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otre centenaire 1910-2010 N L’Émancipation syndicale et pédagogique - 6/10/2010 I L e présent dossier revêt une importance particulière dans la suite des articles que notre revue - L'Émancipation syndicale et pédagogique - a choisi de consacrer au centenaire de L'École Émancipée dont elle est issue : il y a cent ans jour pour jour, était publié le numéro 1 de la revue du même nom. Un dossier important, mais pas un point d'orgue : d'autres éléments seront publiés dans nos prochains numéros. Et pas non plus un simple coup de chapeau : outre le fait qu'il résulte d'un travail entamé depuis un an, rythmé par différentes publications et un stage syndical national, il ne vise pas à une commémoration historique, bien que cette dimension ne soit pas absente : ce sont presque tous les historiens actuels du syndi- calisme révolutionnaire dans l'éducation qui ont écrit dans nos colonnes, pas forcément d'ailleurs pour développer des aspects glorieux de ce courant ou pour l'encenser de manière a-critique (un autre aspect qui nous distingue des hagiographes !). Cependant, tous en conviennent, ces réflexions et débats ne prennent tout leur sens que s'ils s'articulent avec une dimension militante, autrement dit ils doivent être reliés aux questions posées de manière très pratique, dans la lutte de classe concrète. À cet égard, nous ne cherchons pas à construire le mythe du courant pur et invariant depuis 1910 jusqu'à nos jours. l'articulation entre permanence des lignes directrices et évolution des revendications concrètes En revanche, trois éléments nous semblent centraux au vu de tous ces textes. Tout d'abord, l'articulation entre permanence des lignes directrices et évolution des revendications concrètes du syndicaliste révolutionnaire dans l'éducation… dont la revue L'École Émancipée resta longtemps le vecteur principal dans la FEN en lien étroit avec la tendance du même nom. Aujourd'hui, les syndicalistes révolutionnaires se retrouvent dans un large éventail d'organisations : ÉMANCIPATION, SUD, CNT, UDAS… Prenons le cas de la laïcité, un des piliers idéologiques mais aussi militants d'École Émancipée (notamment par l'appartenance aux mouvements laïques sous toutes leurs formes : œuvres post-scolaires, colonies de vacances, mouvement libre- penseur…). Les positions des syndicalistes révolutionnaires ont pu varier sur la question du monopole public de l'enseignement, ce que nous nommons la "nationalisation laïque" de l'enseignement privé. Combattue à l'origine par la Fédération Unitaire de l'Enseignement, elle est devenue par la suite et jusqu'à nos jours un axe central en matière de laïcité. Mais, en tout état de cause, la défense de la laïcité (donc les lois de 1881 sur l’école et celle 1905) ainsi que des écoles normales (cf. article de Jean Mourot et Jean-François Chalot), est une constante quelles que soient les critiques - justifiées - formulées à l'égard de l'école "réellement existante". Et ce à l'inverse des diverses fantaisies autour de la laïcité "ouverte", "positive", "plurielle", etc. qui marquent un recul d'organisations laïques face aux forces cléricales (anciennes ou nouvelles) et à l'illusion du relativisme culturel. Autre exemple, la question de la hiérarchie. Encore un aspect central : les premières sections de "L'Émancipation" n'ont- elles pas été constituées avant tout pour organiser les instituteurs et institutrices "adjointEs" face aux directeurs pourvus d'une Au sommaire Édito p. I Le socle des revendications p. III Manifeste des Amis de l'École Émancipée (1954) p. VI L’après 68 : Une démocratie syndicale qui a permis de gérer des débats politiques extrêmement tendus p. VIII L'École Émancipée après 1945 : l'exemple du Var p. XI Florentin Honoré Alziary ou le refus de parvenir p. XV Fred Rospars, Un parcours syndical et politique au milieu du XX ème siècle p. XVII 1968 : un bilan à approfondir p. XVIII L'École Émancipée et la défense des Écoles normales p. XX Georges Fontenis et L'École Émancipée p. XXIII De L’École Émancipée à L’Émancipation Cent ans d'histoire sociale, syndicale et pédagogique

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otre centenaire 1910-2010N

L’Émancipation syndicale et pédagogique - 6/10/2010 I

Le présent dossier revêt une importance particulière dans la suitedes articles que notre revue - L'Émancipation syndicale

et pédagogique - a choisi de consacrer au centenaire deL'École Émancipée dont elle est issue : il y a cent ans jour pourjour, était publié le numéro 1 de la revue du même nom. Undossier important, mais pas un point d'orgue : d'autres élémentsseront publiés dans nos prochains numéros.

Et pas non plus un simple coup de chapeau : outre le fait qu'ilrésulte d'un travail entamé depuis un an, rythmé par différentespublications et un stage syndical national, il ne vise pas à unecommémoration historique, bien que cette dimension ne soit pasabsente : ce sont presque tous les historiens actuels du syndi-calisme révolutionnaire dans l'éducation qui ont écrit dans noscolonnes, pas forcément d'ailleurs pour développer des aspectsglorieux de ce courant ou pour l'encenser de manière a-critique(un autre aspect qui nous distingue des hagiographes !).Cependant, tous en conviennent, ces réflexions et débats neprennent tout leur sens que s'ils s'articulent avec une dimensionmilitante, autrement dit ils doivent être reliés aux questionsposées de manière très pratique, dans la lutte de classeconcrète. À cet égard, nous ne cherchons pas à construire le mythedu courant pur et invariant depuis 1910 jusqu'à nos jours.

l'articulation entre permanence des lignes directriceset évolution des revendications concrètes

En revanche, trois éléments nous semblent centraux au vu detous ces textes. Tout d'abord, l'articulation entre permanencedes lignes directrices et évolution des revendications concrètes

du syndicaliste révolutionnaire dans l'éducation… dont larevue L'École Émancipée resta longtemps le vecteur principaldans la FEN en lien étroit avec la tendance du même nom.Aujourd'hui, les syndicalistes révolutionnaires se retrouventdans un large éventail d'organisations : ÉMANCIPATION,SUD, CNT, UDAS…Prenons le cas de la laïcité, un des piliers idéologiques maisaussi militants d'École Émancipée (notamment par l'appartenanceaux mouvements laïques sous toutes leurs formes : œuvrespost-scolaires, colonies de vacances, mouvement libre-penseur…). Les positions des syndicalistes révolutionnaires ontpu varier sur la question du monopole public de l'enseignement,ce que nous nommons la "nationalisation laïque" de l'enseignementprivé. Combattue à l'origine par la Fédération Unitaire del'Enseignement, elle est devenue par la suite et jusqu'à nosjours un axe central en matière de laïcité. Mais, en tout état decause, la défense de la laïcité (donc les lois de 1881 sur l’écoleet celle 1905) ainsi que des écoles normales (cf. article de Jean

Mourot et Jean-François Chalot), est une constante quellesque soient les critiques - justifiées - formulées à l'égard del'école "réellement existante". Et ce à l'inverse des diversesfantaisies autour de la laïcité "ouverte", "positive", "plurielle",etc. qui marquent un recul d'organisations laïques face aux forcescléricales (anciennes ou nouvelles) et à l'illusion du relativismeculturel.Autre exemple, la question de la hiérarchie. Encore un aspectcentral : les premières sections de "L'Émancipation" n'ont-elles pas été constituées avant tout pour organiser les instituteurset institutrices "adjointEs" face aux directeurs pourvus d'une

Au sommaire

Édito p. I

Le socle des revendications p. III

Manifeste des Amis de l'École Émancipée (1954) p. VI

L’après 68 : Une démocratie syndicale qui a permis de gérer des débats politiques extrêmement tendus p. VIII

L'École Émancipée après 1945 : l'exemple du Var p. XI

Florentin Honoré Alziary ou le refus de parvenir p. XV

Fred Rospars, Un parcours syndical et politiqueau milieu du XXème siècle p. XVII

1968 : un bilan à approfondir p. XVIII

L'École Émancipée et la défense des Écoles normales p. XX

Georges Fontenis et L'École Émancipée p. XXIII

De LL’’ÉÉccoollee ÉÉmmaanncciippééee à LL’’ÉÉmmaanncciippaattiioonn

Cent ans d'histoiresociale, syndicale et pédagogique

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autorité hiérarchique ? Là encore, les revendications concrètesne sont pas les mêmes suivant les époques : mettre fin à la directiond'école comme échelon hiérarchique contrôlant y compris lavie privée (début 20e siècle), "traitement unique" (années1920), refus d'inspection (années 1970)… mais le fil directeurdemeure : le refus des hiérarchies administratives et corporatives(que le Manifeste des Amis de L'École Émancipée de 1954expose de manière systématique). Avec son corollaire : la luttecontre la répression administrative (comme le signale Loïc Le Bars

en conclusion de son article). D'ailleurs certaines de ces revendi-cations continuent de figurer dans notre corpus revendicatif :les augmentations uniformes (conçues comme étape vers letraitement unique). De même, la lutte contre la mise en placedes "EPEP" renommés "E2P" s'inscrit dans cette lignée.

cette continuité des thématiques s'explique par lapersistance de l'inspiration syndicaliste révolutionnaire

Comme l'avait mis en évidence Loïc le Bars, la "culture"syndicaliste révolutionnaire, avec des variations idéologiques,imprègne les militantEs liéEs à L'École Émancipée, y comprisquand ils/elles adhèrent au PCF dans l'entre-deux-guerres.Cette inspiration sous-tend aussi, au moins en "creux", unprojet de société.Deuxième élément central : le syndicalisme révolutionnairedans l'éducation n'est pas coupé du monde, de la société eten particulier du mouvement ouvrier de son époque, mêmequand il est marginalisé. Les grandes mutations du mouvementouvrier constituent autant de jalons pour l'histoire de l'EE.Ainsi la fédération enseignante de la CGT laisse la place dansles années 1920 à la Fédération Unitaire de l'Enseignement de laCGTU (opposante à la direction stalinienne) face à la fédérationréformiste et majoritaire de la CGT. Autre tournant, la réuni-fication syndicale provisoire lors du Front Populaire : ce processusdans l'enseignement voit l'apparition de la tendance des "Amis

de L'École Émancipée", structurée autour de la revue éponyme.Revue qui renaît en 1945 à la Libération après son interdictionsous Vichy (voir le témoignage de Georges Fontenis).L'aspiration à l'unification syndicale (avec droit de tendance)conduit l'EE à être, en 1946, cofondatrice de la FEN par lamotion Bonissel-Valière. La montée des luttes des années1970 entraîne des transformations profondes de la tendance(ainsi que le détaille l'article de Clément Talleu) après unepremière scission importante dont Serge Goudard, Jean-

François Chalot et Jean Mourot nous donnent deséléments d'analyse.Les années 1990-2000 représentent un nouveau tournant :scission de la FEN, intégration renforcée du syndicalisme dansl'appareil d'État sous la forme du "dialogue social" et autres"réforme de l'État" à tous les niveaux y compris européen (la CES)et international (la CSI)… La tendance École Émancipée le ressent,puisqu'elle scissionne ! Avec le recul il apparaît que dans unsyndicalisme accentuant ses tendances bureaucratiques etmarqué par un renforcement du poids de l'appareil, l'équipede direction de l'actuelle EE/FSU choisit de s'intégrer dansl'appareil de la FSU, jugé par certainEs "nouveau et combatif".Les ennemis de tout appareil devenant eux-mêmes un appareil,les jeux sont faits… Une anecdote donnera la mesure de l'involution d'un syndicalisme ne pouvant se concevoir sanspermanentEs et sans déchargéEs syndicaux de toutes sortes :jusqu'en 1954, les dirigeantEs du SNI, qui regroupait pasmoins de 130 000 membres, maintiennent que "Nul nepourra exercer de fonction de permanence pendant plus de troismandats consécutifs" (6 ans donc). Pour revenir aux dernièresannées, nous sommes dans une période où le droit de

tendance, s'il ne recouvre pas une co-gestion des structuressyndicales au plus haut niveau, est en rétraction. Quelque partle stalinisme et les courants bureaucratiques remportent unevictoire provisoire.Dernier élément, et pas le moindre : l'histoire du syndi-calisme révolutionnaire dans l'enseignement est avant tout,avant même un discours idéologique, l'histoire de groupesmilitants. Et de groupes de taille modeste : il est frappantqu'une tradition idéologique séculaire repose finalement surun nombre très réduit de militantEs à certaines époques. Cescollectifs militants, leur vie est aussi liée aux transformationssociologiques et du monde éducatif, et pas seulement auxgrandes scissions ou regroupements du mouvement ouvrier àl'échelon national. Elle est articulée à un investissement dansle mouvement ouvrier, mais aussi dans le mouvement pédagogique : colonies de vacances et défense du camp laïque,pédagogie coopérative (notamment l'ICEM). Il est logiqueque les animateurs et animatrices des GD (groupes départementaux) soient souvent considéréEs comme defortes personnalités. Dans leurs textes respectifs, les camaradesdu GD 83, Paul Dagorn dans le Finistère et Jean Michel

Bavard pour l'Oise en donnent un aperçu, l'Oise et le GD 83soulignant également la place des femmes dans ce militantismede terrain.Car l'histoire de ces groupes départementaux met aussi en évidencele rôle moteur des femmes dans l'histoire du syndicalismeenseignant, rôle traité à la marge - voire occulté - par toute lagénération d'historiens hommes de l'histoire du mouvementouvrier - qui partageaient la mentalité patriarcale dusyndicalisme de leur temps où les hommes monopolisaientles places de leaders. De ce point de vue, les institutrices despremiers syndicats "d'institutrices et d'instituteurs" ont été lespionnières du combat féministe, luttant dès le début pourl'égalité des salaires hommes/femmes, qu'elles ont fini parobtenir (voir l'article de Loïc Le Bars). Nous avons cherché àréparer cette inégalité de traitement choquante en introduisantsystématiquement un article sur les militantes, les groupesfemmes et la revendication féministe dans les articles que laRevue a consacrés à la construction de L'École Émancipée de1910 à 1945.

une tradition idéologique ne vaut, quand elle seréclame d'une perspective révolutionnaire, que par lesfaits et les actes

C'est sans doute au final le plus important. Faits et actes qui enl'espèce nécessitent des positions de classe face aux tenants dupouvoir capitaliste, mais aussi face aux appareils bureaucratisés.Ce qui nous renvoie à la question de l'indépendance de classe.Depuis quelques années, d'aucuns ont abandonné dans lesfaits cette tradition pour des pratiques peu glorieuses, pourdes motifs extérieurs aux nécessités du syndicalisme et desperspectives (illusoires) de pouvoir dans la hiérarchiesyndicale. Quant à nous, notre pari est de conserver la boussole dela lutte des classes et de l'indépendance syndicale.Travail collectif et continuité dans la perspective militanteillustrés par les signataires de cet édito qui, au sein des "équipesrevue", ont contribué - ou contribuent actuellement - à la parution de chaque numéro en assurant le secrétariat de larédaction de L'École Émancipée puis de L'Émancipation desvingt dernières années.

Jean Mourot, Catherine Dumont,

Quentin Dauphiné, Nicole Desautels �

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Le socle des revendicationsNous reproduisons ici, avec leur aimable autorisation, les interventions de Loïc Le Bars et

Clément Talleu à l'occasion du stage national d'Émancipation de mai 2010 : "100 ans

de syndicalisme révolutionnaire dans l'éducation : Histoires - actualités - perspectives".

L'intervention de Loïc le Bars portait sur le socle et les thèmes revendicatifs du syndicalisme

révolutionnaire, jusqu'à la réunification syndicale de 1936.

L'action revendicative de la FUE (1) entre 1919 et1935 reprend et approfondit les thèmes que la

FNSI (2) avait développés au début du 20ème siècle.

La fidélité aux principes fonda-teursdu syndicalisme révolutionnaire

On y retrouve le même attachement, la même fidélité àquelques grands principes qui caractérisent le syndica-lisme révolutionnaire dans l'enseignement dès sonapparition :

- le syndicat n'est pas seulement un organe de"défense des intérêts matériels et moraux" de la classeouvrière ou d'une autre catégorie de salariés. Car c'estlui qui impulsera la grève générale prélude à la transfor-mation révolutionnaire de la société. C'est encore à partir de lui que se constituera la société en marche versle socialisme : "Les syndicats doivent se préparer à constituerles cadres des futures organisations autonomes auxquellesl'État devra remettre le soin d'assurer sous son contrôle etsous leur contrôle les services progressivement socialisés"(Manifeste des instituteurs syndicalistes, 1905). Lesrevendications défendues par le syndicat doivent doncanticiper, annoncer la future société socialiste : "Nosrevendications sont un flambeau vers lequel les autres lèventleurs regards", a pu ainsi affirmé Maurice Dommangeten rappelant que les "pionniers du syndicalisme enseignant"ne s'intéressaient aux traitements qu'en vue de la bataillesociale ou pour des objectifs sociaux plus précisément égalitaires"(lettre à Max Ferré, auteur d'une thèse sur Le syndicalisme

révolutionnaire dans l'enseignement primaire, des

origines à 1921, 1954). - dans un milieu aussi "petit-bourgeois" que celui

des enseignants du primaire, seule une petite avant-garde, et quelques très rares professeurs du secondaire et dusupérieur, peuvent partager cette conception du syndi-calisme. Cette conviction s'accompagne chez la plupartde ces instituteurs et institutrices syndicalistes révolu-tionnaires d'une certaine condescendance, pour ne pasdire plus, envers la "masse" incapable de se hisser à leurniveau de conscience. Le syndicalisme universitaire nepeut être que minoritaire, et il est condamné à ledemeurer encore longtemps.

- les premiers syndicats d'instituteurs sont issusdes "Émancipations", ces amicales qui avaient laparticularité d'avoir été créées par des adjoint-e-s pourlutter contre "la tyrannie" des directeurs et des directrices qui dirigeaient les amicales "généralistes". Les"Émancipations" regroupaient la fraction la plus jeune,la plus dynamique de la profession, celle surtout quiétait parvenue à la conscience politique à traversl'Affaire Dreyfus. C'est cette rupture de l'unité corporative

qui a préparé et permis la fondation de syndicats dès ledébut du siècle, contrairement à ce qui s'est passé dans laplupart des autres administrations où le syndicalisme nes'est imposé qu'après la Première Guerre mondiale.Dans l'enseignement primaire, les syndicats ont d'abordlutté pour l'indépendance des instituteurs, contre ladirection d'école, et pas seulement contre lesdirecteurs/directrices qui abusaient de leurs prérogatives,contre l'autoritarisme de l'administration et les"déplacements d'office" auxquels elle n'hésitait pas àrecourir contre les "fortes têtes", contre l'ingérence deshommes et des autorités politiques locales.

Les militants qui ont animé la FNSI puis la FUE ont toujoursélaboré leurs revendications avec la volonté de resterfidèles à ces principes fondateurs. Il en est ainsi particuliè-rement dans deux domaines : la lutte contre la directiond'école et le combat pour le "traitement unique".

Pour la suppressionde la direction d'école

Les instituteurs syndicalistes révolutionnaires ne se sontpas contentés de défendre leurs collègues victimes debrimades, de réclamer la disparition des "règlementsdictatoriaux" que certains directeurs imposaient parfois àleurs adjoints, et le respect de l'indépendance pédagogique.Ils voulaient combattre le mal à la racine et demandaientla suppression pure et simple de la direction d'écoleainsi que le transfert de ses attributions au conseil desmaîtres. En 1905, ils réussirent à faire voter par lecongrès des amicales un vœu qui reprenait et précisaitcette revendication : "Dans chaque école à plusieurs classes,un maître ou une maîtresse sera chaque année délégué(e)par ses collègues pour la besogne administrative. L'ancienrégime monarchique de la direction sera remplacé par leconseil des maîtres, régime de liberté, le seul propre aupersonnel enseignant d'une démocratie". Il s'agissait doncde substituer à la hiérarchie administrative, et pas seulementà l'échelon local, le "self-government", l'autogestionqui devait préfigurer ce qu'aurait dû être la sociétésocialiste qu'ils voulaient contribuer à bâtir.

L'adoption de ce vœu illustre aussi la complexitédes relations entre les syndicats et les amicales. À safondation, en juillet 1905, la FNSI ne compte que quelques centaines d'adhérents alors que les amicalesen regroupaient plus de 85 000, soit la grande majoritéde la profession. Ses effectifs ne progressèrent que trèsmodérément par la suite : en 1914, les 46 syndicats dela FNSI revendiquaient un petit millier de membresadhérents. Comment, dans ces conditions, les syndiquéspouvaient-ils agir sinon au sein même des amicales ?Beaucoup d'entre eux se firent donc élire délégués lamême année au congrès amicaliste au cours duquel ils

(1) FUE :FédérationUnitaire del'Enseignement,affiliée à laCGT-U.

(2) FNSI :FédérationNationale desSyndicatsd'Instituteurset Institutricespublics deFrance et desColonies, ancêtre de laFUE…

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se réunirent en "fraction" pour élaborer le vœu qui futfinalement adopté sans réelle opposition. Par la suite, sila Fédération des amicales demanda effectivement lacréation des conseils des maîtres, elle se garda bien enrevanche de préconiser la suppression de la directiond'école ! Cette exigence ne fut formulée que par la FNSI.

Les instituteurs syndicalistes n'encontinuèrent pas moins à restermembres des amicales et à yintervenir, et cela même dans lessyndicats, comme celui duMaine-et-Loire dirigé par Louiset Gabrielle Bouët, les plushostiles à l'amicalisme. Leurs AGavaient lieu le même jour quecelles des amicales de leursdépartements, et elles discutaientprincipalement des positions queles syndiqués allaient y défendre.Des syndicalistes connus commetels, étaient souvent élus dansles instances délibératives desamicales, mais beaucoup, privilé-giant leur militantisme syndical,refusaient de participer à leurdirection. D'autres, au contraire,estimaient qu'ils devaient en prioritése consacrer à leur intervention dans lemouvement amicaliste pour legagner le plus rapidement possibleau syndicalisme. C'est ainsiqu'Émile Glay et Louis Roussel,syndicalistes de la première heure, se retrouvèrent en 1909à la tête de la Fédération des amicales. Leur désignation provoqua d'ailleurs de sérieux remous dans laFédération. Cette question ressurgit avec une touteautre ampleur quand, en 1919, s'amorça la syndicalisationdes amicales et que se posa le problème de leur fusionavec les anciens syndicats.

La circulaire ministérielle du 15 janvier 1908 qui instituaitles conseils de maîtres ne répondait que très partiellementau vœu voté par le congrès des amicales trois ans aupa-ravant. D'abord, ils n'étaient pas obligatoires et surtoutles prérogatives des directeurs n'étaient nullement remisesen cause. La FNSI continua donc sa propagande contre ladirection d'école et préconisa la suppression de l'indemnitéaccordée à ceux qui exerçaient cette fonction.

Progrès et difficultés dela lutte anti-hiérarchique

La FUE reprit à son compte ce combat. Son premiercongrès décida que ses syndicats refuseraient les demandesd'adhésion émanant des directeurs déchargés de classe.Elle défendit elle aussi des revendications tendant à limiterle rôle de ces derniers. Elle demanda que l'inspectiondes instituteurs, qu'elle ne remettait pas en cause, sedéroulât hors de la présence des directeurs et que lesrapports qui en résultaient fussent transmis directementaux intéressés et non plus par leur intermédiaire.

Elle obtint satisfaction dans quelques départementscomme l'Ardèche, où son influence était prépondéranteparmi le personnel de l'enseignement primaire. Ailleurs,

quelques syndicats incitèrent leurs adhérents inspectés àrefuser la présence de leur directeur. Plusieurs d'entreeux furent sanctionnés ou menacés de l'être. Aussi, laFédération lança-t-elle en 1929 un mot d'ordre nationalde refus de l'inspection en présence du directeur. Maiselle dut y renoncer au bout de quelques mois : une

grande partie de ses adhérents,instituteurs dans une école àclasse unique ou à deux classes,n'étaient pas concernés par ceproblème, et les autres devaientagir individuellement, s'exposantainsi à la répression. De plus, leSNI (3) refusait toute perspectived'action commune. Il faut direaussi que les relations entre directeurs et adjoints s'étaientsensiblement améliorés depuis le début du siècle. Les menaces de sanction se multiplièrent. LaFédération fut donc contrainte de lever son mot d'ordre moins d'unan après son lancement.

Mais la suppression de la directioncontinua à figurer parmi ses reven-dications, de même que celle del'indemnité à laquelle elle donnaitdroit. Ce n'était pas d'ailleurs laseule que la Fédération voulaitvoir supprimer en application deson projet de "traitement unique"qui devint très rapidement son

principal cheval de bataille.

Le principe du traitement unique

En matière de rémunérations, les syndicats, avant 1912,soutenaient l'action des amicales en faveur de la "péréquation" du traitement des instituteurs avec ceux des contrôleurs des contributions indirectes et des inspecteurs des PTT. Il faut dire qu'à cette époque n'existait pas encore de grille unique pour l'ensemblede la fonction publique et que chaque catégorie defonctionnaires entendait "maintenir son rang" et doncne pas se laisser distancer dans ce domaine par celles quioccupaient une place jugée analogue dans la hiérarchieadministrative. La FNSI appuya également la campagnede protestation menée par la Fédération des amicales àl'annonce par le ministère de l'Instruction publique, enavril 1910, qu'il se voyait contraint, faute de crédits,d'interrompre les liquidations des retraites des instituteurspour une durée indéterminée. Cette mesure suscita untollé général dans la profession. La Fédération des amicales lança un appel à l'opinion publique et organisa degrandes réunions publiques, auxquelles les syndicalistesfurent bien souvent appelés à prendre la parole, pourprotester contre cette iniquité. Le ministère ne tarda pasà trouver les crédits nécessaires et les instituteurs purentde nouveau partir à la retraite.

Mais en 1913 la hausse des prix et la perte de pouvoird'achat qui en résulte, amènent le congrès de laFNSI à se préoccuper d'un peu plus près au problèmedes traitements. Les congressistes presque unanimes

(3) SNI :Syndicat

National desInstituteurs,

issu de la "syndicalisation"

des Amicalesau sein de la

CGT réformiste.Ancêtre du

SNI-PEGC…

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se prononcent pour l'égalité des traitements entreles instituteurs et les institutrices, égalité qui sera obtenueen 1919. Quelques-uns d'entre eux défendent aussi leprincipe du "traitement unique" pour tous les instituteurs,du début à la fin de leur carrière. Ils affirment qu' "onn'enseigne pas forcément mieux quand on est âgé", car"l'expérience peut s'enliser dans la routine". Ils font aussiremarquer que c'est quand on est jeune qu'on a le plus debesoins. Ils proposent donc que l'échelle des traitementssoit réduite à deux classes, une pour les stagiaires, l'autrepour tous les titulaires. Leur projet suscite de nombreusesoppositions, et le congrès se contente de le mettre àl'étude pour que tous les syndiqués puissent en discuter.

Le traitement uniquedevient une revendication

Ses promoteurs ont conscience que ce projet heurte deplein fouet bien des "préjugés" répandus dans la profession.Ils n'en font donc pas une revendication immédiatementréalisable ; ils le présentent comme un objectif quidétermine la nature des revendications et qui a le méritede préfigurer ce que sera la société égalitaire qu'ils appellentde leurs vœux. Les syndiqués se montrent de plus enplus sensibles à leurs arguments, et en 1917, la FNSIadopte le principe du traitement unique. Deux ans plustard, la FSMEL - appelée plus communément FUE - fait demême et affirme vouloir étendre son champ d'application àtoutes les catégories d'enseignants. Dès lors, le "TU" vadevenir la revendication emblématique du syndicalismerévolutionnaire dans l'enseignement. La Fédération, sessyndicats et ses "groupes de jeunes" entreprennent unetrès active propagande en sa faveur et se battent pourdes revendications qui, à l'exemple de l'exigence d'uneaugmentation ou d'une indemnité de vie chère uniformepour tous, peut permettre de s'en rapprocher. Maiscette orientation va se révéler difficile à mettre en œuvredans cette période d'après-guerre caractérisée par uneinflation qui ne cesse de réduire le pouvoir d'achat dessalariés. Cette situation exacerbe les conflits entre lesorganisations syndicales des différentes catégories defonctionnaires. C'est par exemple le cas du SNI quiconsacre beaucoup de temps et d'énergie à combattreles "prétentions de Fédération postale de la CGT".

La FSMEL continue, elle, à revendiquer en priorité lerelèvement de traitement des débutants. En 1925-1926, elle précise et complète son projet de "TU" : ils'agirait de prendre l'ensemble des masses salariales, laplupart des indemnités comprises, attribuées aux stagiaires et aux titulaires et de diviser chacune d'ellespar le nombre d'instituteurs concernés. Seules seraientmaintenues les indemnités liées à la situation familiale

ainsi que celle que la FUE voudrait voir attribuée auxtitulaires des "postes déshérités" (écoles de hameaux,régions particulièrement isolées et difficiles d'accès). Leprojet prévoit aussi une "péréquation interne" qui étendle principe du TU à toutes les catégories d'enseignants.Pour tenir compte des "préjugés", particulièrementtenaces, liés à la possession de diplômes ou de titresconsidérés comme plus prestigieux que d'autres et à ladurée des études nécessaires pour les obtenir, la FUE nedemande pas le même traitement pour toutes les catégories mais revendique l'instauration d'une échelleallant de un pour les instituteurs à trois pour les professeurs des facultés parisiennes.

Ce projet rencontre un certain écho parmi les instituteursruraux et plus encore parmi les jeunes, ces deux catégoriesayant d'ailleurs tendance à se confondre. À tel point quele SNI se voit obligé de le mettre à l'ordre du jourde plusieurs de ses congrès. L'un d'eux adopte mêmele principe du TU mais il ne l'intègre pas dans sonprogramme revendicatif pour ne pas entraver l'actioncommune avec les autres fédérations de fonctionnaires.La même chose se passe dans la Fédération autonomedes fonctionnaires (4).

Cependant la propagande de la FUE en faveur du TU etl'intérêt qu'elle suscite obligent le SNI à mieux prendreen compte les revendications des jeunes instituteurs, ce quiaboutira à un resserrement de l'échelle des traitements.De même, l'organisation confédérée reprend à soncompte la demande d'une indemnité spécifique pour les postes déshérités, que d'assez nombreux départements finiront par accorder.

Mais la FUE, de par sa faiblesse numérique et sonabsence d'implantation dans un bon quart des départementsmétropolitains, est obligée de se rallier bon gré mal gréaux actions décidées sans concertation par le SNI sur sesrevendications. C'est ce qui arrivera le 20 février1933quand ce syndicat lancera un mot d'ordre de grève, limitéeà une demi-heure, pour protester contre un décret-loifaisant passer la retraite des instituteurs de 55 à 60 ans, etsurtout le 12 février 1934 quand les enseignants du primaireparticipèrent en masse à la grève générale appelée par laCGT puis la CGTU en riposte aux émeutes du 6 février.

L'École Émancipée resta fidèle après la réunificationsyndicale de 1935/1936 à ces principes constitutifs dusyndicalisme révolutionnaire dans l'enseignement. Ellecontinua donc à privilégier les revendications qui, commeles augmentations uniformes pour tous, tendaient àréduire l'échelle des rémunérations, et à relayer cellesqui émanaient des catégories les plus défavorisées etsurtout les plus soumises à la précarité.

Loïc Le Bars �

(4) Fédérationautonome desfonctionnaires :affiliée ni à laCGT ni à laCGT-U, ellemilitait pourleur unité et leurréunification.

V

Les traitements des instituteurs et institutrices en 1905 (source INRP)

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L’Émancipation syndicale et pédagogique - 6/10/2010VI

Manifeste des Amis del'École Émancipée (1954)

Ce texte, comme il l'indique lui-même, vise à présenter de manière organisée et synthétique le

système revendicatif de l'ÉÉ au début des années 1950. Texte à certains égards fondateur, et dont les

thématiques montrent une grande continuité - mais aussi des évolutions - entre la FUE et la tendance

des années 1970.

Le texte suivant qui définit dans ses grandes lignes notrecourant syndicaliste, nous a souvent été demandé. Lesenseignants venus à l'action syndicale depuis la Libération

et peu informés des luttes d'avant-guerre se sont souventplaints à nous de mal connaître l'École émancipée, ce qui lacaractérise, ce qui l'oppose au courant réformiste et au courantstalinien. Une lecture suivie de notre revue permet dans unetrès large mesure de se faire une idée précise de ce que noussommes, de ce que nous voulons. Mais nos camarades souhaitent,pour les aider à voir clair, un exposé de nos principes. Ils lesouhaitent également pour les aider dans la propagande qu'ilsmènent autour d'eux. Ils le trouveront ci-après tel qu'il résulted'un travail collectif.

L'École Émancipée se réclame, dans le mouvement syndicaluniversitaire, de la tendance syndicaliste révolutionnaire. En cesens, elle soutient un certain nombre de principes concernantla nature et le rôle du syndicalisme en général.

A) Le syndicalisme révolutionnaire et la lutte des classes

1) Le syndicalisme révolutionnaire reconnaît l'existence del'exploitation du travail et la division de la société en classesantagonistes : les classes dominantes et les classes exploitées,d'où l'existence de la lutte des classes.

2) En cette lutte, le syndicaliste révolutionnaire prend le parti des exploités contre les exploiteurs d'une manièreinconditionnelle et permanente.

3) II dénonce les efforts des classes dominantes, s'appuyantsur le progrès technique, pour établir une hiérarchisation ausein des classes exploitées par une catégorisation qui devient uninstrument de division et de discorde favorable à la dominationde classe. D'où l'opposition irréductible du syndicalisme révolu-tionnaire à l'ouverture de l'éventail des salaires, à la créationfactice de fonctions et de titres, à la formation de pseudo-élites économiques, tous moyens qui aboutissent à atténuerl'opposition de classe à la bourgeoisie et à l'État qui l'incarne.

Dans tous les cas, le syndicaliste se situe aux côtés destravailleurs les plus exploités.

4) Le syndicaliste révolutionnaire œuvre au triomphe de larévolution sociale et du socialisme démocratique par la gestionouvrière des instruments de travail, de production et d'échange, ladisparition des classes, comme fin normale de la lutte des classes.

5) En ce sens, le syndicaliste révolutionnaire est solidaire destravailleurs du monde entier. Il pratique un internationalismeintransigeant : l'internationalisme prolétarien, qui se manifesteen particulier à l'égard des travailleurs des colonies métro-politaines contre la bourgeoisie de sa propre nation.

6) L'internationalisme prolétarien interdit au travailleur dese solidariser avec un État quelconque - y compris les États dits"socialistes".

7) II exige par conséquent de ses partisans une oppositionirréductible à la guerre et sa préparation, c'est-à-dire à l'armée,la police, le service militaire, la préparation militaire, etc. Il nefait aucune concession au chauvinisme sous quelque formequ'il se présente, y compris les formes réformistes et staliniennes.En cas de guerre interimpérialiste, le syndicaliste révolutionnaireprend le parti des classes ouvrières entraînées dans le conflit.

B) Nature et buts du syndicat

comme organisation de classe

1) Le syndicat est l'organisation naturelle qui, sur le planéconomique, rassemble les travailleurs d'une même profession,sans distinction d'origine, d'opinions politiques, philosophiquesou confessionnelles. Il est l'instrument de la lutte, de la défenseet de l'éducation des travailleurs, et il le reste sous tous les régimes,même après la révolution sous un régime transitoire.

2) En tant qu'organisation communautaire, le syndicat faitprédominer constamment l'intérêt commun de tous les syndiquéssur les intérêts de catégorie.

3) Le syndicat est indépendant. Il répudie tout lien avec lespartis politiques, l'État ou les Églises et d'une manière généraletout groupement extérieur. Cette règle n'exclut nullement lapossibilité d'accords circonstanciels avec d'autres organisationsnon syndicales en vue de lutter contre l'ennemi de classe commun.Ces accords - toujours révocables - sont déterminés surtout parla conjoncture historique, non par des principes d'action. Enrésumé, aucune pression étrangère ne peut être tolérée.

4) Le souci d'indépendance détermine quelques principesorganisationnels valables en toutes circonstances :

- interdiction du cumul des mandats politiques et syndicaux ;- homogénéité des organes exécutifs ;- renouvellement des responsables syndicaux après un certain

nombre de mandats consécutifs.

5) L'orientation syndicale est déterminée par des congrèsou des assemblées générales démocratiquement organisés et réguliers. La démocratie est assurée par une conception nettedes droits et des devoirs des syndiqués.

Parmi ces droits et ces devoirs, il en est qui sont stricts.Essentiellement : le droit de défendre son point de vue au seinde l'organisation, dans les réunions, les congrès et la presse, par laparole et par l'écrit, dans l'exercice d'une liberté statutairementet pratiquement assurée ; le devoir de participer aux assembléesgénérales ; celui de s'incliner, pour les décisions d'action,devant une majorité régulièrement dégagée dans les assisessyndicales.

C) Le syndicalisme révolutionnaire et l'administration

Sur le plan de la fonction publique, le syndicalisme révolutionnaireétablit une discrimination nécessaire entre fonctionnairesd'exécution et fonctionnaires d'autorité.

Conceptions syndicales de L'École Émancipée

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L’Émancipation syndicale et pédagogique - 6/10/2010

1) Par fonctionnaires d'autorité, nous entendons lesfonctionnaires qui ne sont pas les simples agents salariésde l'État, mais ses représentants directs. Les rapports desfonctionnaires d'exécution avec l'État sont des rapportsanalogues à ceux des ouvriers et des patrons ; les fonctionnairesd'autorité sont l'État incarné, matérialisé.

2) En ce sens, la lutte contre les classes dominantes setrouve transposée sur le plan administratif sous la forme d'unelutte contre l'autorité.

3) En toutes occasions, le syndicaliste révolutionnairedénonce les abus, les injustices, les pressions administratives etplus généralement la "raison d'État". Il se solidarise avec tousles camarades brimés par les chefs.

4) II n'y a entre l'autorité et le syndicat aucune collaborationconfiante. Il y a antagonisme et lutte.

Le syndicat œuvre dans le sens de l'affaiblissement de l'autorité.Il se prononce contre le choix, les notes plus ou moinsconfidentielles, l'arbitraire dans les systèmes d'avancement etde mutations, etc.; il combat tout ce qui peut renforcer lapuissance de l'autorité et diviser le personnel : récompenseshonorifiques, décorations, primes au rendement, etc. La luttecontre l'autorité fait partie de l'apprentissage de la gestiondirecte.

A) Principes généraux

1) L'École Émancipée est une tendance syndicale organisée.Ce n'est pas une fraction politique. Elle ne représente aucungroupement extérieur au syndicat dans la Fédération del'Éducation Nationale.

2) Elle défend publiquement ses principes au sein de sonorganisation. Elle élabore une orientation conforme à sesprincipes. Elle présente dans les diverses assises syndicales samotion d'orientation, qui ENGAGE SUR LE PLAN SYNDICALles militants qui se réclament d'elle.

3) Totalement indépendante, L'École Émancipée luttecontre les deux blocs : aussi bien contre le bloc représenté parle capitalisme national et international, que contre le bloc desÉtats dits "socialistes".

4) Elle affirme en outre l'incompatibilité entre l'appar-tenance à une organisation confessionnelle quelconque etl'appartenance à la tendance.

5) En se définissant comme branche universitaire dusyndicalisme révolutionnaire, L'École Émancipée n'entendnullement se replier dans un égoïsme corporatif. Au contraire.Elle se doit de répandre ses principes généraux hors de la F.E.N.En ce sens elle fait un devoir à ses militants de s'intéresseractivement à la vie des autres syndicats, de se lier aux travailleursqui manifestent leur accord avec ses principes, de recherchertoutes occasions de liaisons extérieures à l'enseignement.

6) Elle collabore à tout effort sérieux de réunificationsyndicale en s'efforçant de faire triompher les perspectives dusyndicalisme révolutionnaire.

B) L'École Émancipée et la fonction enseignante

1) L'attitude révolutionnaire affirmée sur le plan social doitavoir son retentissement sur la fonction enseignante, car lalibération sociale ne se sépare pas de la liberté de la pensée. Ils'agit moins pour nous d'inculquer un programme que deformer des hommes. Cette formation ne se conçoit pas sans le

respect total de l'enfant qui nous est confié et la certitude quela suprême valeur pour l'homme, c'est l'homme lui-même,dans son irréductible individualité. De là un certain nombre deprincipes pédagogiques, aussi essentiels pour nous que lesexigences de l'action syndicaliste.

2) Le premier devoir de l'éducateur est la formation del'esprit critique de l'enfant. Il assure l'apprentissage du jugementpersonnel.

De là le rejet de toutes les méthodes dites "d'autorité",sous quelque forme qu'elles se présentent, la probité et l'objectivité de l'enseignement, le refus du "bourrage decrâne", les "rabâchages" et d'une manière générale tous lesprocédés d'abrutissement, fondés sur une mémorisation inintelligente.

3) L'éducateur révolutionnaire lutte contre la significationréactionnaire des programmes et les propagandes insidieusesdéveloppées à l'occasion des matières enseignées. Il est particulièrement vigilant sur la déformation des faits historiqueset le choix des textes littéraires, ainsi que sur les fausses valeursmises en lumière par les ouvrages de morale.

4) II lutte contre l'imbécillité des programmes mal élaboréset mal conçus, les procédés stérilisants, par exemple, les étudespurement livresques.

5) En développant l'esprit critique, l'éducateur s'efforce dedévelopper l'esprit de recherche, la curiosité et le souci ducontrôle. Il reprend à son compte le grand principe cartésien :"N'accepter aucune chose pour vraie, qu'on ne la connaisseévidemment être telle".

6) En un mot, sur le plan pédagogique, l'éducateur s'efforce d'assurer une lucidité intellectuelle, une maîtrise de lapensée, qui ne fait aucune concession à toutes les entreprisesde mutilation morale des enfants qui lui sont confiés.

Dans le monde actuel, et spécialement en France, il n'y a guère quetrois courants syndicaux qui s'offrent au choix des travailleurs.

On a le choix entre :- Le courant réformiste, qui se caractérise par une perspective

faite de réformes successives et légales dont il attend une amélioration progressive et paisible du sort de la classeouvrière. Le résultat immédiat de cette conception idéaliste estla mutilation de l'action ouvrière, qui trouve ses limitesconscientes ou non dans le souci de maintenir la légalité etl'ordre établi.

- Le courant stalinien, qui se caractérise avant tout, par unesoumission inconditionnée aux exigences de la politique soviétique. Avec lui la notion de classe est complètement transformée. Le clan ennemi comprend tous ceux, capitalistesou ouvriers, qui sont hostiles à l'U.R.S.S. ; le clan ami, tousceux, ouvriers ou bourgeois, qui sont sur un plan quelconque favorables à l'U.R.S.S. L'action syndicale, de ce fait, n'est jamaisdéterminée selon les besoins spécifiques des travailleurs, maisexclusivement selon les intérêts de la politique extérieure russe.

- Enfin, le courant révolutionnaire, qui ne néglige nullementles réformes, lorsque l'occasion se présente de les obtenir, maisqui n'y voit pas la fin de l'action ouvrière. Le but final, c'estla révolution socialiste et la gestion directe par les travailleursaprès la disparition de l'exploitation du travail. Contre lestalinisme, il affirme le droit du monde du travail à se déterminerlui-même et à rester le maître de son action libératrice, sanssouci des intérêts qui lui restent étrangers.

L'É.É. 6 mars 1954.

L'ÉÉ comme tendance dans le syndicalisme universitaire

CONCLUSION

VII

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Après la seconde guerre mondiale, le syndicalisme révolu-tionnaire est en recomposition et aussi en dispersion,avec par exemple la création de la CNT… la plupart de

ces syndicalistes révolutionnaires vont se retrouver dès 1948 et ensuite au sein d'École Émancipée. Je vais rester cadré essentiellement sur la période qui va de 1968 et un peu avant,jusqu'à 1981 et un peu après.

Un climat politique et socialqui affecte l'ÉÉ

C'est une période qui présente pas mal de particularités : elleest particulièrement riche en luttes ouvrières (c'est l'après 68,ce sont aussi les grandes grèves de la métallurgie, les LIP…). Ona aussi affaire à un climat politique, économique et social trèschargé au niveau international : c'est le début des guerillas enAmérique du Sud, la lutte anti-franquiste en Espagne et la lutteanti-fasciste au Portugal, etc… en France se mettent en placel'union de la gauche et le programme commun.

Pour l'ÉÉ c'est aussi une période qui est importante, puisqu'ily a une vraie recomposition de la tendance : c'est ce qu'ondisait hier par exemple concernant la place de la pédagogiedans L'École Émancipée. Après guerre, la place de la pédagogiedevient de moins en moins importante, et dans les années1970, on voit clairement la différence : les articles pédagogiquesprennent moins d'un cinquième de la place dans la revue.Je l'explique par le fait que la tendance, qui auparavant étaitpleinement inscrite dans le mouvement pédagogique et dansle mouvement syndical comme l'a expliqué Loïc Le Bars, va seretrouver plutôt dans l'éventail, la kyrielle des organisationsd'extrême gauche françaises. Ce phénomène provient de lamultiplication des mouvements d'extrême gauche justement.Ainsi, la IVe Internationale - Secrétariat Unifié se développe denouveau avec la Ligue Communiste, avec un certain nombrede militants (toute la clique de l'époque de Krivine) issus de laJCR qui deviennent enseignants au début des années 1970 etqui adhérent à l'ÉÉ : dans les "thèses" du secteur enseignementde la LCR, ils invitent leurs militants de l'Éducation nationale àappartenir à la tendance ÉÉ, en se syndiquant avant dans laFEN pour ensuite adhérer à la tendance ÉÉ.

L'activité de la tendance atteste le fait qu'elle devient beaucoupplus "branchée" sur les thèmes syndicaux, politiques, chers à toutel'extrême gauche française, que sur les questions syndicales quiprennent une part moindre dans le mouvement.

Examinons maintenant quelques-unes des principales revendi-cations de l'ÉE à cette période-là.

Revendications "politiques"et syndicales

En gros, comme avant et comme aujourd'hui d'ailleurs, il y a deuxgrands types de revendications. Il y a celles qui recoupent le champpolitique au sens large : l'anti-impérialisme, l'anti-fascisme,

l'internationalisme prolétarien, le féminisme, l'antimilitarisme,etc. sur lesquelles je reviendrai. Et parallèlement il y a toutes lesautres problématiques de prédilection de la tendance syndicale,qui sont celles concernant l'Éducation nationale, l'actualitésyndicale du pays, la FEN et ses contradictions internes…

"L'autogestion, de la vraieet de la fausse"

Les syndicalistes révolutionnaires de l'ÉÉ vont revendiquer, déjàauparavant et particulièrement à ce moment-là, l'autogestionrévolutionnaire contre les bureaucraties notamment celle de laFEN : voici une des premières revendications que je vais aborder.C'est la question de l'autogestion, puisque dans la période des années1970-1980, l'autogestion devient le mot d'ordre de rassemblementde toute la gauche française : le PS s'y met et en fait un de sesthèmes de prédilection (il faut quand même attendre lecongrès de Rennes de 1990 pour que le PS efface de ses statutsla notion de socialisme autogestionnaire). L'autogestion, on latrouve partout durant ces années : le PCF et Marchais en fontleur thème de campagne en 1981, la CGT s'y met, le PSU surfecomplètement sur la vague de l'autogestion. Toute la gaucheprise donc ce thème qui est très cher aux militants après 1968.

Cette situation va profondément irriter l'ÉÉ, puisqu'eux considèrent que l'autogestion, la seule, la vraie et l'unique, cesont les syndicalistes révolutionnaires qui la détiennent… etdonc ils vont se prononcer vraiment contre les "falsificateurs" desthèmes autogestionnaires. En 1975, il y a ainsi dans la Revueun article sur "L'autogestion, de la vraie et de la fausse", qui vas'en prendre de manière virulent au PSU et à la CFDT enconsidérant que ces organisations qui refusent constammenttoute référence à la lutte des classes, qui refusent toute notion d'affrontement direct avec la bourgeoisie, se réclamentfrauduleusement de l'autogestion.

Cela se retrouve aussi dans le bouquin de Gabriel Mollier,Brève histoire du syndicalisme enseignant et de L'École

Émancipée, qui va parler de cette gauche "recomposée" autourde l'idée d'autogestion, en soulignant le fait tout de même quel'autogestion est surtout un faire-valoir pour la gauche française àce moment-là.

Sur les autres socles revendicatifs, il y en a un que je ne vais pasaborder mais que j'annonce rapidement, puisque hier GaëtanLe Porho en a bien traité : les questions pédagogiques. L'ÉÉ, àce moment-là va refuser de cantonner sa lutte syndicale etpédagogique à la simple défense de l'école publique gratuite,laïque et obligatoire.

Pourquoi préciser cela ? Cette idée semble évidente en tout casaujourd'hui : ne pas seulement défendre le système actuel.Mais rappelons-nous qu'après la scission de 1969, l'ÉÉ-FUO (1)va considérer que les attaques des gouvernements sur le servicepublic, le retour en force du cléricalisme, et encore d'autres

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L’Émancipation syndicale et pédagogique - 6/10/2010

L’après 68Une démocratie syndicale qui a permis de gérer

des débats politiques extrêmement tendusCi-dessous l'intervention de Clément Talleu lors du Stage national Émancipation de mai 2010 (cf.p.III)

à propos de thèmes et revendications du syndicalisme révolutionnaire dans l'éducation entre 1968 et 1981.

VIII

(1) ÉÉ-FUO : ÉÉ pour le Front Unique Ouvrier.

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L’Émancipation syndicale et pédagogique - 6/10/2010

agressions… font que le fait de continuer à avoir undiscours de destruction de l'école, de remettre en causel'école du Capital et de la bourgeoisie, c'est faire le jeudu patronat. Pour lui, nous sommes dans une périodeoù il faut essentiellement défendre les acquis : la laïcité, lagratuité, l'école publique… voici pourquoi je soulignequand même ce passage, parce qu'à l'époque ce n'estpas évident pour tout le monde.

Revendications sociétales :les limites de l'ÉÉ

Comme je le disais tout à l'heure, je vais m'étendre surles revendications sociétales et politiques larges. L'ÉÉ àl'époque va s'investir sur la question des femmes, en faisantplus ou moins siennes les revendications du MLF d'accèslibre et gratuit à l'avortement et à la contraception.L'ÉÉ cherche notamment - c'est là que c'est vraimentintéressant - à introduire réellement ces questionsdans les réflexions pédagogiques et dans l'école. Il y auradonc un certain nombre de dossiers de L'École Émancipée,de numéros spéciaux, sur la question de la femme, surle refus de l'éducation genrée, sur la sexualité à l'école,sur la répression sexiste de certaines militantes et de certaines enseignantes. Parallèlement l'ÉÉ va soutenirtous les mouvements révolutionnaires dans le monde, etc.

Ce qu'il est aussi important de retenir sur toutes cesquestions "politiques", c'est que l'ÉÉ va très rarementimpulser un combat à ce sujet, en général la tendanceva être signataire d'un appel, va appeler à soutenirtel rassemblement ou telle manifestation, mais va très rarement en être à l'initiative. L'exemple le plus frappantest celui de l'antimilitarisme avec les comités de soldats ;l'ÉÉ va diffuser largement les appels des comités de sol-dats, plus globalement les appels et la propagande anti-militaristes, mais on ne peut pas dire qu'elle ait été uneseule fois à l'origine d'une vraie mobilisation sur cettequestion. Ça s'explique par ce que je disais tout àl'heure : le fait que l'ÉÉ se restructure notamment parcequ'il y a énormément de militants d'organisations politiquesqui commencent à prendre beaucoup d'importancedans la tendance, donc essentiellement jusqu'en 1969des militants de l'OCI (2), et après 1969 de nombreuxmilitants de la Ligue Communiste puis de la LCR. Ungrand nombre de ces militants vont chercher à impulserdes combats, notamment lors de l'affaire des comités desoldats, au sein de leur organisation politique (donc laLigue, qui va être très très investie sur l'anti-militarisme)… et qui du coup vont, au sein de leur tendance syndicale, réinvestir ou tout au moins transmettre le combat qu'ils mènent au sein de leurorganisation politique.

Une thématique renouvelée :la précarité

Après, sur les questions de l'école, relevons que la précaritéétait un des thèmes de prédilection, une des revendicationsfavorites de l'ÉÉ au sein de l'Éducation Nationale. Lorsdes années 1970, la précarité est très prégnante, avecune question qui présente des ressemblances avec l'actualité - c'est vraiment frappant -, à savoir la lutte contrel'auxiliariat. Aujourd'hui ce sont les contractuels, les TZR,etc… Dans les années 1970, à chaque rentrée, les

rectorats font appel à un certain nombre de maîtresauxiliaires pour, en gros, "boucher les trous" : ce sont desservices complets ou incomplets, des services de suppléances qui sont très précaires, et en général lesauxiliaires sont les premiers à "sauter", quand il va yavoir le dégonflement des classes au cours des années1970. Là encore, l'ÉE va s'investir sur cette question parle biais de collectifs ou de comités : les comités de défensedes auxiliaires, qui vont se multiplier partout en France,qui vont se faire à la fois parce qu'un certain nombre demaîtres auxiliaires vont plus ou moins placer leur syndicalisme contre les structures syndicales classiques, etsurtout parce que la FEN est complètement absente de cesquestions de précarité : elle passe son temps - UAcomme UID - à dire que les négociations permettent uncertain nombre de victoires et d'avancées, etc… concrètementla FEN refuse d'engager le combat. Ce qui choque cesenseignants. En plus ces jeunes profs sortis de l'écolenormale ne sont pas particulièrement proches de lamajorité, et de toute façon ne le seront pas forcément,donc il n'y a pas du tout de soutien de la part de ladirection de la FEN.

Défense et illustration dela "fédération d'industrie"

Une autre revendication qui est importante dans la FENpour l'ÉÉ : la question de la "fédération d'industrie". Lafédération d'industrie est une revendication permanentequi revient à chaque congrès au sein des motionsd'orientation de l'ÉÉ. La fédération d'industrie permettrait- je cite - "l'unité des personnels, mais encore une perceptiondes problèmes dans leur globalité, n'exclue nullementl'intervention spécifique sur les problèmes propres àchacune des catégories" (motion de l'ÉÉ au congrès duSNI de 1976), et le slogan qui revient à chaque fois c'est"Un patron, un syndicat, tous dans un syndicat unique"qui permettrait selon l'ÉÉ de briser les cloisons catégoriellesen développant des commissions propres à chaquequestion particulière pour délibérer, prendre position etpouvoir agir collectivement.

À l'époque, l'ÉÉ déclare même que la FEN, est seulement"autonome" du reste du mouvement ouvrier, et qu'ellepropose donc cette transformation en fédérationd'industrie. Même si l'ÉÉ va dans les congrès en généralgraviter entre 5% et 10% dans la période, avec un meilleurmoment à 8-9% pour ensuite reculer, le projet de fédération va recueillir, par exemple dans le congrès duSNI, jusqu'à 20% des suffrages au moment du vote desmotions d'orientation. La tendance envisage cette créationd'un "syndicat unique, démocratique sur une ligne de luttedes classes et pour le socialisme autogestionnaire, le socialisme des conseils ouvriers". Ça c'est la motion quimet tout le monde d'accord sur le moment. Je m'yarrête brièvement parce qu'à l'époque Henri Arvon écritun "Que sais-je ?" sur le "gauchisme" en 1974, qui va présenterdes organisations comme le PSU ou la CFDT comme desorganisations où a pu s'exprimer la synthèse entrel'anarchisme et le communisme, où a pu s'exprimer enfinl'unité tant attendue du mouvement révolutionnaire.

C'est pour ça que je me suis arrêté sur cette phrase de l'ÉÉ, "pour le socialisme autogestionnaire, pour le socialisme des conseils ouvriers", parce que la durée de viedu PSU et l'orientation réformiste de la CFDT vont rapidement

(2) OCI :OrganisationCommunisteInternationaliste,trotskystes"lambertistes".

IX

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L’Émancipation syndicale et pédagogique - 6/10/2010

nous prouver que la "synthèse" n'est pas vraiment effectiveet qu'on ne peut pas parler d'unité anarcho-communiste.Mais je pense que l'ÉÉ est justement une tendance quia été intéressante à ce moment-là, puisque même s'iln'y aura jamais de réconciliation théorique entre anarchistes etcommunistes - d'ailleurs ce n'est pas ce que la tendancecherche à faire - dans la pratique syndicale il va y avoirnon pas une synthèse politique, mais une conciliationdes contradictions qui est vraiment intéressante. L'étudede la Revue dans les années 1970 est très originale, parceque la revue se prend comme une tribune libre, où certeselle précise dès le départ que seuls les articles signés"École Émancipée" engagent toute la tendance, et doncon va avoir une gestion des conflits entre les différentestendances politiques à l'intérieur de la tendance qui esttrès originale. Il y aura ainsi des textes dans L'École

Émancipée d'un numéro à l'autre qui se répondent : çane va pas jusqu'à l'insulte, mais il y a vraiment desdébats contradictoires très durs. Ainsi sur le mouvementmaoïste, sur les vieux radotages autour de Cronstadt,sur Léon Trotsky… donc des conflits qui sont très forts poli-tiquement, avec des clivages vraiment importants entredes anarchistes, des maoïstes, des trotskystes et qui vontse gérer collectivement de manière au final assez saine ausein de la revue et au sein des débats internes à la tendance.Cet aspect est important à expliquer, il y a une démocratiesyndicale et une reconnaissance des sensibilités.

L'indépendance syndicale

Historiquement, les syndicalistes révolutionnaires sebattent depuis 1906 sur la question de l'indépendancesyndicale qui leur est vraiment chère, et donc l'ÉÉ vacontinuer à combattre pour l'indépendance syndicaleau sein de la FEN. Notamment lorsque UID se rapprochede François Mitterrand pendant les années 1970. Parexemple en 1974 le fichier d'envoi de L'École Libératrice

est utilisé par la majorité pour un envoi, un appel desouscription financière pour la campagne de FrançoisMitterrand ! Ainsi le combat pour l'indépendance syndicaleest remis au goût du jour dans les années 1970, parceque l'unité entre UID et l'ÉÉ dans les années 40-50 - enfin plus ou moins une sorte d'alliance anti-stalinienne - va disparaître avec les progrès et les avancéesdu PS d'après le congrès d'Épinay (1971), et le rappro-chement entre UID et le PS qui en résulte.

L'ÉÉ, sur ce problème de l'indépendance syndicale estassez intéressante puisque - je crois que c'est encore lecas aujourd'hui dans L'Émancipation - dans la revue ilne va pas y avoir de problèmes à publier des petitespublicités pour Le Monde Libertaire, notamment lorsde la création du journal, des appels à soutien pour laCNT, le dernier bouquin des militants de l'UTCL (3), deLO, des trucs de la Ligue… il ne va pas y avoir forcémentde problème à retranscrire un certain nombre d'appelsd'autres organisations politiques, pour autant l'ÉÉrefuse catégoriquement toute affiliation. D'ailleurs c'estaussi à mon avis, une des raisons qui est à l'origine dela scission de 1969 avec le FUO. Par rapport au fait que,dans les années 1960, on ait souvent considéré à gaucheet à l'extrême gauche que l'ÉÉ c'est la tendance del'OCI, la scission de 1969 donne justement une leçon :elle constitue une démonstration pour tout le mouvementde l'ÉÉ, puisque après cet épisode les dirigeants de l'ÉÉ

vont toujours chercher justement à dire en substance"on est contrôlés par personne, mais on n'a pas à avoir decomplexes vis-à-vis du fait qu'il y ait des gens de tous leshorizons dans notre organisation, mais sans qu'aucune desorganisations ne nous contrôle". À la présentation de laSemaine ÉÉ de l'été, ils est indiqué que c'est un rassem-blement d'anars, de maos, de trotskystes, etc… et jetrouve que c'est une gestion des sensibilités, des contra-dictions qui est vraiment très saine, puisqu'on ne cachepas les divergences.

Concernant la question de l'indépendance, la majorités'en réclame aussi : UID, sur laquelle vitupère à longueurde Semaine l'ÉÉ à l'époque, et souvent à juste titre(problèmes de l'inaction de la FEN, de la fin de l'unitésyndicale, de la répression vis-à-vis du droit de tendance,…),UID dans ses motions d'orientation va continuer àdéfendre en réalité l'indépendance syndicale. Ainsi unemotion d'orientation en 1972 déclare que "l'indépendancesyndicale n'est pas l'apolitisme, un syndicat authentiquene saurait être indifférent à l'orientation politique du pouvoir ni aux structures économiques et sociales". Donc c'estl'excuse que va trouver la majorité fédérale pour justifier sonsoutien au candidat unique, à François Mitterrand, etc.à savoir qu'au moment du "programme commun", laFEN se positionne favorablement face au programmecommun, et le secrétaire fédéral va déclarer qu'il estcontent des "convergences" qui apparaissent au sein dela gauche ; mais la FEN ne va pas soutenir le programme commun contrairement à ce qu'aurait souhaitéUA. Et par conséquent la FEN - cela va vous faire rire - "rappelle le principe fondamental de l'indépendance syndicale,la nécessité de conserver son potentiel de lutte et sa force decontestation"… quand on voit ce qu'elle en fait à cemoment-là, "force de contestation" c'est pas très sérieux.

La question de la hiérarchie

Je vais finir sur la question de la hiérarchie, puisqu'a étéabordée la question notamment des conflits avec lesdirecteurs d'école lors de la formation des premierssyndicats d'instituteurs. L'ÉÉ va n'admettre - que ce soitconcernant la pédagogie ou l'échelle des salaires -aucune hiérarchie quelle qu'elle soit, encoreaujourd'hui je crois d'ailleurs, et ça va être une grossesource de conflits avec le PCF, la CGT et UA. Puisqueselon l'ÉÉ les positions par rapport à la hiérarchie de latendance UA participent du dévoiement du PCF,qui rejette en bloc ce qu'il appelle à un moment"l'égalitarisme primaire". De fait, un certain nombre dedéclarations du PCF et de la CGT vont plus ou moinsdéfendre une certaine hiérarchie. Notamment quandRené le Guen, qui était membre du Bureau Politique duPCF pendant longtemps et fondateur de la CGT à EDF,va déclarer : "La hiérarchie est une forme de lutte des classesdans la mesure où les salaires les plus élevés contribuent àrestreindre les profits des capitalistes" (rires dans la salle).Dans la FEN, l'ÉÉ va vraiment se battre justementcontre le syndicat des directeurs d'écoles, contre laprésence à la FEN du SNIDEN, le syndicat des inspecteursde l'Éducation nationale. Non pas se battre contreces syndicats, mais contester leur existence, et donc contestervraiment toutes les questions de hiérarchie dansl'éducation nationale.

Clément Talleu �

(3) Union desTravailleurs

CommunistesLibertaires,

future"AlternativeLibertaire".

X

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L'École Émancipée après 1945 :l'exemple du Var

De l'après guerre aux années soixante-dix, l'École Émancipée dans le Var présente un visageassez classique. En ce sens, elle constitue un reflet des évolutions de la tendance, elles-mêmesliées aux évolutions sociales de l'après-guerre : urbanisation et recul du monde rural, combatspolitiques et sociaux de la 4e et de la 5e République (guerre froide, décolonisation, mai 68…).Sans vouloir réaliser une œuvre scientifique, cet article - issu de la réunion de trois générations de responsables au domicile du plus ancien, toujours adhérent et abonné - entendtracer un tableau de ce que signifie le "militantisme École Émancipée" d'avant la scission de laFEN.

Étudier le militantisme École Émancipée nécessitede se replacer dans la situation sociale de l'époque.Ainsi, après la guerre, les instituteurs ont un faible

niveau de vie, les militants interrogés font remarquerqu'il est fréquent pour eux d'être dans la difficulté financière dès le 15 du mois.

Le militantisme École Émancipée

Le militantisme de l'ÉÉ comporteune dimension fondamentale :il est structuré par des principesqui ne se limitent pas à uneconception du syndicalisme.Et notamment, au cœur del'action militante il y a la notiond' "exemplarité" : le militant del'ÉÉ doit à la fois être un militantsyndical, et incarner des principesliés à la conception éducativede l'ÉÉ… ce qui a des conséquencessur le plan syndical : la repré-sentativité de l'ÉÉ dans la FENest, de l'avis général, très liéeaux individus qui l'animent.

Cela amène Raymond Jardin àfaire l'analyse : "Nous ne concevionspas notre travail en tant que « travailÉcole Émancipée », mais en tantque travail pédagogique et decoopération qui dépasse le cadresyndical". Dès lors, le militantismeÉÉ ne peut se penser sans intégrerla dimension éducative, quirevêt plusieurs aspects :

- une conception communede l'enseignement, qui est considérée comme indispensable.Ainsi il y a de l'avis général une quasi-fusion entrel'ICEM-Freinet et l'ÉÉ : presque tous les membres del'ÉÉ sont à l'ICEM et les camarades vont jusqu'à direqu'il y a un aspect fusionnel des relations. Par exemplelorsque les militants ÉÉ interviennent dans les écolesnormales, ils le font en tant que militants syndicaux,mais aussi fréquemment en tant que membres del'ICEM.Les colonies de vacances constituent un autre aspectimportant de cette activité éducative, elles sont incon-

tournables pour l'ensemble des militants, à tel pointqu'on peut parler de "mentalité colo" : non seulement"Il faut s'occuper des gosses d'où des colonies de vacances"(Raymond Jardin), mais de plus "la colo" est aussi unchoix et un état d'esprit. Ainsi le militant René Teisseirefait passer tout son salaire dans les camps de vacances,c'est le salaire de sa compagne qui fait vivre le foyer !(René Teisseire est d'ailleurs un des fondateurs des

colonies de vacances dans leVar en 1934 avec d'autresmilitants ÉÉ : Pastorello,René Pichot, Mitkevitch...).

Dans les colonies de vacances,les instituteurs de l'ÉÉ veillent àmettre en place des activitésenrichissantes : pratique de lapeinture, de l'aéromodélisme. Làaussi, la précarité matérielle estde règle : Roger Bozane rappellemême qu'une année, "nousn'étions pas sûrs d'avoir lesmoyens pour payer la colo"… entout cas, les militants ÉÉ sontsouvent des moniteurs de coloniesde vacances. Il faut prendre encompte le fait que pour desenfants de classes populaires, la"colo" permet y compris danscertains cas d'échapper à la faim(comme par exemple lors de"colos" organisées pendant laSeconde guerre mondiale enzone toulonnaise).

- bien entendu, il y a aussil'encadrement hors du temps

scolaire d'activités sportives et culturelles comme lebasket-ball et le volley-ball, ou encore en faisantvenir des instituteurs dans les différentes écoles : des coursde saxophone à St Julien… À noter que les instituteursde l'ÉÉ utilisent le cinéma à des fins éducatives parexemple en faisant circuler un appareil de cinéma entre5-6 villages de l'Ouest du Haut-Var, C'est d'ailleursFlorentin Alziary (voir article suivant) qui avaitdéveloppé dans le Var l'Office du cinéma éducatif enrelation avec Freinet.

XI

Les camps de vacances laïquesvarois, créés et animés par les ins-tits du GD 83 dans les années 30

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De plus, les militants ÉÉparticipent à la vie de laMGEN, certains sont mêmemembres de la direction de laMGEN. Par exemple, EugèneRonsoux est à la fois sympa-thisant de l'ÉÉ et responsabledépartemental de la MGEN.

L'activité syndicalede l'École Émancipée

Dans l'immédiat après-guerre,la situation syndicale de l'ÉÉest un peu particulière : c'estun militant de l'ÉÉ qui devientresponsable départementaldu SNI en 1946, en fait parun concours de circonstanceset du fait de la mentalité desmilitants à la sortie de laguerre : c'est donc le militant

de l'ÉÉ Alziary (aussi membre de l'ICEM et en contactpermanent avec Freinet) qui est élu secrétairedépartemental. Ensuite René Teisseire, lui aussi militantde l'ÉÉ et un des fondateurs des colonies de vacancesavec plusieurs autres membres, sera quelquestemps secrétaire départemental. Mais cela lui est diffi-cile en étant instituteur dans le Haut-Var, du faitdes déplacements très nombreux à Toulon quecette responsabilité impose.

Son successeur sera Robert Jourdan, un socialiste. Àcette époque il y a en effet un rapprochement entre l'ÉÉet les socialistes (la future tendance UID). Ainsi audébut l'ÉÉ accepte la proposition de liste unique auxélections internes du SNI. Il faut cependant préciser quela liste unique n'a pas duré.

Dans le Var c'est vers 1956-1957 que se forment des listesséparées, l'ÉÉ avait dix représentants au conseildépartemental du SNI. On se retrouve rapidement avecdeux cas de figure : dans la circonscription toulonnaiseil y a une liste unique, dans les cantons il y a toujoursune, deux ou trois listes bien identifiées. L'influencede la tendance se stabilise avec deux mandats au conseilsyndical du SNI, puis deux mandats à la CA de la FENd'où l'ÉÉ fut d'abord absente. L'implantation électoraledans le SNI est d'environ 10%. L'ÉÉ présente des listes régulièrement aux élections internes du SNI, au débutassez fournies (jusqu'à une quarantaine de personnes,et en général l'ÉÉ ne présente pas les conjoints des militants sur les listes) ; c'est en 1986 que l'ÉÉ présente pour la dernière fois une liste dans leSNI-PEGC.

Idéologiquement, comment peut se définir l'ÉÉ ? Elle ne serevendique pas d'une idéologie particulière, mais elleest considérée comme plus ou moins anarcho-syndicaliste.En tout cas, les militants de l'ÉÉ ne se sentent pas plus proches des communistes que des socialistes à cetteépoque.

Les grands thèmes de l'intervention syndicale de l'ÉÉrecoupent très largement ceux des années 1990 :l'enseignement moderne ; la formation des maîtres ; les

augmentations uniformes de salaires ; à travail égal,salaire égal ; la laïcité (avec la revendication constantede la nationalisation laïque) ; la défense de la fédérationd'industrie ; le refus d'inspection n'est venu que plustard, la revendication anti-hiérarchie centrale étantl'augmentation uniforme des salaires.

Dans l'activité syndicale, le souci très affirmé des militantsde l'ÉÉ est de mener des batailles compréhensibles pourtous les instituteurs, comme par exemple l'augmentationuniforme des salaires.

Et dans le second degré ? Dans les années 70 en zonetoulonnaise, l'ÉÉ est essentiellement composée d'instituteurs et il y a très peu de profs du secondaire (lepremier CES dans le Var ne se met en place qu'en 1964).

L'ÉÉ connaît deux grands moments d'intervention danscette période : l'Algérie et mai 68. Sur l'Algérie, l'ÉÉ aété à l'origine de plusieurs actions (manifestations parfois violemment réprimées, etc). Quand elle souhaiteune action, elle menace le syndicat de la faire elle-mêmesi celui-ci reste attentiste. Elle réussit ainsi plusieurs foisà entraîner la FEN dans l'action. Ce qui n'empêche d'ailleurs pas l'ÉÉ d'intervenir de manière autonome.Elle sort ainsi des tracts contre la guerre, son activité vautd'ailleurs à certains militants de l'ÉÉ de subir des ennuispendant leur service militaire.

XII

Quelques responsables de l'ÉÉ…Raymond JardinInstituteur en 1945, en fait de la promotion de l'ÉcoleNormale 1940-1943 (Draguignan), mais il n'entre pastout de suite en fonction car les Allemands avaientenlevé le sursis et les Écoles normales avaientété supprimées (recrutement au bac sans formation).Son stage de formation professionnelle a eu donc lieuen 1944-1945 à Nice. Nommé ensuite en 1946 àCotignac, puis à Tavernes (deux ans), à Saint-Julien leMontagné (12 ans) puis Toulon (20 ans).

Ses engagements personnels ? Il y a bien entendul'ICEM. Raymond Jardin joue un temps le rôle decommissaire aux comptes de la CEL (Coopérative del'Enseignement Laïque) avec d'autres Varois (Pastorelloet Simian) ; il est bien placé pour témoigner de sesdifficultés financières permanentes (Freinet doitmême emprunter à ses beaux-frères devant lemanque chronique d'argent). Problèmes financiers,mais aussi politiques : quand Freinet et ses camaradess'écartent du PCF, ils ont à faire face à une grève desouvriers de la CEL !

Il pratique logiquement la pédagogie de l'écolemoderne dans ses classes, ce qui lui vaut d'être enbutte avec l'Inspection : ainsi une inspectrice arrive etlui fait un très mauvais rapport, l'IA refuse cette notedonc elle doit revenir.

Outre l'ICEM, Raymond a été délégué syndical de la sous-section du SNI de Barjols, a pratiqué activement les colonies de vacances dans le cadre desCCVLV (Colonies de Vacances Laïques du Var)… et"secondairement" 10 ans d'adhésion au PSU.

Ses engagements sont partagés par sa femme,Lucienne, qui avait commencé sa carrière comme institutrice dans la Drôme.

extrait du n°1 de l'EE reparue en1945 (archives Émancipation)

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En 1968, bien entendu les militants de l'ÉÉ sont engrève pendant tout le mois de mai, et ne se limitentd'ailleurs pas à cela : ainsi certains tiennent des réunionsavec les parents (parfois plus de 400 personnes présentes !).Au collège Pierre Puget, la grève est tellement puissantequ'il y a seulement 10 élèves au collège… le principal ducollège donne même à Roger Bozane son bureau, sontéléphone, le secrétariat… et vient aux réunions ! RogerBozane, toujours lui, fait le tour de la ville en cyclo pourinformer les autres militants de ce qui se passe.

Dans le Var des comités de grève se mettent en place.Dans le second degré, les conditions d'intervention del'ÉÉ sont toutefois différentes : il y a l'élément constituépar la présence des comités d'action lycéens, mais aussiune très forte présence de militants du PCF (par exemplelorsque des militants ÉÉ viennent distribuer des tractsÉÉ au lycée, il y a une confrontation parfois physiqueavec le PCF).

En tout cas, en mai 68, au sein de la FEN, c'est l'ÉÉ quia mené le combat contre le régime beaucoup plus quele courant lié au PS. Quant à la sensibilité syndicale portéepar l'OCI, elle apparaît à ce moment-là dans le Var.

L'École Émancipée, son fonctionnement

Le groupe départemental varois de l'ÉÉ avait des réunionsrégulières : l'ÉÉ se réunit en moyenne une fois par moisdurant ces années à la Bourse du Travail de Toulon, lesréunions regroupent entre 7 et 10 personnes, la réunionde fin d'année se clôt par des festivités et une sortieensemble souvent au Pradet. Le groupe départementalfonctionne avec un secrétaire (à l'époque les militantsPastorello ou Jardin), qui est responsable de la sortie du bulletin départemental. La sortie du bulletindépartemental est assurée notamment par des cotisations départementales.

Un trait domine la nature de la tendance pour tous :l'absence de centralisation et le caractère finalementassez informel. Les liens avec la tendance nationale sonttrès lâches, et de toutes les façons avant les années 1960le fonctionnement de l'ÉÉ s'organise beaucoup plusau niveau départemental ou régional, qu'au niveaunational. Ainsi, deux ou trois fois par an il y a desréunions régionales, annoncées dans la revue. Toutefois,on notera que le Bulletin Intérieur existait déjà. Il estremarquable aussi que la haute figure de Valière, élu auBN du SNI à l'époque des listes communes, est reconnuepar tous les militants.

La rencontre avec la tendance nationale peut s'effectueraussi lors des congrès syndicaux nationaux, mais mêmecette rencontre est rare ; Roger Bozane devenu secrétaire de l'ÉÉ monte une fois au congrès national duSNI… et il n'en garde pas un souvenir très positif : ilarrive la veille, lors de la réunion de tendance du soir(entre 10 et 20 délégués) on distribue les interventionsde manière assez administrative. Les responsables de latendance de cette époque ne lui laissent pas le souvenird'un fonctionnement très démocratique. Même sensation pourRaymond Jardin, délégué au congrès national du SNI.

Pour les militants de cette époque, l'ÉÉ c'est en fin decompte d'abord la Revue (elle compte environ 25 abonnés

au moment où Roger Bozane est secrétaire du GD) ; cetétat de fait semble avoir duré assez longtemps, puisqueNicole Desautels qui arrive au militantisme ÉÉ dans lesannées 1970 affirme que "Quand je suis arrivée, la boussolepour moi c'est la revue".

La revue de l'ÉÉ, qui occupe donc une place importante,se caractérise par le grand rôle de la partie pédagogique.Mais il faut remarquer que cette préoccupation pédagogique est beaucoup plus tournée vers la pratiqueque vers les spéculations abstraites. La revue contientpar exemple des articles expliquant comment réaliserune balance (et compenser ainsi l'absence de moyenspour le matériel pédagogique)… elle contient beaucoupde "recettes", de "trucs" pratiques. On notera que le Varn'est pas absent de l'animation de la revue, par exempleRaymond Jardin anime la rubrique pédagogique pendantun an. Ce choix est notamment lié au fait qu'il pratiquaitles techniques Freinet.

Le fonctionnement de l'ÉÉ semble avoir changé au coursdes années 1960. Sous l'impulsion des transformationssociologiques locales en premier lieu : le départementest d'abord peu urbanisé, puis l'urbanisation entraîneune activité syndicale plus structurée. Les tendancess'individualisent plus nettement, la liste communeavec le courant socialisant devient de l'histoireancienne.

XIII

Quelques responsables de l'ÉÉ…

Roger BozaneArrivé à l'École Normale à Draguignan en 1949,première promotion après la guerre puisque Pétainavait supprimé les Écoles Normales. Les élèves sonttous internes, à l'époque c'est une obligation. Les classesde normaliens ne sont pas mixtes même si certainscours ont lieu à l'école normale de filles : la mixitécommence à peine. La vie en École normale est trèsaustère : ainsi Roger relate que les élèves ont une seulecouverture sur le lit, dans un dortoir pas chauffé ! La quatrième année était l'année de formation professionnelle. Il arrive rapidement à l'ICEM et à l'ÉÉ.

À Toulon, il bénéficie de la présence d'un "poste d'actionlaïque" : il est nommé à Toulon sur ce poste à conditionde faire du "patronage" le jeudi : pour l'USEP le matin,pour les FRANCAS l'après-midi (on se rappellera qu'àcette époque le jeudi était traditionnellement un jourde repos). L'existence de ce type de poste, surprenanteaujourd'hui, résultait d'une entente entre l'Inspectiond'Académie et la FOL. Ce sont des postes dont ladurée est limitée à deux ans, il y en a six ou sept dansle Var à l'époque.

Il s'intéresse de près au mouvement Freinet, et notammentà la Coopérative de l'Enseignement Laïque. Celle-cipublie La Gerbe, un recueil de textes pour les cours deCP très utilisé par les militants varois de l'ÉÉ.

Pour Roger, il ne faut pas perdre de vue l'importancedu travail collectif, de tous les camarades qui ne sont pas mentionnés, mais aussi le rôle déterminant et injustement passé sous silence des femmes des militants École Émancipée de ces années-là.

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Au plan national ensuite. Ainsi le SNI se structurebeaucoup plus à partir des années 1960, dans le cadre de lamontée du phénomène de bureaucratisation quil'entraînera vers un syndicalisme dont un élu ÉÉ duSNI (Georges Puget) dira plus tard à la tribune que "ce n'est plus un syndicalisme de masse, mais un syndicalisme de li-maces" !

L'ÉÉ est elle aussi amenée à se structurer plusrigoureusement : c'est au début des années 1960 quele Collège national de l'ÉÉ se met en place. À partir delà les débats dans l'ÉÉ sont devenus plus politiques, ce quia amené à se structurer davantage et également entraînédes évolutions dans la Revue qui s'éloigne des pratiquesavec des classes.

Toutefois, les liens de l'ÉÉ varoise restent très lâches avecla tendance nationale : elle n'envoie presque personne auxCollèges ou aux Semaines. Par exemple, le secrétaire del'ÉÉ Roger Bozane n'allait pas au Collège… montait auCollège qui voulait, mais il faut préciser que cela neconstituait pas un périple de tout repos : il fallait 10 heuresde voiture pour y arriver, dans ce cas les militants varoiscampaient à Ivry. Et ce n'est qu'en 1974 que les deuxmilitantes varoises en charge du SNES décident d'aller àla Semaine d’Enveigt… où personne quasiment ne leurprêtera une quelconque attention !

Les années 1970 connaissent aussi une autre transfor-mation : l'apparition qui devient plus soutenue dans leSNES alors qu'au départ les enseignants du seconddegré sont très peu nombreux dans le GroupeDépartemental. L'ÉÉ dans le SNES avait déjà du mondedans les années 1970, en moyenne il y avait deux militantsdu SNES au Groupe Départemental. Pour les militantsdu SNES, le GD a aussi un rôle de préparation desinstances syndicales, en commun avec les instituteurs.La réciproque est aussi vraie, l'ensemble des militants seréunissent par exemple pour préparer les congrès duSNI. Cette particularité donne à l'intervention de l'ÉÉen particulier dans les congrès de la FEN un poids

bien au-delà de ses seuls effectifs face aux deux tendancesmajoritaires rivales des premier et second degrés.

Il faut dire que les années 1970 voient la fin du systèmedes Collèges d'Enseignement Général, au profit des CESqui contiennent à la fois des enseignants du premier etdu second degré. Nous ne disposons pas d'éléments surl'influence électorale de l'ÉÉ dans le SNES, il semblequ'elle était faible : "soit les gens n'étaient rien du tout,soit ils étaient PCF et UA" (Nicole Desautels).

Au milieu des années 70 le groupe varois accueillera deuxuniversitaires : André Chervel (qui à l'époque accumule ladocumentation en préparation de son Histoire de la

grammaire française… et il fallut apprendre à écrire à

tous les petits français et qui est retourné enseigner encollège) puis Gérard Février professeur de chimie àla toute nouvelle université de la Garde dont il sera untemps le président élu !

Des militants du GD 83 :Roger Bozane, Quentin Dauphiné, NicoleDesautels, Lucienne et Raymond Jardin �

Et aussi…Roger Chabot qui dans un passage difficile a porté àlui seul toute la responsabilité départementale de latendance et cela pendant un temps assez long.Ajoutons qu'il fut un membre important des CCVLV("Colonies et Camps de Vacances Laïques varois").

Georges Puget fut un combattant efficace pour lapropagation de la tendance dans le Var. Il fut aussi unmembre important des CCVLV dans leurs implantationsà l'extérieur du Var et particulièrement en Forêt-Noire.

François Simian qui fut un membre important desCCVLV applique les techniques Freinet en ville(Brignoles) ce qui est un travail délicat et difficile.De plus il fut un vérificateur aux comptes de lacoopérative de l'enseignement laïque (Freinet).

XIV

Quelques responsables de l'ÉÉ…

Nicole DesautelsIPESienne issue du CPR d'Aix-Marseille, elle est arrivéeà l'ÉÉ dans les années 1970, jamais syndiquée jusquelà, au départ elle se retrouve sur une liste menée par leFUO ("Front Unique Ouvrier", tendance animéenotamment par les militants de l'OCI mais dont elleignore totalement les attaches politiques). Puis elle s'enéloigne rapidement, et anime le travail de l'ÉÉ dans leSNES au niveau du département et très vite pourl'Académie de Nice où elle sera élue sans discontinuerjusqu'à sa retraite (congrès nationaux compris).Comme elle le dit, "une fille toute seule est amenée àprendre rapidement des responsabilités". À cetteépoque en effet, L'ÉÉ dans le SNES varois est animéependant plusieurs années uniquement par des femmes(Héliane Longères Luciani à Nice, et à Toulon LuceHacquard, Nicole Desautels et Agnès Baravalle).

Intéressée par la pédagogie et le mouvement Freinet -elle note des tensions dans l'ICEM de l'époque, avec

des conflits qui existaient déjà en 1968 - avant mêmede rejoindre les listes de l'ÉÉ, elle vient aux réunionsdu groupe Freinet de Toulon. Elle essaie un travailpédagogique en français fondé sur le "texte libre" aucollège Pierre Puget. Cela a d'ailleurs des conséquencessur les rapports de l'Inspection, qui la mettent enporte-à-faux. Plus tard elle fait partie des militants quirédigent une lettre à l'inspecteur pour affirmer leur position concernant le rôle rétrograde de l'Inspection.Prenant ses distances avec la pédagogie Freinet, ellerejoindra ensuite les groupes d'enseignants pionniersde la fin des années 70 pour un travail expérimentalavec l'image et l'audiovisuel (ICAV) qui déboucheraplus tard dans les années 80 à une époque où le ministère encourage le travail pédagogique en classeavec la presse et les médias. Elle implantera ainsi leCLEMI, dont elle deviendra coordonnatrice dans l'académie de Nice où elle mettra en place les premiersplans de formation d'enseignantEs et la premièreSemaine de la presse dans l'École.

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Florentin Honoré Alziary

ou le refus de parvenir(1898-1989)

Dès le début la carrière d'Alziary est marquée parce "refus de parvenir" qui l'amena à décliner à lasortie de l'École Normale une proposition de

poste en cours complémentaire à l'issue d'un remplacementdans la ville préfecture pour exercer dans des écoles devillage (Tourtour, Bras - où il s'engagera dans une logede la franc-maçonnerie de Brignoles qu'il cesseraensuite de fréquenter, Tourves, Pierrefeu…). Marié en1932 à une institutrice qui pratiquait l'imprimerie àl'école de Freinet, il exerça ensuite en poste double auThoronet puis à La Seyne à partir de 1938 à l'écoleMartini où il choisira ensuite d'exercer dans uneclasse de perfectionnement, appelée plus commu-nément à cette époque classe de "retardés scolaires" -surnommés "les anormaux" - jusqu'à sa retraite en 1954.

Attaché à l'indépendance du syndicalisme enseignant

À sa sortie de l'École normale,Alziary avait adhéré au Syndicat desmembres de l'enseignement de larégion du sud-est, devenu au débutde 1921, Syndicat des membres del'enseignement des Bouches-du-Rhône et du Var. Comme les autressyndicats départementaux, celui-cifut dissout par décision de justiceau début de 1922. Quand se posa laquestion de l'adhésion à la CGTUde ses membres, en mai 1922, lamajorité de ses camarades choisirentla neutralité. Un an plus tard, tousse retrouvèrent dans l'Union généraledes membres de l'enseignementpublic du Var. L'assemblée généralede Toulon, le 26 novembre 1925décida d'adhérer au Syndicat national,et donc à la CGT et Alziary futd'ail leurs désigné au Conseild'administration. Mais il s'étaitprononcé pour rester membre de la Fédération etde la CGTU. Et tout en étant membre du Syndicatnational, il continuera à adhérer à la Fédération CGTUde l'enseignement jusqu'à la fusion de 1935 (voir lesarticles Centenaire de L'Émancipation n° 6 à 10, févrierà juin 2010).

Ceci explique que désigné comme délégué suppléantdu Var, le 22 juillet 1927, pour participer au congrès duSyndicat National, il préférera se rendre à Grenoblepour participer au congrès de la Fédération CGTU del'enseignement. Cette décision lui valut d'importantes criti-ques. Toujours secrétaire adjoint de la section du SN, ilparticipa à nouveau au congrès de la Fédération CGTUà Besançon en août 1929 et en fit un long compte-rendu, critique à l'égard des communistes, dans le bulletin de l'Union générale. En 1931, élu secrétairegénéral, il présenta une motion, adoptée à l'unanimité,qui proposait l'exclusion du syndicat des collègues quin'avaient pas suivi le mot d'ordre de grève des jurysd'examen des bourses. Les effectifs baissèrent (un quartdes adhérents varois exclus) alors dans le Var comme enFrance. Délégué pour le congrès national de Paris de1931, ses votes s'y distinguèrent souvent de ceux de l'autre délégué du Var, Maurel : blâme pour Jouhaux,

contre la nécessité de réunir lesdeux-tiers des mandats d'uncongrès pour décider une action,contre la suspension de l'abstentiondes jurys comme forme de luttepour les traitements, pour lamotion d'orientation 3...

Dans le compte rendu qu'il fit ducongrès dans le Bulletin, il écrivitnotamment : "Un autre détail nousfut agréable : l'absence de tricoloredans la décoration de la tribune de lasalle, c'est peut-être seulement fortuit.Dans certains congrès, le bleu, blanc,rouge nous offusque passablementpour que nous manquions l'occasionde signaler ce signe matériel de l'indé-pendance du syndicalisme", ce quilui valut d'être traduit par le Préfetdevant le Conseil départemental.Une motion de solidarité fut votéepar le conseil syndical unanime ; de

nombreux enseignants protestèrent dans la presse.Finalement, la réunion du CD conclut contre toute sanction sous réserve d'une déclaration d'Alziary.Dans la presse parut alors le communiqué suivant :"Le secrétaire général du Syndicat traduit devant le CDpour une phrase du compte-rendu du Congrès de Paris,déclare qu'il n'a jamais été dans sa pensée d'attaquer ou d'offenser le drapeau national".

Impossible d'évoquer l'histoire du groupe départemental varois de l'École Émancipée sanss'arrêter sur le parcours de ce fils de prolétaires admis à l'École normale de Draguignan en1917, unanimement reconnu de ses pairs et encore aujourd'hui. Déterminant pour l'École Émancipée varoise dont il a été longtemps le correspondant départemental, il constitue un condensé exemplaire de choix militants courageux et déterminés sous le signede l'indépendance syndicale et des luttes concrètes. *

XV

Source : Thierry Flammant L'ÉcoleÉmancipée une contre-culture de labelle époque. Les Monédières 1982

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… vis à vis de l'administration, des élus et des partis

Après le refus par l'assemblée générale du 21 juillet 1932de sa motion sur la collaboration avec l'administration,Alziary démissionna de sa responsabilité de secrétairegénéral et se vit confier la responsabilité du bulletindépartemental dans lequel il se distingua pardeux interventions importantes : après avoir reçu desréponses au questionnaire paru dans le Bulletin en mars1933, publication dans le Bulletin, en juin 1933, d'unprojet de réorganisation du conseil syndical sur la base des sections cantonales et de nouveaux statuts, adopté le20 juillet 1933, puis publication, en mai 1935 d'un rapport sur "l'état matériel de l'école" dans le département,synthèse sur la situation de l'école primaire. En septembre1936 il participa au Rassemblement universel de la Paixà Bruxelles et en fit le compte rendu dans le bulletin.

Comme beaucoup de militants des "Amis de l'École

Émancipée" en train de se constituer, et dont Alziaryanimait le mouvement dans le département, il marquades distances à l'égard du syndicat dans le Frontpopulaire. Dans une lettre d'avril 1937 il écrivait : "Jenourris à l'égard de la politique une aversion complète etfoncière. Adhérer à un Parti de gauche serait accepter leconfusionnisme presque fatal qui conduirait rapidement àdes expressions ou à des actes en total désaccord avec masincère pensée".

Pendant la seconde guerre mondiale, Alziary, gréviste le30 novembre et non mobilisé, fut suspendu, en octobre1941, en application des mesures contre les officiers deloges maçonniques alors qu'il ne fréquentait plus deloge depuis une dizaine d'années. Il ne perçut aucunsalaire pendant une année puis seulement 500 francspar mois. Il loua des terres pour les cultiver. Sa femme,à la suite d'une longue maladie, mourut en janvier1944. Il entra alors comme secrétaire comptable à lacaisse d'assurances sociales "Le Travail", dirigée par dessyndicalistes et dont les locaux abritaient les réunionsclandestines de mouvements de résistance et de transfertsde fonds auxquels il fut associé. À la Libération, il futréintégré dans l'enseignement et retrouva sa place dansle conseil syndical où il demeura jusqu'en 1952.Membre de la commission des affaires administratives,il fut délégué au congrès du SNI de Grenoble en 1946.

En décembre 1945, Alziary fut désigné pour siéger auConseil départemental de l'enseignement primaire avec267 voix sur 291 votants, mandat renouvelé en 1951,avec 313 voix sur 333 votants. Démissionnaire avec sescamarades à la fin de 1953, il fut réélu le 21 janvier1954 avec 289 voix sur 331 votants. Continuant à animer le groupe varois des militants de l'École Émancipée,il siégea à la Commission administrative permanente(1948-1954) et au Comité technique paritaire (1948-1950). Il vota notamment en mai 1948 une motionfavorable à la mise en demeure d'avoir à abandonnerpour tous les syndiqués leurs responsabilités à la FEN-CGT, et en juin 1949 une motion revendiquant

l'autonomie et demandant "la reconstruction d'une CGTdémocratique". Pour l'élection au conseil syndical ennovembre 1949, il figurait à la fois sur la liste "pour unsyndicalisme indépendant et constructif" et sur la liste présentée par "les amis de l'École Émancipée". Délégué du SNIà La Seyne, il entra en conflit en 1951 avec la municipalitécommuniste, dirigée par un ami, l'ancien instituteursyndicaliste Toussaint Merle, à propos de l'indemnitéde logement des enseignants. Il restera pendant quelques années membre du conseil syndical au titre deresponsable de la commission des retraités.

Un engagement pédagogique et mutualiste sans concession

Après une visite à Célestin Freinet, à Bar-sur-Loup, enmai 1926, des contacts permanents entre Alziary etFreinet s'étaient établis. Alziary s'inspira des méthodesnouvelles (textes libres, correspondances). Il acheta unepresse à imprimer puis fabriqua une presse à rouleau. Ilfut un des collaborateurs réguliers du journalL'Imprimerie à l'école et participa au développement del'Office du cinéma éducateur et à la Fédération varoise descoopératives scolaires. Il dirigea le service des correspon-dances scolaires pendant une trentaine d'années, pritpart à tous les congrès, aux travaux des équipes de travail. En 1932, alors que se déroulaient des attaquescontre Freinet dans les Alpes-Maritimes, relayéespar les milieux de droite dans tout le pays, il s'associa àla campagne de soutien lancée dans L'Éducateur

prolétarien, figurant avec un autre instituteur varois,Bourguignon, dans le bureau du comité. En réaction àun article de Levasseur sur Freinet, il envoya à L'École

libératrice, organe du SNI, un article dont la directionnationale du syndicat refusa l'insertion. Cet article futalors publié dans le Bulletin du syndicat varois, dont ilanimait la rubrique pédagogique, en janvier 1933 etdans d'autres bulletins départementaux.

Alziary eut aussi une activité mutualiste. Il représentaitla société de secours mutuels de l'enseignement publicdu Var au congrès de naissance de la Mutuelle généralede l'éducation nationale, MGEN du 8 décembre 1946.Membre du conseil d'administration, il devint archivistede la caisse varoise, dès sa création, en mars 1947 etle demeura jusque dans les années 1960. Retraité, ils'occupa du lancement d'une maison pour handicapésdans le quartier de Tamaris à La Seyne. Son fils Jean-Luc,collègue de Roger Bozane et de Nicole Desautels aucollège Pierre Puget à Toulon figura de 1961 à 1971sur les listes du Conseil syndical des amis de l'ÉcoleÉmancipée. Il a déposé les archives très importantes deson père dans différents centres : Paris-Sorbonne, INRPRouen et CIRA à Marseille.

XVI

* cette biographie est issue de la notice bibliographiquede plusieurs pages dans le Maitron rédigée parl'universitaire Jacques Girault, auteur d'une thèse dedoctorat d'État sur Le Var rouge.

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Les sociétés conservatrices contiennent toujours en leursein des éléments qui les remettent en cause. Longtempsancré à droite, le Finistère a toujours eu des îlots de

contestation. Dans l'entre-deux- guerres, on parlait de "Brestla Rouge", où mon grand-père, cheminot anarchisant, avaitamené ses deux fils (futurs instituteurs militants de l'ÉÉ) àune conférence de Sébastien Faure. Au début des années 20,Douarnenez se donne un maire communiste qui soutient lagrande grève des "sardinières" de 1924-25 avec l'appui deCharles Tillon.

Des instituteurs issus du peuple et avides de changer la sociétéC'est dans ce contexte que des militantEs d'origine populaires'investissent à la fois dans l'action syndicale (dès sa premièreannée comme instituteur suppléant, mon père fait sa premièregrève à Daoulas avec Jean et Josette Cornec et s'inscrit à l'ÉÉ),et dans l'action pédagogique (à Quimper, René Danieldevient le premier correspondant de Freinet).

Après la guerre, ces militantEs participent activement au combatlaïque contre la loi Barangé d'aide aux écoles privées (1951)et contre la loi Debré (1960) qui la renforce. Ils/elles mènentégalement la lutte contre le colonialisme français et la guerred'Algérie : en mai 1958, mon père devient président duComité anti-fasciste de Morlaix au moment du putschd'Alger. C'est enfin la lutte contre l'hégémonie gaulliste : en 1967,Roger Prat, militant EE et PSU (dans le sillage de Tanguy-Prigent) arrache le siège de député de la circonscription de

Morlaix à Pierre Lelong, unconseiller de Pompidou, le privantainsi du poste de ministre qui luiétait promis. Siège cependantperdu après la "vague bleue"d'après mai 1968.

Fred Rospars, un militant enseignant,trotskiste et internationaliste

Plus jeune d'une quinzaine d'années, Fred Rospars a rejointces militantEs par la précocité de son engagement, en pleineguerre mondiale. Élève de l'École Normale de Quimper en1943, il découvre à l'âge de 17 ans le marxisme, le trotskysmeet la Résistance. Il adhère à un groupe de résistantEs trotskystesqui parvient à recruter des soldats allemands antinazis àQuimper et à l'Arsenal de Brest, obtenant ainsi des fauxpapiers et laissez-passer qui leur permettront de transmettre àLondres les plans de l'Arsenal. Mais le groupe est repéré et Fredne doit qu'à sa rigoureuse ponctualité d'échapper à la rafle.

Après la guerre, membre du PCI réunifié, il mène de front activitésyndicale dans le cadre de l'ÉÉ et activité politique, en faisantnotamment partie en 1951, avec son épouse Yolande, desBrigades Internationales de travail dans la Yougoslavie de Tito,qui représentait alors l'espoir d'un renouveau communiste.Surtout, dès l'éclatement de l'insurrection algérienne, ils'investira dans le soutien à la Fédération de France du FLN.À la fin de la guerre, il participe à une commission chargée derégler le contentieux franco-algérien pour l'enseignement,avant d'enseigner avec Yolande en Algérie de 1936 à 1968.

Son militantisme politique le conduit à adhérer à la tendance"pabliste" (de Michel Raptis, dit Pablo), qui influence fortementle gouvernement de Ben Bella, qui se prétend alors socialisteautogestionnaire. Surpris par le coup d'État de Boumedienne enjuin 1965, il parvient à soustraire des documents et à sauver desmilitants, sans se faire repérer, grâce une fois de plus à saponctualité.

Après 1968, son internationalisme le conduit en Côted'Ivoire, où il contribue à l'élaboration d'ouvrages pédagogiquespour l'enseignement du Français. Puis, à son retour en France, ilcontinue à militer dans le courant pabliste devenu l'AllianceMarxiste Révolutionnaire (AMR) qui se maintient jusqu'en 1988.

Un militant exemplaireIl ne s'agit pas pour nous de faire de nos militantEs des hérosou héroïnes. Mais ils peuvent être des exemples. Par sonengagement et la rigueur de sa pensée, Fred, décédé en février2008, a influencé ceux qui l'ont connu, notamment sa filleFrançoise, membre en 1968 de la JCR et arrêtée à ce titre avecClaude Léaustic (future présidente de France-Palestine).Remarquable conteur, il a également marqué fortementl'écrivain Michel Le Bris (voir encadré), qui fut son élèvependant quatre ans.

Paul Dagorn �

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L’Émancipation syndicale et pédagogique - 6/10/2010

Fred Rospars

Fondateur du festival "Étonnants voyageurs" à Saint-Malo,

Michel Le Bris a été durant quatre ans l'élève de Fred.

C'est avec émotion qu'il fit son éloge funèbre au

funérarium de Brest, en février 2009. Les deux hommes

s'étaient retrouvés après 1968 quand Fred, de retour

d'Algérie, avait rendu visite à son ancien élève, alors

emprisonné pour subersion politique en tant que

directeur du journal maoïste La Cause du Peuple. Avec

humour, Fred lui avait dit : "c'est quand même un comble

qu'un trotskyste vienne soutenir un maoïste". Ce fut le début

d'une longue amitié…

"J'ai eu l'extraordinaire chance d'un maître qui m'a accompagné,guidé pendant les quatre années passées au cours complémentairede Plougasnou, de la 6ème à la 3ème… Et ce maître auquel je doistout, c'est Fred Rospars - pardon, "monsieur Rospars", car cela sepassait en un temps où les maîtres n'étaient pas des copains quenous appelions par leurs prénoms…

Il n'était pas de ces enseignants qui font de leurs cours une tribune.Mais il me répondait : « Tu dois te battre pour tes idées. Et n'enchanger que si l'on te démontre que tu as eu tort ». J'ai - je crois- retenu la leçon… Fred Rospars m'a ouvert toutes grandes lesportes de la littérature et fait de moi à jamais un rebelle. Et pourcela aussi je voulais ici lui dire une fois encore et ce ne sera ladernière : merci".

Michel Le Bris �

XVII

Finistère

Un parcours syndical et politique au milieu du XXème siècle

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1968 : un bilan à approfondirUn précédent article ("1968 : la révolution manquée", L'Émancipation de mai 2010) évoque la

grave crise que connaît alors l'École Émancipée. Cet article est, pour l'essentiel, un extrait

du travail réalisé par Gabriel Mollier. Il s'en dégage l'idée - incontestable - que l'École

Émancipée, en tant que courant organisé, passa à côté de la grève générale de 1968 et ne

sut pas répondre aux questions politiques majeures qui se posaient alors.

Pour un courant qui se réclamait de la révolution,c'était désastreux. Pour justifier cet état de fait,l'article met en avant la crise qui touchait alors

l'École Émancipée, crise imputable "à la tentative deprise de contrôle" de la tendance par l'OCI (groupeLambert) "qui sera bientôt exclue".

Quarante années plus tard - les passions étant calmées -on peut penser qu'il serait utile et nécessaire de faire decette crise une analyse plus approfondie, et de tenter derépondre à quelques questions : la quasi inexistence del'École Émancipée en 1968 est-elle due à l'OPA tentéepar l'OCI, ou bien à ses propres faiblesses ? Pourquoil'accord entre les différentes sensibilités (syndicalistesrévolutionnaires et trotskystes notamment) prit-il finaprès plus de quinze années de travail en commun ? Enquoi la situation nouvelle des années 65-70, le surgissementde nouveaux groupes et courants politiques ont-ils pesédans l'École Émancipée ? Quels furent les désaccords entermes d'orientation?

Les lignes qui suivent visent seulement à ouvrir des pistesde réflexion.

Rappelons brièvement (cf. L'Émancipation n°8 et 9) quela tendance ÉÉ fut reconstruite par l'activité communedes syndicalistes révolutionnaires et des trotskystes, etque l'accord politique passé entre ces sensibilités différentes se traduisit ensuite par la proposition de lamotion Bonnissel-Valière (1948), dont plusieurs articlesont rappelé le rôle historiquement décisif.

Et ensuite ? Dans la FEN devenue autonome, l'activitéde la tendance végéta : la situation politique des annéescinquante, difficile, pesait lourdement. L'ÉÉ devint peuà peu l'"opposition de sa majesté". Les trotskystes eux-mêmes étaient touchés de plein fouet par la dislocationde la Quatrième internationale : tandis qu'une partied'entre eux se noyait à l'intérieur du PCF, les effectifs du groupe français subsistant (et dont Lambert allaitprendre la direction) s'effondraient.

Premières failles

La situation se modifie au début des années soixante :les mobilisations contre la guerre d'Algérie, puis la grèvegénérale des mineurs en 1963 qui met De Gaulle enéchec, contribuent à l'émergence d'une nouvelle génération qui s'engage ensuite dans la mobilisationcontre l'intervention américaine au Viet Nam. Alors quede nouveaux groupes politiques apparaissent, le groupetrotskyste (l'OCI) renaît de ses cendres. Et sa directionremet en cause la politique suivie par ses militants dansle syndicalisme enseignant.

Le premier heurt a lieu en 1964, à l'occasion duCongrès du SNI à Lille, épisode que l'on appela "l'acte

de Lille". Considérant que la réforme administrativeimposée par le gouvernement conduit à intégrer le syndicat àl'appareil d'État, l'École Émancipée, à juste titre, se prononce pour que les élus du SNI refusent de siégerdans les instances de participation. Mais la direction del'OCI exige de ses militants que l'ÉÉ aille plus loin qu'unesimple déclaration et démissionne du bureau national duSNI. L'ÉÉ se soumet, mais cela provoque une premièrecrise dans la tendance.

La crise touche également la fraction trotskyste qui,pour une grande part, est rétive à briser le fonctionnementconsensuel qui prévaut au sein de la tendance.

Les plaies sont ravivées lorsqu'est connu en 1967 undocument interne de l'OCI qui affirme que la fractionenseignante (de l'OCI) devra contrôler "nos représentantsdans les instances syndicales".

1967 : Rien n'est encore joué

L'activité militante conjointe ne s'en poursuit pasmoins, et peut s'avérer fructueuse.

En témoigne la mobilisation en défense des Écoles normalesdurant l'année 1966-1967. En toile de fond, il y a lecombat des étudiants contre la réforme Fouchet.

Pour les Écoles normales d'instituteurs et d'institutrices,cette réforme constitue un pas décisif vers leur liquidation.Déjà, en 1966, tous les maîtres ne sont plus recrutés àla fin de la classe de Troisième et le recrutement après lebaccalauréat se développe. Néanmoins subsiste un fortcontingent de "normaliens" qui préparent le bac au sein desEN. Le gouvernement veut en finir avec cette formation etdisperse alors ces normaliens parmi les élèves de lycées.

À l'initiative de jeunes trotskystes est lancé un appel desnormaliens d'Auteuil devenus lycéens à Turgot. Uncomité est constitué, dont on ne peut pas dire qu'il soit undoublon de l'École Émancipée puisqu'il vise à regrouperenseignants, étudiants et parents d'élèves. C'est le pointde départ d'une importante mobilisation qui se tournevers les directions syndicales. Mais les dirigeants du SNIont décidé de laisser passer le plan gouvernemental.

Ce combat est aussi celui de l'École Émancipée. AinsiJulien Desachy intervient-il lors du congrès national duSNI en reprenant à son compte l'appel des normaliensd'Auteuil pour "la tenue d'une conférence pour la défensedes E.N. où tous ceux que ce problème touche (normaliens,instituteurs, professeurs, parents) chercheraient les voies etles moyens de la défense des EN".Sans revenir ici sur les développements ultérieurs, onpeut dire que l'École Émancipée tire alors profit de cecombat.

XVIII

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L'École Émancipée dansla Grève générale de 1968

C'est dans cette "ambiance" qu'éclate la grève généralede 1968, au cours de laquelle l'ÉÉ comme telle reste surle bord de la route, ses adhérents agissant à titre individuelou en relation avec leur appartenance politique.

C'est à la fin de la grève générale qu'a lieu l'épisode del'occupation des bureaux du SNI par des enseignantsréunis en AG après avoir appris que le SNI appelait àreprendre le travail. Les militants trotskystes présentsappellent à l'occupation des locaux syndicaux désertés.Le temps d'instaurer un comité de grève provisoire pourrelancer la grève, et l'occupation cesse au bout dequelques heures. La campagne haineuse des bureaucratessyndicaux contre les initiateurs (et contre l'ÉcoleÉmancipée) sera à la hauteur de leur trahison. Mais laréponse de l'ÉÉ, qui n'y est effectivement pour rien, n'arien de glorieux, "comprenant la colère de nos camarades"mais déclarant "regrettable" cette occupation.

Cet épisode aurait néanmoins pu être surmonté (enGrèce il y a peu, l'occupation des locaux syndicaux pardes anarchistes, justifiée ou pas, n'a pas été désavouéepar les autres courants radicaux). Mais dès la rentrée deseptembre 1968, tout devient prétexte à affrontement :l'hebdomadaire des trotskystes s'en prend durement àcertains animateurs de la tendance (sur leur refussupposé d'un comité central de grève en mai-juin) et lesautres sensibilités déclarent incompatibles le fait d'êtremembre de l'ÉÉ et d'être membre d'un CAOTE (1). Or,il s'agit là de comités politiques initiés par les trotskystes.Mais ils sont perçus comme "doublant" l'École Émancipée.En décembre, la rupture est consommée.

Rétrospectivement, il semble que ce furent là des prétextes,qui ont masqué les faiblesses des uns et des autresdurant la grève de mai-juin, et ont permis alors aux unset aux autres de ne pas faire de vrai bilan critique sur lesorientations mises en œuvre. Par exemple : alors que le10 mai 68 surgit dans les manifestations le mot d'ordre"10 ans, ça suffit !", la question centrale du combat pourchasser De Gaulle est totalement ignorée par la directionde l'OCI de même que par les autres composantes de l'ÉÉ.

Les conséquences de cette absence de bilan serein sontexacerbées par le fait que l'École Émancipée agrègedésormais de nombreuses (et conflictuelles) "sensibilités"politiques qui fleurissent à cette époque.

Dans cette situation, l'École Émancipée devient unenjeu pour beaucoup de groupes.

La rupture

On ne peut en particulier, aujourd'hui, passer soussilence l'arrivée des militants de la Jeunesse communisterévolutionnaire (le groupe Krivine est issu de l'UEC etdu PCF en 1966 ; la Ligue communiste est fondée en1969). Les premiers d'entre eux sont présents dès lesannées 66-68 avec un objectif : transformer l'ÉÉ en"fraction communiste" sous leur contrôle. Les bulletinsintérieurs de la Ligue de l'époque en témoignent. Cegroupe a intérêt à la rupture entre les trotskystes del'OCI et les syndicalistes révolutionnaires. D'autant plusqu'il existe entre l'OCI et la Ligue une profonde hostilité.

C'est ainsi que l'OCI s'isole au sein de la tendance, faceà un bloc fort disparate mais provisoirement soudé.

Après l'exclusion des militants de l'OCI, l'ÉÉ va, par crisessuccessives, passer peu à peu sous le contrôle croissantde la Ligue. Avec les conséquences ultérieures que l'onconnaît.

Faut-il en conclure que la racine des difficultés se trouveraitinévitablement dans la présence, au sein de la tendancecomme au sein des syndicats, de groupes politiques faisantprévaloir leur politique ? Répondre ainsi reviendrait àfaire passer au second plan les questions d'orientation,dont on est en droit de penser qu'elles sont décisives. Etles militants, qu'ils soient ou non politiquement organisés,sont à chaque moment confrontés aux mêmes questionspolitiques. Par exemple, il conviendrait de revenir avecprécision sur les difficultés de l'École Émancipée, auprintemps 1969, à apporter une réponse claire à la questiondu référendum gaulliste. Disons simplement que ces"difficultés" (fallait-il appeler au boycott ? Ou appeler àvoter non ? Ou bien encore ne pas répondre directement ?)furent autant le fait des militants organisés de la Ligueque des autres militants de la tendance.

L'un des enseignements que l'on peut tirer de cette époque,c'est que la première condition pour que soit préservéun cadre commun de discussion et de combat, c'est queles difficultés d'orientation soient clairement discutées,et que les bilans ne soient pas esquivés. De tels bilanssont, en tout état de cause, nécessaires pour les combatsprésents et à venir.

Serge Goudard �

(1) Comitéd'AllianceOuvrière desTravailleurs del'Éducation.

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Célébre affiche de mai 68

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L'École Émancipéeet la défense des Écoles normales

Les écoles normales d'insti-

tuteurs et d'institutrices, ces

"séminaires laïques" d'autrefois,

malgré leurs imperfections et

le régime quasi militaire

imposé aux élèves dès leur

entrée en première année,

étaient à la fois une occasion

de promotion sociale pour les

enfants du peuple et un

espace de préparation effective

au métier d'instituteur. Elles

ont constitué de tous temps

un vivier potentiel de syndi-

calistes et l'ÉÉ s'y est toujours

intéressée.

La loi du 28 juin 1833 imposa à chaque départementl'obligation d'entretenir une école normale primairede garçons mais il fallut attendre la loi du 9 août 1879

pour que soit créée une école normale de filles pardépartement et que la volonté du législateur soit respectée.L'École Émancipée dès sa première parution en 1910s'est adressée aux normaliens et normaliennes pourqu'informés et formés ils prennent part au combat pourl'émancipation syndicale, sociale et pédagogique.

Mais les circonstances de son intervention ont bien évoluédans le temps. Il n'était pas question pour les jeunes élèvespréparant à l'origine le Brevet Supérieur puis, à partir de1945 (1), le baccalauréat, mineurs confiés à la responsabilitédu directeur ou de la directrice (2), d'avoir une activitépolitique ou syndicale. Le droit syndical, très encadré,ne sera reconnu qu'aux élèves-maîtres de troisième puisde quatrième année au cours des années 50. L'attentionportée aux normaliens et normaliennes visait essentiel-lement à l'amélioration de leurs conditions de vie et à ladéfense individuelle contre un excès de rigueur voirecontre l'arbitraire administratif. Jusque 1968, le Syndicatnational des instituteurs (SNI) assurait mollement cerôle (3). Cela n'empêchait pas les exclusions pour manque de résultats, pour mauvaise conduite, ou,comme ce fut le cas à Avignon dans les années 60, pourgrossesse (4), ou encore à Rouen pour propagande politique: ce fut "l'affaire Ganne" de 1951 (ce militant communistefut exclu pour avoir introduit du matériel de propagande du PCF dans l'établissement) (5). Mis àpart dans quelques départements (Oise, Hérault…) oùl'ÉÉ était influente, les propagandistes les mieuximplantés étaient ceux du PCF par le biais de l'UJRF (6).De leur côté, les catholiques (de gauche) faisaient de l'entrisme avec les Paroisses enseignantes.

La radicalisation

La crise de mai allait modifier radicalement la situation.Travaillés depuis quelque temps par les trotskistes de laLCR à partir de 1970 et de l'OCI dès avant 1968 (entreautres activités fractionnelles, l'OCI a créé vers 1965 des"Comités de défense des Écoles normales" en dehors del'ÉÉ dont ses militants étaient pourtant partie prenante),les normaliens vont se radicaliser et l'ÉÉ va profiter descirconstances. C'est à partir des écoles normales en luttequ'elle va connaître une nouvelle jeunesse dansl'enseignement primaire. La revue va se faire l'écho deleurs luttes, relayées plus ou moins mécaniquement parla Tendance, et publiera même assez régulièrement unsupplément spécifique, le Maître-étalon.

Les revendications ne se bornent plus à un aménagementdes conditions de vie ou de travail des élèves-maîtres ;elles portent désormais sur le contenu, les formes et lastructure même de la formation. Les normaliens,inquiets pour l'avenir des ÉN se mobilisent un peu partoutet se coordonnent, organisant même une grève touchantde nombreux établissements durant plus de 10 jours enmars 1969. En effet, le pouvoir gaulliste, appliqué àréduire les coûts, rentabiliser l'école et favoriser le secteurprivé aux dépens du service public, ne voyait que desavantages à la disparition de ces foyers laïques et anti-cléricaux que constituaient encore les Écoles normales,menacées par des groupes de travail mis en place par leministre de l'Éducation nationale Alain Peyrefitte en mai 67et qui prévoyaient la suppression des ÉN avec leurs classes "pré-bac" pour les remplacer par "des instituts universitaires de pédagogie, situés au chef-lieu d'académie près del'université, ouverts par concours ou sur dossier à tous lesbacheliers, et comportant deux années de préparation

(1) Il faut rappeler que

Vichy avait, dès1941, remplacé

les EN par desInstituts deFormation

Professionnellene recrutant quedes bacheliers

formés en lycée.

(2) On n'atteignait

alors la majoritéqu'à 21 ans.

(3) Il éditait detemps en tempsun supplément

spécifique àL'École

Libératrice :Jeunes du SNI-

EN de France.

(4) Exclusionde la fille et du

garçon.

(5) J.Mourot,À l'école des

hussards noirs,BOD 2010.

(6) Union dela jeunesse

républicaine deFrance, avatardes Jeunesses

Communistes.

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professionnelle et d'enseignement de la pédagogie", reprenantainsi en les dénaturant les dispositions du fameux "Plan

Langevin-Vallon", référence constante de la Gauchedepuis 1945. Déjà, depuis les années 50, on recrutaitdes promotions de bacheliers formés en deux ans aumétier, parallèlement aux promotions traditionnelles deformation en quatre ans depuis la classe de seconde…

Bien que sans illusions sur le contenu idéologique del'enseignement dispensé et sur le rôle d'inculcationdévolu aux professeurs, les militants de l'ÉÉ ont longtemps

défendu les Écoles normales telles qu'elles avaient étéconçues sous la Troisième République. Elles avaient lemérite de permettre aux fils du peuple, enfants d'ouvrierset de paysans d'accéder aux études secondaires sansbourse délier, même si cela se payait d'un engagementde dix ans à servir l'État. Les ÉN étaient une occasion -la seule pour beaucoup - de promotion sociale. La relative démocratisation de l'enseignement et la nécessité de doubler le recrutement normal des instituteurset institutrices par un recrutement sauvage de bacheliers

La motion sur la formation des maîtres présentée parl'ÉÉ pour le congrès de Nice du SNI de novembre 1968rappelle que "depuis 1945 le problème des Écoles normalesest posé de la façon suivante :

- Les uns veulent la transformation des ÉcolesNormales en Instituts de formation professionnelle. Pouraboutir à cela ils estiment qu'il suffit de laisser mourir lesÉcoles Normales en leur refusant les crédits indispensablesà leur extension ou à leur reconstruction.

- Les autres déclarent être pour le maintien du recrutement à la fin de la 3ème, mais n'ont jamais engagéla lutte sur ce plan avec la vigueur indispensable.

D'autre part l'augmentation des effectifs élèves a amenéun recrutement massif de nouveaux instituteurs dont lagrande majorité n'a jamais reçu de véritable formationprofessionnelle.

Ainsi les Écoles Normales apparaissent comme des établissements vieillots aux structures quelque peu dépasséesformant une minorité d'instituteurs et d'institutrices.

Les Écoles Normales restent encore pour de nombreuxréactionnaires ou cléricaux des foyers de l'idéal laïque qu'ilfaut fermer au plus tôt.

Constatons enfin que les traitements de débuts insuffisantsdes maîtres attirent un nombre trop faible de candidatsnotamment dans les Écoles Normales d'instituteurs. C'estpartant de ces considérations que nous présentons lamotion suivante :

Le congrès du SNI

- rappelle que : le plan Langevin-Wallon prévoyait une formation commune de tous les maîtres accueillant lesélèves de 2 à 18 ans comportant 2 années dans les ÉcolesNormales suivies par la préparation d'une licence en 2 ansà l'Université.

- constate que ce Plan dans sa conception d'une véritableréforme de l'enseignement n'a jamais été appliqué, nepeut être appliqué que dans le cadre d'une réforme fondamentale des structures de la société capitaliste danslaquelle s'intègrerait la réforme de l'Université.

- Souligne :

- que la démocratisation de l'enseignement fait bien peude progrès ; que les discriminations sociales continuent àjouer au détriment des enfants des classes laborieuses ;que les Écoles Normales datent presque toutes de lapériode 1880-1900, que leur capacité d'accueil ne correspond absolument plus aux besoins de l'enseignementen 1968 ; que le recrutement parallèle (remplaçants) est

beaucoup plus important que le recrutement normalien ;que les remplaçants ne reçoivent pas de véritable formationprofessionnelle ; qu'un traitement de début de l'ordre de900 F par mois est insuffisant pour attirer les jeunes dansla fonction enseignante.

- Fixe ainsi la position du S.N.I. dans les circonstances présentes :

1) Tous les futurs instituteurs doivent passer par l'ÉcoleNormale (ce qui nécessite l'établissement d'un cadre detitulaires remplaçants).

2) Un plan de reconstruction ou de construction (régionparisienne) des Écoles Normales doit être établi avec deséchéances les plus proches possible.

3) Le cadre départemental des instituteurs doit être maintenu.

4) Comme l'a affirmé le Congrès des normaliens réuni àTours les 4 et 5 juin 1968 le maintien dans les ÉcolesNormales des classes de second cycle est nécessaire jusqu'àdémocratisation effective de l'enseignement sur le plannational.

5) La formation professionnelle doit être étendue à 2 ansdans toutes les Écoles Normales.

6) Les élèves-maîtres sont considérés dès leur entrée àl'École Normale comme de futurs instituteurs (conséquencessur la vie interne des Écoles Normales, sur le contenu del'enseignement, fin du paternalisme à leur égard).

7) Le bureau du S.N.I. prendra contact avec les normalienseux-mêmes pour déterminer les modifications dans le statut des Écoles Normales telles que les ont prévues lescommissions normaliennes au cours de la période mai-juin 1968.

8) Un resserrement de l'écart indiciaire début-fin de carrière des instituteurs permettra l'obtention d'un traitement de début de 1.200 F par mois.

Une fois ces premières mesures appliquées, une fois assurée la formation professionnelle de tous les futurs instituteurs, pourront être envisagées de nouvelles mesurestendant à élever le niveau de formation des maîtres ayantpour aboutissement la licence prévue par le PlanLangevin-Wallon.

LE CONGRÈS mandate le bureau pour populariser les prises de position ci-dessus, lancer avec les autres syndicatsintéressés de la F.E.N., avec les normaliens, avec lesparents d'élèves, dans le cadre du C.N.A.L. une campagnevigoureuse de défense des Écoles Normales avec des manifestations aux échelons départemental et national'.

Défendre et promouvoir les Écoles Normales

XXI

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(voire parfois de titulaires d'un simple BEPC !) lâchés sans aucune formation dans les classes en tant qu' "instituteurs remplaçants" vont modifier cet état de fait,le recrutement des ÉN concernant autant les classesmoyennes que les classes populaires, la profession d'instituteur et surtout d'institutrice constituant tantôtun pis-aller pour des exclus de l'Université, tantôt l'occasion d'un "salaire d'appoint".

Dès juillet 1968, Edgar Faure avait exprimé "son inclination" à en faire des instituts de formation pédagogique recrutant après le bac ; la circulaire ministérielledu 2 janvier 1969 était explicite : "Au budget de 1969 sontessentiellement prévus des emplois pour les nouveaux centres régionaux qui ouvriront à la prochaine rentrée".

Si l'OCI et l'AJS (Alliance des Jeunes pour leSocialisme), ancêtres du POI actuel ont dirigé de mainde maitre des comités de grève, les militants non "lambertistes" de l'École Émancipée, ont participé activement à l'action pour défendre les ÉN, mais aussipour exiger que des droits d'expression et d'organisationsoient enfin reconnus aux futurs instituteurs qu'étaientles "élèves-maîtres". Quand Julien Desachy, élu ÉÉ auBureau National du SNI prit la parole lors d'un meetingparisien regroupant plus de 200 enseignants et normaliens,pour la plupart militants ou sympathisants de l'OCI,l'atmosphère était lourde, électrique même. Il n'étaitpas le bienvenu dans cette période où l'ÉÉ en crise allaitvers une scission... Ce fut pourtant un tonnerre d'applaudissements qui conclut son intervention.

Alors que la direction réformiste UID du SNI, soutenupar la minorité Unité et Action (cégétistes, proches oumilitants du PCF) acceptait le leurre du troc : suppressiondes classes pré-bac contre deux années de formationprofessionnelle, dans son numéro spécial de mars 1969,consacré à mai-juin 1968, l'ÉÉ ironisait sur ceux quicroyaient au père Noël.

"La chute va être rude :- Tous les élèves-maîtres feront deux ans de formation

professionnelle au lieu d'un an. Dans quelles conditions ?- Un peu partout, l'Enseignement supérieur se déclare

incapable, faute de moyens, de participer à cette formation.- Les remplaçants continueront à être pris au niveau du

bac, sans formation professionnelle.- La première année de normaliens entrant au niveau

de la seconde, à la rentrée 1969, ne trouvera pasplace dans les Écoles Normales. Ces élèves-maîtres resteront dans leurs lycées d'origine.

C'est la première étape décisive vers la disparitiondes Écoles normales et vers leur transformation enInstituts de formation professionnelle en deux ans.Naturellement, on ne construira, ni ne reconstruirapas les Écoles normales, dont la plupart datent de1880 à 1900.

Majoritaires et cégétistes unis annonçaient unevictoire. Non seulement il n'y a pas victoire, nimême respect du statu quo. Ce que Pétain avaitfait dès 1940, le Gouvernement va le réussir en1969 ou 1970".

L'époque des coordinations

Les luttes normaliennes, notamment celles de1977-78, qui donneront lieu à des coordinationsboudées par le SNI - et dont le SGEN tentera detirer les ficelles - auront le soutien sans réservede l'ÉÉ. Elles auront pour objectif d'améliorerla condition des élèves-maîtres, de faciliterl'obtention du CFEN ou tout au moins lesredoublements en cas d'échec et d'éviter à lasortie les nominations trop problématiquespour des débutants.

En 1979, le SNI remportait une nouvelle "grandevictoire" : la formation initiale était portée à trois ans, organisée en unités de formation, avec stages enresponsabilité dans les classes ainsi que stages en entrepriseet de moniteur de colonie de vacances pendant les congés,le tout sanctionnée par un DEUG spécifique. Pour l'ÉÉ, cetteréforme était "réactionnaire" et devait "être combattuecomme telle" (7). Elle allait permettre des suppressionsd'établissements et de postes de profs d'ÉN, elle allaitdiviser le corps des instits, elle était normalisatrice, liquidait"toutes les recherches sur l'évaluation normative", favorisaitl'individualisme et le bachotage, etc. D'où de nouvellesmobilisations avec coordination nationale et appels à lagrève générale qui furent une nouvelle fois l'occasionpour le FUO (8) de tenter de manipuler le mouvementalors que l'ÉÉ, contrairement au SGEN ou à U&A quicherchaient à tirer la couverture à eux, se mettait au service des normaliens en lutte…

Les Écoles normales perdureront encore quelquesannées jusqu'à ce qu'en 1989 un gouvernement de gaucheles remplace par les Instituts Universitaires deFormation des Maîtres, censés donner une formationunique à tous les enseignants de la Maternelle à laTerminale. La page des Écoles normales était définitivementtournée.

Jean-François Chalot & Jean Mourot,

Août 2010 �

(7) L'École

Émancipée

n°14 du20.04.80.

(8) FrontUnique

Ouvrier, l'avatardu moment de

l'OCI.

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Georges Fontenis et L'École Émancipée

Deux entretiens avec Georges Fontenis qui nous a quittés il y a quelques mois (1) réalisés à plus

de dix ans d'intervalle par des camarades d'Émancipation (Gilbert Estève puis Jean-François

Pelé) permettent de revenir sur des années partagées importantes pour la vie de la tendance

et de la Revue : le contexte de l'É.É après la Libération, avec le redémarrage de la Revue

auquel il a été associé, et aussi l'évolution des rapports avec les libertaires confrontés à

l'arrivée de différents groupes trotskistes.

� Un "autre" communisme propos recueillis par Gilbert Estève,extraits d'un article publié dans L'ÉcoleÉmancipée n°9 du 20 janvier 1991, pp. 30-33.

(…) L'É.É : Tu as été l'un des réorganisateurs de l'ÉcoleÉmancipée à la Libération. Succinctement pourrais-tu nousrappeler la situation de l'époque et la part, parmi d'autres,qui fut la tienne dans le redémarrage de la tendance et dela revue ?

G.F : À l'époque, à la "Libération", il y a hégémoniestalinienne, avec un caractère de violence aujourd'huiinimaginable. Mais tout un pan de la population nemarche ni dans le délire PCF ni dans le délire cocardierdes gaullistes. L'atmosphère étant au changement, à larupture, les opposants se portent vers l'aile révolutionnaire,les trotskistes, les anarchistes, les Jeunesses socialistes(très à gauche de la SFIO). Cela explique l'essor duLibertaire : en ce qui regarde le milieu syndical, cettefrange d'opposants, appuyés par ceux qui ont survécu àla tourmente, physiquement et politiquement, varedonner vie, sans délai, au syndicalisme révolutionnaire,et, pour les enseignants, à l'École Émancipée. C'est aucours des premières réunions à la Bourse du Travail deParis que des affinités apparaissent. Ceux qui se distinguentà la fois des réformistes et des staliniens sont traitésd'hitléro-trotzko-anarchistes et sont parfois physiquementagressés.

J'apprends que des anciens vont relancer L'École

Émancipée et je participe aux premières réunions, avecPennetier, Galienne, Guilloré, et sur le plan nationalavec Valière et Sarda : nous sommes une bonne quinzainepour commencer. Solange Dumont que je rencontre dansces réunions sera ma première liaison avec le mouvementlibertaire qui se reconstitue. C'est alors que nous projetonsde publier la Revue, Marcel Pennetier et moi nous chargeonsde la partie imprimerie (le premier numéro imprimé- bien modeste - sera confectionné chez un artisanimprimeur que je connais par voisinage dans mon quartierdu Haut Belleville). Mon intervention dans la tendanceprend d'autant plus de poids que je suis élu secrétaire de laCommission des jeunes de la section de la Seine du SNI.

L'É.É : Durant la période de l'après Mai 68, l'ÉcoleÉmancipée a subi le départ par vagues successivesde nombreux militants libertaires. Le courant libertaireaujourd'hui (2) dans l'ÉÉ en est quasiment réduit à desindividus isolés qui, pour la plupart, se retranchent derrièreune filiation syndicaliste révolutionnaire style Charte

d'Amiens - plutôt éloignée à bien des égards de la référence au courant antiautoritaire de la 1ère Internationale.Toi qui as côtoyé les divers groupes libertaires, quelle explication proposes-tu de cette évolution ?

G.F : Le départ de nombreuxmilitants libertaires de l'ÉÉaprès 68 a eu pour premièreraison la tentative de main-misepar les militants du PCI. Il y aaussi, il faut le reconnaître, unpenchant chez beaucoup delibertaires à renoncer autravail difficile et patient.Plus près de nous, il y a eu denouveau des crises avec des"prises de pouvoir" de certainséléments de la LCR (je disbien "certains" car tous n'ontpas le virus du noyautageléniniste qui n'apporte d'ailleursque des succès passagers etapparents). Il n'empêche quequitter une structure parce que quelques-uns essaientde la dominer n'est pas une bonne attitude.

C'est laisser la place à des magouilleurs (qui ne saventpas qu'ils sont des fossoyeurs) et mettre dans l'embarrasles militants courageux qui restent pour résister et sauversi possible l'ouverture de la tendance. Tendance qui estunique puisque toutes les sensibilités peuvent encorecoexister. Mais il faut se battre pied à pied. J'en suis àme poser cette question : est-ce qu'une certainemanière d'être libertaire ne s'accompagne pas, très souvent, de quelques dilettantisme ? Et puis, ces dernièresannées, pas mal de jeunes enseignants ont rejoint leSGEN... cela n'a pas été favorable à l'ÉÉ.

L'É.É : Comment analyses-tu la situation actuelle (2) quiprévaut à l'ÉÉ ? Quelles impressions retires-tu à la lecturede la revue ?

G.F : En dépit des luttes internes qui perdurent, la situationactuelle me paraît bonne : la revue est solide, riche(riche aussi des différences qui s'y expriment), variée, etelle reste un espace de liberté et de libre expression.C'est plus que rare. Il me paraît donc qu'il faut tout fairepour préserver l'existence de l'ÉÉ, tout faire y compris lacritique interne. Par exemple, contre un certain ron-roncorporatiste et aussi contre la longueur de certains articles.Je serais tenté d'inviter certains collaborateurs à s'exercerà la "contraction de textes" ! (…)

(1) voirL'Émancipation

n°1 septembre2010 page 31/III

(2) rappel de larevue : interviewréalisée etpubliée en 1991

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� Un entretien téléphonique de Jean-François Pelé avec G. Fontenis, le mercredi 18 février 2004

La question que je lui posais, assez globalement : Lors du

passage de l'Occupation à la Libération, comment s'est

reconstituée l'ÉÉ ? (il serait également intéressant d'évaluer ce qui s'est passé sous l'Occupation allemande,cela dût-il donner une image mitigée de l'ÉÉ…) (1)

La plupart des camarades qui ont participé à cettepériode ont disparu, et la mémoire n'est plus assez précise… Fontenis cite Pennetier, Galienne, (quelqu'undont je n'ai pas saisi le nom). Également Guilloré, "deretour de son aventure pétainiste"… L'ÉÉ s'est recréée àpartir du lien entre le groupe parisien (Paris/banlieue),dont Pennetier (2) et Fontenis étaient les chevillesouvrières, et les militants du Sud, surtout Valière etFéraud. Quand j'évoque Henri Sarda, il s'en souvientcomme ayant été là dès les premiers contacts. Les "vieuxcamarades de l'ÉÉ", comme les Bouët ne sont réapparusque plus tard. G. F. croit se souvenir d'une réunion en45-46 avec des camarades - dont les Bouët. Les camaradesde l'Oise ne sont réapparus que plus tard encore.

À Paris, ils s'étaient retrouvés dans le syndicat CGTreconstitué clandestinement. Dès la Libération, ils ontpris les premiers contacts. Il était très difficile sinonimpossible de retrouver les listes des camarades qu'onavait côtoyés avant la guerre. Avec le groupe parisien,Fontenis se souvient d'avoir rédigé quelques articles, et

d'avoir trouvé un imprimeur pour les premiers numérosdans son quartier, dans le 19ème. Ce n'étaient que des"bulletins intérieurs", et pas des publications ayantpignon sur rue… Mais G. F. n'a gardé aucun numéro del'ÉÉ publié à cette époque.

On a peine à imaginer comment le PC se comportait,avec les trotskystes plus particulièrement. Fontenisn'avait pas de passé comme syndicaliste instit avant laguerre puisqu'il est devenu instit au moment de laguerre. Comme il était le "secrétaire jeunes" du SNIclandestin à la Libération, on le ménageait un peu.Bonissel "l'avait plutôt à la bonne". À cette époque,Fontenis a connu Lili Zyromski, que les staliniens prenaient à partie, et il l'a même aidée à quitter une réunion où elle était en danger de se faire frapper. C'estaussi à cette époque qu'il a contribué à amener à l'ÉÉ JoVolovitch, qui avait été suspendu par le régime deVichy, comme juif (3)…

G. F. se souvient de réunions ÉÉ dans un café dans lequartier de l'Hôtel de Ville acceptant d'accueillir legroupe parisien pour ses réunions. Il était bien entenduimpensable de se réunir à la Bourse du Travail, les staliniens ne l'auraient jamais permis. G. F. consacraitl'essentiel de son énergie à reconstituer le mouvementlibertaire, auquel il avait participé avant-guerre, et ils'agissait surtout de militants ouvriers du livre, des usines Renault, Citroën, Alsthom…

Documents transmis par Gilbert Estève �

(1) Note del'auteur :

compte rendurédigé "à ma

manière" saufpour quelquesformules que

j'ai notées pendant la

conversation.(JFP)

(2) GF trouvaitce camarade

très intéressantet semble avoirgardé beaucoupd'estime pour

lui.

(3) "Lili etVolo" figures

militantes de latendance et de

l'EDMP queles usagerEs dulocal de la rue

Crozatierconnaissentdepuis des

décennies !

Oise : Jeanne Berthelot a fini son Chahut !Jeanne Berthelot était née en 1925. Sa santé fragile nous avait si souvent fait craindre le pire. Mais toujours elle remontait la pentepour retrouver une vitalité et un amour de la vie qui nous stupéfiaient. Jeanne nous a quittéEs le mardi 8 juin 2010. Altruistejusqu'au dernier moment, elle n'a souhaité aucune cérémonie: simplement donner son corps à la science pour être utile, une dernière fois. Tout juste un "petit papier" dans Le Chahut (1), c'est tout ce qu'elle m'avait concédé.

Jeanne était avant tout une femme libre. Les chats, Georges Brassens, le philosophe Michel Onfray... étaient ses plus grandes passions. En plus de son handicap de naissance, la maladie la cloua trop vite dans un fauteuil roulant. Je ne l'ai jamais entenduese plaindre. Même au bout de la fatigue, même souffrant le martyr, elle te parlait des autres, de la marche du monde qui l'inquiétait tant avec ce sentiment si douloureux que nos idéaux foutaient le camp peu à peu. D'où sa fidélité absolue et déterminée à Émancipation, au Chahut, à l'idéal laïque, au féminisme, au mouvement ouvrier. Elle a d'ailleurs écrit régulièrement pour Le Chahut. La fidélité, le refus des compromissions... elle n'accordait son estime qu'à ce prix. Qu'il fut cruelle moment où il m'a fallu l'effacer du fichier de nos abonnéEs!

J'ai connu Jeanne à la fin des années 70. J'avais écrit un article qu'elle avait apprécié. Heureuse qu'un jeune "reprenne le flambeau", elle m'avait fait savoir qu'elle aurait bien aimé me rencontrer. Je suis passé la voir, dans sa maison de Margny-lès-Compiègne, après une manif du 1er mai à Compiègne. Ce fut le début d'une amitié et d'une tendresse qui ne connurent aucunaccroc. C'est aussi à Margny qu'elle prit sa retraite d'Institutrice publique et LAÏQUE. Le bonheur d'apprendre la lecture à ungamin lui avait fait choisir la classe du C.P. Sans doute ne fut-elle pas une pédagogue en rupture mais, là encore, elle fut fidèle àses idéaux. Ainsi, par exemple, résista-t-elle à son Inspecteur - son refus de la hiérarchie et de la soumission était viscéral - à certainsparents pour faire découvrir coûte que coûte Brassens à ses élèves quand le poète chanteur était encore interdit à la radio.

Jeanne est restée militante jusqu'au bout interpellant par de très nombreuses lettres toutes les personnalités qui bafouaient les principes d'honnêteté, de justice ou d'égalité, et plus encore les élus de gauche dès qu'ils prenaient des positions qu'elle estimaitcontraires aux devoirs exigeants et fidèles inhérents aux idéaux progressistes. L'une de ses dernières grandes colères fut sans douteen réaction à la décision du NPA d'O. Besancenot de présenter une femme voilée aux dernières élections régionales.

Jeanne, j'ai les yeux qui pleurent : un Chahut que tu ne liras pas. Le premier. Je ne vais pas te raconter que tu le découvriras delà où tu es car je sais que tu m'engueulerais, toi qui riais de la naïveté de ceux qui croient en l'au-delà. "Toi berceur d'illusions,profiteur de naïfs, obscurantiste... Ô! non, pas toi Jean Michel, ne me déçois pas."… Allez, Jeanne, assez de larmes, au boulot, onva continuer la grande lutte pour l'émancipation.

J. M. Bavard, G.D de l’Oise �(1) Le Chahut, journal édité par les militants Émancipation de l'Oise

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