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  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    COUR SUPRME DU CANADA

    RFRENCE :Colombie-Britannique (WorkersCompensation Appeal Tribunal) c.Fraser HealthAuthority, 2016 CSC 25

    APPEL ENTENDU :14 janvier 2016JUGEMENT RENDU :24 juin 2016DOSSIER:36300

    ENTRE :Workers Compensation Appeal Tribunal

    Appelant

    et

    Fraser Health Authority, Katrina Hammer, Patricia Schmidt et AnneMacFarlane

    Intimes

    ET ENTRE :Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlane

    Appelantes

    et

    Workers Compensation Appeal Tribunal et Fraser Health AuthorityIntims

    - et -

    Procureur gnral du Canada, procureur gnral de lOntario, Ontario Network

    of Injured Workers Groups, Industrial Accident Victims Group of Ontario,

    Community Legal Assistance Society et British Columbia Federation of Labour

    Intervenants

    TRADUCTION FRANAISE OFFICIELLE

    CORAM :La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis,Wagner, Ct et Brown

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    MOTIFS DE JUGEMENT :(par. 1 40)

    Le juge Brown (avec laccord de la juge en chef McLachlinet des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis et Wagner)

    MOTIFS DISSIDENTS EN PARTIE :(par. 41 82)

    La juge Ct

    NOTE:Ce document fera lobjet de retouches de forme avant la parution de saversion dfinitive dans leRecueil des arrts de la Cour suprme du Canada.

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    WCATc.FRASER HEALTH AUTHORITY

    WorkersCompensation Appeal Tribunal Appelant

    c.

    Fraser Health Authority,Katrina Hammer,Patricia Schmidt et

    Anne MacFarlane Intimes

    - et -

    Katrina Hammer,Patricia Schmidt etAnne MacFarlane Appelantes

    c.

    WorkersCompensation Appeal Tribunal etFraser Health Authority Intims

    et

    Procureur gnral du Canada,procureur gnral de lOntario,Ontario Network of Injured WorkersGroups,Industrial Accident VictimsGroup of Ontario,Community Legal Ass istance Society etBritish Columbia Federation of Labour Intervenants

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    Rpertori : Colombie-Britannique (Workers Compensation Appeal Tribunal)c.Fraser Health Authority

    2016 CSC 25

    Nodu greffe : 36300.

    2016 : 14 janvier; 2016 : 24 juin.

    Prsents : La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis,Wagner, Ct et Brown.

    EN APPEL DE LA COUR DAPPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

    Accidents du travail Maladie professionnelle Lien de causalit

    Preuve Norme de preuve Techniciennes du laboratoire dun hpital atteintes

    dun cancer du sein demandant une indemnisation parce que leur cancer constitue

    une maladie professionnelle Indemnisation payable sil existe un lien causal

    significatif entre lemploi et lvolution de la maladie Experts mdicaux

    incapables de conclure lexistence de donnes scientifiques permettant dtablir un

    lien de causalit entre le cancer des employes et leur travail Le Tribunal a-t-il

    commis une erreur dans son analyse du lien de causalit en dcidant que le cancer

    dont taient atteintes les employes tait une maladie professionnelle attribuable la

    nature de leur travail? Workers Compensation Act, R.S.B.C. 1996, c. 492, art. 6,

    250(4).

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    H, S et M (les employes ) font partie des sept techniciennes du mme

    laboratoire dun hpital qui ont appris tre atteintes dun cancer du sein. Chacune

    delles a rclam une indemnit au titre de la Workers Compensation Act (la Loi)

    en affirmant que le cancer constituait une maladie professionnelle. Selon la Loi,

    lorsquun travailleur est invalide cause dune maladie professionnelle attribuable

    la nature de son travail, une indemnit doit lui tre verse tout comme sil sagissait

    dune blessure corporelle survenue par le fait et loccasion de ce travail. La

    directive applicable assujettit le versement des prestations au fait que le travail a eu

    un effet causal significatif sur lvolution de la maladie qui frappe le travailleur.

    La preuve fournie par les experts mdicaux indique quils ont conclu

    labsence de donnes scientifiques permettant dtablir lexistence dun lien de

    causalit entre lincidence du cancer du sein et le travail en laboratoire des

    employes. Un agent de rvision du Workers Compensation Board (la

    Commission ) a rejet chacune des demandes des employes. Chacune delles a

    fait appel de la dcision de la Commission devant le Workers Compensation Appeal

    Tribunal (le Tribunal ). Une majorit des membres du Tribunal a qualifi de

    maladie professionnelle le cancer du sein dont taient atteintes les employes.

    Lemployeur a demand au Tribunal de rexaminer sa dcision et un comit de

    rexamen a confirm cette dcision. La demande de contrle judiciaire de

    lemployeur lencontre de la dcision initiale du Tribunal et de sa dcision sur la

    demande de rexamen a t accueillie; les deux dcisions ont t annules et laffaire

    a t renvoye au Tribunal. Dans lappel interjet par les employes, la Cour dappel

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    la majorit a rejet lappel, concluant que la dcision du Tribunal sur la demande de

    rexamen tait nulle et que sa dcision initiale tait manifestement draisonnable. Les

    employes se pourvoient maintenant devant la Cour et soulvent la question de savoir

    si le Tribunal a commis une erreur dans son analyse de la causalit. Le Tribunal se

    pourvoit lui aussi devant la Cour, soulevant la question de savoir sil peut, par une

    dcision sur une demande de rexamen, rouvrir une dcision antrieure pour

    dterminer si elle tait manifestement draisonnable.

    Arrt (la juge Ct est dissidente en partie) : Le pourvoi des employes

    est accueilli. Le pourvoi du Tribunal est rejet.

    La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis,

    Wagner et Brown : La norme de contrle applicable la dcision initiale du Tribunal

    commande la retenue, en labsence dune conclusion de fait ou de droit

    manifestement draisonnable. tant donn quune cour doit faire preuve de retenue

    lorsque les lments de preuve peuvent tayer une conclusion de fait, le caractre

    manifestement draisonnable nest pas tabli lorsque la cour de rvision estime

    simplement que la preuve est insuffisante.

    La prsence ou labsence de tmoignage dopinion dun expert qui

    confirme ou rfute lexistence dun lien de causalit nest pas un critre dterminant

    en matire de causalit. Il est possible dinfrer la causalit mme en prsence

    dune preuve dexpert non concluante ou contraire partir dautres lments de

    preuve, y compris dune preuve simplement circonstancielle. Sous rserve de la

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    norme de contrle applicable, lvaluation de la preuve incombe au juge des faits. En

    lespce, on ne saurait dire que la dcision initiale du Tribunal tait manifestement

    draisonnable. Bien que le dossier sur lequel reposait la dcision ne contienne aucune

    preuve dexpert confirmative, le Tribunal sest nanmoins fond sur dautres

    lments de preuve qui, perus de faon raisonnable, pouvaient tayer sa conclusion

    quant lexistence dun lien causal entre le cancer du sein des employes et leurs

    conditions de travail.

    De plus, selon la norme de preuve tablie au par. 250(4) de la Loi, lorsque

    les lments de preuve ont une valeur probante gale quant au lien de causalit, la

    question doit tre tranche en faveur des employs. Cette norme de preuve contraste

    nettement avec les normes dordre scientifique appliques par les experts mdicaux

    en lespce. Les membres majoritaires du Tribunal ont estim avec raison que les

    experts imposaient une norme de preuve trop stricte. En se fondant sur les

    conclusions incertaines des experts pour se prononcer quant lexistence de la preuve

    dun lien de causalit entre le cancer du sein des employes et leur travail, le juge en

    cabinet et les juges majoritaires de la Cour dappel ont commis une erreur de droit.

    Pour ce qui est de lappel du Tribunal, lemployeur estime linstar de la

    Cour dappel que la dcision du Tribunal sur la demande de rexamen tait nulle. En

    consquence, il ny a aucune raison de modifier la dcision de la Cour d appel cet

    gard.

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    La juge Ct (dissidente en partie) : Il y a accord avec les juges

    majoritaires uniquement en ce qui concerne lappel du Tribunal. Pour ce qui est de

    lappel des employes, il doit tre rejet puisque la dcision initiale du Tribunal est

    manifestement draisonnable et doit tre annule. Il nexiste dans ce dossier aucun

    lment de preuve et certainement aucun lment de preuve positive

    susceptible dtayer lexistence dun lien de causalit entre lemploi des employes et

    le dveloppement de leur maladie respective.

    Le rle de lexpert est prcisment de fournir au dcideur une conclusion

    que ce dernier, en raison de la nature technique de la question trancher, ne peut

    formuler. Le Tribunal nest pas prsum possder une expertise spcialise dans le

    domaine mdical. Ainsi, bien quil ne soit pas li par les conclusions des experts

    mdicaux, le Tribunal ne peut simplement carter leurs conclusions non contredites.

    En lespce, les rapports dexperts soumis au Tribunal taient catgoriques : la preuve

    prsente ne permettait pas dtablir lexistence dun lien de causalit entre le travail

    de chaque employe en tant que technicienne de laboratoire et le cancer du sein que

    chacune avait dvelopp.

    Dans la prsente affaire, les experts mdicaux ne cherchaient pas tablir

    lexistence dun lien de causalit avec un degr de certitude scientifique. Ayant ainsi

    limit le cadre de leur analyse, les experts mdicaux ont simplement conclu

    quaucune exposition des substances en milieu de travail ne pouvait de faon

    plausible avoir augment le risque de dvelopper un cancer du sein. En consquence,

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    mme en appliquant la norme assouplie de preuve applicable aux termes du

    par. 250(4) de la Loi, on ne trouve aucun lment de preuve positive susceptible de

    dmontrer lexistence dun lien causal significatif.

    Bien quil faille accorder de limportance aux conclusions tires par le

    juge des faits, la preuve au dossier doit nanmoins permettre dtayer les conclusions

    ainsi tires. Sinon, le juge des faits risque de dborder le cadre des infrences et des

    dductions raisonnables et de saventurer dans la jungle des pures hypothses etspculations. Le raisonnement par induction ou fond sur le bon sens ne peut tout

    simplement pas combler les lacunes insurmontables dans la preuve, que ce soit dans

    une action civile ou dans une demande administrative prsente en vertu de la Loi. En

    lespce, la dcision initiale du Tribunal repose uniquement sur lexistence dun

    groupe de cas diagnostiqus de cancer du sein. Les conclusions de fait tires par le

    Tribunal ne vont pas au-del de simples spculations. Le Tribunal a cart lopinion

    unanime des experts mdicaux, malgr le fait quil ne possdait lui-mme aucune

    connaissance spcialise dans le domaine mdical. Le Tribunal a galement fait fi de

    la directive applicable, qui prvoit quil doit exister suffisamment dlments de

    preuve positive permettant de conclure lexistence dun lien causal significatif,

    dfaut de quoi la seule dcision possible est le rejet de la demande.

    Jurisprudence

    Cite par le juge Brown

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    Arrts mentionns :Mustapha c. Culligan du Canada Lte, 2008 CSC

    27, [2008] 2 R.C.S. 114; Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311; Conseil de lducation

    de Toronto (Cit) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487; Sam c. Wilson,

    2007 BCCA 622, 78 B.C.L.R. (4th) 199; Moore c. Castlegar & District Hospital

    (1998), 49 B.C.L.R. (3d) 100; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008]

    1 R.C.S. 190; Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848;

    Ediger c. Johnston, 2013 CSC 18, [2013] 2 R.C.S. 98; Speckling c. Workers

    Compensation Board (B.C.), 2005 BCCA 80, 209 B.C.A.C. 86; F.H. c. McDougall,

    2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41; Kovach, Re (1998), 52 B.C.L.R. (3d) 98, inf. par

    2000 CSC 3, [2000] 1 R.C.S. 55; Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers

    Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890; Medwid c. Ontario (1988), 48 D.L.R.

    (4th) 272; Clements c. Clements, 2012 CSC 32, [2012] 2 R.C.S. 181.

    Cite par la juge Ct (dissidente en partie)

    Canada (Directeur des enqutes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1

    R.C.S. 748; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190;

    Conseil de lducation de Toronto (Cit) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S.

    487; Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de

    lindustrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740 , [1990] 3 R.C.S.

    644; R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24; R. c. Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d)

    330, autorisation dappel refuse, [2010] 2 R.C.S. v; Page c. British Columbia

    (WorkersCompensation Appeal Tribunal), 2009 BCSC 493; Snell c. Farrell, [1990]

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    2 R.C.S. 311; Fairchild c. Glenhaven Funeral Services Ltd., [2002] UKHL 22, [2003]

    1 A.C. 32; Caswell c. Powell Duffryn Associated Collieries, Ltd., [1940] A.C. 152;

    Kozak c. Funk (1997), 158 Sask. R. 283, conf. en partie (1995), 135 Sask. R. 81;

    Meringolo c. Oshawa General Hospital (1991), 46 O.A.C. 260, autorisation de

    pourvoi refuse, [1991] 3 R.C.S. vii; Syndicat canadien de la Fonction publique,

    section locale 963 c. Socit des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227.

    Lois et rglements cits

    Administrative Tribunals Act, S.B.C. 2004, c. 45, art. 58.

    Workers Compensation Act, R.S.B.C. 1996, c. 492, art. 6, 96, 96.2 96.4, 245.1(w),250(2), (4), 253.1, 254, 255(1), 256(2), ann. B.

    Doctrine et autres documents cits

    Anderson, Glenn R.Expert Evidence, 3rd ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.

    Cheifetz, David. The Snell Inference and Material Contribution : Defining theIndefinable and Hunting the Causative Snark (2005), 30Adv. Q.1.

    Colombie-Britannique. Workers Compensation Board. Rehabilitation Services &Claims Manual, vol. II (en ligne : http://www.worksafebc.com/publications).

    Haack, Susan. Evidence Matters : Science, Proof, and Truth in the Law, New York,

    Cambridge University Press, 2014.Hill, Austin Bradford. The Environment and Disease : Association or Causation?

    (1965), 58Proc. R. Soc. Med. 295.

    Occupational Health and Safety Agency for Healthcare in British Columbia. CancerCluster Investigation within the Mission Memorial Hospital Laboratory, FinalReport by George Astrakianakis et al., March 31, 2006 (en ligne :http://www.phsa.ca).

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    Wright, Richard W. Proving Causation : Probability versus Belief , in Richard

    Goldberg, ed.,Perspectives On Causation, Oxford, Hart, 2011, 195.

    POURVOIS contre un arrt de la Cour dappel de la

    Colombie-Britannique (les juges Newbury, Chiasson, Frankel, Bennett et Goepel),

    2014 BCCA 499, 364 B.C.A.C. 241, 82 Admin. L.R. (5th) 246, 67 B.C.L.R. (5th)

    213, 380 D.L.R. (4th) 204, 625 W.A.C. 241, [2015] 4 W.W.R. 1, [2014] B.C.J.

    No. 3111 (QL), 2014 CarswellBC 3824 (WL Can.), qui a confirm une dcision du

    juge Savage, 2013 BCSC 524, [2013] B.C.J. No. 605 (QL), 2013 CarswellBC 795

    (WL Can.). Pourvoi du Workers Compensation Appeal Tribunal rejet. Pourvoi de

    Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlane accueilli, la juge Ct est

    dissidente.

    Timothy J. Martiniuk et Jeremy Thomas Lovell, pour lappelant/intim

    WorkersCompensation Appeal Tribunal.

    Tonie Beharrell, Randall J. Noonan et Kaity Cooper, pour les

    appelantes/intimes Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlane.

    Nazeer T. Mitha, Dianne D. Rideout et Erin Cutler, pour lintime FraserHealth Authority.

    Christine Mohr et Alexander Pless, pour lintervenant le procureur

    gnral du Canada.

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    Sara Blake et Sandra Nishikawa, pour lintervenant le procureur gnral

    de lOntario.

    Ivana Petricone, pour les intervenants Ontario Network of Injured

    WorkersGroups et Industrial Accident Victims Group of Ontario.

    Monique Pongracic-Speier, pour les intervenantes Community Legal

    Assistance Society et British Columbia Federation of Labour.

    Version franaise du jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Abella,Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Brown rendu par

    LE JUGE BROWN

    I. Introduction

    [1] En lespce, la Cour est appele dterminer (1)si le Workers

    Compensation Appeal Tribunal de la Colombie-Britannique ( Tribunal ) peut, par

    une dcision sur une demande de rexamen , rouvrir une dcision antrieure pour

    dterminer si elle tait manifestement draisonnable ( lappel du Tribunal); et

    (2) si, eu gard aux circonstances de lespce, le Tribunal a commis une erreur dans

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    son analyse de la causalit1 en statuant que le cancer du sein dont chacune des

    employes tait atteinte constituait une [TRADUCTION] maladie professionnelle

    attribuable la nature de [leur] emploi ( lappel des employes). La Cour dappel

    de la Colombie-Britannique a conclu la majorit que la dcision du Tribunal sur la

    demande de rexamen (qui confirmait simplement sa dcision initiale) tait nulle, et

    que le Tribunal avait commis une erreur dans sa dcision initiale en concluant

    lexistence dun lien de causalit entre le cancer du sein dont taient atteintes les

    employes et leur emploi.

    [2] Je suis davis daccueillir lappel des employes et de rejeter lappel du

    Tribunal. Pour ce qui est de lappel du Tribunal, comme je lexplique plus loin,

    lintime Fraser Health Authority estime linstar de la Cour dappel que la dcision

    du Tribunal sur la demande de rexamen tait nulle. En consquence, je ne vois

    aucune raison de modifier la dcision de la Cour dappel cet gard. Toutefois, pour

    ce qui est de la question de la causalit que soulve lappel des employes, jestime,

    pour les motifs exposs ci-aprs, que compte tenu de la norme de contrle applicable,

    il ny avait pas lieu de modifier la conclusion du Tribunal quant lexistence dun

    lien de causalit entre le cancer du sein qui a frapp les employes et leur emploi.

    II. Aperu des faits et des procdures

    1 Le droit de la responsabilit dlictuelle reconnat deux dimens ions la causalit : la dimens ionfactuelle (en fait), et la dimension juridique (en droit/caractre loign) (Mustapha c. Culligan duCanada Lte., 2008 CSC 27, [2008] 2 R.C.S. 114, par. 3). Dans les prsents motifs, le terme causalit sentendde la caus alitfactuelle.

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    A. Contexte et dispositions lgislatives

    [3]

    Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlane font partie des

    sept techniciennes du mme laboratoire dun hpital qui ont appris tre atteintes dun

    cancer du sein. Chacune delles a rclam une indemnit au titre de la loi intitule

    Workers Compensation Act, R.S.B.C. 1996, c. 492 (la Loi ), en affirmant que le

    cancer constituait une maladie professionnelle .

    [4]

    La Loi tablit un rgime exhaustif dassurance sans gard la

    responsabilit lintention des travailleurs blesss en milieu de travail ou atteints de

    maladies professionnelles. Plus particulirement, suivant lart.6 de la Loi, lorsquun

    travailleur est invalide cause dune maladie professionnelle attribuable la nature

    de son travail, une indemnit doit lui tre verse tout [TRADUCTION] comme sil

    sagissait dune blessure corporelle survenue par le fait et loccasion de ce travail .

    [5] la rception dune demande, la commission des accidents du travail, le

    Workers Compensation Board (la Commission ), tranche, aprs examen et

    audition, toutes les questions de fait et de droit (art. 96). Certaines dcisions de la

    Commission sont susceptibles de rvision par un agent de rvision (art. 96.2 96.4),

    et peuvent ensuite tre portes en appel devant le Tribunal. Larticle 254 confre au

    Tribunal la [TRADUCTION] comptence exclusive pour trancher, aprs examen et

    audition, toutes les questions de fait, de droit, ainsi que les questions relatives

    lexercice dun pouvoir discrtionnaire, qui se posent ou qui doivent tre rsolues

    [dans les appels interjets sous le rgime de la Loi] . En outre, le Tribunal peut

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    modifier ses propres dcisions pour corriger une erreur dcriture ou de typographie,

    une erreur accidentelle ou commise par inadvertance, une omission ou toute autre

    erreur semblable , ou une erreur de calcul (art. 253.1), et il peut rexaminer une

    dcision pour corriger un vice juridictionnel ou sil existe de nouveaux lments de

    preuve (par. 253.1(5) et 256(2)).

    [6] Quant la question de savoir si un travailleur souffre dune maladie

    professionnelle attribuable la nature de son travail, le volume II du guide de laCommission intitul Rehabilitation Services & Claims Manual (RSCM II), qui

    nonce la directive que le Tribunal doit appliquer pour trancher ces appels

    (par. 250(2) de la Loi), assujettit le versement des prestations au fait que le travail a

    eu un effet [TRADUCTION] causal significatif sur lvolution de la maladie qui

    frappe le travailleur. Cest dire que le travail doit avoir jou un rle plus quanodin

    ou insignifiant dans la blessure ou le dcs (RSCM II, c. 3, art. 14.00), et il faut

    donc dterminer :

    sil existe un lien physiologique entre la blessure ou le dcs etlactivit professionnelle, notamment si lintensit ou la dure de cetteactivit taient telles quelles ont eu un effet causal significatif sur lablessure ou le dcs;

    sil existe un lien chronologique entre lactivit professionnelle et lablessure ou le dcs;

    si un problme de sant non li au travail a contribu la blessure ouau dcs.

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    [7] Selon le par. 250(4) de la Loi, lorsquil est saisi dun appel portant sur

    lindemnisation dun travailleur et que les lments de preuve relatifs une question

    sont [TRADUCTION] de valeur probante gale , le Tribunal doit trancher la question

    en faveur du travailleur . Autrement dit, le fardeau de la preuve nest pas celui de

    la prpondrance des probabilits applicable en droit civil. Si les lments de

    preuve contradictoires sont de valeur probante quivalente, la dcision doit tre

    favorable au travailleur. Il en va de mme pour dterminer si la maladie

    professionnelle est attribuable la nature du travail cest--dire pour trancher

    la question du lien de causalit : [TRADUCTION] [. . .] si la valeur probante des

    lments de preuve tendant indiquer que la maladie a t cause par le travail est

    peu prs quivalente celle des lments de preuve tendant indiquer le contraire, la

    question du lien de causalit sera tranche en faveur du travailleur (RSCM II, c. 4,

    art. 26.22).

    [8] Par leffet conjugu de lal.245.1(w) de la Workers Compensation Act et

    de lal.58(2)(a) de lAdministrative Tribunals Act, S.B.C. 2004, c. 45, la cour de

    rvision ne peut modifier une conclusion de fait ou de droit tire par le Tribunal et

    relative une question relevant de sa comptence exclusive que si cette conclusion

    est manifestement draisonnable.

    B. Preuve relative au lien de causalit

    [9] Devant la Commission, le Tribunal et les cours dinstance infrieure, la

    question de la causalit concernait ltiologie du cancer du sein dont taient atteintes

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    les employes2. La preuve relative cette question comprenait les trois rapports

    dexpert suivants :

    a) le rapport final de lagence de la sant et de la scurit au travail,

    lOccupational Health and Safety Agency for Healthcare

    ( OHSAH ) de la Colombie-Britannique, concernant les cas de

    cancer parmi le personnel du laboratoire o les employes avaient

    travaill (Cancer Cluster Investigation within the Mission Memorial

    Hospital Laboratory, rapport final, 31 mars 2006, p. 35 (en ligne)), et

    deux rapports prliminaires antrieurs, rdigs par divers employs de

    lOHSAH, des consultants et des stagiaires (collectivement les

    rapports de lOHSAH );

    b) le rapport du DrJeremy R. Beach, spcialiste en mdecine du travail;

    c) le rapport du DrM. W. Yamanaka, conseiller mdical de la

    Commission et spcialiste en mdecine du travail.

    [10]

    Les rapports de lOHSAH comprenaient une analyse des ouvrages

    scientifiques sur les facteurs associs au risque de cancer du sein, une analyse

    pidmiologique de lincidence du cancer parmi le personnel du laboratoire et une

    2 Les parties au contrle judiciaire ont convenu de procder seulement lgard de la demande deMme Hammer et ont accept que lissue sappliquerait aux demandes des deux autres appelantes(tant donn que les dcisions du Tribunal lgard de chacune delles taient essentiellementidentiques) : 2013 BCSC 524, par. 8 (CanLII).

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    enqute sur le terrain concernant lexposition possible des techniciens du laboratoire

    des substances potentiellement cancrignes. Ces rapports confirmaient que le

    nombre de diagnostics de cancer du sein (7 des 63 employes faisant lobjet de

    ltude avaient reu un tel diagnostic) constituait un groupe de cas statistiquement

    significatif, et que le [TRADUCTION] taux dincidence normalis pour le cancer du

    sein tait denviron huit fois celui auquel on pouvait sattendre dans la population en

    gnral. Au sujet des causes potentielles, les auteurs des rapports nont constat

    aucune exposition actuelle des substances chimiques en milieu du travail, mais ont

    not que lexposition antrieure de telles substances tait [TRADUCTION]

    vraisemblablement beaucoup plus leve , notamment un agent cancrigne pour

    les humains (rapport final, p. 35).

    [11]

    En dfinitive, les auteurs des rapports de lOHSAH ne faisaient pas tat

    de [TRADUCTION] conclusions scientifiques rvlant un lien entre lexposition en

    milieu de travail et le cancer du sein dans ce groupe de cas (rapport final, p. iii).

    Plus particulirement, selon les auteurs des rapports, [l]examen des ouvrages

    scientifiques ne nous a pas permis dtablir le fondement [dune hypothse

    tiologique qui reposerait sur des donnes scientifiques quant aux mcanismes

    lorigine du cancer du sein], car nous navons trouv aucune preuve scientifique

    permettant de conclure une hypothse plausible concernant ltiologie du cancer du

    sein qui serait lie au travail en laboratoire (p. iv). Les auteurs avanaient

    lhypothse que lincidence leve du cancer du sein parmi les employes du

    laboratoire pourrait tre attribuable (1) un regroupement de facteurs lis la

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    reproduction et dautres facteurs de risque connus autres que professionnels, (2)

    lexposition antrieure des substances chimiques cancrignes et moins

    probablement lexposition aux radiations ionisantes, et (3) une anomalie

    statistique (p. 39) (je souligne).

    [12]

    Dans leurs rapports, les DrsBeach et Yamanaka souscrivaient pour

    lessentiel aux conclusions des rapports de lOHSAH. Plus prcisment, les D rsBeach

    et Yamanaka souscrivaient aux conclusions des rapports de lOHSAH quant labsence de donnes scientifiques permettant dtablir lexistence dun lien de

    causalit entre lincidence du cancer du sein et le travail en laboratoire des

    employes. Le Dr Yamanaka allait un peu plus loin que le Dr Beach, affirmant (sans

    fournir des dtails) quil [TRADUCTION] prfrerai[t] rfuter plutt quappuyer

    lexistence de ce lien, et quil estimerai[t] que le cancer du sein dans ce cas tait

    attribuable des facteurs autres que professionnels (D.C., vol. 4, p. 230).

    C. Dcisions des juridictions infrieures

    (1) La Commission

    [13]

    Un agent de rvision de la Commission a rejet chacune des demandes,

    concluant que [TRADUCTION] la preuve ne [. . .] permet pas de conclure que la

    priode pendant laquelle [chaque employe] a travaill comme technicienne de

    laboratoire a jou un rle significatif dans le dveloppement du cancer du sein , et

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    dsignant divers facteurs de risque, autres que professionnels, en ce qui concerne le

    cancer du sein (D.C., vol. 3, p. 21).

    (2) Les dcisions initiales du Tribunal

    [14] Chacune des employes a fait appel de la dcision de la Commission

    devant le Tribunal. Une majorit constitue de deux membres du Tribunal a qualifi

    de maladie professionnelle le cancer du sein dont taient atteintes les employes. Ce

    faisant, les membres majoritaires ont reconnu la ncessit dune [TRADUCTION]

    preuve positive reliant la maladie et lemploi (D.C., vol. 1, p. 16), et ont cit

    larrt de la Cour Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311, pour affirmer quun dcideur

    peut tirer une conclusion de causalit conforme au bon sens en labsence dune

    preuve scientifique tablissant le lien de causalit les normes scientifiques tant

    plus rigoureuses que la norme moins stricte exige par le droit (D.C., vol. 1,

    p. 17). En cherchant [TRADUCTION] tirer des conclusions scientifiques rvlant

    lexistence dun lien entre lexposition en milieu de travail et ce groupe de cas de

    cancer du sein (rapport final, p. iii), les auteurs des rapports de lOHSAH ont donc

    appliqu une norme de preuve trop stricte. La norme applicable ntait pas celle qui

    est ncessaire pour tayer une conclusion scientifique, mais plutt celle que prvoit le

    par. 250(4) de laLoi.

    [15] La majorit a ensuite examin la preuve en se reportant aux indices

    dcrits par A. Bradford Hill ( The Environment and Disease : Association or

    Causation? (1965), 58 Proc. R. Soc.Med. 295) pour apprcier la preuve

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    pidmiologique de la causalit. En lespce, les critres que sont [TRADUCTION]

    limportance de lassociation (lincidence de la maladie parmi les employs

    exposs par rapport son incidence dans la population en gnral) et le lien

    chronologique (la proximit temporelle entre lexposition et lapparition de la

    maladie) taient clairement respects, bien que ce ntait pas le cas pour dautres

    critres. Les membres majoritaires ont toutefois conclu quil ntait pas ncessaire

    didentifier un agent causal en particulier, puisquil suffisait que la preuve fasse

    simplement ressortir un lien de causalit entre une maladie et un travail. En lespce,

    la preuve relative lexposition antrieure des substances cancrignes, laquelle

    sajoutait le groupe statistiquement significatif de cas de cancer du sein parmi le

    personnel de laboratoire, constituait une preuve positive permettant de conclure

    quil tait aussi probable quimprobable que le cancer du sein dont taient atteintes

    les employes ait t caus par une exposition des substances cancrignes au lieu

    de travail.

    [16]

    La membre dissidente a expliqu quelle convenait quil ntait pas

    ncessaire dexprimer une certitude scientifique, mais que les rapports dexpert ne

    fournissaient aucune preuve positive de lexistence dun lien de causalit. En

    consquence, ces rapports ne permettaient pas eux seuls de conclure que

    lexposition en milieu de travail constituait un lien de causalit significatif.

    (3)

    Les dcisions du Tribunal sur les demandes de rexamen

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    [17] Fraser Health a demand, au titre du par. 253.1(5) de la Workers

    Compensation Act, le rexamen3 des dcisions initiales du Tribunal. Bien que

    lart.253.1 autorise le Tribunal modifier ses dcisions pour corriger une erreur

    dcriture, de typographie ou de calcul, ou de prciser ses dcisions, le par. 5 de cet

    article prvoit que [TRADUCTION] [l]e prsent article na pas pour effet de limiter le

    pouvoir du tribunal dappel daccder la demande dune partie de rouvrir un appel

    pour remdier un vice juridictionnel . Fraser Health a soutenu quil y avait eu, en

    lespce, un vice juridictionnel , puisque la conclusion tire par le Tribunal dans

    ses dcisions initiales quant lexistence dun lien de causalit entre le cancer du sein

    des employes et leur emploi ntait pas taye par la preuve et tait donc

    manifestement draisonnable.

    [18]

    Le comit de rexamen (form dun seul membre) a examin les

    dcisions initiales pour dterminer si elles taient manifestement draisonnables et a

    conclu que, compte tenu du haut taux dincidence normalis et de lexposition

    antrieure des substances cancrignes, la formation initiale disposait dune preuve

    suffisante pour tayer ses conclusions relatives au lien de causalit.

    (4)

    Cour suprme de la Colombie-Britannique, 2013 BCSC 524

    [19] Fraser Health a demand le contrle judiciaire des dcisions du Tribunal,

    savoir les dcisions initiales et les dcisions sur les demandes de rexamen. Le juge

    3Selon le Tribunal, le par. 253.1(5) lui confre le pouvoir de rviser ses propres dcisions si elles sontmanifestement draisonnables. Il est plus exact de dire que le Tribunal rouvre une dcision, mais,par souci de clart, jadopte le terme( rexamen ) utilis par le Tribunal.

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    Savage (maintenant juge de la Cour dappel) a expliqu quil examinerait la dcision

    initiale pour savoir si elle tait manifestement draisonnable et quil dterminerait si

    la dcision sur la demande de rexamen tait correcte. Le juge a fait remarquer que

    les dcisions du Tribunal appellent le plus haut degr de retenue et, en particulier, que

    [TRADUCTION] le [Tribunal] a le privilge de se tromper, pourvu que certains

    lments de preuve puissent tayer sa conclusion (par. 11 (CanLII), citant Conseil

    de lducation de Toronto (Cit) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487,

    par. 44).

    [20] Cela tant dit, le juge en cabinet a fait observer que le Tribunal

    [TRADUCTION] ne pouvait pas carter la preuve dexpert et se fier sa propre

    expertise ou au bon sens, et quil tait manifestement draisonnable [pour le Tribunal]

    dagir ainsi (par. 34). En lespce, le juge sest fond sur la jurisprudence de la Cour

    dappel de la Colombie-Britannique plus prcisment sur larrtSam c. Wilson,

    2007 BCCA 622, 78 B.C.L.R. 199 (4th) 199, par. 41, citant larrt Moore c.

    Castlegar & District Hospital(1998), 49 B.C.L.R. (3d) 100 (C.A.), par. 11 selon

    lequel [TRADUCTION] lorsquune preuve mdicale affirmative mne une

    conclusion dordre mdical, la cour ne peut pas appliquer le raisonnement conforme

    au bon sens prconis dans Snell c. Farrell , ce qui faisait obstacle lapplication

    du bon sens aux questions de causalit en prsence dun avis dexpert contraire

    (motifs du juge en cabinet, par. 40). En lespce, les experts ont conclu sans

    quivoque que rien ne prouvait que des facteurs lis au milieu de travail avaient caus

    le cancer du sein dont taient atteintes les employes. Compte tenu de labsence de

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    tout lment de preuve en ce sens et [de] la prsence dun avis dexpert contraire

    (par. 49), la dcision initiale du Tribunal tait manifestement draisonnable et la

    dcision sur la demande de rexamen tait incorrecte. Les deux dcisions ont t

    annules et laffaire a t renvoye au Tribunal.

    (5)

    Cour dappel de la Colombie-Britannique, 2014 BCCA 499, 67 B.C.L.R.(5th) 213

    [21]

    Les employes ont fait appel de la dcision du juge Savage, et la Cour

    dappel a invit les parties prsenter des observations concernant, notamment, la

    comptence du Tribunal pour rexaminer sa dcision initiale dans la prsente affaire.

    Le juge Chiasson, avec lappui des juges Frankel et Goepel, a conclu que le

    par. 253.1(5) de la Workers Compensation Act ne fait que prserver le pouvoir de

    common law du Tribunal de rouvrir un dossier afin de complter la tche que lui

    confie la loi, et quil nautorise donc pas le Tribunal corriger les erreurs commises

    dans les limites de sa comptence. Linterprtation du par. 253.1(5) que donne le

    Tribunal, selon laquelle il peut rexaminer ses propres dcisions afin dy relever les

    erreurs manifestement draisonnables quil aurait pu commettre et de les corriger, ne

    trouve aucun appui dans le pouvoir de common law de rouvrir une dcision ni dans

    lhistorique lgislatif de la Loi. Comme aucun vice de comptence vritable ntait

    allgu, la dcision du Tribunal sur la demande de rexamen tait nulle. Le juge

    Chiasson a donc rejet lappel de lordonnance par laquelle le juge en cabinet a

    annul la dcision sur la demande de rexamen.

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    [22] La juge Newbury, avec lappui de la jugeBennett, ntait pas daccord.

    Lexpression vice de comptence lart.253.1, lequel est antrieur larrt de la

    Cour Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, ne devrait

    pas seulement permettre au Tribunal de rexaminer ses dcisions afin de pouvoir

    corriger les erreurs touchant vritablement la comptence, au sens que larrt

    Dunsmuir donne ce terme. Elle devrait plutt tre interprte la lumire du

    pouvoir de common law de rouvrir une dcision, qui, selon la juge Newbury, sentend

    du pouvoir dun tribunal de dterminer si une dcision initiale tait manifestement

    draisonnable. Dun point de vue pratique, le fait de restreindre le pouvoir du

    Tribunal de rexaminer ses propres dcisions afin de dterminer si elles sont

    manifestement draisonnables entranerait davantage de procdures judiciaires et

    contreviendrait lobjet de la Loiet aux principes de droit administratif en gnral.

    [23]

    En ce qui concerne la question du lien de causalit, le juge Chiasson, avec

    lappui du juge Frankel, a estim que, malgr la prsence de [TRADUCTION] certains

    lments de preuve permettant au Tribunal de conclure lexistence dun lien de

    causalit (plus prcisment, l anomalie statistique relative au taux lev de cancer

    du sein parmi le personnel du laboratoire), une telle conclusion exigeait

    [TRADUCTION] plus dlments de preuve (par. 198 et 199). La conclusion du

    Tribunal relative au lien de causalit tait par consquent manifestement

    draisonnable.

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    [24] Dans des motifs distincts, le juge Goepel a convenu que le juge en

    cabinet avait eu raison dannuler la dcision initiale puisquelle tait manifestement

    draisonnable. Pour trancher les questions relatives au lien de causalit souleves

    dans la prsente affaire, il fallait disposer dune preuve dexpert dordre

    [TRADUCTION] mdical et scientifique (par. 209). Faute dune telle expertise,

    le Tribunal ne peut faire fi dune preuve dexpert non contredite et y substituer sa

    propre opinion. En labsence dune preuve positive tablissant un lien entre la

    maladie et lemploi (par. 211), et en prsence dune preuve dexpert leffet

    contraire, la dcision du Tribunal tait manifestement draisonnable.

    [25] La juge Newbury, toujours avec lappui de la juge Bennett, a fait

    remarquer que la norme de contrle de la dcision manifestement draisonnable

    commande le degr de retenue le plus lev et permet aux tribunaux dintervenir

    uniquement si [TRADUCTION] aucun lment de preuve ntayait les conclusions

    du Tribunal ou si sa dcision tait ostensiblement et manifestement errone

    (par. 70). En lespce, les experts nont pas cart lexistence dun lien causal entre

    les conditions de travail au laboratoire et le cancer des employes. Si les experts ont

    reconnu que lexposition actuelle des substances chimiques tait minime,

    lexposition antrieure tait probablement beaucoup plus leve et comprenait au

    moins un agent cancrigne pour les humains. Aprs un examen minutieux de la

    preuve, le Tribunal pouvait juste titre conclure que la probabilit dune anomalie

    statistique ne lemportait pas sur la probabilit que les cas de cancer du sein en cause

    constituent une maladie professionnelle. Compte tenu de lesprit et des objets du

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    rgime dindemnisation des travailleurs, qui exige que le Tribunal statue en faveur du

    travailleur lorsque les lments de preuve tayant des conclusions diffrentes sur une

    question sont de valeur probante gale, la dcision initia le du Tribunal ntait pas

    manifestement draisonnable et le juge en cabinet naurait pas d la modifier.

    III.

    Analyse

    A. Comptence du Tribunalpour rexaminer sa propre dcision

    [26]

    Fraser Health, qui a demand au Tribunal de rexaminer sa dcision, fait

    maintenant valoir que les juges majoritaires de la Cour dappel ont juste titre

    qualifi de dcision nulle la dcision sur la demande de rexamen. Selon elle, le

    pouvoir du Tribunal de revenir sur une dcision au titre du par. 253.1(5) de la

    Workers Compensation Act [TRADUCTION] pour corriger un vice juridictionnel se

    limite au pouvoir de common law de rouvrir une dcision, comme la soulign la

    Cour dans Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, p. 861,

    o elle dit que le tribunal . . . ne peut revenir sur sa dcision [finale] simplement

    parce quil a chang davis, parce quil a commis une erreur dans le cadre de sa

    comptence, ou parce que les circonstances ont chang .

    [27] lencontre, le Tribunal soutient que lnonc [TRADUCTION] corriger

    un vice juridictionnel , au par. 253.1(5), a une porte suffisamment large pour

    permettre le rexamen dune dcision manifestement draisonnable. Le Tribunal

    estime que, lorsquil procde au rexamen de sa propre dcision, il agit effectivement

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    comme une cour saisie dun contrle judiciaire, en appliquant la norme de contrle de

    la dcision manifestement draisonnable nonce lal. 58(2)(a) de lAdministrative

    Tribunals Act.

    [28] tant donn que Fraser Health prtend quelle naurait pas d obtenir le

    rexamen de la dcision initiale du Tribunal et que la dcision sur la demande de

    rexamen est nulle, je ne vois aucune raison de modifier la dcision de la Cour

    dappel sur cette question.

    B. Causalit

    (1) Norme de contrle

    [29] Tel quindiqu prcdemment et comme les parties lont reconnu, la

    norme de contrle applicable commande la retenue, en labsence dune conclusion de

    fait ou de droit manifestement draisonnable : al. 58(2)(a) de lAdministrative

    Tribunals Act.

    [30] En concluant que le cancer du sein dont taient atteintes les employes

    constituait une maladie professionnelle cause par la nature de leur emploi, le

    Tribunal a tir une conclusion de fait (Ediger c. Johnston, 2013 CSC 18, [2013] 2

    R.C.S. 98, par. 29). Cette conclusion commande donc la retenue, sauf si Fraser Health

    dmontre son caractre manifestement draisonnable, savoir que les lments de

    preuve, perus de faon raisonnable, ne peuvent tayer les conclusions de fait du

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    tribunal (Conseil de lducation de Toronto (Cit),par. 45). tant donn que la cour

    doit faire preuve de retenue lorsque les lments de preuve peuvent tayer (par

    opposition dmontrer de faon concluante) une conclusion de fait, le caractre

    manifestement draisonnable nest pas tabli lorsque la cour de rvision estime

    simplement que la preuve est insuffisante (Speckling c. Workers Compensation

    Board (B.C.), 2005 BCCA 80, 209 B.C.A.C. 86, par. 37). En dautres termes, selon

    cette norme de contrle, la cour de rvision doit sabstenir dapprcier de nouveau la

    preuve, de rejeter les conclusions que le juge des faits en avait tires ou de substituer

    ses propres conclusions celles du juge des faits.

    (2) La conclusion du Tribunal relative au lien de causalit

    [31] Naturellement, les employes invoquent le par. 250(4) de la Workers

    Compensation Act, selon lequel, lorsque les lments de preuve ont une valeur

    probante gale quant au lien de causalit, la question doit tre tranche en leur faveur.

    Nous convenons quil sagit l dune distinction importante par rapport aux actions en

    responsabilit civile dlictuelle, o le lien de causalit doit toujours tre tabli selon la

    prpondrance des probabilits (F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S.

    41, par. 49; Ediger, par. 28; Kovach, Re (1998), 52 B.C.L.R. (3d) 98 (C.A.), par. 30

    (le juge Donald, dissident), inf. par 2000 CSC 3, [2000] 1 R.C.S. 55). Ce fardeau de

    preuve moins rigoureux, tout comme la directive du RSCM II, selon laquelle il suffit

    que le lieu de travail ait un effet [TRADUCTION] causal significatif ou joue un rle

    plus quanodin ou insignifiant dans lvolution de la maladie dont est atteint le

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    travailleur, favorise au moins lun des principaux objectifs gnraux des rgimes

    dindemnisation des travailleurs reconnus par la Cour dans Pasiechnyk c.

    Saskatchewan (Workers Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890, par. 27, citant

    Medwid c. Ontario (1988), 48 D.L.R. (4th) 272 (H.C. Ont.), p. 279, consistant en

    lindemnisation rapide des travailleurs blesss, sans poursuites judiciaires . Le

    paragraphe 250(4) reflte donc lintention du lgislateur de faire en sorte que les

    employs victimes de maladies professionnelles soient indemniss sans quils aient

    satisfaire aux exigences des actions en responsabilit civile dlictuelle.

    [32] La norme de preuve prvue au par. 250(4) contraste nettement avec les

    normes dordre scientifique appliques par les auteurs des rapports de lOHSAH.

    Limpossibilit pour ces derniers [TRADUCTION] de tirer des conclusions

    scientifiques (rapport final, p. iii) tayant le lien de causalit entre les conditions

    prsentes au lieu de travail et le cancer du sein dont taient atteintes les employes, ou

    de trouver une preuve scientifique permettant de conclure la plausibilit dune

    hypothse concernant ltiologie du cancer du sein lie au travail en laboratoire

    (p. iv), navait pas trait au fardeau que le par. 250(4) imposait aux employes, ni

    mme au fardeau impos aux demandeurs dans les actions en responsabilit civile

    dlictuelle (Ediger, par. 36; Clements c. Clements, 2012 CSC 32, [2012] 2 R.C.S.

    181, par. 9; Snell, p. 328 330), mais une norme de certitude scientifique. Les

    membres majoritaires du Tribunal ont estim que les rapports de lOHSAH

    imposaient donc une norme de preuve trop stricte. Je suis daccord. Cette norme nest

    nullement applicable lanalyse de la causalit que commandent les demandes des

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    employes (R. W. Wright, Proving Causation : Probability versus Belief , dans

    R. Goldberg, dir., Perspectives On Causation (2011), p. 195; S. Haack, Evidence

    Matters: Science, Proof, and Truth in the Law (2014), p. 22). Jestime donc quen se

    fondant sur les conclusions incertaines des rapports de lOHSAH pour se prononcer

    quant lexistence de la preuve dun lien de causalit entre le cancer des employes

    et leur emploi, le juge en cabinet et les juges majoritaires de la Cour dappel ont

    commis une erreur de droit.

    [33] Cela dit, le problme fondamental que pose lapproche adopte par les

    cours dinstance infrieure en matire de causalit ne tient pas leur dfaut de tenir

    compte comme il se doit de la norme de preuve moins rigoureuse exige par le

    par. 250(4), mais leur erreur fondamentale dapprciation quant la faon dont la

    preuve quelle que soit la norme applicable permet dinfrer la causalit.

    [34] Rappelons que la preuve relative au lien de causalit dont disposait le

    Tribunal comprenait pour lessentiel les rapports de lOHSAH (corrobors par les

    rapports des DrsBeach et Yamanaka), qui (1) confirmaient lexistence dun

    [TRADUCTION] groupe de cas statistiquement significatif de cancer du sein, dont le

    taux dincidence normalis tait denviron huit fois suprieur au taux du cancer du

    sein dans la population en gnral; et (2) indiquaient que lexposition antrieure des

    substances chimiques, notamment un agent cancrigne connu, avait

    vraisemblablement t beaucoup plus leve que lexposition actuelle; mais qui

    (3) faisaient aussi tat de limpossibilit de tirer des conclusions scientifiques

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

    33/55

    tayant le lien entre lexposition en milieu de travail et le cancer du sein dans ce

    groupe (rapport final, p. iii). En consquence, les rapports de lOHSAH ne faisaient

    quavancer lhypothse selon laquelle lincidence accrue du cancer du sein parmi les

    employes du laboratoire pourrait tre attribuable des facteurs de risque autres que

    professionnels, des facteurs de risque professionnels comme lexposition des

    substances chimiques ou aux radiations ionisantes, ou une anomalie statistique.

    [35]

    Dans des motifs longs et dtaills expliquant pourquoi il concluait lexistence dun lien causal significatif entre la preuve de lexposition antrieure

    des substances cancrignes et le groupe statistiquement significatif de cas de cancer

    du sein, le Tribunal a examin avec soin les rapports de lOHSAH. Il a fait observer

    juste titre que ces rapports [TRADUCTION] nexcluaient pas la possibilit dun lien de

    causalit avec le lieu de travail , et quil ne disposait pas de suffisamment

    dlments de preuve quant lexposition antrieure des substances cancrignes

    (D.C., vol. 1, p. 47). En outre, le Tribunal a reconnu quil est possible que le groupe

    de cas de cancer du sein constitue une anomalie statistique , ce qui ntait pas sans

    soulever quelque incertitude (p. 48). Le Tribunal a choisi cependant daccorder de

    limportance aux observations formules dans les rapports suivant lesquelles

    lexposition antrieure tait vraisemblablement beaucoup plus leve (p. 47), ce

    qui lui a permis de conclure que la probabilit dune anomalie statistique ne

    lemportait pas sur la probabilit que le cancer du sein dont taient atteintes les

    employes constitue une maladie professionnelle cause par la nature de leur emploi.

    Comme lexplique le Tribunal :

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

    34/55

    notre avis, la preuve la plus convaincante tient peut-tre au fait que lesemployes atteintes dun cancer du sein ont t exposes des substancescancrignes et que le [taux dincidence normalis] statistiquement

    significatif est trs lev pour le cancer du sein. Notre dcision ne reposepas simplement sur le [taux dincidence normalis] statistiquementsignificatif trs lev lgard du cancer du sein.

    Ce [taux dincidence normalis] est pris en compte au regard de la normede preuve particulire que nous avons applique, de lexposition desemployes des substances cancrignes, ainsi que des commentairesformuls [dans le rapport final] selon lesquels tous les agentscancrignes peuvent contribuer lapparition et au dveloppement duncancer, que les possibles effets synergiques, cumulatifs ou antagonistesdes cas multiples dexposition des substances chimiques sont peu

    connus, et que dans le pass, lexposition de telles substances taitvraisemblablement beaucoup plus frquente. [D.C., vol. 1, p. 48]

    [36] Estimant qu[TRADUCTION] aucun lment de preuve nindiquait que

    des facteurs relatifs au lieu de travail avaient caus le cancer [dont les employes

    taient atteintes] (par. 44), le juge en cabinet a conclu que le Tribunal avait, de

    manire inacceptable cart[] la preuve dexpert et stait fi sa propre expertise

    ou au bon sens (par. 34). De mme, ayant conclu labsence dune [TRADUCTION]

    preuve positive tablissant un lien entre la maladie et lemploi (par. 211), le juge

    Goepel de la Cour dappel (sexprimant au nom de la majorit sur ce point) a convenu

    que [TRADUCTION] [l]a question trancher exigeait une preuve dexpert

    scientifique (par. 209), et lon ne saurait prsumer que le Tribunal disposait dune

    telle expertise.

    [37] En toute dfrence, la question que le Tribunal a tranche tait

    exactement une question du type de celles que le lgislateur entendait quil tranche.

    Larticle254 de la Loi prvoit que, dans les appels interjets lencontre des

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

    35/55

    dcisions de la Commission, le Tribunal jouit dune comptence exclusive pour

    statuer sur toutes les questions de fait. Il est vrai que, ce faisant, le Tribunal peut

    choisir de sappuyer sur la preuve dexpert qui lui est prsente (comme il sest

    appuy en lespce sur la preuve dexpert concernant lhistorique de lexposition

    des substances chimiques et le groupe statistiquement significatif de cas de cancer du

    sein parmi le personnel du laboratoire), mais il reste que la dcision lui appartient.

    [38]

    En consquence, la prsence ou labsence de tmoignage dopinion dunexpert qui confirme (ou rfute) lexistence dun lien de causalit nest pas un critre

    dterminant en matire de causalit (par exemple Snell, p. 330 et 335). Le juge des

    faits peut tenir compte dautres lments de preuve, tout comme la fait le Tribunal,

    pour dterminer sils permettent de conclure que, en lespce, le cancer du sein dont

    taient atteintes les employes tait caus par leur emploi. Cest ce qui explique

    limportance que le juge en cabinet a attache aux dcisions de la Cour dappel dans

    Sam et Moore, et la dclaration du juge Goepel selon qui il faut tablir par une

    [TRADUCTION] preuve positive un lien entre le cancer du sein des appelantes et

    leurs conditions de travail. Quelle que soit la faon dont il fallait envisager la

    preuve positive dans ces dcisions, il ne faut pas oublier quil est possible

    dinfrer la causalit mme en prsence dune preuve dexpert non concluante ou

    contraire partir dautres lments de preuve, y compris dune preuve simplement

    circonstancielle. Cela ne veut pas dire pour autant que la preuve dun historique

    pertinent de lexposition des substances cancrignes et dun groupe de cas de

    cancer statistiquement significatif permettra toujours, elle seule, de conclure que le

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    cancer du sein dont est atteinte une employe est attribuable une maladie

    professionnelle. Cela signifie toutefois que cette preuve peut savrer suffisante. Tout

    dpend de la faon dont le juge des faits choisit, en exerant son propre jugement,

    dvaluer la preuve. Et je le rpte, sous rserve de la norme de contrle applicable,

    lvaluation de la preuve incombe au juge des faits en loccurrence au Tribunal.

    [39] Compte tenu de ce qui prcde, on ne saurait dire que la dcision initiale

    du Tribunal tait manifestement draisonnable . Bien que le dossier sur lequelreposait la dcision ne contienne aucune preuve dexpert confirmative, le Tribunal

    sest nanmoins fond sur dautres lments de preuve qui, perus de faon

    raisonnable, pouvaient tayer sa conclusion quant lexistence dun lien causal entre

    le cancer du sein des employes et leurs conditions de travail.

    IV.

    Conclusion

    [40] Je suis davis daccueillir lappel des employes, avec dpens devant

    cette Cour et devant les cours dinstance infrieure payables par Fraser Health

    Authority en faveur de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlane. Les

    dcisions initiales du Tribunal sont rtablies. Je suis davis de rejeter lappel du

    Tribunal, sans dpens.

    Version franaise des motifs rendus par

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

    37/55

    LA JUGE CT

    [41]

    Je diverge dopinion avec mon collgue le juge Brown en ce qui concerne

    lappel interjet par Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlane (lappel

    des employes ) car selon moi, la dcision initiale du Workers Compensation

    Appeal Tribunal (le Tribunal ) est manifestement draisonnable. Selon mon

    analyse, il nexiste dans ce dossier aucun lment de preuve et certainement aucun

    lment de preuve positive susceptible dtayer lexistence dun lien de causalitentre lemploi des employes et le dveloppement de leur maladie respective. Les

    trois rapports dexperts soumis au Tribunal tablissaient seulement lexistence dun

    groupe de cas de cancer du sein diagnostiqus, et rien de plus. mon avis, le

    Tribunal sest fond sur ce quil a appel [TRADUCTION] le simple bon sens pour

    spculer quant un possible lien de causalit tout en cartant carrment lopinion

    unanime dexperts mdicaux. Ainsi, on ne peut contester [et] il est tout fait

    vident que la dcision du Tribunal est errone et doit tre annule : Canada

    (Directeur des enqutes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, par. 57.

    [42] En ce qui a trait lappel du Tribunal, lequel soulve la question de la

    nullit de la dcision rendue par le Tribunal saisi de la demande de rexamen, je suis

    daccord avec mon collgue le juge Brown pour dire quil doit tre rejet. cet

    gard, il ny a pas lieu de modifier la conclusion des juges majoritaires de la Cour

    dappel de la Colombie-Britannique.

    A. Contexte

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

    38/55

    [43] La question dont le Tribunal tait saisi tait de savoir si le cancer du sein

    dont chacune des trois employes tait atteinte tait [TRADUCTION] attribuable

    leur emploi de technicienne au laboratoire du Mission Memorial Hospital, un lien de

    causalit exig par lal.6(1)b) de la Workers Compensation Act, R.S.B.C. 1996,

    c. 492 (la WCA ).

    [44] Bien que lannexeB de la WCA numre plusieurs maladies

    professionnelles rputes tre [TRADUCTION] attribuables la nature de lemploidans le contexte de certains processus ou secteurs dactivit, le cancer du sein ne

    figure pas dans la liste. La preuve soumise au Tribunal doit donc tablir lexistence

    dun lien de causalit entre lemploi et la maladie.

    [45] Une directive dun guide du Workers Compensation Board (la

    Commission ) intitul Rehabilitation Services & Claims Manual, Vol. II (le

    RSCM II ), prcise que, pour quune maladie soit [TRADUCTION] attribuable

    la nature de lemploi, celui-ci doit avoir un lien causal significatif, cest--dire quil

    doit avoir jou un rle plus quanodin ou insignifiant dans la blessure ou le dcs :

    c. 3, art. 14.00 (je souligne).

    [46]

    La directive de la Commission va toutefois plus loin et exige quil existe

    une preuve positive suffisante pour que lon puisse conclure lexistence dun lien

    causal significatif. Selon le RSCM II, [TRADUCTION] si la Commission ne dispose

    pas dlments de preuve positive tendant dmontrer que la maladie est attribuable

    la nature de lemploi du travailleur, ou si ces lments de preuve sont insuffisants, la

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

    39/55

    seule dcision que peut rendre la Commission est le rejet de la demande : c. 4,

    art. 26.22 (je souligne). Comme mon collgue le juge Brown le fait observer, le

    Tribunal est tenu dappliquer les directives de la Commission lorsquil rend ses

    dcisions : par. 250(2) de la WCA. Les membres majoritaires du Tribunal ont

    galement reconnu cette exigence : WCAT-2010-03503 (la dcision initiale ),

    par. 46-47.

    [47]

    Dans le cas qui nous occupe, la Commission a dabord rejet lesdemandes soumises par les employes. Un agent de rvision de la division des

    rvisions de la Commission a confirm ces dcisions, tant davis que la preuve ne

    permettait pas de conclure que la priode pendant laquelle chaque employe avait

    travaill comme technicienne de laboratoire avait jou un rle important dans le

    dveloppement du cancer du sein. En appel, une majorit constitue de deux membres

    du Tribunal a conclu que la preuve positive tait suffisante pour tablir que le cancer

    du sein des employes tait attribuable leur emploi, mais la membre dissidente du

    Tribunal a exprim une opinion diffrente et a conclu que les rapports dexperts

    navaient pas fourni de preuve positive suffisante quant lexistence dun lien de

    causalit. La conclusion de la membre dissidente a par la suite t confirme, puisque

    la Cour suprme de la Colombie-Britannique a annul la dcision du Tribunal et que

    les juges majoritaires de la Cour dappel de la Colombie-Britannique ont confirm

    cette ordonnance.

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

    40/55

    [48] Nul ne conteste quune juridiction de rvision ne peut modifier la

    dcision du Tribunal que si cette dcision est manifestement draisonnable : art. 58 de

    lAdministrative Tribunals Act, S.B.C. 2004, c. 45, par. 255(1) de la WCA. Selon la

    jurisprudence antrieure larrt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9,

    [2008] 1 R.C.S. 190, une dcision est manifestement draisonnable si on ne peut

    contester [et qu] il est tout fait vident quelle est errone: Southam, par. 57. Plus

    prcisment, une conclusion de fait sera manifestement draisonnable si elle ne

    repose sur aucune preuve ou lorsque les lments de preuve, perus de faon

    raisonnable, ne peuvent tayer la conclusion de fait en question : Conseil de

    lducation de Toronto (Cit) c. F.E.E.E.S.O., district15, [1997] 1 R.C.S. 487,

    par. 44 et 45; Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et

    apprentis de lindustrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990]

    3 R.C.S. 644, p. 669.

    [49] Ni la Cour suprme de la Colombie-Britannique ni les juges majoritaires

    de la Cour dappel nont soupes de nouveau la preuve soumise au Tribunal. En

    dautres termes, les juridictions infrieures ne se sont pas cartes de la norme de

    contrle requrant un degr lev de retenue judiciaire. Les juges Chiasson, Frankel

    et Goepel de la Cour dappel et le juge Savage de la Cour suprme se sont plutt dits

    davis que le Tribunal ne disposait daucun lment de preuve lui permettant de

    conclure lexistence dun lien causal significatif. Je suis du mme avis. Mme en

    appliquant cette norme de contrle requrant un degr de retenue lev, la dcision du

    Tribunal devrait tre annule.

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

    41/55

    B. Les rapports dexperts soumis au Tribunal

    [50]

    Les trois rapports dexperts soumis au Tribunal taient catgoriques. Les

    experts ont exprim un avis unanime, en des termes clairs et non ambigus, selon

    lequel la preuve prsente ne permettait pas dtablir lexistence dun lien de causalit

    entre le travail de chaque employe en tant que technicienne de laboratoire et le

    cancer du sein que chacune avait dvelopp.

    [51]

    Au sujet dune des employes en cause, MmeKatrina Hammer, le

    conseiller mdical de la Commission, le docteur Yamanaka, a conclu ce qui suit :

    [TRADUCTION] [i]l ny a pas suffisamment de preuve mdicale pour conclure que le

    milieu de travail a caus le dveloppement du cancer du sein gauche de MmeHammer

    ou y a contribu de faon significative : D.C., vol. 4, p. 226. Cette conclusion ft

    formule de faon encore plus catgorique dans la version dfinitive du rapport

    intitul Cancer Cluster Investigation within the Mission Memorial Hospital

    Laboratory, ralis par un groupe de sept auteurs pour le compte de lOccupational

    Health and Safety Agency for Healthcare, lagence de sant et de scurit du travail

    de la Colombie-Britannique (le rapport final de lOHSAH ) (en ligne). Les auteurs

    ont fait observer quils navaient [TRADUCTION] trouv aucune preuve scientifique

    permettant de conclure une hypothse plausible concernant ltiologie du cancer du

    sein qui serait lie au travail en laboratoire : p. iv (je souligne). Enfin, le

    docteur Beach, un expert en mdecine professionnelle charg de rviser le rapport

    final de lOHSAH, sest pour lessentiel ralli aux conclusions du rapport.

  • 7/25/2019 Dcision de la Cour suprme du Canada sur la cause de Katrina Hammer, Patricia Schmidt et Anne MacFarlan

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    [52] On ne saurait trop insister sur limportance de lopinion unanime des

    experts dans le cas qui nous occupe. Le rle de lexpert est prcisment de fournir au

    dcideur une conclusion que ce dernier, en raison de la nature technique de la

    question trancher, ne peut formuler : R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24, p. 42; R. c.

    Abbey, 2009 ONCA 624, 97 O.R. (3d) 330, par. 71, autorisation dappel refuse,

    [2010] 2 R.C.S. v; voir galement G. R. Anderson, Expert Evidence (3e d. 2014),

    p. 625.

    [53] Je tiens signaler ici que le Tribunal nest pas prsum possder une

    expertise spcialise dans le domaine mdical : Page v. British Columbia (Workers

    Compensation Appeal Tribunal), 2009 BCSC 493, par. 62-66. Par consquent, bien

    quil ne soit pas li par les conclusions des experts mdicaux, le Tribunal ne peut

    simplement carter leurs conclusions non contredites. En labsence dautres lments

    de preuve leffet contraire, il faut se demander comment le Tribunal a pu conclure

    lexistence dun lien de causalit l o tous les experts nen ont vu aucun.

    [54] Dans le cas qui nous occupe, les deux membres majoritaires du Tribunal

    ont exprim lavis que les experts avaient tent dtablir lexistence dun lien de

    causalit avec un degr de certitude scientifique, plutt que selon la norme de preuve

    sensiblement moins exigeante prvue au par. 250(4) de la WCA : dcision initiale,

    par. 180-182. Si tel tait le cas, le Tribunal aurait certainement eu raison dcarter les

    conclusions unanimes des experts. En effet, lanalyse qua faite le Tribunal fait cho

    au principe retenu dans larrt Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311, selon lequel il

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    nest pas ncessaire que le lien de causalit soit tabli avec une prcision scientifique.

    Ce principe sapplique avec encore plus de force dans le contexte de demandes

    prsentes dans le cadre de la WCA.

    [55] Cependant, les faits de la prsente affaire diffrent de ceux de laffaire

    Snell. Les auteurs des trois rapports dexperts ne cherchaient pas tablir lexistence

    dun lien de causalit avec un degr de certitude scientifique. Au contraire, ils se sont

    plutt demand plusieurs reprises si certaines expositions en milieu de travail[TRADUCTION] pourraient ou pouvaient tre relies une augmentation des

    risques , y contribuer sensiblement ou avoir eu un effet causal important .

    [56]

    Ayant ainsi limit de faon justifie leur analyse, les experts mdicaux

    nont pu dmontrer lexistence ne serait-ce que dune justification plausible

    permettant dtablir lexistence dun lien de causalit entre le travail des employes et

    leur maladie respective.

    [57] Le rapport final de lOHSAH, lequel constituait le principal lment de

    preuve mdicale prsent au Tribunal, lillustre bien. Ce rapport tait simplement une

    [TRADUCTION] tude pidmiologique prliminaire . Ses auteurs taient chargs de

    relever toute exposition pouvant tre associe une augmentation des cas dans un

    milieu de travail : p. 32 (je souligne). Sils avaient dcel une telle exposition, les

    auteurs auraient alors recommand une tude pidmiologique plus pousse

    visant dterminer le lien entre lexposition et le risque accru de dvelopper un

    cancer du sein : p. 32. Ainsi, dans le rsum du rapport final de lOHSAH, les auteurs

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    nont pas abord la question de savoir si lexposition certaines substances en milieu

    de travail avait caus le cancer du sein des employes avec un degr de certitude

    scientifique, mais plutt si lexposition certains produits chimiques pouvait tre

    lie une augmentation du risque : p. iii (je souligne).

    [58]

    En dfinitive, les auteurs du rapport final de lOHSAH nont pas

    recommand que lon procde une tude pidmiologique plus pousse en

    expliquant quils navaient [TRADUCTION] trouv aucune preuve scientifiquepermettant de conclure une hypothse plausible concernant ltiologie du cancer du

    sein qui serait lie au travail en laboratoire : p. iv (je souligne). Les auteurs ont

    poursuivi, dans leur conclusion, en affirmant quils navaient trouv en milieu de

    travail aucune exposition actuelle des produits chimiques ou trace dexposition

    antrieure de telles substances qui permettrait dtablir un lien entre le travail en

    laboratoire au [Mission Memorial Hospital] et un risque lev de dvelopper un

    cancer du sein ou un cancer en gnral : p. 38 (je souligne).

    [59] En rsum, ce ne sont pas l des termes quemploieraient des experts

    mdicaux la recherche dune causalit fonde sur un facteur dterminant tabli avec

    un degr de certitude scientifique. Les auteurs ont simplement conclu quaucune

    exposition des substances en milieu de travail ne pouvait de faon plausible avoir

    augment le risque de dvelopper un cancer du sein. Selon la lecture que je fais du

    rapport final de lOHSAH, mme en appliquant la norme assouplie de preuve

    applicable dans le cadre du rgime dindemnisation des victimes daccidents du

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    travail aux termes du par. 250(4) de la WCA, on ne trouve aucun lment de preuve

    susceptible de dmontrer lexistence dun [TRADUCTION] lien causal significatif .

    C. Motifs sur lesquels le Tribunalsest fond pour conclure lexistence dun effetcausal important

    [60]

    Malgr le poids considrable de cette preuve dexperts leffet contraire,

    les deux membres majoritaires du Tribunal ont nanmoins dcel dans les rapports

    dexperts suffisamment dlments de preuve pour conclure lexistence dun lien de

    causalit.

    [61] Les passages cls de la dcision des membres majoritaires du Tribunal

    indiquent ce qui suit :

    [TRADUCTION]

    Comme nous lavons dj expliqu, nous avons tenu compte desfacteurs numrs dans le Protocole. notre avis, la preuve la plusconvaincante tient peut-tre au fait que les employes atteintes duncancer du sein ont t exposes des substances cancrignes et que le[taux dincidence normalis] statistiquement important est trs lev pourle cancer du sein. Notre dcision ne repose pas simplement sur le [tauxdincidence normalis] statistiquement important trs lev lgard ducancer du sein.

    Ce [taux dincidence normalis] est pris en compte au regard de lanorme de preuve particulire que nous avons applique, de lexpositiondes employes des substances cancrignes, ainsi que des commentairesformuls [dans le rapport final de lOHSAH] selon lequel tous les agentscancrignes peuvent contribuer lapparition et au dveloppement duncancer, que les possibles effets synergiques, cumulatifs ou antagonistesdes expositions multiples des substances chimiques sont peu connus, etque les expositions antrieures taient vraisemblablement beaucoup plusleves.

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    (Dcision initiale, par. 192-193)

    [62]

    Il nest pas ncessaire de procder une analyse bien pousse pour

    constater que ces affirmations trouvent peu ou point dappui dans la preuve soumise

    au Tribunal.

    (1) Le groupe de cas de cancer du sein diagnostiqus

    [63] Tout dabord, lexistence dun groupe de cas de cancer du sein

    diagnostiqus ne constitue pas, en soi, une preuve dun lien causal significatif.

    [64]

    Comme les auteurs du rapport final de lOHSAH lexpliquent, un groupe

    peut apparatre spontanment par suite dune rpartition ingale de facteurs de risque

    autres que professionnels dans la population en gnral. Dans le cas du cancer du

    sein, il peut sagir de facteurs tels lge, le poids, les antcdents familiaux, lge des

    premires menstruations, lge au moment dune grossesse et dun premier

    accouchement, et certains facteurs lis au mode de vie. Comme les auteurs du rapport

    final de lOHSAH lexpliquent :

    [TRADUCTION]

    Les recherches par groupes ont dmontr quune incidence leve ducancer peut tre le fruit du hasard dans certains lieux gographiques et certaines priodes. En fait, les groupes apparaissent toujours et il sagitdun phnomne statistique mme lorsquil ny a pas de facteur causal lorigine de lincidence plus leve (ce qui explique que trs p eudtudes sur les groupes rvlent de nouveaux facteurs de risques). Parconsquent, si lon examine diverses rgions gographiques et diverses

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    priodes, on dcouvrira quelques groupes; si lon tablit un lien entre ungroupe et des donnes statistiques plutt quun agent tiologique, il estfort probable quau cours de la priode suivante, lincidence, au mme

    endroit, ne sera pas sensiblement plus leve. Ainsi, il serait trs prudentde continuer valuer lincidence du cancer du sein chez les employesde laboratoire du [Mission Memorial Hospital] pour vrifier si cetteincidence se rapproche davantage des chiffres auxquels on sattend. [Jesouligne; p. 39.]

    [65] Un groupe pourrait galement constituer une anomalie statistique.

    Dailleurs, tant donn que seulement sept cas de cancer du sein diagnostiqus ont t

    recenss au laboratoire du Mission Memorial Hospital sur une priode de 34 ans, la

    possibilit que ce groupe constitue une telle anomalie est leve.

    [66]

    Il est vident que, prise isolment, une corrlation ne constitue pas une

    preuve dun lien de causalit. Suivant cette mme logique, je suis davis que la simple

    prsence dun groupe de cas diagnostiqus dans un lieu de travail, sans plus, ne

    constitue pas une preuve suffisante de lexistence dun lien de causalit entre une

    maladie et la nature de lemploi.

    (2)

    Exposition des substances chimiques

    [67]

    En second lieu, au sujet de la question de lexposition des substances

    chimiques, le docteur Yamanaka et les auteurs du rapport final de lOHSAH sont

    catgoriques. leur avis, les lments de preuve disponibles concernant lexposition

    des employes des substances chimiques telle que le formaldhyde, le xylne,

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    lo-toluidine ou loxyde dthylne ne pouvaient tablir un lien avec le risque accru

    pour les employes de dvelopper un cancer du sein.

    [68] Parmi ces produits chimiques, seul loxyde dthylne a un lien reconnu

    avec le dveloppement du cancer du sein chez ltre humain, et suivant la preuve, ce

    lien est faible. Sinspirant des recherches menes aux tats-Unis par le National

    Institute for Occupational Safety and Health, le rapport du docteur Yamanaka affirme

    que seules les femmes qui ont t exposes des [TRADUCTION] niveaux trslevs doxyde dthylne prsenteraient un risque accru de dve lopper un cancer

    du sein. Or, on ne trouve au dossier aucun lment de preuve permettant de conclure

    que lune ou lautre des employes ait t expose des niveaux [aussi] levs au

    Mission Memorial Hospital.

    [69]

    cet gard, le rapport final de lOHSAH concluait que lexposition

    actuelle des substances chimiques tait minimale [TRADUCTION] tant donn que

    les volumes liquides sont minimes et que la manutention est souvent minimise par

    lutilisation dappareils de manutention verrouillables : p. 36. Le docteur Yamanaka

    a not, dans une entre de journal date du 31 mai 2007, que, mme dans le pass, il

    tait [TRADUCTION] fort peu probable que le personnel ait t expos des

    niveaux levs doxyde dthylne.

    [70] Certes, le rapport final de lOHSAH signalait que lexposition antrieure

    certaines substances chimiques avait [TRADUCTION] vraisemblablement [t]

    beaucoup plus leve , mais cette affirmation doit tre interprte dans son contexte.

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    Dune part, cette allusion une exposition antrieure ne semble pas viser loxyde

    dthylne, la seule substance cancrigne dont les tudes ont reconnu le lien possible

    avec le dveloppement du cancer du sein chez lhumain.

    [71] Dautre part, et fait plus important, une allusion une exposition

    antrieure [TRADUCTION] vraisemblablement beaucoup plus leve ne dit rien sur

    la question de savoir sil est aussi probable quimprobable que cette exposition

    antrieure ait augment le risque que les employes dveloppent un cancer du sein.Dans leur rsum, les auteurs du rapport final de lOHSAH font plutt observer que

    lanalyse chimique des substances cancrignes prsentes en milieu de travail na

    par ailleurs pas permis dtablir lexistence dun lien entre une exposition antrieure

    vidente et extrme (selon les ouvrages scientifiques actuels) et une augmentation du

    risque : p. iii (je souligne). Les auteurs reprennent la mme ide dans leur

    conclusion, en expliquant quaucune exposition actuelle des produits chimiques

    en milieu du travail ou exposition antrieure de telles substances na t dmontre

    qui permettrait dtablir un lien entre le travail en laboratoire au [Mission Memorial

    Hospital] et un risque lev de dvelopper un cancer du sein ou tout autre cancer :

    p. 39 (je souligne). En fin de compte, comme je lai dj dit, malgr cette exposition

    antrieure vraisemblablement beaucoup plus leve certains produits chimiques,

    les auteurs du rapport final de lOHSAH ont nanmoins conclu quils navaient

    trouv aucune preuve scientifique permettant de conclure une hypothse plausible

    concernant ltiologie du cancer du sein : p. iv (je souligne).

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    [72] Enfin, au lieu daffirmer que lexposition de multiples substances

    pouvait avoir un effet [TRADUCTION] synergique ou cumulatif , comme le

    Tribunal semble le laisser entendre, le rapport final de lOHSAH indique que les

    ouvrages scientifiques nont identifi aucun effet synergique ou cumulatif.

    [73]

    En toute dfrence, ces extraits du rapport final ne permettent tout

    simplement pas de conclure lexistence dun lien causal significatif .

    [74]

    Certes, comme le fait observer mon collgue le juge Brown, le rapport

    final de lOHSAH na pas exclu la possibilit que lexposition antrieure certaines

    substances chimiques ait pu contribuer au dveloppement du cancer du sein chez les

    employes. la fin de leur rapport, les auteurs dclarent ce qui suit :

    [TRADUCTION]

    En rsum, cette tude a confirm que le groupe peru correspondait auxobservations et quon a constat une incidence leve du cancer du seinchez les employes de laboratoire du [Mission Memorial Hospital]. Lesfacteurs associs cette incidence leve nont pas pu tre tablis; ilspouvaient toutefois tre attribuables : (1) un regroupement de facteurslis la reproduction et dautres facteurs de risque connus autres queprofessionnels, (2) lexposition antrieure des substances chimiquescancrignes et moins probablement lexposition aux radiationsionisantes, et (3) une anomalie statistique. [p. 39]

    [75] Cette affirmation ne doit toutefois pas tre assimile une preuve, et elle

    na certainement pas valeur de preuve positive. Les auteurs du rapport final de

    lOHSAH entendaient seulement proposer une liste exhaustive des facteurs qui

    pouvaient possiblement expliquer lincidence leve de cancer du sein chez les

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    techniciennes de laboratoire du Mission Memorial Hospital. Lincapacit dcarter

    une explication possible ne transforme pas cette explication en preuve positive de

    lexistence dun lien de causalit significatif. De plus, une liste de trois possibilits

    exhaustives ne dit rien au sujet de la vraisemblance dun lien causal significatif .

    Plus simplement, ce passage ne permet pas de conclure lexistence dun tel lien de

    causalit, dautant plus que le rapport final de lOHSAH prend bien soin de rfuter la

    proposition selon laquelle lexposition des substances chimiques en milieu de

    travail aurait pu augmenter le risque que les employes dveloppent un cancer du

    sein.

    D. Les conclusions de fait du Tribunal se rsument de simples spculations

    [76] Je nai dautre choix que de constater que la dcision initiale du Tribunal

    repose uniquement sur lexistence dun groupe de cas diagnostiqus de cancer du

    sein. Les conclusions de fait tires par le Tribunal ne vont pas au-del de simples

    spculations. Le Tribunal reconnat dailleurs le caractre spculatif de sa propre

    conclusion. Au paragraphe 179, par exemple, les deux membres de la majorit

    dclarent ce qui suit :

    [TRADUCTION]

    . . . nous reconnaissons que nous ignorons le degr dexposition, demme que les substances cancrignes prcises qui ont contribu audveloppement de leur cancer du sein. En suivant toujours ceraisonnement fond sur le simple bon sens , nous rappelons que nousapprcions la preuve en appliquant la norme de preuve que prvoit leparagraphe 250(4) de la [WCA].

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    (Dcision initiale, par. 179)

    [77]

    En spculant ainsi, le Tribunal a compltement cart lopinion unanime

    des experts mdicaux, malgr le fait quil ne possdait lui-mme aucune connaissance

    spcialise dans le domaine mdical. Le Tribunal a galement fait fi de la directive de

    la Commission nonce dans le RSCM II, qui prvoit quil doit exister suffisamment

    dlments de preuve positivepermettant de conclure lexistence dun lien causal

    significatif, dfaut de quoi la seule dcision possible est le rejet de la demande.

    Jajouterais quen appliquant une norme de preuve aussi peu exigeante, le Tribunal

    na pas respect la volont du lgislateur de ne pas inclure, lanne xe B de la WCA,

    le cancer du sein dans la liste des maladies professionnelles rputes avoir t causes

    par la nature de certains types demplois.

    [78]

    Par ailleurs, bien quil assouplisse jusqu un certain point le fardeau de

    la preuve, le par. 250(4) de la WCA nest daucun secours pour les employes en

    lespce. Ce paragraphe prvoit que lorsque [TRADUCTION] les lments de preuve

    tayant des conclusions diffrentes sur une question sont de valeur probante gale, le

    tribunal dappel doit trancher la question en faveur du travailleur . Selon une

    interprtation littrale de cette disposition, avant que le par. 250(4) puisse sappliquer,

    il doit exister des lments de preuve permettant de tirer deux conclusions diffrentes

    tout aussi plausibles lune que lautre. En lespce, il ny a tout simplement aucun

    lment de preuve permettant de conclure lexistence dun lien causal

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    significatif . Le paragraphe 250(4) ne peut tout simplement pas servir combler une

    lac