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DECISION DE LA COMMISSION SUR LE FOND DE LA COMMUNICATION 334/2006 (Egyptian Initiative for Personal Rights et Interights c./ République Arabe d’Egypte) prise par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples 31 Bijilo Annex Lay out, Kombo North District, Western Region, PO Box 673; Tel : (220) 4410505/4410506; Fax: (220) 4410504 Email : [email protected] Web: www.achpr.org Banjul, The Gambia

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DECISION DE LA COMMISSION SUR LE FOND DE LA COMMUNICATION 334/2006

(Egyptian Initiative for Personal Rights et Interights c./ République Arabe d’Egypte)

prise par la

Commission africaine des droits de l’homme et des peuples

31 Bijilo Annex Lay out, Kombo North District, Western Region, PO Box 673;

Tel : (220) 4410505/4410506; Fax: (220) 4410504

Email : [email protected]

Web: www.achpr.org

Banjul, The Gambia

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Communication 334/06 - Egyptian Initiative for Personal Rights

et Interights c./ République Arabe d’Egypte

Résumé des faits

1. La présente communication est introduite auprès de la Commission africaine des droits

de l’homme et des peuples (la Commission africaine ou la Commission) au nom de

Mohamed Gayez Sabbah, Mohamed Abdalla Abu-Gareer et Ossama Mohamed Al-

Nakhlawy (les victimes), par Egyptian Initiative for Personal Rights et Interights (les

Plaignants).

2. L’Etat défendeur est l’Egypte, Etat partie à la Charte africaine des droits de l’homme et

des peuples (la Charte africaine ou la Charte).

3. Les Plaignants soutiennent que les victimes ont été jugées et condamnées à mort après

avoir été accusées d’attentats à la bombe, les 6 octobre 2004 et le 23 juillet 2005 dans

la Péninsule du Sinaï, en Egypte.

4. Les Plaignants soutiennent que, la nuit du 7 octobre 2004, trois attentats à la bombe se

sont produits à l’hôtel Taba Hilton et dans deux centres touristiques (Al-Badia et Al-

Qamer) à proximité de Nuweiba, dans la Péninsule du Sinaï (« les attentats à la bombe

de Taba »). Ils soutiennent en outre que ces attentats auraient causé la mort de 34

personnes et en auraient blessé au moins 157. Les victimes étaient des Egyptiens,

Israéliens et d’autres touristes et travailleurs étrangers.

5. Les Plaignants allèguent que les forces de sécurité de l’Etat défendeur ont réagi en

procédant à une campagne d’arrestations et de détentions massives dans le nord du

Sinaï d’où les auteurs des attaques étaient supposés être originaires. Selon les

Plaignants, parmi les personnes mises en détention se trouvait la première victime,

Mohamed Gayez Sabbah.

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6. Les Plaignants déclarent également que, le 23 juillet 2005, une série de nouveaux

attentats à la bombe a eu lieu dans la ville de Charm El-Cheikh, dans la Péninsule du

Sinaï. Suite à ces attaques, les forces de sécurité ont à nouveau arrêté un grand

nombre de citoyens égyptiens, parmi lesquels Ossama Mohamed Abdel-Ghani al-

Nakhlawy (« la deuxième victime ») et Younis Mohamed Abu-Gareer (« la troisième

victime »), le 12 août et le 28 septembre 2005, respectivement.

7. Selon les Plaignants, les agents de la State Security Intelligence (« la SSI ») ont fait subir

aux victimes différentes formes de torture et de mauvais traitements pendant leur

détention afin de les « faire avouer » devant le State Security Prosecutor leur

implication dans les attentats à la bombe de Taba. Les Plaignants déclarent que les

victimes ont été détenues au secret pendant longtemps sans avoir accès à un avocat.

8. Les Plaignants déclarent aussi que les victimes n’ont pas pu avoir accès aux soins

médicaux nécessaires ni à un examen médico-légale lors des interrogatoires. Ils

allèguent que les victimes étaient accusées de crimes en relation avec les attentats à la

bombe de Taba et qu’elles ont été jugées par la Supreme State Security Emergency

Court au cours d’un procès caractérisé par ses anomalies de procédure et de fond. Ils

allèguent en outre que la décision de la Cour était essentiellement fondée sur les

« aveux » obtenus sous la torture et les mauvais traitements prolongés.

9. Les Plaignants soutiennent que, le 30 novembre 2006, les victimes ont été condamnées

à mort par pendaison. Les Plaignants déclarent que la première victime, Mohamed

Gayez Sabbah, a été arrêtée le 22 octobre 2004, par suite d’une ordonnance

administrative en vertu de la Loi 162/1958 sur l’Etat d’urgence (« la Loi d’urgence »).1

Les Plaignants allèguent que la première victime a été détenue au secret par les agents

de la SSI jusqu’en mars 2005. Selon les Plaignants, les agents de la SSI ont bandé les

yeux de la première victime, l’ont attachée et la suspendaient occasionnellement au

plafond par les bras et les jambes.

1 L’ordonnance a été rendue conformément à l’Article 3 de la Loi 162/1958 sur l’Etat d’urgence, telle que modifiée (ci-après la

“Loi d’urgence”).

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10. Les Plaignants déclarent que la première victime a été détenue dans ces conditions

pendant 96 jours, en n’étant détachée que pour ses interrogatoires par le State

Security Prosecutor.

11. Ils allèguent en outre que les agents de la SSI lui ont envoyé des décharges électriques

sur plusieurs parties du corps. Il était battu et torturé avant et après les interrogatoires

par le State Security Prosecutor qui ont commencé à partir du 3 novembre 2004 et qui

avaient le plus souvent lieu aux environs de minuit et duraient plusieurs heures.

12. Les Plaignants déclarent que, bien que la Première Victime ait été torturée avant ces

interrogatoires, la fiche d’interrogatoires remplie par le State Security Prosecutor

concernant la Première Victime indiquait qu’aucune blessure n’était visible sur son

corps.

13. Selon les Plaignants, lors du premier interrogatoire, la Première Victime a nié avoir

participé aux attentats à la bombe de Taba. Les Plaignants soutiennent que c’est au

cours du deuxième interrogatoire, le 4 novembre 2004, que la Première victime a

« avoué » au State Security Prosecutor. Les Plaignants affirment que la Première

Victime a été détenue au secret, sans accès à sa famille, à un avocat, à des soins

médicaux ou à une instance juridictionnelle avant le 24 mars 2005 et que ses

demandes d’accès à un avocat défenseur ont été ignorées.

14. Les Plaignants allèguent qu’un groupe d’avocats défenseurs des droits de l’homme a

transmis un appel au Public Prosecutor’s Office (Bureau du Procureur général) chargé

de la supervision du State Security Prosecutor’s Office, pour être autorisé à représenter

la victime ainsi que d’autres dont les noms avaient paru dans la presse locale comme

principaux suspects dans l’enquête sur les attentats à la bombe de Taba, mais cet appel

est resté sans réponse.2

2 La requête, soumise le 24 novembre 2004, a été enregistrée sous le numéro 16332.

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15. Ainsi, selon les Plaignants, depuis le 22 octobre 2004, date de son arrestation, jusqu’au

24 mars 2005, la Première Victime n’a pas eu accès à un avocat et c’est le 24 mars 2005

qu’un avocat a assisté au dernier interrogatoire au cours duquel la Première Victime

est revenue sur ses « aveux ».

16. Les Plaignants affirment que la Première Victime a également demandé des soins

médicaux et une expertise médico-légale en relation avec ses allégations de torture

lorsqu’elle se trouvait en détention, mais la demande d’expertise médico-légale a été

rejetée par le Bureau du Procureur général au motif que seul un représentant légal (qui

lui était refusé) était habilité à introduire une telle demande.

17. Selon les Plaignants, les chefs d’accusation contre les victimes et deux autres personnes

ayant un lien avec les attentats de la bombe de Taba ont été transmis à la Supreme

State Security Emergency Court à Ismailia le 30 mars 2005, et l’affaire est mise au rôle

sous le n° 40/20053. Les Plaignants déclarent que le procès a commencé le 2 juillet

2005 et que c’est à ce moment-là que la Première Victime a comparu devant un juge

pour la première fois depuis son arrestation, huit mois auparavant. Les Plaignants

affirment que, lors de la première audition, le 2 juillet 2005, la Première Victime a

informé la Cour qu’elle avait été torturée par les agents de la SSI avant et après les

interrogatoires pour l’obliger à avouer.

18. Ils déclarent également que la Première Victime a informé le procureur des tortures et

a requis des soins médicaux, mais que le procureur a rejeté ses demandes.

19. Les Plaignants déclarent que c’est au cours de l’audience que la première victime et

son défenseur ont demandé qu’il soit examiné par un expert médico-légal. Selon les

Plaignants, la Cour elle-même a examiné la Première Victime à huis clos, en présence

de son défenseur et d’un avocat présent à l’audience au nom de Human Rights Watch.

Ils ont déclaré que ses vêtements lui ont été enlevés pour que la Cour examine s’il 3 La Supreme State Security Emergency Court a été mise en place conformément à la Emergency Law (ci-dessus, n. 1). La portée

de la compétence ratione materiae, la composition et les procédures de nomination concernant la Supreme State Security

Emergency Court sont abordés à la Section III.B.1(a) sur le droit à une juridiction indépendante.

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présentait des signes physiques de torture, et que la Cour a découvert « ….. des tâches

brunes sur ses bras. »4 Les Plaignants déclarent qu’il en a résulté que la Cour a accepté

la demande d’examen médico-légal et qu’elle a ajourné le procès au 24 juillet 2005.

20. Les Plaignants affirment que l’examen par la Forensic Medical Authority (FMA)

(Autorité médico-légale) a eu lieu huit mois après l’allégation de torture par les

victimes et que le rapport daté du 5 juillet 2005, avait fait état de blessures conformes

au fait que la première victime avait été soumise à la torture, notamment des

« cicatrisations » et des « colorations sombres » sur ses avant-bras droit et gauche, son

coude droit, sa hanche gauche, le haut de sa jambe gauche et l’articulation de sa

hanche gauche.5

21. Les Plaignants déclarent également que les deux examinateurs du gouvernement ont

conclu que “en raison du long délai écoulé et du fait que les marques n’avaient pas été

examinées au moment où elles étaient apparues, il n’était pas possible de déterminer

avec certitude la raison, la manière ou le moment où elles étaient apparues ».6 Selon

les Plaignants, d’autres chefs d’accusation ont été prononcés contre la Première

Victime pendant son procès, le 25 mars 2006, en relation avec les attentats à la bombe

de Taba.

22. Les Plaignants soutiennent que la Deuxième Victime, Ossama Mohamed Abdel-Ghani

Al-Nakhlawy, a été arrêtée le 12 août 2005 et placée en détention administrative suite

à un arrêté du Ministre de l’Intérieur publié en vertu de la Emergency Law (Loi

d’urgence).

23. Les Plaignants soutiennent en outre que la Deuxième Victime a également été torturée

par les agents de la SSI au début de sa détention et de ses interrogatoires, notamment

en recevant des décharges électriques, en étant battue et suspendue au plafond dans

des positions pénibles. Les Plaignants déclarent que la Deuxième Victime n’a été

4 Cf. Rapport d’expertise médico-légale, Affaire no. 40/2005, 5 Juillet 2005 (page 2 de la traduction en langue anglaise). 5 Ibid. (page 4 de la traduction en langue anglais). 6 Ibid.

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informée des chefs d’accusation qui pesaient contre elle que le 22 août 2005, la

première fois où elle a comparu devant le State Security Prosecutor pour être

interrogée.

24. Au cours de l’interrogatoire, la Deuxième Victime a accepté de signer des aveux écrits

relatant son rôle dans les attentats à la bombe de Taba. Pendant cet interrogatoire, le

State Security Prosecutor a indiqué sur la fiche d’interrogatoire, qu’il n’y avait pas de

blessures visibles sur le corps de la Deuxième Victime.

25. Selon les Plaignants, la Deuxième Victime n’a pas pu avoir accès à un avocat pendant

les interrogatoires qui se sont déroulés sur une période de sept mois et au cours de

l’interrogatoire du 19 mars 2006, la Deuxième Victime a insisté pour que des avocats le

représentent et, à cet effet, il a donné les noms et numéros de téléphone mobile de

deux avocats défenseurs des droits de l’homme.

26. Les Plaignants soutiennent en outre que, le 25 mars 2006, le State Security Prosecutor a

présenté une « mise en accusation complémentaire » en relation aux attentats à la

bombe de Taba dont la Première Victime avait été accusée (Cas n° 40/2005).

27. Les Plaignants soutiennent que la Deuxième Victime est également revenue sur ses

« aveux » devant la Cour le 26 mars 2006, lorsqu’elle a informé cette dernière qu’elle

avait été torturée pendant sa détention. Les Plaignants affirment que la Cour a accédé

à la demande de la Deuxième Victime d’une expertise médico-légale qui a eu lieu deux

mois plus tard, soit neuf mois après l’allégation de tortures par la Deuxième Victime

Selon les Plaignants, le rapport médico-légal daté du 27 mai 2006, faisait état de

« tâches intersectées plus sombres sur tout le dos » ainsi que d’une fracture non

réduite de l’un des orteils de son pied gauche. Les Plaignants soutiennent que, malgré

les conclusions, le rapport a conclu que, en raison de la longueur du délai écoulé, il

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n’était pas possible de déterminer précisément la cause ou la date7 des tâches sur le

corps.

28. La Troisième Victime, Younis Mohamed Abu-Gareer, a été mise en détention le 28

septembre 2005 en vertu d’une ordonnance administrative de mise en détention

publiée aux termes de la Emergency Law.

29. Selon les Plaignants, la période de leur arrestation se situe entre le 12 août et le 28

septembre 2005. La troisième victime a d’abord été interrogée par le State Security

Prosecutor le 20 novembre 2005, 50 jours après son arrestation et c’est à ce moment-là

qu’il a été informé des accusations qui pesaient contre lui.

30. Le 25 mars 2006, le cas de la Troisième Victime a été référé à la Supreme State Security

Emergency Court suite à une mise en accusation supplémentaire émanant du State

Security Prosecutor.

31. Les Plaignants soulignent que la Troisième Victime n’avait comparu devant un juge à

aucun moment pendant la période de six mois de détention préventive. Ils indiquent

encore que la troisième victime avait été détenue au secret sans accès aux membres de

sa famille, à des avocats ou à des soins médicaux.

32. Les Plaignants déclarent que les victimes ont toutes informé le tribunal, lors du procès,

qu’elles avaient été battues, avaient reçu des décharges électriques et subi différentes

formes de traitements cruels et dégradants et que leurs demandes de consultations

par l’Autorité médico-légale ont été continuellement refusées par le Bureau du

Procureur. Le tribunal a envoyé les victimes à une expertise judiciaire qui a confirmé la

présence de plusieurs blessures mais n’a pas pu se prononcer de manière nette sur leur

cause en raison de la longue période qui s’était écoulée depuis.

33. Ils rappellent que le tribunal n’a pas fait suite aux demandes répétées des victimes, à

savoir disposer de la transcription de l’audience du procès.

7 Cf. Rapport de l’expertise médico-légale, Affaire no. 40/2005, 27 mai 2006.

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34. Les Plaignants soutiennent qu’en dépit de l’anomalie évidente du procès des Victimes

et des objections soulevées par la défense eu égard à l’irrégularité de la procédure, en

septembre 2006, la Cour aurait renvoyé sa décision de rendre le verdict au 30

novembre 2006, pour s’enquérir de l’opinion du Mufti (Conseiller religieux) sur le

jugement devant être prononcé à l’issue de la procédure. Ils déclarent que

conformément à l’Article 381 du Code de procédure pénale, la Cour ne doit solliciter

l’avis d’un Mufti que lorsqu’elle entend prononcer la peine capitale, indiquant que la

Cour avait déjà prononcé le verdict condamnant les victimes à la peine de mort.

35. Selon les Plaignants, les victimes ont été accusées :

d’appartenir à un groupe constitué en violation des dispositions de la loi et

avec l’intention de faire fi des dispositions de la constitution et des lois

pertinentes, de violer les libertés individuelles et de cibler des touristes

étrangers et la police ainsi que des installations touristiques ;

de meurtre prémédité, de tentative de meurtre prémédité, de dommage

matériel, de fabrication et de possession illégales d’explosifs et de vol de

voiture.

Articles allégués avoir été violés

36. Les Plaignants soutiennent que les droits des victimes garantis par les Articles 4, 5, 7 (1)

(a), (c) et 26 de la Charte africaine ont été violés .

Requêtes

37. Les Plaignants demandent les réparations suivantes :

a. la reconnaissance, par la Commission africaine, que les droits inscrits dans les

Articles susmentionnés de la Charte ont été violés ;

b. une ordonnance d’indemnisation pour la violation des droits des victimes ;

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c. l’harmonisation de la législation de l’Etat défendeur avec les Directives et

Principes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire, adoptés

par la Commission africaine ;

d. s’assurer que des mécanismes appropriés sont mis en place pour éviter la

reproduction de violations similaires des droits de l’homme.

Procédure

38. La Plainte a été reçue au Secrétariat de la Commission africaine des droits de l’homme

et des peuples (le Secrétariat) pendant sa 40ème Session ordinaire, tenue du 15 au 29

novembre 2006 à Banjul, Gambie. Des mesures conservatoires ont été demandées en

vertu de l’Article 111 du Règlement intérieur de la Commission africaine

39. La Commission africaine a décidé de se saisir de la Communication lors de sa 40ème

Session ordinaire tenue du 15 au 29 novembre 2006 à Banjul, Gambie.

40. La Commission africaine a demandé des mesures conservatoires, conformément à

l’Article 111(1) de son Règlement intérieur, par lettre datée du 5 décembre 2006,

adressée au Président de la République arabe d’Egypte.

41. Par lettre datée du 21 décembre 2006, les Plaignants ont été informés que la

Commission africaine avait décidé, lors de sa 40ème Session ordinaire, de se saisir de la

Communication et qu’une demande de mesures conservatoires avait été envoyée au

Président de la République arabe d’Egypte et que la Commission demandait aux

Plaignants d’envoyer leurs observations sur la recevabilité au Secrétariat avant le 21

mars 2007.

42. Par Note Verbale datée du 21 décembre 2006, la Commission africaine a informé l’Etat

défendeur de sa décision de se saisir de la Communication et a attiré l’attention du

Gouvernement sur la demande de mesures conservatoires envoyée auparavant, tout

en demandant que les observations sur la recevabilité de l’Etat défendeur soient

transmises au Secrétariat avant le 21 mars 2007.

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43. Le 22 mars 2007, le Secrétariat a reçu les observations des Plaignants sur la

recevabilité.

44. Le 23 mars 2007, le Secrétariat a reçu les observations de l’Etat défendeur sur la

recevabilité en langue arabe.

45. Par Note Verbale et par lettre en date du 29 mars 2007, le Secrétariat a accusé

réception des observations sur la recevabilité des deux parties et les a transmises à

l’autre partie.

46. Par lettre datée du 19 avril 2007, le Secrétariat a transmis aux Plaignants la version

traduite (de l’arabe vers l’anglais) des observations de l’Etat défendeur sur la

recevabilité.

47. Par lettre datée du 20 avril 2007, les Plaignants ont accusé réception de la lettre de la

Commission africaine datée du 19 April 2007, mais ont informé le Secrétariat qu’ils

n’avaient pas reçu la lettre précédente datée du 29 mars 2007 par laquelle les

observations sur la recevabilité dont l’original était en langue arabe avaient été

transmises.

48. Le 20 avril 2007, le Secrétariat a de nouveau transmis aux Plaignants la version arabe

originale des observations de l’Etat défendeur sur la Recevabilité.

49. Lors de sa 41ème Session ordinaire, tenue du 16 au 30 mai 2007 à Accra, Ghana, les deux

parties ont fait leur présentation orale devant la Commission africaine pour donner à la

Commission des éclaircissements sur leurs observations écrites sur la recevabilité de la

Communication. Le représentant de l’Etat défendeur a aussi soumis par écrit le

document qui avait été présenté oralement devant la Commission et qui a été joint au

dossier.

50. Lors de sa 41ème Session ordinaire, tenue du 16 au 30 mai 2007 à Accra, Ghana, la

Commission a déclaré la Communication recevable.

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51. Par Note Verbale datée du 8 juin 2007, le Secrétariat a informé l’Etat défendeur de sa

décision sur la recevabilité. Les Plaignants en ont également été informés par lettre

datée du 6 juin 2007. Les deux parties ont été invitées à faire leur présentation sur le

fond.

52. Le 7 juin 2007, le Secrétariat a reçu des Plaignants une lettre adressée à la Présidente

demandant le renouvellement des mesures conservatoires en vertu de l’Article 111(1).

53. Par lettre datée du 7 juin 2007, adressée au Président Hosni Moubarak, la Commission

a demandé des mesures conservatoires.

54. Le 24 octobre 2007, l’Ambassade de la République arabe d’Egypte à Dakar, au Sénégal,

a envoyé une Note Verbale pour s’enquérir des observations des Plaignants, le cas

échéant.

55. A la 42ème Session ordinaire, tenue à Brazzaville, au Congo, du 15 au 28 novembre

2007, la Commission a renvoyé la Communication à sa 43ème Session ordinaire afin de

permettre aux parties de faire leurs observations sur le fond. Au cours de la même

session, le Secrétariat a reçu les observations de l’Etat défendeur sur le fond.

56. Par Note Verbale datée du 20 mars 2008 et par lettre datée du 19 mars 2008, les

parties à la Communication ont été informées que la 43ème Session ordinaire était

prévue du 7 au 22 mai 2008 à Ezulwini, Swaziland.

57. Le 23 avril 2008, le Secrétariat a reçu une version électronique des observations des

Plaignants sur le fond.

58. Le 24 octobre 2008, le Secrétariat a transmis à l’Etat défendeur les observations des

Plaignants sur le fond.

59. Dans lettre datée du 24 octobre 2008, les Plaignants ont été informés que la 44ème

Session ordinaire se tiendrait à Abuja, République Fédérale du Nigeria, du 10 au 24

novembre 2008.

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60. Lors de sa 44ème Session ordinaire, la Commission africaine a examiné la

Communication sur le fond et l’a renvoyée à sa 45ème Session ordinaire prévue du 13 au

27 mai 2009 à Banjul, Gambie.

61. Par Note Verbale et lettre datées du 19 décembre 2008, le Secrétariat a informé les

parties de la décision de renvoyer l’examen sur le fond de la Communication à la 45ème

Session ordinaire.

62. Par Note Verbale et par lettre en date du 24 avril 2009, il a été rappelé aux parties que

la Communication serait examinée sur le fond lors de la 45ème Session ordinaire prévue

du 13 au 27 mai 2009 à Banjul, Gambie.

63. Par Note Verbale et lettre en date du 16 juillet 2009, la Commission africaine a informé

les parties de sa décision de renvoyer la Communication à sa 46ème Session ordinaire

prévue du 11 au 25 novembre 2009.

64. Par Note Verbale et lettre en date du 20 décembre 2009, la Commission africaine a

informé les parties de sa décision de renvoyer l’examen de la Communication à sa

47ème Session ordinaire prévue du 12 au 26 mai 2010.

65. Par Note Verbale et lettre en date du 11 juin 2010, la Commission africaine a informé

les parties de sa décision de renvoyer la Communication à sa 48ème Session ordinaire

prévue du 10 au 24 novembre 2010.

Règles de la recevabilité

Observations des Plaignants sur la recevabilité

66. Les Plaignants soutiennent que toutes les conditions de l’Article 56 de la Charte

africaine sont remplies et que la Communication devrait donc être déclarée recevable.

67. Concernant l’épuisement des voies de recours internes, les Plaignants déclarent qu’en

vertu de la Emergency Law (Loi d’urgence) n°162 de 1958, telle qu’amendée), le

Président peut décider de commuer la peine, d’annuler le jugement ou d’ordonner

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l’ouverture d’un second procès par un autre circuit de la State Security Emergency

Court. Ils soutiennent que, dans le cas présent, la sentence prononcée par la State

Emergency Court le 30 novembre 2006 devient définitive, une fois qu’elle est ratifiée

par le Président de la République, et qu’il n’existe aucun droit d’appel d’une décision

de la State Security Emergency Court.

68. Selon les Plaignants, la décision du Président en vertu de la Emergency Law n’est pas

d’ordre judiciaire et elle ne peut donc pas être définie comme un recours disponible

que devraient rechercher les requérants. Ils comparent les faits de la présente

Communication à ceux de l’Affaire Constitutional Rights Project c./ Nigeria où la

Commission a décrit le pouvoir du Gouverneur de confirmer ou d’infirmer la décision

d’un Tribunal spécial au Nigeria comme étant « un recours discrétionnaire,

extraordinaire et de nature non judiciaire » et où elle a estimé que la décision du

Gouverneur ne pouvait pas être un recours devant être épuisé conformément à

l’Article 56(5) de la Charte africaine. Les Plaignants se réfèrent également à l’Affaire

Civil Liberties Organisation c./ Nigeria où la Commission a estimé qu’en l’absence

d’organe judiciaire pour se prononcer sur la plainte du Requérant, aucun recours

efficace n’était disponible.

69. Les Plaignants allèguent aussi que la décision du Président en vertu de la Emergency

Law ne peut être frappée d’appel et ils soutiennent donc que les victimes ne disposent

d’aucun droit en justice pour interjeter appel de la décision de la State of Emergency

Court.

Observations de l’Etat défendeur sur la recevabilité

70. L’Etat défendeur soutient que la Communication est irrecevable pour deux raisons :

premièrement, elle a été introduite avant l’épuisement des voies de recours, puisque la

sentence n’était pas définitive et, deuxièmement, le contenu de la Communication est

inexact.

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15

71. Le deuxième motif avancé par l’Etat défendeur est que certains faits de la

Communication sont faux. L’Etat défendeur soutient que les victimes ont eu un procès

équitable et avaient accès à des avocats au moment des interrogatoires.

72. L’Etat défendeur soutient que les victimes avaient accès à un médecin légiste et

qu’elles ont examinées. Il indique que des copies du déroulement de la procédure ont

été mises à la disposition des victimes et de leurs avocats et que les victimes avaient

été mises en détention provisoire avant le début des interrogatoires

73. L’Etat défendeur affirme que le procès des victimes a été équitable et qu’il s’est

déroulé en public.

74. Concernant l’épuisement des recours internes, l’Etat défendeur soutient, dans ses

observations écrites, que le jugement rendu le 30 novembre 2006 par une Emergency

Court (tribunal d’urgence) n’est pas définitif puisqu’il n’a pas encore été approuvé.

75. L’Etat défendeur explique en outre que la Loi N° 162 de 1958 stipule que les jugements

rendus par la State of Emergency Security Court ne sont définitifs qu’après avoir été

approuvés par le Président de la République (Article 42) et que les autorités chargées

de les ratifier peuvent, lors de l’examen des jugements, atténuer la peine, lui substituer

une sanction plus clémente, l’annuler totalement ou partiellement ou interrompre son

application en totalité ou en partie (Article 14).

76. En outre, l’Etat défendeur souligne que, concernant l’approbation, tous les cas jugés

doivent être examinés par des conseillers juridiques désignés à cet effet pour vérifier

que la procédure appropriée a été suivie.

77. L’Etat défendeur soutient aussi que la loi permet à une personne condamnée de faire

appel auprès du Bureau du Procureur.

78. L’Etat défendeur a confirmé que la demande de mesures conservatoires envoyée par la

Présidente en Décembre 2006 pour surseoir à l’exécution de la peine de mort tant que

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la communication serait pendante devant la Commission avait bien été reçue et qu’elle

avait été transmise au Président égyptien qui l’avait prise en considération.

Analyse de la Commission sur la recevabilité

79. Le deuxième motif avancé par l’Etat défendeur a trait au fond de la Communication et

n'est donc pas pertinent au stade de la recevabilité.

80. La recevabilité des communications par la Commission africaine est régie par les

conditions requises à l’Article 56 de la Charte africaine qui énonce sept conditions

devant être remplies avant qu’une communication ne puisse être déclarée recevable. Si

l’une des conditions énoncées dans cet article n’est pas remplie, la Commission

déclarera la Communication irrecevable à moins que le Plaignant ne donne de bonnes

justification de la non satisfaction de l’une des conditions.

81. Dans la présente Communication, les Plaignants soutiennent que la Communication

satisfait à toutes les conditions de l’Article 56 de la Charte africaine. L’Etat défendeur,

en revanche, soutient que les Plaignants n’ont pas satisfait aux conditions de l’Article

56(5) et que la Commission devrait déclarer la Communication irrecevable. La

Commission devrait par conséquent analyser les arguments des deux parties en se

fondant sur les dispositions de l’Article 56 de la Charte.

82. L’Article 56 (1) de la Charte africaine dispose que « Les communications ….. reçues à la

Commission et relatives aux droits de l’homme et des peuples doivent, pour être

examinées, indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la

Commission de garder l’anonymat… » La présente Communication est introduite

auprès de la Commission africaine par Egyptian Initiative for Personal Rights et

Interights, les Plaignants, au nom des victimes. Dans la présente Communication, les

auteurs comme les victimes ont été identifiées. La Commission africaine estime donc

que ce paragraphe (1) de l’Article 56 a été respecté.

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83. L’Article 56(2) de la Charte africaine dispose que « Les communications…reçues par la

Commission doivent, pour être examinées, être compatibles avec la Charte de

l’Organisation de l’Unité africaine ou avec la présente Charte. » La présente

Communication soutient que les Articles 4, 5, 7(1) (a) et 26 de la Charte africaine ont

été violés. La Communication est introduite contre la République arabe d’Egypte, Etat

partie à la Charte africaine, et elle porte sur la violation des droits de Mohamed Gayez

Sabbah, Mohamed Abdalla Abu-Gareer et Ossama Mohamed Al-Nakhlawy qui sont

détenus dans l’attente de leur exécution par l’Etat défendeur. Pour ces raisons, la

Commission africaine estime que les conditions requises à l’Article 56(2) ont été

remplies.

84. L’Article 56(3) de la Charte africaine dispose que « Les communications …reçues par la

Commission doivent, pour être examinées, ne pas contenir des termes outrageants ou

insultants à l’égard de l’Etat mis en cause, de ses institutions ou de l’Organisation de

l’Unité africaine aujourd’hui Union africaine (UA) ». La présente Communication ne

contient pas des termes outrageants ou insultants à l’égard de l’Etat mis en cause, de

ses institutions ou de l’UA et, pour ces raisons, la Commission africaine considère que

la condition requise à l’Article 56(3) a été satisfaite.

85. L’Article 56(4) de la Charte africaine stipule que « Les communications relatives aux

droits de l’homme et des peuples… doivent, pour être examinées, ne pas se limiter à

rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par des moyens de communication

de masse ». Rien n’indique dans la présente Communication que les allégations

contenues se limitent à rassembler des nouvelles diffusées par des moyens de

communication de masse. Les Plaignants soutiennent que la Communication est

fondée sur des témoignages oculaires et des rapports documentés joints en annexe à la

Communication. L’Etat défendeur n’a pas contesté cette assertion. Pour ces raisons, la

Commission estime que les conditions de l’Article 56(4) ont été remplies.

86. L’Article 56(5) de la Charte africaine dispose que « Les communications relatives aux

droits de l’homme et des peuples… doivent, pour être examinées : être postérieures à

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l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la

Commission que la procédure de ces recours se prolonge d’une façon anormale. »

87. La raison d’être de la règle des recours internes dans la Charte comme dans les autres

instruments internationaux est de s’assurer qu’avant la saisine d’un organisme

international, l’Etat défendeur concerné doit avoir la possibilité de remédier à l’affaire

à travers son propre système local. Cela empêche la Commission d’agir en tant que

tribunal de première instance plutôt qu’un organe de dernier recours. Trois critères

majeurs pourraient être déduits de la pratique de la Commission dans la détermination

de cette règle, notamment : le recours doit être disponible, efficace et suffisant.8

88. La seule question fondamentale à ce stade de la recevabilité de la présente

communication est celle de l’épuisement des recours internes.

89. Il ressort des présentations orales de l’Etat défendeur qu’il n’y a plus de recours

disponible que les Plaignants puissent épuiser. La décision de la State of Emergency

Court a été examinée et confirmée par un Conseiller juridique et la procédure finale

d’approbation (ratification par le Président de la République) de la décision de la State

of Emergency Court est ce que l’on attend. Le résultat de ces deux procédures n’a pas

modifié la décision de la State of Emergency Court.

90. Le fait que l'approbation de la Emergency Special Court en Egypte soit de nature

juridique ou non n'est pas pertinent pour l’examen de la Communication par la

Commission à ce stade, parce que ce qui est en jeu, c’est de savoir s’il existe d’autres

recours disponibles que les requérants n’ont pas recherchés. Par ailleurs, les

éclaircissements apportés par les représentants de l’Etat défendeur lors de la 41ème

Session ordinaire ont amené la Commission à la conclusion qu’il n’y avait pas d’autres

voies de recours internes que les victimes auraient pu rechercher. Le processus

d’approbation était accompli et il a été avancé par les deux parties que les Plaignants

avaient déjà interjeté l’appel qui leur était disponible en introduisant leurs doléances

8 Cf. Sir Dawda Kairaba Jawara c./Gambie

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19

auprès du « bureau de ratification des jugements » et que ce recours avait été sans

succès.

91. La plupart des observations faites par l’Etat défendeur et examinées au cours de la

41ème Session ordinaire de la Commission font référence à la notion d’application

régulière de la loi et seraient étudiées au stade de l’examen sur le fond. Le respect des

droits des Plaignants est en fait une question pertinente au stade de l’examen quant au

fond de la communication et non pertinente au stade de la Recevabilité.

92. Dans plusieurs communications, la Commission africaine a jugé que l’épuisement des

recours internes « ne doit pas constituer un obstacle injustifiable à l’accès aux recours

internationaux. L’Article 56(5) doit être appliqué de manière concomitante avec

l’Article 7 qui établit et protège le droit à un procès équitable »9. A cet égard, en

déterminant si les recours internes ont été épuisés, la Commission africaine prend en

considération les circonstances propres à chaque cas, notamment le contexte général

dans lequel les recours formels interviennent et les circonstances personnelles du

requérant. »10

93. Dans la Communication n° 250/2002, Zegveld c./ Erythrée11, la Commission africaine a

confirmé qu’un recours interne est considéré efficace s’il offre une perspective de

succès, et suffisant ou adéquat s’il est en mesure de faire droit à la plainte.12 En l’affaire

Sir Dawda K Jawara c./Gambie, la Commission africaine a décidé que l’existence d’un

recours doit être bien certaine, non seulement en théorie mais aussi dans la pratique,

sinon, ce recours sera dépourvu de l’accessibilité et de l’efficacité requises. Dans le cas

présent et conformément à la jurisprudence de la Commission, il n'existe aucun

recours pour les plaignants, vu qu’ils n'ont aucun droit légal de faire appel de la

décision de la State Security Emergency Court. Ce qui reste, c’est que le Président de la

République ratifie le jugement pour lui donner force exécutoire.

9 Communication No 48/90 Amnesty International c./ Soudan, 31. 10 Communication No 299/05 Anuak Justice Council c./ Ethiopie, 49. 11 Communication. No. 250/2002 (2003), 37. 12 Voir également Jawara c./ Gambie, Communication No. 147/95, 149/96 (2000), 32.

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94. Par conséquent, si la victime ne peut pas se tourner vers la justice de son pays en

raison de l’absence de recours juridique efficace pour prendre en charge sa crainte et

ses préoccupations, les recours internes seraient considérés comme indisponibles pour

elle.

95. Dans le cas d’espèce, la sentence prononcée par la State Emergency Court le 30

novembre 2006 devient définitive, une fois qu’elle est ratifiée par le Président de la

République. En vertu de l’Article 14 de la Emergency Law (Loi n° 162 de 1958, telle que

modifiée), le Président peut décider de commuer la peine, de révoquer le jugement ou

d’ordonner que l’affaire soit jugée à nouveau par un autre circuit de la State Security

Emergency Court. La décision du Président est discrétionnaire et ne peut être frappée

d’appel.

96. La Commission africaine a décidé, dans la Communication n° 60/91, Constitutional

Rights Project c./Nigeria13que les recours purement discrétionnaires de nature non-

judiciaire où « l’objet du recours est d’obtenir une faveur et non pas de revendiquer un

droit » sont différents de ceux énoncés dans l’Article 56(5). Dans cette décision, la

Commission africaine a décrit le pouvoir du Gouverneur de confirmer ou de désavouer

la décision d’un Tribunal spécial au Nigeria comme étant « un recours discrétionnaire,

extraordinaire et de nature non-judiciaire. » 14 La Commission africaine a déclaré que

le recours n’était ni adéquat ni efficace parce que le Gouvernent n’avait « aucune

obligation de se prononcer en fonction de principes juridiques »15 et a conclu que la

décision du Gouverneur ne constituait donc pas un recours de nature à être épuisé en

vertu de l’Article 56(5) de la Charte.16 Dans la communication n°87/93, Civil Liberties

Organisation c./ Nigeria, la Commission a estimé qu’en l’absence d’un organe judiciaire

13 Cf. Communication 60/91 (1994). 14 Serac c./ Nigeria. 15 Voir également Constitutional Rights Project c./ Nigeria, Communication No. 87/93 (1994) où la Commission a confirmé ce

raisonnement dans le même langage. 16 Communication 87/97.

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qui se prononce sur les plaintes des requérants, le requérant ne pouvait solliciter aucun

recours efficace.17

97. Par ailleurs, les éclaircissements apportés par les représentants de l’Etat défendeur lors

de la 41ème Session ordinaire ont amené la Commission à la conclusion qu’il n’y avait

pas d’autres voies de recours internes que les victimes auraient pu rechercher. Le

processus d’approbation était accompli et il a été avancé par les deux parties que les

Plaignants avaient déjà interjeté l’appel qui leur était disponible en introduisant leurs

doléances auprès du « bureau de ratification des jugements » et que ce recours avait

été sans succès.

98. La Commission africaine conclut donc que, puisque la décision de la Cour ne peut pas

être frappée d’appel par une autre instance juridictionnelle, les Plaignants ont épuisé

les conditions requises à l’Article 56 (5) de la Charte.

99. L’Article 56(6) de la Charte africaine dispose que « Les communications relatives aux

droits de l’homme et des peuples… doivent, pour être examinées : être introduites

dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis

la date retenue par la Commission comme faisant commencer à courir le délai de sa

propre saisine ». Les Plaignants déclarent que la State Security Emergency Court a

statué sur l’Affaire et la décision est en attente de ratification par le Président de la

République. Le Secrétariat de la Commission africaine a reçu cette Communication lors

de sa 40ème Session ordinaire tenue du 15 au 29 novembre 2006, à Banjul, en Gambie,

et en a accusé réception par lettre datée du 12 février 2007. La Charte ne prévoit pas

un délai raisonnable, pour un plaignant, d’introduire sa plainte auprès de la

Commission. Cependant, la Commission a traité de cette question au cas par cas. La

Communication est parvenue à la Commission dix mois après la décision de la State

Security Emergency Court. La Commission estime qu’il s’agit là d’un délai raisonnable,

compte tenu de la difficulté à se faire représenter devant un organisme international,

17 Civil Liberties Organisation c./ Nigeria, Comm. No. 129/94 (1995) 9.

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de la non fiabilité du système de communication en Afrique. Par conséquent, la

Commission africaine estime que cette condition a été remplie.

100. L’Article 56(7) de la Charte africaine dispose que « Les communications relatives

aux droits de l’homme et des peuples… doivent, pour être examinées : ne pas

concerner des cas qui ont été réglés conformément, soit aux principes de la Charte

des Nations Unies, soit de la Charte de l’Organisation de l’unité africaine, soit des

dispositions de la présente Charte. » Les plaignants déclarent que la présente

Communication n’a pas été réglée par un organisme international et que donc cette

condition a été remplie. L’Etat défendeur n’a pas fait objection à l’affirmation des

Plaignants et aucune preuve n’a été fournie à la Commission pour démontrer que la

Communication a été réglée ou est en train d’être réglée par un autre organe

international. La Commission considère donc que la condition requise à l’Article 56(7) a

été satisfaite.

101. Les critères de l’Article 56 ayant tous été satisfaits, la Commission africaine

déclare la Communication recevable et maintient la demande de mesures

conservatoires communiquée à l’Etat défendeur le 5 décembre 2006 pour éviter des

dommages irréparables.

102. Les autres critères de présentation formulés par l’Etat défendeur et examinés

lors de la 41ème Session ordinaire de la Commission renvoient à la notion de procédure

équitable lors du procès et seront abordés au stade de l’examen au fond.

Du Fond

Observations des Plaignants sur le Fond de la communication

103. Les Plaignants soutiennent que la manière dont l’Etat défendeur a procédé à

l'arrestation, à la détention, à l'interrogatoire, au procès et à la condamnation des

victimes est en violation des Articles 4, 5, 7 (1) (a), (c) et 26 de la Charte africaine.

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Violation alléguée de l’Article 5 (Torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou

dégradants)

104. Il est allégué par les Plaignants que la première victime, Mohamed Gayez

Sabbah, après son arrestation le 22 octobre 2004, a été détenue au secret par les

agents de la SSI (Service des renseignements sur la sécurité de l’Etat) jusqu’en mars

2005. Les agents de la SSI lui ont bandé les yeux, l’ont attaché et l’ont

occasionnellement suspendu au plafond par les bras et les jambes. Selon les

Plaignants, il a été détenu dans ces conditions pendant 96 jours en n’étant détaché que

pendant son interrogatoire par le State Security Prosecutor. Ils allèguent en outre que

les agents de la SSI lui ont envoyé des décharges électriques sur plusieurs parties du

corps. Il a été battu et torturé avant et après les séances d’interrogatoire menées par le

State Security Prosecutor et qui ont débuté le 3 novembre 2004.

105. Les Plaignants soutiennent également que la Première Victime a initialement nié

avoir été impliquée dans les attentats à la bombe mais, après avoir été battu et torturé,

il a été contraint d’avouer le 4 novembre 2004. Ils soutiennent également que jusqu’au

24 mars 2005, la première victime n’avait pas été autorisée à avoir des contacts avec sa

famille, ses avocats ou à avoir accès à des soins de santé.

106. Les Plaignants affirment que la Deuxième Victime, Ossama Mohamed Abdel-

Ghani Al-Nakhlawy, qui a été arrêtée le 12 août 2005, a été torturée par les agents de

la SSI au début de sa détention et de ses interrogatoires, qu’il a reçu des décharges

électriques, qu’il a été battu, attaché au plafond dans des positions pénibles. Ils

affirment en outre que, pendant les séances d’interrogatoire qui se sont poursuivies

pendant sept mois, la Deuxième Victime n’avait pas été autorisée à entrer en contact

avec son avocat.

107. Ils soutiennent, au nom de la troisième victime, Younis Mohamed Abu-Gareer,

qu’entre le 28 septembre 2005 et le 20 novembre 2005, ce dernier a été interrogé par

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les agents de la SSI au cours de vingt-cinq séances au moins, a reçu des décharges

électriques et a été suspendu par les mains et les jambes dans des positions pénibles.

108. En faisant valoir leur point de vue, les Plaignants renvoient la Commission

africaine à sa jurisprudence18 où elle a jugé que l’interdiction de la torture et de tout

traitement cruel, inhumain ou dégradant comprend « les actions qui causent de graves

souffrances physiques ou psychologiques (ou) qui humilient l’individu ou le

contraignent à agir contre sa volonté ou sa conscience. »

109. La Commission africaine a également été renvoyée à l’interdiction absolue de la

torture et des mauvais traitements énoncée dans les Lignes directrices de Robben

Island19 et au cas Hurilaws c./Nigeria20. Ils affirment en outre que le caractère absolu

de l’interdiction de la torture et des mauvais traitements est reconnu dans d’autres

instruments régionaux et internationaux comme les RIG et la CAT.21 Les Plaignants

soutiennent que, même ces instruments qui, contrairement à la Charte africaine,

autorisent certaines dérogations en période d’urgence nationale, excluent

explicitement de ces dérogations admissibles, les dispositions interdisant la torture et

les mauvais traitements.22 Les Plaignants allèguent que, même la menace indubitable

que pose le terrorisme, n’affecte nullement l’interdiction absolue de la torture.23

110. Les Plaignants allèguent également que, en raison de l’importance des valeurs

qu’elle protège et comme les tribunaux et organismes internationaux l’ont reconnue,

l’interdiction de la torture a évolué pour devenir aujourd’hui une norme impérative ou

18Cf. International Pen, Constitutional Rights Project, Interights (au nom de Ken Saro-Wiwa) c./ Nigeria (Communications

137/94, 139/94, 154/96 et 161/97), para. 79. 19 Lignes directrices et Mesures d’Interdiction et de Prévention de la Torture, des Peines ou Traitements cruels, inhumains ou

dégradants en Afrique, adoptées par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples lors de sa 32ème Session, 17-23

octobre 2002 (ci-après “les Lignes directrices de Robben Island”), para. 9. 20 Hurilaws c./ Nigeria (Communication 225/98), para. 41 21 Art. 2(2) CAT ; Déclaration des Nations Unies sur la Protection de toutes les Personnes contre la torture et autres peines ou

traitements cruels, inhumains ou dégradants, GA res. 3452 (XXX) du 9 décembre 1975, Art. 3. 22 Voir ICCPR, Art. 4; ECHR, Art. 15; ACHR, Art. 27. 23 Saadi c./ Italie (App. No. 37201/06), ECtHR (Grand Chamber), jugement du 28 février 2008.

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25

un jus cogens reflétant le fait que cette interdiction est devenue l'une des normes

fondamentales de la communauté internationale.24

111. Les Plaignants soutiennent que l’Etat défendeur doit non seulement éviter la

torture et les mauvais traitements mais aussi prendre des mesures positives pour la

prévenir effectivement et s’en protéger. Ils allèguent que certaines mesures de

sauvegarde – comme un avocat, le personnel médical et des tribunaux et

l’irrecevabilité des preuves obtenues par la torture – sont des aspects inhérents à

l’interdiction de la torture et des mauvais traitements. Ils soutiennent en outre qu’en

cas de torture ou de mauvais traitements, l’Etat défendeur est tenu de réagir par des

investigations effectives et en adoptant des mesures correctives. L’importance de telles

mesures, selon eux, est que, premièrement, elles ont un effet dissuasif sur les actes de

torture et les mauvais traitements et, deuxièmement, elles garantissent que les cas de

torture et de mauvais traitements fassent l’objet d’investigations et qu’ils soient

documentés. Les Plaignants renvoient la Commission africaine à l’Observation générale

n° 2 du Comité contre la torture qui a considéré les recours judiciaires et l’accès à un

avocat et à une assistance médicale en détention, comme des garanties « de base »

que l'Etat est obligé de respecter pour donner effet à son obligation de prendre des

mesures de prévention et de protection de la torture ou des mauvais traitements.25

112. Les Plaignants allèguent qu’en vertu de la Charte africaine, une obligation

parallèle de prévention de la torture et des mauvais traitements découle de

l’engagement pris par les Etats parties à l’Article premier de la Charte « d’adopter des

mesures législatives ou autres pour les appliquer » aux droits énoncés dans la Charte.

L’importance de telles mesures de sauvegarde, selon les Plaignants, a été reconnue par

la Commission africaine dans les Lignes directrices de Robben Island.26 Les Plaignants

affirment que la Commission a pris note elle-même que, si « le châtiment du 24 Comité contre la Torture, Observation générale No. 2: Mise en œuvre de l’Article 2 par les Etats parties, 23 novembre 2007,

UN doc. CAT/C/GC/2/CRP.1/Rev.4, para. 1 (extrait de l’Annexe des Plaignants) ; Tribunal pénal international pour l’Ex-

Yougoslavie TPIY), Procureur c./ Furundzija, 10 décembre 1988, cas No IT-95-17/1-T, paras 153-154 (extrait de l’Annexe des

Plaignants). 25 Comité contre la Torture, Observation générale No. 2, para. 13. 26 Lignes directrices de Robben Island, para. 20.

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26

tortionnaire est important, *…+ des mesures préventives comme la fin de la détention

au secret, des recours efficaces dans le cadre d’un système juridique transparent,

indépendant et efficace et des investigations sur les allégations de torture »27 sont les

meilleurs moyens de répondre à de telles atrocités.

113. Les Plaignants allèguent que les victimes ont été soumises à la torture et à de

mauvais traitements par les agents de l’Etat – membres des forces de sécurité – alors

qu’elles se trouvaient en détention préventive. Ils soutiennent que les victimes ont été

soumises, à maintes reprises, à des décharges électriques, ont été battues, ont été

suspendues longtemps, attachées et les yeux bandés afin de les désorienter

totalement. Ils déclarent en outre que ce traitement qui a été infligé par des

fonctionnaires de l’Etat aux victimes pour obtenir des aveux et des informations a, à

l’évidence, atteint le seuil de la torture.

114. Les Plaignants allèguent également que, bien que les preuves disponibles des

circonstances de la détention au secret et des interrogatoires des victimes soient

nécessairement limitées, les allégations de torture et de mauvais traitements sont

étayées par les témoignages indépendants de victimes de mauvais traitements

similaires. Selon les Plaignants, le fait que les victimes aient été détenues au secret,

isolées du monde extérieur pendant 6 à 9 mois de détention préventive et que l’accès à

des médecins leur ait été continuellement refusé pendant le procès même, est indicatif

des mauvais traitements subis. Ils relèvent que le caractère irrégulier des

« interrogatoires » ainsi que la décision d’y procéder tard dans la nuit constituent une

forme de mauvais traitement.

115. Les Plaignants soutiennent que le rapport d’expertise médico-légale établi à la

suite de l’examen de la Première Victime, le 5 juillet 2005, soit de neuf mois environ

après les blessures, indique des « cicatrisations » et des « tâches sombres » sur les

avant-bras gauche et droit, le coude droit, la partie supérieure de la jambe gauche et

l’articulation de la hanche gauche. Le deuxième rapport d’expertise médico-légale du

27 Voir Amnesty International et autres c./Soudan (Communications 48/90, 50/91, 52/91 et 89/93), para. 56.

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27

27 mai 2006 établi à la suite de l’examen des deuxième et troisième victimes,

également près de neuf mois après leur torture, indique que la deuxième victime

présentait de « multiples décolorations intersectées » sur tout son dos et une fracture

non réduite d’un orteil gauche et que la troisième victime présentait des décolorations

sombres sur la poitrine, l’abdomen et le haut des bras. Les Plaignants reconnaissent

que, dans les deux cas, les examinateurs du gouvernement ont confirmé que « le temps

écoulé entre leur examen et les blessures faisait qu’il était impossible de déterminer

avec certitude la raison, la manière et la période de ces blessures ».

116. Les Plaignants affirment que leurs allégations sont conformes aux rapports sur la

nature systématique dont les forces de sécurité font usage de la torture en Egypte dans

des cas tels que le cas actuel. En renvoyant la Commission africaine aux conclusions

qu’elle avait formulées en 1996, à la suite d’investigations spéciales sur l’usage de la

torture en Egypte, selon lesquelles « la torture est systématiquement pratiquée par les

forces de sécurité en Egypte, en particulier par la State Security Intelligence »28, les

Plaignants allèguent que les mécanismes des droits de l’homme signalent

constamment l’usage généralisé et systématique de la torture dans les lieux de

détention en Egypte. Les Plaignants renvoient aussi la Commission africaine à la

décision du Comité contre la torture selon laquelle « l’Egypte avait recours à un usage

constant et généralisé de la torture à l’égard des détenus » et que « le risque d’un tel

traitement était particulièrement élevé dans le cas des détenus pour des raisons

politiques et de sécurité ».29

117. Les Plaignants affirment qu’en vertu du droit international en matière de droits

de la personne, quand une personne est blessée en détention ou lorsqu’elle se trouve

28 Activités du Comité contre la torture conformément à l’Article 20 de la Convention contre la torture et autres peines ou

traitements cruels, inhumains ou dégradants : Egypte, 3 mai 1996, UN doc. A/51/44, para. 220 29 Agiza c/ Suède (Comm. no. 233/2003), Comité contre la torture, décision du 24 May 2005, UN doc. CAT/C/34/D/233/2003,

para. 13.4. Voir aussi Comité des droits de l’homme, Commentaires : Examen des rapports présentés par les Etats parties en vertu

de l’Article 40 du Pacte, UN Doc. CCPR/C/79/Add. 23, 9 août 1993, para. 10 ; Comité contre la torture, Conclusions and

Recommandations du quatrième Rapport périodique de l’Egypte, UN doc. CAT/C/CR/29/4 (2002), en particulier para. 5. Voir

aussi Amnesty International, « Egypte : Abus systématiques au nom de la sécurité », Indice AI MDE 12/001/2007 (avril 2007), p.

18 (appuyant la conclusion selon laquelle « la torture et les autres formes de mauvais traitement sont systématiques dans les

centres de détention ».)

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28

sous le contrôle de forces de sécurité, il existe une forte présomption selon laquelle

cette personne a été soumise à la torture ou à de mauvais traitements. Ils allèguent

qu’il incombe à l’Etat de donner une explication plausible sur la cause des blessures.30

118. Les Plaignants allèguent aussi que l’Etat défendeur n’a pas apporté la preuve

qu’il avait tenté de donner une explication satisfaisante sur la cause des blessures ou

qu’il avait pris des mesures pour enquêter et identifier les circonstances. Les Plaignants

affirment en outre que le tribunal n’a rien fait pour obtenir des éclaircissements sur les

questions soulevées dans les rapports d’expertise médico-légale ou les témoignages

des victimes. Ils allèguent en outre que les agents de la SSI qui ont été appelés pour

témoigner contre le défendeur au tribunal n’ont pas été interrogés sur la torture et les

mauvais traitements allégués. Ils soutiennent que le jugement ne mentionne pas les

allégations de mauvais traitements, qu’il y répond encore moins et que les autorités

n’ont toujours pas pris de mesures pour enquêter sur les allégations de mauvais

traitements ou sur les questions soulevées par les rapports d’expertise médico-légale.

119. Les Plaignants affirment également que l’exécution d’une peine de mort par une

méthode d’exécution particulière peut équivaloir à une peine ou un traitement cruel,

inhumain ou dégradant si la souffrance causée par l’exécution de la peine est excessive

et va au-delà de ce qu’elle devrait strictement être. Ils allèguent en outre que la peine

de mort « doit être exécutée de manière à causer la moindre souffrance physique et

mentale possible ».31 Cette approche, selon eux, a été testée et appliquée dans le cas

Ng c./ Canada où il a été estimé que la méthode d’asphyxie par le gaz n’était pas

appropriée.32

120. Les Plaignants soutiennent que, dans le cas présent, les victimes ont été

condamnées à mort par pendaison. La pendaison, soutiennent-il, est une méthode

d’exécution connue pour être lente et douloureuse. Si elle est appliquée sans tenir

30

Colibaba c./ Moldova (Appl. no. 29089/06), ECtHR, Jugement du 23 octobre 2007, para. 43. 31 Comité des Droits de l’Homme, Observation générale No. 20, para. 6. 32 Ng c./ Canada (Comm. No 469/1991), Comité des Droits de l’Homme, 7 Janvier 1994, UN doc. CCPR/C/49/D/469/1991, para.

16.2 et 16.4.

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29

correctement compte du poids du condamné, la pendaison peut équivaloir à une lente

et douloureuse strangulation car le cou n’est pas immédiatement brisé ou, à l’opposé,

provoquer une décapitation. Le risque de l’une ou l'autre possibilité n’est pas

compatible avec le respect de la dignité inhérente à l’individu et l’obligation de

minimiser les souffrances inutiles.

Violation alléguée des Articles 7(1) et 26 (Droit à un Procès équitable et Indépendance des

tribunaux)

121. Les Plaignants allèguent que le droit à un procès équitable des victimes a été

violé en ce sens que :

(a) elles ont été jugées par un tribunal qui n’était pas indépendant et

impartial et dont les décisions ne peuvent pas être frappées

d’appel ;

(b) leur droit à un avocat n’a pas été pleinement respecté ;

(c) le tribunal a utilisé des aveux arrachés sous la torture et des

mauvais traitements.

122. Les Plaignants soutiennent qu’en vertu de l’Article 7(1) (d) de la Charte africaine,

les victimes ont « le droit d’être jugées dans un délai raisonnable par une juridiction

impartiale ». Ils déclarent que les victimes ont été jugées par un tribunal de sécurité

d'exception qui n'a pas répondu aux garanties minimales d'un tribunal indépendant et

impartial.

123. Les Plaignants déclarent que l’exigence d’impartialité énoncée à l’Article 7 de la

Charte est complétée par l’Article 26 de la Charte qui impose aux Etats parties « le

devoir de garantir l’indépendance des tribunaux » sur leurs territoires respectifs. Ces

obligations, affirment-ils, sont inscrites dans les Directives et Principes sur le droit à un

procès équitable où la Commission a notamment déclaré que : « L’instance

juridictionnelle doit être créée par la loi pour rendre des décisions au sujet de

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30

questions qui sont de sa compétence sur la base du droit et conformément aux

procédures prescrites;33 la justice s’exerce à l’abri de toute intervention injustifiée ou

ingérence et les décisions des tribunaux ne sont pas sujettes à révision, sauf pour une

révision judiciaire ;34 les instances juridictionnelles sont indépendantes du pouvoir

exécutif35 et le gouvernement doit respecter cette indépendance ;36 la procédure de

nomination dans les instances juridictionnelles doit être transparente ;37 les magistrats

règlent les affaires dont ils sont saisis sans restriction et sans être l’objet d’influences,

incitations, pressions, menaces ou interventions indues, directes ou indirectes, de la

part de qui que ce soit ou pour quelque raison que ce soit.38

124. Les Plaignants affirment que la non-application de ces principes aux tribunaux

spéciaux est une violation de l’Article 7(1) (d) de la Charte africaine car leur

composition est laissée à la discrétion du pouvoir exécutif. Ils affirment également que

le retrait de cas de la compétence des tribunaux ordinaires pour les introduire dans un

prolongement du pouvoir exécutif compromet nécessairement leur impartialité39 et

que « l’existence même de tels tribunaux spéciaux constitue une violation des principes

d’impartialité et d’indépendance du judiciaire. »40

125. Les Plaignants soutiennent que ces affirmations sont fondées sur la

jurisprudence de la Commission africaine et qu’elles apparaissent également dans les

approches internationales et comparatives plus larges du droit d’être jugé par une

juridiction indépendante et impartiale. Pour appuyer cette position, les Plaignants

renvoient la Commission africaine à la jurisprudence et au droit jurisprudentiel d’autres

mécanismes régionaux et internationaux des droits de l’homme. Ils soutiennent qu’une

interprétation d’un tel droit en vertu de l’Article 14 (1) du PIRDCP est réputée être « un

33 Directives et Principes sur un Procès équitable, Section A(4)(b). 34 Id, Sec A(4)(f). 35 Id, Sec A(4)(g). 36 Id, Sec A(4)(a). 37 Id, Sec A(4)(h) 38 Id, Sec (A)(4)(e) and (g) and (A)(5)(a). 39 Cf. International Pen et autres c./ Nigeria, para. 86. 40 Malawi African Association et autres c./ Mauritanie (Comm. nos 54/91, 61/91, 98/93, 164-196/97 et 210/98), 11 mai 2000,

para. 98.

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31

droit absolu ne pouvant souffrir aucune exception »41 et que, quand l’exécutif peut

« contrôler ou orienter » le judiciaire, il s’agit d’une violation de la notion de juridiction

indépendante et impartiale.42 Cette jurisprudence qu’ils invoquent a été suivie par des

organismes régionaux des droits de l’homme créés par traité tels que les Cours

interaméricaine et européenne des droits de l’homme qui ont, elles aussi, jugé que les

liens étroits avec le pouvoir exécutif violent les dispositions requérant une juridiction

indépendante et impartiale.43

126. Les Plaignants déclarent que la compétence et les procédures de la Supreme

State Security Emergency Court, un tribunal d’exception qui a jugé les victimes, sont

bien loin de ces normes. Ils allèguent également que la Supreme State Security

Emergency Court a été créée en vertu de la Emergency Law (loi d’urgence) pour être

une juridiction temporaire,44 bien que, comme la Emergency Law elle-même, cette

juridiction soit en vigueur depuis 1981, sans interruption. La Emergency Law accorde à

la Cour une compétence prioritaire à se prononcer sur les crimes perpétrés en violation

des décrets publiés par le Président de la République en application de la Emergency

Law,45 mais le Président de la République peut aussi, à sa discrétion, renvoyer un crime

ordinaire à la Supreme State Security Emergency Court.46 Selon le Décret présidentiel

n°1/1981 concernant le renvoi de certains crimes à la Emergency State Security Court,

tous les crimes et délits portant atteinte à la sécurité du gouvernement ou liés à des

41

Voir González del Río c/ Pérou (Comm. no. 263/1987), Comité des droits de l’homme, 28 octobre 1992, para. 20.

La Cour interaméricaine des droits de l’homme a également reconnu que le droit à un tribunal impartial constitue

l’une des garanties judiciaires fondamentales ne souffrant aucune dérogation, y compris en période de guerre ou

situation d’urgence ; voir I-ACtHR, Avis consultatif OC-8/87, 30 janvier 1987, Habeas Corpus dans les situations

d’urgence; I-ACtHR, Avis consultatif OC-9/87, 6 octobre 1987, Garanties judiciaires dans les situations d’urgence,

OAS/Ser.L/V/III.19 doc.13, 1988. 42 Voir Olo Bahamonde c./ Guinée Equatoriale (Comm. no. 468/1991), Comité des Droits de l’Homme, 20 octobre 1993, para.

9.4. 43Lorenzo Enrique Copello Castillo et. al. c./ Cuba, Affaire 12.477, I-ACtHR, Rapport n° 68/06, OAE/Ser.L./V/II.127, doc.

4 rev., paras 117–18 (2006) ; Incal c/ Turquie (Demande n° 22678/93), ECtHR, Rapports 1998-IV, para. 65

(considérant que, pour déterminer si un tribunal spécial répond aux exigences d’indépendance, il faut examiner le

mode de nomination de ses membres, l’existence de garanties contre les pressions externes et s’il présente une

apparence d’indépendance) ; Öcalan c/ Turquie (Demande n° 46221/99), ECtHR, Rapports 2005-IV, paras 112–118. 44 Voir Art. 3b, Emergency Law 45 Id, Art. 7. 46 Id, Art. 9.

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32

explosifs doivent être référés à la Security Emergency Court, créée en vertu de la

Emergency Law.

127. Les Plaignants soutiennent en outre que la composition de la Supreme State

Security Emergency Court et la procédure de nomination à cette Cour sont une

illustration de son manque d’indépendance. Ils déclarent qu’elle est normalement

composée de trois Juges de la Cour d’Appel,47 mais que le Président de la République

peut ordonner qu’elle soit composée des trois juges de la Cour d’Appel et de deux

officiers de l’armée,48 ou simplement décider qu’elle soit composée de trois officiers

militaires. 49 Avant la nomination des juges et/ou des officiers militaires, la loi dispose

que le Président de la République demande l’avis du Ministre de la Justice et du

Ministre de la Guerre.50

128. Les Plaignants allèguent aussi que le degré de contrôle exercé par le Président de

la République dans la composition, la conduite et le résultat des procédures de la State

Security Court va à l’encontre de la notion d’un processus judiciaire indépendant et

impartial, car le Président exerce les pouvoirs suivants :

Le Président peut suspendre un cas avant son introduction

auprès de la Supreme State Security Emergency Court ou

ordonner la libération provisoire de l’accusé avant l’envoi

de son cas à la Supreme State Security Emergency Court ;51

les décisions de la Supreme State Security Emergency Court

ne sont finales que quand elles sont approuvées par le

Président de la République et elles ne peuvent être

47 Id, Art. 7. 48 Id, Art. 7. 49 Id, Art. 8. 50 Id, Art. 7. 51 Id, Art. 13.

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33

ultérieurement contestées par aucune juridiction en

Egypte ;52

le Président de la République peut commuer, modifier,

suspendre ou annuler de telles décisions ; Il peut aussi

ordonner la libération des défendeurs53 ; et/ou

ordonner que le cas soit jugé à nouveau par une autre

juridiction.54

129. Les Plaignants affirment en outre que ce manque d’indépendance et

d’impartialité de la Supreme State Security Emergency Court a été identifié et critiqué

par le Comité des droits de l’homme, quand il a « tiré la sonnette d’alarme » sur le fait

que « les juridictions militaires et les State Security Courts ont compétence à juger des

civils accusés de terrorisme bien qu’il n’y ait aucune garantie que l’indépendance de

ces juridictions et leurs décisions ne soient pas sujettes à appel auprès d’une juridiction

supérieure ».55

130. Concernant le droit à la défense garanti par l’Article 7(1) (c) de la Charte

africaine,56 les Plaignants soutiennent que ce droit qui en sous-tend plusieurs autres,

tels que la protection contre les mauvais traitements et le droit de préparer sa

défense,57 devrait être observé à tous les stades de la procédure pénale, « y compris

lors des enquêtes préliminaires de recherche de preuves, les périodes de détention

administratives, de procès et de procédures d’appel. »58 Ils soutiennent que, dans les

procédures pénales, la représentation juridique est « le meilleur moyen de se défendre

contre les violations de ses droits humains et libertés fondamentales ».59 Ils allèguent

52 Id, Art. 12. 53 Id, Art. 14. 54 Id, Art. 15. 55 Comité des Droits de l’Homme, Observations finales sur l’Egypte, UN doc. CCPR/CO/76/EGY (2002), para. 16 (b). 56 L’Article 7(1) de la Charte garantit « le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix » 57 Amnesty International et autres c./ Soudan, para. 64. 58 Id, Sec N(2)(c). 59 Directives et Principes sur un Procès équitable, Sec N(2)(a).

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aussi que, dans les cas de peine capitale, « il est évident que l’accusé doit être

effectivement assisté d’un avocat à toutes les étapes de la procédure. »60

131. Ils renvoient la Commission africaine à sa décision dans l’affaire Malawi African

Association et Autres c/ Mauritanie,61 et soutiennent que le droit à un avocat prévu à

l’Article 7 fait référence au droit à un avocat du détenu ou au choix du défendeur et ils

précisent que, quand l’accusé n’a pas eu accès ou alors seulement un accès limité ou

tardif à des avocats, il s’agit d’une violation de l’Article 7(1) (c). Ils soutiennent que ce

droit garantit le droit à des consultations opportunes et confidentielles avec cet

avocat.62

132. Les Plaignants allèguent aussi que, bien que le système européen ait reconnu

que, dans certaines circonstances exceptionnelles, il pourrait être nécessaire de limiter

le droit à un avocat, de telles restrictions ne sont permissibles que si elles ne sont plus

strictement nécessaires et si elles n'entravent pas l’équité de la procédure.63 Les

Plaignants renvoient aussi la Commission africaine à l’affaire Ocalan c./ Turquie où la

cour a considéré notamment que le refus d’accès à un avocat pendant 10 jours

d’interrogatoire, « une situation où les droits de la défense aurait bien pu avoir été

irrémédiablement compromis » a interféré avec l’équité des procédures et violé les

droits fondamentaux des défendeurs.64

133. Dans le cas d’espèce, aucune des victimes n’avait un avocat présent au stade

initial crucial des interrogatoires. Le 23 novembre 2004, un groupe d'avocats des droits

de l'homme a introduit une demande spécifique auprès du Bureau du Procureur (Public

60 Comité des Droits de l’Homme, Observation générale No. 32 sur l’Article 14 : Droit à un procès équitable et à l’égalité

devant les cours et tribunaux, UN doc. CCPR/C/GC/32 (2007), para. 38.

61 Cf. Malawi African Association c./ Mauritanie para. 96. 62 Comme noté par le Comité des Droits de l’Homme relativement au droit à un avocat en vertu du PIRDCP “[le conseil doit

pouvoir rencontrer son client en privé et communiquer avec l’accusé dans des conditions qui respectent entièrement la

confidentialité de leurs communications. Par ailleurs, les avocats devraient pouvoir conseiller et représenter les personnes

accusées d’infraction pénale, conformément à l’éthique professionnelle généralement reconnues, sans restriction, influence,

pression ou ingérence de la part de qui que ce soit » (Comité des Droits de l’Homme, Observation générale No. 32 (ci-dessus, n.

60), para. 34. 63 Cf. Öcalan c./ Turquie (ci-dessus n. 43), para. 131; Murray c./ Royaume Uni (Appl. no. 18731/91), ECHR (Grand Chamber),

Series A, No. 300-A, para. 63. 64 Öcalan c./Turquie, para. 131.

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Prosecutor’s Office) (enregistrée sous le numéro 16332) pour représenter

juridiquement un certain nombre de personnes, y compris la Première Victime, mais

n'a pas reçu de réponse. La Première Victime s’est vue refuser toute représentation

aux interrogatoires pendant une période de 5 mois, jusqu’au 24 mars 2005, et les

deuxième et troisième victimes n’ont pas eu accès à un avocat avant le 26 mars 2006,

lors de leur première comparution devant le tribunal.

134. Même au début du procès, les trois victimes n’ont pas eu la possibilité de

consulter un avocat en privé pour préparer leur défense. Ils soutiennent aussi que la

communication avocat-client s’est déroulée derrière les barreaux de la salle

d’audience, en présence et à portée de voix des responsables de la sécurité. Le refus

total d’accès à un avocat avant leur comparution au tribunal et l’accès limité par la

suite constituent une violation du droit à se faire représenter par un avocat et du droit

à la défense, prévus à l’Article 7(1) (c).65

135. Concernant la question de la prise en compte par la State Security Emergency

Court des « aveux » des trois victimes, pour les Plaignants « Tout aveu ou tout autre

témoignage obtenu par une forme quelconque de contrainte ou de coercition ne peut

être admis comme élément de preuve ou considéré comme prouvant un fait lors de la

procédure orale ou du délibéré sur la sentence ».66 « Tout aveu ou reconnaissance

d’une allégation, obtenu pendant une détention au secret sera considéré comme ayant

été obtenu par la contrainte ».67 Ils allèguent également que toute preuve et/ou aveu

obtenu par la torture ou un traitement cruel, inhumain et dégradant ne peut pas être

utilisé dans une procédure judiciaire, si ce n’est dans le cadre d'une procédure relative

à un acte de torture ou de mauvais traitement.68

65 Voir Malawi African Association c./ Mauritanie, para 96. 66 Directives et Principes sur le Droit à un Procès équitable, Section N (6)(d)(1). 67 Id, Sec N (6) (d) (1). 68 Ils soutiennent qu’une interdiction expresse de se fonder sur les preuves obtenues sous la torture est contenue dans l’Article 10

de la Convention interaméricaine pour prévenir et punir la torture, du 9 décembre 1985, OAS Treaty Series No. 67; Observations

finales du Comité des Droits de l’Homme : Philippines, UN doc. CCPR/CO/79/PHL (2003), para. 12

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136. Invoquant les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme69, les

Plaignants affirment que l’utilisation de preuves obtenues sous la torture ou des

mauvais traitements dans une procédure criminelle soulève de sérieuses questions

quant à l’impartialité de cette procédure. Tout élément de preuve à charge – sous

forme d’aveu ou de preuve matérielle – obtenu par suite d’actes de violence, de

brutalité ou d’autres formes de traitement pouvant être caractérisés comme des actes

de torture ne devrait jamais être considéré comme une preuve de la culpabilité de la

victime, indépendamment de sa valeur probante. »70 Ils soutiennent en outre que la

Constitution égyptienne de 1971 stipule aussi que : « s’il est prouvé qu’un aveu a été

obtenu d’une personne sous toute …. forme de contrainte ou de coercition, il doit être

considéré comme nul et sans valeur. »71

137. Les Plaignants soutiennent que, bien que le Comité contre la torture ait affirmé à

maintes occasion que « c’est à l’auteur de prouver que les allégations sont bien

fondées »,72 il incombe généralement à l’Etat de prouver que les aveux ont été

librement obtenus.73 Soutenant cette opinion, les Plaignants renvoient la Commission

aux observations du Comité des droits de l’homme selon lesquelles « toutes les

allégations selon lesquelles les déclarations de détenus ont été obtenues sous la

contrainte doivent donner lieu à des investigations et ces déclarations ne doivent

jamais être utilisées comme preuve sauf comme preuve d’actes de torture et la charge

de la preuve, dans ces cas, ne doit pas incomber à la victime alléguée ».74 La

Commission africaine a également été renvoyée au rapport du Rapporteur spécial des

NU sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui a

69 Jalloh c./ Allemagne (App. No. 54810/00), ECtHR, jugement du 11 juillet 2006 [GC], paragraphes 99 et 104-106;

Harutyunyan c./ Armenia (Appl. No. 36549/03), ECtHR, jugement du 7 juin 2007, para. 63; Observations finales du Comité des

Droits de l’Homme : Philippines, UN doc. CCPR/CO/79/PHL (2003), para. 12. 70 ECHR, Harutyunyan c./ Armenie (ci-dessus 50), para. 63. 71 Cf. Article 42 in fine. 72 P.E. c./ France, para. 6.3; Voir aussi G. K. c/ Suisse (Comm. 219/2002), Comité contre la torture, décision du 7 mai 2003, UN

doc. CAT/C/30/D/219/2002, para. 6.11 73 P. E. c./ France, para. 6.2 ; voir aussi la formulation légèrement différente du Comité dans G. K. c./ Suisse « [….] la large

portée de l’interdiction à l’Article 15, interdisant l’invocation de toute déclaration qui serait établie par suite de torture comme

preuve « dans une procédure » est fonction de la nature absolue de l’interdiction de la torture et implique, en conséquence, une

obligation pour chaque Etat de vérifier si les déclarations reçues comme preuve ont été obtenues ou non sous la torture ». 74 Observations finales du Comité des droits de l’homme, para. 12.

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fait observer que « … le requérant doit seulement démontrer que ses allégations de

torture sont bien fondées ». Cela signifie que la charge de la preuve devant établir si,

oui ou non, les déclarations invoquées comme preuve dans une procédure, y compris

les procédures d’extradition, ont été obtenue par la torture, incombe à l’Etat.75

138. Les Plaignants affirment que les victimes, dans ce cas, ont toutes formulé des

allégations de torture et de mauvais traitements et que ces allégations correspondent

au moins aux circonstances propres à leur cas, comme la détention au secret et les

rapports d’expertise médico-légale qui indiquent au minimum un risque de mauvais

traitement. Malgré ces considérations, l’incohérence et le manque de fiabilité

apparents des preuves, les « aveux » ont été admis comme étant des preuves et

semblent avoir constitué en partie le fondement de leurs convictions et de l'imposition

de la peine de mort. La prise en compte de telles preuves, selon les Plaignants,

constitue une violation de l’Article 7 de la Charte.

139. Concernant le droit d’appel, les Plaignants affirment que l’Article 12 de la

Emergency Law égyptienne stipule que « il n’est pas permis d’interjeter appel des

décisions des State Security Courts, sous quelque forme que ce soit ». Cette loi et son

application concrète violent l’Article 7(1) (a) de la Charte qui prévoit le « droit de saisir

les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux

qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, lois, règlements et coutumes en

vigueur. »

140. Les Etats parties doivent garantir le droit de faire appel mais aussi proposer un

réexamen véritable et en temps voulu de l’affaire, notamment en termes de faits et de

droit »,76 et dans les cas extrêmes où la vie est menacée, les Etats parties doivent

prendre des mesures pour rendre ces appels obligatoires, particulièrement dans les cas

de peine de mort.77 Les Plaignants renvoient la Commission à ses décisions dans

75 Rapport du Rapporteur Spécial sur la Torture et autres Peines ou Traitements cruels, inhumains ou dégradants ; UN doc.

A/61/259 (2006), Annexe, para. 63. 76 Cf. Directives et Principes sur un Procès équitable, (CADHP) Sec N(10)(a)(1). 77 Id, Sec N (10)(b).

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l’affaire Law Office of Ghazi Suleiman c./Soudan78 pour souligner l’importance du droit

d’appel dans la jurisprudence de la Commission et dans l’affaire Civil Liberties

Organization et Autres c./ Nigeria79 sur le droit d’appel dans les cas de peine de mort.

141. Il résulte de ce qui précède que les Plaignants soutiennent que le tribunal où les

victimes ont été jugées n’a pas rempli les critères que la Commission a identifiés

comme essentiels en termes d’indépendance et d’impartialité et ils exhortent la

Commission à déclarer que la République arabe d’Egypte a violé les Articles 7 et 26 de

la Charte africaine.

Violation alléguée de l’Article 4 (Droit à la vie)

142. En appui à la violation alléguée de l’Article 4 de la Charte africaine, les Plaignants

affirment que, bien que l’imposition de la peine de mort ne soit pas illégale per se au

regard de la Charte ou du droit international plus large en matière des droits de la

personne, certaines circonstances présentes dans ce cas en font une violation du droit

à la vie. Dans le cas d’espèce, ces circonstances particulières devraient inclure les

situations où la sentence a été rendue sans que ne soit satisfaites les conditions

relatives à un procès équitable, énoncées dans l’Article 7 de la Charte africaine et,

lorsque la peine de mort est obligatoire ou automatique, imposée par la loi plutôt

qu’appliquée par une juridiction, à la lumière de toutes les circonstances applicables.

143. Les Plaignants estiment que, dans une procédure pénale qui pourrait aboutir à

l’imposition de la peine de mort, le respect du droit à une procédure équitable est

nécessaire pour veiller à ce que le droit à la vie aux termes de l’Article 4 de la Charte ne

soit pas violé. En renvoyant la Commission africaine à ses décisions dans l’affaire

International Pen et Autres (au nom de Ken Saro-Wiwa) c./ Nigeria80 et dans l’affaire

Malawi African Association et Autres c./ Mauritanie, les Plaignants soutiennent que,

78 Communications 222/98 et 229/99 - Law Office of Ghazi Suleiman c./ Soudan (, para. 53; voir également para 65. 79 Communication 218/98 - Civil Liberties Organisation, Legal Defence Centre, Legal Defence and Assistance Project c./

Nigeria (, para 33. Voir également para 34.

80 Cf. Communication 137/94, 139/94, 154/96 et 161/97

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quand la peine de mort est illégalement imposée, l’Article 4 est violé car le droit des

victimes en vertu de l’Article 7 leur a été dénié.

144. Les Plaignants sont d’avis que « un niveau plus élevé de droits est prévu pour les

personnes accusées de crimes pour lesquels la sentence pourrait être la peine de

mort »81, ce qui explique la nécessité d’un « respect scrupuleux des garanties d’un

procès équitable » dans les cas de crime capital.82 L’Etat défendeur, dans une

déclaration faite devant l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2007, a reconnu la

nature cruciale du respect du droit à une procédure équitable dans le cas d’un crime

capital.83

145. Pour les Plaignants, l’imposition de la peine de mort par la Supreme State

Security Emergency Court, dans les circonstances particulières du cas présent,

équivaudrait à une privation arbitraire de la vie.

Observations de l’Etat défendeur sur le Fond de la communication

146. Concernant la violation alléguée de l’Article 5, l’Etat défendeur déclare que

l’Article 42 de la Constitution de l’Egypte prévoit et garantit le droit à la sécurité de la

personne et que, s’il est prouvé qu’un aveu a été obtenu d’une personne, sous la

contrainte ou la coercition, il doit être considéré invalide et sans valeur. L’Article 57 de

la même Constitution dispose que « toute infraction à la liberté individuelle ou au

caractère inviolable de la vie privée des citoyens et de toutes les autres libertés et

droits publics garantis par la Constitution et la loi sera considérée comme un crime

dont les poursuites pénales et civiles ne sont pas prescriptibles. L’Etat accordera une

indemnisation équitable à la victime d’une telle agression ».

81 Civil Liberties Organisation, Legal Defence Centre, Legal Defence and Assistance Project c./ Nigeria (ci-dessus,

n. para. 34 (citant Constitutional Rights Project c./ Nigeria (Comm. nos 10/91 et 87/93). 82 Comité des droits de l’homme, Observation générale No. 32, para. 59. 83

Cf. Actes de l’Assemblée générale, Soixante deuxième session ; Compte rendu de la 76ème

Séance plénière, 18

décembre 2007 ; UN doc. A/62/PV.76, at p. 24.

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147. Concernant l’allégation selon laquelle les visites étaient interdites aux victimes

quand elles étaient en détention, l’Etat défendeur affirme que les proches d’Ossama

Mohamed al-Nakhlawy lui ont rendu visite 17 fois, ceux de Mohamed Gayez Sabah, 30

fois, et ceux de Yunis Mohamed Abu Gareer, 16 fois, jusqu’en avril 2007. Cela

démontre que les allégations des Plaignants sont sans fondement.

148. Selon l’Etat défendeur, son code pénal criminalise les actes de torture en ses

Articles 126 et 282 et le même code pénalise la détention injustifiée (Articles 127 et

280).

149. Il soutient que l’évaluation, la valeur et la fiabilité d’un aveu comme élément de

preuve dans une procédure pénale sont entièrement laissées à la discrétion du

tribunal. C’est le juge qui exerce ce pouvoir discrétionnaire quand il décide d’accepter

et de retenir ou non l’aveu comme preuve fiable pour une condamnation.

150. Il relève de la compétence du juge d’évaluer la valeur d’un aveu ainsi que celle

de l’interpréter, d’en déterminer la signification et d’en explorer les motifs. Ce principe,

selon l’Etat défendeur, s’applique, que l’aveu soit judiciaire ou non judiciaire, qu’il

s'inscrive dans le processus d'enquête sur les faits, de l'interrogatoire ou même devant

une personne ordinaire. Le juge ne se fonde pas sur un aveu s'il n'en est pas convaincu,

même dans le cas où l’accusé persiste dans ses aveux. Dans un tel cas, le juge peut

prononcer un acquittement et préciser la raison pour laquelle il n'a pas pris l'aveu en

considération. S'il est prouvé que l'aveu a été obtenu sous la contrainte ou la

coercition, il sera considéré nul. Mais cela n’empêche pas le tribunal de se servir

d’autres preuves à l'appui de l'accusation.

151. L’Etat défendeur soutient que le jugement de la cour contre des victimes a pris

en considération les circonstances des faits à la satisfaction de la cour, conformément

aux processus se rapportant au cas, aux investigations, aux audiences de la cour, aux

auditions des témoins et aux plaidoiries écrites et orales de la défense afin de préciser

les faits, les éléments du crime et les dispositions de la loi y applicables. Selon l’Etat

défendeur, la cour a examiné très attentivement et analysé les preuves de l'objet de la

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plainte, y compris les rapports médicaux et techniques et les investigations du

ministère public pour parvenir aux faits sur la base desquels elle s'est prononcée.

152. L’Etat défendeur estime que la cour a répondu à tous les arguments de la

défense pendant le procès, notamment l’argument d’invalidité des aveux, mais la cour

a estimé que les aveux des victimes et des autres accusés pendant l'enquête émanaient

de personnes dotées de volonté et de discernement et totalement conscientes des

accusations qui pesaient sur elles.

153. Quand les accusés ont comparu la première fois devant le procureur, ils

n’avaient aucune blessure. La cour était certaine que les victimes étaient pleinement

conscientes qu’une enquête était menée par le Bureau du Procureur (Public

Prosecution Office - PPO) et que le PPO les avait informées des accusations portées

contre elles. L’Etat défendeur a également déclaré que, « dans le cadre de l’enquête, le

Bureau du Procureur avaient interrogé l’accusé Mohamed Gaiz Sabah à quatre reprises,

l’accusé Osama Abdel Ghani El-Nakhlawi à huit reprises et l’accusé Mohamed Alyan

Abu Garir à vingt cinq reprises. Pendant ces interrogatoires, tous les accusés avaient

plaidé coupables d’avoir commis les crimes qui leur étaient imputés. »

154. L’Etat défendeur a expliqué qu’à l’issue des conclusions du PPO, les victimes

avaient été déférées à la Cour sous l’affaire numéro 40/2005 pour atteinte à la sécurité

en situation d’urgence en commettant un crime capital. Il soutient que la Cour a

répondu, lors de ses séances, à toutes les requêtes des victimes. Pendant les

délibérations, la cour a autorisé les victimes et leur défense à produire des preuves à

l’appui de leur cas et à faire comparaître leurs témoins. Les Plaignants ont été entendus

et leur demande à être examinés par un médecin légiste a également été accordée. La

cour a également entendu les observations en défense des Plaignants au nom des

victimes lors de 12 séances et les victimes ont également été autorisées à recevoir des

visites chaque fois qu’elles en ont fait la demande. Les Plaignants ont également pu

obtenir des copies des procès-verbaux des enquêtes et des audiences de la Cour ainsi

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que des dépositions de tous les témoins et la Cour a été convaincue de la validité de

leurs aveux.

155. Concernant l’allégation des Plaignants selon laquelle le droit à un procès

équitable des victimes avait été violé, l’Etat défendeur est resté sur sa position

antérieure selon laquelle les victimes avaient été jugées de manière juste et équitable

par une juridiction légale, nationale et compétente. Les audiences du procès étaient

publiques et en présence des avocats représentant les victimes et le procès s'est

déroulé dans un délai raisonnable.

156. Selon l’Etat défendeur, il ressort clairement du déroulement du procès que les

victimes ont été jugées par une juridiction légale, nationale et indépendante,

composée de juges jouissant de l’immunité judiciaire. Ce qui, pour l’Etat défendeur,

invalide l’existence d'une violation de l’Article 26 de la Charte africaine.

Analyse de la Commission quant au fond de la communication

157. Dans la présente Communication, il est demandé à la Commission africaine de

déterminer si l’arrestation, la détention préventive, le procès et la condamnation des

Victimes par l’Etat défendeur, suite à leur implication alléguée dans un attentat à la

bombe, le 6 octobre 2004, dans les villégiatures de Taba et Noueiba, dans la Péninsule

du Sinaï, ayant tué 34 personnes et blessé 105 dont des Egyptiens, Israéliens et autres

étrangers, constitue une violation des droits des victimes garantis aux termes des

Articles 4, 5, 7(1) (a) (c) et 26 de la Charte africaine, comme allégué par les Plaignants.

Les droits allégués avoir été violés par l’Etat défendeur sont les suivants :

La torture des Victimes alors qu’elles se trouvaient en détention préventive et qui ont

notamment reçu des décharges électriques, ont été battues, été suspendues par les

mains et les jambes et subi des privations sensorielles viole l’interdiction de la torture

et des traitements cruels, inhumains ou dégradants garantie par l’Article 5 de la

Charte ;

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La dénégation de garanties essentielles et nécessaires pour donner effet à cette

interdiction, comme l'accès à un conseil, au personnel judiciaire ou médical et

l’utilisation pendant le procès d’aveux arrachés sous la torture, équivaut en soi à une

violation de l’Article 5 de la Charte ;

Le caractère, les procédures et la conduite du Bureau du State Security Prosecutor et de

la Supreme State Security Emergency Court violent les droits des Victimes à une

procédure équitable en vertu de l’Article 7(1) de la Charte et de l’obligation de l’Etat à

garantir l’indépendance des cours et des tribunaux en vertu de l’Article 26 ;

La dénégation du droit à un procès équitable et l’imposition de la peine de mort

constituent une violation du droit à la vie, tel que protégé par les Articles 4 et 5 de la

Charte.

158. La Commission va donc procéder à l’analyse de chacun des Articles de la Charte

allégués avoir été violés par l’Etat défendeur.

Violation alléguée de l’Article 5

159. Selon les Plaignants, l’Etat défendeur a violé l’Article 5 en ce que les Victimes ont

été détenues au secret et tout accès à leur famille, à leurs avocats et à des soins

médicaux leur était interdit par les agents de la State Security Intelligence (SSI). Les

victimes ont été battues, torturées, ont eu les yeux bandés, quelquefois suspendues au

plafond par les bras et les jambes dans des positions douloureuses, par les agents de la

SSI qui leur appliquaient des décharges électriques sur plusieurs parties de leur corps

160. L’Article 5 de la Charte africaine dispose que « Tout individu a droit au respect de

la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité

juridique. Toutes formes d’exploitation et d’avilissement de l’homme notamment

l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les

traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites. »

L’Article 42 de la Constitution égyptienne de 1971 stipule que :

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« un citoyen arrêté, détenu ou dont la liberté est limitée doit être traité de manière à ce que sa

dignité soit respectée. Aucun préjudice physique ou moral ne doit lui être infligé… »84

161. Pour analyser l’allégation de torture des victimes, la Commission africaine va

commencer par définir la torture conformément à la Charte et à d’autres instruments

internationaux. L’Article 60 de la Charte, s’inspire de l’interprétation plus large du droit

international pour traiter de questions spécifiques. La jurisprudence et la pratique

internationales ont évolué, ces dernières années, concernant la nature de l’interdiction

de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants et l’obligation des

Etats de prendre des mesures de protection contre de tels traitements.

162. La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants a défini la torture comme étant :

« tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont

intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une

tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce

personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur

elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé

sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles

souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne

agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite ».85

163. La Commission africaine va maintenant examiner chaque point énoncé dans les

observations des Plaignants, à savoir :

(a) la République arabe d’Egypte, à travers ses forces de la State Security Intelligence, a

torturé et/ou maltraité les Victimes ;

(b) l’Etat, à travers ces mêmes services de renseignements, le Bureau du Procureur et la

Cour de sécurité, a dénié aux victimes les garanties essentielles contre la torture et les mauvais

84

Cf. Articles 126 et 127 du Code pénal. 85

Art. 1 CAT.

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traitements, un accès rapide à une défense, au personnel judiciaire et médical et a autorisé la

recevabilité « d’aveux » obtenus sous la torture ;

(c) l’Etat n’a pas mené d'investigations efficaces sur ces allégations de torture et de

mauvais traitements et n’a pas tenté d'identifier les auteurs de ces actes.

164. Les faits liés à la torture, tels que présentés dans la Plainte, sont que les agents

de la SSI ont soumis les victimes, à maintes reprises, à des décharges électriques,

qu’elles ont été battues, suspendues au plafond, attachées et les yeux bandés afin de

les désorienter totalement.

165. L’Etat défendeur, en revanche, soutient que les investigations menées par le

Ministère public ont établi que l’on avait procédé à des vérifications extérieures sur les

accusés et il a été confirmé qu’ils ne portaient aucune blessure extérieure. La question

que l’on se pose donc est de savoir qui a infligé les blessures trouvées sur les victimes ?

166. L’allégation des victimes correspond aux rapports médico-légaux qui ont été

finalement publiés pour chacune d’elles. Le rapport de l’Autorité médico-légale (FMA),

établi suite à l’examen de la Première Victime, le 5 juillet 2005, soit près de neuf mois

après les blessures, fait état de « cicatrisations » et de « tâches sombres » sur ses

avant-bras droit et gauche, sur son coude droit, sa cuisse gauche, le haut de sa jambe

gauche et sa hanche gauche. Le deuxième rapport d’expertise médico-légale du 27 mai

2006 établi à la suite de l’examen des deuxième et troisième victimes, également près

de neuf mois après leur torture, indique que la deuxième victime présentait de

« multiples tâches intersectées » sur tout son dos et une fracture non réduite d’un

orteil gauche et que la troisième victime présentait des décolorations sombres sur la

poitrine, l’abdomen et le haut des bras.86 Les Plaignants concèdent toutefois que, dans

les deux cas, les examinateurs du gouvernement ont confirmé que « le temps écoulé

86

Cf. ci-dessus, n. Error! Bookmark not defined. et texte accompagnant.

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entre leur examen et les blessures faisait qu’il était impossible de déterminer avec

certitude la raison, la manière et la période de ces blessures ».87

167. La question est donc de savoir qui, alors, est responsable des tâches sombres

observées sur le corps des Victimes ? Les Victimes ne peuvent certainement se les être

infligées elles-mêmes, d’autant plus qu’il a été établi que, pendant toute cette période,

elles étaient maintenues en détention préventive par les agents de l’Etat défendeur.

168. C’est un principe bien établi du droit international en matière de droits de la

personne selon lequel, quand une personne est blessée en détention ou lorsqu’elle se

trouve sous le contrôle de forces de sécurité, il existe une forte présomption que cette

personne ait été soumise à la torture ou à de mauvais traitements. Comme l’a fait

récemment observer la Cour européenne des droits de l’homme :

Quand une personne est blessée alors qu’elle se trouve en détention ou autrement sous le

contrôle de la police, cette blessure permet une forte présomption que la personne a été

soumise à de mauvais traitements *…+. Il incombe à l’Etat de donner une explication plausible

sur la manière dont les blessures ont été causées, sous faute de soulever un problème relevant

clairement de l’Article 3 de la Convention *…+.88

169. La Commission africaine voudrait déclarer que, dans de telles circonstances, la

charge incombe maintenant à l’Etat défendeur de la convaincre que les allégations de

torture faites par les Plaignants ne sont pas fondées. Les circonstances de la détention

au secret et des interrogatoires des Victimes sont telles que les preuves sont

nécessairement limitées. En revanche, les allégations de torture et de mauvais

traitements sont soutenues par des témoignages indépendants de victimes ayant subi

des mauvais traitements similaires. Leurs allégations correspondent aussi au fait

qu’elles ont été détenues au secret, isolées du monde extérieur pendant les 6 à 9 mois

87

Ibid. 88

Colibaba c./ Moldova (Appl. no. 29089/06), ECtHR, Jugement du 23 octobre 2007, para. 43.

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de détention préventive et que l’accès à des médecins leur avait été continuellement

refusé jusqu’au procès lui-même.

170. Dans le cas d’espèce, l’Etat défendeur n’a ni tenté de donner une explication

satisfaisante sur la cause des blessures, ni de prendre des mesures pour enquêter et

identifier les circonstances dans lesquelles elles avaient été causées. Le tribunal n’a rien

fait pour avoir des éclaircissements sur les questions soulevées dans les rapports

d’expertise médico-légale ou les témoignages des victimes.

171. La Commission africaine, à la lumière de ce qui précède, conclut que les marques

observées sur les victimes prouvent que la torture n’a pu être infligée aux victimes que

par l’Etat défendeur.

172. Concernant le droit à des services médicaux durant la période de détention, la

Commission africaine et d’autres organismes internationaux ont reconnu et insisté sur

le fait que ces droits devaient être accordés « rapidement ». Le Comité des droits de

l’homme, dans son Observation générale n° 20, a observé que la protection des

détenus contre la torture et les mauvais traitements requiert « un accès rapide et

régulier » à des médecins.89 L’Assemblée Générale a souligné à maintes reprises

l’importance du droit à un examen médical rapide après la mise en détention afin de

prévenir tout abus sur les détenus.

173. En présence d’allégations et d’indications éventuelles d’abus, l’importance d’un

accès rapide à un personnel médical devient d’autant plus cruciale. Le Protocole

d’Istanbul, ensemble de directives pour enquêter efficacement sur la torture et autres

peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, rédigés par un groupe

indépendant d’experts en 1999, rappelle que « l’enquêteur doit pouvoir faire procéder

à un examen médical de la victime alléguée ». Un tel examen médical, au moment

opportun, est particulièrement important. Il doit être procédé à un examen médical,

quel que soit le délai écoulé depuis la torture, mais si cette torture est alléguée

89 Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 20 sur l’Article 7 (1992), UN doc. HRI/GEN/1/Rev. 6 (1994), p. 151,

para. 11 (extrait en Annexe).

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remonter à plus de six semaines, l'examen devrait être fait en urgence avant la

disparition des signes de torture. »90

174. La Section 20 des Lignes directrices de Robben Island exhorte les Etats parties à

s’assurer que “la privation de liberté de toute personne par une autorité publique

devrait être soumise à une réglementation conforme au droit. Celle-ci devrait fournir

un certain nombre de garanties fondamentales qui seront appliquées dès l'instant où

intervient la privation de liberté. Ces garanties comprennent :

a) Le droit à ce qu'un membre de la famille ou toute autre personne appropriée soit

informée de la détention ;

b) Le droit à un examen par un médecin indépendant ;

c) Le droit d'accès à un avocat ;

d) Le droit de la personne privée de liberté d'être informée des droits ci-dessus dans

une langue qu'elle comprend.

175. Dans le cas présent, les victimes n’ont été examinées par des médecins à aucun

moment pendant leur détention préventive. Même lorsqu’elles ont fait état de torture

et de mauvais traitements, l’accès à un personnel médical leur était toujours refusé par

les autorités.

176. Ce n’est que lorsque des allégations de torture ont été formulées pour la

deuxième fois au cours du procès-même que le Juge a ordonné l’examen des Victimes

par la FMA. L’examen médico-légal mené par les autorités n’a à l’évidence pas satisfait

aux obligations susmentionnées puisqu'il a été pratiqué plus de six mois après que les

victimes aient été soumises à des actes de torture et à des mauvais traitements et il ne

90 Protocole d’Istanbul – Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou

dégradants, 9 août 1999 (reproduit pour la formation professionnelle de l’OHCHR, Série n° 8/Rev. 1, UN Doc.

HR/P/PT/8/Rev.1, accessible sur http://www.irct.org/Default.aspx?ID=2701), para. 104. Voir aussi Principe n° 2 des Principes

pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (annexés au Protocole

d’Istanbul). (Ensemble de Principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou

d'emprisonnement90 et GA Res. 61/153, 14 février 2007).

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pouvait aucunement être considéré comme une méthode de prévention ou

d’investigation.

177. La Commission africaine considère donc que le fait que l’Etat défendeur n’ait pas

fourni des services médicaux aux victimes pendant leur détention constitue une

violation du droit des victimes à des services médicaux rapides pendant leur détention.

178. La Commission africaine prend également note que les Victimes se sont vues

dénier les services d’un avocat pendant leur détention, notamment au cours des

interrogatoires. Dans le Cas jamaïcain Osbourne Wright et Eric Harvey c./ Jamaïque,

adopté le 27 octobre 1995, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a estimé

que l’exigence d’une assistance judiciaire à une personne accusée de crime capital

s’applique non seulement aux poursuites et aux appels pertinents, mais aussi à toute

audition préliminaire relative au cas.

179. La Commission africaine prend donc note qu’il n’est pas contesté que les

victimes n’étaient pas représentées au stade préliminaire des investigations et,

nonobstant l’affirmation de l’Etat défendeur selon laquelle les autorités de l’Etat ne

doivent pas prendre en charge une telle assistance judiciaire, il est évident pour la

Commission que l’assistance judiciaire doit être disponible dans les procès capitaux à

tous les stades de la procédure, surtout lorsque des avocats défenseurs des droits de

l’homme demandent à représenter les victimes. L’Etat défendeur devrait comprendre

qu’il est tenu d’assurer une assistance juridictionnelle indépendante en vertu de la

Charte et inhérente à l’interdiction internationale de la torture et des mauvais

traitements. La Commission africaine a reconnu le droit d’avoir accès à un avocat

comme étant l’une des « garanties procédurales fondamentales pour les personnes

privées de liberté »91 et l’une des garanties nécessaires contre tout abus pendant la

période avant le procès.92

91 Cf. Lignes directrices de Robben Island (ci-dessus, n. para. 20. 92 Ibid., para. 27.

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180. Le lien entre la prévention de la torture et le droit à un accès rapide à un avocat

a également mise en exergue par les organes internationaux de défense des droits de

l’homme. Dans sa Résolution 61/153 de 2007, réaffirmant l’Ensemble de principes pour

la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou

d'emprisonnement des NU, l’Assemblée Générale a insisté sur le fait que la possibilité

d’un accès rapide et régulier à un avocat constitue une « mesure efficace » *…+ de

prévention de la torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou

dégradants ».93 De même, le Comité des droits de l’homme a déclaré que la protection

des détenus contre la torture et les mauvais traitements « requiert un accès rapide et

régulier à *…+ des avocats »94 et que la détention prolongée sans accès à un avocat

viole un certain nombre de dispositions du Pacte, notamment son Article 7.95

181. Les organismes de défense des droits de l’homme ont donc reconnu que, pour

que l’accès à un avocat constitue une protection efficace contre la torture et les

mauvais traitements, cet accès doit être « rapide » et régulier.96 A titre d’exemple, le

Comité des droits de l’homme a recommandé que « personne ne soit détenu plus de

48 heures sans avoir accès à un avocat »,97 et le Rapporteur spécial des Nations Unies

sur la Torture a précisé que « les dispositions légales garantissant qu’une personne ait

accès à un avocat dans les 24 qui suivent son arrestation constitue d’ordinaire un

recours efficace contre la torture, sous réserve que ces dispositions soient strictement

respectées. »98

93 GA Res. 61/153, 14 février 2007, para. 11 94 Comité des Droits de l’Homme, Observation générale No. 20 (ci-dessus, n. 89), para. 11. 95 Observations finales du Comité des Droits de l’Homme : Israel, 21 août 2003, UN doc. CCPR/CO/78/ISR, para. 13. 96 Voir, par exemple, le Principe 17 de l’Ensemble des principes des Nations Unies : « Une personne détenue doit être autorisée à

être assistée d’un défenseur. Elle doit être informée de ses droits par l’autorité compétente rapidement après son arrestation et

doit disposer de structures raisonnables pour l’exercer ». Voir aussi Principe 15 (extrait en Annexe). 97 Observations finales du Comité des Droits de l’Homme : Israel (ci-dessus, n. 94), para. 13. 98 « Question des droits humains de toutes les personnes soumises à toute forme de détention et d’emprisonnement, en particulier:

la Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Rapport du Rapporteur spécial, M. P. Kooijmans,

conformément à la résolution 1988/32 de la Commission des Droits de l’Homme », UN doc. E/CN.4/1989/15, p. 50, para. 241.

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51

182. Par ailleurs, le droit d’avoir accès à un avocat de son choix, tel que reconnu par

exemple dans les Principes de base des Nations Unies relatifs au rôle du barreau.99

Pour que le droit à un avocat soit significatif, il doit comprendre le droit de

communiquer à temps, avec efficacité et en toute confidentialité avec son avocat.

183. Dans le cas d’espèce, l’obligation de permettre l’accès à un défenseur ou à un

système juridique indépendant n’a pas été respectée, comme nous l’avons vu ci-

dessus. La Commission africaine est convaincue qu’aucun accès n’a été autorisé aux

Victimes au premier stade crucial de la détention, y compris lors des interrogatoires qui

comportent le plus grand risque d’exposition à la torture et à des mauvais traitements.

La Commission africaine est d’avis que le droit des détenus d’avoir rapidement recours

à une juridiction est garanti dans le droit international. Il s’agit d’un aspect vital de la

prévention et de la dissuasion de la torture et d’autres mauvais traitements.

184. A cet égard, il mérite d’être mentionné que, dans les Lignes directrices de

Robben Island, la Commission africaine a reconnu que le droit à comparaître

rapidement devant une autorité judiciaire constitue une garantie essentielle contre la

torture et les mauvais traitements.100 Dans son Observation générale n° 2, le Comité

contre la torture a exprimé son avis que l’obligation de prendre des mesures pour

assurer une prévention efficace contre la torture implique une condition selon laquelle

les Etats doivent garantir :

« la disponibilité, pour les détenus et les personnes exposées à la torture et aux mauvais

traitements, de recours judiciaires et autres qui leur permettent d’avoir leur plainte examinée

rapidement et impartialement, de défendre leurs droits et de contester la légalité de leur

détention ou de leur traitement. » 101

99 Principe 1, Principes de base sur le rôle du Barreau, adoptés par le Huitième Congrès des Nations Unies sur la prévention du

crime et le traitement des délinquants, La Havane, 27 août - 7 septembre 1990, UN doc. A/CONF.144/28/Rev.1 (1990), p. 118 100 Lignes directrices de Robben Island (ci-dessus para. 27 (concernant « les garanties pendant la procédure préalable au procès »)

et voir en général, ibid., para. 20. 101 Comité contre la Torture, Observation générale No. 2 (ci-dessus, n. 24), para. 13.

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185. Cette approche a été à maintes reprises adoptée par l’Assemblée Générale,102 et

est également appuyée par la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de

l’homme.103

186. L’un des aspects inhérents à la protection des détenus contre la torture et les

mauvais traitements est la surveillance judiciaire de la détention à tout moment, y

compris en période d'urgence nationale, comme noté par la Cour interaméricaine :

« *…+ même en situations d’urgence, le bref d’habeas corpus ne peut pas être suspendu ou sans

effet. *…+ L’objectif immédiat de ce recours est de faire comparaître le détenu devant un juge,

pour permettre à ce dernier de vérifier si le détenu est toujours en vie et s’il a été ou non

soumis à la torture ou à des abus physiques ou psychologiques. L’importance de ce recours ne

peut pas être exagérée, compte tenu du fait que le droit à un traitement humain reconnu à

l’Article 5 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme est l’un des droits qui ne

peut être suspendu, quelles que soient les circonstances ».104

187. Dans le cas d’espèce, l’obligation de l’Etat défendeur de faire rapidement

comparaître les victimes devant une instance juridictionnelle n’a pas été respectée.

Elles ont comparu devant un procureur mais le droit juridiquement garanti est de les

faire comparaître devant une autorité judiciaire indépendante des autorités chargées

de la détention, des interrogatoires et finalement de leur poursuite. Elles n’ont pas

non plus eu la possibilité de contester le caractère licite de leur détention en raison du

manque d’accès à un tribunal ou à des avocats. L’Article 3 de la Emergency Law

50/1982, tel qu’amendé, stipule que les détenus ou leurs représentants peuvent faire

appel des décisions de leur arrestation ou détention dans les 30 jours qui suivent les

décisions. Toutefois, dans la pratique, les détenus ont souvent un accès limité à l’appel

prévu dans la loi. Les victimes n’avaient pas accès aux avocats et n’étaient pas traduites

102 Cf. par exemple, Principes 9 et 11 (1) de l’ensemble des Principes des NU et GA Res. 61/153, 14 février 2007, para. 11 103 Cf, par exemple, Habeas Corpus in Emergency Situations (Arts 27(2) and 7(6) of the American Convention on Human

Rights), Advisory Opinion OC-8/87, Cour interaméricaine des droits de l’homme, Series A, No. 8 (1987). 104 Ibid., para. 12. Voir également, ibid., para. 35.

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devant un tribunal compétent (pendant leur interrogatoire) pour être correctement

placées en détention préventive.

188. L’Etat défendeur, en soutenant qu’il était autorisé aux victimes d’avoir accès à

leurs familles, n’a pas contesté en des termes spécifiques les allégations selon

lesquelles il était dénié aux victimes l’accès à des soins médicaux. Les allégations de

torture, et plus particulièrement, la nature des blessures subies par les victimes, tel que

contenu dans les rapports médicaux, n’ont jamais été contestées par l’Etat défendeur.

189. L’Etat défendeur n’a pas réfuté les allégations de torture ou de traitements

pénibles auxquels les victimes ont été soumises. La Commission africaine a, dans bon

nombre de ses décisions, considéré que les faits non contestés par l’Etat défendeur

doivent être considérés établis.105 Le fait que les victimes aient reçu à maintes reprises

des décharges électriques, qu'elles aient été battues, longtemps suspendues, qu'elles

aient eu les yeux bandés et qu'il leur ait été dénié l’accès à des soins médicaux

constitue une violation de leur intégrité physique et psychologique. Il n’y a pas eu de

preuve selon laquelle les victimes se seraient fait violence à elles-mêmes, ni de

rapports de tentative des victimes d’échapper à un traitement aussi dégradant et

inhumain.

190. L’Article 5 n’interdit pas seulement la torture mais aussi les traitements cruels,

inhumains ou dégradants. Il ne s’agit donc pas seulement d’actes causant de graves

souffrances physiques ou psychologiques mais aussi d’actes qui humilient la personne

ou qui la contraignent contre sa volonté ou sa conscience. La Commission estime donc

que les agissements de l’Etat défendeur constituent plusieurs violations de l’Article 5

de la Charte africaine.

Violation alléguée des Articles 7 et 26

191. Les Plaignants allèguent que le droit à un procès équitable des victimes a été

violé en ce sens que :

105

Comm. 25/89, 47/90, 56/91, 100/93 - Free Legal Assistance Group et Autres c/ Zaïre

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elles ont été jugées par un tribunal qui n’était pas

indépendant et impartial et dont les décisions ne peuvent pas

être frappées d’appel ;

leur droit à un avocat n’a pas été pleinement respecté ;

le tribunal a utilisé des aveux arrachés sous la torture et des

mauvais traitements ; et

le droit d’interjeter appel leur a été dénié.

192. La question essentielle à poser est celle savoir si le procès des victimes a satisfait

aux dispositions des Articles 7(1) et 26 de la Charte africaine.

193. L’Article 7 de la Charte Africaine dispose que : « Toute personne a droit à ce que

sa cause soit entendue. » Ce droit comprend :

a) Le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits

fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et

coutumes en vigueur ;

b) Le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une

juridiction compétente ;

c) Le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix ;

d) Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale.

194. L’Article 26, pour sa part, dispose que : « Les Etats parties à la présente Charte

ont le devoir de garantir l’indépendance des Tribunaux et de permettre l’établissement

et le perfectionnement d’institutions nationales appropriées chargées de la promotion

et de la protection des droits et libertés garantis par la présente Charte ».

195. Une lecture combinée des Articles 7 et 26 fait apparaître deux questions

essentielles – celle d’avoir accès à une juridiction compétente et celle relative à

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l’indépendance du système judiciaire. Ces deux questions constituent le soubassement

d’un système judiciaire solide. La Commission africaine estime que le droit à un procès

équitable correspond au concept de l’accès à une juridiction compétente et requiert

que la cause soit entendue par une juridiction compétente et impartiale106.

196. L’Article 7(1) (d) de la Charte africaine garantit « le droit d’être jugé dans un délai

raisonnable par une juridiction impartiale ». L’exigence d’impartialité énoncée à

l’Article 7 de la Charte est complétée par l’Article 26 de la Charte qui impose aux Etats

parties « le devoir de garantir l’indépendance des tribunaux » sur leurs territoires

respectifs.

197. Ces obligations sont inscrites dans les Directives et principes sur le droit à un

procès équitable de la Commission où elle a défini les critères requis pour qu’une

instance judiciaire soit indépendante et impartiale. Entre autres critères, les Directives

et principes sur le droit à un procès équitable énoncent que :

- l’instance juridictionnelle doit être créée par la loi pour rendre des décisions au

sujet de questions qui relèvent de sa compétence sur la base du droit et

conformément aux procédures prescrites ; 107

- la justice s’exerce à l’abri de toute intervention injustifiée ou ingérence et les

décisions des tribunaux ne sont pas sujettes à révision sauf sous contrôle

judiciaire ;108

- les instances juridictionnelles sont indépendantes du pouvoir exécutif109 et leur

indépendance est respectée par le gouvernement ;110

- la procédure de nomination dans les instances juridictionnelles doit être

transparente ;111

106Communication 281/2003 - Marcel Wetsh’okonda Koso et autres c./République Démocratique du Congo. Voir également

Communication 151/96 - Civil Liberties Organisation c./Nigeria, 107 Directives et Principes sur un Procès équitable (ci-dessus n. Section A(4)(b). 108 Ibid., Section A(4)(f). 109 Ibid., Section A(4)(g). 110 Ibid., Section A(4)(a).

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- Les magistrats règlent les affaires dont ils sont saisis sans restriction et sans être

l’objet d’influences, incitations, pressions, menaces ou interventions indues,

directes ou indirectes, de la part de qui que ce soit ou pour quelque raison que

ce soit. 112

198. Appliquant ces principes relatifs aux procès équitables aux tribunaux spéciaux, la

Commission africaine a considéré que « ils violent l’Article 7(1) (d) de la Charte africaine

car leur composition est laissée à la discrétion du pouvoir exécutif »

199. Les victimes ont été jugées par la Supreme State Security Emergency Court dont

la compétence et les procédures sont bien loin ces normes énoncées ci-dessus. La

Supreme State Security Emergency Court est un tribunal d’exception. La Supreme State

Security Emergency Court a été créée en vertu de la Emergency Law (loi d’exception)

pour être une juridiction provisoire,113 bien que, comme la Emergency Law elle-même,

cette juridiction soit en vigueur depuis 1981. La Emergency Law accorde à la Cour une

compétence à juger des crimes commis en violation des décrets publiés par le

Président de la République en application de la Emergency Law,114 mais le Président de

la République peut aussi, à sa discrétion, renvoyer un crime ordinaire à la Supreme

State Security Emergency Court.115 Selon le Décret présidentiel n°1/1981 concernant le

renvoi de certains crimes à l’Emergency State Security Court, tous les crimes et délits

portant atteinte à la sécurité du gouvernement ou liés à des explosifs doivent être

référés à la Security Emergency Court, créée en vertu de la Emergency Law.

200. Au vu de ce qui précède, la Commission africaine est d’avis que le degré de

contrôle exercé par le Président de la République dans la composition, la conduite et le

résultat des procédures de la State Security Court va à l’encontre de la notion de

processus judiciaire indépendant et impartial. La législation elle-même dispose, par

exemple, que le Président exerce les pouvoirs suivants :

111 Ibid., Section A(4)(h) 112 Ibid., Sections (A)(4)(e) and (g) and (A)(5)(a). 113 Cf. Art. 3b, Emergency Law (Ci-dessus, n. 114

Cf. ibid., Art. 7 115 Cf. ibid., Art. 9.

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Le Président peut suspendre un cas avant son introduction auprès de la Supreme

State Security Emergency Court ou ordonner la libération provisoire de l’accusé

avant l’envoi de son cas à la Supreme State Security Emergency Court ;116

Les décisions de la Supreme State Security Emergency Court ne sont finales que

quand elles sont approuvées par le Président de la République et elles ne peuvent

être ultérieurement contestées par aucune juridiction en Egypte ;117

le Président de la République peut commuer, modifier, suspendre ou annuler de

telles décisions ; Il peut aussi ordonner de faire libérer les défendeurs118 ou

ordonner qu’un cas soit jugé à nouveau par une autre instance juridictionnelle.119

201. Il est à souligner que la Supreme State Security Emergence Court ne fait pas

partie de la structure judiciaire pénale régulière en Egypte. Les sentences rendues par

cette Cour ne peuvent être réexaminées que par le Bureau chargé de la ratification de

ses jugements, au Cabinet du Président de la République qui est l’autorité habilitée à le

faire. L’autorité chargée de ratifier les jugements qui n’est pas une juridiction de droit

peut atténuer la peine ou l’annuler et, quand les peines sont retenues, les condamnés

peuvent solliciter la grâce ou l’atténuation de leur peine par le Président de la

République, conformément aux dispositions de l’Article 149 de la Constitution.

202. L’Etat défendeur a néanmoins soutenu que la State of Emergency Security Court

qui a jugé les accusés est une instance habilitée à diligenter des poursuites et dotée de

fonctions limitées, conformément à la loi et aux critères objectifs. Il a également

affirmé que cette Cour est composée de trois experts (des juges qui sont aussi

membres de la magistrature). Il déclare aussi que toutes les étapes et tous les stades

des procès et des procédures se sont déroulés en public, conformément à la loi. Il

soutient en outre que les critères relatifs à un procès équitable, adoptés par les accords

internationaux en matière des droits de l'homme, ont été respectés et que, donc, il est

116 See ibid., Art. 13. 117 See ibid., Art. 12. 118 See ibid., Art. 14. 119 See ibid., Art. 15.

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58

évident de ce qui précède et des dossiers de la procédure de la cour que deux avocats

étaient présents à toutes les audiences auprès des premier et deuxième accusés et que

quatre autres avocats représentaient le troisième requérant.

203. D’après les observations de l’Etat défendeur, la Commission africaine est d’avis

que l’Etat défendeur n’a pas apprécié l’importance d’une juridiction indépendante, en

particulier d’une juridiction qui a la responsabilité de juger des victimes accusées d’un

crime capital. La Commission africaine souhaite rappeler que l’essence d’une instance

supérieure est qu’elle permet à l'accusé de faire réviser son cas en termes de droit et

de fait par un organe juridictionnel. Ainsi, la décision de la cour ci-dessous peut être

examinée. L’omission de l’opportunité d’un tel appel prive sérieusement les victimes

d’une procédure équitable.

204. A cet égard, la Commission africaine souhaite faire référence aux Principes de

base des Nations Unies sur l’indépendance du judiciaire. Ces principes prévoient que

toute personne ait le droit d’être jugée par une juridiction ordinaire appliquant des

procédures établies. Les juridictions qui n'appliquent pas les procédures dûment

établies par voies légales ne doivent pas être créées pour déplacer la compétence des

tribunaux de droit commun ou des cours de justice. La Commission africaine est donc

d’avis qu’une instance juridictionnelle ne peut pas être indépendante quand la mise en

œuvre de ses décisions repose ouvertement sur la branche exécutive du

gouvernement, dans ce cas précis, le Chef de l’Etat. Cette situation va à l’encontre des

critères prévus dans un Etat démocratique.

205. Dans Civil Liberties Organisation et Autres c/ Nigeria120, la Commission africaine

a considéré que « la forclusion de toute possibilité d’appel auprès d’organes nationaux

compétents dans une affaire criminelle entrainant une peine aussi sévère que la peine

de mort est une violation de l’Article 7(1) (a). » La Commission africaine convient avec

les Plaignants que le fait que les décisions de la Supreme State Security Emergency

120 Communication 218/98 - Civil Liberties Organisation et autres c./ Nigeria, para 33

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Court ne puissent pas être frappées d’appel constitue une irrégularité de procédure de

jure et une violation manifeste de l’Article 7(1) (a) de la Charte africaine.

206. La Commission africaine prend donc note que, dans tous les cas, l’indépendance

d’une instance juridictionnelle doit être jugée en fonction du degré d’indépendance du

judiciaire vis-à-vis de l’exécutif. Cela signifie la prise en compte du mode de nomination

de ses membres, de la durée de leur mandat, de l'existence d'une protection contre les

pressions extérieures et la question de l'indépendance réelle par rapport à

l'indépendance perçue : Selon l’adage, « la justice ne doit pas seulement être rendue :

il faut faire en sorte qu’elle puisse être rendue. »

207. La Commission africaine est d’avis que le degré de contrôle exercé par le

Président de la République sur la composition, la conduite et le résultat des procédures

de la State Security Court ne garantit pas un processus judiciaire indépendant et

impartial. Pour la Commission, le degré d’ingérence de l’exécutif dans le processus

judiciaire va à l’encontre de l’intention et de la teneur de l’Article 7(1) (d). La

Commission africaine est donc d’avis que le verdict de la Supreme State Security

Emergency Court n’offrait pas de garanties d’indépendance, d’impartialité et d’équité

et qu’il constitue donc une violation de l’Article 7 de Charte africaine.121

208. Dans tous les cas, l’Etat défendeur avait la responsabilité de fournir des preuves

suffisantes pour réfuter les arguments selon lesquels la Cour n’était pas indépendante

de par sa composition et qu’elle ne pouvait pas rendre de décision impartiale, ce qu’il

n’a pas fait pour convaincre la Commission africaine. En l’absence d’une réfutation des

faits qui aurait pu convaincre la Commission du contraire, celle-ci ne peut pas invalider

les observations des Plaignants concernant l’inexistence d’un système judiciaire

équitable.

209. La Commission africaine examinera la question relative au droit de se faire

assister par un défenseur de son choix. Ce droit garanti par l’Article 7(1) (c) de la Charte

121 Résolution No ACHPR/Res. 41(XXVI) 99 sur le Droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique.

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africaine,122 est un droit important qui sous-tend plusieurs autres droits tels que la non-

exposition à de mauvais traitement et le droit de préparer sa défense.123 Dans les

Directives et principes sur le droit à un procès équitable, la Commission africaine a

estimé que, dans les procédures pénales, la représentation juridique est « le meilleur

moyen de se défendre contre la violation de ses droits humains et libertés

fondamentales. »124 Ce droit à un défenseur s’applique à tous les stades d’une

procédure pénale, « y compris lors de l’enquête préliminaire à la recherche de preuves,

les périodes de détention administrative, du procès et des procédures d’appel. L’Article

7 dispose explicitement du droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un

défenseur de son choix. Il comprend le droit à des consultations confidentielles et en

temps opportun avec ce défenseur.125 Quand l’accusé n’a pas eu accès ou a eu un accès

limité ou tardif à des avocats, la Commission africaine a trouvé qu’il s’agissait d’une

violation de l’Article 7.1(c) 126

210. Dans le cas d’espèce, aucune des victimes n’avait un avocat présent au stade

initial crucial des interrogatoires. Il est affirmé par les Plaignants, et non réfuté par

l’Etat défendeur que, le 23 novembre 2004, un groupe d’avocats défenseurs des droits

de l’homme a introduit une demande spécifique auprès du Bureau du Procureur

(enregistrée sous le numéro 16332) pour représenter légalement un certain nombre

d’individus, notamment la Première Victime, dont les noms avaient été publiés dans la

presse locale comme principaux suspects de l’enquête sur les attentats à la bombe de

Taba. Les avocats n’ont reçu aucune réponse. La Première Victime s’est vue refuser

toute représentation aux interrogatoires pendant une période de 5 mois, jusqu’au 24

122 Art. 7(1) de la Charte garantit « le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix » 123 Amnesty International et autres c./ Soudan (above, n. 27), para. 64. 124 See Principles and Guidelines on Fair Trial (above n. Section N(2)(a). 125 Comme indiqué par le Comité des droits de l’homme sur le droit à un avocat en vertu du PIRDCP « le défenseur devrait

pouvoir rencontrer les clients en privé et s’entretenir avec les accusés dans des conditions qui respectent pleinement la

confidentialité. En outre, les avocats devraient pouvoir conseiller et représenter les personnes accusées de délits criminels

conformément à l’éthique généralement reconnue sans restrictions, influence, pression ou ingérence de quiconque » (Comité des

droits de l’homme, Observation générale n° 32 (ci-dessus, n60), para. 34. 126 Voir Malawi African Association et autres c./ Mauritanie).

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mars 2005, et les deuxième et troisième victimes n’ont pas eu accès à un avocat avant

le 26 mars 2006, lors de leur première comparution devant le tribunal.

211. Même au début du procès, les trois victimes n’ont pas eu la possibilité de

consulter un avocat en privé pour préparer leur défense. Ils soutiennent aussi que la

communication avocat-client s’est déroulée derrière les barreaux de la salle

d’audience, en présence et à portée de voix des responsables de la sécurité ; ce que

l’Etat Défendeur n’a pas contesté. La Commission africaine trouve donc que le refus

total d’accès à un avocat avant leur comparution au tribunal et l’accès limité par la

suite constituent une violation du droit à se faire représenter par un avocat et du droit

à la défense (voir ci-après) prévus à l’Article 7(1) (c).127

212. En outre, dans son interprétation de l’Article 7 de la Charte africaine, la

Commission africaine a déclaré que « un aveu ou une autre preuve obtenu par une

forme quelconque de coercition ou de contrainte peut ne pas être admis comme

preuve ou considéré comme un fait probatoire pour le procès ou lors du prononcé de

la peine. »128 Dans Malawi African Association c./ Mauritanie, la Commission a

considéré que « un aveu ou une admission obtenu pendant une détention au secret

doit être considéré avoir été obtenu par la coercition. »129

213. Ces principes correspondent à d’autres normes du droit international en matière

des droits de la personne, relatives à la torture et aux mauvais traitements en vertu

desquelles les preuves et les aveux obtenus sous la torture ou des peines ou

traitements cruels, inhumains et dégradants ne peuvent être invoqués dans les

procédures judiciaires si ce n’est pour poursuivre l’acte de torture ou le mauvais

traitement lui-même.130

127 Voir Malawi African Association c./ Mauritanie (ci-dessus, n. 39), para. 96.

128 Directives et Principes sur un Procès équitable (ci-dessus, n. Section N(6)(d)(1).

129 Ibid., Section N(6)(d)(1).

130 Cf. Ci-dessus, note et texte accompagnant et, en général, Section III.A.2 (b)(iv).

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214. La Commission africaine se réfère à l’Article 15 de la Convention contre la torture

(CAT). Elle note également que cela a été accepté comme inhérent aux dispositions

internationales relatives à un procès équitable, comparables à l’Article 7 de la Charte

africaine. La Cour européenne des droits de l’homme, par exemple, a considéré que

« le recours à des preuves obtenues en violation de l’Article 3 *interdiction de la torture

ou des mauvais traitements] dans les procédures criminelle soulève de graves

questions quant à l’impartialité de cette procédure. Tout élément de preuve à charge –

sous forme d’aveu ou de preuve matérielle – obtenu par suite d’actes de violence, de

brutalité ou d’autres formes de traitement pouvant être caractérisés comme des actes

de torture ne devrait jamais être considéré comme une preuve de la culpabilité de la

victime, indépendamment de sa valeur probante. »131

215. Elle note que ce principe se retrouve aussi dans la Constitution égyptienne de

1971 qui stipule que « s’il s’avère qu’un aveu a été obtenu d’une personne, sous forme

de contrainte ou de coercition, il doit être considéré invalide et sans valeur. »132

216. Donc, quand un individu allègue qu’un aveu a été obtenu sous la torture ou de

mauvais traitements, la charge de la preuve, dans ce cas, incombe à l’Etat qui doit

démontrer que l’aveu en question a été fait librement. Bien que le Comité contre la

torture ait affirmé dans un certain nombre de cas que « il revient à l’auteur de

démontrer que ses allégations sont bien fondées »,133 il a néanmoins souligné dans P.

E. c/ France que :

« A la lumière des allégations selon lesquelles les déclarations en question qui ont constitué

totalement ou partiellement la base de la demande d’extradition additionnelle, ont été

131 ECtHR, Harutyunyan c./ Arménie at para. 63. 132 Voir Article 42 . 133 P.E. c./ France para. 6.3; voir également G. K. c./ Suisse (Comm. 219/2002), Comité contre la Torture, décision du 7 mai

2003, UN doc. CAT/C/30/D/219/2002, para. 6.11.

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obtenues sous la torture, l’Etat partie avait l’obligation de vérifier la véracité de ces

allégations. »134

217. Dans la même veine, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou

traitements cruels, inhumains ou dégradants, lors de la revue de deux décisions

nationales ayant adopté une approche quelque peu différente de la norme relative à la

preuve,,135 a fait observer que :

« *…+ la seule chose que le requérant doit prouver est que ses allégations de torture sont bien

fondées. Cela signifie que la charge de la preuve devant établir si, oui ou non, les déclarations

invoquées comme preuve dans une procédure, y compris les procédures d’extradition, ont été

obtenue par la torture, incombe à l’Etat.136

218. En conséquence, quand les victimes ont émis un doute sur le fait qu’une preuve

ait pu être obtenue par la torture ou d’autres mauvais traitements, la preuve en

question ne doit pas être recevable, à moins que l’Etat ne puisse démontrer qu’il n’y a

eu aucun risque de torture ou de mauvais traitement. En outre, quand un aveu est

obtenu en l’absence de certaines garanties de procédure contre cet abus, par exemple,

lors d’une détention au secret, il ne doit pas être admis comme preuve.

219. Les Victimes, dans le cas présent, ont toutes allégué des tortures et des mauvais

traitements. Ces allégations correspondent au moins aux circonstances entourant leur

cas, comme leur détention au secret et les rapports d’expertise médico-légale qui

indiquent pour le moins un risque de mauvais traitement. Malgré ces considérations,

les « aveux » ont été admis comme étant des preuves et semblent avoir constitué en

134 P. E. c/ France (ci-dessus, para. 6.2 ; Voir aussi la formulation légèrement différente du Comité dans G. K. c/ Suisse, para.

6.10 : « [… ] La grande portée de l’interdiction à l’Article 15, interdisant l’invocation de toute déclaration qui serait établie par

suite de torture comme preuve « dans une procédure » est fonction de la nature absolue de l’interdiction de la torture et implique,

en conséquence, une obligation pour chaque Etat de vérifier si les déclarations reçues comme preuve ont été obtenues ou non

sous la torture ». 135 Hanseatisches Oberlandesgericht (Cour d’appel de Hanseatic, Division criminelle), Hambourg ; décision du 14 juin 2005,

NJW 2005, 2326 et A et autres c./ Secretary of State for the Home Department [2005] UKHL 71 136 Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; UN doc.

A/61/259 (2006), Annexe, para. 63

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partie le fondement de leurs convictions et de l'imposition de la peine de mort. La prise

en compte de telles preuves constitue une violation de l’Article 7 de la Charte.

220. La Commission africaine va à présent étudier brièvement la question relative à

l’appel. A cet égard, la Commission africaine note que l’Article 12 de la Emergency Law

égyptienne stipule que « il n’est pas permis d’interjeter appel des décisions des State

Security Courts sous quelque forme que ce soit ». Cette loi et son application concrète

violent l’Article 7(1) (a) de la Charte qui prévoit le « droit de saisir les juridictions

nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont

reconnus et garantis par les conventions, lois, règlements et coutumes en vigueur. »

221. Selon les Directives et principes sur le droit à un procès équitable de la

Commission, le droit d’appel doit être garanti dans tous les Etats parties et devrait

permettre « une révision sincère et opportune du cas en termes de faits et de

droit. »137 La Commission a noté que les Etats parties devraient prendre des mesures

pour rendre les appels obligatoires dans les cas de peine de mort, confirmant ainsi la

plus grande importance des garanties de procès équitable quand la vie est en jeu.138

222. L’importance du droit d’appel est également reflétée dans la jurisprudence de la

Commission. Dans le cas Law Office of Ghazi Suleiman c./ Soudan, la Commission a

jugé que « le fait que les décisions du Tribunal militaire n’aient pas été frappées d’appel

constitue, en droit, une irrégularité de procédure. »139 Concernant le droit d’appel dans

les cas de peine de mort, la Commission a estimé que « la prescription de toute

possibilité d’appel des organes nationaux compétents dans une affaire criminelle

passible d’une sanction aussi sévère que la peine de mort est une violation manifeste

de l’Article 7(1)(a) de la Charte. »140

137 Voir Directives et Principes sur un Procès équitable, Section N(10)(a)(1). 138 Ibid. 139 Law Office of Ghazi Suleiman c./ Soudan (Comm. nos. 222/98 and 229/99), para. 53; voir également para. 65. 140 Civil Liberties Organisation, Legal Defence Centre, Legal Defence and Assistance Project c./ Nigeria (Comm. No. 218/98),

para. 33. Voir également ibid., para. 34.

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223. En déniant aux victimes le droit d’interjeter appel de la décision de la Supreme

State Security Emergency Court, la République arabe d’Egypte a violé l’Article 7(1)(a) de

la Charte africaine. Il est à noter que l’imposition de la peine de mort n’est pas, en soi,

illégale en vertu de la Charte ou du droit international en matière des droits de la

personne plus large.

224. La Commission africaine conclut donc que les droits des victimes en vertu de

l’Article 7 (a), (b et (c) de la Charte africaine, y compris leur droit de faire appel, ont été

violés.

225. La Commission africaine va maintenant analyser les observations des parties sur

l’Article 4 de la Charte.

226. Les Plaignants affirment que l’imposition de la peine de mort par une juridiction

dont la composition est illégale et inconstitutionnelle, telle que la Supreme State

Security Emergency Court, viole le droit à la vie des victimes et équivaudrait donc à une

privation arbitraire de la vie.

227. L’Etat défendeur allègue que le procès et les procédures, dans le cas d’espèce,

ont satisfait à l’exigence de procès équitable, tel que garanti par les normes et critères

internationaux. Il soutient que le procès s’est déroulé en public et conformément aux

assurances prévues par la loi. Il déclare aussi que les victimes étaient représentées par

des avocats de leur choix pendant le procès.

228. L’Article 4 de la Charte Africaine dispose que : « la personne est inviolable. Tout

être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa

personne. Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit. »

229. Les victimes ont été accusées notamment en vertu de l’Article 86 b (ii) et (iii) du

Code pénal égyptien qui dispose que la sanction des crimes spécifiés dans ces

dispositions est la peine de mort quand « l’action de l’auteur du crime cause la mort

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des victimes du crime »”141 ou quand « le crime en question a été le fruit d’efforts ou

de renseignements/contacts ou d’une implication dans la perpétration. »142

230. Cette loi impose une peine sur un crime particulier dans des circonstances

spécifiques, mais elle n’a pas prévu la possibilité pour un Judiciaire compétent

d’évaluer la sanction appropriée, à la lumière de toutes les circonstances entourant le

cas. La peine est effectivement prévue par la loi pour certaines catégories de crimes et

le Président est habilité à ne pas appliquer la sentence, s’il le décide. Cet état de fait

est contraire à l’exigence du droit à la vie, tel que reflété dans la pratique

internationale du droit.

231. Dans le cas International Pen et Autres (au nom de Ken Saro-Wiwa) c./ Nigeria143

la Commission africaine a été d’avis que l’exécution et l’application de la peine de mort

à la suite d’un procès non conforme à l’Article 7 de la Charte africaine équivalait à une

privation arbitraire de la vie. Ayant considéré que le procès des requérants violait les

dispositions de l’Article 7 de la Charte africaine, il en résulte que toute exécution de

peine de mort imposée aux requérants par les Supreme State Security Emergency

Courts équivaudrait à une privation arbitraire de la vie.

232. Toutefois, après avoir examiné attentivement les Articles 7 et 26 et la

formulation de l’Article 4, la Commission africaine est d’avis que l’Article 4 a été violé.

Les victimes sont encore détenues par l’Etat défendeur à l’issue d’un procès qui ne leur

a pas garanti une procédure équitable.

233. Pour ces raisons, la Commission africaine est d’avis que :

(a) l’Etat défendeur – la République arabe d’Egypte, a violé les dispositions des

Articles 5, 7 (1) (a), (d) et 26 de la Charte africaine ;

(b) il n’y a pas eu violation de l’Article 4 de la Charte africaine.

141 Article 86 b(ii)(iii) du Code pénal complété par la Loi No. 97 de 1992 sur la lute contre le terrorisme). 142 Ibid. 143 Communication 137/94, 139/94, 154/96 et 161/97, para. 103

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La Commission africaine exhorte par conséquent l’Etat défendeur à :

I. ne pas exécuter les peines de mort ;

II. indemniser correctement les victimes conformément aux normes

internationales ;

III. réformer la composition des State Security Emergency Courts et en garantir

l’indépendance ;

IV. prendre des mesures pour veiller à ce que les organes chargés de

l’exécution de la loi, en particulier la police, respectent les droits des

suspects détenus, conformément à l’Article 5 de la Charte ;

V. appeler l’Etat défendeur à harmoniser les Lois sur la sécurité de l’Etat en

situation d’urgence, en conformité avec la Charte et les autres législations

internationales et les normes et critères ;

VI. libérer les victimes ;

VII. soumettre à la Commission africaine, dans un délai de 180 jours à compter

de la date de réception de la présente décision (conformément à l’Article

112(2) du Règlement intérieur de la Commission africaine), les mesures qui

auront été prises pour donner effet aux présentes recommandations.

Fait à Banjul, à la 9ème Session extraordinaire tenue du 23 février au 3 mars 2011.