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DE L'AVERSION À L'AMBIGUÏTÉ AUX ATTITUDES FACE À L'AMBIGUÏTÉ Les apports d'une perspective psychologique en économie Laure Cabantous et Denis Hilton Presses de Sciences Po | Revue économique 2006/2 - Vol. 57 pages 259 à 280 ISSN 0035-2764 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-economique-2006-2-page-259.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Cabantous Laure et Hilton Denis , « De l'aversion à l'ambiguïté aux attitudes face à l'ambiguïté » Les apports d'une perspective psychologique en économie, Revue économique, 2006/2 Vol. 57, p. 259-280. DOI : 10.3917/reco.572.0259 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 200.127.3.194 - 23/09/2011 19h32. © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 200.127.3.194 - 23/09/2011 19h32. © Presses de Sciences Po

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DE L'AVERSION À L'AMBIGUÏTÉ AUX ATTITUDES FACE ÀL'AMBIGUÏTÉLes apports d'une perspective psychologique en économieLaure Cabantous et Denis Hilton Presses de Sciences Po | Revue économique 2006/2 - Vol. 57pages 259 à 280

ISSN 0035-2764

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-economique-2006-2-page-259.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Cabantous Laure et Hilton Denis , « De l'aversion à l'ambiguïté aux attitudes face à l'ambiguïté » Les apports d'une

perspective psychologique en économie,

Revue économique, 2006/2 Vol. 57, p. 259-280. DOI : 10.3917/reco.572.0259

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De l’aversion à l’ambiguïté aux attitudesface à l’ambiguïté

Les apports d’une perspective psychologique en économie

Laure Cabantous*

Denis Hilton**

L’objectif de cet article est d’illustrer les apports d’une perspective psychologiqueen économie de la décision. Cet article développe en particulier l’idée selon laquelleil est intéressant de coupler une analyse psychologique des processus de décisionet de jugement à une analyse économique des choix, ce double éclairage permettantde mieux comprendre, et donc de mieux prédire, les comportements observés dansdes tâches expérimentales. La littérature expérimentale sur l’attitude face àl’ambiguïté est mobilisée pour appuyer cette idée. Cette littérature se prête bien à cetexercice puisque la décision en situation d’ambiguïté a été étudiée par deséconomistes et des psychologues, et que ce croisement de ces deux perspectives apermis d’aller au-delà de l’idée selon laquelle les décideurs sont systématiquementaverses à l’ambiguïté. L’analyse des recherches expérimentales sur l’attitude face àl’ambiguïté permet en effet de conclure que les décideurs, suivant les conditions duchoix, peuvent être hostiles ou favorables à l’ambiguïté.

FROM AMBIGUITY AVERSION TO ATTITUDES TOWARDS AMBIGUITY: CONTRIBUTIONS OF A PSYCHOLOGICAL PERSPECTIVE TO ECONOMICS

The aim of this paper is to illustrate the contribution that taking a psychologicalperspective can bring to the study of decision-making in economics. The articlepursues the idea that it can be useful to combine a psychological analysis ofjudgment and decision-making with an economic analysis of choice (traditionallyfocused on outcomes). Indeed, such an analysis gives a better understanding ofdecision making, and can improve our ability to predict choices observed inexperimental tasks. The review of the experimental literature about decision makingunder ambiguity is used to illustrate these ideas. This literature is particularlyinteresting because it is at the interface between economics and psychology. Thisdouble perspective enables us to go beyond the idea that decision-makers aresystematically averse to ambiguity. The experimental research leads to theconclusion that attitudes towards ambiguity, contrary to what is usually assumed,are complex: depending on the context, the decision makers can indeed showambiguity averse or ambiguity seeking behaviour.

Classification JEL : C91, D81

* LERNA-INRA, Université Toulouse-1, et Centre for Decision Research, Leeds UniversityBusiness School, Leeds University, Leeds LS2 9JT. Courriel : [email protected].

** DSVP, Université Toulouse-Le Mirail.

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INTRODUCTION

Comme le notent Hertwig et Ortmann [2001], la « décision individuelle » estcertainement l’un des champs de recherche dans lequel la proximité entrel’économie et la psychologie est la plus visible, puisque économistes et psycholo-gues cherchent à répondre à des questions relativement similaires autour d’unethématique commune, les choix et les jugements. L’idée qu’un des points derapprochement entre l’économie et la psychologie est l’étude de la décision indivi-duelle est d’ailleurs illustrée historiquement de nombreuses façons. L’article deRabin [1998], intitulé « Psychology and Economics » par exemple, commenceprécisément par expliquer qu’une des contributions principales de la psychologie àl’économie est d’avoir produit des résultats permettant de rendre la fonctiond’utilité plus « réaliste », via l’étude expérimentale des décisions individuelles(cf. paradoxe de Allais, paradoxe de Ellsberg, programme des « biais et heuristi-ques »). Le renouveau récent de l’« économie comportementale », dont l’objet estjustement de combiner les analyses économique et psychologique pourcomprendre les comportements observés sur les marchés, illustre encore une foisassez bien l’idée que les deux principaux points d’intersection entre l’économie etla psychologie sont la méthodologie expérimentale et l’étude de la décision indivi-duelle (Camerer et Lowenstein [2003] ; Mullainathan et Thaler [2005]).

Dans la perspective du développement des courants « Behavioral Economics/Economics et Psychology », il peut être intéressant de mettre en évidence, aumoyen d’une présentation d’un champ d’étude commun aux économistes et auxpsychologues, les similitudes et les différences entre ces deux disciplines.Comme l’expliquent Burrell et Morgan [1979], la connaissance des frontièresdisciplinaires est vraisemblablement un pré-requis à une collaboration fruc-tueuse. Cet article se propose donc, à travers l’examen d’un aspect particulier dela littérature sur la décision individuelle qu’est la littérature sur « l’attitude faceà l’ambiguïté », d’illustrer l’intérêt d’un rapprochement (voire d’une collabora-tion) entre l’économie et la psychologie. La littérature sur la décision en situationd’ambiguïté se prête relativement bien à cette démonstration puisque c’est unelittérature initiée par un économiste (Ellsberg [1961]) qui a donné lieu à denombreuses publications en économie tant axiomatique (Gilboa et Schmeidler[1989] ; Schmeilder [1989]) qu’expérimentale (Cohen, Jaffray, Said [1985] ;Viscusi et Chesson [1999]), dans divers champs de la psychologie cognitive etsociale (Einhorn et Hogarth [1985] ; Heath et Tversky [1991]) et également enneurobiologie (Rustichini, Dickhaut, Ghiradarto, Smith et Pardo [2002]). Cettelittérature, en outre, illustre assez bien certaines différences d’approches métho-dologiques existant entre la psychologie et l’économie expérimentales (étude deschoix vs. étude des processus par exemple, cf. Hertwig et Ortmann [2001]).

La première partie de l’article présente rapidement le concept d’ambiguïté etpropose un bref panorama de la littérature sur l’attitude face à l’ambiguïté. Cepanorama inclut une présentation des modèles axiomatiques économiques. Cepen-dant, cet article se centre surtout sur la littérature expérimentale, cette restrictions’expliquant essentiellement par le fait que la collaboration entre économistes etpsychologues est plus manifeste et tangible dans ce champ que dans le champ axio-matique. Les parties II et III de l’article sont donc consacrées à la littérature expé-rimentale. Elles présentent les apports respectifs des économistes et des psycholo-gues à la compréhension de la décision en situation d’ambiguïté et montrent

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l’intérêt d’une perspective psychologique en économie de la décision. Ladeuxième partie illustre l’idée selon laquelle le recours à la psychologie peutconduire à dépasser un usage relativement descriptif de l’expérimentation (l’expé-rience sert à tester la théorie économique) et peut permettre, via l’étude desprocessus de choix et de jugement, de développer des théories explicatives descomportements observés en laboratoire (cf. la Venture Theory). La troisième partiepasse en revue les articles expérimentaux récemment écrits sur le thème de l’ambi-guïté (en particulier les articles postérieurs à 1992, date de publication de la revuede littérature de référence de Camerer et Weber sur l’ambiguïté). Cette présenta-tion met en évidence que le renouvellement de l’étude de l’attitude face à l’ambi-guïté s’est produit essentiellement grâce à l’adoption d’une perspective psycholo-gique (étude de la contingence des choix et étude des processus). Cet éclairagepsychologique a en effet permis de dépasser l’idée qu’il existe une attitude stabled’aversion à l’ambiguïté et a contribué à développer des explications permettantde comprendre la pluralité des attitudes face à l’ambiguïté.

QU’EST-CE QUE L’AMBIGUÏTÉ ?CLARIFIER UN TERME AMBIGU

Le terme « ambiguïté », tel qu’il est utilisé en économie de la décision, a un senstrès spécifique. Avant de préciser la signification de ce terme en économie, il peutêtre utile de rappeler ce que signifie traditionnellement le terme en psychologie. Enpsychologie, mais également en philosophie, en linguistique et plus généralementdans la vie courante, le terme d’ambiguïté fait référence à la pluralité des interpréta-tions possibles, la diversité des sens dont est porteur un mot, une expression ou unesituation. En anglais par exemple la phrase « this food is hot » (cf. Smithson [1999],p. 180) est ambiguë car l’adjectif « hot » peut être utilisé pour signifier que la tempé-rature du plat est élevée, que le plat est épicé, ou encore que le plat a été volé. SelonBlack [1937], un terme est donc ambigu lorsqu’il peut être compris de plusieursfaçons différentes, chaque interprétation étant précise et non exclusive des autres(Smithson [1999] ; Wallsten [1990]). Dans cette tradition philosophique et linguis-tique, l’ambiguïté se distingue de l’imprécision, un mot étant vague ouimprécis lorsqu’il ne peut pas être clairement défini (Wallsten [1990]), et du conflitpuisqu’une situation est conflictuelle lorsque plusieurs interprétations mutuellementexclusives (i.e. qui ne peuvent pas être vraie simultanément) viennent à l’esprit.

En économie de la décision, en revanche, l’ambiguïté a un tout autre sens. Ceterme, introduit par Ellsberg dans un article critiquant la théorie savagienne de ladécision en incertitude (Ellsberg [1961] ; Savage [1954]) est utilisé pour qualifierdes situations de choix dans lesquelles les probabilités des événements possiblessont imprécises, douteuses, incertaines (Camerer et Weber [1992] ; Frisch et Baron[1988]). Lorsqu’un décideur ne peut émettre que des jugements de probabilitéimprécis, parce qu’il n’a qu’une connaissance imparfaite du phénomène en jeu et/ou manque de données statistiques, par exemple, on dit que la situation est« ambiguë ». En économie de la décision, l’ambiguïté est donc un synonyme del’incertitude knightienne (Camerer et Weber [1992] ; Knight [1921] ; Schmidt[1996]). C’est d’ailleurs pour cette raison, et afin d’éviter des confusions liés auxdifférents sens du terme ambigu, que Wallsten propose de remplacer le terme

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d’« ambiguïté » par celui d’« incertitude imprécise » (Budescu et Wallsten[1995] ; Budescu, Kuhn, Kramer, et Johnson [2002] ; Wallsten [1990]).

L’ambiguïté et l’aversion à l’ambiguïté selon Ellsberg

Le terme d’ambiguïté en économie de la décision est donc directement associé àl’article de Ellsberg [1961] et au « paradoxe de Ellsberg ». Ce concept permet eneffet à Ellsberg de mettre en évidence le caractère « irréaliste » de la théorie de l’espé-rance subjective d’utilité (i.e. son incapacité à rendre compte des choix observés), etde développer une théorie personnelle de la décision en incertitude. Cette théorieréfute l’hypothèse selon laquelle les croyances subjectives du décideur sur la vrai-semblance des états possibles sont des probabilités subjectives au sens de Savage, etsuggère que les choix du décideur en situation d’incertitude sont déterminées, à lafois par les conséquences et les probabilités associées à ces conséquences comme lesuppose la théorie économique, mais aussi par la confiance que le décideur a dansson propre jugement de probabilité. Ellsberg nomme « ambiguïté » cette troisièmedimension du choix. L’ambiguïté correspond donc plus ou moins à l’inverse de laconfiance que le décideur a dans son jugement de probabilité et rend compte de lanature incertaine de la situation (ou des croyances du décideur).

Tableau 1. Le problème à deux couleurs selon Ellsberg

Source : Ellsberg [1961], p. 650-651.

Figure 1. Représentation classique du problème à deux couleurs (format « choix »)

Source : Lauriola et Levin [2001].

“Consider the following hypothetical experiment. Let us suppose that you confront two urnscontaining red and black balls, from one of which a ball will be drawn at random. To ‘bet on RedA’will mean that you choose to draw from Urn A, and that you will receive a prize a (say $100) ifyou draw a red ball (‘if RedA occurs’) and a smaller amount b (say, $0) if you draw a black (‘ifnot-RedA occurs’). You have the following information. Urn B contains 100 red and black balls, but in a ratio entirelyunknown to you; there may be from 0 to 100 red balls. In Urn A, you confirm that there are exactly50 red and 50 black balls”.An observer-who, let us say, is ignorant of the state of you information about the urns- sets out tomeasure you subjective probabilities by interrogating you as to your preferences in the followingpairs of gambles”:1. ‘Which do you prefer to bet on, RedB or BlackB; or are you indifferent?’ That is, drawing a ballfrom Urn B, on which ‘event’ do you prefer the $100 stake, red or black; or do you care?’2. ‘Which do you prefer to bet on, RedA or BlackA?’3. ‘Which do you prefer to bet on, RedA or RedB?’4. ‘Which do you prefer to bet on, BlackA or BlackB?’”.

From which of the two urns would you extract A BLACK BALL ?

80 WHITE Balls

80 BLACK Balls

TOTAL = 160 Balls TOTAL = 160 Balls

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? BLACK BallsA B

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En insistant sur le rôle que la confiance que le décideur a dans son propre juge-ment de probabilité joue dans le choix en incertitude et sur la nature non probabi-liste des croyances, Ellsberg [1961] renoue avec une critique, formulée par Keynes[1921] et Knight [1921], consistant à remettre en question la pertinence d’uneapproche probabiliste de l’incertitude. Afin d’illustrer empiriquement sa critique,Ellsberg suggère de recourir à une procédure expérimentale très simple, connuesous le nom de « problème à deux couleurs » (cf. tableau 1 et fig. 1). Ce problème,déjà utilisé par Keynes pour critiquer le « principe de la raison non suffisante » etpar Knight pour illustrer les différences entre le risque et l’incertitude (Keynes[1921] ; Knight [1921]), lui permet de mettre en évidence la non-additivité des« probabilités subjectives » (ou « croyances ») attribuées à des événementscomplémentaires, et de montrer que les préférences des agents ne respectent pasles principes de la théorie savagienne de l’incertitude (principe de pré-ordrecomplet et principe de la chose sûre). Dans son article, Ellsberg propose égalementune variante de ce problème, connue sous le nom de « problème à trois couleurs »(cf. Cohen et Tallon [2000] par exemple).

L’attitude face à l’ambiguïté : panorama d’un champ de recherche

L’article de Ellsberg a donné lieu à un grand nombre d’études empiriques etthéoriques, sur le thème de la décision en incertitude et de l’attitude face àl’ambiguïté (Camerer et Weber [1992] ; Smithson [1997]). De façon schéma-tique, le champ de recherche se scinde en deux grands courants, un courantéconomique non expérimental d’une part, et un courant expérimental d’autrepart. Les relations entre ces deux champs de recherche sont assez ténues. Le faitque les modèles théoriques développés par les économistes de la décision ensituation d’incertitude pour intégrer le paradoxe de Ellsberg (Gilboa [2004] ;Gilboa et Schmeidler [1989] ; Schmeidler [1989]) représentent un comporte-ment systématique d’aversion à l’ambiguïté, alors même que les études expéri-mentales, d’inspiration économique comme psychologique, montrent la mixitéde l’attitude face à l’ambiguïté – les décideurs pouvant éviter ou rechercherl’ambiguïté (e.g., Cohen, Jaffray, Said [1985] ; Lauriola et Levin [2001] ;Viscusi et Chesson [1999]) – est probablement une bonne illustration del’absence de réelle collaboration entre ces deux courants aux méthodologies trèsdifférentes, mais pourtant potentiellement complémentaires.

La perspective expérimentale:expliquer des attitudes complexes face à l’ambiguïté

Un premier courant de recherche sur l’attitude face à l’ambiguïté regroupe unensemble d’articles expérimentaux, réalisés par des économistes (par exemple,Cohen, Said, Jaffray [1985]) ou des psychologues (Hogarth et Einhorn [1990] ;Fox et Tversky [1995]). L’objectif de ce courant est de décrire et de comprendreles comportements (préférences, choix et processus de choix) des décideurs ensituation d’ambiguïté. À la suite d’une série de recherches d’inspiration écono-mique (description des choix observés dans des protocoles décontextualisés,mise en évidence des limites de la théorie économique de la décision), une litté-rature plus psychologique, orientée vers l’étude des motivations et des cogni-tions, s’est développée (Curley, Yates et Abrams [1986] ; Frisch et Baron

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[1988] ; Heath et Tversky [1991] ; Fox et Tversky [1995] ; Hogarth et Einhorn[1990] ; Taylor [1995] ; Rode, Cosmides, Hell et Tooby [1999] ; Smithson[1999]). En dépit de la diversité des protocoles (problèmes à deux ou à troiscouleurs, variantes contextualisées des deux problèmes précédents, protocole « àla Heath et Tversky » consistant à faire choisir le participant entre un pari sur uneloterie classique et un pari sur une question de culture générale [cf. sous-section III.1, p. 19 de l’article]) et des cadres théoriques mobilisés (e.g., explica-tion motivationnelles, cognitives…), cette littérature expérimentale délivre unmessage assez clair : il n’existe pas une seule attitude stable et unique face àl’ambiguïté mais une pluralité d’attitudes. Ces études ont en effet montré que lespréférences des décideurs face à l’ambiguïté sont complexes, influencées certespar les facteurs « économiques » de choix (i.e. conséquences monétaires etprobabilités) mais aussi par un grand nombre d’autres facteurs traditionnelle-ment étudiés en psychologie, comme les caractéristiques du problème, du déci-deur, du contexte social (cf. Payne, Bettman et Johnson [1993] pour une présen-tation d’une approche psychologique mettant en évidence la contingence deschoix et des processus).

Panorama du courant économique : modéliser l’aversion à l’ambiguïté

Afin de rendre compte du « paradoxe de Ellsberg », la théorie économique etéconomique de la décision en incertitude s’est enrichie de nombreux modèles dedécision (Camerer et Weber [1992] ; Gilboa [2004]). Parmi les nombreuxmodèles intégrant le rôle de l’ambiguïté dans la décision, certains ont proposéd’intégrer l’attitude face à l’ambiguïté dans la fonction d’utilité (Sarin et Winkler[1992] ; Winkler [1991]). Cependant, les modèles économiques les plus déve-loppés à l’heure actuelle sont ceux initiés par Schmeidler à la fin des années1980. Ces modèles sont particulièrement intéressants car ils renouvellentl’approche économique de l’incertitude fondée sur la théorie subjectiviste desprobabilités de Savage [1954] (cf. aussi de Finetti [1937] ; Ramsay [1931]).Néanmoins, ces modèles souffrent d’une limite : ils partent du principe que lesdécideurs sont averses à l’ambiguïté. Ce faisant, ils n’intègrent pas les résultatsdes études expérimentales montrant qu’il n’existe non pas une attitude uniqueface à l’ambiguïté, mais une pluralité d’attitudes, dépendant des circonstancesdu choix.

Aversion à l’ambiguïté : les nouvelles modélisations des croyancesLes deux modèles fondateurs de ce courant ont été proposés par Schmeidler

(Gilboa et Schmeidler [1989] ; Schmeidler [1989]). Tous deux critiquent le« premier principe du bayésianisme » selon lequel l’incertitude peut être repré-sentée par une mesure unique et additive de probabilité (Gilboa [2004]), maisproposent des révisions différentes. Le modèle de Schmeidler [1989] considèreque les croyances subjectives sur la vraisemblance des événements sont pluscorrectement représentées par des probabilités non additives1, tandis que lemodèle de Gilboa et Schmeidler [1989] adopte une optique légèrement différente

1. Le modèle de Schmeidler [1989] repose également sur un assouplissement du principe sava-gien de la chose sûre, le principe d’indépendance de Savage étant remplacé par l’axiome d’indépen-dance comonotone, c’est-à-dire un axiome d’indépendance ne s’appliquant qu’aux actes comono-tones (cf. Tallon et Cohen [2000] par exemple).

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et considère que les décideurs ont non pas une croyance (i.e. une distributionsubjective unique de probabilités sur les événements possibles) mais unensemble de croyances (i.e. un ensemble de distributions de probabilités subjec-tives de second ordre). L’ouvrage édité par Gilboa [2004] donne un panoramad’ensemble des développements récents auxquels ces deux modèles ont donnélieu. La popularité de ces modélisations est illustrée par le nombre croissantd’articles économiques qui s’appuient dessus (par exemple, Chen et Epstein[2002] ; Gadjos, Tallon et Vergnaud [2004] ; Ghirardato et Marinacci [2002] ;Gollier [2005] ; Klibanoff, Marinacci et Mukerji [2005] ; Mukerji [1998] ;Mukerji et Tallon [2001]).

Qu’est-que c’est un modèle cognitif ? Différences entre les approcheséconomique et psychologiqueBien que les principaux auteurs des nouveaux modèles économiques du choix

en incertitude/ambiguïté revendiquent une inspiration cognitiviste1 et que l’utili-sation de mesure de probabilité non additive comme les capacités convexesrapproche effectivement les modèles économiques de certaines théoriescognitives des jugements de probabilités (Gilboa [2004] ; Smithson [1997] ;Walley [1997, 2000]), il existe des différences importantes entre les approcheséconomiques et psychologiques de la décision en incertitude. Ces deux disci-plines n’ont en effet pas exactement le même centre d’intérêt. L’approche théo-rique en économie, même lorsqu’elle revendique des attaches cognitives, s’inté-resse généralement prioritairement aux choix, c’est-à-dire qu’elle cherche àprédire les comportements observés, sans se préoccuper de modéliser unprocessus de choix psychologiquement plausibles (cf. la stratégie « as if » deFriedman, Friedman [1953] ; Starmer [2005]). Inversement, les théories cogni-tives développent davantage des théories des processus de jugement de probabi-lité (Dempster [1967] ; Tversky et Koehler [1994] ; Shafer [1976]) et ne cher-chent pas nécessairement à les combiner à une théorie axiomatique du choix(Wakker [2004b]). Une seconde différence concerne ce qu’on pourrait appelerles « critères d’évaluation » d’une théorie. Les économistes valorisent essentiel-lement la cohérence interne, adopte une démarche principalement déductive,cherche à développer des modèles mathématiquement « solvables » (Camerer etLowenstein [2003] ; Wakker [2004b]), et sont particulièrement sensibles auxefforts d’axiomatisation (même si comme l’explique Mongin [2003], les théorieséconomiques ne sont pas toutes, au sens strict, « axiomatiques »). Les psycholo-gues, de leur côté, évaluent généralement une théorie en la confrontant aux faits,et adoptent à la fois une démarche projective consistant à tester empiriquementles hypothèses découlant de leur théorie, et inductive (ex., Raufaste, da SilvaNeves et Mariné [2003] ; Tversky et Koehler [1994]).

Le rapport à l’expérience et le statut des faits chez les économistes(« théoriques ») et les psychologues sont donc très différents. Alors que chez lespsychologues la théorie et les données vont le plus souvent de pair, chez les

1. Gilboa [2004] par exemple, insiste sur le fait que Schmeidler a proposé des alternatives aumodèle baysien de la décision car il pensait que l’approche bayésienne classique n’était pas cogniti-vement valide. Il cite la phrase suivante de Schmeidler : the Bayesian approach did “not reflect theheuristic amount of information that led to the assignment of (…) a probability” (Schmeidler [1989],p. 571).

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économistes une sorte de logique de « division du travail » semble être à l’œuvre,un ensemble d’économistes développant des modèles théoriques de la décision,un autre les testant, la liaison entre les deux courants se faisant via la mise enévidence régulière d’« anomalies », de « paradoxes » ou de « biais », c’est-à-dire de « déviations » par rapport aux prédictions économiques et l’établisse-ment de faits stylisés relativement simples (ex. : aversion à l’ambiguïté plutôtque mixité de l’attitude face à l’ambiguïté) que les théoriciens cherchent alors àintégrer, en préservant au maximum les concepts centraux de la théorie écono-mique du choix (utilité, croyance, maximisation).

Quelques limites de l’approche économique non expérimentale de l’attitudeface à l’ambiguïtéSi les modèles économiques de la décision en incertitude/ambiguïté ont des

avantages indéniables (ex. : précision des relations entre concepts mobilisés, miseen évidence des conditions suffisantes d’apparition d’un phénomène et de sondomaine de validité logique par exemple), leur rapport à la réalité, et donc leurstatut ontologique, est relativement ambigu. La lecture des articles économiquespeut en effet laisser penser que les « faits » sont mobilisés de façon illustrative,voire de façon purement rhétorique (McCloskey [1985]), dans le double but dejustifier les modèles et de les rendre plus compréhensibles. Le recours relativementfréquent à des petits problèmes fictifs de choix entre loteries illustre par exempleassez bien l’idée que le « faits » sont utilisés pour faire ressortir l’« intuition » dumodèle (ex. : Cohen et Tallon [2000] ; Gilboa [2004] ; Gadjos, Tallon, Vergnaud[2005]). Cependant, dans le domaine spécifique de l’attitude face à l’ambiguïté,l’« intuition » et les prédictions concrètes de comportements des modèles ne fontque rarement l’objet d’un test empirique (seul le modèle de Schmeilder [1989] parexemple a été testé ; cf. Mangelsdorff et Weber [1994])1. Cet usage des « faits »rend donc le statut des modèles économiques relativement flou.

Si, comme la rhétorique des articles le suggère, ces modèles sont motivés parun souci de « réalisme » (i.e. au sens où ils seraient descriptifs des choix et/ous’appuieraient sur des hypothèses motivées psychologiquement), il seraitlogique de chercher plus systématiquement à tester leurs prédictions. On peutnéanmoins s’aventurer à prédire que les données expérimentales conduiraient àrejeter ces modèles dans un certain nombre de circonstances (ex. : domaine despertes, situations où la connaissance personnelle du décideur est en jeu, situationoù les choix ne sont pas rendus publics…). En effet, ces modèles économiquesrendent compte de comportement « averses à l’ambiguïté », alors que les étudesexpérimentales réalisées jusqu’à présent ont plutôt tendance à montrer quel’aversion à l’ambiguïté se manifeste essentiellement dans le domaine des gains,et qu’il n’existe non pas une attitude unique mais une pluralité d’attitudes face àl’ambiguïté (Du et Budescu [2005]). Enfin, comme les prédictions de comporte-ment des modèles axiomatiques sur l’attitude face à l’ambiguïté sont rarementtestés, on peut être tenté de penser que ces modèles sont normatifs (et donc impli-citement prescriptifs). Mais on peut alors remarquer qu’un cadre théoriquejustifiant l’idée qu’il serait souhaitable de se comporter de façon « averse à

1. Les théories économiques de la décision font cependant assez régulièrement l’objet de testsempiriques, par exemple Camerer [1989] ; Camerer [1992] ; Hey et Orme [1994] pour des tests, etStarmer [2000] pour une revue de littérature.

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l’ambiguïté » (Winkler [1991]) ou plus généralement « prudente » et « précau-tionneuse » en situation d’incertitude leur fait encore défaut (Dupuy [2002] ;Godard, Henry, Lagadec et Michel-Kerjan [2002] ; Gollier [2001] ; Gollier,Treich et Jullien [2000]).

LA PSYCHOLOGIE AU SECOURS DE L’ANALYSE ÉCONOMIQUE DE LA DÉCISION : OU COMMENT L’ÉTUDE DES PROCESSUS PERMET DE COMPRENDRE LES CHOIX…

Comme l’a bien mis en évidence l’article de Hertwig et Ortmann [2001] et lesnombreux commentaires auxquels il a donné lieu, l’approche psychologique dela décision cherche à expliquer les processus et à élaborer des théories permettantde rendre compte des choix observés (Hogarth [2001], p. 416 ; Marlman [2001],p. 423 ; Suleiman [2001], p. 429). Ces caractéristiques la distinguent del’approche économique (expérimentale) de la décision, plus guidée par uneapproche « projective » consistant à tester les prédictions des théories (Walliser[2001]). Le domaine de l’attitude face à l’ambiguïté ne fournit certainement pasl’illustration la plus convaincante de cette différence d’approche, la premièresérie d’articles ayant pour objet de tester la théorie de Savage ayant été réaliséeà la fois par des économistes et des psychologues, mais il permet néanmoinsassez bien d’illustrer cette différence. En effet, la seule explication de l’attitudeface à l’ambiguïté qui rend effectivement compte des comportements observésest une théorie psychologique. Il s’agit de la Venture Theory de Hogarth etEinhorn, cette théorie s’attache à décrire le processus d’élaboration du jugementde probabilité en situation d’ambiguïté.

Récolter des faits : décrire l’attitudeface à l’ambiguïté dans les choix entre loteries

Dans un premier temps, l’article de Ellsberg a donné lieu à une séried’expériences étudiant les choix des décideurs dans des protocoles « loteries »comme les problèmes à deux et à trois couleurs (Becker et Bronswon [1964] ;Cohen, Jaffray et Said [1985 et 1987] ; Slovic et Tversky [1974] ; Yates etZukowski [1976] ). Les études reposant sur des protocoles « loteries » sont typi-ques de la littérature économique sur la décision en incertitude car, commel’explique Edwards [1953], ces protocoles ont l’avantage d’être décontextualiséset de mettre en jeu les deux éléments centraux de la théorie économique de ladécision que sont les conséquences (gains et pertes) et les probabilités associéesaux états. Si l’on synthétise les résultats des études s’appuyant sur des problèmesà deux et à trois couleurs décontextualisés et sur des variantes contextualisées deces problèmes (Ho, Keller et Keltyka [2002] ; Hogarth et Kunreuther [1989] ;Kunreuther, Meszaros, Hogarth et Spranca [1995] ; Viscusi et Chesson [1999]),il ressort assez clairement que l’attitude des décideurs face à l’ambiguïté dépendà la fois du domaine des résultats (gain vs. perte) et du niveau de la probabilité.Plus précisément, ces études ont montré que l’aversion à l’ambiguïté est moinsforte dans le domaine des pertes que dans le domaine des gains, et que les déci-

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deurs peuvent avoir une préférence pour l’ambiguïté notamment lorsque lesprobabilités de gain sont faibles et que les probabilités de pertes sont élevées(Curley et Yates [1985] ; Lauriola et Levin [2001]).

Cette littérature expérimentale essentiellement guidée par la théorieéconomique a donc fourni une description fine des comportements en situationd’ambiguïté. Cependant, ces études expérimentales ont une limite essentielle : cesétudes ont en effet le plus souvent pour seul objectif de « tester » la théorie écono-mique. Elles ne cherchent généralement pas à proposer des théories permettant decomprendre comment les décideurs prennent effectivement leurs décisions enincertitude et/ou pourquoi ils réagissent comme ils le font à l’ambiguïté. Ces étudesconduisent donc à rejeter la théorie économique de la décision en incertitude sanspour autant proposer et tester d’autres modèles cognitifs susceptibles de générer –et donc d’expliquer – les jugements et les comportements en situation d’ambiguïté.Dans le meilleur des cas, ces études se terminent par une présentation de quelquespistes théoriques permettant d’interpréter les comportements et les choix observés(cf. Kunreuther et al. [1995], p. 347, pour une illustration de cette démarche). Unelimite de cette littérature expérimentale est donc qu’elle ne propose pas d’explica-tion économique du comportement complexe face à l’ambiguïté qu’elle contribueà mettre en évidence. Cette absence de théorisation est d’autant plus surprenanteque les manipulations du domaine des résultats (gain vs. perte) et du niveau de laprobabilité, sont vraisemblablement implicitement guidées par la Prospect Theory(Kahneman et Tversky [1979]), et que les résultats obtenus pourraient être inter-prétés à l’aide d’un modèle de choix incorporant une fonction de déformation desprobabilités. C’est précisément l’orientation retenue par la Venture Theory(Hogarth et Einhorn [1990]).

Au-delà des choix : prédire les comportementsgrâce à la compréhension des mécanismes psychologiques

Une explication s’appuyant sur la Prospect Theory de Kahneman et Tversky[1979], c’est-à-dire utilisant une fonction valeur non symétrique et une fonctionde déformation des probabilités en S inversé et proposant une explicationpsychologique au fait que l’ambiguïté a un effet sur les jugements de probabilité,devrait permettre de rendre compte à la fois du changement d’attitude dans lesgains et les pertes, et de la sensibilité au niveau de la probabilité. La VentureTheory de Hogarth et Einhorn [1990] prend précisément cette orientationpuisqu’elle qui combine la Prospect Theory et la théorie d’élaboration des juge-ments de probabilité en situation d’ambiguïté de Einhorn et Hogarth [1985]. Unedescription brève de cette théorie psychologique d’inspiration cognitive (c’est-à-dire expliquant pourquoi et comment l’ambiguïté peut avoir un impact sur lesjugements de probabilités, cf. Smithson [1997]) permet donc de montrercomment une théorie psychologique expliquant les processus d’élaboration desjugements de probabilité peut habilement compléter une analyse économique enlui fournissant une théorie explicative des choix observés.

La Venture Theory, comme la Prospect Theory, fait l’hypothèse que lesdécideurs « déforment » les probabilités et que cette « déformation » consisteà sur-estimer les petites probabilités et à sous-estimer les grandes probabilités.Cependant, contrairement à la Prospect Theory, la Venture Theory justifie la

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forme en S inversé de la fonction de déformation des probabilités1, appeléeVenture Function, par le fait que le jugement de probabilité découle d’undouble mécanisme d’ancrage et d’ajustement (Einhorn et Hogarth [1985]).Selon Hogarth et Einhorn [1990], la courbure spécifique de la Venture Func-tion provient donc du fait que, lorsque est faible, « il est plus faciled’imaginer des valeurs plus fortes que » (car un plus grande nombre de caspossibles vient à l’esprit du décideur), et inversement, lorsque est élevé, lescas qui viennent plus facilement à l’esprit du décideur sont des cas dans lequella probabilité de l’événement est plus faible (Hogarth et Einhorn [1990],p. 783). Plus précisément, lorsqu’un décideur reçoit une information probabi-liste du type « la probabilité de l’événement est p », il utilise cette probabilitécomme un ancrage (noté ) et s’ajuste autour de cette valeur (l’ajustement estnoté k). Au final, il considère que le poids de l’événement est donné par

, où est la différence entre le poids accordé auxprobabilités (possibles) plus grandes que la probabilité d’ancrage (kg) et lepoids accordé aux probabilités (possibles) plus petites que la probabilitéd’ancrage (ks). L’ajustement k est directement associé au degré de simulationmentale et reflète l’activité cognitive du décideur, simulant mentalement dessituations dans lesquelles l’événement pourrait avoir une probabilité pluspetite (resp. grande) que la probabilité d’ancrage. Autrement dit, plus la situa-tion stimule cognitivement le décideur, plus l’ajustement est important, et plusle poids final dévie de la probabilité d’ancrage. Cet ajustement estaffecté par plusieurs facteurs, le degré d’incertitude et le degré l’ambiguïté dela situation jouant un rôle particulièrement important. L’effet de l’ambiguïté(i.e. incertitude sur les probabilités) est similaire à l’effet de l’incertitude, elleaccroît le degré de simulation mentale (cf. Hogarth et Einhorn [1990], p. 783),et, par conséquent, accroît l’écart entre est . Compte tenu de la formeen S inversé de et de l’effet de l’ambiguïté sur k, la Venture Theoryprédit que la Venture Function, associée à des probabilités non ambiguës, estau-dessus de la Venture Function associée à des probabilités ambiguës lorsqueles probabilités sont petites et au dessous lorsque les probabilités sont grandes(Hogarth et Einhorn [1990], p. 786). Autrement dit la Venture Theory préditque les décideurs sont d’autant plus averses à l’ambiguïté que la probabilité degain augmente, sont plus averses à l’ambiguïté dans les pertes que dans lesgains lorsque la probabilité est faible, et moins averses à l’ambiguïté dans lesgains que dans les pertes lorsque la probabilité est élevée. Hogarth et Einhorn[1990] testent leur théorie dans deux expériences (choix entre loteries) mani-pulant le niveau des probabilités et le domaine des conséquences. Leurs résul-tats confirment leur principales hypothèses de leur théorie.

L’explication psychologique modélisée par la Venture Theory consiste donc àconsidérer que les préférences entre loteries ambiguës et non ambiguës provien-nent d’une différence d’évaluation des loteries. Cette différence d’évaluationrésultant entièrement de l’effet de l’ambiguïté sur le jugement de probabilité. Lerecours à une analyse psychologique du processus d’élaboration du jugement deprobabilité permet donc de compléter les études expérimentales d’inspiration

1. Plus précisément dans leur article, Hogarth et Einhorn parlent de decision weight. Ils nedistinguent pas la fonction de déformation de probabilité, notée généralement w(p) et le poids de ladécision π(.) (cf. l’article postérieur de Tversky et Kahneman [1992]).

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économique sur l’attitude face à l’ambiguïté. Cependant, cette approche psycho-logique souffre également de certaines limites ; on peut, par exemple, regretterque l’article de Hogarth et Einhorn [1990] ne teste pas directement les propriétésdes Venture Functions mais les infère de l’observation des choix. Sur ce plan,l’économie expérimentale pourrait être particulièrement utile et venir à son tourau secours des approches psychologiques cognitives. En effet, l’utilisation desoutils méthodologiques développés récemment par l’économie expérimentalepour éliciter des fonctions valeurs/utilités (Fennema et Van Assen [1999] ;Wakker et Deneffe [1996]), et les fonctions de déformation des probabilités(Abdellaoui [2000] ; Bleichrodt et Pinto [2000], Wu et Gonzalez [1996 et 1999])pourrait permettre de tester directement l’effet de l’ambiguïté sur la courbure desfonctions de déformation de probabilités ou des Venture Functions, et ainsi devérifier empiriquement que l’ambiguïté accentue leur forme en S inversé.Cabantous [2005], par exemple, s’appuie sur l’interprétation psychologique de lafonction de déformation des probabilités de Gonzalez et Wu [1999] pour motiverpsychologiquement l’idée que l’ambiguïté peut accroître la courbure de la fonc-tion de déformation des probabilités. L’argument est le suivant : si la courbure dela fonction de déformation des probabilités est effectivement d’autant plusmarquée que la capacité à discriminer les probabilités est faible (cf. le principe dediminishing sensibility de Kahneman et Tversky [1979]), alors l’ambiguïté, qui aprécisément pour caractéristique de rendre les différences entre probabilitésfloues, devrait accentuer cette forme en S inversé. L’expérience est utilisée pouréliciter les fonctions valeurs (méthode des trade-off) et les fonctions de déforma-tion des probabilités dans un contexte ambigu et un contexte non ambigu(méthode de l’équivalent certain). Cette expérience confirme l’effet l’hypothèseque l’ambiguïté accentue la forme en S inversé des fonctions de déformation desprobabilités. Une telle approche, qui s’inscrit dans un courant d’économie expé-rimentale envisageant l’effet de différents facteurs, comme les sources d’incerti-tude (Kilka et Weber [2001] ; Tversky et Fox [1995]), ou les niveaux desconséquences (Etchart-Vincent [2004]), sur les fonctions de déformations desprobabilités et les croyances (Wakker [2004a]) permet donc à son tour d’enrichirl’approche psychologique de l’attitude face à l’ambiguïté.

ADOPTER UNE PERSPECTIVE PSYCHOLOGIQUE POUR RENOUVELER L’ANALYSE ÉCONOMIQUE DE L’ATTITUDE FACE À L’AMBIGUÏTÉ

Les études expérimentales les plus récentes sur l’attitude face à l’ambiguïtéont en grande partie été réalisées par des psychologues (Heath et Tversky[1991] ; Fox et Tversky [1995] ; Rode et al. [1999]) ou mobilisent des théoriespsychologiques pour expliquer les comportements des décideurs (Taylor[1995] ; Smithson [1999]). Ces approches psychologiques de l’attitude face àl’ambiguïté permettent de renouveler l’approche d’inspiration économiquecentrée sur le choix de deux façons différentes. Une première série d’articlespermet de passer d’une approche relativement déterministe du choix (mise enrelation d’un lien entre l’input, i.e. les caractéristiques du problème, et l’outputqu’est le choix) à une approche plus contingente, consistant à mettre en évidence

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que les préférences ne préexistent pas nécessairement aux choix, mais sontconstruites lors des tâches de choix (Payne, Bettman et Johnson [1993] ; Slovic[2000]). Si l’on synthétise les résultats d’un ensemble d’articles assez récents surl’attitude face à l’ambiguïté (Heath et Tversky [1991] ; Fox et Tversky [1995] ;Fox et Weber [2002] ; Rode et al. [1999] par exemple), on s’aperçoit en effetqu’ils mettent en évidence la contingence de l’attitude face à l’ambiguïté et illus-trent donc, dans le domaine de l’attitude face à l’ambiguïté, la pertinence del’approche psychologique « adaptative ». Le second renouvellement consiste às’intéresser aux raisons des choix et préférences, et donc à envisager les motiva-tions des actions. Cette approche de l’attitude face à l’ambiguïté (et plus généra-lement l’incertitude) s’inscrit dans un courant psychologique qui considère quel’étude des choix gagne à être couplée à une étude des cognitions. L’étude ducognitif pris au sens large, c’est-à-dire des perceptions, des croyances, des infé-rences (cf. Livet [2001]) permettant précisément d’aller au-delà d’une approche« behavioriste » centrée exclusivement sur les choix observés dans l’expérience(Hilton [2001], p. 415 ; Kurzban [2001], p. 420).

Comprendre la diversité des attitudes face à l’ambiguïtégrâce à une approche en terme de contingence des préférences

Payne, Bettman et Johnson [1993] ont bien synthétisé l’idée que les choix (etles préférences) peuvent être influencés par au moins trois grands types defacteurs : les caractéristiques du problème, les caractéristiques du décideur, etcelles du contexte social. Ce cadre d’analyse convient relativement bien à lalittérature sur l’attitude face à l’ambiguïté, puisque ces trois aspects ont succes-sivement été envisagés (fig. 2). Il permet donc d’organiser de façon simple lesrésultats mixtes obtenus, et d’aller au-delà des contradictions apparentes.

Figure 2. Application du cadre d’analysede Payne, Bettman et Johnson à l’ambiguïté

Source : d’après Payne, Johnson, Bettman [1993].

Problème/Tâche

Contexte social du choixPersonne

– Effet de la valence du résultats sur l’attitude face à l'ambiguïté (ex. Lauriola et Levin [2001]).

– Effet de comparaison entre paris (Fox et Tversky [1995]) et de l’ordre de présentation (Fox et Weber [2002]) sur l’attitude face à l’ambiguïté.

– Effet du contexte (demande de justification, décision publique/privée) sur l’attitude face à l’ambiguïté (Curley et al. [1986] ; Taylor [1995]).

– Effet des besoins sur l’attitude face à l’ambiguïté préférences (Rode et al. [1999]).

– Effet d’une comparaison sociale défavorable sur l’attitude face à l’ambiguïté (Fox et Weber [2002]).

– Effet de l’expertise et du degré de connaissance du décideur sur son attitude face à l’ambiguïté (Heath et Tversky [1991]).

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L’hypothèse de compétence de Heath et Tversky [1991] envisage l’effet de lacompétence (connaissance) du décideur sur son attitude face à l’ambiguïté.Globalement, cette hypothèse s’appuie sur la notion de « sentiment decompétence » (cf. le ratio : Ce que je sais/ce que je voudrais ou pourrais savoir).Ce sentiment de compétence influence l’attitude face à l’ambiguïté, puisqu’ildétermine le degré d’ambiguïté perçu. Le protocole proposé par Heath etTversky [1991] diffère sensiblement des protocoles classiques (type problème àdeux couleurs), puisque le participant a le choix entre un pari sur sa propreréponse à une « question de culture générale » et un pari classique dans un jeude hasard. Préférer parier sur sa propre réponse révèle une préférence pourl’ambiguïté puisque ce pari est nécessairement caractérisé par une probabilitésubjective (et donc imprécise, ambiguë) de gagner, alors que le pari classique estcaractérisé par une probabilité a priori (et donc non ambiguë). Dans ce protocole,la probabilité de gain dans le pari classique est exactement égale à la probabilitésubjective rapportée par le participant à la suite de sa prédiction. Par exemple, sila question de culture générale est « Quelle est la capitale du Brésil ? », le parti-cipant doit tout d’abord donner une réponse (ex. : Brasilia), puis donner sondegré de confiance dans sa réponse. Ce degré de confiance est interprété commela probabilité subjective d’avoir raison, et donc de gagner si l’on choisit le parisur sa prédiction. La probabilité de gain du pari non ambigu est ensuite fixée aumême niveau que la probabilité subjective rapportée par le décideur. L’hypo-thèse de compétence prédit que l’aversion à l’ambiguïté diminue à mesure quela probabilité de gagner augmente, autrement dit que les décideurs ont une préfé-rence forte pour l’ambiguïté lorsqu’ils se sentent compétents. Les expériencesréalisées par Heath et Tversky [1991] confirment cette hypothèse et vont donc àl’encontre des résultats observé jusque-là dans les protocoles « jeux de hasard »comme le problème à deux couleurs.

Fox et Tversky [1995], en s’appuyant sur Heath et Tversky [1991], dévelop-pent une explication similaire. Mais l’hypothèse d’ignorance comparative,contrairement à l’hypothèse de compétence, met en évidence l’importance descaractéristiques de la tâche de choix (plutôt que du décideur) sur son attitude faceà l’ambiguïté. L’argument développé dans cet article, et repris dans Fox et Weber[2002], consiste à expliquer que l’aversion à l’ambiguïté est provoquée de façonrelativement artificielle par des procédures expérimentales within subject, c’est-à-dire proposant un choix entre un pari ambigu et un pari non ambigu. Cettecomparaison explicite induirait un comportement d’aversion à l’ambiguïté carelle ferait prendre conscience au décideur qu’il souffre d’un manque de connais-sance et/ou d’information dans le cas du pari ambigu. Selon Fox et Tversky[1995], ce type de protocole génère donc une comparaison défavorable à laloterie ambiguë, et suscite de l’aversion à l’ambiguïté car il exacerbe le sentimentd’ignorance comparative. L’hypothèse d’ignorance comparative est développéepar Fox et Tversky [1995] dans le cadre de jeu de hasard (comparaison entreévénements), et par Fox et Weber [2002] dans le cadre de protocole à la « Heathet Tversky » via une manipulation du sentiment d’ignorance comparative (i.e.comparaison sociale avec d’autres participants censés être plus compétents). Lesrésultats obtenus par Fox et Tversky [1995] relatifs à la comparaison inter-événe-ments ont cependant été critiqués par Chow et Sarin [2001]. Ces auteursmontrent en effet de façon convaincante que l’aversion à l’ambiguïté, dans ledomaine des gains, persiste dans des contextes non comparatifs (protocolebetween-subject).

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Concernant l’influence du contexte social sur l’attitude face à l’ambiguïté,l’article de Taylor [1995] fait suite de l’article de Curley et al. [1986] et Heath etTversky [1991] et développe l’idée selon laquelle le fait de devoir justifier sonchoix à autrui influence les choix des décideurs (Tetlock [1992]). Ce type d’expli-cation rend donc compte du fait que « préférer l’ambiguïté » c’est-à-dire faire lechoix « du plus incertain », n’est pas un choix facile à assumer lorsqu’on se trouvedans une situation « publique ». L’article de Taylor [1995] montre que les parti-cipants sont d’autant plus averses à l’ambiguïté qu’ils doivent rendre compte deleur choix à d’autres personnes (justification du choix), et que cet effet interagitavec la compétence du décideur. Enfin, Rode et al. [1999] développent unethéorie de l’attitude face à l’ambiguïté qui repose sur la satisfaction des besoinset qui permet de rendre compte de la mixité de l’attitude face à l’ambiguïté.

En ayant une perspective plus large de la prise de décision (ex. : effet ducontexte sur le choix), l’approche psychologique a donc contribué à renouvelerl’analyse expérimentale de l’attitude face à l’ambiguïté. Elle a, entre autres,permis de mettre en évidence que l’attitude face à l’ambiguïté est plus complexeque ce que suggère une analyse des choix exclusivement centrée sur les résultats(gain vs. perte) et les probabilités.

L’intérêt de l’étude des processus pour comprendre les choix : une analyse attributionnelle de l’attitude face à l’ambiguïté

Dans les expériences sur l’attitude face à l’ambiguïté, l’ambiguïté est généra-lement établie de deux façons différentes : soit le décideur reçoit une informationimprécise du type, la probabilité de l’événement appartient à l’intervalle[ pmin ; pmax], soit il reçoit une information conflictuelle du type, un expertannonce que la probabilité de l’événement est pmin, un autre expert annoncequ’elle vaut pmax (cf. Kunreuther et al. [1995] ; Viscusi et Chesson [1999]).Avant l’article de Smithson [1999] aucun article expérimental n’a envisagé lesconséquences de cette différence de manipulation. Smithson [1999] considèreque ces deux situations sont incertaines, mais que leur source est différente(imprécision vs. conflit). Il développe ensuite l’hypothèse d’aversion au conflitselon laquelle les décideurs préfèrent un situation incertaine (ou ambiguë) carimprécise, à une situation incertaine car conflictuelle. Cette hypothèse estmotivée de deux façons. Selon l’explication motivationnelle, les décideursévitent le conflit car il est non seulement source d’incertitude, mais pousse égale-ment le décideur à contredire au moins une source d’information. Selon l’expli-cation cognitive, l’aversion au conflit provient d’une heuristique qui tend àmettre en cause la crédibilité des sources d’information. À la suite de cettedistinction, Cabantous, Hilton et Shanteau [2004] proposent d’étudier les préfé-rences des décideurs pour certains types de situations ambiguës en s’appuyantsur la théorie des attributions causales (Hilton et Slugoski [1986] ; Hilton, Smithet Kim [1995]) et ceux relatifs à la prise de décision et l’expertise (Shanteau[2001]). La théorie des attributions causales s’intéresse aux explications que lesgens élaborent pour comprendre les situations auxquelles ils sont confrontés.Autrement dit, cette théorie étudie comment les gens expliquent un événement(i.e. attribuent une cause à un événement). La théorie des attributions causalesenvisage généralement l’effet de trois facteurs sur le processus d’attribution, leconsensus, la distinctivité et la consistance, et considère que les principales

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attributions sont l’attribution à la personne, l’attribution au stimulus, et l’attribu-tion à la circonstance. Comme les attributions causales expriment les tentativesque font les gens pour expliquer (et comprendre) ce qu’ils leur arrive, il est trèsvraisemblable qu’elles soient également générées dans des situations d’incerti-tude et d’ambiguïté. À ce titre, elles sont intéressantes car elles peuvent permettrede comprendre comment les décideurs interprètent l’incertitude à laquelle ilssont confrontée, et donc d’expliquer leur préférences entre différentes sourcesd’incertitude.

L’approche attributionnelle de l’attitude face à l’ambiguïté suggère que l’aver-sion à l’ambiguïté est la conséquence d’une perception sociale qui tend à favoriserles situations dans lesquelles les informations sont précises et consensuelles. Ellepropose donc d’étudier les raisons de l’attitude face à différentes sources d’ambi-guïté en se tournant vers les interprétations que les décideurs ont des situations.L’idée centrale de cette explication est que les décideurs évaluent les situationsauxquelles ils sont confrontées en s’appuyant sur un point de référence (Hilton etSlugoski [1996]). Dans le cadre de la communication d’incertitude, ce point deréférence est une situation dans laquelle la prédiction probabiliste est communi-quée de façon précise et consensuelle (notée Cs-p) puisque ces deux caractéristi-ques sont généralement associées à l’« objectivité » (cf. Shanteau [2001] ;Wallsten [1990]). Cela explique pourquoi la situation Cs-p (non ambiguë) estpréférée aux situations ambiguës, que l’ambiguïté soit causée par l’imprécision oupar le conflit. L’explication attributionnelle de l’aversion à l’ambiguïté, dans lalignée de Einhorn et Hogarth [1985], de Smithson [1999] mais aussi de Frisch etBaron [1988], s’appuie donc sur les processus d’inférences causales. Mais lerecours à la théorie des attributions causales permet de générer des prédictions plusprécises sur les inférences. Elle permet en particulier d’apporter une justificationau fait que les décideurs aient des préférences entre différentes sources d’ambi-guïté, puisqu’elle montre que l’ambiguïté, suivant sa source, ne génère pas lesmêmes attributions causales. L’explication attributionnelle prédit en effet que,lorsque l’ambiguïté provient du conflit, l’attribution à la personne (source) estl’explication causale la plus probable. Cette prédiction s’appuie sur la méthode dedifférence de Mill qui prédit qu’un faible consensus conduit à une explication« personnelle » (i.e. attribution à la personne). Autrement dit, l’explication attribu-tionnelle de l’attitude face à l’ambiguïté prédit qu’un décideur, confronté à unconflit, a tendance à considérer que les sources d’information sont responsables dudésaccord, et que la principale cause de son ignorance est l’incompétence d’aumoins une des sources. En revanche, lorsque l’ambiguïté est consensuelle (toutesles sources sont d’accord), l’explication attributionnelle prédit que le décideur vaattribuer son ignorance à la difficulté de la tâche de jugement (i.e. attribution austimulus). Autrement dit, le consensus entre les sources conduit le décideur àrejeter l’inférence personnelle et à faire une inférence situationnelle consistant àattribuer l’imprécision de la prédiction à la difficulté de la tâche et aux caractéris-tiques du phénomène à prédire. L’explication attributionnelle fait égalementl’hypothèse que l’attribution à la personne générée par le conflit conduit le décideurà éprouver un sentiment d’ignorance comparative plus marqué que dans le cas del’ambiguïté imprécise. D’après ce cadre d’analyse, l’aversion au conflit exprimedonc une préférence pour les situations d’incertitude dans lesquelles l’incertitudeest partagée par tous les décideurs ; les situations ambiguës les plus aversives étantcelles dans lesquelles le décideur peut penser qu’il est le seul à ne pas savoir. Cettehypothèse additionnelle permet de relier l’explication attributionnelle aux travaux

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de Fox et Tversky [1995] et Fox et Weber [2002] sur l’ignorance comparative et àla distinction introduite par Chow et Sarin [2002] entre différentes situations incer-taines (cf. l’opposition entre knowable uncertainty et unknowable uncertainty).L’analyse attributionnelle de Cabantous, Hilton et Shanteau [2004] permet doncd’affiner l’étude des comportements en situation d’ambiguïté. En étudiant lesprocessus attributionnels à l’œuvre lors de décisions en situation d’incertitude, ellepermet de comprendre pourquoi les décideurs ont des préférences information-nelles (par exemple sont averses à l’ambiguïté), et préfèrent certaines sourcesd’incertitude à d’autres (par exemple sont averses au conflit).

CONCLUSION

Un des objectifs de cet article était d’illustrer l’intérêt d’une collaboration entreéconomistes et psychologues. La littérature sur l’attitude face à l’ambiguïté a étépris comme exemple car elle se prête relativement bien à l’exercice (ex. : publica-tions en économie et en psychologie, diversité des approches et des cadres théori-ques). Cette revue de littérature a donc en particulier été utilisée pour montrer que lacoexistence de pratiques expérimentales différentes peut être utile, et que l’adop-tion d’une perspective psychologique peut enrichir l’approche économique de ladécision puisqu’elle permet d’envisager et d’expliquer des comportements relati-vement complexes (par exemple, mixité de l’attitude face à l’ambiguïté plutôt questabilité d’un comportement d’aversion à l’ambiguïté), et qu’elle permet d’accéderaux « raisons » du choix (étude des processus de choix et de jugement).

Contrairement à Hertwig et Ortmann [2001], cet article défend donc l’idéeque la présence de pratiques expérimentales différentes peut s’avérer intéres-sante et qu’il peut être utile de la cultiver. En effet, compte tenu des conceptionsdifférentes des pratiques expérimentales, économistes expérimentaux et lespsychologues sont conduits à s’intéresser à des questions légèrement différentes(ex. : effet du domaine des résultats sur l’attitude face à l’ambiguïté, effet de lajustification sur l’attitude face à l’ambiguïté) et proposent ainsi des éclairagesdifférents, mais complémentaires, d’un même phénomène. Dans le domaine del’attitude face à l’ambiguïté, l’idée qu’un croisement des perspectives théoriques(économique et psychologique) peut contribuer à améliorer notre compréhen-sion et nos connaissances est évident puisque c’est précisément grâce à lui quel’on a pu arriver à une compréhension fine des attitudes des décideurs face àl’ambiguïté (ex. : sensibilité de l’attitude au domaine des résultats et au niveaudes probabilités, effet de la compétence, effet de la justification, etc.) et qu’on apu mettre au jour l’existence non pas d’une aversion systématique à l’ambiguïtécomme le supposent les modèles axiomatiques, mais d’un comportementcomplexe, dépendant des circonstances (contexte, tâches, caractéristiques dudécideurs, etc.). Cet article a également cherché à motiver l’idée qu’un regardpsychologique, centré sur les processus de choix et de jugement, peut enrichirl’analyse économique des décisions, en lui permettant de dépasser une approcherelativement « behavioriste » des choix (Hilton [2001] ; Suleiman [2001]). Ceterme n’ayant manifestement pas la même connotation dans les deux disciplines,il peut être utile de préciser que, même dans une perspective essentiellement« prédictive » des choix (focalisation sur l’« output »), l’étude des processus

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peut s’avérer utile car elle peut permettre de faire de meilleures prédictions. Eneffet, comme le rappelle Markman [2001] par exemple, derrière la variabilité deschoix se cache souvent une certaine stabilité des processus et des mécanismes dechoix (cf. Payne, Bettman, Johnson [1993] ; Simon [1990]). La compréhensiondes mécanismes sous-jacents au choix devrait donc permettre d’améliorer lavalidité des prédictions relatives aux choix. L’idée que l’analyse économique deschoix et des décisions gagne à être couplée à une analyse psychologique a égale-ment été illustrée à travers des exemples tirés de la littérature expérimentale surl’attitude face à l’ambiguïté (cf. parties II et III). La Venture Theory est à ce titreassez exemplaire : en couplant une théorie psychologique des processus de juge-ment de probabilité à une approche économique de la décision, la VentureTheory a permis d’expliquer pourquoi les décideurs peuvent être averses àl’ambiguïté dans certains cas et préférer l’ambiguïté dans d’autres cas. Cefaisant, la Venture Theory permet ainsi de rendre compte des comportementsobservés en laboratoire. Au final, cet article a donc proposé une revue de littéra-ture sur l’attitude face à l’ambiguïté mettant en évidence les contributionsrespectives de l’économie et de la psychologie à la compréhension de la décisionen situation d’ambiguïté, a illustré certaines des spécificités des approcheséconomiques et psychologiques (même lorsqu’elles adoptent la même méthodo-logie), et a montré l’intérêt d’un croisement des perspectives économiques etpsychologiques pour l’étude des décisions.

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