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LA GAUCHE PLURIELLE (1995-2002) Jean-Jacques Becker in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar , Histoire des gauches en France La Découverte | Poche/Sciences humaines et sociales 2005 pages 295 à 310 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/histoire-des-gauches-en-france---page-295.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Becker Jean-Jacques, « La gauche plurielle (1995-2002) », in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar , Histoire des gauches en France La Découverte « Poche/Sciences humaines et sociales », 2005 p. 295-310. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Strasbourg - - 130.79.168.107 - 24/05/2013 10h48. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Strasbourg - - 130.79.168.107 - 24/05/2013 10h48. © La Découverte

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LA GAUCHE PLURIELLE (1995-2002) Jean-Jacques Becker

in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar , Histoire des gauches en France La Découverte | Poche/Sciences humaines et sociales 2005pages 295 à 310

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Becker Jean-Jacques, « La gauche plurielle (1995-2002) », in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar , Histoire des

gauches en France

La Découverte « Poche/Sciences humaines et sociales », 2005 p. 295-310.

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La gauche plurielle (1995-2002)

J E AN - J ACQUE S BECKER

I L ES T R A R E QU E L A G AUCH E AU POUVO I R

n’ait pas été désignée par une formule— Bloc des gauches, Cartel des gauches, Front populaire, union de la gauche,gauche plurielle —, preuves s’il en est qu’il n’a jamais existé « une » gauche,mais bien « des » gauches et que, chaque fois ou presque, qu’une gauche agouverné, elle a eu besoin d’être aidée par une autre ou des autres gauches. Lagauche plurielle ne s’est pas dénommée ainsi d’entrée. De « majorité plurielle »,c’est ensuite, dans le langage courant, qu’elle est devenue gauche plurielle, plusprécisément en 1999, d’après l’index de L’Année politique. Ce changementn’était pas sans conséquence : on passait ainsi d’une acception seulementgouvernementale à une acception politique, facilitée par le fait que les Verts sereconnaissaient maintenant de gauche.

LA CONSTITUTION DE LAMAJORITÉ PLURIELLE

À la suite de la déroute des élections de 1993 — seuls 68 députés socialistes etapparentés avaient été élus, ainsi que 24 communistes contre une majorité de485 députés de droite —, c’est véritablement la majorité de gauche de 1981 quiavait perdu le pouvoir. Le Parti socialiste n’espérait pas grand-chose des élec-tions présidentielles de 1995. Il n’avait même plus de candidat pour succéder àFrançois Mitterrand, surtout depuis que Jacques Delors — pourtant crédité dechances sérieuses — avait annoncé le 11 décembre 1994 qu’il ne le serait pas. Ilétait convaincu qu’il ne parviendrait pas à gouverner avec un Parti socialistequi, lors de son congrès à Liévin (18-20 novembre 1994), venait d’adopter unprogramme très « gauchi ». Le refus de Jacques Delors semblait ouvrir un boule-vard au Premier ministre Édouard Balladur que l’opinion et les sondagesdonnaient maintenant facilement victorieux. Le Parti socialiste ne pouvaitpourtant pas se passer de candidat. Pendant quelques jours, Jack Lang crut son

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heure venue, mais se rendit vite compte qu’il n’aurait guère de soutiens,d’autant que le nouveau premier secrétaire du parti, âme du programme deLiévin, Henri Emmanuelli, pensait que c’était à lui d’être le candidat des socia-listes. Il fut donc vivement contrarié quand un des hiérarques du parti, à cemoment officiellement retiré de la vie politique, Lionel Jospin, annonça sacandidature. Laurent Fabius qui ne pouvait être candidat pour le moment, à lasuite de l’affaire du sang contaminé, mais n’y renonçait pas pour l’avenir, nepouvait qu’être également gêné par le retour au premier plan de son vieil adver-saire, il était donc très favorable à la candidature Emmanuelli. Les deuxcandidats déclarés menèrent une dure campagne à l’intérieur du parti dontLionel Jospin sortit largement victorieux. Pour les militants, il était seul à avoirune carrure présidentielle. Son retour sur la scène rendit un peu espoir au Partisocialiste, encore que les commentateurs ne pensaient pas qu’il serait présentau second tour, d’autant qu’il n’était pas seul candidat à gauche. Il y avait uncandidat communiste, le tout nouveau secrétaire « national » Robert Hue, unecandidate écologiste, Dominique Voynet, et une candidate trotskiste, la déjàinusable Arlette Laguiller. Tous les yeux étaient tournés vers le duel Chirac-Balladur, mais pendant que les candidats de la droite, au surplus issus du mêmeparti, se déchiraient, Lionel Jospin, bon orateur et fin stratège, entrait en licetardivement, faisait une campagne discrète, s’installait dans l’opinion degauche et, démentant tous les sondages, arrivait en tête, précédant JacquesChirac et Édouard Balladur. La surprise fut considérable encore qu’elle s’expli-quait par le simple fait que, contrairement aux prévisions, la candidature deBalladur, après avoir été dépassée dans les sondages par celle de Chirac, nes’était pas écroulée (comme Chaban-Delmas en 1974) et venait finir très prèsde lui — les voix de droite se trouvaient ainsi partagées à peu près par moitié —,sans compter les 15 % du Front national dont une partie majoritaire de l’élec-torat venait de la droite. Une autre explication plus fondamentale, de caractèrepolitique et sociologique, est que lorsque la gauche — ou la droite — subissentdes défaites sévères pour des raisons conjoncturelles, leur électorat, qui s’estabstenu ou même a été voté sur ses marges pour l’autre camp, n’a pas disparupour autant : il suffit qu’il se remobilise pour réapparaître, c’est ce qui seproduisit pour l’électorat de gauche en 1995, d’autant que Lionel Jospin appa-raissait comme un candidat crédible. Tout en incarnant d’ailleurs l’héritage dela gauche dans son ensemble, il ne cachait pas souhaiter prendre quelquesdistances avec les aspects contestables à ses yeux du mitterrandisme et avecceux qui l’avaient le plus incarné.Au second tour, Jacques Chirac l’emporta, mais le « peuple de gauche » avait

montré son existence en donnant à Lionel Jospin plus de 47 % des suffragesexprimés. Ce ne serait toutefois que dans trois années que la gauche avec lesélections législatives pourrait en appeler de ses défaites, sauf surprise impro-bable. Cette surprise, Jacques Chirac allait l’offrir à Lionel Jospin.Le début du septennat avait été très rapidement tumultueux : la situation

économique et financière interdit d’abord de donner suite aux promesses de la

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campagne électorale tendant à réduire la « fracture sociale » et la volonté deréformer la Sécurité sociale provoqua les grandes grèves de 1995 et presque laparalysie du pays à la suite de la grève des cheminots. Le président de la Répu-blique et son Premier ministre, Alain Juppé, furent frappés d’une très grandeimpopularité. Elle les convainquit que les élections législatives de 1998 seraientperdues et qu’il valait mieux précéder l’échéance. À vrai dire, la situation étaiten train de s’améliorer, mais Jacques Chirac était porteur d’une culture oùl’appel au peuple était normal. Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing en1976, il lui avait recommandé de dissoudre l’Assemblée nationale, le présidentde la République avait refusé, Chirac avait démissionné et, contre toute attente,Giscard d’Estaing avait remporté les élections législatives de 1978. La leçonn’avait pas servi. Devenu à son tour président de la République, Jacques Chirac,fortement conseillé par le secrétaire général de l’Élysée Dominique de Villepin,n’allait pas laisser passer une nouvelle fois l’occasion. En 1997, il prononçait ladissolution d’une Assemblée où il disposait pourtant d’une énorme majorité etperdait les élections. Il les perdait cependant d’assez peu — au second tour, lagauche avait obtenu 48,28 % des suffrages exprimés contre 46,02 à la droite —,mais ces faibles différences en voix provoquèrent de grandes différences ensièges. Globalement la droite avait perdu 217 sièges, au profit de la gauche quiavait reçu l’aide non négligeable des triangulaires imposées par le Frontnational qui avait maintenu ses candidats dans 78 circonscriptions. Dans uncertain nombre d’entre elles, sans que dans ce domaine, il existe de certitudesabsolues, la gauche devait sa victoire à cette situation.Mais si la gauche était victorieuse, le Parti socialiste ne disposait avec les radi-

caux de gauche que de 259 sièges (majorité absolue 289), les autres se répartis-sant entre le parti communiste (36), le Mouvement des citoyens (7), les Verts (7)et divers gauche (9), ce décompte pouvant très légèrement varier en fonctiond’étiquettes indécises. Le plus important est qu’ils se répartirent en troisgroupes, les socialistes évidemment, les communistes et le groupe « radical,citoyen et vert ». Cette répartition n’était pas de nature à faciliter la vie de lagauche plurielle au niveau parlementaire. Pour disposer de la majorité absolue,le Parti socialiste avait au moins besoin du concours des communistes, maisaussi d’une partie du troisième groupe. En théorie, comme il était peu probableque les voix communistes se coalisent avec celles de la droite — encore que celapuisse arriver sur tel ou tel vote—, Lionel Jospin aurait pu constituer un gouver-nement minoritaire. Il préféra une formule où les différentes forces de gaucheseraient représentées. Ce fut lui qui utilisa la formule de « majorité plurielle »pour définir les « différentes sensibilités » qui cohabitaient à l’intérieur d’ungouvernement comprenant dix-huit socialistes, trois communistes (Jean-Claude Gayssot aux Transports, Marie-Georges Buffet aux Sports et MichèleDemessine au Tourisme), trois radicaux de gauche (Émile Zuccarelli à la Fonc-tion publique, Bernard Kouchner à la Santé et Jacques Dondoux au Commerceextérieur), une écologiste (Dominique Voynet), unmembre duMouvement descitoyens (Jean-Pierre Chevènement à l’Intérieur). La répartition plurielle s’était

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étendue au Parti socialiste en donnant toutefois la part du lion aux amis deLionel Jospin et de Michel Rocard. Tous les grands barons du mitterrandisme,Laurent Fabius, Jack Lang, Henri Emmanuelli, et même Michel Rocard avaientété écartés. Sur les vingt-six membres du gouvernement, il n’y avait que onzeanciens ministres. Les personnalités de premier plan étaient peu nombreuses(Dominique Strauss-Kahn aux Finances, Martine Aubry à l’Emploi, ÉlisabethGuigou à la Justice). Les courants « fabiusiens » (Christian Pierret à l’Industrie)et « emmanuellistes » (Jean-Pierre Masseret aux Anciens combattants)n’avaient chacun qu’un seul représentant, la gauche socialiste, aucun. Il nes’agissait cependant pas d’une coalition où différentes forces plus ou moinséquivalentes se mettent d’accord dans un but commun, mais d’une formuleplus proche de celle de 1981 où un parti largement dominant (même s’il est lui-même divisé) s’agrège un certain nombre de satellites.

LA GAUCHE PLURIELLE AU POUVOIR (1997-2002)

Une vue rétrospective de la période donne du gouvernement de la majoritéplurielle une vision idyllique. Mise à part les contraintes désagréables de lacohabitation — une cohabitation qui pour la première fois n’était plus prévuepour deux, mais pour cinq ans et dont les effets n’étaient pas négligeables enpolitique internationale —, tout semble lui avoir souri : une opposition enlambeaux et surtout la divine surprise d’un retour de la croissance qui assure à laFrance trois années de stabilité économique et de croissance, 1998, 1999, 2000.Sans rappeler celui, négatif, de 1993 (– 0,9 %), qui explique le désastre socialistede cette époque, le taux de croissance avait touché le fond de nouveau en 1996(1,1 %) pour remonter en 1997 (1,9 %), puis se stabiliser au-dessus de 3% (3,4%en 1998, 3,2 % en 1999, 3,8 % en 2000), avant de s’effondrer en 2001 (1,8 %)et en 2002 (1,9 %) [L’Année politique 2002, p. 535]. Un des effets principaux dela croissance économique avait été la baisse, assez lente d’ailleurs, du chômage.Les demandeurs d’emploi dépassaient légèrement les trois millions endécembre 1997 (3 027 000), leur nombre descendait ensuite sous la barre destrois millions (2 899 000 en décembre 1998, 2 773 000 en décembre 1999) pourconnaître une très forte décrue en 2000 (2 164 000). Ils étaient alors moins de10 % de la population active (9,2 %), alors qu’ils étaient 12,2 % en 1997. Onpouvait espérer bientôt être en dessous de la barre des deux millions. Il n’en futd’ailleurs rien. Au cours de l’année 2001, le chômage atteint son point le plusbas au mois de mars (2 079 400 demandeurs d’emplois, soit un taux dechômage de 8,7 %), puis il commence à remonter à partir du printemps ; il yavait en décembre 2001, 2 212 100 demandeurs d’emploi (9 %), en décembre2002, ils étaient 2 306 800 (9,1 %).Parallèlement aux bons résultats économiques, la cote de popularité du

Premier ministre est impressionnante. Pour la SOFRES, elle culmine à 71 % enaoût-septembre 1998 pour ne pratiquement jamais descendre au-dessous de

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60 %, sauf circonstance particulière, comme le mouvement des chômeurs.Pendant trois ans, depuis juin 1997, la cote de popularité de Lionel Jospins’établit à une moyenne de 63 %, dépassant celle de tous les Premiers ministresde la Ve République. Le plus populaire d’entre eux, Édouard Balladur n’atteignitqu’une moyenne de seulement 60 % et son gouvernement ne dura que deuxans. Cette stabilité profite paradoxalement aussi au président de la Républiquedont la cote — inférieure à celle de son Premier ministre — s’établit néanmoinsà un niveau élevé, traduisant en quelque sorte le goût des Français pour cettehérésie constitutionnelle qu’est la cohabitation…Cet âge d’or du gouvernement Jospin, couronné par la victoire française dans

la coupe du monde de football de 1998, fut-il un âge d’or de la gauche ? On estsurpris, bien au contraire, que, dans le cadre de la majorité devenue gaucheplurielle, les formations de gauche n’aient cessé de se livrer dès l’origine unevéritable guerre de tranchées, sans compter les affrontements à l’intérieur depresque chacune de ces formations. Au sein du Parti socialiste, c’est le porte-parole de la gauche socialiste, Julien Dray qui, dès septembre 1997, profite duConseil national pour critiquer sévèrement la politique suivie. Sa divergencen’est pas vénielle, c’est une « divergence de fond » sur l’ampleur et la rapiditédes changements à opérer. L’action de gouvernement n’est pas adaptée auxurgences de la situation, en particulier dans le domaine du chômage. Du côtédes Verts, si leur ministre Dominique Voynet veut jouer la carte de la solidaritégouvernementale, elle est vivement accusée par les militants de son parti decéder trop souvent aux autres membres du gouvernement. C’est cependant descommunistes dont viennent les ruades les plus fortes. Le secrétaire national duparti Robert Hue a choisi sans ambiguïtés la carte de la solidarité gouvernemen-tale — il croit que c’est la seule planche de salut pour un parti communiste quiest durablement au-dessous de 10% des suffrages exprimés—,mais l’époque dumonolithisme est également bien passée et sa stratégie n’est approuvée ni parson prédécesseur Georges Marchais (qui disparaît quelques semaines plus tarden novembre 1997), l’homme qui l’a choisi et dont on pouvait croire qu’il neserait que la marionnette, ni par les « orthodoxes » qui le prennent vivement àpartie. Inimaginable dans le passé, Robert Hue est fortement sifflé lors de la fêtede L’Humanité. L’opposition porte en priorité sur les privatisations, acceptées ouprévues par le gouvernement. En d’autres termes, une partie des communistesaccuse leur secrétaire national de pactiser avec le « capitalisme ».Ces fragilités de la majorité plurielle sont particulièrement visibles dès la fin

de l’année 1997. Plus que les questions économiques, ce sont les questions denationalité et d’immigration qui provoquent des querelles. Pour une partie dela majorité plurielle, il fallait abroger purement et simplement les lois Debré etPasqua. Ce n’est pas la voie que choisissent Élisabeth Guigou, garde des Sceaux,pour les questions de nationalité et Jean-Pierre Chevènement, ministre del’Intérieur, pour celle de l’immigration, qui préfèrent les amender. Consé-quence : lors du vote de la loi sur la nationalité, les Verts et la plus grande partiedes communistes s’abstiennent. Circonstance aggravante : la direction du parti

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communiste avait décidé que le vote devrait être positif. Nonobstant,26 députés communistes s’abstiennent, montrant ainsi les limites vite atteintesde l’autorité de Robert Hue. De même lors du vote de la loi sur l’immigration,Verts et communistes s’abstiennent une nouvelle fois. Du côté des Verts,l’opposition à la politique du gouvernement est telle que le seul ministre« vert », Dominique Voynet, lors d’un conseil national interrégional le6 décembre, doit durement batailler pour faire repousser unemotion qui enten-dait lui faire quitter le gouvernement. Le même jour, le Premier ministre LionelJospin devait rappeler fermement à la majorité plurielle qu’elle avait un devoirde solidarité envers la politique gouvernementale.Cette guérilla permanente ne va pas jusqu’à la rupture. L’année 1998 débute

en fanfare avec le mouvement des associations de chômeurs, qui avait en faitcommencé dès la fin de 1997. Les collectifs de chômeurs réclament une primed’urgence, en même temps que le relèvement des minima sociaux et, pourappuyer leurs revendications, ils multiplient les occupations d’antennes desAssedic. Le gouvernement s’était d’abord peu préoccupé de ce mouvement quiprend de l’extension au début de 1998 et divise les ministres. Tandis queMartine Aubry, ministre de l’Emploi, condamne des occupations illégales,Dominique Voynet les approuve et Marie-Georges Buffet trouve le mouvementcomplètement « légitime ». Les syndicats se divisent également : le mouve-ment est appuyé sur la CGT, tandis que la secrétaire de la CFDT Nicole Notat,présidente de l’UNEDIC, s’élève contre un mouvement « manipulé ». LionelJospin s’emploie à le désamorcer : il prend une position différente de ses mini-stres Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn, rappelle les membres de songouvernement à la solidarité, tout en faisant évacuer les locaux occupés… Lamajorité plurielle s’est clairement divisée entre Verts et communistes d’un côté,socialistes, radicaux de gauche et Mouvement des citoyens de l’autre.Tout au long de l’année, les divergences avaient porté sur ce que devrait être

une politique de gauche dans le domaine économique et social. Par nature, lePCF s’en voulait le porte-parole : Robert Hue cherche autant qu’il est possible àéviter les dissensions avec le Parti socialiste et surtout avec le chef du gouverne-ment, mais il est menacé par l’opposition à l’intérieur de son parti. Il est enpermanence pris entre deux feux. Il est en particulier l’objet des violentesattaques du député de la Somme, Maxime Gremetz, qui entend se dresser,comme il dit le 30 juin, contre les « pratiques staliniennes » du Parti socialiste àl’égard de ses alliés.Dans la pratique, les discussions portent essentiellement sur le « partage des

fruits de la croissance » et sur la fiscalité. La reprise a produit des excédentsbudgétaires. Qu’en faire ? Pour le ministre des Finances, une attitude classiquele conduit à souhaiter qu’ils soient largement utilisés au remboursement desdéficits, option combattue en particulier par le député vert Yves Cochet quiveut les utiliser pour relever les minima sociaux. Sur cette première discussions’en greffe une autre : le PCF souhaite une augmentation de la fiscalité sur lepatrimoine et assujettir les biens professionnels à l’impôt de solidarité sur la

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fortune (ISF). Comme il le déclare au mois de juillet, c’est la manière pour lagauche plurielle demanifester sa volonté de « changer la société ». À cela, quellequ’en soit la forme, Dominique Strauss-Kahn, appuyé par le Premier ministre,est tout à fait opposé. À l’automne 1998, le débat est clair : les opposants,communistes ou Verts principalement, réclament une politique plus à gauche.Lionel Jospin est conscient de la profondeur des différends : plusieurs éditoria-listes affirment qu’il est justement décidé à engager cette politique plusmarquée à gauche ; mais malgré ses efforts pour « gauchir » le budget afin deresserrer la majorité plurielle, le président du groupe communiste à l’Assem-blée, Alain Bocquet, veut s’opposer à son approbation à l’inverse de Robert Hue— pour finalement ne s’abstenir que sur certains points.Dans la pratique, chaque année voit se reproduire les mêmes différends

auxquels viennent s’en adjoindre d’autres plus conjoncturels. En 1999, dès lemois de janvier, les problèmes de sécurité, qui avaient déjà vu le ministre del’Intérieur Jean-Pierre Chevènement et la garde des Sceaux Élisabeth Guigous’affronter à plusieurs reprises en 1998, ressurgissent à la suite des violences defin d’année dans de nombreuses villes et du retour de Jean-Pierre Chevène-ment écarté du gouvernement pendant plusieursmois par un accident de santé.Tandis que Jean-Pierre Chevènement réclame des peines d’incarcération etd’éloignement pour les jeunes récidivistes, Élisabeth Guigou est favorable à desmesures préventives et éducatives. Jean-Pierre Chevènement multiplie lesappels à la fermeté, mais d’abord tenté de le suivre, Lionel Jospin repousseensuite les mesures d’éloignement des récidivistes.Pendant l’été 1999, le débat sur les fruits de la croissance refait surface : il

oppose d’abord les deux principaux spécialistes socialistes de l’économie,Laurent Fabius, président de l’Assemblée nationale, et Dominique Strauss-Kahn. Pour le premier, il faut utiliser ces excédents à alléger les impôts desménages, à réduire la dette publique et à financer les retraites, alors que pour lesecond il faudrait surtout les consacrer à alléger les charges des entreprises.Quant à Dominique Voynet, elle entend qu’on les utilise pour améliorer le sortdes « catégories les plus précaires » et Jean-Claude Gayssot pour abaisser la TVA.Autre question récurrente : la politique du gouvernement est-elle suffisammentà gauche ? À l’occasion des élections européennes en juin 1999, Lionel Jospinse déclare satisfait de son bilan, alors que Robert Hue, tout en approuvant unesérie de mesures, le conteste à la fois dans le domaine de l’emploi, dans ceuxdes privatisations et de la défense du service public. Mais la plus grande crisedans ce domaine survient à propos de l’annonce par Édouard Michelin, le8 septembre 1999, du licenciement de 7 500 employés et des bons résultats dugroupe, qui provoque une tempête. Tandis que le Premier ministre avalise lecaractère nouveau de l’économie en affirmant somme toute qu’il n’y peut rien,communistes, Verts, MDC (Mouvement des citoyens) et gauche socialisteprotestent vivement. Ce qui conduit Lionel Jospin, quelques jours plus tard, àStrasbourg devant les parlementaires du PS à rectifier le tir en proposant toute

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une série d’idées pour lutter contre la mondialisation et en particulier contre leslicenciements économiques abusifs.L’engagement au Kosovo constitue un nouvel objet de désaccord. Lionel

Jospin calque son attitude sur celle du président de la République, alors qu’ilsoulève une forte contestation à la fois des communistes, des Verts et de Jean-Pierre Chevènement qui va même jusqu’à diffuser auprès des autres ministresun manifeste récusant les fondements philosophiques du recours à la guerre[L’Année politique 1999, p. 50]. Robert Hue participe à une manifestation orga-nisée par l’extrême gauche (Lutte ouvrière, Ligue communiste révolution-naire). La droite verse du sel sur la plaie quand Philippe Seguin déclare qu’il estimpensable que le gouvernement soit divisé « lorsque la France est en situa-tion de guerre ». Mais si les frappes aériennes qui ont lieu depuis mars 1999soulevaient déjà des objections très fortes chez certains, l’affaire devient aiguëquand il est question d’offensives terrestres. Le MDC, par la voix de son prési-dent Georges Sarre, annonce que ce serait pour son mouvement une raison dequitter le gouvernement (encore que Jean-Pierre Chevènement soit plus réservésur ce point), il en est de même pour les communistes, mais pas pour les Verts…Il va presque sans dire que chaque occasion est bonne pour les participants

de la gauche plurielle, en particulier pour les formations les plus minoritaires,de rompre des lances et de s’adresser quelques amabilités. Ainsi quand le 27mai1999, Dominique Voynet estime que « sans les Verts », la « majorité pluriellesentirait la naphtaline », Jean-Pierre Chevènement lui répond qu’il préfère la« bonne vielle naphtaline » à la « poudre de perlimpinpin ». Quelques joursplus tard, il traite l’idéologie des écologistes d’« idéologie fin de siècle », enréponse de quoi Daniel Cohn-Bendit lui suggère de « prendre sa retraite »…Dans ces conditions, la question pour les Verts de rester au gouvernement ou dele quitter ressurgit de façon également récurrente. Le débat est particulière-ment fort lors de leur université d’été à Lorient au mois d’août. Une fois de plusDominique Voynet plaide pour rester au gouvernement, quitte à modérer leprogramme écologiste alors que Daniel Cohn-Bendit (qui n’est pas suivi par lamajorité des militants) pense le contraire : les Verts ne doivent cesser de mani-fester leur indépendance par rapport au gouvernement et lors des élections parrapport au Parti socialiste.L’année suivante en 2000 revient le débat sur le positionnement à gauche du

gouvernement. À l’intérieur du Parti socialiste, Henri Emmanuelli tente des’associer à la gauche socialiste pour créer un pôle d’opposition au « social-libé-ralisme » incarné à ses yeux par Laurent Fabius, nouveau ministre des Finances.Il est un fait que Laurent Fabius entend maintenir la maîtrise des financespubliques et qu’il s’oppose également très vivement à Martine Aubry quisouhaite plus d’avancées sociales. De son, côté, en ce même mois de septembreà la fête de L’Humanité, Robert Hue réclame un « véritable examen deconscience de la gauche » et le retour à une politique de réformes sociales. À lafin de 2000, L’Année politique résume la situation de la façon suivante : « Lemoisd’octobre a vu se multiplier les difficultés au sein de la “majorité plurielle”,

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notamment sur la question de la politique budgétaire et fiscale. Le PC reven-dique une augmentation de 3 % du SMIC au 1er janvier 2001 ; les Verts deman-dent une hausse des minima sociaux, des mesures en faveur des économiesd’énergie et des transports non polluants et l’introduction d’une dose de repré-sentation proportionnelle dans le mode de scrutin législatif ; le MDC exige quesoit remis en cause le processus de Matignon sur la Corse et demande l’inver-sion du calendrier électoral de 2002. M. Jean-Michel Baylet, président du Partiradical de gauche (PRG), souhaite que son parti soit “plus et mieux écouté” »(p. 138).Bien entendu, comme nous le verrons, des résultats électoraux médiocres

n’arrangent pas les choses et aumois demai 2001, pour à nouveau « ressouder »sa majorité, Lionel Jospin reçoit tous les dirigeants pour un concert dedoléances. Jean-Pierre Chevènement estime « qu’on ne fera pas l’économied’un débat rude », et il affirme que le Premier ministre « incarne de moins enmoins l’équilibre de la majorité », Robert Hue « critique la politique sociale dugouvernement », Dominique Voynet reste tout à fait partisane de la majoritéplurielle, mais estime « qu’il serait temps que les partis travaillent tousensemble à un projet ». Jean-Michel Baylet s’en prend aux Verts, aux commu-nistes et au MDC « qui exigent des choses déraisonnables du gouvernementavec leur tir croisé sur les plans de licenciement » et risquent ainsi de « faireexploser la gauche »…Cette bataille permanente à l’intérieur de la majorité plurielle, bataille à

géométrie variable, parce que s’il y avait des lignes de fracture assez nettes, cen’était pas toujours les mêmes contre les mêmes, n’empêcha pas le gouverne-ment de gouverner. Outre l’essentiel, c’est-à-dire la bonne santé économiquedu pays, une série de mesures importantes sont à mettre à son actif : la créa-tion des emplois-jeunes, celle du PACS (pacte civil de solidarité), la paritéhommes-femmes en politique, l’institution de la CMU (couverture maladieuniverselle). Mais si une mesure doit rester emblématique du gouvernement dela gauche plurielle, ce fut l’abaissement de la durée légale du travail à 35 heures.À l’origine Lionel Jospin n’était pas très favorable à une mesure dont il crai-gnait les conséquences économiques, mais il se laissa convaincre du bienfait deses conséquences sociales. À l’origine, les 35 heures reposaient sur l’idée du« partage du travail », c’est-à-dire de pouvoir être une arme efficace contre lechômage. Dans la pratique, il apparut très vite que le monde ouvrier n’était pasprêt à partager le travail, c’est-à-dire à accepter une diminution de salaire. Dansces conditions, son objectif principal passa à l’arrière-plan et les chiffres sur lesemplois qu’ils auraient créés sont tout à fait controversés. En revanche, l’idéede l’amélioration des conditions de vie des salariés devint l’argument préféré.D’où le destin curieux des 35 heures souvent regardées avec méfiance par lesouvriers alors qu’une fraction des classes moyennes salariées qui, à défaut dene faire réellement que 35 heures, peut profiter de journées plus ou moinsnombreuses de RTT (réduction du temps de travail), en est fort satisfaite.

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LA DISLOCATION DE L’ÉQUIPE GOUVERNEMENTALE

Il est à peu près inévitable qu’un gouvernement qui dure longtempsconnaisse des changements pour des raisons diverses, mais le gouvernementJospin se trouva privé progressivement de ses plus fortes personnalités.Le premier à partir fut le talentueux ministre des Finances et de l’Économie,

Dominique Strauss-Kahn qui démissionna le 2 novembre 1999. Les causes de sadémission n’avaient rien à voir avec son activité ministérielle et il fut lavé par lasuite par la justice des accusations portées contre lui. En recevant des hono-raires élevés pour une intervention professionnelle dont on n’était même passûr qu’elle ait eu lieu, il s’était trouvé mêlé à une série de délits que l’on repro-chait à la direction de la MNEF (Mutuelle générale des étudiants de France).Considéré un peu comme anecdotique, le départ de Dominique Strauss-Kahn— le Premier ministre ne semble pas avoir fait des efforts exagérés pour leretenir — « avait privé le gouvernement d’une de ses personnalités les pluscapables et les plus médiatiques » [René Rémond, L’Année politique 1999]. Pourle journal britannique, le Financial Times, il était le véritable auteur du redresse-ment économique bien davantage que le Premier ministre, il avait su réaliserune gestion équilibrée et bien que qualifié de « droite » par certains de ses amispolitiques, il était le garant de l’équilibre du gouvernement faisant contrepoidsaux tendances de gauche de Martine Aubry. Son succès avait été tel que l’on nelui reprochait même pas d’avoir accru les prélèvements obligatoires les portantà leur record historique de 45,3 % du PIB en 1999.Le deuxième grand ministre à devoir s’en aller fut le ministre de l’Éducation

nationale Claude Allègre, le 27mars 2000. Bouillonnant d’idées, à vrai dire plussouvent appréciées à droite qu’à gauche, il s’en était pris avec virulence auxenseignants, à leurs syndicats, à l’administration de l’Éducation nationale, auxmanuels et la liste n’est pas exhaustive… Progressivement, il s’était mis à dostout le corps éducatif dans lequel la gauche plurielle recrutait de gros bataillonsd’électeurs. Grèves, manifestations de lycéens tumultueuses en 1998 et en1999, le sommet est atteint avec la véritable guerre qui oppose le ministre auxenseignants de Seine-Saint-Denis. Chacune des réformes qu’il entreprend,bonne ou mauvaise, soulève des tollés et échoue. Le Premier ministre, dont ilest l’ami personnel et qui a fait longtemps comme s’il ne s’apercevait de rien,malgré les protestations à l’intérieur des partis socialiste et communiste, lerenvoie à l’occasion d’un remaniement ministériel, après qu’une électionpartielle — dans la Sarthe — a montré les conséquences électorales quecommençait à entraîner son maintien.Le troisième à partir fut le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement,

qui avait quitté le Parti socialiste pour fonder le Mouvement des citoyens en1992-1993. Dans le gouvernement, il n’avait cessé d’incarner la fermeté face à laviolence. Depuis qu’en mars 1998, il avait dénoncé les « petits sauvageons », ils’était perpétuellement opposé au « laxisme » représenté par la garde des Sceaux

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Élisabeth Guigou, mais malgré toute une série de polémiques — sur la questiondes « sans-papiers », il avait été continuellement la cible des Verts —, ce n’estpas là-dessus qu’il partit. La rupture eut lieu sur le problème corse. Sa positionsur la Corse était claire : la Corse devait rester dans la République et l’état dedroit devait être rétabli dans l’île. À la suite de l’assassinat du préfet Érignac pardes nationalistes (6 février 1998), il nommait un préfet à poigne, BernardBonnet, qui menait une politique très active pour traquer les illégalités danstous les domaines. Malencontreusement pour Jean-Pierre Chevènement, samission s’achevait de façon burlesque par la tentative d’incendie par desgendarmes d’un restaurant de plage en avril 1999. Le Premier ministre repre-nait le dossier et de longues discussions se déroulaient pour aboutir auprocessus dit « deMatignon » qui devait conduire la Corse à l’autonomie…Unebonne partie de la gauche corse n’approuvait pas ce processus, les radicaux degauche autour d’Émile Zuccarelli, ministre de la Fonction publique (qui devaity perdre son portefeuille) et élu de Bastia, les communistes, beaucoup de socia-listes. Mais l’adversaire le plus déclaré en fut le ministre de l’Intérieur qui avaitaverti à plusieurs reprises son ami Lionel Jospin qu’il ne pourrait admettre lesconcessions faites. Il quittait le gouvernement le 28 août 2000.Dans les mois suivants, deux autres des fortes personnalités du gouverne-

ment partaient également. Martine Aubry le 18 octobre 2000 et DominiqueVoynet le 10 juillet 2001. Pour Martine Aubry, les raisons invoquées étaient devouloir se consacrer à sa candidature à la mairie de Lille et à sa vie privée. Elleavait livré les années passées un épuisant combat pour donner vie aux 35 heures(une première loi avait été votée le 19 juin 1998 et une seconde le 15 décembre1999). Non seulement l’application avait suscité un nombre infini deproblèmes, mais des discordes également au sein de la majorité où les commu-nistes faisaient inscrire dans la deuxième loi des dispositions destinées à rendreplus difficiles les licenciements, dispositions annulées dès janvier 2000 par leConseil constitutionnel, ce qui n’était pas de nature à améliorer les rapportsentre communistes et socialistes. En outre l’année 2000 voyait un déferlementde plans sociaux qui embarrassaient d’autant plus le gouvernement qu’ilsn’étaient pas toujours provoqués par le ralentissement de la croissance. PourMartine Aubry, un autre danger se profilait, un dossier terrible risquait de luiéchoir bientôt, celui de la réforme de l’Unedic, c’est-à-dire de l’assurance-chômage. Quant à Dominique Voynet, elle entendait pouvoir se consacrer àson parti où progressivement sa présence au gouvernement avait affaibli sonautorité.En un peu plus d’un an, le gouvernement de la gauche plurielle avait perdu

le plus clair de son armature. Certes les ministres démissionnaires ou renvoyésavaient été remplacés, Dominique Strauss-Kahn par Laurent Fabius, après unintermède Christian Sautter, Claude Allègre par Jack Lang mais, sans compterque les nouveaux ministres avaient des visions différentes de leurs prédéces-seurs, ce changement traduisait le retour aux affaires de « grands barons » dumitterrandisme avec qui justement Lionel Jospin avait voulu prendre ses

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distances. Des nominations qui avaient pour but de resserrer le Parti socialiste,mais qui affaiblissaient l’image de la « gauche plurielle ».

LA CHUTE DE LA GAUCHE PLURIELLE

Succès ou échecs, en définitive c’est l’électorat qui en décide (même si l’onpeut quelquefois contester la pertinence de son jugement). Ce qui était bienl’avis de Jean-Marie Colombani dans son éditorial du Monde (17 mars 1998) àla suite des élections régionales et cantonales du 15 mars et intitulé « Laconfiance introuvable ». « Un gouvernement sérieux, moralement convenable,apte au dialogue et conscient des urgences sociales, fort de quelques indices— croissance et emploi — encourageants : tout semblait indiquer que lecomportement électoral en serait affecté, que les Français en tiendraientcompte et voteraient, eux aussi, à l’encourager. Mais pour le moment rien n’yfait. » Et de souligner l’abstention record (41,96 %), l’enracinement « inexo-rable » de l’extrême droite… Quant aux différentes formations de la gaucheplurielle, elles ne rassemblaient que 36,48 % des suffrages, soit un recul de5,77 % par rapport à 1997 qui semblait se faire au profit de l’extrême gauche.Un peu plus d’un an plus tard, le 13 juin 1999, les élections européennes

étaient moins décevantes pour la gauche qui obtenait 38,47 %, encore que lesrésultats pouvaient encore compliquer le fonctionnement de la gaucheplurielle. La liste conduite par François Hollande et rassemblant socialistes,radicaux de gauche et Mouvement des citoyens obtenait en effet un résultatconvenable (21,88 %), mais le parti communiste, qui attendait monts etmerveilles de la liste très ouverte conduite par Robert Hue, connaissait unegrave déconvenue (6,83 %). Cela ne pouvait que le conduire à se montrer plusagressif, d’autant que les bons résultats de la liste trotskiste (Lutte ouvrière etligue communiste : 5,23 %) montraient que l’électorat communiste glissait deplus en plus vers elle. D’un autre côté, le succès obtenu par la liste écologistedont Daniel Cohn-Bendit avait pris la tête (9,76 %) poussait les Verts à exigerune plus grande place dans la coalition.Cependant, après ces élections européennes, la gauche plurielle pouvait

développer sa politique en paix puisque les prochaines élections, les munici-pales, n’avaient lieu qu’en 2001. On pouvait d’ailleurs penser qu’elles neseraient que le tremplin de Lionel Jospin pour la victoire aux élections présiden-tielles. À la fin de 1999, le futur succès de la tête de la gauche plurielle paraissaitpeu discutable. C’était peu tenir compte d’une part des dissensions perma-nentes à l’intérieur de la gauche plurielle qui ne pouvaient manquer à la longued’affecter l’électorat et, plus important peut-être encore (mais ce n’était évidem-ment pas prévu alors), le retournement de la conjoncture à partir de 2001 quimarquait une reprise de la progression du chômage liée à la chute de la crois-sance. L’âge d’or de la « gauche plurielle » était bel et bien terminé.

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Sondages à l’appui, les élections municipales étaient pourtant annoncéescomme devant provoquer une vague « rose ». Le premier tour donnait en faitun sérieux avertissement. Le Monde titrait : « Entre gauche et droite, rien n’estjoué » (13mars 2001) et, après le second tour, il se contentait d’un titre en demi-teinte : « Malgré Paris et Lyon, la gauche est sur la défensive ». En fait, il n’enétait rien : la gauche avait connu une sévère défaite en partie dissimulée par sesvictoires à Paris et à Lyon. Or ces victoires allaient à l’encontre de la tendancegénérale. À Paris, on n’avait pas assez observé que la victoire socialiste ne faisaitque couronner le recul permanent de la droite depuis plus de dix ans. Ausurplus, s’il était un endroit où la politique de la gauche plurielle était popu-laire, c’était Paris où la très importante population de cadres profitait de laréduction du temps de travail sans souffrir de ses inconvénients. Quant à lavictoire de la gauche à Lyon, elle était largement la conséquence des divisionsde la droite, même si en matière électorale, il est toujours un peu aventuré dene pas rechercher les causes réelles d’une victoire ou d’un échec d’abord dansle comportement des électeurs. En tout cas, ni Paris ni Lyon n’étaient représen-tatifs de l’évolution politique du pays. En revanche pour l’ensemble de laFrance, la défaite de la gauche contenait un avertissement d’autant plus sévèrequ’être ministre de la gauche plurielle ou l’avoir été avait été une circonstanceaggravante : Jean-Claude Gayssot était battu à Béziers, Pierre Moscovici à Mont-béliard, Dominique Voynet à Dôle, Élisabeth Guigou à Avignon, Jack Lang àBlois, Catherine Trautmann à Strasbourg… Au total la droite gagnait 24 villesde 30 000 habitants et n’en perdait qu’une, elle gagnait six villes de plus de100 000 habitants en n’en perdant également qu’une. Martine Aubry n’étaitque péniblement élue à Lille pour succéder à Pierre Mauroy. La défaite étaitparticulièrement sensible pour le parti communiste qui perdait les quelquesvilles importantes qu’il administrait encore en province, ne conservant que laplupart de celles de la banlieue parisienne.Le plus étonnant est que cette sévère défaite n’ait pas été intégrée dans les

calculs de la gauche plurielle pour les élections présidentielles de l’annéesuivante. La volatilité du vote en France depuis une vingtaine d’années l’auraitjustifié si les deux consultations n’avaient pas été aussi proches l’une de l’autre.La raison en est peut-être que les sondages restaient favorables à Lionel Jospin,même s’ils avaient connu un certain effritement et sans tenir compte qu’aucours des années la cote de Jacques Chirac n’avait cessé de remonter pouratteindre et quelquefois dépasser celle du Premier ministre. Comme le faisaitremarquer Didier Witkowski [in Duhamel et Méchet, 2001, p. 11] : « JacquesChirac est un miraculé perpétuel. Les trois dernières années confirment cettecapacité exceptionnelle de rebondissement quels que soient les échecs […]. Leplus grave, la dissolution de 1997, aurait pu lui être fatal. Pourtant, un an plustard, il retrouve une popularité qui lui faisait défaut depuis les premiers moisde son septennat. » Et ajoute nos auteurs : « Le premier élément qui frappel’observateur le moins attentif lorsque l’on passe en revue ces trois dernièresannées, c’est le parallélisme étonnant des deux courbes de popularité de Chirac

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et Jospin » (p. 19). La lecture des sondages montrait également que les Françaisappréciaient la compétence du Premier ministre, mais qu’ils estimaient que lescapacités d’homme d’État de Jacques Chirac, la sympathie qu’il dégageait, saséduction même étaient bien supérieures [Duhamel et Méchet, 2001, p. 280].C’était aussi ne pas tenir compte que les effets de cette contestation perma-

nente qu’avait été la vie de la gauche plurielle ne pouvaient qu’être renforcéspar de mauvaises élections municipales, chacun rendant l’autre responsable dela défaite. Une nouvelle occasion de se diviser fut la chronologie des grandesélections à venir. Le quinquennat venait d’être adopté dans une assez largeindifférence (70 % d’abstentions lors du référendum qui l’avait approuvé par73 %… des votants), mais, héritage de la dissolution de 1997, dorénavant (saufdisparition ou démission du président de la République ou dissolution del’Assemblée), l’élection présidentielle et les élections législatives auraient lieu àpeu près au même moment. Par qui commencer ? Pour les socialistes assurés deleur victoire par la présidentielle, ce qui supposait une inversion du calendrierprévu, et qui entraînerait ensuite un bon résultat aux élections législatives, pourles communistes et les Verts, par les législatives qui devraient lesmettre enmeil-leure situation, pensaient-ils, face à leur puissant allié. Il va sans dire que rienne prouvait la valeur de ces supputations. Néanmoins, les socialistes l’ayantemporté et la décision prise de commencer par l’élection présidentielle (contrel’avis du président sortant Jacques Chirac), les composantes de la gaucheplurielle ne pouvaient manquer de vouloir s’affirmer au premier tour avant unsecond tour dont personne ou presque ne doutait qu’il opposerait Lionel Jospinet Jacques Chirac. D’où une multiplication des candidatures à gauche : outretrois candidats trotskistes, qui n’avaient jamais fait partie de la gauche plurielle,celle-ci (présente ou passée) alignait non seulement le candidat socialiste, maisun candidat communiste (Robert Hue), un candidat écologiste (Noël Mamère),une radicale de gauche (Christiane Taubira) et surtout Jean-Pierre Chevène-ment, au nom d’un Pôle républicain qui entendait dépasser les différencesdroite-gauche et représenter la République. Conforté par les premiers sondages,il croyait même qu’il pourrait être au second tour… Le nombre des candida-tures de gauche était évidemment l’expression de l’auberge espagnole qu’avaitconstituée la gauche plurielleLes candidatures étaient également nombreuses à droite : outre l’extrême

droite du Front national (qui puise une partie minoritaire de son électorat àgauche) et des scissionnistes du Mouvement national républicain (MNR) deBruno Mégret, il y avait François Bayrou (pour l’UDF ou ce qu’il en restait),Alain Madelin pour les libéraux les plus convaincus, Jean Saint-Josse pour leschasseurs (dont une fraction de l’électorat était également de gauche…),Corinne Lepage (pour les écologistes de droite), Christine Boutin (pour lesvaleurs familiales)… Malgré les sondages médiocres des deux compétiteursannoncés du deuxième tour, l’arrivée en deuxième position derrière JacquesChirac de Jean-Marie Le Pen distançant Lionel Jospin stupéfia et permit une

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victoire inespérée par son ampleur (82,15 % des voix) du président de la Répu-blique sortant.La gauche plurielle n’avait pas encore bu le calice jusqu’à la lie, puisqu’il

fallait maintenant affronter les législatives. La gauche plurielle pouvait espérerencore renverser la tendance et en quelque sorte ouvrir une nouvelle phase decohabitation. Cet avenir dépendait de l’analyse qui était faite du 21 avril. PourLionel Jospin, l’explication était technique, suivant en cela le directeur duMonde, Jean-Marie Colombani, qui voyait une seule cause à la défaitel’« absurde dispersion de la gauche » (23 avril 2002) ; sans la candidature deJean-Pierre Chevènement et de Christiane Taubira, il était deuxième et gagnaitle second tour, mais en politique les explications sont rarement techniques(même s’il a pu arriver que telle modification dans un système électoral ait jouéson rôle). En fait, les tenants de la gauche plurielle se divisaient en deuxcourants, ceux qui croyaient que le gouvernement s’était éloigné des aspira-tions populaires, n’avait pas fait une politique « assez à gauche », ceux quicroyaient qu’au contraire le gouvernement n’avait pas su saisir les sentimentsen profondeur d’une société française qui n’était plus celle de l’ancien temps etpour qui des problèmes comme celui de la sécurité étaient essentiels, d’un côtéles Verts, les communistes, la gauche socialiste, de l’autre le reste des socialistes.Face à une droite rassemblée par la victoire des présidentielles, la gauche

plurielle accablée par sa défaite n’en était que plus divisée. Les législativesallaient cependant apporter de nouvelles surprises : si dès le premier tour il étaitévident que ne se produirait pas un sursaut de la gauche (Le Monde titrait déjà :« Chirac vers la majorité absolue »), il n’était pas écrit que les extrêmes quiavaient joué de part et d’autre un rôle de premier plan au premier tour des prési-dentielles s’effondreraient. Qu’il s’agisse des trotskistes ou du Front national, ilsperdaient pour les premiers les deux tiers de leurs voix, pour le second environla moitié — contrairement à 1997, il n’allait jouer aucun rôle au second tour.Mais l’effondrement était le même pour les composantes de la gauche plurielleen dehors du Parti socialiste, le parti communiste, avec moins de 5 % des voix,ne faisait guère mieux que Robert Hue à la présidentielle (qui allait au surplusperdre son siège de député à Argenteuil), les Verts faisaient encore moins bien(et Dominique Voynet perdait aussi son siège), le Pôle républicain était réduità peu près à rien (aucun de ses députés, y compris Jean-Pierre Chevènement,ne conservait son siège, sauf Jacques Desallangre, maire de Tergnier, mais quis’était présenté comme divers gauche). Seul le PS résistait en évitant avec un peuplus de 25 % des voix la débâcle de 1993 (17,6 %), mais en laissant sur la routebeaucoup des ténors de la gauche plurielle. La défaite la plus emblématiqueétait celle deMartine Aubry dans le Nord. La très récente nouvellemouture de lasaga gaulliste, l’UMP (Union pour la majorité présidentielle, transformée aprèsla victoire en Union pour un mouvement populaire), pouvait ainsi emporter àelle seule la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale.Il n’était pas en soi étrange qu’au bout de cinq ans de pouvoir, la gauche

plurielle l’ait perdu. Pour des raisons diverses depuis l’origine de la République,

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peu de formules de gauche avaient même connu une aussi longue présence aupouvoir. Ce qui était le plus étonnant était l’ampleur de la défaite dont l’expli-cation dernière est assez simple. La gauche au pouvoir, comme toujours, cefurent les gauches au pouvoir. Malgré les efforts — à vrai dire intermittents —de son chef, la gauche plurielle n’a jamais réussi à véritablement faire passer cequi la réunissait devant ce qui la divisait. Quand vinrent les élections présiden-tielles, ce n’était plus une gauche « plurielle » qui les affronta, mais une gauche« dispersée », non pas seulement au niveau des candidats, comme certains ontvoulu le croire ou le faire croire, mais une « gauche dispersée » au niveau desélecteurs et de leurs attentes.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BECKER Jean-Jacques (avec la collaboration de Pascal ORY) (2002),Crises et alternances (1974-2000), Seuil, coll. « Nouvelle histoirede la France contemporaine », Paris.

DUHAMEL Olivier etMÉCHET Philippe (1997 à 2002), SOFRES L’étatde l’opinion, Seuil, Paris

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RÉMOND René, avec la collaboration de Jean-François SIRINELLI(2003), Le Siècle dernier (1918-2002), Fayard, Paris.

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