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1. - DÉFINITION ÉTYMOLOGIQUE DE LA RESPONSABILITÉ POLITIQUE Marion BOUCLIER A.T.E.R. en Droit Public Université de Perpignan « Responsabilité : Obligation de répondre, d’être garant de certains actes ». (E. Littré, Dictionnaire de la langue française, Édition Hachette et Cie, Paris, 1877).

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1. - DÉFINITION ÉTYMOLOGIQUE DE LA RESPONSABILITÉ POLITIQUE

Marion BOUCLIER

A.T.E.R. en Droit Public Université de Perpignan

« Responsabilité : Obligation de répondre, d’être

garant de certains actes ». (E. Littré, Dictionnaire de

la langue française, Édition Hachette et Cie, Paris,

1877).

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I - LES INTERPÉNÉTRATIONS DANS

L’ANALYSE SÉMIOLOGIQUE

L’apparition récente du mot rend l’étude

étymologique du terme « responsabilité » peu aisée. L’étude étymologique du terme « responsabilité » est

peu aisée. Aux précieuses compilations et com-

positions des érudits anciens, aux récents travaux1

menés par les juristes contemporains ou à toute

nouvelle tentative de définition, un obstacle essentiel

semble s’imposer de prime abord : l’apparition

récente du mot. Déconcertante jeunesse contrariant le

principe originel d’ordre de tout système sociétal2

aussi archaïque fut-il. On ne saurait se résoudre à ce

fait, relatif aux limites matérielles de la science

1 J. HENRIOT et M. VILLEY, La responsabilité, archives de la philosophie du droit, TXXII, Sirey, 1977. Voir Également J.L. GAZZANIGA, Les métamorphoses de la responsabilité, Publi-cations de la Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, Presses Universitaires de France, 1998. 2 J. HENRIOT, La responsabilité, Encyclopédia Universalis, TXIV, 1972.

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étymologique, au regard de l’historicité de la notion

de « responsabilité ».

Le recours à d’autres disciplines pour expliquer la

destinée du principe de responsabilité. Il faut donc

dépasser ce premier constat, et recourir à des

enseignements annexes tels que l’histoire des idées

politiques, la philosophie, pour fournir les preuves de

l’antériorité du concept et compléter ainsi les

déficiences de l’étude étymologique. Car la cons-

truction étymologique moderne du mot qualifie un

concept qui jouit, lui, d’une permanence et d’une

continuité remarquables dans l’héritage historique et

idéologique de notre civilisation. De tout temps, de la

Cité Grecque antique à l’État moderne, le principe de

responsabilité doté d’une dimension morale et

religieuse marquée, est conjointement sous-jacent à

l’ordre social et inhérent au pouvoir politique.

Examinons donc, sommairement ce que fut, au long

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des principales étapes historiques, l’évolution du

principe de responsabilité.

Le caractère comminatoire de la responsabilité

politique en tant que loi morale et céleste. Dans la

Grèce antique le « peuple politique » avait déjà établi

certaines procédures sanctionnant la responsabilité

politique de ses magistrats3. La meilleure traduction

que l’on peut donner, en grec, de « responsabilité » est euthuna (ευθυνα ). Il signifie « reddition de

comptes ». À la fin de leur mandat, les magistrats

d’Athènes devaient en effet répondre de leur

conduite. Au cours d’un procès devant le peuple, les

magistrats athéniens devaient justifier leurs choix

politiques ainsi que la façon dont ils avaient assumé

la charge confiée. Cette obligation s’inscrit dans le

3 C. BIDEGARAY et C. EMERI en recensent 2 principales. À partir de 508 av J.C : le bannissement pour les gouvernants ayant commis de graves fautes et l’annulation pénale de certaines décisions politiques (La responsabilité politique, Connaissances du Droit, Droit public, Dalloz, 1998).

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cadre des Vertu, Sagesse et Éthique, valeurs essen-

tielles des penseurs soucieux du « bien commun ».

Mais cette loi morale était aussi légitimée par les

croyances religieuses. Devant les dieux, les

gouvernants auront à répondre de leurs actes : « Ô

Roi (…) que la crainte des dieux vous engage à

redresser vos jugements »4.

À Rome, la République se dota également de

mécanismes de sanction pénale pour les délits

commis par la classe gouvernante. Crimes perpétrés

dans le cadre de fonctions politiques qui engageaient

leur responsabilité au-delà de la durée de leur

mandat. La pérennité de ces procédures devaient

perdurer jusqu’au Moyen Âge.

L’émanation divine de la responsabilité politique

en tant que limite au pouvoir temporel. De l’apport

chrétien et des Évangiles le concept acquiert une 4 HESIODE, Les travaux et les jours in L’histoire des idées politiques M. PRELOT, G. LESCUYER, Précis Dalloz, 9e édition, Dalloz, 1986.

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pleine valeur en matière politique puisque la

consécration de la puissance souveraine de Dieu

limite le pouvoir temporel, assujettit son titulaire à

une loi suprême. Ce triomphe de la puissance divine

confère aux gouvernés la faculté de refuser une

autorité illégitime si elle est non conforme à cette loi

religieuse. L’essence initiale de cette dernière, non

les usages politiques et les interprétations

idéologiques qui en émanèrent, a participé à l’enra-

cinement de l’idée de responsabilité. Idée atteignant

sa pleine maturation avec le libéralisme et le contexte

révolutionnaire, et qui trouve enfin son qualificatif.

La convergence sémantique du terme vers la

notion philosophique de culpabilité individuelle. Du

droit canonique et du moralisme chrétien, elle reçu

un caractère de subjectivité ignoré dans la Rome

antique : les juristes, bien que romanistes, modèlent

la qualité de l’homme responsable sur la base de

principes moraux et selon les règles de conduites

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dictées par les Évangiles. La responsabilité se double

alors d’un fondement philosophique moral essentiel,

qui se confond avec son caractère juridique5. Ainsi,

l’amalgame entre responsabilité et culpabilité se

concrétise, faisant de la faute un péché et un vecteur

déterminant de la responsabilité. Est responsable et

coupable, l’individu qui a transgressé la loi déter-

minée par la conscience collective.

La responsabilité politique génératrice de responsabilité citoyenne et pilier de l’ordre public . Enfin, ce sont les principes idéologiques pré-

révolutionnaires qui parachevèrent la signification du

concept et engendrèrent l’apparition du mot

responsabilité, tel que retenu dans la valeur qu’on lui

reconnaît actuellement. Ainsi la maturation définitive

de l’institution repose sur deux fondements : le

principe de l’universalisme et celui de l’individua- 5 L’article 1382 du code civil est révélateur de cet amalgame : il reprend textuellement les principes posés dans le Traité de DONAT au titre Des lois civiles dans leur ordre naturel.

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lisme6. La responsabilité s’inscrit dans une société

dont les assises sont Justice et Égalité. Chaque

homme libre et doué de raison doit répondre de ses

actes. La responsabilité est devenue la garantie de

l’ordre social déterminé par la morale mais aussi la

garantie des droits de chacun selon les devoirs de

tous.

II - LES INCIDENCES DANS L’ANALYSE

ÉTYMOLOGIQUE

La consécration du terme. Reprenons ici l’analyse

étymologique stricte du terme Responsabilité, lequel

apparaît récemment dans la langue du français

moderne dans une acception initialement politique7.

C’est à l’occasion des traductions du Discours de

Fox, dans le Courrier de l’Europe, en 1783 que 6 PH. SEGUR, la Responsabilité politique, P.U.F., Que sais-je, n° 3294, 1998. 7 Premier usage en droit constitutionnel : Texte 1791 Titre III Chapitre II Section I « De la royauté et du roi ».

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mention fut faite de son premier emploi. L’Abbé

J.F Féraud le répertoria en 17878, attribuant à M.

Necker (banquier et ministre du roi) sa paternité.

Quinze ans après cette première entrée dans notre

vocabulaire, le terme Responsabilité sera enfin

consacré puisque admis par l’Académie Française en

1798.

L’influence anglo-saxonne. Il est impossible

d’affirmer que l’usage originel du substantif dans

notre vocabulaire fut le résultat d’une transposition

de son équivalent anglais Responsibility, mais on ne

peut non plus en nier l’influence sémantique. Alors

que le mot apparaît simultanément en France et aux

États-Unis9 dans un laps de temps réduit, estimable à

cinq années — 1783/1787 —, son équivalent anglais

8 Dictionnaire critique de la langue française, Marseille 1787-1788. 9 The Oxford English Dictionnary dans le Tome VIII, p. 542 atteste du premier emploi de Responsibility en 1787 par l’homme d’État A. HAMILTON.

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le précède d’un demi-siècle. Terme de droit

constitutionnel anglais spécialisé, il apparut en 1733

et fut soudain généralisé à un usage courant dans le

contexte du régime parlementaire dont la

responsabilité politique devint la principale

caractéristique. La responsabilité politique anglaise

est une procédure par laquelle, le ministre en sa

qualité de sujet (liable) est obligé de répondre de ses

actes (accountable)10 devant le Parlement.

Responsabilité politique qui soustrait aux juridictions

traditionnelles deux domaines, ceux du Bill of

attainder et de l’Impeachment11. Ainsi, le terme

Responsibility s’applique particulièrement à tout ce

qui relève de la morale, de la politique mais aussi de

la criminalité. Pour les domaines de responsabilité

civile, légale, contractuelle, la langue anglaise use du

substantif Liability. Les multiples échanges

10 Les définitions sont extraites du dictionnaire Français-Anglais, Robert et Collins, S.N.L Le Robert, 1978. 11 C. BIDEGARAY, C. EMERI, Ibid., p. 1.

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entretenus par la France et l’Angleterre favorisèrent

la genèse du terme français. Cette démonstration peut

être appuyée par le fait qu’existait dans le moyen

français du XVe siècle le terme Responsabiliteit,

équivalent de notre substantif actuel, qui était,

cependant, depuis fort longtemps, sorti de l’usage

commun et non répertorié par les académiciens.

La racine étymologique primaire. La recherche de

l’étymologie Gréco-romaine primaire de

« responsabilité », source à laquelle on ne connaît

plus d’origine, renvoie dans un premier temps à

l’étymologie romane secondaire du français

archaïque et en la matière, à l’adjectif Responsable.

Attesté dès le Moyen Âge, il est l’étymon dont notre

substantif est dérivé. Son étude sémantique est

fondamentale dans la définition étymologique de

« responsabilité ».

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La construction du terme responsable dans l’ancien français. Sur la base de Responsavle12, mot

du vocabulaire de l’Ancien français, se construit dès

1304 l’adjectif Responsable, terme du dialecte

provençal. Il fut, lors de ses premiers usages, un

terme de féodalité désignant l’homme qui devait

payer, à vie et à son seigneur, la rente d’un fief

ecclésiastique. La signification de responsable

s’étend progressivement pour définir la qualité

juridique des individus admissibles en justice. Au

XIVe siècle cette dimension juridique se double d’une

acception morale : l’individu doit, selon les principes

dominants, répondre de ses actes ou de ceux des

personnes à sa charge. Enfin, au XVIIIe siècle,

donnant naissance à Responsabilité, l’adjectif se

double d’une dimension politique : le gouvernement

a l’obligation de répondre de ses actes.

12 GODEFROY, Lexique de l’Ancien Français et de tous ses dialectes du IX° au XV° siècle, Tome VII, Paris, 1892.

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Les dérivés latins de l’adjectif responsable convergent vers la notion de réponse. L’adjectif

responsable est un dérivé du latin classique

Responsum (répons). Celui-ci est la source initiale de

divers mots du vocabulaire français, impliquant tous

l’idée de responsabilité. Certains tombèrent en

désuétude au fil de l’évolution de notre langue, alors

que d’autres survivent encore aujourd’hui. Dans la

première série retenons le substantif Responsal, le

verbe répondre et le substantif réponse pour la

seconde.

Responsal désigne l’homme qui rendait, à l’empereur,

les réponses ecclésiastiques au nom du pape. Son synonyme est apocrisiaire (αποκρισιαριο s), lui

aussi disparu de notre vocabulaire, dont la racine

étymologique originelle remonte à la Grèce du Bas-

Empire : il s’agit de l’officier chargé de transmettre

les réponses des dignitaires politiques.

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Les linéaments de la notion de Réponse. Réponse

et Répondre apparaissent tous deux au XIe siècle dans

le dialecte Wallon qui fut le berceau primitif du

français archaïque. Réponse, dont la Chanson de

Roland (l’une des premières traces écrites de notre

langue), fait usage, s’inscrit comme Responsable

dans le vocabulaire de la féodalité. Le responsable

n’étant autre que celui qui doit faire réponse. Cette

réponse s’entend selon deux significations : celle

faite en Cour, qui est le droit reconnu de siéger dans

une cour judiciaire mais également en matière pénale

et dans un sens opposé, ce peut être l’obligation pour

un noble de faire réponse de son crime et de perdre

son honneur. Répondre est corrélativement, l’acte

écrit ou oral qui fait réponse à une demande. Dans les

sens initiaux qui lui sont reconnus répondre est le fait

de réaliser les espérances que l’on a fait naître, d’être

caution ou garant en justice d’une personne ou d’un

objet.

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Tous ont pour filiation ascendante le verbe latin

Respondere dont Responsum est le participe passé.

Respondere désigne le fait de « Répondre à un

engagement solennellement pris »13, c’est-à-dire

promettre ou garantir. Ce dernier est à mettre en relation avec le grec Spendô (σπενδω) et Spendé

(σπενδη). Spendô est le fait de « verser une

libation », de « faire une convention, un traité ». Les

Grecs répandaient et buvaient le vin en hommage aux

dieux afin de ratifier certains actes. Spendé est le

nom qui désigne cette offrande mais également le

traité. Le verbe hérite du Grec Spendein (σπενδειν) une dimension religieuse fondant les

obligations dues aux divinités. Afin d’obtenir leur

clémence, la Cité entretenait des rites, comme par

exemple le rite des promesses aux Dieux. Débordant

son sens primitif religieux, Respondere s’entendra

progressivement de toute réponse fait, orale ou écrite.

13 E. LITTRE, Ibid., p. 1.

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Notamment pour les justiciables ayant obligation de

répondre devant un tribunal.

La distorsion sémantique du concept de

responsabilité lui confère son caractère synallagmatique. Cette extension de sens peut

également s’appliquer à une situation plus spécifique

dans laquelle on peut retrouver une équivalence au

concept de responsabilité. Respondere qualifie ainsi

deux états, celui de Sponsor le débiteur devant

exécution d’un acte, et celui de Responsor, le garant

de l’obligation dans le cas d’une défaillance

hypothétique du premier, états constitutifs de l’insti-

tution juridique romaine, la Sponsio, consacrée par la

loi Aquilia dans son chapitre second. La possible

correspondance entre l’institution romaine et la nôtre

doit être néanmoins nuancée avec prudence : La

responsabilité telle que conçue par les juristes de la

Cité ne s’est pas parée de la dimension subjective

accordée par notre corpus juris moderne.

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La responsabilité, pièce régulatrice du Droit Naturel. La tradition gréco-romaine a façonné la

responsabilité comme un mécanisme d’imputabilité

juridique purement objectif, applicable au domaine

des biens matériels. La responsabilité est un

processus automatique s’activant chaque fois que

l’harmonie entre les échanges est rompue : elle a

donc pour fondement la réparation et non la sanction.

C’est dire l’importance des notions aristotéliciennes

du juste équilibre sous-tendant toute la philosophie

sociale égalitaire de Rome. Ce caractère objectif

fondamental fait de la responsabilité « un phénomène

de solidarité de groupe »14. Et ni la faute15, ni

l’élément intentionnel, ni même le concept de

culpabilité ne sont des éléments constitutifs de la

responsabilité . Le responsable, Responsor, n’est ni 14 J.M. TRIGEAUD, Encyclopédie philosophique universelle, Les notions philosophiques, TII, P.U.F. 1990. 15 Le concept de faute, Culpa, d’origine romaine produit dans le processus de responsabilité une aggravation de la peine de réparation infligée, sans pour autant déterminer la mise en œuvre du processus.

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un coupable, ni un débiteur, ni l’auteur d’un

dommage. Ces différents concepts trouvent leur place

dans d’autres mécanismes de justice de restauration

de l’ordre social.

Telles furent les conceptions et les sources

étymologiques gréco-romaines de la responsabilité.

Si ces notions latines furent, comme tant d’autres,

une source d’inspiration des théoriciens de notre

droit, elle a perdu lors de son intégration dans le

système moderne les caractères de sa signification

primitive. La responsabilité contemporaine consacrée

par le droit français n’est plus exclusivement, comme

nous l’avons vu plus haut, objective et porte en son

essence les reliquats des différents courants idéo-

logiques qui ont participé à sa construction.

Notons pour conclure que si « Responsabilité » fut

utilisé de façon marginale et irrégulière lors de ses

débuts, le vocable connut une expansion excep-

tionnelle, dans le contexte révolutionnaire, due, sans

nul doute, à l’engouement que lui témoignèrent

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journaux et discours politiques de l’époque.

L’éclosion de ses multiples dérivés durant les années

qui suivirent en furent la preuve : « Irresponsable »

en 1786, « Irresponsabilité » en 1790. Cette

extension linguistique se soldera de 1960 à 1970 par

la création du verbe « Responsabiliser » et du nom

« Responsabilisation ».

2. - HISTOIRE DOCTRINALE DE LA RESPONSABILITÉ POLITIQUE

Christophe BONNOTTE

Doctorant à l’Université de Limoges

La place de la notion de responsabilité politique au

centre de la réflexion constitutionnelle se justifie à un

double titre : d’une part, elle participe du mouvement

constitutionnaliste moderne, et, d’autre part, elle

s’inscrit dans une problématique de l’organisation et

de l’exercice du pouvoir politique.

En premier lieu, la responsabilité politique apparaît

profondément liée au constitutionnalisme moderne,

dans la mesure où celui-ci tend à la rationalisation, à

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la « juridicisation », de la responsabilité des

gouvernants, jusqu’alors assurée par des sanctions de

caractère essentiellement religieux16. Le constitu-

tionnalisme peut ainsi se définir comme « un effort

pour inclure la notion de responsabilité dans la

conduite des affaires publiques sans recourir à des

sanctions religieuses. À la place de règles religieuses,

on prend comme guide de l’action publique la notion

d’un intérêt mutuellement reconnu (c’est ce qu’on

appelle l’intérêt public ou l’intérêt général) »17. Dans

le même sens, O. Beaud souligne que « le

constitutionnalisme est né historiquement de la

volonté de réduire l’arbitraire et de substituer à

16 « L’histoire nous montre que la responsabilité des chefs de gouvernement a été assurée non seulement grâce à des sanctions séculières, politiques, administratives ou juridiques, mais aussi grâce à des sanctions religieuses. En fait, ces sanctions de caractère religieux ont eu plus d’influence que les autres », C.J. FRIEDRICH, La démocratie constitutionnelle, PUF, coll. « Bibliothèque de science politique », 1958, p. 16. 17 Ibid., p. 19.

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l’irresponsabilité des gouvernants leur respon-

sabilité »18. En second lieu, la responsabilité politique s’inscrit

dans une problématique de l’organisation et de l’exercice du pouvoir : la responsabilité gouverne-mentale s’est développée dans le cadre du régime parlementaire, dont elle est, pour la doctrine classique, le trait essentiel19. La séparation souple des pouvoirs, qui caractérise le régime parlementaire, apparaît alors comme la condition d’existence de la

18 O. BEAUD, « Le traitement constitutionnel de l’affaire du sang contaminé. Réflexions sur la criminalisation de la responsabilité des ministres et sur la criminalisation du droit constitutionnel », RDP 1997, p. 995 et s. De la même manière, J. MEKHANTAR (Droit politique et constitutionnel, éd. Eska, 1997, p. 113 et s.) rappelle que le constitutionnalisme poursuit deux objectifs complémentaires : « la limitation de l’arbitraire du pouvoir politique » et « la codification des règles du jeu politique ». V. O. BEAUD, Constitution et constitutionnalisme, in « dictionnaire de philosophie politique ». P. RAYNAUD et S. RIALS, PUF, 1996, p. 117 et s. 19 « Le seul fait qu’une Constitution l’édicte suffit à révéler qu’elle institue le régime parlementaire ». J. LAFERRIERE, Manuel de droit constitutionnel, Domat-Montchrestien, 1943, pp. 734-735.

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responsabilité politique20, dans le sens où elle implique une collaboration entre les pouvoirs, et des moyens d’actions réciproques de l’un sur l’autre21. La responsabilité politique est donc le corollaire indispensable du droit de dissolution22 et constitue une modalité technique de participation23 et de 20 G. BURDEAU, Traité de science politique, tome VI, vol. II, LGDJ, 2e éd., 1976, p. 429. 21 La séparation stricte des pouvoirs, qui repose sur la règle de l’indépendance et de la spécialisation s’oppose au principe de révocabilité des gouvernants : ainsi, Montesquieu, écrit-il que la puissance législative ne doit pas pouvoir juger de la conduite du titulaire de la puissance exécutrice. Néanmoins, elle doit pouvoir « examiner de quelle manière les lois qu’elle a faite ont été exécutées » (MONTESQUIEU, Oeuvres complètes, tome 2, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1951, p. 403). La séparation stricte des pouvoirs ne constitue pas, en tant que tel, un obstacle à la responsabilité politique, mais empêche son développement sous une forme parlementaire, sa rationalisation, au profit d’une responsabilité politique de fait, « sauvage ». V. en ce sens, M. TROPER, La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française, LGDJ, 1980, p. 69 et s. 22 A. ESMEIN, Éléments de droit constitutionnel français et comparés, Sirey, 8e éd., tome 2, p. 269. 23 Ainsi L. DUGUIT écrit-il que « cette responsabilité solidaire et politique est, je le répète, l’élément essentiel du régime parlementaire, parce qu’elle assure la collaboration constante du Parlement et du gouvernement… » (« Traité de droit constitutionnel » tome 4 L’organisation politique de la France,

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contrôle24 du Parlement sur l’activité gouvernementale : la responsabilité politique est alors synonyme de liberté politique.

Sirey, 2e éd., 1924, p. 846). Longtemps avant lui, B. CONSTANT avait déjà énoncé ce principe premier que la responsabilité des ministres devait poursuivre entre autre but « celui d’entretenir dans la nation par la vigilance de ses représentants […] un esprit d’examen, un intérêt habituel au maintien de la Constitution de l’État, une participation constante aux affaires, en un mot un sentiment animé de vie politique » (« Principes de politique », « Œuvres », Bibliothèque de la Pléiade Gallimard, 1957, p. 1140). 24 Le pouvoir exécutif est soupçonné de vouloir s’affranchir et violer la loi, et, par sa compétence réglementaire, de vouloir exercer une autorité arbitraire, malfaisante et abusive (A. ESMEIN, op. cit., tome 1, p. 157.) pour PREVOST-PARADOL, un ministère responsable, « administrant les affaires publiques sous la direction de son chef et soumis, pour l’ensemble et le détail de sa conduite, au contrôle quotidien du Parlement […] offrirait à la fois au pays les avantages du gouvernement le plus fort qu’on pût concevoir, et toutes les garanties inséparables pour le respect de la liberté générale » (« La France nouvelle », 1868, Garnier, coll. « Les classiques de la politique », p. 196). En ce sens, G. BURDEAU, op. cit., p. 171. Cette conception de la responsabilité politique comme modalité technique de contrôle du Parlement sur l’exécutif est ancienne ; de LOLME l’avait déjà souligné : la responsabilité des ministres constitue alors « un moyen d’opposition immédiate aux malversations du gouvernement » (« Constitution de l’Angleterre », 1770 p. 65.). Elle « indique fortement les bornes où le pouvoir doit se renfermer » (op. cit., p. 67).

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Par ailleurs, la responsabilité politique constitue un

thème de réflexion sur l’exercice du pouvoir

politique, dans la mesure ou elle implique le principe

de révocabilité des gouvernants : ainsi, « l’acte qui

institue le gouvernement n’est point un contrat mais

une loi, que les dépositaires de la puissance exécutive

ne sont point les maîtres du peuple, mais ses

officiers, qu’il peut les établir et les destituer quand il

lui plaît, qu’il n’est point question pour eux de

contracter mais d’obéir et qu’en se chargeant des

fonctions que l’État leur impose, ils ne font que

remplir leur devoir de citoyens… »25. Pour A.

Esmein, « il semble que la souveraineté nationale ait

pour conséquence nécessaire la pleine responsabilité

de tous ceux qui exercent à un titre quelconque

25 J.J. ROUSSEAU, « Du contrat social ; écrits politiques », Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1964, p. 434 et s. V. aussi J. LOCKE, « Deuxième traité du gouvernement civil », Librairie philosophique J. Vrin, 1967, p. 191 et s.

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l’autorité publique »26. Cette responsabilité vise au

premier chef ceux qui sont investis par la nation du

pouvoir de conduire les affaires publiques au plus

haut niveau27 et peut logiquement conduire à la

destitution de celui qui aurait fait un mauvais usage

des pouvoirs qui lui ont été confiés28. Séparation

souple des pouvoirs et souveraineté nationale

26 A. ESMEIN, op. cit., p. 480 et s ; J. LAFERRIERE, « Manuel de droit constitutionnel », Domat-Montchrestien, 1943, p. 359. 27 « Tous en effet agissent, non en vertu d’un droit propre, mais au nom de la nation en qui réside la souveraineté. Cela semble vrai non seulement quant aux fonctionnaires proprement dit […] mais aussi et surtout quant aux représentants, c'est-à-dire quant à ceux qui ont un pouvoir de décision plus ou moins arbitraire et veulent pour la nation. Le danger de voir le délégué mesuser d’un pouvoir qui ne lui appartient pas étant plus grand dans le second cas, la responsabilité paraît s’imposer d’avantage » (A. ESMEIN, op. cit., tome 1, p. 480 et s) 28 « Logiquement cette responsabilité paraît impliquer deux choses : 1° une sanction toutes les fois qu’un fonctionnaire ou un représentant excède ses pouvoirs ; 2° la révocabilité de tout fonctionnaire ou représentant par l’autorité qui lui a confié son pouvoir ou sa fonction, toutes les fois que cette autorité peut craindre que sans dépasser les limites des pouvoirs qu’elle lui a délégué, il les exerce cependant d’une façon peut utile ou même dangereuse » (ibid.).

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impliquent donc bien la pleine responsabilité des

gouvernants29. Thème fondamental de la théorie

constitutionnelle, la responsabilité politique a fait

l’objet de longs développements de la part de la

doctrine classique, et constitue encore aujourd’hui un

sujet d’étude privilégié des auteurs de droit

constitutionnel. Une étude de l’histoire doctrinale de

responsabilité politique fait ainsi apparaître que, au-

delà de la formation de la notion en doctrine (I), les

auteurs contemporains se sont attachés à mettre en

lumières les altérations qui l’affectent (II).

29 R. CHARVIN rappelle ainsi que « cette séparation des pouvoirs organisée sous la forme d’une collaboration souple de type parlementaire entre l’exécutif et le législatif sous les trois républiques depuis 1875 s’ajoutant à la notion de souveraineté nationale implique la responsabilité de l’exécutif […] devant le souverain, et un contrôle réciproque des deux pouvoirs l’un sur l’autre. » R. CHARVIN, Justice et politique, LGDJ, 1968, p. 246).