Deleuze - Difference Et Repetition

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GILLES DELEUZE PRESSES UNIVERSITAIRES DE PRANCE

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Introduction

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GILLES DELEUZE

PRESSES UNIVERSITAIRES D E PRANCE

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La rCpCtition n'est pas la gdndralitd. La rCpCtition doit dtre distingubc de la g6nCralit6, de plusieurs facons. Toute formule impliquant leur confusion est fecheuse : ainsi quand nous disons que deux choses se ressemblent comme deux gouttes d'eau ; ou lorsque nous identifions r il n'y a de science que du gCnCral B

et a il n'y a de science que de Ce qui se dpkte n. La difidrence est de nature entre la rCpCtition et la ressemblance, meme e x t r h e .

La gCnbralit6 prbsente deux grands ordres, I'ordre qualitatif des ressemblances et I'ordre quantitatif des Cquivalences. Les cycles e t les 6galitCs en sont les symboles. Mais, de toute manikre, la g6neralitC exprime un point de vue d'aprh lequel un terme peut 6tre Bchang6 contre un autre, un terme, substitub & un autre. L'Cchange ou la substitution des particulien d6finit notre conduite correspondant tt la gknbralitb. C'est pourquoi les empi- ristes n'ont pas tort de pr6senter I'id6e g6nkrale comme une id6e particulißre en elle-mdme, h condition d'y joindre un sen- timent de pouvoir la remplacer par toute autre idbe particulihre qui lui ressemble sous le rapport d'un mot. Au contraire, nous voyons bien que la rdpbtition n'est une conduite ndcessaire et fondde que par rapport A ce qui ne peut dtre remplacb. La rdpd- tition comrne conduite e t comme point de vue concerne Une singularit6 indchangeable, insubstituable. Les reflets, les dchos, les doubles, les Ames ne sont pas du domaine de la ressembhnce ou de I'bquivalence ; et pas plus qu'il n'y a dc substitution possible entre les vrais jumeaux, il n'y a possibiliti d'kchanger son Qme. Si I'bchange est le critkre de la gdnCraliM, le vol et le don sont ceux de la dpdtition. I1 y a donc Une diffkrence &CO- nomique entre lea deux.

Rdpkter, c'est se comporter, mais par rapport h quelque chose d'unique ou de singulier, qui n'a pas de semblable ou d'kquivalent. E t peut-6tre cette rbpdtition cornme conduite externe fait-elle dcho pour son compte A Une vibration plus

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secrbte, h Une rfpbtition inthieure et plus profondr dans le singulier qui I'anime. La fEte n'n pas d'autre paradoxe apparent : repfter un a irrecommencable r. Non pas ajouter Une seconde e t Une troisibme fois Q la premibre, mais porter In premibre fois I la U n i h e a puissance. Sous ce rapport de la puissance, la rfpf- tition se renverse en s'intdriorisant ; comme dit Pfguy, ce n'est pos la fete de la FfdCration qui commemore oii reprEsente la prise de la Bastille, c'est la prise de Ia Bastille qui f6t.e et qui rfpbte Q I'avance toutes les F6dFrations ; ou c'est le premier nymphea de Monet qui repPte tous les aulrcsl. On oppose donc ia gbneralit6, comme gdntralite du porticulier, el. la r4pdtilion comme universalit6 du singulier. On ri.pi.te Une ceuvre d'art comme singularite sans concept, e t ce n'est pas par hasard qu'un p o h e doit. ftre appris par caeur. La tdtc est I'organe des echanges, mais le cceur, I'organe amoureux de la r8petit.ion. (I1 est vrai que la rbpdtition concerne aussi la tele, mais prbcisement parce qu'elle en est la terreur ou le paradoxe.) Pius Servien distinguait Q juste titre deux langages : le langage des sciences, dominf par le Symbole d'bgalit.6, e t oU chaque termc peut Btre remplac6 par d'autres ; la langage lyrique, dont chaque terme, imempla- ~ab le , ne peut 6tre que rkpCtbr. On peut toiijours a reprhsenter n la rdp6lition comme Une ressemblance extrdme ou Une equi- valence parfaite. Mais, qu'on passe par degrhs d'une chose Q Une autre n'empsche pas une diilbrence de nature entre les deux choses.

D'autre part, la ghndralitd est de I'ordre des lois. Mais la loi dbtermine seulement la ressemblance des sujeta qui y sont soumis, et leur Bquivalence B des termes qu'elle ddsigne. Loin de fonder la rdpbtition, la loi montre plutßt comment la rdpb- t.ition resterait impossible pour de p u n sujets de la loi - les particuliers. Elle les condamne Q changer. Forme vide de la diflbrence. forme invariable de la variation, la loi astreint ses sujets Q ne I'illustrer qu'au prix de leurs propres changements. Sans doute y a-t-il des constantes autant que des variables dans les termes dbsignbs par la loi ; e t dans la nature, des perma- nences, des persbverations, autant que des flux e t des variations. Mais Une penhvkration ne fait pas davantage Une rhpetition. Les constantes d'une loi sont Q leur tour les variables d'une loi plus genkrale, un peu comme les plus durs rochers deviennent

I . Cf. Charles Peouu, Clio, 1917 (N.R.F., 334 6d.J. p. 45, p. 114. 2. Pius Se~v ieN, Principca d'c$lhtlique (Boivln, 1935), pp. 3-5 ; Sciencc er

poC~ie (Plammnrion. 19471, pp. 44-47.

des matibres molles e t fluides A l'dchelle g&ologique d'un mil- lion d'annees. Et, A chaque niveau, c'est par rapport & de g a n d s objets permanent3 dans la nature qu'un sujet de la loi bprouve sa propre impuissance Q rbpdter, e t decouvre que cette impuis- sance est dkj& comprise dans l'objet, rbfldchie dans I'objet per- manent OB il lit sa condamnation. La loi reunit le changement des eaux B la permanence du fleuve. De Watteau, Glie Faure dit : II I1 avait placd ce qu'il y a de plus passager dans ce que notre regard rencontre de plus durable, I'espace et les grands bois. D C'est la m6thode xvtrra sibcle. Wolmar, dans La Nouvelle Hdloisc, en avait fait un Systeme : I'impossibilit& de la rdphtition, le changement comme condition gbnkrale A laquelle la loi de la Nature semble condamner toutes les crdatures particulibres, etait saisi par rapport Q des termes fixes (sans doute eux-memes variables par rapport Q d'autres permanences, en fonction d'autres lois plus gbndrales). Tel est le sens du bosquet, de la grotte, de I'objet C sacrd a. Saint-Preux apprend qu'il ne peut pas repbter, non seulement en raison de ses ehangements e t de ceux de Julie, mais en raison des grandes permanences de la nature, qui prennent Une valeur symbolique, e t ne I'excluent pas moins d'une vraie rbpbtition. Si la rbpetition est possible, elle est du miracle plutBt que de la loi. Elle est contre la loi : contre la forme semblable e t le contenu Bquivalent de la loi. Si la dphtition peut Otre trouvh, meme dans la nature, c%st au nom d'une puissance qui s'afirme contre la loi, qui travaiile saus les lois, peut-etre superieure aux lois. Si la rdpdtition existe, elle exprime h la fois une singularifk contre le gtnkral, Une uni- versalitd contre le particulier, un remarquable contre I'ordinaire, Une instantanditd contre la variation, Une dternith contre la permanence. A toua Bgards, la rdpbtition, c'est la transgression. Elle met en question la loi, elle en ddnonce le caractbre nominal ou ghneral, au profit d'une rdalitk plus profonde et plus artiste.

I1 semble difiicile pourtant de nier tout rapport de la rdpbti- tion avec la loi, du Point de vue de l'expdrimentation scientifique elle-mbme. Mais nous devons demander dans quelles conditions I'experimentation assure Une repbtition. Les phenomenes de la nature se produisent h I'air libre, toute inference etant possible dann de vastes cycles de ressemblance : c'est en Ce Sens que tout reagit sur tout, e t que tout resaemble A tout (ressemblance du divers avee soi). Mais I'expdrimentation eonstitue des milieux relativement clos, dans lesquels nous ddfinissons un phdnomkne en fonetion d'un petit nombre de facteurs s6lectionnCs (deux au minimum. par exemple I'espace e t le temps pour le mouvement

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d'un corps en gknkral dans le vide). I1 n'y a pas lieu, dbs Ion, de s'interroger sur I'application des mathdmatiques A la physique : la physique est immddiatement mathdmatique, les facteurs rete- nus ou ies milieux clos constituant aussi bien des systemes de coordonndes gdomktriques. Dans ces conditions, le phdnomkne apparaft nkcessairement comme dgal B une certaine relation quan- titative entre facteurs sdlectionnßs. I1 s'agit donc, dans I'expdri- mentation, de substituer un ordre de gßndralite A un autre : un ordre d'kgalite B un ordre de ressemblance. On ddfait les ressem- blances, pour dkcouvrir une 6galitd qui permet d'identilier un phPnombne dans les conditions particuli6res de I'expdrimentation. La rdpdtition n'apparait ici que dans le passage d'un ordre de gdn6ralitd A I'autre, ameurant B la faveur, B l'occasion de ce passage. Tout se passe comme si la rdpdtition pointait dans un instant, entre les deux gdndralitks, sous deux gdndralit6s. Mais lB encore, on risque de prendre pour une difierence de degd ce qui difihre en nature. Car la gdnßralitk ne reprdsente et ne suppose qu'une rkpdtition hypothdtique : si les mdmcs circonstances sont donndes, alo rs... Cette formule signifie : dans des totalites sem- blahles, on pourra toujoun retenir e t sdlectionner des facteurs identiques qui repdsentent I'dtre-dgal du phßnombne. Mais on ne rend compte ainsi ni de ce qui pose la rkpktition, ni de ce qu'il y a de categorique ou de ce qui vaut en droit dans la rkpktition (ce qui vaut en droit, c'est r n D fois comme puissance d'une seule fois, sans qu'il y ait besoin de passer par une seconde, une troi- sikme fois). Dans son essence, la rkpktition renvoie B une puissance singuliere qui difibre en nature de la gdnßralitd, meme quand elle profite, pour apparattre, du passage artificiel d'un ordre gkndral Q I'autre.

L'erreur r stoIcienne D, c'est d'attendre la rkpktition de la loi de nature. Le sage doit se convertir en vertueux; le reve de trouver Une loi qui rendrait la dpbtition possible passe du c6t6 de la loi morale. Toujours une tache & recommencer, une lidklitk & reprendre dans une vie quotidienne qui Se conrond avec la reaf- firmation du Devoir. Büchner fait dire B Danton : r C'est bien fastidieux d'enfiler d'abord sa chemise, puis sa culotte, e t le soir de se trainer au lit e t le matin de se trainer hors du lit, e t de mettre toujoura un pied devant I'autre. I1 n'y a gubre d'espoir que cela change jamak J1 est fort triste que des millions de gens aient fait ainsi et que d'autres millions le fassent encore apre5 nous, et que par-dessus le marchk nous soyons constituks de deux moitids qui font toutes deux Ia meme chose, de sorte que tout se produit deux fois. D Mais A quoi sewirait la loi morale, si elle ne sanctifiait

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la rditRration, e t surtout si elle ne la rendait possible, nous don- nant un pouvoir Ifgislatif dont nous exclut la loi de nature ? I1 arrive que le moraliste prksente les catkgories du Bien et du Mal SOUS les especes suivantes : chaque fois que nous essayons de repfter selon la nature, comme Btres de la nature (rdpdtition d'un plaisir, d'un pass&, d'une passion), nous nous lancons dans une tentative ddmoniaque, ddji maudite, qui n'a pas d'autre issue que le ddsespoir ou I'ennui. Le Bien, au conlraire, nous donnerait la possibilitk de la rhpdtition, ct du succes de la rdpbtition, et de Ja spiritualitd de In rdpdtition. parce qu'il ddpendrait d'une loi qui ne serait plus celle de la nature, mais celle du devoir, e t dont nous ne serions pas sujets sans 6tre aussi 16gislateurs, comme Gtres moraux. E t ce que Kant appelle la plus Iiaute dprcuve, qu'est-ce, sinon une dpreuve de pensde qui doit ddterminer ce qui peul Btre reproduit en droit, c'est-i-dire ce qui peut 2tre rdpktk sons contradiction sous la forme de la loi morale ? L'homme du devoir a invente une U hpreuve U de la rdpetition, il a di.tcrmink ce qui pouvait Btre rdpktk du point de vue du droit. I1 estime donc avoir vaincu A la fois le ddmoniaque ct le fasti- dieux. Et tel un 4clio des soucis de Danton, telle une rdponse A ces soucis, n'y a-t-il pas du moralisme jusque dans I'dtonnant support-cliaussettes que I<ant s'etait confectionnd, dans cet appareil B repdtition quc ses biographes dßcrivent avec tant de prkcision, comme dans la fixite de ses promenades quotidiennes (au Sens ou la ndgligence de la toilette ct le manque d'exercice font partie des conduites dont la maxime ne peut pas sans contra- diction Btre pende comme loi universelle, ni donc faire I'objet d'une rdpetition de droit) ?

Mais I'ambigu'itk de la conscience est celle-ci : elle ne peut Se penser qu'en posant la loi morale extdrieure, supdrieure, indif- fkrente Q la loi de nature, mais elle ne peut penser I'application de la loi morale qu'cn restaurant en elle-mdme I'image e t le modele de la loi de nature. Si bien que Ia loi morale, loin de nous donner une vraie rdpdtition, nous laisse encore dans la gendralite. La gfndralitk, cette fois, n'est plus celle de la nature, mais celle de I'habitude comme seconde nature. Il est vain d'invoquer I'existcnce d'habitudes immoreles, de mauvaises habitudes ; ce qui est moral essentiellement, ce qui a la forme du bien, c'est la forme de I'habitude ou, comme disait Bergson, I'habitude de prendre des habitudes (le tout de I'obligation). Or, dans ce taut ou cette ghnkralitd de I'habitude, nous retrouvons les deux grands ordres : celui des ressemhlances, dans la conformit~ variable des klßmenta d'action par rapport A un modele suppose, tant que

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I'habitude n'est pas prise ; celui des 6quivalences, avec 1'8galit6 des elements d'action dans des situations diverses, des que I'habitudc est prise. Si bien que jamais I'habitude ne forme unc veritable repktition : tantot c'est I'action qui change, e t se per- fectionne, Une intention restant constante ; tantiit I'action reste egale, dans des intentions e t des contextes diflkrents. LA encore, si la repetition est possible, elle n'apparait qu'entre ces deux g&n&ralit&s, de perfectionnement e t d'integration, sous ces deux gen6ralites, quitte A les renverser, Umoignant d'une tout autre puissance.

Si la r6pCtition est possible, c'est contre la loi morale autant que contre la loi de nature. On connaft deux manieres de renvener la loi morale. Tantbt par Une remontee dans les principes : on conteste I'ordre de la loi comme secondaire, dhrivd, emprunt8. a general a ; on ddnonce dans la loi un principe de seconde main, qui detourne une force ou usurpe Une puissance originelles. Tantbt, au contraire, la loi est d'autant mieux renversfe qu'on descend Vers lcs consiquences, qu'on s'y soumet avec Une minutie trop parfaite ; c'est A force d'epouser la loi qu'une Ume fausse- inent soumise arrive i la tourner, e t a gofiter aux plaisirs qu'elle Btait censke defendre. On le voit bien dans toutes les demons- trations par I'absurde, dans les grbves du zble, mais aussi dans certains comportements niasochistes de derision par soumission. La premibre manibre de renverser la loi est ironique, e t I'ironie y apparait comme un art des principes, de la remonUe Vers les principes, e t du renversement des principes. La seconde est I'humour, qui est un a r t des cons6quences e t des descentes, des suspens e t des chutes. Faut i l comprendre que la repdtition siirgit dans ce suspens comme dans cette remontke, comme si I'existence se reprenait e t se r reitirait a en elle-meme, dbs qu'elle n'est plus contrainte par les lois ? La repetition appartient h I'humour e t h I'ironie ; elle est par nature transgression, excep- tion, manifestant toujours Une singularite contre les particuliers soumis A la loi, un univenel contre les gheralitks qui font loi.

Il y a une force commune A Kierkegaard et B Nielrsche. (I1 faudrait y joindre PCguy pour former Ie triptyque du pasteur, de I'antkchrist e t du catholique. Chacun des trois, B sa manikre, fit de la rCpktition non seulement une puissance propre du lan- gage e t de la pensee, un pathos e t Une pathologie suptkieure, mais la categ-orie fondamentale de la philosophie de I'avenir. A

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chacun corrcspond un Teslamcnt, e t aussi un Thk%tre, Une coneeption du tlikitre, e t un personnage Bminent dans ce thkatre comme hdros de la repttition : Job-Abraham, Dionysos-Zara- thoustra, Jeanne dlArc-Clio). Ce qui les sfpare est considernble, manifeste, bien connu. Mais rien n'eflacera cette prodigieuse rencontre autour d'une pensfe de la rtipklition : ils opposenl la rdpdlilion d loules les formes de la gdridralild. E t le mot i rdpeti- tion u, ils ne le prennent pas de manikre mdtapborique, ils ont au contraire une cerlaine manibre de le prendre i la lettre, e t de le faire passer dans le style. On peut, on doit d'abord nume- roter les principales propositions qui marquent entre cux la cofncidence :

10 Faire de la r&p&tition mkme quelque chose de nouveau ; la lier A une epreuve, i Une sklection, a Une epreuve selective ; la poser comme objet supreme de la volonte et de la libertk. Kierkegaard prdcise : non pas tirer de la repetition quelque cliose de nouveau, non pas lui soutirer quelque cliose de nou- veau. Car seule la contemplation, I'esprit qui contemple du dehors, U soutire r. I1 s'agit au contraire d'agir, dc faire de la repetition comme telle Une nouveaute, c'est-h-dirc une libertb e t une ticbe de la libert8. E t Nietzsclie : liberer la volonte de tout Ce qui I'enchatne en faisant de la r6pdtition I'objet mkme du vou- loir. Sans doute la rfpetition est-elle dejA Ce qui enchalne ; mais si I'on meurt de la repktition, c'est elle aussi qui sauve e t qui g d r i t , e t qui guerit d'abord de I'autre repetition. Dans la rdpe- tition, il y a donc A la fois tout le jeu mystique de la perte e t du salut, tout le jeu thedtral de la mort e t de la vie, tout le jeu positif de la maladie e t de la sante (CI. Zarathoustra malade e t Zarathoustra convalescent, par Une seule e t mkme puissance qui est celle de la rdpetition dans I'eternel retour).

20 Dbs 101%. opposer la repktition aux lois de la Nature. Kierkegaard declare qu'il ne perle mkme pas du tout de la r8pe- Lition dans la nature, des eycles ou des Saisons, des echanges e t des egalites. Bien plus : si la repetition concerne le plus interieur de la volonte, c'est parce que tout change autour de la volont8, conformement c i la loi de nature. D'aprbs la loi de nature, la ri.pi.tition est impossible. Ces1 pourquoi Kierkegaard condamne, sous le nom de repftition esthetique, tout ellort pour oblenir la rbpetition des lois de la nature, non seulement comme I'epi- curien, mais fiit-ce comme le stoicien, en s'identifiant au principe qui IegifPre. On dira que, chez Niettsche, la situation n'est pas

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si claire. Pourtant les déclarations de Nietzsclie sont formelles. S'il découvre la répétiticin dans la Physis elle-même, c'est parce qu'il découvre dans la Physis quelque chosc de supérieur au ritgne des lois : une volonté se voulant elle-mème A travers tous les changements, une puissance contre la loi, un inlérieur de la terre qui s'oppose aux lois de la surface. Nietzsche oppose 6 son i,

hypothi.se A l'hypothèse cyclique. II conçoit la répétition dans l'éternel retour comme Etrc, mais il oppose cet dtre A toute forme légale, à l'être-semblable autant qu'a I'ètre-égal. E t com- ment le penseur qui poussa le plus loin la critique de la notion de loi pourrait-il ~Eintroduire l'éternel retour comme loi de la nature ? Comment lui, connaisseur des Grecs, seraitil fondé A estimer sa propre pensée prodigieuse et nouvelle, s'il se contentait de formuler cette platitude naturelle, cette génPralitC de la nature bien connue des Anciens ? A deux reprises, Zarathoustra corrige les mauvaises interprétations de I'éternel retour : avec colkre, contre son démon (n Esprit de lourdeur ... ne simplifie pas trop de clioses ! r) ; avec douceur, contre ses animaux (II O espii.gles, 6 ressasseurs... vous en avez dPjA fait une ren- gaine ! n). La rengaine, c'est l'&terne1 retour comme cycle ou circulation, comme ètre-semblable e t comme ètre-égal, bref comme certitude animale naturelle e t comme loi sensible de la nature elle-mgme.

30 Opposer la répftition A la loi morale, en faire la suspension de l'éthique, la pensiie de par-dela le bien e t le mal. La répé- tition apparatt comme le logos du solitaire, du singulier, le logos du a penseur privé n. Chez Kierkegaard e t chez Nietzsche, se développe 1'opposil.ion du penseur privé, du penseur-comète, porteur de la rdptlilion, avec le professeur public, docleur de la loi, dont le discours de seconde main proci.de par rnMiolion e t prend sa source moralisant,e dans la gi.ni.ralité des concepts (cf. Kierkegaard contre Hegel, Nietzsche contre Kant e t Hegel, e t de ce point de vue Péguy contre la Sorbonne). Job est la contestation infinie, Abraham, la résisnation infinie, mais les deux sont une seule et mème chose. Job met en question la loi, de maniGre ironique, refuse toutes les explications de seconde main, destitue le général pour atteindre au plus singulier comme principe, comme universel. Abraham se souinet Iiumoristique- ment A la loi, mais retrouve précisément dans cette soumission la singularité du fils unique que la loi commandait de sacrifier. Telle que l'entend Kierkegaard, la répétition est le corrc'lat transcendant commun de la contestation e t de la résignation

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comme intentions psychiques. (Et l'on retrouverait les deux aspects dans le dddoublement de Péguy, Jeannc d'Arc e t Ger- vaise.) Dans I'athbisme éclatant de Nietzsche, la haine de la loi et I'amor fali, I'agressivilé e t le consentement sont le double visage de Zarathoustra, recueilli de la Bible el retourné contre elle. D'iinc certaine maniPre encore, on voit Zarathoustra riva- liser avec Icant, avec I'bpreuve de la rPpétition dans la loi morale. L'éternel retour se dit : quoi que tu veuilles, veuille-le de telle manière que tu en veuilles aussi l'éternel retour. 11 y a 16 un m for- malisme n qui renverse Kant sur son propre terrain, une Cpreuve qui va pliis loin, puisque, au lieu de rapporter la rbpétition B une loi morale supposie, elle semble fairc de la répétition méme la seule forme d'une loi par-del& la morale. Mais en réalité, c'est encore plus compliqué. La forme de la répbtition dans l'éternel retour, c'est la forme brutale de l'immédiat. celle de I'universcl et du singulier rhnis , qui détriine toute loi gCnPrale, fait fondre les médiations, périr les particuliers soumis c i la loi. Il y a un nu-delA de la loi, e t un en-des& de la loi, qui s'unissent dans I'fternel retour comme l'ironie e t l'humour noirs de Zatatlioustra.

40 Opposer la répétition non seulement aux généralités de l'habitude, mais aux particularit6s de la mémoire. Car peut- être esLce l'habitude qui arrive A a tirer n quelque chose de nouveau d'une répétition contemplée du dehors. Dans I'habi- tude, nous n'agissons qu'A condition qu'il y ait en nous un petit Moi qui contemple : c'est lui qui extrait le nouveau, c'esta-dire le g6néra1, de la pseudo-répétition des cas particuliers. E t la mémoire, peut-être, retrouve les particuliers fondus dans la généralité. Peu importent ces mouvements psychologiques ; chez Nietzsche et chez Kierkegaard, ils s'eNacent devant la répétition posée comme la double condamnation de I'habitude et de la mémoire. C'est par IB que la répétition est la pensée de l'avenir : elle s'oppose A la catégorie antique de la réminiscence, et B la catdgorie moderne de I'habilus. C'est dans la r6pétition, c'est par la rkpétition que l'oubli devient une puissance positive, et I'inconscient, un inconscient supérieur positif (par exemple l'oubli comme force fait partie intégrante de l'expérience vécue de 1'6ternel retour). Tout se résume dans la puissance. Lorsque Kierkegaard parle de la répétition comme de la seconde puis- sance de la conscience, a seconde n ne signifie pas une deuxiéme fois, mais l'infini qui se dit d'une seule fois, l'éternité qui se dit d'un instant, I'inconscient qui se dit de la conscience, la puis- sance a n a. Et quand Nietzsche présente l'éternel retour comme

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I'expression imm6diate de la volonM de puissance, volonM de puissance ne signifie nullement U vouloir la puissance r, mais au contraire : quoi qu'on veuille, porter Ce qu'on veut Q la a nibme r puissance, c'est-Q-dire en dAgager la forme suphrieure, grfice B I'opdration sdlective de la pensde dans I'dternel retour, grfice Q la singularitd de la dphtition dans I'eternel retour lui-meme. Forme supdrieure de tout ce qui est, voilB I'identik immediate de l'dternel retour e t du surhomme'.

Nous ne suggCmns aucune ressemblance entre le Dionysos de Nietzsche e t le Dieu de Kierkegaard. Au contraire, nous supposons, nous croyons que la diflerence est infranchissable. Mais d'autant plus : d'oi~ vient la coincidence sur le theme de la rdpktition, sur cet objectif fondamental, m6me si cet objectif est congu de facon diverse ? Kierkegaard e t Nietzsche sont de ceux qui apportent B la philosophie de nouveaux moyens d'ex- pression. On parle volontiers, & leur pmpos, d'un ddpassement de la philosophie. Or Ce qui est en question dans toute leur muvre, c'est le rnouuement. Ce qu'ils reprochent & Hegel, c'est d'en rester au faux mouvement, au mouvement logique abstrait, c'esbB-dire B la a mddiation r. Ils veulent mettre la mdtaphy- sique en mouvement, en activiu. 11s veulent la faire passer Q I'acte, e t aux actes immddiata. I1 ne leur suffit donc pas de proposer Une nouvelle reprdsentation du mouvement ; la repr& sentation est ddjB mddiation. I1 s'agit au contraire de pmduire dans I'oeuwe un mouvement capable d'dmouvoir I'esprit hora de toute repdsentation ; il s'agit de faire du mouvement lui- meme Une ceuvre, sans interposition ; de substituer des signes directa B des repdsentations mCdiates ; d'inventer des vibra- tions, des rotations, des tournoiements, des gravitations, des danses ou des sauts qui atteignent directement I'esprit. Cela, c'est Une idee d'homme de thdatre, Une idde de metteur en scbne

I. Dans la comparabn qui p W d e , lea lextes auxquela noua nous rdf6roM sont p a m i lea plus connus de Nielzsche s t de Kierkegaard. Pour KIERKE- GAARD, il a'agit de : La rdpllilion (trad. e t M. TISSEAU) ; des paasages du Jour- nnl IIV. B 117. oubliCa en aooendice de La traduclion T i s s e ~ u l : Crainlc CI

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vision e t de 1'Bnime ei . Le eonva lexek B, l'uh cokernant ~arathoustra malade e t d i s eu lh l avec w n dBmon. I'autre, Zarnlhoiinlrn convale5cenl dia- cutnnt nvec 8e8 animaux); mais ausli LM notes de Ir'!!-1882 (ou Nietznrhe nnnoae eroliciternent . ann bvnoth0ß.e 6 i'hvontIiP~e cvrliirue. i.1 criliirut. toutca .-. ....... ~~.~~~~~~~ ~

les notions de recsemblance, a'6palit6, d'eqüilibre e t d'i<l&ntite. CI. t'olonl~ dc puiasonce, trnd. B t ~ x p v i s , N.R.F., t . I, pp. 295-301). --- Pour Pkcuu, enfln, on se reportera essentiellemenl B Jeannc CArc e t 6 Clio.

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- en avance sur son temps. C'est en ce Sens que quelque chose de tout Q fait nouveau commence avec Kierkegaard e t Nietzsche. 11s ne r6ildchissent plus sur le thkfitre Q la maniere hdgelienne. 11s ne font pas davantage un thCatre philosophique. 11s inven- tent, dans la philosophie, un incroyable Aquivalent de thdatre, e t par lh fondent Ce thdstre de I'avenir en meme temps qu'une philosophie nouvelle. On dira que, au moins du point de vue thbatre, il n'y a pas du tout rCalisation; ni Copenhague Vers 1840 e t la profession de pasteur, ni Bayreuth e t la rupture avec Wagner, n'dtaient des conditions favorables. Une chose est certaine, pourtant : quand Kierkegaard parle du thdfitre antique e t du drnme moderne, on a ddjb changd d'dlCment, on ne se tmuve plus dans I'Alement de la rdilexion. On ddcouvre un penseur qui vit le pmbl6me des masques, qui 6pmuve ce vide intdrieur qui est le propre du masque, et qui cherche h le combler, B le remplir, tut-ce par U I'absolument difldrent n, c'est-&-dire en y mettant toute la difldrence du fini e t de I'infini, e t en crdant ainsi I'id6e d'un thdatre de I'bumour e t de la foi. Quand Kier- kegaard explique que le chevalier de la foi ressemhle B s'y mC- prendre Q un bourgeois endimanchd, il faut prendre cette indi- cation philosophique comme Une remarque de metteur en scbne, montrant comment le chevalier de la foi doit etre jout!. E t quand il commente Job ou Abraham, quand il imagine les variantes du conte Agnes el le Triton, la manibre ne trompe pas, c'est Une manibre de schnano. Jusque dans Abraham et dans Job, dsonne la musique de Mozart ; et il s'agit de r sauter n, sur I'air de cette musique. .r J e ne regarde qu'aux mouvements n, voilQ une phrase de metteur en Scene, qui Pose le plus haut pmbl&me thdfitral, le problbme d'un mouvement qui atteindrait direc- tement I'fime, et qui serait celui de I'fimel.

A plus forte raison pour Nietzsche. La Naissance de Ia Tra- g6die n'est pas Une rdflexion sur le th6fitre antique, mais la fondation pratique d'un thdltre de I'avenir, I'ouverture d'une voie dans laquelle Nietzsche croit encore possible de pousser Wagner. E t la rupture avec Wagner n'est pas aflaire de thCorie ; elle n'est pas non plus aflaire de musique ; elle conceme le rale

1. Cf. KieriuaoAArio, Cralnlc et Imnblcmcnl (trad. Tisse*~. Aubler, pp. 52-67) sur Ia nature du mouvement &I. qui es1 . rhp6lition e t non pas mhdialion, e t qui s'oppose au faux mouvement logiqiie abstrait de Hegel, cf. les remarques du Journal, en appendice b In RLpLfilion, trad.-6d. T i s s e ~ u . -On trouve aussichez P ~ G U Y Une critique prolonde du C mouvrment logique .. Phpiy denonce celui-ci comme un seudo-mouvement, conservateur, accumu- Iiteur e t capitalisateur : cf. Clio, Ii?".l;., pp. 45 sq. C'est proche de Ia critique kierkegaardienne.

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gaard nous propose un th6Atre de la foi ; c l ce qu'il oppose au mouvement logique, c'est le mouvement spiriturl, le mouvement de la foi. Aussi peut-il nous convier B dtpasscr toute r6pttition esthetique, B dEpasser I'ironie e t meme I'huniour, toiit en saclrant, avec souflrance, qu'il nous propose seulement I'imape estli&tique, ironique e t hurnoristique d'un tel di.passcmcnt. Chrz Kictzsche, c'est un th6Atre de I'incroyance, du inouvemeni cornme Physis, dejh un thkdtre de la cruaute. L'liumour e t I'ironic y sont indt- passables, opkrant au fond de la nature. E t que serait I'6ternel retour, si I'on oubliait qu'il est un mouvement vertipincux, qu'il est doub d'une force de sklectionner, d'expulser comme de crter, de dktruire comme de produire, non pas de faire revenir Ie hl8me en gtneral ? La grande idee de Nictzsche, c'est de fonder la rcpc- tition dans I76tcrnel retour i la fois sur In mort de Dieu e t sur la dissolution du Moi. Mais dans le th6btre de la foi, I'alliance est tout autre; Kierkegaard la revc entre un Dicu CL un moi retrouves. Toutes sortes dc diGrences s'enchafnent : le mou- vement est-il dans la spliere de I'esprit, ou bicn dans les entrailles de la terre, qui ne connalt ni Dieu ni moi ? 0 u se trouvcra-L-il mieux prottgi. contre les gdntralitts, contre les m t d i .I I ' ions ? La rtptt.ition est-elle surnaturellc, dans la mesure ou elle est au-dessus des lois dc la nature ? Ou bien est-clle le plus naturcl, volonte de la Nature eil elle-meme e t SC voulant. clle-nibnic comme Physis, parce que la nature est par e l le-rnhe suptrieure Q ses propres ri.gnes e t j. ses propres lois ? Icierkegaard, dans sa condarn- nation de la rbp6Lilion n eslhktique a, n'a-L-il pas mdangb toutes sortes de choses : Une pseudo-rbp6t.iLion qu'on attribuerait aux lois gbn6rales de la nature, Une vraie r6pktition dans la nature elle-meme ; une repdtition des passions sur un mode patliolo- gique, Une r6pi.tition (Ians I'art e t I'ceuvre d'art ? Nous ne pou- vons mainteiiant rtsoudre aucun de Ces probl6mes; il nous a suf i de trouver la confirmation thhbtrale d'une diflercnce irrcduclible entre 1a genkralitt e t la rkptlition.

Repetition e t gGnbralitk s'opposaient du point de vue de la conduite e t du point de vuc de la loi. I1 laut encore preciser la troisiEme opposilion, du point de vue du concept ou de la reprt- sentation. Posons Une question quid juris : le concept peut Gtre en droit celui d'une chose parliculi+re exislante, ayant alors Une compr6hension infinie. La comprfhrnsiun infinie est le rorrflat d'iine extension = 1. II importe fort quc cet infini de la

comprkhension soit. pos6 comme actuel, non Pas comme virtucl ou simplcmcnt iiidbfini. C'est B cette condition que les prtdicats commc momcnts du concept se conservent. e t ont un eiTrt dans le siijet auqurl ils s'attribuent. La comprChension inlinie rend ainsi possihle la remfmoration e t la recopnition, la nibmoire e t la conscience de soi (mEmc quand ces dcux IacultPs ne sont pas infinies pour lcur c0rnpt.e). On appellc reprdsentalion le rapport du concept e t dc son ohjet. sous ce double aspect,, tel qu'il se trouve cflectuk dans celtc mEmoire e t cette conscience de soi. On peilt en tirer Irs principes d'iin lribnizianisme vulgarise. D'apri:~ un principe de difltrencr, toute dClerminaLion est concep- tucllc en drrnii.re instnnce, ou fait acluellement partie de la compr~hension d'un concept. D'aprhs un principe de raison sullisonte, il y a toiijours un concepl. par clrose particulic:re. D'aprCs In rkciproque, prinripe des indiscernnbles, il y a une chose e t une seule par concrpt,. 1,'ensemble dc ces principes forme I'esposition de la difl6rence comme difl6rence concepluelle. ou le

a Ion. d6vrloppement de la reprtscntation comme m6di t ' Mais un concept pciit toujours 6tre bloquk, au niveau de

chacune de ses dbterminations, de chacun des predicats qu'il comprend. Le propre du predicat comme ddtermination, c'est dc restcr fixe dans lc concept, tout en devenant autre dans la chose (animal devient autre en homme et en cheval, humanitb, autre en Pierre e t Paul). C'est meme pourquoi la comprehrnsion du concept est infinie : dcvenu autre dans 13 chose, Ie prtdicat est comme I'objet d'un autre prbdicat dans le concept. Jlais c'est pourquoi aussi chaque dbtermination reste gbnbrale ou dbfinit Une ressrmblance, en tant que fixee dans le concrpt c t convenant en droit ?I iine infinite de choses. Le concept, ici, est donc constitue de tcllc facon que sa comprkhension va B I'infini dans son usage reel, mais est toujours passible d'un blocage artificiel dans son usage logique. Toute limitation logique de la compr6hension du concept le dote d'iine extension superieure B 1, infinie en droit, donc d'une gtntralitb telle qu'aucun individu existant ne peut lui correspondre hic el niinc (regle du rapport inverse de la comprb- hension e t de I'extension). Ainsi le principe de dilTfrence, comme diflerence dans le concept, ne s'opposc pas, niais au contraire laisse le plus grand jru possible B I'apprkhension drs rrssem- blanccs. DkjA, du point de vue des devinettcs, la question r quelle diflercncc y a-t-il ? W perlt toujours SC transformer rn : quelle rcssemblance y a-I-il ? Xais surtout. daris Ies classifica- tions, In determination des cspCccs implique e t supposc une Bvaluation continue des ressemblances. Sans doute la ressem-

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blance n'est pas Une identitd partielle ; mais c'est seulement parce que le prddicat dans le concept, en vertu de son devenir- autre dans la chose, n'est pas Une partie de cette chose.

Nous voudrions marquer la dilference entre ce type de blocage artificiel e t un tout autre type, qu'on doit appeler blocage naturel du concept. L'un renvoie Q la simple logique, mais I'autre, Q Une logique transeendantale ou Q Une dialsctique de I'existence. Supposons en eflet qu'un concept, pris Q un moment dltermind oii sa comprdhension est finie, se voit assigner de force Une place dans I'espace e t dans le temps, c'est-h-dire Une existence corres- pondant normalement Q I'extension = 1. On dirait alors qu'un genre, Une espkce, passe h I'existence hic ef nunc sans augrnenta- tion de comprdliension. I1 y a dbchirement entre cette exten- sion = 1 imposee au concept et I'extension = co qu'exige en principe sa comprbhension faible. Le rlsultat va Btre Une a exten- sion discrkte n, c'est-h-dire un pullulement d'individus absolument identiques quant au concept, e t participant de la meme singula- rite dans I'existence (paradoxe des doubles ou des jumeaux)'. Ce phlnombne d'extension discrete implique un blocage naturel du concept, qui diflkre en nature du blocage logique : il forme Une vraie rdpdtition dans I'existence, au lieu de constituer un ordre de ressemblance dans la pensbe. I1 y a Une grande diflbrence entre la gdn8ralit6, qui dlsigne toujours Une puissance logique du concept, e t la rdpdtition, qui tbmoigne de son impuissance ou de sa limite reelle. La rdpbtition, c'est le foit pur d'un concept B comprdhension finie, force de passer comme tel h I'existence : connaissons-nous des exemples d'un tel Passage ? L'atomc epi- curien serait un de ces exemples ; individu localisb dans I'espace, il n'en a pas moins une comprdhension pauvre, qui se rattrape en extension discrbte, au point qu'il existe Une infinit8 d'atomes de meme forme et de mdme taille. Mais on peut douter de I'existence de I'atome dpicurien. En revanche, on ne peut douter de I'exis- tence des mots, qui sont d'une certaine maniere des atomes lin- guistiques. Le mot possbde Une comprdliension ndcessairement finie, puisqu'il est par nature objet d'une definition seule- ment nominale. Nous disposons I& d'une raison pour laquelle la compr&hension du concept nepeul pas aller b I'infini : on ne definit un mot que par un nombre fini de mots. Pourtant la parole et I'dcriture, dont il est indparable, donnent au mot Une existence hic el nunc ; le genre passe donc B I'existence en tant que tel ; e t

1. La lormulw et Le ph6nombne de I'exlwnsion discfhlw sont bien d6gagbs par Michel Tournier dans un texte h paraltre.

I& encore I'extension se rattrape en dispersion, cn discrbtion, sous le signe d'une repetition qui forme la puissance n5clle du langage dans la parole et dans I'dcriture.

La question est : y a-t-il d'autres blocages naturels que celui de I'extension discreto ou de Ia comprehension finie ? Supposons un concept B comprehension ind6finie (virtuellement infinie). Si loin qu'on aille dans cette comprehension, on pourra toujours penser qu'il subsume des objets parlaitement identiques. Contrai- rement Q ce qui se passe dans I'infini actuel, oii le concept suflit en droit Q distinguer son objet de foul autre objet, nous nous trouvons maintenant devant un cas ou le concept peut pour- suivre inddfiniment sa comprehension, tout en subsumant tou- jours Une pluralite d'objet elle-meme indeifinie. LQ encore le concept est le hleine - inddfiniment le meme - pour des objets distincts. Kous dcvons alors rcconnaitre I'existence de difldrences non conceptuelles entre ces objets. C'cst I<ant qui marqua 1e mieux la corr~lation entre des concepts douds d'une specification seulement indEfinie et des ddterminations non conceptuelles, purement spatio-temporelles ou oppositionnelles (paradoxe des objets sym8triques)l. Mais pn5cisdment ces d6tcrminations sont seulement les figures de la rep6tition : I'espace e t le temps sont eux-mhes des milieux rlpdtitifs ; et I'opposition reelle n'est pas un maximum de diftdrence, mais un minimum de rdpktition, Une rdpdtition rdduite B dcux, Iaisant retour et tcho sur soi, Une rlpdtition qui a trouve le moyen de se dgfinir. La rdpetition apparait donc comme la diiErence sans concept, qui se derobe Q la dilference conceptuelle indefiniment continule. Elle exprime Une puissance propre de I'existant, un entetement de I'existant dans L'intuition, qui rdsiste h toute spdcification par ie eoncept, si loin qu'on pousse celle-ci. Si loin que vous alliez dans le eoncept, dit lcant, vous pourrez toujours rkpeter, c'est-h-dire lui laire correspondre plusieurs objets, au moins deux, un pour la gauche

I. Chez Iiont, il y a bien Une dp6ciIicaLion inflnie du concept; mais pure0 que cet inflni n 'ed qiie virluel (indbnni), On ne peut en tirer aucun argument lavorable B la positiun d'un principe des indiscernables. - Au conlrsire. selon I . e i s~ i z , il imporle beaucoup que la CornprEhension du concept d'un exislant (possible ou rbel) soit ncluellemenl iniiriio : Leibniz l'amrme clairernent dans Dc lu libcrle ( E Dieu seul voit, non certes, la fln de la rbsolulion. fln qui n'a

as lieu ... s) . Lorsque Leibniz emploie le mot . virlueuement I pour caraclbriser Finhbrence du predieat dans le cas des v6rites de laiL (psr exernple, ßiscours dc rndlaphysiquc, 8 8\, virluel doit alors @lre entendu, non pas comrne le contraire d'ncluel, mais cornrnw signiflant . enveloppe n, - irnpliquC n,. irnpresse B, Ce qui n'cxclul nullcment I'acliialit6. Aii Sens slrict, la nalion de virlue! es1 bien inunniibm I .ihnir. rnnis seulernent "ro~os d9une esp&ce de verile3s nbces- .... ~ ~ ~

saires [proposilions non rbcipmques) : cl. D G 10 liberlz.

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. . Le discret, l'aliBn6, le refoulh sont les trois cas de blocage

naturel, correspondant aux concepts nominaux, aux concepts de la nature e t aux concepts de la liberth. Mais dans tous ces cas, on invoque la forme de I'identique dans le conc~pt , la forme du Meme dans la reprksentation, pour rendre compte de la rbpk- tition : Ia r6p6tition Se dit d'dlements qui sont rerllcment dis- tincts, e t qui, pourtant, ont strictement le meme concept. La rep6tition apparatt done comme Une difIGrencc, mois Une dif- fbrence absolument sans concept, en Ce sens difierencc indific- rente. Les mots U rbellement V , n strictement D, a absolument D

sont censes renvoyer au phPnomi.ne du blocage naturel, par opposition au blocage logique qui ne determine qu'une g6nhralitb. hlais un grave inconvenient compromet toute cette tentative. Tant que nous invoquons I'identite absolue du conccpt pour des objets distincts, nous sugghrons seulement Une explication nega- tive e t par defaut. Que ce dPfaut soit fondb dans la nature du concept ou de la reprPsentat.ion m h e s n'y change rien. Dans le premicr cas, il y a repktition parce que le concept nominal a naturellemcnt Une comprkliension finie. Dans le second cas, il y a rhpetition parce que le concept de la nature est naturellement sans mCmoire, aliene, hors de soi. Dans le troisiemc, parce que le concept de la liberte reste inconscient, le souvenir e t la repre- sentation, refoulPs. Dans tous les cas, ce qui rkpkte ne Ie fait qu'3 force de ne pas a comprendre B, de ne pas se souvenir. de ne pas savoir ou de n'avoir pas conscience. Partout. c'est I'insuffi- sance du concept e t de Ses concomitants reprksentatifs (n iho i re e t conscience de soi, rememoration et recognition) qui est censce rendre compte de la r6pc;tiLion. Tel est donc le defaut de tout argument fondd sur In forme d'identite dans le concept : Ces arguments ne nous donncnt qu'une definition nominale e t Une explication negalive de la rkpetition. Sans doute peut-on opposer I'identite formelle qui correspond au simple blocage logique, e t I'identil8 r6clle (le Aferne) Lelle qu'elle apparatt dans le blocage nalurel. hlais le blocage naturel a lui-mGme brsoin d'une force positive supra-conceptuelle capable de I'expliquer, et. d'expliquer du meme coup la rhpbtition.

Rcvenons B I'exemple de la psychanalyse : on r6pbte parce qu'on refoule ... Freud ne s'est jamais satisfait d'un tel Schema negatif oii I'on explique la repetition par I'amn6sie. II est vrai que, des le dhbut, le refoulement designe Une puissance positive. Mais

INTRODUCTION 27

cette positivit6, il I'empmnte au principe de plaisir ou au prin- cipe de rhalitb : positivite seulement dkrivke, e t d'opposition. Le grand tournant du freudisme apparait dans Air-deld du prin- cipe de plaisir : I'instinct de mort est decouvert, non pas en rapport avec les tendances destructives, non pas en rapport avec I'agressivite, mais en fonction d'une consideration directe des ph6nombnes de rep6tition. Bizarrement, I'insLinct de mort vaut comme principe positif originaire pour la repktition, c'est IB son domaine et son sens. I1 joue le röle d'un principe transcen- dantal, tandis que le principe de plaisir est seulement psycholo- gique. C'cst pourquoi il est avant tout silencieux (non donne dans I'exphrience), tandis que le principe de plaisir est bmyant. La premiere question serait donc : comment le tlikme de In mort, qui semble recueillir le plus ndgatif dans la vie psychologique, peut-il Btre en soi le plus positif, transcendantalement positif, au point d'affirmer la rbpetition ? Comment peut-il 6tre rapportk B un inslinct primordial ? Mais Une seconde question recoupe immkdiatement celle-lh. Sous quelle forme la repetition est-elle afirmbe e t prescrite par I'instinct de mor t ? Au plus profond, il s'agit du rapport entre la repktition et les d6guisements. Les dlguiscments dans le travail du r6ve ou du sympt6me - la condensation, le deplacement, 1a dramatisation - viennent-ils recouvrir cn I'attenuant Une repetition bmte e t nue (comme repetition du Meme) ? Dbs la premikrc theorie du refoulement, Freud indiquait Une autrc voie : Dora n'blabore son propre role, e t nc rkpete son amour pour le pere, qu'8 travers d'autres röles tenus par d'autres, e t qu'elle tient elle-meme par rapport 8 Ces autres (K, Mme I<, la gouvernante ...). Les dßguisements e t les variantes, les masques ou les travestis, ne viennent pas U par- dessus n, mais sont au eontraire les elements g8netiques internes de la rbpbtition meme, ses parties inteigrantes e t constituantes. Cette voie aurait pu diriger I'analyse de I'inconscient Vers un veritable thkeitre. Toutefois, si elle n'aboutit pas, c'est dans la mesure ou Freud ne peut s'empecher de maintenir le modele d'une rbpktition bmte, au moins comme tendance. On le voit bien quand il attnbue la fixation au Ca ; le dßguisement est alors compris dans la perspective d'une simple opposition de forces, la dpetition dbguisee n'est plus que le fruit d'un compromis secondaire entre les forces oppodes du hloi e t du Ca. MBme dans I'au-delB du principe de plaisir, la forme d'une repetition nue subsiste, puisque Freud interprEte I'instinct de mort comme Une tendance B revenir h I'etat d'une matiere inanimbe, qui maintient le modele d'une rkpktition toute physique ou materielle.

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La mort n'a rien t~ voir avec un modele matkriel. JI suflit de comprendre au contraire I'instinct dc mort dans son rapport spirituel avec les masques e t les travestis. La rkpdtition est vraiment Ce qui se dkguise en se constituant, Ce qui ne se constitue qu'en se dkguisant. Elle n'est pas sous les masques, mais se forme d'un masque Q I'autre, comme d'un point remarquable Q un autre, d'un instant privilPgik Q un autre, avec e t dans les variantes. Les masques ne recouvrent ricn, sauf d'autres masques. 11 n'y a pas de premier terme qui soit rkpbtk ; e t meme notre amour d'enfant pour 1a m6re rdphts d'autres amours d'adultes Q I'kgard d'autres femmrs, on peu comme le hkros de la Recherche rejoue avec sa mBre la passion dc Swann pour Odettc. I1 n'y a donc rien de repkti. qui puisse dtre isol8 ou abstrait de la rkpdtition dans laquelle il se forme, mais aussi dans laquelle il se cache. I1 n'y a pas de rkpktition nue qui puisse 6tre abstraite ou 1nfkrPo du dkguisement lui-mdme. La meme cliose est dkguisante e t ddgtiisee. Un nioment dkcisif de la psychanalysc fut celui ou Freud renonga sur certains points Q IVhypoth&se d'8vknements rbels de I'enfance, qui seraient comme des termes ultimes dkgiiis8s, pour y substituer la puissance du fantasme qui plonge dans I'instinct de mort, oU tout est dej8 masque e t encore deguisement. Brrf, la r6p6tition est syrnbolique dans son essence, le symbole, le simulacrc. est la lettre dr la rdpktition mdme. Par le dkguisement e t I'ordre du symbole, la dillerenco est comprise dans la rkpktition. C'est pourquoi les variantes ne viennent pas du dehon, n'expriment pas un compromis secondaire entre une instance refoulante e t Une instance refoulke, e t ne doivent pas se comprendre Q partir des formes encore negatives de I'opposition, du retournement ou du renversement. I.es variantes expriment plut6t des mecanismes dilldrrntiels qui sont de I'cssence e t de la genese de cc qui se rkpete. II faudrait mkmc renverser les rap- ports du a nu I, e t du U vktu r dans la rkpktition. Soit Une rkpk- tition nue (comme rkpdtition du MGmc), par exemple un ckrk- monial obsessionnel, ou Une stbrdotypie schizophr8niqiie : ce qu'il y a de mkcanique dans la rdpktition, I'klkment d'action apparemment rkpEtk, sert de couverture pour Une rkpktition plus profonde, qui se jouc dans Une autre dimension, verticalitk secrbte oii les rdles et les masques s'alimentent Q I'instinct dc mort. TlikBtre de la terreur, disait Rinswanger 8 propos de la schi7.ophrknie. E t le a jamais vu P n'y est pas le contruire du

dejQ vu n, tous deux signifient la mdme chose e t sont vPcus I'un dans I'autre. La Sqliiie de Nerval nous introduisait dEj8 dans ce thdiitre, e t la Grodiuo, si proche d'une inapiration nervalienne,

INTRODUCTION 29

nous montre le hkros qui vi t 8 la fois la rdpktition comme telle. et Ce qui se rkphte comme toujours deguisk dans la rbpetition. Dans I'analyse de I'obsession, I'apparition du t h h e de la mort coincide avec le moment ou I'obs8dk dispose d r tous les per- sonnages de son drame, e t les rkunit dans Une dpktition dont le a ckrkmonial n est seulement I'enveloppc exterieure. Partout c'est le masque, c'rst le travesti, c'est le vPtu, la vkritk du nu. C'est le masqiie, le veritable sujet de la repetition. C'est parce que la rkpktition diflEre rn nature dc la reprksentation, que le rkpktk ne peut &tre reprcsent8, mais doit toiijours 6tre signifik, masquk par Ce qui le signifie, masquant lui-m6me ce qu'il signifie.

J e ne r&p&te pas parce que je rcloule. J e refoule purce qiie je rbp&te, j'oublie parce que jc rkpete. J e refoule parce qur, d'abord, je ne peux vivre certaines choses ou certaines experienres que sur le mode de la rkpktition. J e suis dktermink Q refouler cc qui m'empecherait de les vivre ainsi : c'est8-dire la reprksentation, qui mkdiatise le vkcu en le rapportant 8 la forme d'un objet identique ou semblable. Er6s e t Thanatos se distinguent en ceci qu'dr6s doit etre rkpPtA, ne peut 6tre vkcu que dans la rkpktition, mais que Thanatos (comme principe transcendantal) est Ce qui donne la rkpktition Q Eros, ce qui soumet Eros Q la rkpktition. Seul un tel point de vue est capable de noiis faire avancer dans les problernes obscurs de I'origine du reloulement, dc sa nature, de ses causes e t des termes exacts sur lesquels il porte. Car lorsque Freud, au-del8 du refoulement rn proprement dit n qui porte sur des reprt!senlolions, montre la ndcessitc? de poser un reloulement originaire, concernant d'abord des prlsenlalions pures, ou la manihre dont les pulsions sont ndcessnirement vkcues, nous croyons qu'il s'approche au maximum d'une raison positive interne de la rkpktition, qui lui paraitra plus tard dktrrminable dans I'instinct de mort, e t qui doit expliquer le blocage de In reprksentation dans le refoulement proprement dit, loin d'llre expliquk par lui. C'est pourquoi la loi d'un rapport inverse rkpktition-rcmkmoration est peu sntisfaisante 3 tous kgards, en tant qu'elle fait dkpendre la rkpktition du refoulement.

Freud marquait dEs Ie dkbut que, pour cesser de rkpkter, il ne suilisait pas de se souvenir abstraitemcnt (sans aliect), ni de former un concept en g8nbral, ni mdme de se reprksenter dans toute sa particularitk I'cvEnement refoulk : il fallait aller chercher le souvenir I& oii il ktait, s'installer d'emblke dans le passe pour opErer la jonction vivante entre le savoir e t la rhsistance, la

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reprEsentation e t le blocage. On ne gukrit donc pas par simple mnesie, pas plus qu'on n'est malade par amnesie. 1.h comme nilleurs, la prise de conscience est peu de chose. L'opkration aulrement thedtrale e t dramatique par laquelle on y d r i t , e t uiissi par laquelle on ne gukrit pas, a un nom, le transfert. Or le transfert cst cncore de la rfphtition, avant taut de la rep6titionl. Si la r¿.pi.tition nous rend malades, c'est elle aussi qui nous guCrit ; si elle nous enchalne e t nous dktruit, c'est elle encore qui nous libi.re, tCmoignant dans les deux cas de sa puissance a dkmo- niaque n. Toutc la cure est un voyage au fond de la r6pEtition. I1 y a bien dans le transfert quelque chose d'analope B I'expdri- mcntation scientiiique, puisque le malade est supposk repeter I'ensemble de son trouble daus des conditions artificielles privi- IPgihes, en prenant pour a objet n la personne de I'analyste. Mais In rlpPtition dans le transfert a moins pour fonetion d'identifier des ev<;nements, des personnes e t des passions que d'aulhenlifier des d e s , sPlcctionner des masques. Le transfert n'est pas une expkrience, mais un principe qui fonde I'experience analytique tout entikre. Les rdles eux-mernes sont par nature krotiques, mais I'epreuve des r6les fait appel B Ce plus haut principe. A ee juqe plus profond qui est I'instinct de mort. E n d e t , la r6flexion sur le transfert f u t un motif determinant de la decouverte d'un a au-delB U. C'est en ce Sens que la r&pi.tition constitue par elle- meme le jeu sClectif de notre maladie el de notre santi., de notre perte el de notre salut. Comment peut-on rapporter ce jeu h I'instinct de mort 7 Sans doute en un Sens voisin de celui oit Miller dit, dans son livre admirable sur Rimbaud : I J e compris que j'btais lihre, que la mort, dont j'avais fait I'exptience, m'avait libere. a I1 apparaft que I'idke d'un instinct de mort doit 8tre comprise en fonction de trois exigences paradoxales eomplb- mentaires : donner B la r6petit.ion un principe originel positif, mais aussi une puissance autonome de dbguisement, eniin un Sens immanent oii la terreur se m&le 6troitement au mouvement de la sklection e t de la libert0.

1. Fnsuo invoque prdcisdment le lranslerl pour mellrs sn qusallon sa loi globale du rapport inverse. CI. Au-dcld du principe dc plniair (lrad. S. JAN- K~LBVITCH, Payot, pp. 24-25) : Souvenir e t repmduclion, rem6rnoration e t rEp6tilion s'oppnsent en principe, rnnis il laut pntiquemenl se r+siEner h Ce qiic In malade revive dans in eure ccrlains Cldmcnts rcroul6s ; C le rnpport qui s'6lnblit ainsi entre In reproduclion ct le aouvenir varie d'un cas I< I'aulre S. - Ceux 71ii insist6rent ie plus pmlond6rnenl sur I'aspect Lhdnpeuliqiie et lih6r:ilnire de In r+pbtitinn telle qu'elle apparnlt dans ie tnnslert, furenl F~.:neoiczi e t RANK dans Ennbirlilungziele der Psyehnnniil!,sc (Neiie Arbeileii zur firlrlichan Psychoanalyse, Vienne, 1924).

INTRODUCTION 31

. . Notre problkme concerne i'essence de la rkpktition. I1 s'agit

de savoir pourquoi la rkpetition ne se laisse pas expliquer par la forme d'identite dans le concept ou dans la representation - en quel Sens elle rhclame un principe r positif B supfrieur. Cette recherche doit Porter sur I'ensemble des concepts de la nature e t de la liberte. Considerons, h la frontikre des deux cas, la repetition d'un motif de decoration : une figure se trouve reproduite sous un eoncept absolument identique ... Mais, en rkalite, I'artiste ne procede pas ainsi. I1 ne juxtapose pas des exemplaires de la f i~ure, il combine chaque fois un element d'un exemplaire avec un aulre element d'un exemplaire suivant. I1 introduit dans le processus dynamique de la construction un d6skquilibre, Une instabilith, Une dissymetrie. une sorte de beance qui ne seront conjures que dans I'eflet total. Commentant un tel cas, Levi- Strauss 6crit : r Ces elements s'imbriquent par d~crochcment les uns sur les autres, e t c'est seulemcnt I la iin que la figure trouve Une stabilite qui confirme e t dkment lout ensemble le proc8de dynamique selon lequel elle a Bti? execut6e B'. Ces remarques valent pour la notion de causalite en g6neral. Car Ce qui compte, dans la causalitk artistique ou naturelle, ce ne sont pas les 414- ments de symklrie prdserits, mais ceux qui manquent c t ne sont pas dans la cause - c'est la possibilite pour 1a cause d'avoir inoins de symetrie que I'eflet. ßien plus, ia C R U S R ~ ~ ~ ~ resterait eternellement hypotbbtique, simple categorie logique, si cette possibilite n'etait A un moment quelconque eflectivement remplie. C'est pourquoi le rapport logique de causalite n'eet pns sdparable d'un processus physique de signalisolion, snns lequel il ne posse- rait pas B I'actc. Nous appelons a signal B un systeme doue d'ele- ments de dissymbtrie, pouwu d'ordres de grandeur disparates ; nous appclons U signe B ce qui se passe dans un lel systeme, ce qui fulgure dans I'intervalle, Lelle une communication qui s'etablit entre les disparates. Le signe est bien un eflet, mais I'cflet a deux aspects, I'un par lequel, en tant que s i p e , il exprime la dissy- metrie productrice, I'autre par lequel il tend A I'annuler. Le signe n'est pas tout B fait I'ordre du Symbole ; pouriant, il le prepare en impliquant une diflkrence interne (mais en laissant encore A I'extQieur les conditions de sa reproduction).

L'expression negative U manque dc symbtrie D ne doit pas nous

I. Claude L ~ v I - S r n ~ u s s , Trialcs lmpiquea (Plon, 1955), pp. 197-199.

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abuser : elle dhsigne I'oripine e t In positivite du processus causal. Elle est Ia posit.ivit6 mt.mc. L'essentiel pour noiis, comme nous y invitc I'escmple dii niotil de di.coralion, est alors dc dihcmhrcr la causalitf pour y dislinpuer tleux typrs de ri'pttition, I'un concernant seulenient I'cflet total abstrait., I'aiilrc, In cniise apis- sante. L'une est une rcpi;tit.ion stntiqiie, I'autre, dynaniique. L'une rfsulte dc I'ccuvre, riitiis I'autre est coinme 11 I'i.volution n du peste. 1,'iine renvoie b iin m6me conccpt., qui nc Inissc suhsistrr qti'iine clilT6rrnce extSricure enlrc Irs ~scrnplaires ordinaircs (I'une liqiire; I'autre cst rCpCtilion d'iine ililKrence iritrrnc qu'ellc cornprend (Ians cliaciin dc scs moments, e t qu'elle lransporte d'un point reinarquablc h un autre. On pru t tentrr d'assiriiiler ccs r6pflitions en dis:inL que, du pretnier typc au sccond, c'cst sciilc- nicnt le contenu du conccpt qiii a clianp6 ou la ligiire qiii s'articule autrcment. Jlais Ce scrait mi:connattrr I'ordrr rcspectil de ehaque ri.pi;tition. Car dans I'orilre dyriniiiiqur, il n'y a plus ni conccpt repr6sentatif. ni Iipure repri'senlCc dans un esparc pri'esislant. I1 y a une Idi'c, e t un pur dynaniisrnr crCatcur d'espacc cor- rrsl>ondant.

Les etudes sur le rythme ou sur la sym4trie confirment cette dualiti.. On distingue une symttric arithmftiquc, ren- voyant h iine ichelle dc coenicients cntiers ou lractionnaires, e t unc symctrie gi.ometriquc, londee sur des praportions ou des rapports irrationnels ; une symttrie statiqire, dc type cubique ou Iiesajional, e t Une symttrie dynamique, du type pentagonal, ' qui se nianileste dans un traci: spiraliqiie ou dans unc pulsation cn progression gi.omi.trique, brcf dans une a i.volutioii n vivante e t niortelle. Or, ce second type est au caeur du premier, il en est le caeur, e t le procedi! actil, positif. Dans un rPseau de doubles carrfs, on decouvre des tracCs rayonnants qui ont pour pOlc asymetriquc le centre d'un prntagone ou d'iin pentagramme. Lc rescau est comme une ktoiie sur une armature, a mais la coupe, ie rytlime principal dc cette armature, est presque tou- jours un theme independant de ce reseau : tel l'PI¿.ment de dissymftric qui sert h la fois de principe de genEse e l de r6flexion pour un ensemble syniftrique'. La rfpftition statique dans le rcseau des doubles carrfs renvoie donc h une repflition dyna- mique, lorm&c par un pcntagone e t a la seric dhcroissante des pentagrammcs qui s'y insrrivent naturrllement W. De meme la rythniologie nous invitc h distinguer immediatement deux typrs de repetition. La repetition-mesure est une division r6gulii.r~ du

I . hlatio CHYKA, LI nombre d'or (N.R.F., 1931), L. I, p. 65.

temps, un retour i~orhrone d'i.IPmrrilc idcntiques. Mais iine diiree ri'cxistc qur deti-rminbr pnr iin apcrnt toniqur, ronimnnrlfe par ilcs intensitfs. On se t.romprrait sur In lonclion rles acccnts si I'on disait qu'ils se rrpro(luiscnt h intervalles Egaux. Les valrurs toniqiirs e t intensives agissent 811 contraire rn creant des intigalittis, des incommensiiral)ililt;c, dans des durcrs ou drs rspares mtilriqurrnent fgaux. Iillcs erEcnt d r s points remar- qiial)lcs, d r s instants privil6gii.s qui marquent t.oujours une polyrytlimic. 1.Q encore, I'inbpal rst Ir plus positil. 1.0 mrsure n'est que I'enveloppe d'un rytlime, e t d'un rapport <le ryllinies. 1,a reprise dc points d'inEgalit6, de poinls d r flrsion, rl'fvPne- ments ryllimiqurs, est pliis prolonde que la reprodurtion d'Blt- mcnts ordinairrs liomog&nes ; si Lirn qur, partout, nous drvons distinguer la rlpttition-mcsure c t 1a repetition-rythmc, la prrmiitrc Ctant sculrment I'aliparcnce ou I'rffct abstrait di? la secondr. Une rfpftit,ion mat6riclle e t niie (romme rEpEtition dii hlemr) n'apparait qii'nu sens ob unr autrc rEpfli(ion se dEguise en ellr, la const.ituant c t se constitiiant c l l e - m h e en se dtguisant. hlemc dans la nature, les rolations isoclironrs ne sont que I'apparence d'un moiivement. plus profond, les cyclrs revolutils ne sant que des abstraits ; mis en rapport, ils rfv;ilent des cycles d'Cvolution, spirales de raison de coiirbure \.ariablc, clont la trajectoirc a deux aspects dissymClriqucs commc la droite e t la pauche. C'est toujours dsns crtte bbance, qui ne se conlond pas avrc le nEgalil, que Irs cr6aturrs t i ~ s r n t leur rEpEti- tion, en mQme temps qu'ils rccoivcnt Ir don dc vivre e t de mourir.

Revenons enfin aux conccpts nominaux. Est-ce I'idcntitb du concept nominal qui explique la rEpEtition du mot ? Soit I'exemple de la rime : elle est birn rfpi-tition verbale, mais r6pi.- tition qui comprend la diiitrence entre deux mots, c t qui I'inscrit au sein d'une Idee poftique, dans un espace qu'elle detsrmine. Aussi n'a-t-elle pas pour srns de marqurr des intcn.allcs fgaux, mais plutGt, commc on le voit dans une concept.ion de la rime forte, de mettre les valeurs de timbre a u servicc du rytlime tonique, de contriliuer .i Imindi.pendancc des rythmes toniques par rapport aux ryllimes aritlimEtiques. Quant h la rkpi!tition d'un mtme mot, nous devons la concevoir commc une n rime p5neralisi.e >I ; non pas In rimr, rommc unc repktition r6duite. I1 y a deux proci!dCs de cctte generalisation : ou bien un mot, pris en deux sens, assure Une rrssrmblance ou une identiti: para- doxales entre Ces deux sens. Ou bien, pris cn un ~ e u l sens, il exerce sur sec voisins une force attrnctive, leur communique

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une prodigieuse gravitation, jusqu'h ce qu'un des mots contigus prenne le relais et devienne B son tour centre de dp6tit.ion. Raymond Roussel et Charles P6guy furent les grands r6pbtiteum de la littbrature ; ils surent porter la puissance pathologique du langage b un niveau artistique supbrieur. Roussel part de mots b double sens ou d'homonyrnes, et comble toute la distance entre Ces Sens par une histoire et des objets eux-mBmes d6doublCs, prbsentbs deux fois ; il triomphe ainsi de I'homonymie sur son propre terrain, et inscrit le maximum de difierence dans la r&p&tition comme dans I'espace ouvert au sein du mot. Cet espace est encore prbsent6 par Roussel comme celui des masques e t de la mort, ou s'klaborent B la fois Une rbpbtition qui enchaine e t Une rkpktition qui sauve - qui sauve d'abord de celle qui enchaine. Roussel c d e un aprks-langage ou tout se rkpbte et recommence, une fois que tout a 6th ditl. T d s difi6rente est la technique de Pbguy : elle substitue la rbpßtition non plus b I'homonymie, mais b la synonymie ; elle concerne Ce que les linguistes appellent la fonction de contiguitb, non plus celle de similaritb ; elle forme un avant-langage, un langage auroral ou I'on prochde par toutes petites diffbrences pour engendrer de proche en pmche I'espace intbrieur des mots. Cette fois, tout dbbouche sur le pmblbme des morts prbmatuds et du vieillis- sement, mais lb aussi, dans ce problbme, sur la chance inouie d'ailirmer une dpktition qui aauve contre celle qui enchaine. P6guy e t Roussel, chacun conduit le langage b une de ses limites (la sirnilarite ou la sblection chez Roussel, le r trait distinctif r entre billard e t pillard ; la contiguitb ou Ia combinaison chez Peguy, les fameux points de lapisserie). Tous deux substituent b la dphtition horizontale, celle des mots ordinaires qu'on redit, Une dpbtition de points remarquables, Une rbp6tition verticale oii I'on remonte B I'interieur des mots. A la r6pbtition par dbfaut, par insuiiisance du concept nominal ou de la repr6sentation verbale, une d@tition positive, par ex&s d'une Id6e linguis-

I. Surla mpport ds 1s n2ptlltion avec le lanRaCe,malssusal avec les maques et la mort, dann I'wuvre dr Roymand Ilourad, cf. le brau Iivre dr 3lichel Fov- CAVLT 1N.R.F.. 19631 : . La rhetitiuii C L 10 dlWrence sonl si bien inlritiii4es I'une dsna I'auire e l a'sjustenl'avce tant d'exactilude qu'il n'est DOS tio;sible de dire Ce qui es1 premier ... . Ipp. 32.3i . . . I.oin d'(1re uii langi ,~r ilui iherrhr b CommPncer, iI es1 la nwre seeonde des mnls dejh pnrlh. C'rsl le lanpagr de touioiirs tni'aiU6 Dar la destruclaon e l lo morl ... l)e nalure i l est r4n~t i l i f . . non .~~~~~ ~, plus la repelilionj laterale des choses qu'an redit, mais ce~i ,radicale , qui es1 passte pardessus du non-langape e l qui doit B ce vidc franchi d'ELre poesi? ... . ( p. 61-63]. - On consullers epalrmcnl i'arlicle de Michrl BUTOR sur noussel ~ g d P vfoirc, I, Edilions de Minuil) analysanl le double aspect dc In r4petilion qui enchsins at qui aauve.

INTRODUCTION 35

tique et stylistique. Comment Ia mort inspire-telle le langage, ßtant toujoum pdsente quand la rkpbtition s'ailirme ?

La reproduction du hf8me n'est pas un moteur des gestes. On sait que m&me I'imitation la plus simple comprend la diw- rence entre I'extcrieur et I'interieur. Bien plus, I'imitation n'a qu'un rdle r6gulateur secondaire dans le montage d'un compor- tement, elle permet de corriger des mouvements en train de se faire, non pas d'en instaurer. L'apprentissage ne se fait pas dans le rapport de la reprbsentation A I'action (comme reproduction du hIBme), mais dans le rapport du sipne b la reponse (comme rencontre avec I'Autre). De trois manihres au moins. le signe comprend I'h6tProgbnPit6 : d'abord dans I'objet qui le portc ou qui I'bmet, e t qui presente n6cessairement une diffPrence dc niveau, comme deux ordres de grandeur ou de ri.alit6 disparates entre lesquels le signe fulgure ; d'autre part en lu i -mhe, parce que le signe enveloppe un autre I ohjet r dans les limites de I'objet portrur, e t incarne une puissance de In nature ou de i'esprit (Idee) ; enfin dans la rßponse qu'il sollicite, le mouvement de la reponse ne U ressemblant a pas b celui du signe. Le mouve- ment du nageur ne ressemhle pas au mouvement de la vague ; et pr8cishnent, les mouvements du mattre-napeur que nous reproduisons sur le sable ne sont rien par rapport aux mouve- ments de ia vame que nous n'apprenons B parer qu'en les sai- sissant pratiquement comme des signes. C'est pourquoi il est si diflicile de dire comment quelqu'un apprend : il y a une familia- riti: pratique, innfe ou acquise, avec les signes, qui fait de toute Pducation quelque chose d'amoureux, mais aussi de mortel. Nous n'apprenons rien avec celui qui nous dit : fais comme moi. Nos seuls mallres w n t ceux qui nous disent U fais avec moi r, et qui, au lieu de nous proposcr des gestes b reproduire, surent Pmettre des signes B d6velopper dans 1'hi:lbrogEne. En d'autres termes, il n'y a pas d'ideo-motricitb, mais seulement de la sensori- motricite. Quand le corps conjupe de ses points remarquables avec ceux de la vague, il noue le principe d'une repbtition qui n'est plus celle du MBme, mais qui comprend I'Autre, qui comprend la dififrencc, d'une vague e t d'un geste B I'autre, et qui transporte cette difirence dans I'espace rhpetitif ainsi constituh. Apprendre, c'est bien constituer cet espace de la ren- contre avec des signes, ou les points remarquables se reprennent les uns dans les autres, et oU la rkpftition se forme en meme temps qu'elle se deguise. Et il y a toujours des images de mort dans I'apprentissage, b la faveur de I'hßtErop5nPite qu'il dbveloppe, aux limites de I'espace qu'il crde. Perdu dans le lointain, le signe

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formant Une a autre D r6pdtition au cceur de la preniiere. De cette autre repetition, nous dirons donc qu'elle n'est nullement approxi- mative ou metaphorique. Elle est uu contraire I'esprit de toute repetition. Elle est m h i e la lettre de toute repi!tition, h I'etat de filigrane ou de chiflre constituant. C'est elle qui constitue I'essence de la difierence sans concept, de la difikrence non m&diatisi!e, en quoi consiste toute rhpetition. C'est elle, le Sens premier, litteral et spirituel, de la repetition. C'est le sens matE- riel qui rbsulte de l'autre, sbcritci comme une coquille.

Nous avions commench par distinguer la genkraliti! e t Ia rßpbtition. Puis nous avons distingui! deux formes de repetition. Ces deux distinctions s'enchainent ; la premihre ne developpe ses conskquences que dans la seconde. Car si nous nous contentons de poser la repetition de manihre abstraite, en la vidant de son intiriorite, nous restons incapables dc coiiiprendre pourquoi et comrnent un concept peut 6tre naturellenient bloquk, e t laisser apparaitre une repitition qui ne se confond pas avec la generalitd. Invenement, quand nous d6couvrons I'interieur litteral de la ri.pi.tition, nous avons le moyen non seulement de comprendre la repktition d'extCriorit6 comme couverture. mais aussi de rEcupCrer I'ordre de la gen6ralith (et d'operer, suivant le vceu de liierkegaard, la reconciliation du singulier avec le gi!nCral). Car, dans la inesure oU la repetition intErieure se projette B travers une rhpetition nue qui la recouvre, les difierences qu'elle comprend apparaissent comme autant de Iacteurs qui s'opposent h In r&pi!tition, qui I'attenuent et la font varier suivant des lois i gencrales a. Mais sous le travail genkral des lois subsiste tou- jours le jeu des singularitbs. Les g6nbraliti!s de cycles dans la nature sont le masque d'une singulariti! qui pointe h travers leurs interferences ; et sous les generalit8s d'liabitude dans la vie morale, nous retrouvons de singuliers apprentissages. Le domaine des lois doit etre compris, mais toujours B partir d'une Nature et d'un Esprit superieurs B leurs propres lois, e t qui tissent d'abord leurs repetitions dans les profondeurs de la terre et du cceur, lh ou les lois n'existent pas encore. L'interieur de la r6petition est toujours afiect6 d'un ordre de diflercnce ; c'est dans la mesure ou quelque chose est rapporte h une rkpetition d'un autre ordre quc le sien, que la repetition pour son compte appa- rait exthrieure et nue, et la chose elle-meme, soumise aux catego- ries de la ghnkralit8. C'est l'inadbquation de la diflkrence et de la rkpbtition qui instaure I'ordre du g6neral. Gabriel Tarde suggcrait en ce sens que la ressemblance elle-mkme n'6tait qu'iinc r6pktit.ion decalee : la vraie repbtition, c'est celle qui correspond directeiiient

A une diiT6rence de mdme degr6 qu'elle. E t personne, mieux que Tarde, ne sut 6laborer Une nouvelle dialectique en dßcouvrant dans la nature et dans I'esprit I'eflort secret pour instaurer une addquation de plus en plus parfaite entre la diflerence et la r6p8tition'.

Tant que nous posons la difl6rence comme Une diiidrence conceptuelle, intrinsbquement conceptuelle. e t la rdpdtition comme une diflerence extrinsbque, entre objets reprdsentes sous un mdme concept, il semble que le problhme de leurs rapports puisse etre rdsolu par les faits. Oui ou non, y a-t i l des rdpCti- tions ? ou bien toute diflbrence estelle en dernibre instance intrindque e t conceptuelle ? Hegel raillait Leibniz d'avoir invit6 les dames de la Cour & faire de la m6taphysique experimentale en se promenant dans les jardins, pour veriiier que deux feuilles d'arbre n'avaient pas le mGme concept. Remplacons les dames de la Cour par des policiers scientifiques : il n'y a pas deux grains de poussibre absolument identiques, pas deux mains qui aient les m6mes points remarquables, pas deux machines qui aient la mGme frappe, pas deux revolvers qui strient leum balles de la mdme fagon ... Mais pourquoi pressentons-nous que le problbme. n'est pas bien posd, taut que nous cherchons dans les faits le critbre d'un principium indiuiduationis ? C'est qu'une diflbrence peut dtre interne e t cependant non conceptuelle (tel est dejh le Sens du paradoxe des objets symktriques). Un espace dynamique doit etre d6fini du point de vue d'un obsewateur lid A cet espace, e t non d'une position extßrieure. Il y a des difllrences internes qui dramatisent une Idee, avant de representer un objet. La difihrence, ici, est intdrieure h une Id6e, bien qu'elle soit extdrieure

1. Danslee LoirdePimilotion (Alcan, 1890) Cabrle lT~IDs manim toInmen1 la masunblance, er exemple entre especes de type dilittrtnt, renvoie Q I'iden- titb du mitieu DRvsinue. c'eat-h-dire Q un DmcPasufi d ~ e t ~ t i r a l ieetac !es

dillekncianie, Tarde'pdlend lä substituer dans tous [es domainea & i oppu- sition. Roussel ou PMuy pourraient revendiquer so lomule : . La dpdlilion er1 un nmced6 de stvle bien sulrement dnerriaue e t moins fatieant aue I'anki- . , ~.. ~. -~ ~~

theae. et aussi bien ~?iis ornoie & renouveler Ün'aujet i (~'oppolilian uhiuerafiic,

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au concept comme repr6senlation d'objet. C'est pourquoi I'oppo- sition de Icant e t de Leibniz parait bien s'att6nuer B mesure que I'on tient compte des factcurs dynamiqucs prßsents dans les dcux doctrines. Si I<ant reconnait dans les formvs de I'intuition des diN~rcnccs extrinskques irr¿.ductiblcs B I'ordre <Ics conccpts, ces diflerrnces n'cn sont pas moins U intcrnes n, bien qu'clles ne puissent Ctre assignees par un entendemcnt commc U intrinsbques n c t ne soient repri.sentables que dans leur rapport extkrieur i I'espace enticr'. C'est dire, confombment & certaines intcrprtta- tions neo-kanticnnes, qu'il y a de prochc en proclie unc construc- tion dynamique interne dc I'espace qui doit prec6drr In a represen- tation n du tout comme forme d'cxterioriti.. L'i.li.mrnt dc cctte genese interne nous semble consisler dans la qunntitb intensive plutiit que dans Ic scli6mr, e t SC rapporter aux ldCes plutot qu'aux concepts de I'entendement. Si I'ordrc spatial des diN6rences extrinskques et I'ordre conceptuel des diffkrcnces intrinsbques ont finalcmrnt Une harmonic, comme le schbmc en tbmoignc, c'est plus profondbment g i c e Q cet Blßment diNkrentiel intensif, synthhse du continu dans I'instant, qui, sous la forme d'une conlinua repelilio, engendre d'abord int6rieurement I'espace conformßment aux Idees. Or chez Leibniz, i'affinitb des difl6- renccs extrinsbques avec les diiT6renccs conceptuclles intrinseques faisait d6jB npprl au processus interne d'une conlinira repelilio, fondri sur un elbment diilßrentiel intensif opßrant la synthbse du continu dans le point pour engendrer I'espace du dedans.

I1 y a drs r6phtifions qui ne sonf. pas seulcment des diN4rences extrinseques; il y a des diN6renccs internes, qui ne sont pas intrindques ou conceptuelles. Nous sommes alon cn mcsure de mirux situer la source des ambiguiti.~ pri.ci.dentes. Quand nous dGterminons la ripEtition comme difirencr sans concept, nous croyons pouvoir conclure au caractbre seulement extrinseque de la diflcrence dans la r6pi.tilion ; nous estimons alors que toute a nouvcautb n interne sufiit B nous eloigner de la lettre, e t n'cst conciliablr qu'avec une rbpftition approximative. dite par analogir. I1 n'en rs t pas ainsi. Car nous ne savons pas encore quelle cst I'essencc de la repctition, ce que dbsigne positivement I'expression n difltrence sans concept a, la nature de I'intiriorite qu'clle cst capablc d'impliqucr. Inverscment, quand nous di.ter- minons la diflerence commr diii6rence conceptuelle, nous croyons

I. Sur Ln <liRCrcncr inlerne, qiii n'est pourtant pas inlrinahque ou eoneep- Luelle, Cl. ]<AXT, Priildgome'ncs, 5 13 (Cl . I'oppusitioii enlre innere Verschieden. heil et innerlich Y.).

INTRODUCTION 4 1

avoir assez fait pour In dbterminalion du concept de diili.rence cn lant quc lellc. Pourlant, IQ encore, nous n'avons aucune idEc dc <liffi.rence, aucun conccpt de la diilfrence propre. Ce fut peut- Ctre Ic tort de la philosopliie de la diflPrcnce, d':\ristote Q Hrgel eil passnnt par Leibniz, d'nvoir confondu le concept de la dir&- ritnce avcc une dillisrence simplcment conceptuelle, en se conlcn- tant d'inscrire la diflCrence dans le concept en p6ni.ral. En rholitß, innt qu'on iiiscrit Ia iiilTPrencc dnns le concept en gbni.ral, on n'a aucune Id2c singulitre de la diNtrence, on rcste sculcment dnns I'bltment d'unc difli.rcnce di.jA mcdiatisce par la rcprt- scntation. Kous nous trouvons donc devant deux queslions : qiirl est le concept de In diflkrencc - qui ne se r6duit pas A la simple difl6rencc conceptuelle, mais qui reclame une 1di.e propre, comrne une sirigularit6 dans 1'IdPe ? D'autre part, quelle cst I'essence de la rbpttition - qui ne se rbduit pas B une diflkrence sans concept, qui ne Se confond pas avec lc caractere appnrcnt des objets reprtsenti.~ sous un meme concept, mais qui tPmoigne B son lour de In singulariti! comme puissance dc I'Idfc ? La renconlre des deux notions, diilkrence e t repetition, ne peut plus etre posfe des le depnrt, mais doit apparaltre B la faveur d'inter- fl;rences e t de croisements entre Ces deux lignes, I'une concernant l'essence de Ia rCpktition, I'autre, I'idke de la diN6rcnce.