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LA GAUCHE SOUS LA RÉVOLUTION : NAISSANCE D'UNE NOTION Michel Vovelle in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar , Histoire des gauches en France La Découverte | Poche/Sciences humaines et sociales 2005 pages 50 à 60 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/histoire-des-gauches-en-france---page-50.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Vovelle Michel, « La gauche sous la Révolution : naissance d'une notion », in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar , La Découverte « Poche/Sciences humaines et sociales », 2005 p. 50-60. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Strasbourg - - 130.79.168.107 - 24/05/2013 10h41. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Strasbourg - - 130.79.168.107 - 24/05/2013 10h41. © La Découverte

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LA GAUCHE SOUS LA RÉVOLUTION : NAISSANCE D'UNE NOTION Michel Vovelle

in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar , Histoire des gauches en France La Découverte | Poche/Sciences humaines et sociales 2005pages 50 à 60

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/histoire-des-gauches-en-france---page-50.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Vovelle Michel, « La gauche sous la Révolution : naissance d'une notion », in Jean-Jacques Becker et Gilles Candar ,

La Découverte « Poche/Sciences humaines et sociales », 2005 p. 50-60.

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La gauche sous la Révolution :naissance d’une notion

MICHEL VOVEL L E

RENDANT COMP T E D E L A S É ANC E del’Assemblée constituante du

vendredi 28 août 1789, où s’est engagé à propos du droit de veto le débatcrucial sur les pouvoirs de l’exécutif monarchique, Buchez et Roux dans leurHistoire parlementaire de la Révolution française [Buchez et Roux, 1833-1838,t. 2, p. 349-350], commentent : « Ce fut à la suite de cette séance que l’Assem-blée se sépara définitivement en côté gauche et côté droit. Tous les partisansdu veto allèrent s’asseoir à droite du président ; tous les antagonistes se grou-pèrent dans la partie opposée. Cette séparation rendait plus facile le calcul desvoix dans le vote par assis et levé, qui avait été conservé. Depuis longtempsdéjà et dès avant la réunion des ordres, l’extrême gauche et l’extrême droiteétaient devenues le point de réunion des députés les plus ardents dans lesopinions alors opposées. Chaque groupe avait été en augmentant en nombre,au fur et à mesure que les discussions devenaient plus irritantes […]. Mais lamajorité des représentants ne se classa complètement dans l’une des deuxdivisions qu’après la séance dont nous venons de parler. »Il n’y a pas lieu de contester cette relation postérieure (1833) nourrie des

documents et témoignages de l’époque révolutionnaire, même si l’on ydétecte deux emplois du terme « gauche » : notion déjà banalisée dans lespremières années de la monarchie de Juillet, d’où la référence à une « extrêmegauche » avant même les États généraux. Ce faisant, les deux analystesouvrent la voie à plusieurs approches de la notion de gauche sous la Révolu-tion. Ils l’associent, à bon droit, à la pratique d’assemblée parlementaire quis’instaure, dès les premiers mois, inscrivant dans la topographie même de lasalle des séances le clivage des tendances opposées. Le point n’est pas futilepuisque la distinction droite/gauche est demeurée, avec des contenusévolutifs, la clef du paysage politique de la France moderne.

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DROITE ET GAUCHE DANS LES ASSEMBLÉESDE LA RÉVOLUTION

Mais avec eux, on peut nuancer en remontant en amont, et aussi en pros-pectant en aval dans les années suivantes. Dès 1788, dans le contexte de lapréparation des cahiers de doléances pour les États généraux, les partisans del’opinion naissante en faveur des réformes avaient été désignés comme« nationaux », membres du « parti national » ou, sur l’exemple notammentdes Pays-Bas, comme « patriotes », en opposition avec les « aristocrates »également dits les « noirs ». Dichotomie simple, à la fois durable et éphémèredu fait des reclassements qui s’opèreront très vite. Mais on sait que le principede spatialisation n’a pas prévalu immédiatement : il comporte des exceptionsdont la plus notable sous la Convention regroupe les députés d’idées les plusavancées non seulement à gauche de la salle des séances, mais sur les bancsles plus élevés de la « Montagne », laissant la droite aux girondins, commeaussi les travées inférieures du Marais ou de la Plaine aux modérés ou indécisdu Centre. Le clivage gauche/droite s’impose cependant dans les assembléesdu Directoire, même si l’on constate que, des thermidoriens aux directo-riaux, une tripartition subsiste. Les continuateurs de la Plaine ou du Maraissont flanqués, à leur droite, des royalistes, à leur gauche des néojacobins. Cepremier parcours, en raccourci, de l’invention du clivage gauche/droite, dansla pratique d’assemblées instaurée par la Révolution française, invite à pousserplus loin l’enquête sur la structuration de l’opinion publique, trait majeur del’invention de la politique moderne dont on crédite la Révolution française.Qu’est-ce donc que cette gauche que l’on peut ainsi voir invoquer avant la

lettre, dès la période prérévolutionnaire, puis s’affirmer non seulement àl’Assemblée mais dans la vie politique nationale ? Elle demande à être définieà la fois par la ligne politique qu’elle préconise et par les structures organisa-tionnelles qu’elle se donne. Sur les deux points, la réponse ne va pas de soi.Présenter la gauche — il deviendra classique de le faire à partir de la Restaura-tion et de la monarchie de Juillet — comme l’expression des forces du« mouvement » contre celles de la « résistance » peut sembler répondre à uneévidence, mais cette manière de faire doit se confronter à la rapide remise encause des buts et des objectifs qu’impose la marche des événements. Être àgauche en 1788 au temps de la campagne des États généraux, c’était êtrepartisan des réformes et adversaire de l’arbitraire royal — une plate-forme surlaquelle les « patriotes » pouvaient rassembler un assez large consensus dansles élites bourgeoises, voire dans les rangs de la noblesse libérale et du clergé(surtout du bas clergé) éclairé. Mais l’événement révolutionnaire proprementdit, celui de l’été 1789, sous ses différentes expressions, parlementaire auxÉtats généraux devenus Assemblée nationale constituante, populaire après laprise de la Bastille et la révolution municipale, ainsi qu’avec l’entrée en scène

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des masses paysannes, a changé radicalement la donne : être de gauche passealors par l’adhésion au nouveau régime et la reconnaissance de la nouvellelégitimité. La dynamique s’instaure des rejets successifs qui, aux « aristo-crates » défenseurs sans concessions du pouvoir monarchique, va associerdans la droite en formation les « monarchiens » souvent nobles momentané-ment ralliés aux premiers stades du changement. L’initiative revient aux« constitutionnels », soit à un centre qui tente de poser les fondements d’unemonarchie constitutionnelle, en dépit du mauvais vouloir du souverain et dela pression de la contre-Révolution. À ceux qui tentent de « terminer » laRévolution s’opposent déjà quelques défenseurs d’un programme démocra-tique contre l’exécutif royal, le scrutin censitaire, et pour le soutien dumouve-ment populaire : Robespierre, Pétion, Grégoire sont les représentants encoreisolés de cette extrême gauche d’assemblée.La crise du printemps et de l’été 1791, au lendemain de la fuite manquée

du roi à Varennes, a provoqué un nouveau reclassement lorsque des leadersdu parti constitutionnel un temps apôtres du mouvement — ainsi les« triumvirs » (Duport, Lameth et Barnave) ou La Fayette et Bailly — sontpassés dans le camp de la résistance par crainte de la pression populaire et deses revendications égalitaires comme de la flambée de républicanisme animéepar Brissot ou Condorcet. La naissance du Parti feuillant qui va prendre à lanouvelle Assemblée législative, de septembre 1791 à septembre 1792, le relaisdes droites exclues du jeu, « positionne » à gauche, comme on dit, leurs adver-saires, les brissotins (du nom d’un de leurs leaders Brissot), souvent désignésalors comme jacobins du fait de l’appui qu’ils trouvent dans le club parisien etses filiales. Mais brissotins et jacobins ne se confondent pas complètement, ils’en faut, et nous aurons à revenir sur ce point.Affrontant les tensions croissantes de la situation intérieure et extérieure

qu’elle a contribué à aggraver par son engagement dans la guerre au prin-temps 1792, cette « gauche », tantôt dans l’opposition au roi et un temps priseau piège d’un gouvernement jacobin, s’est pour une bonne part discréditéeaux yeux du mouvement populaire qui s’affirme dans la mise à bas de lamonarchie au 10 août 1792. Pas au point cependant de perdre toute crédibi-lité lorsque, dans la République proclamée le 21 septembre 1792, le pouvoirrevient à une Convention, où les brissotins rebaptisés girondins vont se subs-tituer aux feuillants pour assumer le rôle d’un parti modéré, un temps majori-taire, luttant contre la dynamique impulsée par la Communeinsurrectionnelle de Paris et contre les montagnards qui incarnent la poli-tique d’alliance avec le mouvement populaire.De droite, les girondins ? On prend conscience ici de la part d’anachro-

nisme qu’il y a à transposer ces catégories contemporaines à la période révolu-tionnaire. Républicains, démocrates, « libéraux » comme on le sera plus tard,les girondins ont rallié l’estime d’une large partie de l’historiographie progres-siste du XIXe siècle et au-delà. Mais c’est que le critère discriminant de la droite

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et de la gauche s’est déplacé depuis 1789 et même 1792, et pas simplement dufait de l’élimination du roi, qui établit néanmoins la nouvelle frontière entrepartisans et adversaires de la République. C’est sur le problème de fond d’uneligne politique récusant ou adoptant, pour assurer la défense de la Révolution,l’alliance avec les groupes populaires de la sans-culotterie, quitte à répondreà leurs aspirations égalitaires, que s’opère en 1793 la fracture entre Girondeet Montagne, puis l’hégémonie de cette dernière en l’an II. Hégémonie audemeurant contestée, reposant sur un fragile équilibre, où une gauche extra-parlementaire, relayée par le mouvement sectionnaire et le Club des Corde-liers a pu, jusqu’au printemps 1794, se poser en porte-parole des aspirationsdémocratiques et sociales avancées par la voix des hébertistes ou des enragés.Nous ne reviendrons pas sur la tripartition déjà évoquée de la période ther-

midorienne puis directoriale, faute du loisir d’opérer les distinctions légitimesà l’intérieur même du mouvement néojacobin tel qu’il se constitue à partirdes apports des ex-robespierristes, hébertistes ou indulgents, et de la compo-sante babouviste dont l’impact limité ne doit pas faire sous-estimer l’impor-tance comme première expérience d’une gauche conspiratrice, qui ne sera pasoubliée. Mais la séquence directoriale nous confronte à une interrogation plusgénérale sur la genèse des partis politiques, au sens moderne, sous la Révolu-tion. Nous ne saurions en effet esquiver, à l’issue de cet aperçu cursif des aven-tures de la gauche en révolution, l’objection attendue : cette gauche n’est-ellepoint une projection rétrospective d’un concept élaboré ultérieurement parl’historiographie et les constructions idéologiques, du siècle suivant à nosjours, appliquant à la marche de la Révolution une finalité positive, la contre-partie de la lecture contre-révolutionnaire traditionnelle de l’escalade de laviolence et du délire de la subversion ?

PEUT-ON PARLER DE PARTIS MODERNES ?

Il importe de reprendre au point de départ, pour retrouver les modalités etles étapes d’une genèse de parti(s) moderne(s). Et l’on se doit de souligner quepour les Français de 1789, le concept même de « parti » est haïssable, ou dumoins emporte une connotation nettement péjorative. Parti évoque unrassemblement suspect autour d’un homme (le duc d’Orléans ?) ou d’ungroupe (le parti de la Cour). De parti à faction, il n’y a qu’un pas, vite franchi.C’est que l’idéologie révolutionnaire, telle qu’elle s’affirme dès le serment duJeu de paume, comme dans le temps fort de la fête de la Fédération, réserveun rôle essentiel à l’unité. Celle-ci n’a pu se faire sous la conduite du roi, parla dérobade même du souverain. C’est contre lui quelle aspire à se constituer,autour de valeurs collectives : la nation, la patrie, la république. Exigencesd’autant plus fortes qu’elles s’affrontent à la réalité du conflit avec les forces

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de la contre-Révolution : et l’on ne s’étonne pas que l’an II voie l’apogée decette mystique unitaire.Sur le terrain — entendons : dans les pratiques de la vie politique qui

s’élaborent alors —, l’idée d’un pluralisme arbitré par la majorité peine às’imposer, le rêve de l’unanimité l’emporte. Dans les Assemblées, cette fictiona encore trouvé à s’exprimer le 7 juillet 1792, à la veille de la chute de lamonarchie, dans l’épisode du « baiser Lamourette », accolade de réconcilia-tion fraternelle que l’évêque constitutionnel de Lyon, porteur de ce nomprédestiné, parvint à susciter chez les députés de la Législative, droite etgauche confondues. L’effet de surprise passé, la marche de la Révolution futmoins œcuménique.C’est que la politique d’assemblée reflète et conditionne tout à la fois

l’immense travail de politisation qui s’opère dans le pays depuis les prémissesde la Révolution. Cet apprentissage de la politique, initié dès la rédaction descahiers des États généraux, stimulé par les écrits, les pamphlets, les journaux,assure le pouvoir renforcé de l’opinion dans l’espace public qui se structurealors, avec ses points de rencontre non seulement en ville — lieux publics (lePalais-Royal), cafés…—mais aussi à la campagne avec les rendez-vous obligésde la population rurale. Il existe une politique de la rue ou du village, qui ne seconfond pas avec la politique d’assemblée : le terme générique de « mouve-ment populaire », avec toutes les ambiguïtés qu’il recèle, désigne cette pres-sion collective sans laquelle la Révolution n’aurait pu se faire.Le mouvement populaire est-il de gauche ? La question faussement naïve

appelle plusieurs réponses successives. À un premier niveau, la mesure dudegré d’engagement et/ou de prise de conscience de la majorité de la popula-tion. Peut-on suivre la lecture vieillie mais classique de Richard Cobb, suivantlaquelle « la vie en marge » de la révolution politique aurait été le lot de lamajorité des Français ? Plus nuancés, d’autres insisteront sur le poids del’ignorance, de la difficulté de communication, favorisant la rumeur, voire lapanique, comme ce fut le cas en juillet 1789 lors de la Grande Peur. Franchis-sant encore une étape, on peut se demander ensuite, prenant acte que ni lespaysans ni les groupes populaires urbains (et singulièrement parisiens) nesont véritablement ignorants ou passifs, comme ils l’ont prouvé par leur inter-vention massive et décisive dès l’été 1789, quel est le sens de leur engage-ment ? Le bon serait-on tenté de répondre trop vite. Au risque de se voirobjecter, par des critiques récentes, le passéisme ou le corporatisme étroit desrevendications de la petite paysannerie ou de l’artisanat et de la boutique…Avec leurs revendications propres — l’éradication des vestiges de la féoda-

lité et du prélèvement seigneurial dans les campagnes, la lutte pour les subsis-tances et la défense de l’économie morale populaire dans les villes —, paysanset groupes populaires urbains ont néanmoins apporté ou imposé leur contri-bution à la « révolution bourgeoise à soutien populaire » suivant la formuleclassique d’Albert Soboul. Mais ce ne fut pas sans mal : la découverte de la

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politique, au fil de ces dix ans, et singulièrement des premières années,présente ses aspects positifs, mais aussi son revers en termes de résistances oude refus.

LES JACOBINS : ÉBAUCHE OU MATRICE D’UN PARTI ?

Conquêtes : l’apprentissage politique s’est opéré conjointement parplusieurs voies ; les premiers pas d’une démocratie initialement limitée par lesystème censitaire qui régit les élections locales ou nationales, élargie ensuiteà partir de 1792 par l’intrusion des citoyens passifs dans les assemblées dessections, formant le noyau de la sans-culotterie parisienne, urbaine… etrurale. Avant même cette ouverture, la Révolution avait suscité dès sesprémisses les structures d’une sociabilité politique dans ses clubs, dont le Clubdes jacobins a donné l’exemple le plus illustre et démonstratif. À partir du« Club breton » qui réunissait des députés patriotes du Tiers au printemps1789, le Club des amis de la Constitution siégeant à Paris dans le couvent desjacobins a connu plusieurs étapes, du cercle fermé et élitiste de ses débuts, àson ouverture progressive, à laquelle la crise de Varennes et de ses lende-mains a fortement contribué, une fois surmontée la scission des modérés oufeuillants. De la Législative à la Convention traversant de nouveaux orages (lefédéralisme à l’été 1793), les jacobins ont affirmé leur rôle de conduite etd’examen de l’opinion, d’éducation politique à l’échelle du pays tout entier,où le réseau des sociétés populaires affiliées ou non est passé de 300 en 1790 àun millier en 1791 et à plus de 5 000 en l’an II.Devenus — ou instrumentalisés — comme relais de la politique du Comité

de salut public en l’an II, les jacobins et le réseau qu’ils coiffent ont accueillides centaines de milliers de militants. École du militantisme, mais aussi agentactif d’initiatives venues de la base, les jacobins présentent-ils l’ébauche d’unparti de gauche de type moderne ou, comme on l’a affirmé, la matrice d’unparti unique dont les régimes totalitaires du XXe siècle auraient recueilli l’héri-tage ? La désignation des jacobins et du jacobinisme comme agents par excel-lence d’une subversion organisée remonte à la Révolution même, alors quele discours contre-révolutionnaire sous la plume de l’abbé Barruel en 1795développait le thème du complot des francs-maçons et des philosophes dontils auraient été les héritiers. Ils sont présentés chez d’autres tantôt commeissus de la canaille et tantôt comme d’habiles manipulateurs des foules. Del’historiographie du XIXe siècle, dénonçant avec Michelet la « machine » oul’église jacobine, contrefaçon révolutionnaire des jésuites et de l’Inquisition,puis à la fin du siècle, à l’école de Taine, théorisant avec Augustin Cochinl’influence pernicieuse de la sociabilité démocratique des Lumières instru-mentalisée par le contrôle et la manipulation de l’opinion, un portrait chargédu jacobinisme a été élaboré. Il a été comme rajeuni dans l’historiographie de

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la seconde moitié du XXe siècle par les dénonciations des systèmes totalitaires(Jacob L. Talmon, The Origins of Totalitarian Democracy, 1952) et des « appa-reils de la dictature », parti unique et conditionnement de l’opinion. Le trans-fert rétroactif de cette analyse sur la période révolutionnaire aux origines del’« illusion démocratique » (François Furet) est-il justifié ?La multiplication des études sur les jacobins français et européens durant

les dernières décennies permet d’affiner un profil assez différent de cetteimage. On connaît mieux les jacobins « historiques » au fil d’une histoire decinq ans où ils n’ont exercé leur hégémonie que sur une courte période.À l’examen, la qualification de « machine » jacobine apparaît abusive tantdans l’espace que dans la durée : on apprécie certes la densité du réseau dessociétés populaires, mais la géographie des implantations accuse lescontrastes entre des zones très densément quadrillées (plus de trois quarts demunicipalités dans le Midi méditerranéen) et des aires presque désertes dansl’Ouest, et jusqu’à un certain point le Nord-Est, pour une moyenne nationalede 15 % des communes. Dans ce cadre spatial comment peut-on évaluerl’impact des jacobins sur l’apprentissage du pays à la politique ? La réponseest à trouver dans leur sociologie, leur stratégie, et leur idéologie. Que cetteminorité agissante se recrute (dans un échantillon de 150 sociétés analysé parJean Boutier et Philippe Boutry) pour près demoitié (45%) dans lesmilieux de« l’échoppe et la boutique », pour un quart chez les administrateurs, hommesde loi et professions libérales, mais pour 10 % seulement dans la paysannerie,reflète en l’uniformisant l’hégémonie des bourgeois ou des petits producteurset la surreprésentation des villes.Convient-il dès lors de récuser la définition de la politique jacobine avancée

au début du XXe siècle par Antonio Gramsci, comme « stratégie d’alliance desvilles et des campagnes » ? La formule invite du moins à ne pas sous-estimerl’existence d’un jacobinisme rural. Mais en même temps que les théoriciensdu mouvement révolutionnaire ont pu insister sur le pragmatisme de cettepédagogie de terrain, ils ont tenu, de Marx à Lénine, à mettre l’accent sur leradicalisme jacobin (la Révolution « jusqu’au bout » de Marx). Mais quelbout ?Les jacobins ne sont point les uniques porteurs de l’idée révolutionnaire

avancée : le Club des Cordeliers, fondé en 1790, a été d’entrée plus accueil-lant à un discours radical, alors porté par Danton ou Marat, et s’est posé enpoint de rencontre des sociétés populaires et fraternelles parisiennes. S’il n’apas disposé d’un réseau de filiales comparable à celui des jacobins, l’influencecordelière est sensible dans plus d’un site provincial. Réceptacle des revendi-cations populaires avancées à l’été 1791 comme en 1792 et encore enseptembre 1793 quand les délégations sectionnaires parisiennes ont imposéà la Convention montagnarde les mesures terroristes, le Club des Cordeliersa été réceptif au courant hébertiste, héritier lui-même du discours des enragéssur le droit à l’existence et la révolution des pauvres. Par référence à cette

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« extrême gauche » extraparlementaire, le discours jacobin, même s’il aévolué dans le temps, présente des constantes : démocratique, il se bat pour lesuffrage universel et pour la conquête des libertés — apportant toutefois aufil de la Révolution une restriction à la liberté d’entreprendre pour promou-voir un idéal égalitaire de petits producteurs, affirmant le droit premier àl’existence, sans pour cela aller jusqu’au partage agraire ou au collectivisme.Dans l’idéologie jacobine, les valeurs de solidarité débouchent sur un patrio-tisme progressivement affirmé au fil des événements, mais la pétition de prin-cipe qui l’emporte au rang desmots d’ordre est celle d’unité et d’indivisibilité :elle restera l’un des traits les plus caractéristiques de l’esprit jacobin, avec levolontarisme et l’énergie.Car au-delà du discours, le jacobinisme se définit également par un certain

nombre de pratiques nouvelles : l’apprentissage de la parole (« grande sociétéde parlage », selonMichelet) mais aussi organisation d’un bureau, de commis-sions, de réseaux de correspondance et de circulation des mots d’ordre, avecl’appui de la presse. Le complément ou le revers de cet apprentissage de lapolitique démocratique est l’accentuation du souci d’assurer la rectitude de laligne par des scrutins épuratoires à partir de 1791 (mais surtout en 1793-1794)où la publicité du vote ou de la prise de parole se fait volontiers inquisito-riale. L’hégémonie jacobine que l’on invoque ne serait-elle devenue finale-ment qu’un leurre, instrumentalisé par le gouvernement de Salut public ? Dumoins, le Club des jacobins n’est pas la « machine » monolithique que l’on adénoncée, et n’offre pas la matrice du parti totalitaire que l’on a voulu voir enlui.À l’articulation du pouvoir de l’État révolutionnaire, contrôlé par la bour-

geoisie montagnarde, et des aspirations populaires qui s’expriment dans lessections en termes de revendication d’une démocratie directe (la pique dusans-culotte est son « pouvoir exécutif »), les jacobins de l’an II jouent un rôlehistorique charnière, qui ne saurait toutefois autoriser à y voir l’ébauche d’unparti politique moderne.

LE TOURNANT DUDIRECTOIRE

Il convient néanmoins de souligner l’importance de la période directorialedans l’émergence de pratiques dont la gauche va faire son profit comme lesautres. La fin, après les journées de germinal et prairial an III, de l’interventiondirecte des masses révolutionnaires (mais aussi bien contre-révolutionnairesen vendémiaire de la même année) donne à la politique d’assemblées, régiepar la Constitution de l’an III, une importance croissante, même si elle reflèteles tensions profondes d’un pays partagé entre Révolution et contre-Révolu-tion. Le rendez-vous annuel des élections législatives provoque la matura-tion d’une affirmation des tendances : royalistes d’une part, jacobins (on dit

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aujourd’hui néojacobins) de l’autre, appuyés sur les cercles constitutionnels.C’est dans ce contexte tendu où les votations débouchent fréquemment surdes scissions et des arbitrages imposés que des néojacobins comme Antonelleou Félix Lepeletier commencent à théoriser l’idée de démocratie représenta-tive dont on expérimente durement les pratiques. De cette expérience, qui setraduit par un progrès de l’an V à l’an VII de l’implantation jacobine, lesacteurs ne recueilleront pas les fruits immédiats — Brumaire y a mis fin —,mais elle ne sera pas perdue pour les libéraux du siècle suivant. Le coup d’Étatde Bonaparte, en persécutant les jacobins, cadres sans troupes, et en rédui-sant à la clandestinité ceux qui ne tournent pas casaque pour se mettre à sonservice, a laissé un avenir à une extrême gauche conspiratrice, héritière ounon de Babeuf : on la retrouvera dans les complots sous l’Empire, puis dansla Charbonnerie. Qu’il s’agisse d’une gauche « autodéfinie », ou de ce quenous pouvons qualifier rétrospectivement de gauche, la Révolution françaiseapparaît comme unmoment fondateur, d’autant plus important que c’est parrapport à son héritage que l’on va pouvoir désormais pendant longtemps sedéfinir comme « de gauche » ou « de droite ».

UNE EMPREINTE DURABLE : FRANCE DE GAUCHEET FRANCE DE DROITE

Mais quelle est la profondeur de cette empreinte ? Le recours à la cartogra-phie historique, en esquissant une géographie de la gauche sous la Révolu-tion, apporte plus qu’une confirmation annexe : il permet de formuler desinterrogations essentielles. L’historienne américaine Lynn Hunt a eu lemérite, dans son essai Politics, Culture and Class in the French Revolution [Hunt,1984, p. 123-148] de tenter cette aventure. J’ai repris et discuté cette démarchedansmon travail sur la géopolitique de la Révolution française [Vovelle, 1993,p. 212-218].Lynn Hunt pose une question préalable : celle des indicateurs de l’attitude

politique, puisque ceux de la sociologie contemporaine (résultats des votesnationaux au suffrage universel) ne sauraient être invoqués. Exploitables pourla période directoriale, les données des scrutins aux élections législatives sontbeaucoup plus floues pour la période de la monarchie constitutionnelle(1789-1792) du fait des incertitudes qui pèsent encore sur l’opinion jaco-bine, feuillante, voire girondine et montagnarde. Et la république jacobine del’an II suspend les élections, à l’exception du plébiscite d’août 1793 pourl’acceptation de la Constitution. S’en remettre, comme je l’ai fait à la suite deLynn Hunt, à la ventilation des tendances à partir de la composition desassemblées, c’est admettre qu’il y a concordance au moins grossière entre labase (la classe politique locale) et le sommet (la députation). La justification

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a posteriori est fournie par la lisibilité et la suggestivité de cartes qui n’ont riend’aléatoire.La combinaison des données échelonnées de 1792 à 1798 organise la bipar-

tition France de droite-France de gauche, dans sa globalité comme à son pointd’aboutissement en 1798, de façon assez nette : une droite majoritaire dansla plupart des départements de la France septentrionale et dans la coulée dusillon rhodanien jusqu’à la Provence et au Languedoc, une gauche qui, à partla frontière du Nord, résiste essentiellement dans le Centre et un Sud-Ouestqui, en demi-fer à cheval, enserre l’ouest du plateau central pour s’épanouirdans l’Aquitaine intérieure. Cette configuration, qui s’affirme au fil desscrutins directoriaux, résulte d’une évolution sensible à partir de 1792, car si ladroite l’emportait déjà dans la France septentrionale, la gauche était majori-taire dans plus demoitié des départements. La droite contrôle désormais deuxtiers du territoire, la gauche semble-t-il a perdu le Nord…mais aussi une partiedu Sud où un Midi blanc se met en place.Sans épiloguer sur cette sanction du désenchantement d’une partie de la

France provinciale, nous sommes à même d’en interpréter la valeur parcomparaison à d’autres tests de référence cartographiés. Dans la synchroniede la décennie révolutionnaire, cette spatialisation, confrontée à la carte dessuccès et refus du serment constitutionnel imposé au clergé en 1791, comme àcelle de la déchristianisation de l’an II, suggère une réelle parenté. Voilà quiincite à valoriser l’importance du facteur religieux dans la césure qui s’opèredans les communautés pour ou contre la Révolution. Un des traits originauxde la culture politique française s’affirme déjà. Donne-t-il la clef unique duproblème ? Il s’en faut.D’autres éléments peuvent être pris en compte : si nous suivons (avec

réserves) les invitations de certains anthropologues, tels qu’Emmanuel Toddet Hervé Le Bras, les systèmes familiaux sont déterminants dans de nombreuxdomaines (mobilisations collectives, résistances et mauvais gré) et l’aire deprédominance de la famille élargie coïncide assez largement avec celle d’unjacobinisme enraciné dans le Centre et le Sud-Ouest. Cependant, évitons quel’engouement des anthropologues pour la famille n’occulte d’autres para-mètres tels que le poids du régime seigneurial, la ventilation de l’appropria-tion du sol, les systèmes d’exploitation (métayage) dans leur enracinementstructurel, comme dans les modifications qu’a pu leur apporter la périoderévolutionnaire. L’explication proposée, voici maintenant près d’un demisiècle par Paul Bois à partir de l’exemple de la Sarthe, de la fracture droite/gauche durablement instaurée dans cette partie du bocage de l’Ouest, estaujourd’hui contestée, sans avoir perdu sa valeur opératoire : pour l’auteur,une paysannerie avide de terres, mais « flouée » dans ses espérances par l’acca-parement des biens nationaux par la bourgeoisie urbaine profiteuse de laRévolution, en aurait conçu la rancœur qui l’a fait basculer dans le camp de lacontre-Révolution. C’est à l’interface de motivations économiques, sociales,

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culturelles et religieuses que l’on pourrait tenter de trouver des explications decette prise de position, d’autant plus remarquable qu’elle s’est révélée durable.Ne disons pas que tout est joué, il s’en faut. De grands remuements s’opére-

ront au fil du XIXe siècle, ainsi pour ne prendre qu’un exemple frappant, lebasculement du « Midi blanc », légitimiste jusqu’aux années 1840 en « Midirouge » à partir de 1848, tel que l’a évoqué Maurice Agulhon. Mais, dès1849-1851 et surtout à partir de 1875, quand le suffrage universel autorise unesociologie électorale de plus en plus fiable, les cartes des attitudes de la France(rurale mais aussi partiellement urbaine) ont longuement reconduit cecontraste de tempéraments droite/gauche, dont la réplique presque mimé-tique se retrouvait sur celles de la pratique religieuse. Jusques à quand ? Auxspécialistes de le dire dans les chapitres qui suivent. Mais il semble qu’à partirdes années 1960-1965 s’accentue la déstructuration du modèle, dans unesociété en profonde mutation.La sociologie électorale nous offre ainsi une illustration de l’impact de la

Révolution française aux origines de la gauche. Le débat est loin d’être clos :dans la lecture critique que j’ai proposée du travail de Lynn Hunt, j’ai avancéune contre-proposition impertinente peut-être. Entre la France de droite et laFrance de gauche, faire la place à une France du centre, telle qu’elle s’affirmeau lendemain de Thermidor et dans les scrutins directoriaux, ainsi dans lesplaines de grande culture du bassin parisien. Une « droite » thermidoriennequi ne saurait être confondue avec les sites du refus enraciné et de la contre-Révolution dans l’Ouest notamment : mais est-ce bien la droite ? Le test discri-minant, qui refait ici surface, reste l’acceptation ou le refus de la République etdu changement opéré dans la société et les institutions.Conclusion banale j’en conviens, mais elle introduit à l’appréciation d’un

héritage dont il convient de prendre la mesure.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BUCHEZ et ROUX (1833-1838),Histoire parlementaire de laRévolution française ou Journal des Assemblées nationales depuis1789 jusqu’en 1815, Paris, 40 vol.

HUNT Lynn (1984), Politics, Culture and Class in the FrenchRevolution, University of California Press, Berkeley, chapitre« The Political Geography of the Revolution ».

VOVELLEMichel (1993), LaDécouverte de la politique, géopolitiquede la Révolution française, chap. « France de gauche et France dedroite », La Découverte, Paris.

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