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V endredi 13 novembre, aux alentours de midi, un avion en provenance des îles Canaries atterrit à l’aé- roport Hassan 1 er de Laâyoune. A son bord, Aminatou Haidar, prési- dente du Collectif des défenseurs sahraouis des droits de l’homme (CODESA), accompagnée de deux journalistes espagnols. Lors du passage au poste de police, Aminatou Haidar présente son passeport maro- cain et la traditionnelle fiche de débar- quement. «Un commissaire les a pris. Il est parti puis il est revenu vers moi en me demandant : pourquoi avez-vous inscrit Sahara occidental dans la case réservée à «l’adresse au Maroc» ? Je lui ai ré- pondu que j’écris toujours la même chose depuis 2006, que ce soit à l’aéroport de Laâyoune ou celui de Casablanca», ex- plique-t-elle. Aminatou Haidar est alors amenée dans une salle de l’aéroport pour in- terrogatoire. Pedro Barbadillo et Pe- dro Guillén, les deux journalistes espagnols sont, eux aussi, interpel- lés pour avoir filmé la scène sans autorisation. «Tous les services de po- lice et de renseignements étaient pré- sents pendant l’interrogatoire, même le wali de la Sûreté nationale et le pa- tron de la police judiciaire, raconte la mili- tante sahraouie. Ils m’ont demandé ce que je pensais de la marocanité du Sahara. Je leur ai dit que je ne la reconnaissais pas, comme l’ensemble de la communauté internationale, d’ailleurs». Vers 1 heure du matin, elle signe ses déclarations en présence du pro- cureur du roi et de témoins, décryptage «mon oncle et d’autres Sahraouis que je ne connaissais pas», dit-elle. Dans le même temps, les journalistes espagnols sont re- lâchés et renvoyés vers les Îles Canaries. Leurs enregistrements, confisqués, res- tent aux mains des autorités. Aminatou Haidar, elle, doit se préparer à partir. «J’ai pensé qu’ils allaient m’emmener à la prison de Salé où se trouvent les autres activistes sah- raouis des droits de l’homme. Mais le patron de la Sûreté marocaine m’a dit : non, vous allez voyager en Espagne. J’ai dit : com- ment? En Espagne ? Mais moi je ne veux pas aller en Espagne ! Il m’a dit : non, non, non, c’est là que tu vas vivre le reste de ta vie. Je lui demande alors où sont mon passeport et mon téléphone, il me répond qu’ils sont au tribu- nal, que c’est compliqué. Pourquoi ils sont au tribunal et moi je suis expulsée ? S’ils me re- prochent quelque chose, qu’ils me mettent en prison !». L’avion qui doit la ramener aux Canaries attend sur le tarmac de l’aéroport. Amina- tou Haidar proteste et interpelle le pilote espagnol. «Je lui ai dit: écoutez monsieur, vous allez assumer la responsabilité de ce que vous faites. Parce que, moi, je suis dans une situation complètement illégale. Je n’ai pas de passeport et je ne veux pas voyager. Ce voyage se fait contre ma volonté. Il a reconnu que j’avais raison, mais le wali est allé le voir et lui a dit que j’avais une carte de résidence en Es- pagne, que ça suffisait». Le pilote accepte fi- L’activiste sahraouie Aminatou Haidar, expulsée vers les îles Canaries le 14 novembre dernier, est toujours en grève de la faim à Lanzarote pour dénoncer l’attitude des gouvernements marocain et espagnol. La légalité de cette expulsion est contestée. L’affaire prend une dimension internationale. La faute 20 | du 21 au 27 novembre 2009 hebdomadaire Aminatou Haidar PAR CHRISTOPHE GUGUEN P. 20-26 Decry ok 19/11/09 21:25 Page 24

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Vendredi 13 novembre, auxalentours de midi, unavion en provenance desîles Canaries atterrit à l’aé-roport Hassan 1er deLaâyoune. A son bord,Aminatou Haidar, prési-dente du Collectif des

défenseurs sahraouis des droits del’homme (CODESA), accompagnée dedeux journalistes espagnols. Lors dupassage au poste de police, AminatouHaidar présente son passeport maro-cain et la traditionnelle fiche de débar-quement. «Un commissaire les a pris. Ilest parti puis il est revenu vers moi en medemandant : pourquoi avez-vous inscritSahara occidental dans la case réservéeà «l’adresse au Maroc» ? Je lui ai ré-pondu que j’écris toujours la même chosedepuis 2006, que ce soit à l’aéroport deLaâyoune ou celui de Casablanca», ex-plique-t-elle.Aminatou Haidar est alors amenéedans une salle de l’aéroport pour in-terrogatoire. Pedro Barbadillo et Pe-dro Guillén, les deux journalistesespagnols sont, eux aussi, interpel-lés pour avoir filmé la scène sansautorisation. «Tous les services de po-lice et de renseignements étaient pré-sents pendant l’interrogatoire, mêmele wali de la Sûreté nationale et le pa-

tron de la police judiciaire, raconte la mili-tante sahraouie. Ils m’ont demandé ce que jepensais de la marocanité du Sahara. Je leurai dit que je ne la reconnaissais pas, commel’ensemble de la communauté internationale,d’ailleurs». Vers 1 heure du matin, ellesigne ses déclarations en présence du pro-

cureur du roi et de témoins,

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«mon oncle et d’autres Sahraouis que je neconnaissais pas», dit-elle. Dans le mêmetemps, les journalistes espagnols sont re-lâchés et renvoyés vers les Îles Canaries.Leurs enregistrements, confisqués, res-tent aux mains des autorités. AminatouHaidar, elle, doit se préparer à partir. «J’aipensé qu’ils allaient m’emmener à la prison deSalé où se trouvent les autres activistes sah-raouis des droits de l’homme. Mais le patronde la Sûreté marocaine m’a dit : non, vousallez voyager en Espagne. J’ai dit : com-ment? En Espagne ? Mais moi je ne veux pasaller en Espagne ! Il m’a dit : non, non, non,c’est là que tu vas vivre le reste de ta vie. Je luidemande alors où sont mon passeport et montéléphone, il me répond qu’ils sont au tribu-nal, que c’est compliqué. Pourquoi ils sont autribunal et moi je suis expulsée ? S’ils me re-prochent quelque chose, qu’ils me mettent enprison !».L’avion qui doit la ramener aux Canariesattend sur le tarmac de l’aéroport. Amina-tou Haidar proteste et interpelle le piloteespagnol. «Je lui ai dit: écoutez monsieur,vous allez assumer la responsabilité de ce quevous faites. Parce que, moi, je suis dans unesituation complètement illégale. Je n’ai pas depasseport et je ne veux pas voyager. Ce voyagese fait contre ma volonté. Il a reconnu quej’avais raison, mais le wali est allé le voir et luia dit que j’avais une carte de résidence en Es-pagne, que ça suffisait». Le pilote accepte fi-

L’activiste sahraouie Aminatou Haidar, expulsée vers les îles Canaries le 14novembre dernier, est toujours en grève de la faim à Lanzarote pour dénoncer

l’attitude des gouvernements marocain et espagnol. La légalité de cetteexpulsion est contestée. L’affaire prend une dimension internationale.

La faute

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Aminatou HaidarPAR CHRISTOPHE GUGUEN

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nalement d’embarquer l’activiste sah-raouie, l’appareil s’envole dans la matinéepour Lanzarote.

L’Espagne complice ?Dans un communiqué publié par la MAPle 14 novembre, les autorités marocainesexpliquent que «suite à l'obstination de ladénommée Aminatou Haidar de ne pas ac-complir les formalités habituelles de policelors de son arrivée à l'aéroport de Laâyoune,l'intéressée (…) a embarqué ce matin à bordd'un avion à destination des îles Canaries,lieu de sa provenance». A son arrivée à Lan-zarote, Aminatou Haidar refuse de des-cendre de l’avion. Des policiers de la Guar-dia Civil viennent la chercher. «Ils m’ont ditque je pourrai prendre un autre vol dansl’après-midi pour rentrer, qu’il n’y aurait pasde problèmes. Mais quand je suis entrée dansl’aéroport de Lanzarote et que je suis allée auguichet de la compagnie aérienne pour re-prendre un billet, là, la police espagnole m’adit non, ce n’est pas possible, tu n’as pas depasseport donc tu ne peux pas sortir du pays».

Dans la nuit de dimanche à lundi, l’acti-viste sahraouie est toujours à l’aéroport etentame une grève de la faim pour inter-peller le gouvernement espagnol. «C’esthonteux, pour moi l’Espagne est complice»,affirme-t-elle. Les associations espagnolespro-Polisario et les ONG dénoncent égale-ment le comportement de l’Espagne, qui a

accepté d’accueillir une personne voya-geant contre sa volonté et sans passeport.Le lendemain, les autorités espagnolestentent une première explication: Amina-tou Haidar possède une carte de séjour es-

pagnole (pour raisons médicales), ce quilui permet d’entrer en Espagne, mêmesans passeport, dans le cadre d’une «ur-gence humanitaire». Miguel Angel Morati-nos, ministre des Affaires étrangères, de-mande simplement à Aminatou Haidarde se «calmer» et assure que l’Espagneremplit toutes ses obligations.

Mardi 17 novembre, un policier espagnolremet à l’activiste sahraouie une citation àcomparaître du tribunal de Lanzarote : ledirecteur de l’aéroport a déposé plaintecontre elle pour «troubles à l’ordre pu-

blic». L’audience a lieu le lendemain maisson avocate ne se présentera pas au ren-dez-vous. «On s’est trompé sur l’heure de laconvocation», explique-t-on dans l’entou-

«Le Maroc ne peut pas sommairement retirer la nationalité et expulser ses propres citoyens à cause de la manière dont ils remplissent les formalités de police à l’aéroport».

(Human Rights Watch)

Réactions politiques Aminatou Haidar, une «traître» à la NationLe «comportement inacceptable» de l’acti-viste sahraouie a été vivement dénoncé parl’ensemble de la classe politique marocaineà travers des communiqués publiés par laMAP. Le secrétaire général du PAM,Mohamed Cheikh Biadillah, a ainsi affirméque les déclarations d’Aminatou Haidarconstituent «une déviation de l'unanimiténationale et une trahison à la Nation». Mêmeson de cloche à l’Istiqlal, qui déclare que«la démocratie et les droits de l'homme nedoivent en aucun cas servir de prétexte à unepoignée de traîtres pour comploter avec lesennemis de la souveraineté et l'intégrité ter-

ritoriale du Royaume». L’USFP, le RNI, le PJD,le PPS, le MP et une foule de «petits par-tis» sont également montés au créneaupour condamner les «agissements de ladénommée Aminatou Haidar». Qu’en est-il des traditionnelles voix «dis-cordantes» ? Annahj Addimocrati ne s’ex-prime pas sur le sujet. À l’AMDH, onexplique que «la question n’a pas encore étédiscutée au sein du bureau, qui ne se réuniraque dans quelques jours». Un cadre d’Al AdlWa Al Ihssan affirme de, son côté, que lemouvement de cheikh Yassine «préfère nepas mettre les pieds dans cette affaire»… ■

Mardi 17 novembre, un policier espagnolremet à l’activiste sahraouie une citationà comparaître du tribunal de Lanzarote.

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Activistes sahraouis Une «reprise en main» sécuritaireDepuis le mois dernier, le régime a durci leton face aux «ennemis de l’intérieur». L’or-ganisation internationale Human RightsWatch indique dans un communiqué quecinq activistes sahraouis ont été arrêtés le6 octobre par la police marocaine alors qu’ilsse rendaient en Mauritanie. Ils ont été rame-nés à Laâyoune et leurs passeports ont étéconfisqués. Même traitement ces der-nières semaines pour la militante SultanaKhaya, les étudiants Hayat Rguibi et NguiyaHawassi. Depuis le 19 octobre, les forces del’ordre marocaines ont également inter-rompu à sept reprises au moins la visiteeffectuée par des délégations étrangères desdroits de l’homme ou des journalistes audomicile d’activistes sahraouis, leur indi-

quant que de telles visites requièrent désormais une autorisation officielle. C’estl’arrestation, le 8 octobre, de sept activistessahraouis à leur retour de Tindouf qui a misle feu aux poudres. Ali Salem Tamek, Bra-him Dahane, Ahmed Anasiri, Dagja Lach-gar, Yahdih Ettarrouzi, Rachid Sghayar etSaleh Lebayhi sont restés plus d’unesemaine «au secret» avant d’être incarcé-rés à la prison de Salé. Ils comparaîtrontdevant le tribunal militaire de Rabat pouratteinte à la sûreté de l’Etat. La date de leurprocès n’a pas encore été fixée, ils risquentjusqu’à la peine de mort. L’un d’entre eux,Brahim Dahane, président de l’Associationsahraouie des victimes des violations gravesdes droits de l'homme (ASVDH), est sans

doute au cœur des récentes tensions diplo-matiques entre le Maroc et la Suède. Le 3novembre dernier, le gouvernement suédoisannonçait la remise du prix Per Anger 2009à Brahim Dahane pour son engagement enfaveur des droits de l’homme. Le lendemain,les autorités marocaines exigaient le départimmédiat de la n°2 de l’ambassade suédoiseà Rabat, Anna Block-Mazoyer. Taïeb FassiFihri accuse cette dernière d’avoir transmisun document officiel à «des éléments sépa-ratistes liés à l’Algérie et au Polisario». Cedocument, fourni lors d’une réunion desAffaires étrangères avec les diplomates occi-dentaux, prouverait l’implication des septactivistes sahraouis dans des activités mili-taires lors de leur voyage à Tindouf. ■

rage d’Aminatou Haidar.Jeudi 19 novembre, l’activiste sahraouie esttoujours en grève de la faim à l’aéroport deLanzarote. La presse internationale s’estemparée de l’affaire, les chancelleries occi-dentales également. «Nous sommes inquietsde l’état de santé d’Aminatou Haidar et noussuivons ce cas de très près», indique au Jour-nal Hebdomadaire une source autorisée duDépartement d’Etat américain. Le Maroc,dont la «fermeté» affichée a été unanime-ment saluée par la classe politique maro-caine, semble commencer à réaliser la por-tée juridique et internationale de cetteaffaire. Abderrahman Leibek, Consul gé-

néral du Maroc aux îles Canaries, expliqueainsi à la presse espagnole que la situationd’Aminatou Haidar est «un problème épi-neux». Le ministre des Affaires étrangèresTaieb Fassi Fihri devait discuter de l’affairele 19 novembre avec son homologue espa-gnol Miguel Angel Moratinos, de passage àRabat pour l’inauguration des nouveaux lo-caux de l’Institut Cervantès.Le même jour, l’organisation HumanRights Watch (HRW) publie un communi-qué pour dénoncer le comportement desautorités marocaines. «Le Maroc ne peut passommairement retirer la nationalité et expul-ser ses propres citoyens à cause de la manièredont ils remplissent les formalités de police àl’aéroport. Il doit laisser Haidar rentrer chezelle et arrêter de la harceler pour son engage-ment pacifique en faveur de l’autodétermina-tion du peuple sahraoui», explique dans cecommuniqué Sarah Leah Whitson, direc-trice de la région MENA à Human RightsWatch. Le Pacte international de l’ONU re-latif aux droits civils et politiques, ratifiépar le Maroc, indique clairement que «Nul

Les associations espa-gnoles pro-Polisario etles ONG dénoncent le com-portement de l’Espagne qui aaccepté d’accueillir une per-sonne voyageant contre savolonté et sans passeport.

ne peut être arbitrairement privé du droit d’en-trer dans son propre pays» (article 12).

Pas de place pour«l’ambiguïté»Privée de passeport pour rentrer àLaâyoune, Aminatou Haidar expliquequ’elle «ne refuse pas d’avoir des papiers ma-rocains. Mais il ne faut pas tout confondre:avoir la citoyenneté marocaine, c’est un droitque doit me garantir la puissance occupante.Le Maroc ne doit pas m’obliger en contrepar-tie à reconnaître sa souveraineté sur le Saharaoccidental, qui reste défini par l’ONU commeun territoire non-autonome et dont le statutest toujours en cours de négociations».Dans son discours royal du 6 novembredernier, Mohammed VI affirme pourtantqu’«il n'y a plus de place pour l'ambiguïté etla duplicité : ou le citoyen est Marocain, ou ilne l'est pas». «Là, on est dans ce qui a été ins-tauré au début des années 80 : la politique dufait accompli», analyse Khadija Mohsen Fi-nan, chercheuse à l’IFRI (Institut françaisdes relations internationales). La repriseen main du régime sur le dossier du Sa-hara occidental est nécessaire selon lesautorités pour contrer les «séparatistes del’intérieur». «Mais en réalité, poursuit lachercheuse, ils n’ont que la fermeté à mettreen avant, parce qu’ils n’ont pas d’idées poursortir de ce bourbier. Si vous vouliez réelle-ment en sortir, alors il faut considérer à la foisle volet juridique, le volet politique, le volethumain et l’aspect identitaire qui renvoie àune foule de choses. C’est tout cela qu’il fautconsidérer. L’autonomie a un sens. Conserverl’état actuel des choses et l’appeler «autono-mie», ce n’est pas possible au regard du droitinternational». ■

Dans son discours royal du 6 novembre dernier, Mohammed VI aaffirmé qu’«il n'y a plus de place pour

l'ambiguïté et la duplicité : ou le citoyenest Marocain, ou il ne l'est pas».

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Interview

«Je dénonce les violationsdes droits de l’Homme defaçon pacifique»

Aminatou Haidar, présidente de la CODESA

Vous êtes en grève de la faim depuisdimanche 15 novembre. Que réclamez-vous ?La revendication légale qui est lamienne: le retour à ma patrie, là où setrouvent mes enfants. Je suis prisonnièreen Espagne, j’ai été amenée ici contrema volonté.Les autorités expliquent que vous avez«usé et abusé» de votre passeportmarocain.Le Maroc est obligé de délivrer lespasseports ! Il y a la quatrièmeconvention de Genève qui oblige toutesles puissances occupantes à donner tousles droits, y compris les papiers, à tousles citoyens qui se trouvent sous la

direction de l’occupant. Tous lesSahraouis doivent jouir des droitspolitiques, sociaux, économiques. Doncles papiers, ce n’est pas un «don» de lapart du Maroc, ils sont obligés de lefaire! D’ailleurs, jusqu’à 2005 je n’avaispas de passeport, j’en étais privée. Ça nefait que trois ans que les activistespeuvent faire des conférences àl’extérieur.

Pourquoi alors, selon vous, le Marocvous a-t-il retiré votre passeportmarocain ?Parce que je dénonce les violations desdroits de l’homme commises par l’Etatmarocain. Mais je dénonce ces violations

«Le seul représentant lé-gitime du peuple sah-raoui, c’est le Front Poli-sario. C’est lui qui est assisà la table des négocia-tions avec le Maroc».

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de façon pacifique et j’ai le droit de lefaire ! J’ai le droit garanti de la libertéd’expression, d’opinion et de liberté demouvements ! Il y a la Déclaration desdroits de l’homme, les conventionssignées par le Maroc qui me garantissentces droits ; Malheureusement, après lediscours royal, tous ces droits sontattaqués. C’est une atteinte flagrante audroit international.

Vous vous dites «pacifiste». Quel est lebut de votre engagement ?Je suis une défenseure des droits del’homme au Sahara occidental. Jerevendique le respect de la part duMaroc de tous les droits fondamentauxet élémentaires des Sahraouis et le droità l’autodétermination, qui est un droitlégitime. Moi je le dis toujours, je suiscontre la violence, je suis pacifiste. Je n’aijamais utilisé la force contre la police oucontre qui que ce soit. Je profite del’occasion pour envoyer un message trèsclair, une conviction personnelle : jerespecte le peuple marocain. Je n’aiaucune haine envers le peuple marocain.Le problème est entre le régimemarocain et les Sahraouis et non entreles deux peuples. Ça c’est confirmé parl’expérience de 34 ans au Saharaoccidental : jamais il n’y a eu deproblèmes d’assassinats ou de mauvaistraitements de la part d’un Sahraouienvers un colon marocain. Donc je →

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L’émergence ces der-nières années de per-sonnalités saharouiescomme AminatouHaidar fait mal au ré-

gime marocain. Ces «activistesde l’intérieur», nouvelles réfé-rences de la jeunesse sahraouie,se démarquent d’un Front Poli-sario enlisé dans les négocia-tions, en concentrant leurs ac-tions sur la situation des droitsde l’homme au Sahara occiden-tal. Depuis 2006, AminatouHaidar parcourt le monde et ré-colte les prix internationaux dé-diés à la défense des droits hu-mains. Quelques jours avant sonexpulsion vers Lanzarote, celleque ses admirateurs surnom-ment la «pasionaria» ou la «Gan-dhi» sahraouie était ainsi à NewYork pour recevoir le prix du«Courage Civil 2009», décernéchaque année par la FondationJohn Train. Outre le soutien des diverses as-sociations pro-Polisario pré-sentes sur le sol américain – no-tamment la «US-WesternSahara Foundation» - AminatouHaidar peut se prévaloir d’un ap-pui de taille aux Etats-Unis : leRobert F. Kennedy Center. Créépar la famille Kennedy en 1968pour faire progresser les droitsde l’homme dans le monde, cetteorganisation surveille de prèsl’évolution de la situation au Sa-hara occidental et a attribué sonprix 2008 à l’activiste sahraouie.A chacune de ces tribunes, quece soit aux Etats-Unis, en France,en Suède, en Espagne ou encoreen Italie, Aminatou Haidar dénonce les «exactions» commises parles forces marocaines au Sahara occidental et en profite pour rappe-ler le droit inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination.«Un droit garanti au niveau international», répète-t-elle inlassable-ment. La portée de ce discours tient autant à sa ligne pacifique qu’àl’histoire personnelle de son auteure. C’est en 1987, à l’âge de 20 ans,qu’Aminatou Haidar est arrêtée pour la première fois, suite à une

manifestation sahraouie dure-ment réprimée à Laâyoune. Vic-time de tortures, elle sera portée«disparue» pendant quatre ansjusqu’en novembre 1991. A sa li-bération, Aminatou Haidar re-prend la «lutte». DepuisLaâyoune, elle multiplie les initia-tives - manifestations pacifiques,création de comités de soutien - etétoffe son réseau de contacts àl’étranger. En 2005, lors d’uneénième manifestation organiséeà Laâyoune, elle est blessée parles forces de l’ordre qui viennentplus tard l’arrêter à l’hôpital. Elleest de nouveau condamnée etpassera sept mois dans la triste-ment célèbre « prison noire » deLaâyoune. Pendant sa détention,le 11 octobre 2005, le Parlementeuropéen adopte une résolutiondemandant officiellement sa libé-ration. Quand elle est relâchée àl’issue de sa peine, en janvier2006, l’activiste reçoit un passe-port marocain et entame unetournée internationale qui laconduit notamment à témoignerdevant la Commission Coopéra-tion et Développement du Parle-ment européen. «N’eût été votresolidarité, votre interpellation auxautorités marocaines, je ne seraispeut-être pas là aujourd’hui. Maismon cas n’est pas unique…», ex-plique-t-elle alors aux membresde la Commission. La même an-née, elle recoit le prix Juan MariaBandres décerné par la Commis-sion Espagnole d’Aide aux Réfu-giés (CEAR). En 2007, c’est au tour de l’organi-sation internationale Solimar derécompenser l’activiste sahraouieen lui attribuant le prix SilverRose. L’organisation américainepacifiste «American Friends Ser-vice Committee» propose, l’annéesuivante, sa nomination au prixNobel de la Paix. ■

Décriée au Maroc,récompensée à l’étranger

Portrait

Lauréate de nom-breux prix dédiésaux droits del’homme, AminatouHaidar bénéficied’une grande visibi-lité internationale.

AIC PRESS

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transmets le message à tout le peuplemarocain : la situation est injuste, c’estun problème de décolonisation, qui setraite annuellement à la Quatrièmecommission des Nations Unies. Lepeuple marocain doit dépasser ce tabou,il doit parler librement et défendre cedroit qui est un droit légitime et que ledroit international défend. Aucun paysau monde ne reconnaît la souverainetédu Maroc au Sahara occidental, mêmepas le grand allié du Maroc : la France.

Selon vous, qui représente le mieux lesSahraouis vivant dans la partie duSahara occidental administré par leMaroc ?Le seul représentant légitime du peuplesahraoui, c’est le Front Polisario. C’est luiqui est assis à la table des négociationsavec le Maroc.

Vous dites défendre les droits del’homme. Le Front Polisario estpourtant lui aussi accusé de violationsgraves…Je n’ai jamais visité les camps deréfugiés. Mais en tant que militante desdroits de l’homme, je me réfère auxrapports des ONG internationalescomme Amnesty, ou au HautCommissariat pour les Réfugiés : ils nientqu’il y a des violations des droits del’homme. Si le Maroc veut accuser leFront Polisario, c’est son affaire.D’ailleurs, pourquoi ne laissent-ils pas lesdéfenseurs des droits de l’hommesahraouis visiter les campements pourvoir ce qui s’y passe ? Parce qu’il y atoujours eu des reproches contre nous :«Pourquoi vous ne dévoilez pas lesviolations commises par le Front Polisario ?»Mais nous ne pouvons pas dénoncer desviolations que nous n’avons jamais vues.

Sept activistes sahraouis sont allés àTindouf pour rendre visite à leursfamilles et voir la situation de leurspropres yeux. Ils ont été arrêtés à leurretour ! Il y a des visites sous l’auspicedes Nations Unies entre les familles quise trouvent dans les territoires occupéset les familles qui se trouvent dans lescampements de réfugiés. À côté de ça, leMaroc demande la libération des«séquestrés» de Tindouf. C’estcontradictoire.

Les Sahraouis vivant dans la partie duSahara occidental administrée par leMaroc peuvent, eux, s’exprimerlibrement. Il y a des instancesreprésentatives comme le CORCAS.

Non, maintenant, toutes les personnesqui ont eu le courage de dire non à lathèse officielle de Rabat ou quidéfendent les droits de l’homme ont étéemprisonnées. Les observateursinternationaux ne peuvent plus contacterles activistes sahraouis. Et maintenant, ily a une autre politique qui consiste àexpulser les Sahraouis de leur patrie, leSahara occidental.

Pensez-vous que votre expulsion vachanger la situation à Laâyoune et dansla région ?Oui, certainement, parce que le Marocest maintenant menacé par lesprotestations à l’intérieur du Saharaoccidental. Des jeunes, même desmineurs, des enfants, refusent de répéter

l’hymne marocain dans lesétablissements scolaires et disent aveccourage qu’ils ne sont pas marocains,qu’ils sont sahraouis et qu’ilsrevendiquent l’indépendance, ils le disentcomme ça ! Donc le Maroc a eu peur, ilveut arrêter, cette résistance pacifique.Et pour l’arrêter, bien sûr, il doit réprimerceux qu’il considère lui comme les«grosses têtes», les activistes et lesmilitants des droits de l’homme. Ilsdoivent commencer par les gens connuspour que les autres se taisent.

Si jamais vous êtes autorisée à rentrerà Laâyoune, que ferez-vous ?Je veux retrouver mes enfants, mafamille. Et je continuerai le combat.Jusqu’au bout. ■

«Toutes les personnesqui ont eu le courage dedire non à la thèse offi-cielle de Rabat, ou quidéfendent les droits del’Homme, ont été em-prisonnées».

«Aucun pays au mondene reconnaît la souve-raineté du Maroc auSahara Occidental,même pas le grand alliédu Maroc : la France».

Selon A. Haidar, «l’Espagne est complice» de son expulsion.Les ministres marocains et espagnols des Affairesétrangères, M.-A. Moratinos et T. Fassi Fihri, devaient serencontrer ce 19 novembre pour parler de cette affaire.

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