conformit aux standards conventionnels deconduite ou, en contrepartie, qu'un lien faible avec la socit favorise la commissiond'actes dlinquants. Le lien social peut se nouer avec diverses institutions, plusparticulirement l'cole, la famille et les pairs en ce qui concerne l'adolescent. Ce liena quatre sources: l'attachement, l'engagement, linvestissement et la croyance. Aucours des vingt dernires annes, cette thorie est devenue la thorie dominante de lacriminologie. La trs grande majorit des publications thoriques s'y rfrent pourl'appuyer, la critiquer ou y intgrer d'autres lments46. Par ailleurs, plus de quarante-cinq tudes empiriques viennent confirmer cette thorie47. Caplan et Le Blanc 48 ontvrifi les rsultats de Hirschi sur un chantillon d'adolescents montralais. Lesmmes auteurs ont formalis la thorie 49, sans compter diverses autres laborations50.

    45 T. Hirschi, Causes of Delinquency, Berkeley, University of California Press, 1969.46 S. Messner, M. Krohn et A. Liska, Theoretical Integration in the Study of Deviance and Crime,

    Problems and Prospects, Albany, The State University of New York Press, 1989.47 Voir la recension de K. Kempf, Hirschi's Theory of Social Control: is it Fertile but not yet

    Fecund?,Advances in Theoretical Criminology, 4, 1992.48 M. Le Blanc et A. Caplan, A Cross-cultural Verification of Hirschi's Social Control Theory,

    International Journal of Comparative and Applied Criminal Justice, 9, 2, 1985, p. 123-138.49 M. Le Blanc et A. Caplan, Theoretical Formalization, a Necessity: the Example of Hirschi's

    Ending Theory,Advances in Theoretical Criminology, 4, 1992, p. 329-431.50 M. Le Blanc et L. Biron, Vers une thorie intgrative de la rgulation de la conduite dlinquante

    des garons, Rapport de recherche: Structure et dynamique du comportement dlinquant, rapportfinal, volume IV, Groupe de recherche sur linadaptation juvnile, Universit de Montral, 1980;

    M. Le Blanc, Vers une thorie intgrative de la rgulation de la conduite dlinquante, Annales

    de Vaucresson, 20, 1983, p. 1-34; M. Le Blanc Pour une approche intgrative de la conduite

    dlinquante des adolescents, Criminologie, XX, 2, 1986, p. 73-96; M. Le Blanc, M. Ouimet et

    R.E. Tremblay, loc, cit. (note 43); M. Le Blanc, P. McDuff et M. Frchette, MASPAQ: mesures de

    l'adaptation sociale et personnelle pour les adolescents qubcois, Groupe de recherche surl'inadaptation psychosociale chez l'enfant, Universit de Montral, 1990.

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    La rgulation de l'activit dlictueuse s'opre travers les interactions rciproquesentre quatre composantes: les liens que l'individu noue avec la socit et sesmembres, la contrainte exerce par les institutions sociales, le niveau dedveloppement de l'allocentrisme de l'individu et le degr d'exposition aux influenceset aux situations dviantes et dlictueuses. Ces interactions rciproques sont modulespar diverses conditions. La figure 3 montre que la rgulation de la conduitedlictueuse s'opre dans le contexte de diverses conditions sociales et de la capacitbiologique. L'importance des composantes rgulatrices et la nature des interactionsqu'elles entretiennent peuvent varier en fonction des contextes. Ces conditions quiinfluent sur la rgulation sont le sexe et l'ge de l'individu, des caractristiquessociales de son milieu de vie, des traits biologiques de la personne ou descomposantes de son environnement. Ces conditions individuelles et sociales agissentdonc comme des variables contextuelles sur le mcanisme de rgulation de l'activitillicite, elles sont des facteurs de risque.

    Les liens que l'individu noue avec les institutions et leurs membres sont de troisordres: l'attachement aux personnes, l'investissement dans les activitsconventionnelles et l'engagement envers les institutions; les deux premires formes deliens se conjuguent comme source de la dernire alors que celle-ci contribue laconsolidation des deux premires. La dfinition de cette composante du systme dergulation de l'activit dlictueuse revient Hirschi. L'individu peut s'attacher diverses personnes, d'abord ses parents, son pre, sa mre et les membres de safratrie, ensuite des personnes en position d'autorit, ses professeurs, son instructeurdans une quipe sportive, etc., ou des personnes de son groupe d'ge, ses pairs. Le

    premier de ces types d'attachement permet le dveloppement des autres types qui, parrtroaction, renforcent le premier. Ces attachements se construisent dans la mesure ol'individu communique avec les personnes en cause; la communication soutiendra uneperception adquate de leurs attentes avec comme consquence qu'elle favoriseral'assimilation affective ces personnes. Sur les bases de l'attachement aux personnes,l'individu est en mesure de cultiver son investissement dans la vie sociale des milieuxqu'il frquente et son engagement envers les institutions. L'investissement correspondau temps que l'individu consacre diverses activits conventionnelles, remplir sesobligations scolaires, participer la vie familiale, occuper ses temps libres.L'engagement renvoie la manire dont l'individu se cre une obligation,

    principalement par rapport l'ducation, la religion et aux sports ou la culture.L'adulte pourra remplacer l'ducation par le travail et le succs et il y ajoutera lecouple et la famille comme institutions l'gard desquelles il peut investir ets'engager. L'mergence d'une obligation envers les institutions sociales repose sur lemcanisme suivant: l'quilibre qui s'tablit entre les capacits et la performancesupporte les aspirations et le sentiment de comptence, tandis que celui-ci permetd'affermir l'attitude d'acceptation de l'institution qui, en contrepartie, renforce lesaspirations et le sentiment de comptence. Cette dynamique des attitudes sur un fond

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    de capacit et de performance conduit donc l'engagement, au dveloppement dusens de l'obligation l'gard d'une institution. Il est aussi support par le niveau desinvestissements dans la vie sociale de chacune des institutions qui constituent lespoints d'ancrage de l'individu.

    Figure 3

    La rgulation personnelle et sociale de lactivit dlictueuse

    Source: M. Le Blanc, P. McDuff et M. Frchette, MASPAQ Mesures deladaptation sociale et personnelle pour les adolescents qubcois. Montral, GRIP,Universit de Montral, 1990.

    L'allocentrismeest le mouvement de la personne humaine vers ce qui est diffrentd'elle, c'est la disposition s'orienter vers les autres et une capacit de s'intresser auxautres pour eux-mmes. Frchette et Le Blanc 51 utilisent cette notion pour synthtiserl'ensemble des travaux sur la personnalit des dlinquants. Elle tire son importance dufait que l'homme, par sa nature mme, est vou la communication, la relation et

    51 M. Frchette et M. Le Blanc, op. cit.

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    l'change avec autrui. Le schma normatif du dveloppement, tel que prsent dansles divers modles et thories du dveloppement de la personne humaine, proposejustement les tapes de cette progression vers l'allocentrisme. En contrepartie, lescrits en psycho-criminologie dcrivent le dlinquant comme un egocentrique, unepersonne qui rapporte tout soi et qui favorise son intrt avant tout. Il traduit unecentration excessive, rigide et univoque sur sa propre personne, il maintient un niveaud'gocentrisme qui n'est pas appropri en regard du dveloppement psychologiqueattendu pour un individu de son ge. L'allocentrisme protge contre les conduitesagressives et prdatrices, il soutient la conformit aux standards conventionnels deconduite et il est tributaire des capacits biologiques et intellectuelles et dutemprament de l'individu. Il en rsulte que les liens avec la socit, l'attachement auxpersonnes, l'investissement dans les activits conventionnelles et l'engagement enversles institutions deviennent plus difficiles nouer pour l'individu gocentrique. Larceptivit aux contraintes sociales s'en trouve tout autant diminue chez la personne

    affecte par un tel retard du dveloppement alors que la sensibilit aux influencesdviantes devient plus grande dans ce contexte.

    Les contraintes sociales qu'exerce la socit pour bloquer l'activit dlictueusepeuvent tre classes en quatre catgories suivant la combinaison des deuxdimensions suivantes: internes ou externes et formelles ou informelles. Les premiersthoriciens de la rgulation distinguaient entre les contrles externes et internes oudirects et indirects, mais Hirschi n'a pas cru bon d'intgrer explicitement cettedistinction sa thorie. Ce faisant, il oubliait une composante dont Durkheim 52 avaitreconnu l'importance en identifiant la punition, les normes et la surveillance comme

    des types de conduite extrieurs l'individu et dous d'une puissance imprative etcoercitive en vertu de laquelle ils s'imposent lui, qu'il le veuille ou non. Lacontrainte est formelle s'il s'agit d'une raction apprhende ou effective de la part desorganismes du systme de justice ou d'autres institutions, par exemple l'cole. Lacontrainte est informelle lorsqu'il s'agit de la raction de personnes avec qui l'individuentretient des relations interpersonnelles de nature intime comme avec des membresde la famille ou ses amis. Elle se manifeste alors sous la forme de l'tablissement dergles de conduite, de la surveillance et de l'application de sanctions; l'adhsion auxnormes est aussi une forme de contrainte informelle. La contrainte est externe si ellese rapporte des conduites manifestes par des personnes de l'entourage de

    l'individu; il s'agit la fois des sanctions formelles et informelles. Finalement, lacontrainte est interne ou intriorise dans la mesure o l'individu a fait siennes lesnormes de conduite dictes par l'cole, les parents et la socit globale; il s'agit ici del'adhsion aux normes, ce que Hirschi nommait croyances, et de la perception durisque d'une sanction formelle. Si la contrainte externe prcde la contrainte internedans le processus de socialisation des enfants, celle-ci demeure la dernire barrire

    52 mile Durkheim,De l'ducation morale, Paris, Presses universitaires de France, 1924.

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    l'activit dlictueuse, sinon la plus tanche partir de l'adolescence. La contrainteformelle est indpendante de la contrainte informelle, entre autres raisons parcequ'elle ne s'applique qu' un nombre trs limit d'individus. Si la contrainte sociales'affiche comme la dernire digue qui protge l'individu de l'activit dlictueuse, larceptivit que chacun manifeste celle-ci dpend des liens nous avec la socit etdu niveau d'allocentrisme atteint. L'individu rceptif la contrainte, celui qui adhresolidement aux normes, sera moins susceptible de succomber aux influences et auxsituations dviantes.

    L'exposition aux influences et aux situations dviantes et dlinquantes est unecomposante du systme de rgulation dont l'importance a t reconnue encriminologie depuis la formulation de la thorie de l'association diffrentielle deSutherland en 1934. Depuis, les recherches empiriques et les modles thoriques ontdmontr son importance pour expliquer l'activit illicite, mais cette dimension a

    toutefois t trop longtemps limite aux amis dlinquants. En effet, les influencesdviantes et les occasions de commettre des dlits peuvent se manifester suivantdiverses autres modalits: par exemple, la tlvision, et en particulier regarder laviolence tlvise, la participation d'autres activits dviantes (consommation dedrogues licites et illicites, prcocit dans les rapports sexuels, etc.), le fait dedemeurer dans une communaut o le taux de dlinquance est lev et o lessituations criminelles sont nombreuses, l'implication dans des activits routiniresnon conventionnelles (flner en groupe, frquenter les arcades, travailler en tudiant,etc.) et le fait de prendre part des activits conventionnelles en dehors de la maison(sportives ou culturelles). La sensibilit aux influences dviantes et aux situations

    criminelles entrane la non-conformit aux standards de conduite dans la mesure o ladynamique suivante est enclenche. L'engagement dans des activits routinires nonconventionnelles et la participation d'autres activits dviantes augmentent laprobabilit qu'a l'adolescent de rencontrer des pairs dlinquants et de s'y associer; parailleurs, la participation de telles activits sera rendue plus probable si la personneest sensibilise par la tlvision aux modalits violentes de relations interpersonnelleset si elle est active en dehors de son milieu familial. De plus, le fait de demeurer dansune communaut dont le taux de dlinquance est lev accrotra les occasionsd'association avec des pairs dlinquants, tandis que la personne qui demeure dans unquartier o les situations criminelles sont nombreuses risquera davantage d'y

    succomber. En somme, les influences dviantes et les situations criminelles auront unimpact dterminant sur la conduite des individus dans la mesure o elles serontrenforces par l'association avec des pairs dlinquants. Et il s'ensuivra que cesaffiliations privilgies seront une source majeure de l'activit dlictueuse. Ainsi, unallocentrisme insuffisant, des liens tnus avec la socit et des contraintes socialesdficientes accrotront la sensibilit aux influences dviantes et la possibilit de cderaux occasions de criminalit et entraneront ainsi un accroissement de l'activitdlictueuse. Par ailleurs, cette sensibilit rendra les liens plus difficiles avec la socit

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    et ses membres, elle brouillera la rceptivit aux contraintes sociales et elle ralentirala croissance de l'allocentrisme.

    L'activit dlictueuse est rgularise par les forces et les contre-forces associesau niveau de dveloppement personnel atteint, la solidit des liens construits avec lasocit et ses membres, la puissance des contraintes sociales exerces et au degrd'exposition aux influences et occasions dviantes disponibles. La rgulation del'activit dlictueuse saccomplit non seulement par une mcanique gnrale quitranscende les institutions responsables de la socialisation, celles dcrites ci-dessus,mais elle s'opre aussi au niveau de chacune d'entre elles. Ainsi, en ce qui concerneles institutions prdominantes pour les adolescents, les normes sociales, la famille, lespairs, l'cole et les activits routinires, la rgulation de la conduite dlictueuse peuttre reprsente par des thories de moyenne porte 53.

    Les avenues de recherche

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    Les premires recherches sur la dlinquance des adolescents datent des annes1940 54 et elles n'ont pas cess depuis. Bien que la recherche sur la dlinquance desadolescents soit relativement dveloppe au Qubec, il n'en demeure pas moins queplusieurs champs restent encore en friche, cela en ce qui regarde tant le phnomneque la conduite.

    Au niveau du phnomne, deux avenues apparaissent particulirementintressantes. D'une part, mettre en rapport la trajectoire de la dlinquance etl'volution de divers facteurs conomiques, politiques, culturels, etc., de manire dceler quels sont ceux qui modulent la trajectoire. D'autre part, les diffrencesrgionales devraient faire l'objet d'une description approfondie et d'une explorationdes facteurs qui en rendent compte.

    Au niveau de la conduite dlictueuse des adolescents, plusieurs questions sontparticulirement d'actualit: comment se distinguent les explications de la

    53 Voir M. Le Blanc, McDuff et Frchette,MASPAQ..., op. cit.54 J. Beausoleil, Comment prvenir la dlinquance, Montral, Beauchemin, 1949.

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    et les garons, les adolescents appartenant diverses minorits ethniques? l'activationest-elle un prcurseur automatique de l'aggravation de la conduite dlictueuse?

    Pour ce qui est des domaines principaux de facteurs explicatifs, la famille, l'cole,les pairs et les traits psychologiques, le nombre de questions sans rponse est infini.Toutefois, il est possible d'affirmer que la liste des facteurs explicatifs potentiels estrelativement complte. La tche essentielle consiste comprendre comment lesfacteurs se combinent ou pourquoi une mme cause ne donne pas toujours les mmeseffets. Un autre domaine important est la comprhension de la combinaison des effetsmacro et micro; par exemple, comment l'environnement scolaire (grandeur de l'cole,composition, ressources, etc.) et l'exprience scolaire (les rsultats, les rapports avecles professeurs, l'engagement l'gard de l'ducation, etc.) se conjuguent pourencourager ou dcourager l'activit dlinquante d'un adolescent. Ou, comment le typede structure familiale et les caractristiques des parents se conjuguent pour favoriser

    un climat psychosocial donn et des mthodes disciplinaires spcifiques dont ilrsulte des conduites dlinquantes. En fait, la question primordiale concernant lescauses de la conduite dlinquante des garons est la suivante: comment se combinentles diffrents facteurs explicatifs? La rponse cette question a des implicationspratiques, les combinaisons de facteurs permettant de dfinir des types de dlinquantsqui requirent des interventions spcifiques.

    Sur le plan thorique, l'orientation des travaux entreprendre est claire si l'onaccepte que la plupart des perspectives et des notions ont t mises en vidence. Cequ'il reste faire aux thoriciens, c'est d'intgrer, de combiner et de fusionner les

    perspectives et les notions; c'est une dmarche de dveloppement, d'laborationthorique qui demande plus de rigueur que d'imagination. Il faut donc continuer raffiner et formaliser les modles thoriques comme celui expos dans ce chapitre.

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    Bibliographie slective

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    CUSSON, M.,Dlinquant, pourquoi?, LaSalle, Hurtubise, 1981.CUSSON, M.,, Croissance et dcroissance du crime, Paris, Presses universitaires

    de France, 1990.FRCHETTE, M. et M. LE BLANC, Dlinquances et dlinquants, Chicoutimi,

    Gatan Morin, 1987.LE BLANC, M., La conduite dlinquante des adolescents et son explication,

    dans: D. SZABO et M. LE BLANC, La criminologie empirique au Qubec, 2edition, Montral, Presses de l'Universit de Montral, 1992.

    LE BLANC, M., Le cycle de la violence physique: trajectoire sociale etcheminement personnel de la violence individuelle et de groupe, Criminologie,1990, XXIII, 1, p. 47-74.

    LE BLANC, M. et M. FRCHETTE, Male Criminal Activity, from Childhoodthrough Youth: Multilevel and Developmental Perspectives, New York, Springer-Verlag, 1989.

    LE BLANC, M. et P. McDUFF,Activits dlictueuses, troubles de comportementet exprience familiale au cours de la latence, Montral, 1991, Groupe de recherchesur l'inadaptation psychosociale chez l'enfant, Universit de Montral, 1991.

    LE BLANC, M., P. McDUFF et M. FRCHETTE, MASPAQ: mesures deIadaptation sociale et personnelle pour les adolescents qubcois, Montral, Groupede recherche sur l'inadaptation psychosociale chez l'enfant, Universit de Montral,1990.

    Fin du texte