De l’acte complet envisagé statiquement, par René Fouéré

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    De l'acle complet envisag statiquement

    C est par suite d'une regrettable erreur, dont nous nous excusons,

    que le texte De l'acte complet envisag dialectiquement paru dans

    le numro 18 de Spiritualit a t publi en premier lieu. Ce texte, eneffet, faisant logiquement suite on le verra sans peine celui dont

    nous commenons, dans le prsent numro, la publication.

    Dans ce qui va suivre nous entendrons par acte non pas simple-ment un geste, un mouvement physique ou mental isol, mais aussi bien

    tout ensemble doprations matrielles ou psychologiques ralisant unchangement caractrisable et signigificatif, un changement exprimable en

    termes dintention ou de fin particulire.Cela dit, nous appellerons actes complets des actes qui se suf fi -

    sent eux mmes, qui sont complets en soi. Ce sont des actes achevs,

    pareils une phras e mlodique parv enue son terme. C est pourquo i onpeut encore les appeler parf aits au sens o les G rec s entendaie nt laperfection. Pendant toute leur dure, il y a coincidence rigoureuse entre

    l tre et le vouloir tre ou, du moins entre ce qui, de l tre et du vouloir

    tre peut se manifester dans linstant.

    O n peut considrer des actes qui, bien q uex trieurement achevs,laissent chez leur auteur une conscience dinachvement. Les actes com-

    plets que nous avons en vue sont au del de cette dist inction. Da ns l ex -

    pression actes complets , le mot acte est pris au sens dacte total,dacte envisag la fois de lextrieur et de lintrieur, dans son double

    aspect psychologique et matriel. Les actes complets sont donc des actesdoublement achevs et dire quils se suff ise nt eux mmes, cest dire

    quis suffisent pleinement leur auteur.

    E n consquence, aucune conscience de dsir ne peut trouver placeen eux . T out dsir est dsir d une sa tisf action et l o existe une sa tisf ac-

    tion plnire aucun dsir nest concevable : on ne peut dsirer ce que lon

    possde, dans linstant mme o on le possde.

    Les actes complets sont donc des actes essentiellement satisfaisants,

    des actes heureux .

    Qui les accomplit s y exprime pleinement et adquatement, se recon-nat en eux sans rserve. Ils ne peuvent donc laisser dans la mmoire dusujet aucun remords ou reg ret, aucun rsidu effectif dplaisa nt. S ils lais-

    saient, en effet, un tel rsidu, si lon prouvait le dsir de revenir sur cesactes pour les retoucher ou les complter, ce serait la preuve que quelque

    chose manquait leur plnitude, quils ne constituaient pas une expression

    authentique de la volont ou de lintention profondes de leur auteur.

    L aspect intime de l acte complet rsulte de sa df initio n mme. D e cequil constitue un acte plein, ne laissant rien dsirer tant quil dure, il

    sensuit quil est caractris par labsence de contradiction intrieure. Une

    telle contradiction implique, en effet, lexistence simultane de deux ou

    plusieurs tendances, de deux ou plusieurs vouloirs incompatibles. Dslors la ralisation plnire de ces tendances, de ces vouloirs, devient

    impossible. Quoi quil fasse, quelque parti quil prenne, le sujet ne peut

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    s'ex primer en entier. L un des vouloirs antag onist es reste inaccompli, il

    y a conscience d ina chv eme nt, dsir , insat is fac tion. E n cons quence, un

    acte ne peut tre complet que s'il est produit par un sujet chez qui toute

    contradiction intrieure a cess. En d'autres termes, lacte complet sup-

    pose, ralise une concentration totale de l'nergie du sujet, un rassemble-

    ment dans linstant de toutes ses puissances.

    Dire que lacte complet ne peut avoir pour auteur quun sujet chez

    lequel toute contradiction intrieure a cess, cest dire que pendant toutela dure dun tel acte le sujet qui sy trouve engag perd toute conscience

    de soi.

    E n eff et, pour que le sujet, inv itable ment intrie ur lui mme,

    puisse se connatre en tant que sujet externe, s'objectiver son proprereg ard, il f aut cesser en quelque manire de concider av ec lui mme.

    C'estn dire que la conscience de s oi suppose la fo rm atio n d un pseudo

    sujet, latral, pour ainsi parler, au sujet rel et qui lui est sur ajout. Ce

    pseudo sujet est videmme nt v irtuel, pare il un mirag e optique, mais

    il implique une apparente dissociation de lunique centre conscient et agis-

    sant. Cette dissociation cre deux ples au sein de la conscience, laquellesidentifie lun de ces ples (dont le contenu devient alors inconscient),

    prend appui sur lui, pour observer et apprcier l'autre, les fonctions de

    chacun de ces ples tant permutables dans la dure.

    T oute conscience de soi est donc le pro duit, l'ex press ion dune con-

    tradiction interne, latente ou manifeste, donnant naissance aux deux ter-

    mes indispensables : lobservateur et l'observ.

    Si toute contradiction cessait, si le sujet concidait constamment aveclui mme, il cesserait de sapercevoir , puisque, encore une fois, toute con-

    naissance distincte suppose un cart pralable entre ce qui connat et cequi est connu.

    L'acte complet, pendant lequel toute contradiction intrieure se trouve

    aboiie, est par suite inco mpatible av ec la conscience de soi. Celle ci ne tra -duit elle pas d'ailleurs l att itude d'un tre qui se re g arde v ivre , qui ne vit

    pas pleinement, qui nest pas entirement engag dans sa propre action ?

    Le sujet de lacte complet est trop intensment occup vivre pour avoir

    le temps de se regarder vivre, trop concentr sur son acte pour sintres-ser lui mme en tant q uacteur. E n d autres termes, l acte complet est

    lacte dans lequel selon lexpression familire et si juste on soublie .Nous avons indiqu dj que cest aussi lacte dans lequel on est

    soi mme. A ins i donc, se raliser pleinement, deve nir compltement soi

    mme, cest perdre toute conscience de soi en tant que sujet. Et

    lhomme qui se pense comme un moi reprsentable, qui ne veut pas re-

    noncer son propre spectacle, au spectacle de sa propre entit, cet pa-

    nouissement, cet accomplissement suprme, ds lors quon les suppose in-dfiniment maintenus, apparaissent comme quivalents l'anantissement,

    comme je l'ai crit ailleurs. V ue du dehors , la plnitude semble un vide

    et lindividu effray s'accroche perdument la conscience quil a de lui

    mme, cest dire sa propre et douloureuse contr adiction. Ce tte pou-

    vante au seuil de la ralisation ultime est le drame de lhumanit.

    Si, av ec B erg son, on entend par acte libre un acte qui mane de

    notre personnalit tout entire et prsente avec elle cette indfinissable

    ressemblance que lon trouve parfois entre l'ceuvre et lartisan , l'acte

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    complet, qui ramasse toutes les puissances de ltre et en lequel l'tre se

    reconnat, est un acte libre. La libert ainsi envisage, dfinie comme lab-sence de toute contra diction intrieure, est dailleurs la seule qui soit ex p-

    rimentalement vrifiable, la seule dont nous puissions avoir la notion di-recte, le sentiment vcu, tant du moins, que, n'tant pas tablie en perma-

    nence mais surgissant dune manire intermittente, elle peut apparatre, chaque nouvelle manifestation, comme la rupture dune contrainte pra-lable. Si elle devient continue, indfiniment persistante, elle cesse dtre

    perue, et le sujet se trouve dans un tat de pure existence qui constitueun dpass ement de l'antin omie contrainte libert.

    Bien qu'on puisse le tenir pour objectivement limit, dans son ten-due comme dans ses rsultats, lacte complet est, psychologiquement et

    vit alement, inf ini. S i l'infi ni ma thma tique est ce, au del de quoi on nepeut aller, linfini psy cholog ique est ce au del de quoi on ne dsire pas

    aller. Quand un acte ou une prsence nous remplit, absorbe toutes nosforces d'motion et de pense, quand aucun mouvement, aucun dsir ne

    peut tre, ni tre conu, qui nous entranerait hors de ltat o nous som-mes, dont il nous dcouvrirait les insuffisances, cet tat est vritable-

    ment sans bornes. Car il ne peut y avoir de bornes ressenties que l o

    ex iste un dsir de les dpasser . O n peut mme dire que le dsir nest quele fa it de reco nnatre consciemment ces bornes. A ins i donc, l acte complet

    est infini. Non pas sous les espces dune accumulation, non pas la ma-nire d'un espace ou d'une grandeur, mais en tant quil est intrieurement

    non born, quil ex clut toute conscience de f initude.

    Cette absence de bornes ou, ce qui revient au mme, de toute contra-

    diction. de toute rsistance intime, entrane cette consquence qu'au juge-ment de son auteur, lacte complet est totalement acte, sans aucun mlangede puissance, si lon entend le mot puissance comme l'entendaient les

    scolastiques. L'acte complet est donc, en parlant toujours le langage de

    l'Ecole, un acte pur.

    Mais il n'est pas seulement un acte pur sous ce biais, il l'est encore

    au sens o l'on entend par acte pur un acte qui est accompli pour lui

    mme, qui nest souill daucun calcul, qui contient sa propre fin. Si, eneffet, lacte complet n'tait, dans l'intention de son auteur, que le moyen

    d'un acte plus vaste, si on poursuivait travers lui un rsultat lointain

    et d'import ance majeure, il ne pourra it se suffir e lui mme, il ne s erait

    pas complet en soi. 11 laisse rait s ubsis ter apr s lui, et mme pendant s onaccomplissement, une sourde conscience d'inachvement, une impatience.

    Il ne serait que partie ou commencement d'un acte encore inachev, quiconstituerait le vritable objet du dsir et qui, seul, pourrait tre complet.

    L 'acte complet, co ntenant sa fin propre, est lui mme sa propre

    rtribution. Il nest achet au prix d'aucune rcompense, ni arrach paraucune contrainte. C'est donc un acte gratuit. Il nest pas sollicit par

    l'attrait dune reprsentation du futur, par la fascination dun idal dont

    il serait distinct. Il nest dirig vers aucun but qui lui serait extrieur.Il surg it de lui mme, spontanme nt. Cha cun de ses moments rsulte

    d une impulsion non provoque et toujours ralisable. Ce n est pas un

    acte sans raison, cest un acte qui contient sa propre raison, et qui ra-lise son objet dans linstant mme o il le conoit. S'il en tait autrement,si lacte restait, en quelque sorte, en suspens, la force vive contenue en

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    lui deviendrait dsir, comme devient pression la force vive d'un mobile

    dont le mouvement est entrav. Il y aurait la fois conscience d'obstacle

    et conscience de dsir, c ontr adictio n intime ; perc eption d'un temps qui,

    mesurant l'paisseur de l'obstacle, viendrait remplir lintervalle entre ledsir et sa ralisation. Enfin, leffort du dsir contre l'obstacle rvleraitun moi se connaissant comme l'auteur de cet effort.

    Pr cisment parce q uil se s uff it lui mme, tout mome nt de sa

    dure, lacte complet, considr par une conscience qui se placerait au

    cur mme de limpulsion dont il drive, est indpendant de tout ce quile prcde et de tout ce qui Te suit. Il ne saurait donc apparatre ni comme

    un moment, intermdiaire ou final, d'un acte dj commenc, ni comme

    lamorce dun acte qui sachverait dans le futur. En dautres termes, tant

    ferm sur soi, il nest pas plus contraint de se rattacher au pass que den-vis age r l'avenir. Q uan d laction est complte aujo ur dhui, il n'y a pas

    de demain . (K r is hnam urt i). L 'acte complet est donc hors du temps, ence sens que pendant quil dure, son auteur ne peut se sentir limit par letemps, envisag dans sa dcomposition commune en pass, prsent et ave-

    nir. Il na mme pas besoin de penser ce temps divis, sauf si cette pense

    constitue prcisment lobjet, le contenu de l'acte complet. Mais alors,dans ce dernier cas, la considration du temps nintervient pas propos

    dautre chose que le temps mme, et nous retrouvons, l encore, cette ideque l acte complet est fer m sur lui mme, intrie ur soi, contie nt sa pr o-

    pre fin.

    Cette intemporalit de lacte complet ne signifie pas quen le consid-

    rant logiquement et de lextrieur on ne puisse y dcouvrir des lments du

    pass, ni prvoir sa contribution la gense de dveloppements futurs.Mais ce qui est vrai objectivement et discursivement. du point de vue

    d'une logique externe, nest pas psychologiquement ou subjectivement res-

    senti, ne constitue pas une donne intuitive de l'acte saisi dans la vivacit

    de son accomplissement, une condition exprimente consciemment.

    Si l'on veut voir ce point clairement, que l'on se mette en esprit dans

    la condition dun homme attach un travail qui absorbe entirement son

    intrt. Ce travail dont nous pouvons imaginer, par exemple, qu'il consiste

    remonter un mcanisme dlicat, comporte, nen pas douter, des mo-ments successifs si telle pice doit tre mise en place avant telle autre, une

    certaine distribution des oprations dans le temps est impose. Mais lon

    peut dire que le temps qui intervient ici est plutt dans les gestes que dansla pense. Il fait partie en quelque sorte de laction. Il n'est pas un obstacle

    df ini que cette act ion aura it vaincre. O n fa it l'oprat ion prsente : on

    n'est pas accabl par la connaissance pralable des oprations qui devront

    le suivre, du temps que prendront ces oprations. On ne souffre pas de

    n'avoir pas dj atteint le terme du travail entrepris, on n'attend pas ce

    terme comme une sorte de rcompense de leffort actuel. L'action parfaitedans laquelle on est engag apparat comme un quilibre dlicat entre l'im-

    patience d'obtenir un rsultat et la conscience des inconvnients ou prils

    inhrents une hte excessive, une prcipitation aveugle. On arriveainsi un rythme naturel de l'action, on fait tout ce que l'on est capable

    de faire en le faisant bien, Ds lors, on nest affect motionneilement nipar la considration du futur ni par celle du pass.

    Le mcanisme, une fois remis en tat de fonctionnement, peut avoirune utilit. Cette utilit n'est pas envisage. On remonte le mcanisme

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    pour la satisfaction mme de le remonter, de le' voir surgir peu peu

    comme un difice qui deviendrait progressivement complet. Il y a activit

    de jeu, activit gratuite au sens o nous lavons dfinie plus haut. Cette

    activit ludique ne tend pas vers une joie qui lui serait extrieure, quilf audr ait atte ndre d un ave nir. L acte nest pas dist inct de la joie q uil

    procure.

    Il faut faire la diffrence la plus expresse entre des motions qui sedveloppent dans le temps et un temps dont la considration susciterait

    des motions de dsir ou de regret, un temps qui se dresserait comme un

    obstacle en soi devant lindividu agissant. Cette sorte de temps, ce temps

    mouvant ne peut trouver place dans la conscience de qui agit complte-

    ment. Pour un tel agent, :a considration du pass ou du futur noffre

    pas plus d intrt que celle du prsent. Il nprouve pas le besoin de quitterl'un de ces temps pour sen aller vivre dans un autre. Le temps se rduit

    pour lui la conception d un ordre successif des choses, il dfinit un cadrede laction mais non un moteur ou un fr ein pour celle ci. U n temps ainsi

    conu n eng endre ni hte ni pares se chez qui en pre nd conscience. Il n est

    plus que schma intellectuel, instrument de classification ou de prvision,

    trace ou prolongement systmatique de trace. Cessant de solliciter laction,

    de la conditionner du dehors au regard de l'acteur, il apparat dans son

    conte nu formel, comme la crat ion, le pro duit de cette act ion mme. N estelle pas l'origine des vnements qui peuplent et soutiennent la dure?

    Les vnements du pass ne sont qu'actes accomplis et ceux du futur,

    quactes prsums. Et c'est encore un acte prsent qui les prsume.

    V u de l intrie ur de l'act e complet , le te mps apparat donc non com-me un principe mais comme une consquence non comme un ralit con-traignant l'acte mais comme une ralit pose par lacte et qui en explicite

    la nature (3 ). U n tel temps se trouve ds lors dnu sinon dimportance

    du moins dintrt. Il cesse d'tre une chose dsirable ou insupportable,une chose que l'on veuille tour tour accumuler ou dtruire. Il sefface

    comme objet de proccupation distinct. Et le sujet vit dans le prsent,

    non dans un prsent qui fait partie du temps mais dans le prsent qui

    est action (K ris hnamur ti).

    A in s i donc, bien que l acte co mplet laisse voir , qui l'obser ve du de -hors et d'un point de vue analytique, comme une solidarit une organisa-

    tion dynamique des moments distincts, extrieurs les uns aux autres et serpartissant dans les catgories de la temporalit, la division du temps que

    cette vision suppose n'est pas effectivement ressentie, ni rellement et

    pleinement pense par lauteur de l'acte, durant cet acte mme.

    La distinction entre le pass, le prsent et l'avenir subsiste encore

    physiquement la vie pratique deviendrait sans cela impossible etmme comme notion intellectuelle, mais elle est dpouille de la qualit,

    de la coloration, de lefficacit motionnelles quelle possde lordinaire.

    O n pourra it dire quelle devient purement opratoire, instr umentale ; que,

    s'incorporant invisiblertient aux actes, faisant partie de leur structure in-

    time, de leur essence, les articulant en quelque sorte, elle est agie plutt

    que vritablement, vitalement ressentie (4). La cohrence matrielle, lacoordination dans le temps, des gestes ou des intiatives ne cesse pas dtre

    assure et correspond bien un discernement implicite des moments, un

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    respect informul de l'ordre successif qui est insparable de toute action.Mais cette coordination, cet ordre ne sont plus, en gnral, reprsents et

    aucun temps n'est vu dans une lumire spcialement et irrsistiblement

    sductrice.

    O n ne retrouve plus, en ra pport avec les profondeurs vives du sujet,ce sens du pass qui inclut on ne sait quel regret mouvant, quelle nostal-

    gie mlancolique, et comme la pesanteur inexorable, accablante, d'une

    histoire infinie dont les moments sont la fois rvolus et irrvocables.

    Ni ce sens de l'avenir qui est lourd de toutes les attentes, de toutes lespeurs et de tous les espoirs. On n'attend plus un futur o l'on pourrait

    enfin vivre compltement. Surtout, il n'y a plus en nous la vision conscien-te. l vo cation de ce pers onnag e identif i nous mme qui, ains i que nous

    le montrerons plus loin, se dgage comme une vapeur des fissures de l'ac-

    tion incomplte et qui se dtourne intentionnellement et dlibrment duprsent pour se plonger dans les gouffres du pass ou du futur, obissant

    des attirances vertigineuses ou dinsurmontables rpulsions. Cetteprsence fantmale se dissipe en mme temps que la division du temps

    dont elle salimentait, et le sujet de l'acte complet, chappant lobsessiondu dsir comme celle du regret, vit dans une dure indivise qui, rassem-

    blant en elle le pass, ,1e prsent et le futur du sens commun, peut tre

    appele un prsent, e n'est pas dire que lacteur soit enferm dans ceprsent, mais plutt que tout devient prsent : pass et futur perdant leurs

    caractres motionnellement distinctifs se confondent psychologiquementavec le prsent, lequel nest mme plus pens en tant que prsent. En effet,

    ni le pass, ni le prse nt, ni le futur ne peuve nt tre conus en eux mmes.

    Chacun deux ne se laisse concevoir quau moyen des autres, nest dfinis-sable que dans ses rapports avec les autres. Supprimer les divisions du

    temps, cest donc, en un sens, supprimer le temps mme.

    Du fait mme qu'il unifie toutes les puissances du sujet et ralise uneintense, une suprme concentration de l'nergie, lacte complet revt, dans

    la conscience quen prend son auteur, une limpidit, une transparence ad-

    mirables. Il atteint ce point d'harmonie o les lments concourant laproduire nentrent plus en conflit et, de ce fait, deviennent vitalement in-vis ibles bien que lon puisse encore, inte llectuelleme nt, les dist ing uer. C est dire que bien qu'il soit possible, du dehors ou aprs co up, de discerner

    dans lacte complet des composantes mentales, motionnelles et physiques,ces composantes sont si intimement associes quelles ne peuvent plus tre,

    de 'intrieur et dans leur donne vive, les objets d une obser va tion dis tinc-te. Une sorte d'alignement survient entre l'motion, la pense et lac-

    tion (5 ), a lignement qui les f ait concourir, conver ger en une sy nthse or -ganique prsentant une unit propre, une signification originale, consti-tua nt en elle mme une ra lit simple et neuve. C est comme si trois tubes

    de vise primitivement disjoints venaient semboter pour former ensembleun tube unique dont les sections deviendraient indiscernables, ou comme

    si les fragments dune lentille brise se ressoudaient avec tant de perfec-

    tion que la lentille reprit sa transparence premire et redevint capable deraliser son foyer une blouissante concentration de lumire.

    C est cet aligne ment cet ajuste ment, ce concours rciproque des puis-

    sances de ltre qui efface les caractres propres, l'existence distinctive de

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    chacune delles. De la mme faon que, sur un disque en rotation, un do-

    sage judicieux des coueurs fondamentales dtruit toute coloration.

    Ces puissances se dsignaient et se dfinnissaient mutuellement par

    leurs dsaccords, leur opposition mme. Ou encore par le fait quelless'veillaient successivement et non simultanment.

    R e n F O U E R E ( suivre)